Inter-NGO Committee for Somalia (UK) (INCS-UK) rapports pour 1991 - resumé

 

1.   INTRODUCTION

Le présent document résume cinq rapports portant sur les événements survenus en Somalie en 1991; ces rapports émanent de deux organismes d'aide non gouvernementale : le Inter-NGO Committee for Somalia -- UK (INCS-UK) et World Concern. L'INCS-UK, dont le siège se trouve à Londres, a été créé en janvier 1991 par six groupes britanniques d'aide au développement, aussitôt après l'éviction du président Mohamed Siyad Barré. World Concern est un organisme non gouvernemental américain d'aide au développement.

Les rapports rendent compte de cinq tournées d'observation - quatre de l'INCS-UK et une de World Concern - dans 14 des 17 régions administratives de la Somalie, entre les mois de février et septembre 1991. Bien qu'ils s'adressent particulièrement aux groupes qui s'occupent d'aide au développement international, ces documents fournissent des renseignements sur la situation politique et la sécurité, les structures politiques et leurs stades de développement dans diverses régions, ainsi que sur les migrations intérieures et extérieures.

Depuis la chute de Siyad Barré, les principaux groupes internationaux de défense des droits de la personne n'ont pas envoyé d'équipes d'étude en Somalie et, compte tenu de la situation généralement instable qui règne à Mogadiscio et dans les régions au sud de la ville, rares sont les journalistes qui se sont aventurés dans cette partie du pays. Les rapports de l'INCS-UK et de World Concern figurent vraisemblablement au nombre des derniers comptes rendus détaillés les plus révélateurs de la situation politique, sociale et économique qui prévaut dans ce pays.

2.         RENSEIGNEMENTS GENERAUX

Le 27 janvier 1991, le président de la Somalie, Mohamed Siyad Barré, fuit Mogadiscio, précipitant la chute de son gouvernement aux mains des forces armées du Congrès de la Somalie unifiée (CSU)(1). Des conflits ne tardent pas à émerger de la coalition fragile, composée de groupes rebelles qui ont chassé le président du pouvoir, entraînant de violents combats entre le CSU et une coalition de groupes rebelles de la famille de clans des Daroods dont le Mouvement patriotique somalien (MPS), le Front démocratique pour le salut de la Somalie (FDSS) et des membres armés du clan des Marehans, auquel appartient Siyad Barré(2). Les combats les plus intenses éclatent dans le corridor de Mogadiscio-Kismayo, dans le sud du pays, dont le contrôle change de mains à quatre reprises entre février et juillet 1991 (voir la section 3.2, Rapports sur le sud de la Somalie). Des combats éclatent aussi entre le CSU et le FDSS, que domine le clan des Majeerteens, dans la région de Galgaduud et la région méridionale de Mudug(3).

En revanche, le nord de la Somalie demeure relativement calme malgré les dommages considérables que cause dans les villes la guerre civile qui, depuis trois ans, oppose le Mouvement national somalien (MNS-Isaaq) aux diverses forces armées du gouvernement de Siyad Barré. On estime que, dans le Nord, les forces belligérantes ont laissé sur le terrain plus d'un million de mines antipersonnel(4).

Deux événements politiques majeurs ont eu une influence profonde sur la situation dans laquelle se trouve la Somalie actuellement. Tout d'abord, à la mi-mai 1991, le MNS a proclamé l'indépendance des régions septentrionales d'Awdal, de Waqoyi Galbeed, de Todgheer, de Sanaag et de Sool, donnant à ce nouveau pays le nom officiel de République du Somaliland. L'annonce aurait été faite après une vaste consultation menée auprès des principales couches de la population, y compris des représentants des quatre principaux clans non affiliés aux Isaaqs. On compte des non-Isaaqs au sein du gouvernement du Somaliland, mais ils n'appartiennent pas aux groupes politiques qui représentent les clans non affiliés à la famille de clans des Isaaqs. Jusqu'à ce jour, ces groupes ont été exclus du gouvernement provisoire de la nouvelle république(5).

