Le mouvement étudiant au Zaïre

 

1. INTRODUCTION

Considéré comme un des géants de l'Afrique noire aussi bien pour ses ressources économiques et humaines que pour sa position géographique et stratégique, le Zaïre connaît, paradoxalement, une dégradation économique et sociale. Le président Mobutu règne officiellement sur le Zaïre depuis novembre 1965 à l'issue d'un coup d'état militaire dont il était le principal instigateur. Le régime politique repose sur un parti unique créé en 1970, le Mouvement populaire de la révolution (MPR), et sur l'influence exercée par le président-fondateur Mobutu qui proclame : « Il n'y a dès lors pas d'interprète plus avisé que moi pour saisir la véritable portée de la doctrine qui se trouve être précisément le mobutisme c'est-à-dire mes idées, mes enseignements et mon action » (Revue juridique et politique, indépendance et coopération 1980, 712).

Depuis l'avènement du MPR, les observateurs de la question des droits de la personne (Lawyers Committee for Human Rights, Amnesty International, etc.) font fréquemment état de la corruption du régime politique zaïrois en dénonçant les pouvoirs arbitraires de Mobutu ainsi que les exécutions nombreuses de personnes considérées comme rebelles. Au cours de ces vingt-cinq années de mobutisme, des milliers de Zaïrois ont été tués ou ont été victimes de la torture, de mauvais traitements ainsi que d'arrestations arbitraires et prolongées (Lawyers Committee for Human Rights 1990, 1; Amnesty International sept. 1990, 1). La corruption joue un grand rôle dans la politique du pays, contribuant de façon considérable à l'encadrement de la population et au maintien du régime totalitaire (Documentation-Réfugiés 9-18 juill. 1988).

Déjà en 1969 et 1971, la stabilité apparente du pouvoir fut ébranlée par des soulèvements étudiants contre le mobutisme. Le 4 juin 1969, lors d'une manifestation d'étudiants organisée sous la direction de l'Union générale des étudiants congolais (UGEC), l'armée a ouvert le feu sur les protestataires, causant ainsi la mort de plusieurs dizaines d'étudiants. Les jours qui suivirent ont été marqués par des arrestations massives d'étudiants, la fermeture de plusieurs établissements universitaires et l'interdiction des associations d'étudiants (Benchenane 1984, 181).

2. MANIFESTATIONS D'ETUDIANTS ET REACTIONS DU GOUVERNEMENT

2.0 Introduction

Face à la répression continuelle et au durcissement d'un régime politique qui n'accepte aucune opposition, l'agitation étudiante a constitué, avec la lutte des femmes et des partis politiques, l'un des moyens de résistance à la règle absolue de Mobutu. Bien que les émeutes estudiantines aient été provoquées par des problèmes économiques et par l'augmentation de la misère liée à l'appropriation des richesses par l'élite, les revendications des étudiants ont eu une portée politique considérable (Le Monde Diplomatique juill. 1990). En effet, les étudiants se sont attiré la sympathie populaire et ont mobilisé les masses mécontentes. Face à cette menace, le président Mobutu a dû réagir en promettant une démocratisation partielle de la vie publique.

2.1 Les manifestations de février 1989

D'importantes émeutes estudiantines ont eu lieu à Kinshasa en février 1989. Ces mouvements ont été violemment réprimés par les forces de l'ordre et au moins huit étudiants ont trouvé la mort (Libération 1er mars 1989, 27). Ceux-ci protestaient contre la rareté des moyens de transport à Kinshasa, contre la hausse de leur coût (80 %) et contre l'insuffisance des bourses d'études (FBIS-AFR-89-030 15 févr. 1989; FBIS-AFR-89-031 16 févr. 1989, 4). En réponse à ces émeutes, le gouvernement zaïrois décidait de fermer l'Université de Kinshasa, l'Institut supérieur de médecine, la Faculté de la santé, l'Institut national de pédagogie et l'Institut supérieur de technologie appliquée (FBIS-AFR-89-031 16 févr. 1989, 5; L'état du monde 1989-1990 1989, 284).

A Lubumbashi, en février 1989, des étudiants ont organisé des manifestations à la suite de la découverte du corps d'un des leurs non loin d'un camp militaire. Les forces de l'ordre sont intervenues en tirant sur la foule de protestataires dont plusieurs ont été blessés ou tués (Le Monde 2 mars 1989). Les autorités zaïroises, quant à elles, n'ont fait état que d'un seul mort (Documentation-Réfugiés 24 fév.-5 mars 1989, 6; FBIS-AFR-89-043 7 mars 1989).

