Rapports sur les droits de la personne : la violence familiale au Guatemala

 

1. INTRODUCTION

2. VIOLENCE FAMILIALE AU GUATEMALA

3. LEGISLATION

4. VOIES DE RECOURS EN JUSTICE

        4.1 Procédure de traitement des plaintes
                4.2 Attitude des professionnels à l'égard de la violence familiale

5. SOLUTIONS DE RECHANGE

6. ORGANISATIONS DE FEMMES

ANNEXE : Notes sur les sources

REFERENCES

1. INTRODUCTION

Le présent document traite de la violence familiale au Guatemala. Il n'examine pas en profondeur la question du statut des femmes dans ce pays. Toutefois, comme il est important de bien comprendre le contexte dans lequel se situe l'information présentée dans ce document, nous y avons inclu certaines données statistiques pertinentes. Pour obtenir plus d'information sur l'interprétation de ces données ou sur la situation des femmes au Guatemala, le lecteur pourra consulter les documents de référence mentionnés ci-dessous (ainsi que d'autres documents sur le sujet), mis à la disposition du public dans les centres de documentation régionaux de la CISR. Les documents intitulés Guatemala : Profil de pays (DGDIR, avril 1993) et Guatemala : Mise à jour (DGDIR, juillet 1994) constituent des sources d'information complémentaires qui traitent de façon générale de la situation politique et des droits de la personne.

Le Guatemala est le pays d'Amérique centrale où les taux de mortalité infantile et juvénile sont les plus élevés, où l'espérance de vie est la plus basse, où la malnutrition frappe le plus durement et où le budget pour la santé publique est le moins élevé (Barry oct. 1992, 169). En outre, l'espérance de vie des autochtones est de beaucoup inférieure à celle du reste de la population (ibid.).

On estime qu'environ la moitié des habitants du Guatemala ont moins de 17 ans (Samayoa Méndez avr. 1993, 19).

Selon des statistiques, les femmes représentaient 49,5 % de la population en 1990 (ibid., 18). Selon d'autres rapports, les femmes constitueraient un peu plus de la moitié de la population (Country Reports for 1993 1994, 445; CEDAW 7 avr. 1993, 19).

D'autres statistiques indiquent qu'en 1990 39,3 % des femmes habitaient dans les villes contre 60,7 % dans les campagnes (Samayoa Méndez avr. 1993, 18). Des données pour 1989, montrent que les proportions des habitants dans les villes et les campagnes étaient respectivement de 35,6 % et de 64,4 % (CEDAW 7 avr. 1993, 20).

D'après diverses estimations, le taux d'analphabétisme chez les femmes se situerait entre 60 % et 64 % (Samayoa Méndez avr. 1993, 5; Barry oct. 1992, 164). Selon un rapport préparé par Patricia Samayoa Méndez pour le Bureau canadien de coopération, dans les campagnes ce taux atteindrait 79 % par rapport à 21 % dans les villes (Samayoa Méndez avr. 1993, 5). Selon le rapport du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), ces taux seraient de 50,6 % dans les campagnes et de 18,1 % dans les villes (CEDAW 7 avr. 1993, 20).

En 1993, 25,2 % des femmes occupaient un emploi (Samayoa Méndez avr. 1993, 5; voir aussi Barry oct. 1992, 166 et CEDAW 7 avr. 1993 pour des statistiques d'autres années). D'après les Country Reports for 1993, les femmes travaillent généralement dans des secteurs de l'économie où les salaires sont moins élevés (Country Reports 1993 1994, 455).

En ce qui concerne la pauvreté, on estime que 18,9 % de la population vit dans la « pauvreté » et 64,5 % dans un état de « pauvreté extrême » (CEDAW 7 avr. 1993, 2). Selon Méndez, les femmes souffrent en beaucoup plus grand nombre de la pauvreté, surtout dans les campagnes, et encore plus au sein de la population autochtone (Samayoa Méndez avr. 1993, 3).