Deuxièmement, à la fin de juillet 1991, six groupes politiques ont signé à Djibouti un accord comprenant un certain nombre de dispositions, dont un cessez-le-feu, l'établissement d'un gouvernement provisoire d'une durée de deux ans, suivi d'élections multipartites libres, et des efforts renouvelés pour vaincre Siyad Barré et les forces qui lui sont restées fidèles(6). Ces forces sont solidement retranchées dans la région de Gedo, au sud-ouest du pays et, en octobre 1991, elles auraient avancé dans la région adjacente de Bay(7).

L'accord de Djibouti n'a pas, jusqu'ici, été appliqué intégralement et, depuis le mois de septembre 1991, il est obscurci par les tensions entre deux factions rivales du CSU. A Mogadiscio, les combats se sont transformés en guerre rangée à la mi-novembre 1991 lorsqu'une faction, menée par Mohamed Farah Aideed, a intensifié ses efforts pour évincer le président provisoire, Ali Mahdi Mohamed, qui était aussi le chef de la faction rivale du CSU. A l'instar de la plupart des autres groupes politiques et rebelles en Somalie, les deux factions appartiennent à deux clans différents, celui des Habar-Gedirs dont est issu Aideed et celui des Abgals auquel appartient Mahdi Mohamed. Ces deux clans appartiennent à la famille de clans des Hawiyes.

3.           RESUME DES RAPPORTS

3.0     Considérations générales

Les cinq rapports que résume le présent document sont les suivants :

1) INCS-UK, « A Report of the Assessment Mission to Bari, Nugaal and Mudug Regions of Somalia from September 17th-September 30, 1991, To the Inter-NGO Committee for Somalia (UK) », octobre 1991.

2) INCS-UK, « A Report to the Inter-NGO Committee for Somalia (UK) on a Visit to Southern Somalia, Mogadishu and Kismayo, 13th-24th July 1991 », août 1991.

3) World Concern, « Report on an Emergency Needs Assessment of the Lower Juba Region (Kismaayo, Jamaame, and Jilib Districts), Somalia », juillet 1991.

4) INCS (UK and Kenya), « A Report of the Assessment Mission to Northern Somalia from March 28th to April 8th 1991 », avril 1991.

5) INCS (UK and Kenya), « A Report of the Assessment Mission to Mogadishu, Hiraan, Bay, Middle Shabelle and Lower Shabelle Regions from February 23rd to March 4th, 1991 », mars 1991.

Nota : Pour savoir où se situent les régions administratives de la Somalie, consulter la carte figurant à la page 9a du rapport d'octobre 1991.

3.1        Rapport sur les régions de Bari, Nugaal et Mudug

Deux représentants de l'INCS-UK ont fait la tournée de ces trois régions entre le 17 et le 30 septembre 1991, visitant la plupart des municipalités de Bari, de Nugaal et du nord de Mudug. Le rapport fournit des renseignements pertinents sur les quatre sujets suivants : la structure démographique, un gouvernement civil en évolution, la situation de la sécurité et les personnes déplacées.

Dans ces trois régions, le clan prédominant est celui des Majeerteens, qui appartient à la famille de clans des Daroods. Quatre grands sous-clans des Majeerteens constituent à leur tour les groupes dominants au sein des trois régions : les Omar-Mahamoud (Mudug); les Issa-Mahamoud (Nugaal); les Osman-Mahamoud et les Ali-Suleiman (Bari). La situation se complique par l'existence, dans le sud de la région de Mudug, d'une « zone frontalière traditionnelle » qui sert de ligne de démarcation entre trois clans - les Majeerteens, les Marehans (famille du clan des Daroods) et les Habar-Gedirs (famille du clan des Hawiyes). Il a été dit aux représentants de l'INCS-UK que les villages situés le long de la route entre Galkaiyo et Dusa Mareb étaient déserts. Les Majeerteens se seraient déplacés vers le nord, les Habar-Gedirs vers l'est et les Marehans vers l'ouest et le sud.

