Le retour des minorités en toute sécurité: Un remède équitable et une assurance pour l'avenir

Avant-propos

Imaginez que vous avez été contraint de quitter votre foyer sur-le-champ- uniquement en raison de votre nationalité ou de votre appartenance religieuse. En laissant derrière vous toute une vie de souvenirs, d'évocations et d'engagements. Un instant cruel au cours duquel vous avez perdu votre place dans le monde. Imaginez que vous vous êtes ensuite soudain retrouvé dans un pays étranger- sans en connaître la langue et dans l'incertitude quant à vos perpectives d'emploi, d'instruction ou de tout avenir viable. Imaginez encore que de nombreux membres de votre entourage, moins chanceux, sont restés en arrière-certains étant abattus sur place ou torturés dans des camps de détention, d'autres simplement portés manquants.

Puis, un jour-après de longues et douloureuses années - les nations les plus puissantes du monde persuadent les parties au conflit dans votre patrie d'approuver un document qui garantit ce que vous ressentez déjà au plus profond de vous-même: vous avez le droit de rentrer chez vous. Et non seulement le droit de retourner en toute sécurité dans votre patrie, mais aussi celui de regagner le lieu précis dont vous aviez été si brutalement et illégalement expulsé. Le droit de retrouver exactement la place que vous occupiez dans le monde. Et, si vous avez la chance qu'elle soit encore debout et habitable, le droit de vous réinstaller dans la maison qui était pour vous le centre du monde; ou bien, si elle a été détruite, le droit d'être indemnisé.

Les puissantes nations déclarent qu'elles vont mettre en œuvre tous les moyens politiques et militaires nécessaires pour vous garantir un retour en toute sécurité dans le lieu que vous aviez fui. Et pourtant, plus de deux ans après l'Accord de paix, la situation sur place n'a pas suffisamment évolué pour que vous puissiez regagner votre communauté sans mettre en danger votre vie ou celle de votre famille. Ce droit de retrouver la place qui vous appartient dans le monde-cette promesse selon laquelle l'injustice la plus élémentaire que vous et votre communauté avez subie sera réparée- demeure une pure illusion.

Néanmoins, le pays où vous, votre famille et vos voisins attendez le moment de retourner chez vous décide maintenant que vous devez de toute façon rentrer. Peut-être pas dans la maison qui était pour vous le centre du monde; peut-être même pas dans la ville qui était la vôtre. Non, c'est un nouveau départ incertain auquel vous êtes soudainement confronté. Un retour précipité dans votre patrie, mais pas à l'endroit dont vous rêviez. Un retour dans votre pays, mais dans la maison d'un étranger, une maison dans laquelle vous savez que le propriétaire a autant d'envie de se réinstaller que vous dans votre logement d'origine. Une autre journée sans travail; sans logement approprié; sans aucun espoir en vue. Votre propre maison est peut-être tout près, mais il est encore dangereux pour vous de vous y rendre, même pour une simple visite. Est-ce là l'avenir qu'on vous avait annoncé? Cette situation correspond-elle à ce que les grandes puissances avaient promis? Est-ce ainsi que les torts sont réparés? De quel "accord" parle-t-on? Qu'entendent-ils par "justice"? Et par "paix"?

«Ils sont arrivés vers 23h30 [le 6 août 1994] et m'ont demandé mes papiers ainsi que ceux de ma tante. Ils m'ont déclaré que j'avais cinq minutes pour quitter la maison[…] En cinq minutes, je n'ai rien pu prendre, pas même mes vêtements, parce qu'il [un des policiers] était là tout le temps […][Ils nous ont emmenés dans une ferme collective de la région.] Ils nous ont fait mettre en file indienne, et nous sommes entrés dans une petite pièce. Là, ils nous ont obligés à remettre notre argent et nos objets de valeur. Un homme m'a demandé quelle somme j'avais sur moi. J'ai dit que j'avais 625 marks [allemands]; il en a pris 600 et m'en a laissé25». Le lendemain, ces personnes ont été transportées en camion près de Satorovici, sur la ligne de front, qu'elles ont dû traverser à pied.

Témoignage d'Amir, tel qu'il est reproduit dans Bosnie-Herzégovine. Vivre dans l'attente: expulsions par la force d'habitants des villes de Bijeljina et de Janja (indexAI: EUR63/22/94), p.12.

«Tous les réfugiés et personnes déplacées ont le droit de rentrer librement dans leurs foyers […]Les parties veilleront à ce que les réfugiés et les personnes déplacées puissent retourner chez eux en toute sécurité, sans risque de harcèlement, d'intimidation, de persécution ou de discrimination portant plus particulièrement sur leurs origines ethniques, croyances religieuses ou opinions politiques.»