D'après certaines sources, les femmes participent à la vie politique et sont représentées au sein du gouvernement (Barry oct. 1992, 164; CEDAW 7 avr. 1993, 5, 6; Samayoa Méndez avr. 1993, 4). Néanmoins, le rapport de CEDAW indique que les femmes ne participent encore pas assez activement à la vie politique (CEDAW 7 avr. 1993, 2).

Selon Méndez, pour des raisons culturelles profondément ancrées dans la conscience des hommes et des femmes, les inégalités sociales affectent davantage les femmes. Cela provoque une double marginalisation de la femme qui prend des formes diverses selon sa classe sociale, son âge, son origine ethnique et l'endroit où elle vit (Samayoa Méndez avr. 1993, 3).

2.               VIOLENCE FAMILIALE AU GUATEMALA

D'après plusieurs sources, il y a très peu ou pas de statistiques et d'informations sur la violence familiale au Guatemala (Blacklock 28 juill. 1994; Caballeros déc. 1993, 12; Barry oct. 1992, 163; ONAM juill. 1990, 44; Nations Unies 7 avr. 1993, 7). Dans son premier rapport au CEDAW, qui fait aussi fonction de rapport d'étape, le gouvernement du Guatemala affirme que même s'il n'y a pas de statistiques pour illustrer l'ampleur du problème, c'est un fait notoire que les différentes formes de mauvais traitement d'un conjoint par un autre ou des enfants par leurs parents se produisent tous les jours et sont parfois fatals (ibid., 17). D'autres sources rapportent aussi qu'il s'agit d'un problème courant (Country Reports 1993 1994, 455; Blacklock 28 juill. 1994) qui franchit les frontières culturelles (ibid.; Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social mars 1992, 63). Selon une étude menée entre 1989 et 1991 par le programme Femmes, santé et développement (Programa Mujer, Salud y Desarollo) du ministère de la Santé publique et de l'aide sociale (Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social) du Guatemala et publiée par l'UNICEF en 1992, dans 79 p. 100 des 129 cas de violence familiale étudiés, les victimes étaient des conjointes ou des ex-conjointes, et dans les autres cas, soit 21 p. 100, elles étaient des membres de la famille, notamment la soeur, la mère ou la fille de l'agresseur (ibid., 64).

Une étude sur la prostitution des filles et des adolescentes au Guatemala a été publiée conjointement par l'UNICEF, CHILDHOPE et PRONICE en 1993. Dans la section sur les antécédents familiaux, on rapporte que, malgré l'absence de statistiques permettant d'évaluer d'une manière approfondie l'importance de la violence familiale à l'échelle nationale, il existe un certain nombre d'études qui permettent de brosser un tableau partiel de la situation (Caballeros déc. 1993, 12). Par exemple, selon une étude de 1990 portant sur 1 000 femmes, 48 p. 100 d'entre elles ont été battues par leurs conjoints : [traduction] « Les instruments utilisés le plus souvent pour mettre en danger l'intégrité physique et mentale de ces femmes sont les poings, les pieds, des couteaux, des lames de rasoir, des masses et des morceaux de bois » (ibid.). Le directeur du centre pour la recherche et la promotion des droits de la personne (Centro de Investigación, Estudio y Promoción de los Derechos Humanos - CIEPRODH) mentionne un rapport élaboré par un agent du corps des pompiers chargé des secours aux femmes et aux enfants (Cuerpo de Bomberos - Mujer e Infancia). Selon ce rapport, 90 p. 100 des femmes traitées pour des blessures pendant un quart de travail de six heures avaient été agressées par leurs conjoints (ibid.). En 1991, un médecin a rapporté que 75 p. 100 des femmes blessées qui étaient admises à l'hôpital où il travaillait étaient des victimes de violence conjugale (Barry oct. 1992, 163). L'office national de la femme (Oficina Nacional de la Mujer - ONAM) créé par le gouvernement a rapporté que 40 p. 100 des femmes victimes de meurtre au Guatemala avaient été tuées par leurs maris (ibid.; Guatemala Bulletin 1992, 7).