D'après le rapport, le FDSS contrôlait, à la fin de septembre 1991, la région de Bari, la région de Nugaal et une partie nord de la région de Mudug. Le CSU contrôlerait le sud-est de la région de Mudug, y compris les villes de Hobyo et Haradera, tandis que les forces du clan des Marehans contrôlaient la ville d'Abudwak, au nord de la région de Galgaduud. La ligne de démarcation approximative qui séparait le FDSS du CSU était située entre Galkaiyo et Garad (voir la carte, page 9b du rapport).

Les forces du CSU ont pris et occupé Galkaiyo, capitale de la région de Mudug, entre le 24 février et le l(er) avril 1991. A l'époque de la mission de l'INCS-UK, la ville était le quartier général militaire du FDSS; cependant, le déménagement provisoire de la capitale régionale à Burtinle reflétait l'instabilité permanente de la situation. Toujours selon le même rapport, les « forces militaires du FDSS sur la ligne de front » se trouveraient à 30 kilomètres au sud, le long de la route de Dusa Mareb (p. 108).

Au mois d'octobre 1991, le FDSS avait installé les dirigeants d'un gouvernement civil dans le secteur qu'il contrôlait, encore que, comme le soulignent les auteurs du rapport, on avait pas clairement établi à ce moment quels postes, au-dessous de ceux de gouverneur régional et de commissaire de district, avaient été comblés. Deux aspects de la situation sont à signaler.

Premièrement, bien qu'il soit signataire de l'accord de Djibouti qui envisage une Somalie unie, le FDSS a mis sur pied un gouvernement autonome du « nord-est ». Selon le rapport, « les régions du nord-est et du centre sont, à l'heure actuelle, administrées séparément de Mogadiscio » (p. 19). Pendant toute la durée de la visite de l'INCS-UK, les représentants du FDSS ont souligné que c'est avec les autorités régionales qu'il fallait négocier la question de l'aide au développement (p. 19). Au mois de septembre 1991, un Comité exécutif couvrant les trois régions du nord-est avait été constitué, appuyé par des gouvernements régionaux et de district. Les auteurs du rapport décrivent toutefois une structure relativement décentralisée, au sein de laquelle les régions et les districts agissent indépendamment du Comité exécutif.

Deuxièmement, le FDSS a veillé à ce que ce soient des civils qui dominent les militaires, ce qui contraste nettement avec la situation qui prévaut dans le sud du pays où, depuis janvier 1991, les instances supérieures semblent être les commandants militaires du CSU et du Mouvement patriotique somalien (voir la section 3.2).

La stabilité qui règne dans la majeure partie du nord-est de la Somalie a sans aucun doute contribué à l'instauration d'un gouvernement civil. Selon le rapport, à l'exception du secteur de la région de Mudug qui est situé au sud de la ligne Galkaiyo-Garad, les trois régions sont relativement calmes. L'équipe de l'INCS-UK n'a entendu des coups de feu qu'à Bossaso et, dans les villes et les villages où elle s'est rendue, elle n'a aperçu que quelques personnes qui portaient une arme légère.

Si l'on excepte le Somaliland, les régions du nord-est sont peut-être les plus stables du pays. Ce sont les questions de migration qui illustrent le mieux la situation. D'après le rapport, il s'est produit un « déplacement massif de population dans les régions du nord-est et du centre » depuis le départ de Siyad Barré (p. 9). Selon des informations recueillies dans de nombreuses villes et de nombreux villages des trois régions, l'INCS-UK estime qu'au mois d'octobre 1991 les régions de Mudug, de Nugaal et de Bari ont connu un taux de croissance démographique sur 12 mois de 71 p. 100, 26 p. 100 et 31 p. 100 respectivement.

Le bruit court que la voie de migration que suivent les personnes déplacées qui, fuyant le sud de la Somalie, traversent l'éthiopie pour atteindre les régions du nord-est, est extrêmement dangereuse. Des hommes auraient été tués et des enfants sont morts durant le voyage, faute de nourriture (voir p. 43).