Accord-cadre général sur la paix en Bosnie-Herzégovine, paraphé à Dayton (États-Unis) le 22 novembre 1995 et signé à Paris (France) le 14 décembre 1995, Annexe7, Accord sur les réfugiés et les personnes déplacées.

«Renvoyer de force des individus dans une région qui n'est pas leur région d'origine et où leur nationalité est majoritaire revient à soutenir activement la purification ethnique et à contredire Dayton, le HCR et la communauté internationale.»

Flavio Cotti, ministre suisse des Affaires étrangères, cité dans "La Suisse maintient son projet de renvoi des réfugiés bosniaques", Reuter, 9 juin 1997.

«Notre Duldung ["tolérance" de séjour sur le territoire allemand] était valable jusqu'au 2 octobre 1997. Notre fils aurait peut-être pu rester plus longtemps, car il avait un travail. Des policiers allemands sont venus chez nous à 5h30 [le 15 septembre 1997]; ils nous ont ordonné de rassembler nos affaires et d'être prêts à partir en vingt minutes. Nous leur avons montré nos papiers et leur avons dit que nous partirions volontairement deux jours plus tard. Ils n'ont pas changé d'avis pour autant. Nous n'avons pas pu emporter beaucoup d'affaires, seulement deux valises par personne. Ils nous avaient dit: «20 kilos chacun.» Mon fils a retiré 3000 marks à la banque-un policier l'avait escorté à l'ouverture de l'agence, mais il a dû donner 1700 marks aux autorités allemandes pour nos billets d'avion. Ils nous ont emmenés à l'aéroport de Düsseldorf, où nous avons été mis dans un vol direct pour Sarajevo.»

Témoignage d'Osman Lizalo, renvoyé de force de Kleve (Allemagne) en Bosnie-Herzégovine avec sa femme et son fils majeur. Cette famille ne peut pas regagner sa maison, qui se trouve dans une région où sa nationalité est maintenant minoritaire. Cf.le présent document p.26.

Introduction et recommandations

Parmi les nombreuses et effroyables atteintes aux droits humains qui ont caractérisé le conflit en Bosnie-Herzégovine de 1992 à 1995 figurent les expulsions massives. L'Accord-cadre général sur la paix en Bosnie-Herzégovine (l'Accord de paix, aussi connu sous le nom d'Accord de Dayton), qui a mis fin aux hostilités, tente de manière explicite de réparer le tort causé par ces expulsions en garantissant à tous les réfugiés et personnes déplacées le droit «de rentrer librement dans leurs foyers». Sur la base des principes du droit international relatifs aux questions telles que les expulsions massives, Amnesty International soutient expressément cet objectif de l'Accord de paix.

Toutefois, la mise en œuvre de cet aspect de l'Accord de paix est compromise par l'attitude des autorités de Bosnie-Herzégovine et de la communauté internationale. En effet, bien que la sécurité et la situation concrète sur le terrain ne se soient pas suffisamment améliorées pour permettre le retour des réfugiés et des personnes déplacées dans des régions où leur nationalité est maintenant minoritaire, les autorités du pays ne prennent pas les mesures nécessaires pour que ces conditions s'améliorent véritablement. Dans le même temps, certains des pays qui accueillent des réfugiés originaires de Bosnie-Herzégovine s'empressent de mettre fin à la protection temporaire qu'ils leur avaient accordée, sous prétexte que ces personnes peuvent être renvoyées dans les régions où leur nationalité est maintenant majoritaire, quelle que soit leur lieu d'origine. Ils méprisent ainsi la garantie internationale du libre retour dans sa communauté d'origine, qui figure dans l'Accord de paix.

En agissant de la sorte, ces pays d'accueil et les autorités de Bosnie-Herzégovine créent des conditions qui conféreront un caractère concret et durable aux conséquences des expulsions massives. Si cela se produit, les atteintes aux droits fondamentaux constituées par les expulsions, loin d'être réparées, pourront se poursuivre. En outre, si ces violations des droits humains ne font l'objet d'aucune réparation, la Bosnie-Herzégovine risque d'être un pays où règnent en permanence les tensions et l'insécurité, et donc d'offrir un terrain propice à de nouvelles atteintes aux droits universels de la personne.

Amnesty International fait les recommandations suivantes:

•           Les autorités de Bosnie-Herzégovine doivent traduire leurs engagements oraux en faveur du retour des personnes déplacées et des réfugiés dans leurs foyers en une amélioration concrète des conditions de sécurité pour les membres de minorités. Les attaques contre ces minorités ne devraient pas pouvoir se poursuivre en toute impunité.