Dans son rapport au CEDAW, le gouvernement du Guatemala déclare que généralement, les femmes victimes de violence ne révèlent pas la vraie nature de l'incident, mais le camouflent en simple blessure ou accident (Nations Unies 7 avr. 1993, 18). Selon une étude du ministère de la Santé publique et de l'aide sociale du Guatemala, les statistiques sur la fréquence de la violence familiale sont difficiles à obtenir parce que le problème est généralement perçu comme une affaire privée et, par conséquent, n'est que rarement rapporté (Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social mars 1992, 70). D'autres sources conviennent que, dans l'ensemble, la violence familiale est considérée comme une affaire de famille de nature privée (Blacklock 28 juill. 1994; Caballeros déc. 1993, 13; Barry oct. 1992, 165).

Les dossiers médicaux et juridiques contiennent très peu de renseignements sur l'origine des blessures qui sont traitées (Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social mars 1992, 70-71). Par exemple, le ministère de la Santé publique et de l'aide sociale a examiné 1 816 dossiers concernant des femmes admises dans quatre hôpitaux au Guatemala; 16 cas seulement avaient été rapportés comme des cas de violence familiale et un seul parmi les 3 380 dossiers étudiés dans divers centres de santé (ibid., 60-61). Le rapport recommande vivement que les hôpitaux et les centres de santé obtiennent et consignent des renseignements plus précis lorsqu'il est question de violence familiale de manière à pouvoir documenter l'existence du problème et formuler des mesures de prévention, de correction et de réhabilitation visant à la fois les victimes et les agresseurs (ibid., 61-62).

L'analphabétisme et le faible taux de scolarisation des femmes et leur ignorance de leurs droits contribuent à les dissuader de dénoncer la violence familiale (Blacklock 28 juill. 1994). Le fait que les femmes dépendent de leurs maris pour vivre est aussi mentionné comme un élément de dissuasion (ibid.; ONAM juill. 1990, 46). Elles hésitent aussi à divulguer un problème qui pourrait mener à la désintégration de la cellule familiale (Caballeros 27 juill. 1994) ou à la perte de la garde de leurs enfants (Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social mars 1992, 69). De plus, elles craignent d'être humiliées et brutalisées davantage (Caballeros déc. 1993, 13; Central America Update 29 nov. 1991) et elles sentent peut-être qu'il y a peu ou pas de recours légaux pour obtenir de l'aide (Blacklock 28 juill. 1994). [Traduction] « Il est généralement admis que les femmes ne dénoncent pas la violence familiale et ne demandent pas de l'aide parce qu'elles ont peur ou honte et, semble-t-il, parce qu'elles ne reçoivent pas une réponse adéquate à leurs problèmes » (Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social mars 1992, 71).

Les médias prêtent peu d'attention à la violence familiale (Caballeros 27 juill. 1994; Blacklock 28 juill. 1994). Une analyse de 34 reportages sur des incidents de violence familiale, publiés dans les journaux locaux entre 1989 et 1991, a permis de constater ce qui suit :

[traduction] Les titres de même que le contenu [de ces articles] ont plutôt tendance à atténuer la responsabilité de l'agresseur et à présenter la femme comme une provocatrice ayant incité à la violence. Par conséquent, la presse...n'encourage pas les femmes à rapporter les cas de violence et ne contribue pas à résoudre le problème; elle renforce plutôt chez ses lecteurs et la communauté en général la discrimination à l'endroit des femmes et l'ignorance de leurs droits (Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social mars 1992, 70).

Toutefois, les organisations féminines ont réussi dans une certaine mesure à faire connaître au public le problème. Selon la directrice de la recherche du centre pour la recherche et la promotion des droits de la personne CIEPRODH, María Ester Caballeros, [traduction] « des organismes de défense des droits de la personne et des groupes de femmes se penchent maintenant sur la violence familiale, ce qui, il y a dix ans, n'était même pas perçu comme un problème » (Caballeros 27 juill. 1994).

