Le parti socialiste bulgare

 

1. INTRODUCTION

Pour de nombreux analystes, le mouvement vers un régime démocratique en Bulgarie a été accéléré et, dans une certaine mesure, rationalisé par les politiques de la glasnost et de la perestroika établies par Gorbatchev. Ce mouvement a atteint son point culminant le 10 novembre 1989, date où le leader Todor Jivkov, au pouvoir depuis 35 années, a démissionné du Parti communiste bulgare (PCB).

Contrairement à la « révolution de velours » des dissidents en Tchécoslovaquie qui a provoqué la chute du gouvernement communiste et de son chef, et à la différence également des négociations en table ronde pour la démocratie entreprises par Solidarité de concert avec les communistes en Pologne, l'éviction de Jivkov a été une révolution de palais, un coup d'état dans les rangs d'un parti communiste qui se rendait compte qu'il lui fallait entreprendre des réformes pour assurer sa survie.

Une coalition des partis d'opposition et des groupes d'intérêt a pris naissance en moins d'un mois. La formation de l'Union des forces démocratiques (UFD), capable d'offrir une solution de rechange viable au gouvernement en place, a donné l'élan aux fractions du parti communiste qui voulaient remplacer l'idéologie totalitaire par un régime démocratique. Les pressions en faveur de la démocratie se sont accentuées après que des élections libres eurent été annoncées pour le mois de juin 1990.

2.     DU PARTI COMMUNISTE BULGARE AU PARTI SOCIALISTE BULGARE

Après la destitution de Jivkov, le Parti communiste, sous la direction de Alexandre Lilov et Andreï Loukanov, a procédé à des changements au sein de sa structure. Plusieurs éléments conservateurs ont été limogés et le Comité central a été remplacé par un Conseil suprême du Parti.

La fraction réformiste du Parti communiste a immédiatement fait des pressions en faveur de la démocratisation, dans l'espoir de voir se rallier les forces d'opposition. Préconisant des réformes axées sur une économie de marché et proposant des amendements à la constitution en vue d'éliminer toute allusion au caractère « socialiste » du pays, on a convenu d'enlever au Parti son monopole sur le pouvoir politique, monopole que lui conférait la constitution, et de dissoudre les cellules du Parti en milieu de travail. La censure a été abolie et des négociations en table ronde avec des représentants de l'opposition allaient ouvrir la voie à la tenue d'élections libres.

Pour témoigner de sa volonté de couper les ponts avec le passé et se débarrasser de l'étiquette communiste, le Parti communiste bulgare (PCB) a changé de nom et adopté celui de Parti socialiste bulgare (PSB), le 3 avril 1990. Seulement 64 p. 100 des membres ont voté en faveur de ce changement, ce qui démontre la tension grandissante des relations au sein du parti entre les fractions réformatrice et conservatrice (RFE 13 juill. 1990, 7).

3.    LES ELECTIONS LIBRES DE JUIN 1990

Le PSB a fait campagne en faveur de la démocratie et du socialisme, soutenant que ce dernier n'était pas incompatible avec une économie de marché. Tout au long de la campagne, le PSB a réitéré son intention de former un gouvernement de coalition avec l'opposition.

Les 10 et 17 juin 1990, la Bulgarie est devenue le seul pays de l'Est à accorder la majorité des voix à l'ancien Parti communiste lors d'élections libres pluripartites. Le PSB a remporté 211 des 400 sièges au Parlement, et l'UFD seulement 144.

Le corps électoral de l'UFD se recrute surtout parmi les jeunes intellectuels urbains. Ainsi, l'UFD a remporté 24 des 26 sièges de Sofia, et la totalité des huit sièges attribués à chacune de deux autres grandes villes du pays, en plus de nombreux sièges dans d'autres villes (RFE 13 juill. 1990, 7). Quant au PSB, il a gagné la faveur des populations rurales et des électeurs plus âgés, dont plusieurs, selon toute vraisemblance, ont voté pour lui afin de pouvoir conserver leurs pensions et parce que le parti préconisait des réformes économiques progressives plutôt que des changements rapides (RFE 21 sept. 1990, 2).