A la suite des manifestations de Kinshasa et de Lubumbashi, de nombreuses arrestations ont été effectuées parmi les milieux étudiants. Dans la seule capitale, entre 100 et 300 personnes ont été arrêtées (Documentation-Réfugiés 6-15 mars 1989). C'est seulement un mois après les émeutes, vers la mi-mars, que les universités et les établissements d'enseignement ont été ouverts à nouveau (FBIS-AFR-89-052 20 mars 1989; FBIS-AFR-055 23 mars 1989).

2.2 Les manifestations de mai 1990

A la suite des émeutes de février 1989, la situation économique et sociale s'est dégradée davantage comme l'on illustré les nombreuses grèves touchant différents groupes dont celui des fonctionnaires et des enseignants. Au début de l'année 1990, le président Mobutu a permis à différents milieux de s'exprimer en amorçant une tournée de consultations populaires (Jeune Afrique mars 1990, 19). La population, souvent présentée comme apathique ou apolitique, s'est exprimée à travers plus de 500 mémoires où ont été consignés ses griefs, ses difficultés et ses aspirations (Le Monde Diplomatique juill. 1990). Soulignons enfin que, dans son discours du 24 avril 1990 où il proclamait la reconnaissance du multipartisme, « le Maréchal Mobutu avait suscité des espérances. Celui du 3 mai 1990 les a anéanties » (Commission Justice et Paix 1990, 5). En effet, dans ce dernier discours prononcé devant l'Assemblée nationale, le président disait qu'aucun autre parti politique n'avait encore été autorisé. Quatre jours précédant le 3 mai, la police est intervenue lors d'une réunion politique de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), pourtant théoriquement permise depuis le 24 avril, et au moins deux personnes sont mortes au cours des affrontements (The New York Times 2 mai 1990).

Pendant trois jours, du 9 au 12 mai 1990, le campus universitaire de Lubumbashi (deuxième ville du pays) a été le théâtre de violents affrontements entre les étudiants et les forces de l'ordre. Alors qu'ils tentaient d'organiser une manifestation pacifique de solidarité avec leurs confrères de Kinshasa, les étudiants de Lubumbashi ont découvert que trois de leurs camarades ngbandis (ethnie du président Mobutu) étaient en fait des indicateurs qui fournissaient à la police les noms des opposants au régime (Libération 23 mai 1990; Commission Justice et Paix 1990, 47). « Ces derniers [ont été] battus, jetés dans un trou, lapidés et brûlés jusqu'à ce que la Garde Civile vienne les libérer » (Commission Justice et Paix 1990, 49). Ces trois indicateurs ont alors avoué entre autres avoir participé à l'enlèvement et à l'assassinat de 23 étudiants considérés comme des opposants au régime (Ibid., 146).

Dans la nuit du 11 au 12 mai 1990, après l'interruption du courant électrique sur le campus et l'encerclement de celui-ci par les forces de l'ordre, les étudiants se sont réunis autour d'un feu. D'après d'innombrables témoignages, un commando armé de la Division ou Brigade spéciale présidentielle (DSP ou BSP, composée essentiellement de ngbandis) a fait irruption sur le campus vers 23 heures afin de venger leurs « frères » ngbandis lynchés quelques jours auparavant (Lawyers Committee for Human Rights 1990, 84-85; Commission Justice et Paix 1990, 67-69). Les membres de la DSP ont exécuté à l'arme blanche de nombreux étudiants, éventrant les uns au moyen de poignards, jetant les autres des étages des bâtiments, ou étranglant avec des cordelettes ceux qui tentaient de s'enfuir. Les étudiants les plus visés par ces représailles provenaient surtout des régions des deux Kasaï, du Kivu, du Bandundu et du Bas-Zaïre. Les natifs d'équateur furent épargnés car ils pouvaient répondre au mot de passe « lititi mboka » (Ibid.).