3.             LEGISLATION

Le Guatemala a ratifié la plupart des conventions internationales relatives aux droits des femmes, dont la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes des Nations Unies (Nations Unies 1994, 4). Récemment, le gouvernement a signé la nouvelle Convention interaméricaine pour la prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre la femme (Aguilar 4 août 1994; Caballeros 27 juill. 1994; OEA 1er juillet 1994) et il est prévu qu'il sera l'un des premiers à la ratifier (Castillo 1er août 1994). L'article 46 de la constitution du Guatemala établit le principe général que les traités et les accords relatifs aux droits de la personne que le Guatemala a approuvés et ratifiés priment le droit interne (Caballeros 27 juill. 1994; Flanz juin 1994, 36).

L'article 4 de la constitution établit l'égalité des droits et des responsabilités et l'égalité d'accès de tous les Guatémaltèques, hommes et femmes, et déclare que les individus doivent se traiter « en frères » (ibid., 28). En vertu de l'article 47, l'Etat garantit la protection sociale, économique et légale de la famille et doit promouvoir la famille en vertu de l'égalité des droits des conjoints (ibid., 36; ONAM juill. 1990, 47).

Bien que la violence familiale soit prévue dans le code pénal du Guatemala, elle n'est pas considérée comme étant une infraction criminelle (Castillo 1er août 1994; Caballeros 27 juill. 1994; Nations Unies 7 avr. 1993, 17; ONAM juill. 1990, 46), mais comme une faute (falta) envers autrui (ibid.; Código Penal 27 juill. 1973, 631). L'alinéa 483(2) du code pénal prévoit une peine d'emprisonnement de 15 à 40 jours pour toute personne qui maltraite son conjoint ou la personne avec qui il ou elle vit en concubinage, sans causer de blessure (ibid.; Nations Unies 7 avr. 1993, 17; ONAM juill. 1990, 46). Dans les cas où il y a blessure, l'infraction entre dans la catégorie des lésions (lesiones) du code pénal (articles 145 à 148), qui sont classées comme [traduction] « mineures (6 mois à 3 ans de prison), sérieuses (3 à 10 ans de prison), spécifiques (5 à 12 ans de prison) ou graves (2 à 8 ans de prison) » (ibid.; Nations Unies 7 avr. 1993, 17; Código Penal 27 juill. 1973, 589). Dans les cas de viol, l'article 174 prévoit une peine d'emprisonnement de 8 à 20 ans si la victime est apparentée au violeur, si elle est sous sa garde ou sa surveillance ou si le violeur est responsable de son éducation (ibid., 592).

La loi sur les tribunaux de la famille (Ley de Tribunales de Familia y el Código Civil) du Guatemala, qu'on trouve dans le code de procédure civile et de commerce, régit les questions relatives à la protection de la famille et attribue aux tribunaux de la famille la compétence de la protection des membres individuels de la famille (Ambassade de la République du Guatemala 4 août 1994; ONAM juill. 1990, 49).

Plusieurs sources soulignent que la législation actuelle n'aborde la violence familiale qu'en termes généraux (Castillo 1er août 1994; Caballeros 27 juill. 1994; Country Reports 1993 1994, 455). De plus, le gouvernement guatémaltèque affirme dans son rapport au CEDAW que les mesures adoptées en vue d'assurer la sécurité des personnes constituent certes un progrès vers la protection des femmes et de leurs enfants mineurs, mais ces mesures ne sont pas pleinement efficaces parce que l'application est laissée à la discrétion du juge chargé d'instruire la cause (Nations Unies 7 avr. 1993, 17).

Un projet de loi visant à améliorer la protection accordée aux victimes de violence familiale a été élaboré en 1990 (ibid., 17-18; ONAM juill. 1990, 47). Il comprend 21 articles qui définissent la procédure judiciaire à suivre pour traiter les plaintes (ibid.; Caballeros 27 juill. 1994; Nations Unies 7 avr. 1993, 18). Il indique auprès de qui et comment on peut déposer une plainte (art. 1 et 2); il fixe un délai pour la tenue d'une audience suivant la réception d'une plainte (art. 3); il habilite les juges à rendre des ordonnances restrictives (art. 11); il prévoit la tenue d'audiences à huis clos (art. 16); il prévoit la formation des juges et des autres gens de justice relativement à la violence familiale et à ses répercussions (art. 19); et il oblige les officiers de justice ou la police à informer pleinement les plaignants de leurs droits (art. 20) (ONAM juill. 1990, 47-49).