3.2          Rapports sur le sud de la Somalie

3.2.0       Considérations générales

Entre les mois de mars et d'août 1991, l'INCS et World Concern ont publié trois rapports sur diverses régions du sud de la Somalie. Les événements survenus depuis cette période, à Mogadiscio notamment, font qu'une grande partie des renseignements contenus dans ces rapports ne sont plus valables; ces derniers donnent toutefois un aperçu relativement complet des combats que se sont livrés des groupes armés du clan des Daroods - menés par le MPS - et le CSU, dans le corridor de Mogadiscio-Kismayo, depuis le début du mois de février jusqu'à la fin de juin 1991. Les rapports traitent aussi d'un certain nombre de sujets qui ne figurent pas dans la grande majorité des autres comptes rendus et articles concernant le sud de la Somalie.

Il est indiqué dans la table des matières du rapport d'août 1991 que l'INCS-UK a fait la tournée de six régions dans le sud de la Somalie. Cette tournée a cependant été plutôt courte : durant les onze jours qu'elle a duré, divers membres de l'équipe de l'INCS-UK ont passé une journée à Balcad (district du Moyen Shébelle), une journée partagée entre Afgoi et Wenla-Weyne (district du Bas Shébelle) et deux journées partagées entre Kismayo (Bas Juba) et Jilib (Moyen Juba). L'équipe ne s'est pas rendue à Hiraan, mais a passé le reste du temps à Mogadiscio. Le rapport d'août 1991 ne traite donc pas de façon très détaillée de la situation qui prévaut à l'extérieur de la capitale. Sur ce plan, le rapport de mars 1991 est plus utile, car l'équipe a fait une tournée plus complète, couvrant douze villes et villages du Moyen et du Bas Shébelle, de Hiraan et de Bay. Le rapport d'août 1991 comporte des renseignements intéressants sur les nouvelles structures gouvernementales, les personnes déplacées et les réfugiés.

3.2.1             L'effondrement du système juridique à Mogadiscio

A la fin de février, la capitale était presque privée de gouvernement véritable et, lentement, l'anarchie générale s'installait. Selon les renseignements présentés dans le rapport d'août, peu de choses avaient changé sur ce plan, malgré la signature récente de l'accord de Djibouti. A la date de rédaction du rapport, le gouvernement central à Mogadiscio n'était pas parvenu à se faire reconnaître au niveau national ou international, et demeurait donc « incapable d'attirer les ressources permettant de rétablir des services publics efficaces » (p. 12).

Depuis la chute de Siyad Barré, les forces désignées pour faire respecter la loi et l'ordre à Mogadiscio sont celles du CSU. Cependant, selon le rapport d'août 1991, ces forces sont « incohérentes et indisciplinées, sans structure précise de commandement central » (p. 16). Le rapport lie aussi ces éléments à des exécutions sommaires et à d'autres abus des droits de la personne. Les auteurs du rapport résument la situation comme suit :

A Mogadiscio, la sécurité de chacun est toujours précaire. De nombreux habitants, pas la majorité toutefois, portent encore ouvertement des armes dans les rues. Au moins un garde armé protège chaque véhicule, quelle qu'en soit la taille (p. 16).

3.2.2        Les relations entre les clans et la démographie

Le rapport de mars 1991 contient des renseignements sur les relations entre les clans à Mogadiscio. A ce moment, de nombreux Daroods avaient fui la ville pour le sud de la Somalie; cependant, selon le même rapport, les membres de deux clans des Daroods, les Dulbahantes et les Warsangalis, étaient restés sur place et couraient « un grave risque d'être victimes de persécutions et d'exécutions sommaires » (p. 56). Il était question de les évacuer vers les terres traditionnelles de leur clan, au nord du pays, dans les régions de Sool et de Sanaag, mais le rapport d'août ne confirme pas si l'évacuation a pu être exécutée avec succès.

