La chasse aux dissidents en Chine
- Author: Research Directorate, Immigration and Refugee Board, Canada
- Document source:
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Date:
1 June 1995
1. NATURE ET BUT DE LA CHASSE AUX DISSIDENTS
Les manifestations du printemps de 1989 à travers toute la Chine, réunissant à la fois des étudiants, des intellectuels, des artistes et des travailleurs de tous les secteurs, ont constitué une menace sérieuse au pouvoir exercé de façon absolue par le Parti communiste chinois. En effet, bien que les manifestations de 1989 s'inscrivent dans le mouvement de contestation étudiante amorcé au milieu des années 1980, leur ampleur, la rapide expansion du soutien populaire à la cause démocratique, la réaction sympathisante des puissances étrangères et la forte couverture médiatique internationale ont forcé les autorités à réagir vivement pour consolider leur pouvoir et ouvrir une véritable chasse à la dissidence (Freedom at Issue sept.-oct. 1989, 12). Il s'agit là d'un filtrage en règle de la population chinoise soumise à l'autocritique, à l'éducation politique (retour en force des classes d'éducation idéologique) et à un renforcement du contrôle social (par le biais du carnet de résidence, de l'unité de travail et du comité de quartier). L'objectif ultime de cette campagne d'épuration idéologique, commencée après les événements de la place Tienanmen en juin 1989, est de repérer les citoyens à tendance « contre-révolutionnaire » pour les classer ensuite en catégories allant de ceux qui ont manifesté ou exprimé leur soutien à la démocratie jusqu'aux dirigeants du mouvement pour la démocratie et aux auteurs d'actes violents durant les manifestations (Chengming Monthly Magazine oct. 1989, 4-5).
Dix catégories d'individus parmi les plus actifs lors des manifestations constituent le premier groupe-cible à combattre, à réformer, ou encore à neutraliser. Neuf autres catégories, comprenant les personnes qui ont des liens avec des « contre-révolutionnaires », qui présentent des attitudes anti-Parti et antisocialistes, ou qui ont appuyé, financièrement ou autrement, le mouvement pour la démocratie, pourront faire l'objet d'un examen serré visant à corriger leur position idéologique (Ibid.; The Globe and Mail 10 août 1989, A5).
D'après un document rendu public par un diplomate chinois qui a récemment fait défection aux états-Unis, le gouvernement chinois ne « permettra pas aux mauvais éléments de retourner en Chine avant qu'ils n'aient abandonné leur position anti-gouvernementale et se soient engagés à poser des actes concrets de repentir » (The Calgary Herald 3 juin 1990, C1; Far Eastern Economic Review 5 juill. 1990, 11). Depuis juin 1989, Beijing a en fait refusé le retour en Chine d'une centaine de militants pour la démocratie qui résident à l'étranger (The Toronto Star 2 juill. 1990).
2. METHODES UTILISEES POUR TRAQUER LA DISSIDENCE
2.1 Autocritique et éducation politique
A la suite des événements d'avril, de mai et de juin 1989, les autorités chinoises ont renforcé la pratique de l'autocritique afin de jauger la position idéologique de la population chinoise. Le président Deng Xiaoping a émergé de son silence le 9 juin pour prononcer un discours sur la rébellion contre-révolutionnaire du printemps de 1989. Le premier ministre Li Peng a exigé des cadres et employés de l'état trois sessions d'étude par semaine du discours de Deng (Le Point 19 juin 1989, 46). Tous les fonctionnaires du gouvernement (qui représentent un pourcentage élevé de la population active dans un pays où le secteur étatique est très important) ont dû soumettre un énoncé écrit de leur position idéologique face au mouvement pour la démocratie du printemps de 1989 (FBIS-CHI-89-112 13 juin 1989a, 18-19). Le Parti a également demandé aux travailleurs de rapporter leur propre participation aux manifestations, les exposant ainsi à des sanctions prévues par le droit militaire (Ibid.). Tous les étudiants doivent désormais présenter par écrit leurs idées sur la rébellion afin d'obtenir leur diplôme de fin d'études (Simmie et Nixon 1989, 200). Le premier ministre Li Peng a averti tous ceux qui ont participé aux manifestations et qui ont sympathisé avec les étudiants qu'ils « auraient à changer ces opinions » (Ibid. 199). Un rapport récent indique que les unités de travail, les bureaux et les écoles exigent toujours de leurs membres la rédaction d'autocritiques pendant au moins un après-midi par semaine (The Toronto Star 19 mars 1990).