Le nombre exact de victimes de ce massacre restera probablement inconnu car « les corps des étudiants massacrés ont été transportés pour une direction inconnue » (Commission Justice et Paix 1990, 70). Le quotidien belge Le Soir estime que 50 étudiants ont été tués (Lawyers Committee for Human Rights 1990, 85). Pour sa part, le journal zaïrois La Semaine évalue à 23 le nombre de victimes (Ibid., 90). Selon le témoignage d'un survivant, le nombre de victimes s'élève à plus de 100 (Ibid.). Les autorités zaïroises, quant à elles, font état d'une seule personne ayant perdu la vie lors des affrontements de mai à Lubumbashi alors qu'Amnesty International avance un chiffre compris entre 50 et 150 morts (The New York Times 19 juin 1990, 22; Documentation-Réfugiés 12-21 juill. 1990, 6).

Soulignons enfin qu'à la suite de ces événements, beaucoup d'étudiants et d'enseignants se sont réfugiés en Zambie (The New York Times 19 juin 1990, 22).

3. RISQUES DU RETOUR AU PAYS

Intolérant à toute dissidence, le régime de Mobutu a par le passé harcelé à maintes reprises les opposants politiques rentrés au pays. Certains d'entre eux ont été mis en résidence surveillée, ont été emprisonnés pour de longues périodes ou encore ont été victimes de torture et de mauvais traitements (Lawyers Committee for Human Rights 1990, 119-120). Certains opposants ayant trouvé refuge dans les pays limitrophes (Congo, Burundi et Ouganda) ont même été kidnappés par les forces de l'ordre zaïroises pour être ensuite emprisonnés sur le territoire national (Ibid.).

En 1981, un professeur zaïrois en exil, qui aurait critiqué ouvertement le régime Mobutu, a été arrêté aussitôt après son retour au pays (Lawyers Committee for Human Rights 1990 263). Cinquante-sept réfugiés zaïrois déboutés par la Suisse étaient attendus à l'aéroport de Kinshasa, en novembre 1985, pour être conduits en prison où quelques-uns sont morts des suites de la torture (New Africa janv. 1986). En octobre 1987, des réfugiés zaïrois vivant au Congo ont été arrêtés et extradés au Zaïre et condamnés à de longues peines de prison, l'un d'entre eux jusqu'à vingt ans (Lawyers Committee for Human Rights 1990, 120; Amnesty International sept. 1990, 10). Un dissident zaïrois ayant obtenu le statut de réfugié en France et se trouvant en visite au Burundi a été enlevé en avril 1989 par les agents de sécurité burundaise et remis entre les mains des autorités zaïroises (Ibid.; Documentation-Réfugiés 12-19 oct. 1989, 2). Il a été maltraité et détenu au Zaïre jusqu'au fameux discours du 24 avril 1990. Des réfugiés zaïrois vivant en Belgique, de passage à Kampala (en Ouganda), ont été arrêtés en janvier 1990 et transférés en avril dans les prisons zaïroises où ils sont toujours détenus (Lawyers Committee for Human Rights 1990, 120).

4. CONCLUSION

En avril 1990, sous la pression des événements, le président Mobutu a été contraint d'annoncer la fin du système parti-état et l'établissement de la «troisième république» avec le multipartisme. Les manifestations étudiantes qui ont eu lieu à peine quelques jours après le discours du 24 avril 1990 ont démontré que la démocratie est encore loin dans l'horizon politique zaïrois. Au cours des vingt dernières années, et encore aujourd'hui, les femmes, les étudiants et les partis politiques d'opposition constituent des groupes ayant fait l'objet de répressions et de sévices de la part du régime mobutiste.

Entre le discours sur la démocratisation prônée par le président Mobutu et le maintien de mesures répressives (nous l'avons constaté lors du massacre de Lubumbashi), le contraste est frappant. Il n'a pas échappé à l'allié traditionnels de Mobutu, les états-Unis, qui ont tout récemment suspendu leur aide au Zaïre (The Washington Post 18 sept. 1990; The New York Times 4 nov. 1990, 21). Les réformes politiques proposées par le président tentent de «donner des gages aux alliés occidentaux», mais ne constituent pas autre chose que de la poudre aux yeux (Le Monde Diplomatique juill. 1990).

Tant que que le gouvernement en place exercera une action répressive sur le peuple zaïrois et tant que de véritables réformes ne seront pas entreprises, les possibilités de retour resteront minces pour les dissidents à l'étranger.

5. ANNEXE : CARTE

Voir original

6. BIBLIOGRAPHIE

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