World Concern, dans son rapport de juillet 1991, fournit des renseignements sur les aspects démographiques des clans et les relations entre ces derniers dans les districts du Moyen et du Bas Juba. Si Kismayo et la majeure partie du district du Bas Juba sont un « bastion des Ogadeens », on retrouve des zones appartenant à d'autres clans dans tout le district du Moyen Juba et, tout à fait à l'est, le Bas Juba (p. 6). Le rapport signale que «les Somalis ethniques, dont le clan ne contrôle pas militairement la région, sont l'un des groupes les plus vulnérables de la zone» (p. 8). A l'heure actuelle, il s'agirait des Hawiyes qui sont restés sur place après le retrait du CSU à la fin du mois de juin 1991.

3.2.3 Les relations ethniques

Sur le plan ethnique, la population somalienne est très homogène; cependant, dans la zone située entre Mogadiscio et Kismayo - notamment le district de Kismayo et la vallée du Bas Juba - vivent un nombre considérable de non-Somalis. Il s'agit de gens d'origine arabe installés dans les villes de Merka et de Brava (Bas Shébelle), ainsi que de descendants d'esclaves originaires de l'est et du sud de l'Afrique - les Goshas - qui ont établi des communautés dans les forêts touffues du Bas Juba. Selon le rapport de juillet de World Concern, la population arabe de Kismayo a fui la ville dès la chute du gouvernement en janvier 1991.

World Concern, toujours dans son rapport de juillet 1991, souligne que pendant que le front se déplaçait entre le Moyen et le Bas Juba et le Bas Shébelle au cours du premier semestre de 1991, ce sont des non-Somalis qui ont figuré parmi les principales victimes civiles de la guerre. Les rapports de juillet et d'août font tous deux état des abus dont les Goshas ont été victimes aux mains des forces du CSU qui les soupçonnaient de sympathiser avec le MPS, et ils soulignent que les Goshas demeurent un groupe particulièrement vulnérable. Le rapport de juillet cite des organismes internationaux qui ont fait remarquer que « le statut de "caste inférieure" des Goshas peut avoir un effet négatif sur le flux de produits de secours et d'aide au développement qu'ils reçoivent, surtout si ces produits passent entre les mains d'intermédiaires somalis ethniques » (p. 6).

Le rapport de mars 1991 fait état de graves violations des droits de la personne que des éléments du CSU auraient commises à l'endroit de la population non somalie de Brava. Depuis que le CSU a quitté la ville en juin 1991, c'est le MPS qui l'occupe.

3.2.4               La migration

Comme les combats ont repris à Mogadiscio en novembre 1991, il est presque sûr que les renseignements détaillés qui figurent dans le rapport de mars 1991 sur les aspects démographiques des clans de la capitale ne sont plus valables. Ce rapport décrit aussi les premières vagues de Daroods déplacés qui ont fui à la campagne pour éviter les attaques des forces du CSU.

Un point intéressant est le rôle que jouent les institutions et communautés religieuses - ces dernières sont appelées jameecooyin - dans le conflit qui fait actuellement rage. Ainsi qu'il est dit dans le rapport de juillet, le respect général dont jouissent les jameecooyins dans les régions du Bas et du Moyen Juba met ces dernières à l'abri de toute attaque; les groupes vulnérables y trouvent donc refuge en grand nombre. Le rapport de juillet décrit deux de ces communautés, qui sont situées près des villes de Jamaame et de Jilib. On ajoute toutefois que les forces du CSU et celles du MPS se méfient du rôle que jouent ces communautés et que «la guerre croissante de la faim et l'anarchie dans la région peuvent bientôt effacer l'interdit qui, depuis cinq mois, [les] protège» (p. 18). Le rapport du mois de mars indique aussi qu'à cette époque, la mosquée Sheik Ali Sufi, à Mogadiscio, servait de refuge aux femmes et aux enfants du clan des Daroods.