La région de Guangzhou a été particulièrement critiquée pour sa « chute » rapide vers une économie et un système social à tendance trop « capitaliste » au goût des autorités (The New York Times 28 juin 1989). Le Comité du Parti communiste de Guangzhou a diffusé un communiqué le 11 juin 1989, dans lequel il demandait à tous les membres du Parti de se rallier à l'idéologie communiste. Il indiquait également que ceux qui refuseraient de se conformer seraient « sérieusement punis » (FBIS-CHI-89-112 13 juin 1989a, 18-19). Les autorités provinciales de Guangdong ont aussi menacé les étudiants meneurs de Guangzhou de sanctions sévères s'ils refusaient de se présenter au Bureau de la sécurité publique (police chinoise) pour produire une déclaration concernant leur participation au mouvement pour la démocratie (FBIS-CHI-89-128 6 juill. 1989). Des étudiants de l'Université Zhongshan, à Guangzhou, ont été emprisonnés « à cause de leur refus de se rendre au Bureau de la sécurité publique pour y effectuer leur déposition » (Chengming Monthly Magazine oct. 1989, 2). Chez les militaires également, l'autocritique a été exigée, sous peine de punitions prévues par le droit militaire (FBIS-CHI-89-112 13 juin 1989a, 18-19). Le secrétaire du Comité provincial du Parti, Lin Ruo, lançait un appel général à l'éducation politique approfondie le 15 juin 1989, insistant sur l'absolue nécessité d'étudier en détail le discours du 9 juin 1989 prononcé par Deng Xiaoping au sujet de la rébellion « contre-révolutionnaire » (FBIS-CHI-89-119 22 juin 1989). En février 1990, à la suite de la levée de la loi martiale, les autorités provinciales de Guangdong ont réaffirmé l'importance de l'éducation idéologique dans les écoles (FBIS-CHI-90-044 6 mars 1990, 42), et en avril, le Parti a organisé un important symposium sur la propagande politique dans la ville de Guangzhou (FBIS-CHI-90-067 6 avr. 1990, 41-42).
2.2 Méthodes d'identification des dissidents
L'une des principales méthodes employées par le gouvernement chinois pour mettre le doigt sur la dissidence réelle (participation active aux manifestations pour la démocratie) ou suspecte (sympathie aux idées des dissidents) est l'incitation à la délation. Dans les semaines qui ont suivi les événements de la place Tienanmen, le gouvernement a fait plusieurs déclarations à la télévision chinoise encourageant, sous peine de sanctions, la dénonciation des individus ayant participé ou apporté leur appui au mouvement pour la démocratie (Le Monde 24 août 1989; The Economist 17 juin 1989, 39). Ceux qui manqueraient à leur devoir de dénoncer les « contre-révolutionnaires » se rendraient passibles d'arrestation ou d'emprisonnement (Amnesty International, AI Index : ASA 17/09/90, 36). L'incitation à la délation a été accompagnée d'une campagne de terreur à la télévision chinoise, qui montrait de façon répétée des contre-révolutionnaires mains liées et visage couvert de plaies, de même que les photographies des 21 dirigeants étudiants les plus recherchés en Chine (Ibid. 37).
La police chinoise, d'après une source indépendante, a accusé d'activisme antigouvernemental « quiconque avait pu être identifié » sur vidéo (même à partir des caméras de contrôle de la circulation routière) de même que sur les photographies prises par les forces de sécurité ou sur celles publiées par la presse et la télévision internationales (China Review août 1989a, 5). Une source rapporte enfin que même des passants qui ont pu être captés par les caméras s'ils se trouvaient dans la rue lors des manifestations auraient pu être arrêtés, interrogés et, dans certains cas, envoyés en rééducation (Amnesty International 28 fév. 1991). Le Bureau de la sécurité publique a en effet été très actif partout au pays pendant le printemps de 1989, filmant et photographiant les manifestations pour ensuite se servir des images dans sa lutte contre la dissidence (China Review août 1989b, 9).
2.3 Renforcement du contrôle social
A la suite des troubles du printemps de 1989, trois institutions de contrôle social ont joué un rôle prédominant dans la chasse aux dissidents : le hukou (livret de résidence), la danwei (unité de travail), et le jumin weiyuanhui (comité de quartier).