Toutefois, à ce jour, le projet de loi n'a pas reçu l'aval de l'assemblée législative (Caballeros 27 juill. 1994; Castillo 1er août 1994). Delia Castillo, la directrice exécutive de l'ONAM, et Yolanda Aguilar du bureau de l'assistance judiciaire pour les femmes (Defensoría de la Mujer) croient que la nouvelle assemblée législative qui sera investie à l'automne de 1994 sera plus réceptive au projet de loi (ibid.; Aguilar 4 août 1994). Récemment, environ 50 femmes candidates aux élections législatives du 14 août 1994 ont signé un accord en sa faveur (Mijangos 5 août 1994). Toutefois, Tom Barry soutient dans son ouvrage intitulé Inside Guatemala que si le projet de loi est adopté, il sera difficile de mettre en application les dispositions visant à améliorer le statut juridique des femmes étant donné l'inefficacité du système judiciaire, l'ampleur de la domination des femmes dans la société guatémaltèque et la faiblesse du féminisme et des groupes de femmes (Barry oct. 1992, 168).

4.                VOIES DE RECOURS EN JUSTICE

4.1        Procédure de traitement des plaintes

Les femmes victimes de violence familiale peuvent aller directement à la police pour faire une déclaration à la suite d'une agression (Castillo 1er août 1994). La police soumet l'affaire au tribunal pénal (tribunal de tipo penal) s'il y a des blessures, ou à un juge de paix (tribunal de paz penal) s'il n'y a pas de blessures et donc pas d'infraction criminelle, mais plutôt [traduction] « une faute envers autrui » (ibid.). L'ordre est donné à la plaignante de se présenter chez un médecin légiste (medico forense) pour subir un examen médical. Après que l'affaire est soumise au tribunal par la police, un officier de justice doit d'abord entériner la plainte et rassembler les preuves, notamment l'avis du médecin et les déclarations des témoins s'il y a lieu. L'affaire est ensuite communiquée au juge (ibid.).

En plus de s'adresser à la police, les femmes peuvent avoir recours directement à un tribunal de la famille qui peut rendre une ordonnance restrictive. Toutefois, s'il y a blessure, le tribunal pénal sera saisi de l'affaire (Ambassade de la République du Guatemala 4 août 1994). Selon Eugenia Mijangos, avocate et conseillère des questions portant sur les femmes et le développement au Guatemala, un nouveau code de procédure pénale est récemment entré en vigueur. Bien qu'il prévoie des voies moins formelles pour déposer une plainte, il est encore trop tôt pour se prononcer sur les répercussions éventuelles du nouveau code pour les femmes qui cherchent du secours (Mijangos 5 août 1994).

D'après l'étude menée par le ministère de la Santé publique et de l'aide sociale, 36 p. 100 des femmes victimes de violence familiale dans les 129 cas faisant l'objet de l'étude ont demandé des soins médicaux à la suite de l'agression (Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social mars 1992, 65). Dans au moins 63 p. 100 des 129 cas, l'affaire a été portée devant un juge de paix; c'est-à-dire que la majorité des infractions n'ont pas été qualifiées de criminelles (ibid.).

Tom Barry pense que la brutalisation et le harcèlement sexuel des femmes sont toujours considérés, dans une large mesure, comme des questions familiales ou culturelles qui ne peuvent faire l'objet d'une intervention gouvernementale ou juridique (Barry oct. 1992, 164-165). De plus, souvent les femmes ne connaissent pas les voies de recours qui existent (Mijangos 5 août 1994; Blacklock 28 juill. 1994). La directrice exécutive de l'ONAM explique que les femmes retirent souvent leurs plaintes parce que cela peut prendre des mois pour qu'une affaire concernant une infraction qui a été érigée en « faute envers autrui » ne soit entendue par le tribunal et des années dans le cas d'une infraction criminelle (Castillo 1er août 1994).