Le rapport de juillet 1991 fournit des détails sur la variation massive de la population de Kismayo durant toute l'année 1991. En janvier 1991, la ville est devenue un lieu de refuge pour les Daroods qui fuyaient devant la progression des forces du CSU. Sous l'occupation du CSU, en mai et en juin, la population de Kismayo a chuté de 200 000 à 20 000 habitants quand les Daroods ont fui à l'ouest.

3.2.5                La liberté d'expression et les prisonniers politiques

Face à des sujets de préoccupation plus évidents sur le plan des droits de la personne, la liberté d'expression est une question à laquelle on s'est peu arrêté ces derniers temps. Selon le rapport d'août 1991, « la nouvelle liberté des médias est l'un des changements les plus positifs qui soient survenus depuis le renversement de l'ancien régime » (p. 29). En août 1991, on comptait onze journaux à Mogadiscio, dont Dalka, le seul qui appartenait à l'état. Outre le fait de critiquer le Mouvement patriotique somalien et les politiques indépendantistes du MNS, les journaux ne se sont pas « abstenus de blâmer le CSU, [le président provisoire] Ali Mahadi et [Mohamed Farah] Aideed s'ils n'étaient pas d'accord avec leurs politiques ou leurs mesures » (p. 29). Radio-Mogadiscio était, semble-t-il, tout aussi ouverte sur ce plan. Durant la visite de l'équipe de l'INCS-UK en juillet, des civils non armés ont tenu trois manifestations pacifiques, dont deux pour exhorter le CSU à modifier sa politique sur des questions de fond.

Dans son rapport de mars 1991, l'INCS-UK traite du sujet des détenus en Somalie. A cette époque, toutes les personnes détenues à Mogadiscio dans les « prisons des services de police et de sécurité [semblaient avoir] été remises en liberté » (p. 62). Au moment de la chute de Siyad Barré, Amnesty International surveillait la situation de trois prisonniers politiques; l'un d'eux avait été relâché, mais l'on n'était pas encore sûr de l'endroit où se trouvaient les deux autres. Dans son rapport, l'INCS-UK recommande que les ONG surveillent les conditions dans les prisons une fois que celles-ci seront de nouveau utilisées; cependant, les rapports subséquents ne traitent pas de ce sujet.

3.3              Rapport sur le nord de la Somalie

Même avant la déclaration d'indépendance de mai 1991, le nord de la Somalie constituait un cas spécial, principalement en raison des dommages sans précédent qu'avaient provoqués les trois années de guerre civile entre le MNS et le régime de Siyad Barré. Le rapport d'avril 1991 de l'INCS-UK indique qu'à ce moment, le MNS avait pris d'importantes mesures en vue de l'instauration d'un gouvernement qui serait indépendant de Mogadiscio.

La question alors non résolue - et elle reste de première importance aujourd'hui - était celle de la réconciliation entre la famille de clans des Isaaqs et les quatre grands clans non affiliés à cette famille. Les nombreuses affirmations faites dans tout le rapport au sujet des relations entre les clans brossent un tableau imprécis de la situation. A l'époque où le rapport a été publié, il était trop tôt pour dire que les Isaaqs et les autres clans avaient fait la paix. Selon le rapport, « les Gadabursis, les Issas et les Warsengeles ont surmonté leur peur » mais « les Dulbahantes nourrissent encore une certaine appréhension à l'égard des Isaaqs » (p. 13). Dans ce dernier cas, les affrontements les plus récents étaient survenus à la mi-mars.

Le rapport semble indiquer qu'en mars 1991 les relations entre les Isaaqs et les Gadabursis étaient bonnes. Le MNS s'est emparé de la ville principale des Gadabursis, Borama, le 4 février 1991, « causant fort peu de dommages ». En même temps, cependant, 130 personnes ont perdu la vie et la grande majorité de la population, ainsi que 40 000 réfugiés environ, ont fui à l'ouest (p. 71 et 72). Le 23 février 1991, 60 p. 100 de la population était de retour, paraît-il. Le rapport indique que le principal groupe rebelle des Gadabursis, l'Association démocratique de la Somalie (ADS), avait négocié un accord de paix avec le MNS au 21 février 1991 et s'était par la suite liée à ce dernier (p. 72). Toutefois, les rapports subséquents ne font pas allusion à cette union.