•           Les autorités de Bosnie-Herzégovine, en particulier celles de la Republika Srpska (RS, République serbe), doivent se soumettre totalement aux exigences du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (le Tribunal) en arrêtant et en déférant devant celui-ci les suspects qu'il a inculpés. La Force de stabilisation (SFOR) et son successeur ne doivent pas attendre que les autorités nationales procèdent aux arrestations, mais respecter leurs obligations en recherchant et en arrêtant les individus inculpés par le Tribunal.

•           Les autorités de Bosnie-Herzégovine doivent supprimer immédiatement les obstacles administratifs qui empêchent le retour des réfugiés et des personnes déplacées dans leur communauté d'origine.

•           Les pays qui accueillent des réfugiés de Bosnie-Herzégovine doivent reconnaître que le "retour des minorités" en toute sécurité-c'est-à-dire le retour dans leurs maisons d'avant-guerre d'individus dont la nationalité est maintenant minoritaire par rapport aux autorités qui contrôlent actuellement la région- sera un processus long et difficile. Il devra commencer par le retour librement consenti des personnes déplacées à l'intérieur de la Bosnie-Herzégovine, ainsi que par celui des réfugiés serbes de Croatie. Il ne faut pas que les pays d'accueil imposent une charge supplémentaire aux infrastructures de Bosnie-Herzégovine en encourageant le rapatriement des réfugiés jusqu'à ce que le retour des minorités soit en bonne voie et que l'existence de conditions de sécurité durables ait été prouvée.

•           Les pays d'accueil doivent veiller à ce que les réfugiés ne subissent aucun type de pressions ou de contraintes destinées à leur faire accepter un retour "volontaire". En outre, tout réfugié originaire de Bosnie-Herzégovine doit avoir accès à une procédure individuelle de détermination de son statut.

•           Les pays qui accueillent des réfugiés de Bosnie-Herzégovine doivent s'assurer que leurs programmes et leurs politiques de rapatriement n'entraîneront pas de relogements non librement consentis. En pratique, cela signifie que les pays d'accueil ne doivent pas renvoyer en Bosnie-Herzégovine des réfugiés qui ne peuvent pas regagner en toute sécurité leurs maisons d'avant-guerre, ni promouvoir leur retour.

•           Les observateurs internationaux et les autres organisations internationales présentes en Bosnie-Herzégovine doivent recueillir des informations récentes, exhaustives, indépendantes et impartiales, afin de procéder à une évaluation de la situation des droits humains qui reflète bien la grande diversité existant en ce domaine entre les différentes régions du pays. Ces informations doivent être mises à la disposition non seulement des gouvernements qui accueillent des réfugiés bosniaques, mais aussi des réfugiés qui envisagent de rentrer volontairement dans leur pays.

•           Les organisations internationales qui participent au retour des réfugiés et des personnes déplacées à l'intérieur du pays doivent veiller à ce que le succès du retour des minorités repose sur des conditions durables de sécurité ne dépendant pas d'une présence internationale de maintien de l'ordre. En outre, personne ne doit être incité ou forcé à rentrer "volontairement" dans une région où sa nationalité est maintenant minoritaire, en particulier dans le but de respecter des quotas ou des dates limites.

Le texte qui suit décrit le cadre dans lequel s'inscrivent les préoccupations d'Amnesty International concernant les obstacles s'opposant actuellement au retour des minorités en Bosnie-Herzégovine. Il explique également les objections de l'Organisation au renvoi non librement consenti de réfugiés dans des régions où leur nationalité est majoritaire, et notamment à la suppression de la protection temporaire dont bénéficiaient ces réfugiés.

I.    L'enjeu: une terrible injustice qui risque de ne jamais être réparée

Plus de deux millions de personnes ont été contraintes de fuir pendant le conflit en Bosnie-Herzégovine. Parmi celles-ci, beaucoup ont été chassées dans le cadre d'une politique délibérée menée par des forces armées d'une nationalité dans le but de débarrasser les territoires convoités de leurs habitants d'autres nationalités[1] Cette politique s'est avérée très efficace. En effet, plus de 95% des Musulmans et des Bosno-Croates qui vivaient dans la région qui constitue aujourd'hui la Republika Srpska en ont été expulsés ou ont fui. De même, environ 90% des Serbes ont quitté le territoire qui appartient actuellement à la Fédération de Bosnie-Herzégovine (ci-après dénommée la Fédération). Nombre de ces Serbes sont partis après la signature de l'Accord-cadre général sur la paix en Bosnie-Herzégovine (l'Accord de paix), lorsque les faubourgs de Sarajevo sont passés sous le contrôle de la Fédération en février 1996. Dans six des dix cantons de la Fédération, la population minoritaire (c'est-à-dire les Musulmans, les Bosno-Croates ou les Bosno-Serbes, par opposition aux autorités musulmanes ou bosno-croates qui administrent la région) représente moins de 10% de la population totale; dans les quatre autres cantons, les différentes zones témoignent d'un même degré de séparation ethnique.[2]

Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de 200000 réfugiés rapatriés en Bosnie-Herzégovine et environ autant de personnes déplacées à l'intérieur du pays ont regagné leurs foyers entre la signature de l'Accord de paix, en décembre 1995, et la fin de l'année 1997. Toutefois, ces mouvements de population n'ont eu quasiment aucun impact sur l'homogénéité ethnique imposée par la guerre. Plus de 90% de gens qui ont regagné leurs foyers sont originaires de régions où leur nationalité est maintenant majoritaire. Ce phénomène ne découle pas simplement d'un choix personnel des candidats au retour. Il est également dû à l'insécurité qui empêche encore un grand nombre de personnes de retourner dans leurs maisons d'avant-guerre, ou à des obstacles administratifs s'opposant à leur retour.

Il reste plus d'un million de personnes déplacées et de réfugiés originaires de régions où leur nationalité est maintenant différente de celle des autorités locales. La plupart ont été victimes de programmes d'expulsions massives, parfois qualifiés de "purification ethnique". Ces programmes s'alliaient à des actes de torture, dont le viol, des homicides délibérés et arbitraires, ainsi que des mises en détention arbitraires, afin de chasser ces populations des territoires où elles vivaient, soit en les arrêtant et en les déplaçant, soit en les forçant à fuir[3] Les atteintes aux droits fondamentaux constituées par ces expulsions massives ne seront pas réparées tant que les victimes ne pourront pas regagner en toute sécurité leur communauté d'origine.

Le droit au retour: plus qu'une disposition de l'Accord de paix

En s'appuyant sur une vision multi-ethnique de la Bosnie-Herzégovine, l'Accord de paix exprime clairement les droits des réfugiés et des personnes déplacées. L'Accord est rédigé de façon à ne pas céder à la réalité brutale de la séparation des groupes ethniques et il est destiné à renverser le processus de "purification ethnique". Son annexe7 déclare:

«Tous les réfugiés et personnes déplacées ont le droit de rentrer librement dans leurs foyers[…]Les parties veilleront à ce que les réfugiés et les personnes déplacées puissent retourner chez eux en toute sécurité, sans risque de harcèlement, d'intimidation, de persécution ou de discrimination portant plus particulièrement sur leurs origines ethniques, croyances religieuses ou opinions politiques.»[4]

Le droit international relatif aux droits humains et aux réfugiés, ainsi que l'Accord de paix, soutiennent le droit des réfugiés et des personnes déplacées de ne pas être renvoyés chez eux tant qu'ils ne peuvent pas regagner leurs foyers en toute sécurité et dans la dignité. L'annexe7 de l'Accord de paix constitue l'axe des opérations du HCR en Bosnie-Herzégovine; elle lui sert de ligne directrice dans la mise en œuvre de son mandat organisationnel en faveur de la protection des droits des réfugiés. Par ailleurs, les autres instances internationales qui travaillent en Bosnie-Herzégovine, notamment le Haut Représentant, les Nations unies et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), reconnaissent unanimement que ce droit au retour dans son foyer est un élément essentiel du processus de paix[5]

Le soutien d'Amnesty International au droit au retour de chacun dans sa maison d'avant-guerre s'appuie sur l'Accord de paix, mais n'est pas exclusivement fondé sur celui-ci. En effet, tant que l'exclusivité ethnique sera appliquée dans les territoires de Bosnie-Herzégovine, la région restera instable, car les victimes du conflit expulsées de force de leurs maisons risquent de garder en mémoire cette injustice. Ce sentiment a été clairement exprimé aux représentants d'Amnesty International par un grand nombre de personnes déplacées en Bosnie-Herzégovine, qui considèrent le retour dans leurs foyers comme un droit moral allant au-delà de toutes les garanties officielles données dans l'Accord de paix. Certains porte-parole des communautés déplacées ont déclaré que s'ils ne pouvaient pas retourner dans leurs foyers de manière pacifique, ils le feraient, à plus long terme, en reprenant la région par la force. L'expérience d'autres régions montre que la vive envie de rentrer chez soi ne se dissipe pas avec le temps et que les générations futures risquent d'hériter du désir d'obtenir réparation pour les injustices commises.