4.2      Attitude des professionnels à l'égard de la violence familiale

Selon la directrice de la recherche du CIEPRODH, les femmes qui tentent de soulever la question de la violence familiale devant la police ou les tribunaux sont confrontées à une attitude voulant que ce type de violence ne constitue pas un problème « réel », ni même une violation des droits de la personne. Elles se font souvent dire de ne pas « chercher les embêtements » (Caballeros 27 juill. 1994). Une responsable du bureau d'assistance judiciaire pour les femmes est d'avis que la police et les tribunaux ont tendance à considérer la violence familiale comme une affaire de famille et qu'ils encouragent généralement les femmes qui demandent du secours à garder le silence (Aguilar 4 août 1994). Toutefois, selon l'étude de 1992 menée par le ministère de la Santé publique et de l'aide sociale, le nombre de femmes guatémaltèques qui vont se faire traiter dans des centres médicaux et qui demandent justice aux tribunaux augmente, quoique lentement, malgré les nombreux obstacles :

[traduction] Malheureusement, les institutions ne disposent pas d'une structure administrative qui leur permette de fournir des services spécialisés dans le domaine de la violence familiale. Leur personnel partage les valeurs et les coutumes implantées dans la société concernant la discrimination à l'endroit des femmes et l'oppression dont elle font l'objet, et ce système de référence influe sur leur interprétation du problème, sur leur attitude et sur le type de services qui sont offerts (Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social mars 1992, 71).

Un certain nombre de fonctionnaires du système judiciaire, notamment des médecins, des juges et des procureurs, ont été interviewés dans le cadre de l'étude. Ces entretiens ont permis de constater que la majorité des fonctionnaires considèrent la violence familiale comme un problème peu important, comme une question de routine qui ne nécessite pas une attention ou une formation spéciale, et ils ignorent et peut-être nient la gravité de ce genre de violence (ibid., 69). Les entrevues ont aussi révélé qu'il n'existe aucune procédure spécifique pour le traitement des cas de violence familiale et que ces cas ne sont pas enregistrés et ne font pas l'objet d'un suivi (ibid.). Toutefois, la majorité des personnes interviewées ont aussi affirmé que la violence familiale était, à leur avis, une violation des droits fondamentaux des femmes (ibid., 70).

Selon Laura Estela Cárcamo, coordonnatrice nationale du programme Femmes, santé et développement du ministère de la Santé publique et de l'aide sociale, un projet pilote comportant des ateliers de formation est en cours. Ce projet vise à sensibiliser les médecins, les infirmières et les travailleurs sociaux qui travaillent dans les hôpitaux et les centres de santé du ministère dans quatre départements du Guatemala au problème de la violence familiale et aux besoins des victimes (Cárcamo 17 août 1994). Si le projet s'avère une réussite, des ateliers semblables seront organisés dans d'autres départements. Le programme vise également l'adoption, par les hôpitaux et les centres de santé du ministère, d'un protocole d'assistance à la femme agressée (protocolo de asistencia a la mujer agredida) (ibid.).

5.               SOLUTIONS DE RECHANGE

Les femmes qui n'ont pas obtenu l'aide de la police ou des tribunaux ou qui n'ont reçu qu'une aide négligeable peuvent s'adresser au bureau d'assistance judiciaire pour les femmes, qui relève du procureur chargé de la défense des droits de la personne (Procuradoría Para los Derechos Humanos) (Aguilar 4 août 1994). D'après une responsable de cette institution, de trois à cinq femmes victimes de violence familiale s'adressent à eux tous les jours. [Traduction] « Généralement, elles se présentent à nos bureaux à un moment critique lorsqu'elles ont épuisé toutes les autres solutions » (ibid.). Le bureau d'assistance judiciaire offre des services de consultation psychologique ainsi que de l'information et des programmes de formation sur les divers aspects de la violence familiale et les solutions à ce problème. Le bureau n'offre pas pour l'instant de services juridiques, mais, au besoin, les cas sont adressés au service de protection des femmes et des enfants (Unidad de Protección para la Mujer y el Niño) qui relève du procureur général (Procuradoría de la Nación) (ibid.).