Comme l'affirme l'une des sources consultées, « dans la situation de terreur qui a régné après le massacre du 4 juin 1989, le hukou a constitué naturellement un élément important de l'arsenal répressif » (Béja 1989, 253). Le hukou, instauré dans les années soixante à travers toute la Chine, attache chaque citoyen à un lieu de résidence donné qui ne doit en théorie pas changer au cours de la vie de l'individu. De plus, toute information concernant l'« attitude par rapport à la collectivité », les « relations sociales », les dénonciations, est incluse dans le dossier joint au hukou et n'en sera jamais retirée (Ibid.). Le strict contrôle exercé par le hukou sur la mobilité des citoyens facilite ainsi la tâche du Bureau de sécurité publique pour l'arrestation des dissidents (Whyte et Parish 1984, 19, 21). Il est donc difficile d'échapper au contrôle de résidence, puisque toute personne doit s'inscrire au Bureau de sécurité publique ne serait-ce que pour une nuit passée en dehors de la résidence habituelle (White 1977, 155; Jeune Afrique 21 juin 1989). Cependant, des populations flottantes et clandestines se massent en grand nombre dans les grands pôles économiques chinois, tels Guangzhou et Shanghai (Country Reports 1989 1990, 816).
La danwei, ou unité de travail, est présente dans tout lieu de travail ou d'études. C'est l'instance qui s'occupe de fournir les lettres d'introduction nécessaires à toute démarche administrative telle que mutation d'emploi, autorisation de déplacement, mariage, etc. (Béja 1989, 254). Tout comme le hukou, la danwei exerce un contrôle sur la mobilité de ses membres et maintient des contacts étroits avec le Bureau de sécurité publique. Le contrôle des déplacements par la danwei a été facilité à partir de juin 1989, grâce à l'emploi plus strict d'un système de cartes d'identité mis à l'essai depuis cinq ans à travers toute la Chine (Country Reports 1989 1990, 816). En outre, la danwei est chargée d'organiser des classes de rééducation politique et a la responsabilité de « corriger » les déviations idéologiques parmi la population chinoise.
A la suite des événements du 4 juin 1989, les autorités ont fait savoir aux comités de quartier (jumin weiyuanhui) qu'ils devraient désormais collaborer de plus près avec le Bureau de la sécurité publique afin de contrôler les activités et les attitudes des citoyens (Ibid., 808). Les comités de quartier, auxquels nul citoyen ne peut échapper, peuvent donc jouer « un rôle important d'informateur dans la chasse aux manifestants (Béja 1989, 255).
3. RESULTATS
Les résultats de la chasse aux dissidents ont été probants, puisque le nombre de personnes arrêtées lors des purges varie de quelques milliers (selon les sources gouvernementales) à quelques dizaines de milliers (selon les sources indépendantes) (Amnesty International, AI Index : ASA 17/09/90). La chasse aux dissidents à Guangzhou et dans le reste de la province de Guangdong, d'où proviennent la plupart des demandeurs d'asile, a également fait son oeuvre, comme en témoigne l'annexe ci-après.
Au début de septembre 1989, Li Peng a confirmé la chasse aux dissidents en écartant toute possibilité d'une amnistie pour les manifestants (FBIS-CHI-89-171 6 sept. 1989, 16). D'après une estimation officielle du gouvernement chinois, seuls 355 participants aux manifestations du printemps de 1989 sont toujours en prison à Beijing (News From Asia Watch 1er août 1990, 1). Cependant, le nombre de personnes soupçonnées d'activités « contre-révolutionnaires » qui sont toujours détenues ailleurs au pays ou en camp de rééducation demeure inconnu. De plus, les rapports du Ministère chinois de la sécurité publique révèlent que seuls les suspects qui ont avoué leurs crimes et ont montré des signes « concrets » de repentir ont pu être libérés (Ibid. 2). Bien que la libération de certains dissidents ait permis au gouvernement chinois de regagner quelque soutien au niveau international (le statut de nation la plus favorisée renouvelé récemment par les états-Unis n'est pas le moindre), d'autres personnes ont été arrêtées lors du premier anniversaire du massacre du 4 juin 1989 pour avoir tenté d'organiser des manifestations en faveur de la démocratie (News From Asia Watch 1er août 1990, 4-5). Tout récemment, une vaste campagne contre la criminalité, lancée à travers tout le pays, a mené à l'exécution de plusieurs dizaines de milliers de personnes (Libération 28 août 1990). Cependant, la peine de mort et les procès pour « délit » officiellement de droit commun sont fréquemment utilisés à des fins politiques en Chine (The Independent 5 juill. 1990, 8), et les tribunaux restent totalement soumis aux directives du Parti (The Los Angeles Times 16 janv. 1990, A6).