Le cas de Nenad Vrljicak, de sa femme et de ses trois enfants illustre bien une grande partie des préoccupations d'Amnesty International, telles qu'elles sont exposées dans le présent document. Cette famille bosno-croate originaire de Breza (dans la Fédération), près de Sarajevo, avait trouvé refuge en Allemagne; elle était retournée en Bosnie-Herzégovine en octobre 1997, à l'expiration de la protection temporaire qui lui avait été accordée. NenadVrljicak a voulu se réinstaller dans la maison où il habitait avant la guerre, mais la famille musulmane qui y vit maintenant lui a ordonné de partir immédiatement. Plus tard, un ancien soldat de la région, qui serait actuellement employé par la municipalité, a dit à NenadVrljicak que s'il le croisait encore dans la ville quelque heures plus tard, il se chargerait personnellement de le tuer. À la suite de cette menace, Nenad Vrljicak a décidé de se rendre avec sa famille à Drvar (dans la Fédération) parce que ses parents y vivent aujourd'hui (bien qu'il ne s'agisse pas de la ville où ils habitaient avant le conflit). Drvar est actuellement sous administration bosno-croate, mais, avant la guerre, sa population était composée de plus de 90% de Serbes de Bosnie, qui sont maintenant parmi ceux qui clament le plus fort leur désir de rentrer. À Drvar, les autorités bosno-croates ont informé Nenad Vrljicak qu'il allait être autorisé à s'installer dans une maison qui servait, avant le conflit, de logement à des ouvriers d'une usine locale, en majorité bosno-serbes. Cette maison a été vidée de son contenu par des pillards, et NenadVrljicak est gêné d'avoir à piller à son tour d'autres logements pour la rendre habitable pour sa famille.

Mécontent de cette situation, NenadVrljicak a déclaré à Amnesty International qu'il avait l'impression d'avoir été trompé par les autorités allemandes et bosniaques: «J'ai assisté à des séminaires et à des réunions d'information en Allemagne et je voulais, en ma qualité d'électricien, reconstruire mon pays. J'ai cru ce qu'ils m'ont dit, mais maintenant j'ai découvert que ce n'était pas vrai.» Ainsi, on aurait promis à NenadVrljicak qu'il pourrait bénéficier de différentes aides en cas de besoin. Cet homme a aussi fait référence à plusieurs reprises à une brochure intitulée Povratak kuci (Rentrer chez soi) publiée par la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Il s'agit d'un guide pour les réfugiés destiné à les aider à décider en connaissance de cause de retourner ou non dans leur pays. «Jusqu'à présent, cette brochure est la seule aide que nous ayons reçue», a affirmé Nenad Vrljicak. Or, bien qu'elle consacre quatre pages aux problèmes de propriété-expliquant brièvement la procédure à suivre pour obtenir l'accès à une maison occupée par d'autres-, et quatre pages à la protection des droits humains-dans lesquelles il est précisé que la plupart des problèmes portent sur des questions de propriété-, cette brochure ne donne aucune indication sur l'étendue du problème du logement. La Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a maintenant l'intention de publier une Feuille d'informations sur les mouvements de population, qui est destinée à compléter la brochure Rentrer chez soi et donnera aux réfugiés bosniaques des informations sur les conditions auxquelles ils seront probablement confrontés s'ils décident de rentrer.

Nenad Brljicak est retourné en Bosnie-Herzégovine parce qu'il n'avait pas d'autre solution, la protection temporaire qui lui avait été accordée ayant pris fin. Toutefois, il espérait également que les conditions en Bosnie-Herzégovine lui permettraient de regagner son foyer et de participer à la reconstruction de son pays. Or il n'a pas pu se réinstaller dans la maison qu'il habitait avant la guerre, non seulement parce qu'il craignait pour la sécurité physique de sa famille, mais aussi parce qu'une autre famille déplacée y vivait. Il a choisi la solution la plus pratique qui s'offrait à lui, en se rendant dans une région où les autorités feraient preuve de bienveillance à son égard et lui fourniraient un logement dans un environnement sûr pour lui et pour sa famille. Cependant, en s'installant dans la maison d'un autre, il empêche ce dernier de rentrer chez lui. L'histoire de Nenad Vrljicak n'a rien d'atypique. La situation individuelle de la famille Vrljicak illustre un problème plus vaste: tant que ceux qui ont été forcés de fuir ne pourront pas revenir, s'ils le souhaitent, dans leur communauté d'origine, la composition multi-ethnique du pays ne sera pas rétablie et les victimes n'obtiendront pas réparation pour les atteintes aux droits fondamentaux qui avaient été à l'origine de leur fuite. À long terme, ne pas assurer le retour des réfugiés et des personnes déplacées dans leur communauté d'origine pourrait contribuer à déstabiliser le pays et ouvrir la voie à de nouvelles violations des droits humains.