En ce moment, il n'y a pas de maison d'hébergement pour femmes battues au Guatemala [(Barry oct. 1992, 163) affirme qu'une maison d'hébergement a été ouverte en 1991 par une organisation de femmes, mais il n'a pas été possible de confirmer cette information.] (Aguilar 4 août 1994; Castillo 1er août 1994; Caballeros 27 juill. 1994; Guatemala Bulletin 1992, 7). En 1992, le ministère de la Santé publique et de l'aide sociale a ouvert une clinique spécialisée pour les femmes battues, qui a fermé ses portes moins de six mois après son ouverture pour diverses raisons, notamment parce que les victimes hésitaient à s'y présenter (Cárcamo 17 août 1994). Toutefois, on travaille actuellement à mettre sur pied la première « maison des femmes » (Casa de la Mujer) du Guatemala (ibid.; Aguilar 4 août 1994). On prévoit que la première étape de ce projet commun des secteurs gouvernemental et non gouvernemental sera achevée en 1995. On y trouvera un centre d'assistance intégrée pour des femmes victimes de violence, qui offrira, entre autres, des soins médicaux et des services de consultation psychologique et juridique. La deuxième étape comprendra la mise sur pied d'une petite maison d'hébergement pour loger temporairement les femmes en cas d'urgence (ibid.).

6.        ORGANISATIONS DE FEMMES

Le mouvement des femmes au Guatemala est beaucoup moins développé que celui des autres pays de l'Amérique centrale (Barry oct. 1992, 161). Cette situation pourrait être due à un certain nombre de facteurs, notamment [traduction] « la nature profondément conservatrice et patriarcale de la société guatémaltèque » (ibid.) et les profondes divisions selon des critères de classe, de race et de culture (ibid., IWRAW déc. 1993, 5). De plus, une longue tradition de violence et de répression politique n'a pas favorisé l'apparition d'organisations populaires et de groupes de femmes (Blacklock 28 juill. 1994; Barry oct. 1992, 161). Les mouvements populaires existants ont critiqué les groupes de femmes pour avoir fait la promotion de causes, et notamment de causes relatives aux femmes, qui sont considérées comme étant des brandons de discorde (ibid.; Blacklock 28 juill. 1994). Selon Cathy Blacklock, une étudiante au doctorat à l'Université Carleton qui vient de passer 15 mois au Guatemala pour mener une recherche sur l'organisation politique des femmes, les femmes mènent une bataille incessante parce que souvent leurs projets menacent les dirigeants des mouvements populaires qui sont traditionnellement des hommes. [Traduction] « Elles sont obligées de fonctionner dans un milieu où il est entendu que "si vous n'êtes pas avec nous, vous êtes contre nous" » (ibid.).

Les premières organisations de femmes comme la coordination nationale des veuves guatémaltèques (Coordinadora Nacional de Viudas Guatemaltecas - CONAVIGUA) ont généralement concentré leurs efforts sur la répression politique et sur le sort des populations autochtones (IWRAW déc. 1993, 5). Depuis la fin des années 1980, plusieurs nouvelles organisations de femmes ont vu le jour; elles travaillent principalement à la promotion et à la protection des droits des femmes (ibid., 8; Barry oct. 1992, 162). Certaines d'entre elles ont travaillé à faire connaître davantage le problème de la violence faite aux femmes et plus particulièrement la violence familiale (ibid., 162-163; Blacklock 28 juill. 1994; Caballeros 27 juill. 1994). Elles ont aussi apporté un soutien aux victimes. Par exemple, le mouvement des femmes Tierra Viva (Agrupación de Mujeres Tierra Viva) offre des services de consultation psychologique et de suivi aux femmes battues. Le mouvement offre aussi des services de consultation juridique et appuie un certain nombre de groupes d'entraide (Lemus 16 août 1994).

Pour de plus amples renseignements sur les activités des organisations de femmes au Guatemala, voir la Encyclopedia of Women's Associations Worldwide, pages 131 à 133, l'ouvrage de Barry pages 161 à 163) et la base de données sur les organisations qui oeuvrent pour les droits de la personne (HRIO) du Human Rights Internet.