4. ELEMENTS DE CONCLUSION
La chasse aux dissidents qui a été amorcée à la suite de l'opération militaire du 4 juin 1989 s'inscrit dans une perspective historique plus ancienne en Chine, où, depuis 1949, diverses campagnes de relative ouverture idéologique ont servi subséquemment à mieux museler la dissidence. La notion de « contre-révolutionnaire » en Chine vise bon nombre d'éléments considérés comme potentiellement dangereux pour l'ordre socialiste et la dictature du prolétariat (Lau Yee-Fui et al. 1977, 328) et dont les « crimes » sont passibles de sanctions allant d'un an d'emprisonnement à la peine de mort (The Criminal Code 1982, 49-52). La chasse aux dissidents actuellement en cours a remis à la mode la notion de « crime contre-révolutionnaire », plus pertinente que jamais pour comprendre la société chinoise.
Face à la situation tendue qui règne actuellement en Chine, la répression des idées démocratiques demeure l'une des priorités du Parti communiste chinois. Les institutions de contrôle social mises en place par ce dernier sont plus que jamais omniprésentes dans la vie sociale et politique chinoise. La dissidence demeure donc traquée dans la Chine de l'après-Tienanmen, où la conformité avec les idées du Parti reste impérative.
5. ANNEXE
Guangzhou
Guangzhou, la police arrêtait le 7 juin 1989 plus d'une centaine de travailleurs qui manifestaient leur colère face à la répression du 4 juin en bloquant le pont Haizhou (FBIS-CHI-89-112 13 juin 1989b).
Un membre de l'un des commandos-suicides qui ont été associés au Printemps de 1989 s'est rendu aux autorités de Guangzhou le 14 juin et a confessé son «crime contre-révolutionnaire» (BBC Summary 19 juin 1989).
La Fédération patriotique des collégiens de Guangzhou, une organisation indépendante à tendance démocratique créée au printemps de 1989, était interdite à la mi-juin et ses dirigeants sommés de se rendre aux autorités (FBIS-CHI-89-117 20 juin 1989b; FBIS-CHI-89-115 16 juin 1989).
Toujours à Guangzhou, des prisonniers ont été exécutés en août 1989 peu après la réaction cantonnaise au massacre de Beijing (Libération 30 août 1989; Ibid. 10 août 1989).
A la fin du mois, trois étudiants de l'Université Jinan étaient arrêtés pour leurs activités « contre-révolutionnaires » lors des manifestations du printemps (FBIS-CHI-89-163 24 août 1989).
C'est à Guangzhou également qu'étaient arrêtés à la fin de l'été quelques-uns des 21 dirigeants étudiants les plus recherchés en Chine (FBIS-CHI-89-116 19 juin 1989; Reuter 25 août 1989).
En septembre 1989, un étudiant de l'Université de Guangzhou a été détenu pendant quinze jours pour avoir distribué des tracts « réactionnaires » (FBIS-CHI-89-191 4 oct. 1989, 29).
Ailleurs dans la province de Guangdong
A la fin de juin 1989, des « éléments suspects » accusés d'avoir participé aux émeutes pour la démocratie ont été arrêtés à la frontière entre Shenzhen et Hong Kong (FBIS-CHI-89-117 20 juin 1989a, 50).
Au début du mois d'août, des enquêteurs spéciaux étaient envoyés sur le campus de l'Université de Shenzhen (située dans la plus ancienne zone économique spéciale de Chine, au sud de Guangzhou) pour traquer la dissidence étudiante dans cette université, dont le recteur devait être renvoyé peu après pour avoir montré trop d'enthousiasme à l'endroit du mouvement pour la démocratie (FBIS-CHI-89-146 1er août 1989, 56).
Le chef du Parti communiste de Shenzhen a également été démis de ses fonctions pour sa participation au mouvement démocratique, ce qui a rendu la zone économique spéciale plus suspecte aux yeux du gouvernement (FBIS-CHI-89-178 15 sept. 1989, 8).
En octobre, c'était au tour de prétendus espions de Taiwan, venus à Guangzhou transmettre de l'information sur le mouvement pour la démocratie, d'être incarcérés dans une prison de la province, l'un pour treize ans et l'autre pour dix ans (The Associated Press 24 oct. 1989).
En décembre, à la suite d'un rapport indiquant que la dirigeante étudiante Chai Ling se trouvait dans la province de Guangdong, les autorités ont monté une gigantesque poursuite qui s'est soldée par un échec (FBIS-CHI-89-242 19 déc. 1989, 38).
Peu après la nouvelle de l'arrestation du fils d'un éditeur, détenu pour avoir facilité la fuite d'« éléments démocratiques » (dissidents), arrivait à Hong Kong (FBIS-CHI-89-245 22 déc.1989, 25-26).
En mai 1990, le procès d'une dizaine de personnes impliquées dans la rébellion « contre-révolutionnaire » du printemps de 1989 s'est terminé par leur condamnation à une peine d'emprisonnement allant de cinq à dix ans (FBIS-CHI-90-094 15 mai 1990, 48-49).
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