II   .Aucune possibilité de retour pour le moment: la pénurie de logements, cause et conséquence du blocage

En raison de l'ampleur des destructions d'habitations en Bosnie-Herzégovine, ainsi que des besoins de logement des quelque 40000 à 50000 réfugiés serbes de Croatie qui vivent en Republika Srpska, les personnes déplacées et les réfugiés qui ne sont pas encore rentrés-plus d'un million-ont peu de chance de trouver leurs maisons vides, attendant leur retour. En effet, la plupart des logements habitables de Bosnie-Herzégovine sont occupés, soit par ceux qui y vivaient avant la guerre, soit par des personnes déplacées ou (en Republika Srpska) par des réfugiés serbes de Croatie.

Il est révélateur de comparer le nombre de personnes déplacées rentrées chez elles à celui des réfugiés revenus dans leur pays. Selon le HCR, environ 55000 personnes déplacées ont regagné leurs foyers en 1997-soit trois fois moins que les 165000 qui l'avaient fait en 1996[6] Par contraste, le nombre de réfugiés rentrés en Bosnie-Herzégovine a augmenté en 1997 (110000 personnes) par rapport à 1996 (88000). Toutefois, comme le montrent de nombreux exemples donnés dans le présent document, rapatriement ne signifie pas nécessairement retour dans sa communauté d'avant-guerre. En effet, bien que la plupart des candidats au retour souhaitent retourner vivre dans la maison où ils habitaient avant le conflit (cf.plus bas), plus de la moitié de ceux qui sont rentrés en 1997 se sont relogés c'est-à-dire qu'ils se sont installés ailleurs que dans leur région ou leur foyer d'avant-guerre. Dans leur grande majorité, ils ont choisi de vivre dans une zone maintenant administrée par des autorités de leur nationalité. Selon le HCR, 70% des gens qui sont revenus en Bosnie-Herzégovine au cours du second semestre de 1997 se sont ainsi installés ailleurs que dans leur domicile d'avant le conflit.

En fait, le nombre d'individus-réfugiés et personnes déplacées confondus- qui sont retournés dans des régions où leur nationalité est maintenant minoritaire est très faible (environ 35000) et les statistiques les concernant sont peu fiables. Près de deux tiers de ces 35000 personnes ont regagné la zone de Sarajevo, tandis que seuls quelque 1200 Musulmans ou Bosno-Croates sont retournés dans la région aujourd'hui appelée Republika Srpska[7] Cependant, même ces chiffres sont difficiles à vérifier, car ils reposent sur des registres municipaux tenus de manière peu systématique et incohérente ou sur les indications que les candidats au retour ont données à propos de leur destination souhaitée. Il est probable que, parmi ces 35000 personnes, beaucoup ont effectivement visité leurs maisons d'avant la guerre, mais n'y sont pas nécessairement restées[8]

Une étude commandée par la Commission pour les demandes de restitution des biens immobiliers des réfugiés et des personnes déplacées (Commission sur les biens immobiliers) et le HCR a identifié trois types de relogement. Le premier, dénommé relogement librement consenti, se fait avec le consentement des deux parties, c'est-à-dire l'individu qui s'installe dans une nouvelle propriété et le propriétaire d'origine de ce logement. Il implique une décision réellement volontaire des deux parties, respectant les droits de propriété de toutes les personnes concernées et reposant sur des transactions légales. À l'inverse, on parle de relogement passif lorsque le déplacement d'individus devient une condition permanente de fait mais n'est pas fondé sur le libre arbitre, même si les individus concernés se résignent à rester dans ce nouveau logement. Enfin, le relogement hostile consiste à placer délibérément des groupes de personnes dans des logements appartenant à d'autres groupes ethniques pour garantir le contrôle d'un territoire et empêcher le retour des minorités[9] Le relogement librement consenti est une solution durable, tandis que le deux autres types de relogement impliquent une situation non résolue.

La distinction entre relogement passif et relogement hostile n'est pas toujours très nette ni pertinente. En effet, lorsque les autorités tentent d'empêcher le retour d'autres groupes ethniques par le biais de relogements hostiles, les individus concernés n'ont souvent aucun intérêt direct à vivre dans la maison d'un autre-ils n'ont simplement pas d'autre endroit où aller. De leur point de vue, il s'agit donc d'un relogement passif. C'est notamment le cas de la famille Vrljicak, famille bosno-croate dont l'exemple est donné plus haut dans le présent document, qui est allée s'installer à Drvar (dans la Fédération) parce qu'elle avait reçu des menaces lors d'une visite à Breza (dans la Fédération), localité où elle habitait avant la guerre. Toutefois, on sait que les autorités bosno-croates de Drvar ont procédé à des relogements hostiles. Par exemple, elles ont publié des tracts exhortant les Croates de Bosnie à aller s'installer à Drvar et dans d'autres villes qui avaient été prises par les forces armées bosno-croates ou croates à la fin de la guerre[10] De même, une famille bosno-croate originaire de Kakanj (dans la Fédération), avec laquelle Amnesty International s'est entretenue en novembre 1996, a déclaré qu'elle vivait dans un camp de réfugiés en Croatie lorsque, fin 1995, elle avait été emmenée en car contre son gré à Drvar, où elle avait reçu l'ordre de choisir une maison.