ANNEXE : Notes sur les sources

Blacklock, Cathy

Depuis 1989, Cathy Blacklock fait son doctorat en sciences politiques à l'Université Carleton à Ottawa. Elle se spécialise en économie politique internationale, dans les organisations internationales et l'Amérique centrale. Mme Blacklock a passé 15 mois au Guatemala récemment pour faire des recherches pour sa thèse intitulée Contesting Democratization in Guatemala: Women's Political Organizing for Human Rights. Elle a fait des exposés sur les résultats de ses recherches à l'occasion des conférences annuelles de l'Association canadienne de science politique en 1993 et 1994 (Blacklock 28 juillet 1994).

Centro de Investigación, Estudio y Promoción de los Derechos Humanos (CIEPRODH)

Le CIEPRODH est un organisme non gouvernemental créé en 1987 qui se spécialise surtout dans la recherche et la promotion des droits de la personne au Guatemala. Le centre publie un rapport trimestriel et, tous les quinze jours, un bulletin d'information sur la situation des droits de la personne dans le pays (HRI 16 août 1994).

Defensoría de la Mujer, Procuradoría de los Derechos Humanos

Le bureau de l'assistance judiciaire à l'intention des femmes relève du procureur chargé de la défense des droits de la personne. On offre des services de soutien psychologique aux femmes victimes de violence de même qu'un programme de sensibilisation (enfoque de género) et des renseignements sur les droits des femmes. Bien que le bureau n'offre pas pour l'instant des services de consultation juridique, on accompagne les femmes au tribunal. Le bureau coordonne un projet en cours visant à mettre sur pied le premier centre d'assistance intégrée pour les femmes victimes de violence au Guatemala (Aguilar 4 août 1994).

International Women's Rights Action Watch (IWRAW)

Ce réseau international est composé d'organisations et d'individus qui surveillent l'application par les gouvernements de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes des Nations Unies. Situé au Hubert H. Humphrey Institute of Public Affairs à l'université du Minnesota, l'IWRAW publie plusieurs publications, dont des rapports sur les séances annuelles du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) (IWRAW déc. 1993, face intérieure de la couverture, 62).

Mijangos, Eugenia

Eugenia Mijangos est avocate au Guatemala et conseillère en matière de promotion de la condition féminine. Elle est membre de la convergence civique et politique des femmes (Convergencia Cívico-Política de Mujeres), une association de professionnelles, d'avocates et de membres d'associations d'affaires et de partis politiques (Mijangos 5 août 1994). La convergence a mené le mouvement en faveur de la participation des femmes au sein de l'assemblée des secteurs civils, un organisme créé en vue de faciliter la participation de la société civile dans les négociations de paix entre le gouvernement et l'Union révolutionnaire nationale guatémaltèque (Latin America Connexions mai-juin 1994, 6).

Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social. Programa Mujer, Salud y Desarrollo

Le programme Femmes, santé et développement du ministère de la Santé publique et de l'aide sociale concentre ses activités dans trois domaines : femmes victimes d'agression, femmes autochtones, et femmes et santé. On offre des programmes de formation à l'intention du personnel des 35 hôpitaux et du réseau de centres de santé du ministère sur les soins spéciaux à donner aux femmes victimes d'agression. Le programme est financé par l'Organisation panaméricaine de la santé (Cárcamo 17 août 1994).

Oficina Nacional de la Mujer (ONAM)

L'office national de la femme relève du ministère du Travail du Guatemala. L'ONAM regroupe des femmes de divers ministères, de l'université de San Carlos du Guatemala et d'organisations non gouvernementales comme l'association guatémaltèque des femmes universitaires (Samayoa Méndez avr. 1993, 12). L'ONAM dirige des recherches sur le statut des femmes au Guatemala et propose des changements aux lois civiles et aux lois du travail, qui sont discriminatoires contre les femmes (Castillo 1er août 1994; Barry oct. 1992, 163).

REFERENCES

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Caballeros, María Ester. Directrice de la recherche du Centro de Investigación, Estudio y Promoción de los Derechos Humanos (CIEPRODH), Guatemala. 27 juillet 1994. Entretien téléphonique.

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