Le rapport d'avril 1991 de l'INCS-UK présente des renseignements utiles, bien que contradictoires parfois, sur les aspects démographiques des clans et les relations entre ces derniers au Somaliland. Le lecteur doit passer en revue divers comptes rendus concernant des villes et des villages pour se faire une idée claire de la situation. A cet égard, les comptes rendus sur Borama, Ceerigabo (Erigavo), Jidale, Caynaba et Las Caanod sont particulièrement utiles.

Le rapport présente aussi des renseignements dispersés sur les structures juridiques et gouvernementales en voie d'établissement dans les régions du nord. Il indique qu'à certains endroits, des corps policiers aux effectifs réduits étaient en activité et qu'un tribunal itinérant parcourait le Somaliland pour régler le cas d'un certain nombre de prisonniers de guerre. En ce qui concerne ces prisonniers et d'autres détenus, le rapport de l'INCS-UK note que ces personnes n'étaient pas maltraitées et que les soins dispensés répondaient aux attentes compte tenu de la situation économique catastrophique qui prévaut dans tout le Somaliland.

4. AUTRES QUESTIONS

étant donné la couverture souvent superficielle des événements survenus en Somalie après la chute de Siyad Barré, les cinq rapports dont il est question dans ce résumé valent la peine d'être signalés pour le compte rendu détaillé que l'on y fait de l'évolution de la situation politique, sociale et économique dans diverses régions du pays jusqu'à la fin du mois de septembre 1991. Il ressort en général de ces rapports que : 1) en octobre 1991, la plupart des secteurs situés dans les trois régions du nord-est semblaient jouir d'une stabilité politique relative; 2) en août 1991, la situation à Mogadiscio et dans les environs était précaire; 3) en juillet 1991, le MPS venait tout juste de reprendre le contrôle de la région du Bas et du Moyen Juba, ainsi que d'une partie du Bas Shébelle; et 4) en mars, les régions du nord - aujourd'hui la République du Somaliland - étaient déjà soumises à l'autorité effective du MNS et étaient relativement stables.

Les rapports entre les clans demeurent le facteur clé de la politique somalienne, et leur inconstance est apparue clairement dans les quelques mois qui ont suivi la rédaction du dernier rapport de l'INCS-UK. Même la République indépendante du Somaliland - jusqu'ici la région la plus stable de la Somalie - semble aujourd'hui exposée au risque de voir éclater des conflits entre les clans qui l'habitent. Les comptes rendus sont imprécis mais, depuis la mi-décembre 1991, des membres armés de deux clans des Isaaqs - les Habar-Younis et les Habar-Jalcos - se sont affrontés à deux occasions(8). Bien qu'il soit encore trop tôt pour dire si ces incidents représentent une scission fondamentale entre les Isaaqs et le MNS, un récent article paru dans Le Monde signale que les divers clans des Isaaqs ont maintenant délimité des zones de contrôle et que les vieilles rancunes entre ces clans, que la guerre contre le régime de Siyad Barré avait enterrées, remontent à la surface(9).

Dans un autre incident survenu au début de janvier 1992, des fondamentalistes islamiques armés ont affronté des troupes du FDSS à Bossaso, entraînant la mort d'un médecin de l'UNICEF(10)[1]. Il a rarement été mentionné que les fondamentalistes islamiques constituent une force organisée sur la scène politique en Somalie depuis janvier 1991 et, comme dans le cas du Somaliland, il est trop tôt pour dire si la situation peut constituer une menace sérieuse pour la stabilité dans les régions du nord-est.

Cependant, ces deux incidents, lorsqu'on les considère ensemble, font ressortir que, dans toutes les régions du pays, la situation fondamentale sur le plan de la politique et de la sécurité est incertaine et continuera vraisemblablement de changer rapidement pendant quelques temps. La plupart des régions sont aux prises avec une pauvreté extrême, des pénuries de nourriture et une économie dévastée, trois facteurs qui contribueront certainement à l'instabilité de la situation politique et de celle des droits de la personne pendant au moins toute l'année 1992.