Pour la plupart des observateurs étrangers, le scrutin s'est déroulé de façon honnête, du moins au premier tour (EIU 1990 3:24). Par contre, l'International Human Rights Law Group a prétendu que le PSB s'était servi de son pouvoir sur le gouvernement et du favoritisme pour intimider les électeurs (International Human Rights Law Group 31 mai 1990, 27). Pour préserver son unité jusqu'au lendemain des élections, le PSB n'a pas donné suite à sa promesse de « renouveau » qui était de garder ses distances du Parti communiste. Par conséquent, la nomenklatura de l'ère Jivkov est demeurée en place, surtout dans les provinces (RFE 29 juin 1990, 3). Sa présence continuelle a contribué plus que jamais à entretenir les populations locales dans la peur des autorités (ibid.). Pour sa part, l'UFD a soutenu que des gens avaient perdu leur emploi en raison de leurs activités au sein de ce mouvement, que des vivres avaient été acheminés dans les villages comme preuve des largesses du PSB, que d'autres personnes s'étaient fait promettre un appartement en échange de leur appui au PSB, et que le PSB avait usé de l'intimidation en brandissant la menace de représailles de la part de l'UFD, si ce parti était élu (Law Group 31 mai 1990, 27). Selon certaines sources, les maires et les secrétaires du Parti, à l'échelon local, « n'ont pas hésité à recourir aux menaces et ont bien fait sentir leur présence, afin d'influencer les électeurs » (RFE 29 juin 1990, 3). Plusieurs de ces déclarations n'ont pas été confirmées, mais le Human Rights Law Group a été suffisamment impressionné par leur nombre pour en conclure qu'il a pu y avoir une « campagne d'intimidation concertée du centre » (Law Group 31 mai 1990, 27).

Cette victoire du PSB peut aussi très bien s'expliquer par l'histoire même de la Bulgarie. Le Parti communiste bulgare était le plus ancien d'Europe et, compte tenu des relations étroites historiques entre la Bulgarie et la Russie, on peut comprendre qu'il ait été facilement accepté. En Bulgarie, contrairement aux autres pays de l'Est, on ne considère pas le communisme comme une idéologie imposée de l'étranger (The New York Review 17 mai 1990, 35). Il n'y a jamais eu de tradition politique indépendante en Bulgarie et la majeure partie des membres de l'intelligentsia ont été choisis par les communistes ou éliminés dans les purges. Il n'existait pas non plus de mouvement dissident viable. Bien des gens croyaient vraiment en l'idéal communiste. Un sociologue aurait affirmé que, jusqu'à tout récemment, « la majorité des gens étaient convaincus que communisme était synonyme d'égalité, de fraternité, de liberté et de démocratie. Un pur concept » (ibid.). Le Parti comptait dans ses rangs 60 p. 100 des diplômés universitaires et 40 p. 100 des diplômés du secondaire; 90 p. 100 des avocats, des économistes et des sociologues étaient communistes. De nombreux activistes de l'UFD sont restés membres du Parti pendant un certain temps même après s'être joints aux forces de l'opposition (ibid.).

4. NOUVEAUX DEVELOPPEMENTS AU LENDEMAIN DES ELECTIONS

Malgré sa confortable majorité, le PSB était déterminé à former un gouvernement d'unité nationale « soutenu par toutes les forces représentées au Parlement et composé de gens qualifiés » (RFE 13 juill. 1990, 8). Répugnant à l'idée de devoir partager la responsabilité de résoudre les crises économique et politique qui lui apparaissaient inévitables, l'UFD a refusé de former une coalition. Au lieu d'un gouvernement d'unité nationale, le pays s'est retrouvé devant une vacance du pouvoir.

Les étudiants militants de l'UFD ont protesté contre les présumées irrégularités commises lors du scrutin et ont entamé une série de manifestations et de sit-in qui se sont poursuivis tout au long de l'été. Le président Mladenov a remis sa démission le 6 juillet lorsque des bandes vidéos le montrant en train de préconiser le recours aux tanks durant les manifestations de décembre 1989 se sont avérées authentiques, et non pas «mises en scène» par ses opposants comme il l'avait prétendu. Cette démission n'a pas eu raison des protestataires et des centaines de personnes ont érigé des tentes pour camper dans ce qu'ils ont baptisé les « villes de la vérité » et ont exigé la poursuite des réformes. Les syndicats ouvriers ont menacé de déclencher des grèves nationales si des mesures efficaces de redressement économique n'étaient pas prises avant le 23 juillet.

Le 1er août, une première étape vers la réconciliation a été franchie lorsque le candidat de l'UFD, le dissident Jeliou Jhelev, a été élu président par 284 des 392 députés (EIU 1990c, 25). Le 7 août, le gouvernement Loukanov remettait sa démission. Le 26 août, la tension politique a atteint son comble lors de l'incendie du siège du PSB. On ne connaît pas encore les responsables de cet incendie, mais on présume que les vandales ont agi sous l'oeil indifférent de la police et les encouragements des badauds (RFE 28 sept. 1990, 8, 9).

Le 30 août, le président Jhelev a demandé au premier ministre sortant Andreï Loukanov de former le nouveau gouvernement. Celui-ci a accepté et a de nouveau tenté de former une coalition, mais l'UFD a refusé de collaborer. Loukanov a été réélu premier ministre le 19 septembre et son cabinet se composait entièrement de membres du PSB.