La plupart des personnes déplacées qui logent dans une maison privée et avec qui Amnesty International s'est entretenue disent se sentir mal à l'aise de vivre dans la maison d'un autre. Elles craignent le retour des gens qui y habitaient avant la guerre, car cela signifierait inévitablement pour elles un nouveau déplacement. Les dix membres de la famille Plavetic sont des Musulmans originaires de Gajevi, village situé près de Prnjavor (en Republika Srpska). Ils ont été expulsés de chez eux en août 1995, après l'arrivée dans la région d'importants flux de réfugiés serbes de Croatie et de personnes déplacées bosno-serbes. «Ils nous ont d'abord informé par écrit que les Musulmans et les Croates devaient quitter la région immédiatement. Puis nos voisins sont venus nous prévenir que nous devions partir, car ils disaient que s'ils essayaient de nous aider, ils seraient tués eux aussi. Nous avons été jetés dans des cars comme des sacs de pommes de terre et conduits hors de la région sous escorte militaire.» Les membres de la famille Plavetic ont des sentiments contraires quant à un éventuel retour à Gajevi. Azmina Plavetic, dont le mari servait dans l'Armija Bosne i Hercegovine (ABH, Armée de Bosnie et d'Herzégovine) et a été tué pendant le conflit, ne peut imaginer vivre avec des Serbes de Bosnie. Par contre, sa belle-mère, Ferida Plavetic, affirme qu'elle pourrait envisager de regagner sa maison près de Prnjavor, mais seulement à condition que les Musulmans soient traités en hommes libres et en citoyens à part entière de la Republika Srpska.

En mars 1997, la majeure partie de la famille Plavetic a quitté le centre collectif où elle vivait en Croatie pour s'installer à Sanski Most (dans la Fédération). La maison et les dépendances où elle vit actuellement appartiennent à une famille de Bosno-Serbes, la famille Vokic, qui est elle-même déplacée et vit à Banja Luka (en Republika Srpska). Cette famille aimerait bien revenir à Sanski Most, mais la peur la retient actuellement de le faire. Ferida Plavetic a déclaré à Amnesty International qu'elle n'avait rien contre la famille Vokic qui souhaitait se réinstaller dans son foyer. «Je ne veux rien d'autre que ce qui m'appartient. S'ils viennent et qu'ils nous traitent normalement comme des êtres humains, je les accueillerai volontiers. Mais s'ils veulent se réinstaller ici, il faudra que quelqu'un nous trouve un endroit où aller.»

Même lorsque les autorités ne s'opposent pas activement au retour des minorités, le relogement passif d'un important nombre de personnes dans une communauté peut finir par empêcher ces retours. C'est le cas à SanskiMost (dans la Fédération) où, par exemple, la famille Plavetic (cf.plus haut) vit dans une maison appartenant à une famille bosno-serbe, la famille Vokic, elle-même déplacée et désireuse de rentrer chez elle, mais qui a peur de le faire. Avant la guerre, Sanski Most comptait environ 60000 habitants, dont 46% de Musulmans et environ 42% de Bosno-Serbes. Les autorités locales ont invité ouvertement les réfugiés et les personnes déplacées qui n'habitaient pas à Sanski Most avant le conflit à venir s'y installer, sans tenir compte du fait que la région avait changé de mains plusieurs fois pendant la guerre et qu'une grande partie des logements y avaient été détruits. En décembre 1997, la population était estimée à quelque 45000 personnes, presque toutes musulmanes. Selon le HCR, en 1996 et en 1997, 13,3% des réfugiés rentrés en Bosnie-Herzégovine sont allés habiter à Sanski Most, faisant de cette ville la destination la plus prisée des Musulmans. En décembre 1997, la population de Sanski Most était évaluée à 45000 habitants, dont seuls quelques milliers n'étaient pas musulmans. Lorsqu'elle s'est rendue au bureau municipal chargé d'attribuer les logements en octobre 1997, la délégation d'Amnesty International a rencontré un certain nombre de Musulmans frustrés qui étaient venus s'installer à Sanski Most, mais ne trouvaient pas de solution à leurs problèmes de logement car aucune habitation n'était disponible. Par conséquent, même si les membres de la famille Vokic avaient le sentiment que les conditions de sécurité sont suffisantes pour leur permettre de rentrer dans leur foyer, ils ne trouveraient, en tant que Serbes de Bosnie, aucun endroit où se loger à Sanski Most. En effet, leur maison est occupée et il est très peu probable qu'eux-mêmes ou la famille Plavetic qui y vit actuellement puissent obtenir un autre logement.