5. NOTES ET REFERENCES

NOTES------------

(1) « Somalia: Where Do We Go From Here? » African Confidential [Londres], 8 février 1991.

(2) « Somalia: Fighting Reported Between USC and SPM Forces », BBC Summary of World Broadcasts, 12 février 1991, p. ME/0994/ii; Jean Hélène, « Somalie: Des affrontements entre factions rebelles avaient fait plus de cent morts près de Mogadiscio », Le Monde [Paris], 12 février 1991; « Somalia: Talk of Cease-Fire But Fighting Goes On », The Indian Ocean Newsletter [Paris], 13 avril 1991; «Crisis as the World Prevaricates», New African, juin 1991; « Somalia: Circle Closes Again Around Mogadishu », The Indian Ocean Newsletter, 30 mars 1991.

(3) Hamish Wilson, « Unsettled Dust », Africa Events [Londres], mars 1991; «Minister Wants "Peaceful" Settlement With Siyad», AFP [Paris], 21 mars 1991 (BBC Summary of Wold Broadcasts, 23 mars 1991), p. ME/1028/B/1.

(4) Les chiffres réels varient entre 250 000 mines, selon « Violations of the North », New African, mai 1991, et un million de mines, selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, « Information Bulletin No.4 On Operations in the Horn of Africa », 16 août 1991, p. 12.

(5) Au sujet de la consultation, voir « Somalia: One State or Two? » Africa Confidential, 14 juin 1991; « Kenya/Somalia: Nairobi Accused of Intrusion », The Indian Ocean Newsletter, 6 avril 1991. Au sujet de la composition du gouvernement, une source la qualifie d'« équipe du MNS ». Voir « Somalia: One State or Two? » Un nombre considérable de non-Isaaqs faisaient partie du gouvernement initial constitué en 1991; cependant les postes clés étaient occupés par des Isaaqs du MNS. Voir «Somalia: Somaliland Government Line-Up», The Indian Ocean Newsletter, 8 juin 1991, p.6; « Somalie: Les sécessionnistes du Nord ont formé leur gouvernement », Le Monde, 8 juin 1991. Dans un entretien téléphonique tenu le 24 février 1992, Daniel Compagnon, spécialiste québecois des affaires somaliennes, a confirmé qu'aucun des groupes politiques non affiliés aux Isaaqs n'est représenté au gouvernement.

(6) « Somalia: Djibouti Conference Egg-Shell Agreement », The Indian Ocean Newsletter, 27 juillet 1991; « Fresh Start », New African, septembre 1991; « A Peace Horn », Africa Events, septembre 1991.

(7) Il est difficile de trouver des renseignements précis sur les forces loyalistes de Siyad Barré. Les articles suivants, lorsqu'on les considère ensemble, donnent un aperçu relativement clair de la situation. Marc Yared, «La Somalie à feu et à sang», Jeune Afrique [Paris], 30 janvier-5 février 1992, p. 32-35; «Minister Appeals for "War" Against Siad Remnants», Radio Mogadishu, 25 octobre 1991 (FBIS-AFR-91-209), 29 octobre 1991, p. 9; «Official Accuses Siad Forces of "Genocide"», Radio Mogadishu, 22 octobre 1991 (FBIS-AFR-91-207), 25 octobre 1991, p. 7; Said Samatar, Somalia: A Nation in Turmoil (Londres : Minority Rights Group, août 1991), p. 21.

(8) « Somaliland: Fighting in Burao », The Indian Ocean Newsletter, 25 janvier 1992; « Médecins Somalie », Agence France Presse, 15 janvier 1992.

(9) Jean Hélène, « Somalie: la demande du secrétaire-général de l'ONU les parties en conflit se rencontrent à New-York », Le Monde, 13 février 1992.



[1]              N'est pas inscrit sur la liste de références.

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