5.   FRACTIONS AU SEIN DU PARTI SOCIALISTE BULGARE

Lors du scrutin, le PSB a tenté de masquer les dissensions internes afin de projeter une image de parti uni. Mais cette image n'a pas tardé à s'effondrer devant la prolifération des fractions, tant du côté des conservateurs que des réformateurs. Le schisme a éclaté au grand jour lors du congrès du PSB tenu du 22 au 25 septembre. La majorité des délégués, dont 70 p. 100 venaient des provinces, s'opposaient aux changements rapides (RFE 26 oct. 1990a, 5). Les leaders de quatre des cinq fractions réformistes n'ont pas été élus au Conseil suprême composé en majorité de membres des régions rurales (ibid., 7).

La fraction radicale la plus militante est le Parti socialiste alternatif, qui a été accepté le 18 octobre au sein d'un bloc social-démocrate avec le Parti social-démocrate bulgare - une aile de l'UFD (RFE 26 oct. 1990b). Parmi les autres fractions, on retrouve le Mouvement pour des réformes radicales (MRR), lequel a exigé un nouveau congrès du PSB (RFE 12 oct. 1990). Si d'autres groupes réformistes devaient aussi se fractionner, «le PSB ne ralliera plus désormais que la vieille garde et les conservateurs» (RFE 26 oct. 1990a, 8).

6.             SITUATION ACTUELLE

L'incapacité de la Bulgarie de se distancier de son passé communiste déstabilise sa situation politique et contribue à l'érosion de son économie. Alors que l'on considère Loukanov comme étant sympathique aux idées réformistes, son gouvernement est jugé plutôt conservateur et réfractaire face aux changements rapides dans l'économie. Comme l'a souligné l'Agence France Presse, Loukanov aura énormément de difficultés à appliquer, rapidement et efficacement, les règles d'une économie de marché aussi longtemps que le PSB demeurera au pouvoir (RFE 26 oct. 1990a, 8). L'UFD estime qu'une majorité d'électeurs seraient maintenant prêts à l'appuyer si le gouvernement devait s'écrouler (The New York Times 4 nov. 1990).

L'avenir politique de la Bulgarie, à l'instar de son passé, est tributaire des événements en Union Soviétique beaucoup plus que dans les autres anciens pays satellites de l'URSS. On s'accorde à dire généralement que le PSB réussira si Gorbatchev lui-même réussit, et qu'il échouera dans le cas contraire. Pour tout dire, la situation politique et économique de la Bulgarie est analogue à celle qui se développe en Tchécoslovaquie, en Hongrie et, surtout, en Roumanie : une fois passée l'euphorie de la démocratisation, la réalité d'une économie négligée et inefficace et la désaffection de la société se manifestent au grand jour. En un certain sens, les Bulgares sont peut-être mieux préparés à tenir les rênes du pouvoir démocratique que ne le sont leurs anciens « camarades ». Leurs anciens leaders communistes sont des politiciens chevronnés, contrairement aux anciens dissidents plus à l'Ouest, et la nomenklatura demeure en place, assurant ainsi une fonction publique qui, toute corrompue qu'elle puisse être, n'en demeure pas moins expérimentée.

Une dépêche de Radio Free Europe, datée du 21 septembre 1990, résume ainsi la situation en Bulgarie :

Le pays est à la dérive. L'Assemblée nationale n'a pas réussi à mettre en place un programme solide qui puisse résoudre ses problèmes. Le peuple est démoralisé et a peur, et certains sont manifestement en colère. La dissidence est présente partout : au sein du PSB, de l'UFD, de la milice et des forces armées. Les discordes, alimentées par les préjugés ethniques et religieux, provoquent des affrontements entre chrétiens et musulmans. La répugnance collective face aux injustices passées s'exprime de toutes les façons; le gouvernement n'ayant pas réussi à mettre en place un plan viable pour l'avenir, qui aurait pu aider le peuple à surmonter la hantise de son passé, les meilleurs éléments sont rongés par la colère et la frustration.

... Jhelev et d'autres disent craindre une flambée de violence, voire une guerre civile. ... et il est bien possible que la déception du peuple bulgare se traduise à brève échéance par une tragédie.

Le 3 novembre 1990, les Bulgares ont tenu leur plus imposante manifestation depuis des mois, exigeant la démission du gouvernement avant même d'avoir donné aux propositions économiques austères de Loukanov une chance de réussir. Selon les rapports, les manifestations qui se multiplient démontrent que l'opposition croit qu'il est possible de forcer l'éviction du PSB en refusant d'adhérer à un consensus national sur l'économie (The New York Times 4 nov. 1990). A l'approche de l'hiver, les files d'attente ne cessent de s'allonger en Bulgarie. Si Loukanov est forcé de remettre sa démission, le pays pourrait être plongé dans une crise très grave dont l'issue semble des plus incertaines.

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