La position de la communauté internationale sur les relogements a été clairement exprimée par Mme SadakoOgata, Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés. Celle-ci a déclaré que le HCR s'opposait fermement aux relogements contraints ou résultant de manipulations politiques et insistait sur le fait que tout relogement devait se faire volontairement, soit dans une habitation neuve, soit dans une habitation existante, dans le respect total des droits de propriété existants[11] Le Conseil de mise en œuvre de la paix trouve inacceptable qu'en raison d'une obstruction permanente un grand nombre d'anciens réfugiés et personnes déplacées soient relogés contre leur gré dans des lieux autres que ceux où ils vivaient avant le conflit. Or le retour de chacun dans son foyer est un élément essentiel du processus de paix[12] Le Groupe de travail pour le retour et la reconstruction (GTRR), composé d'organismes internationaux gouvernementaux et non gouvernementaux, a déclaré qu'il était indispensable de ne pas laisser les relogements compromettre le retour des minorités. Par ailleurs, il estime que l'installation dans des logements neufs n'est acceptable que pour répondre aux mouvements secondaires de personnes déplacées, en cas de nécessité due au retour des habitants d'origine dans des maisons occupées[13] L'Union européenne a déclaré au Groupe de travail sur les questions humanitaires du Conseil de mise en œuvre de la paix qu'elle «[souscrivait] à la position du HCR que la réinstallation peut être soutenue à condition qu'elle soit strictement volontaire»[14]

Actuellement, le fait que les deux entités de Bosnie-Herzégovine aient une législation inadaptée ou incomplète en matière de propriété, ainsi que l'absence d'autres mécanismes légaux (cf.plus bas), signifient que les relogements réellement volontaires se font de manière purement informelle, par l'intermédiaire d'agents privés ou dans le cadre d'arrangements entre particuliers. Ces transactions sont inévitablement soumises à des manipulations. Si la communauté internationale a confirmé l'existence de tels échanges de biens immobiliers, elle a relevé, par le biais du Groupe de travail pour le retour et la reconstruction (GTRR), qu'il ne serait ni souhaitable ni pratique pour elle de s'en occuper, au moins en 1998. Le GTRR précise également que les échanges et les ventes de biens immobiliers qui résultent de déplacements forcés resteront cependant problématiques tant que le respect total de l'Accord de paix-qui garantit la liberté de mouvement et une réelle liberté de disposer de ses biens sans les contraintes actuelles- n'aura pas permis l'établissement d'un véritable marché immobilier réellement libre[15] En d'autres termes, le GTRR estime que la décision de vendre ou d'échanger des biens immobiliers n'est pas vraiment librement consentie si elle est prise lorsque le propriétaire n'a pas la possibilité de retourner dans sa maison d'avant-guerre.

Dans la région de Tuzla-Podrinje, la crise du logement est si aiguë que le HCR envisage l'ouverture de nouveaux centres collectifs pour les réfugiés ou l'agrandissement des centres existants en 1998. Cette extension n'est pas seulement due au retour des réfugiés de l'étranger, mais aussi à l'expiration des contrats signés avec des propriétaires privés ayant accepté de loger des personnes déplacées pendant deux ans et demi. Or nombre de ces contrats avaient été signés en juillet 1995, à la suite de l'expulsion de dizaines de milliers de Musulmans de Srebrenica (en Republika Srpska). Les autorités municipales vont devoir reloger plus de 3400 personnes du fait de l'expiration de ces contrats. Dans le village de Lipnica, près de Tuzla (dans la Fédération), une école primaire abrite maintenant des personnes déplacées, pour la plupart originaires de Srebrenica. En novembre 1997, la municipalité estimait qu'en raison de l'expiration des contrats privés de logement l'école primaire de Lipnica risquait de nouveau d'être "complète" avec environ 400 occupants. Toutefois, les personnes déplacées qui vivent dans ce type de centres, pour certaines depuis six ans, ne sont pas disposées à partager l'espace souvent déjà très réduit dont elles disposent. Le personnel international qui travaille avec elles s'attend donc à voir apparaître des tensions.

Kada Mihanovic, âgée de quatre-vingt-cinq ans, est originaire du village de Poznanovici (en Republika Srpska), situé à proximité de Srebrenica. Elle avait été déplacée dans la région avant d'en être expulsée en 1995. Elle raconte que 22 membres de sa famille (au sens large du terme) sont soit morts pendant le conflit, soit portés manquants. Kada Mihanovic, sa belle-fille et trois de ses petits-enfants ont été logés dans une maison privée de Tuzla jusqu'au 15 mars 1997, date d'expiration du contrat avec le propriétaire de ce logement. Depuis, ils vivent dans l'école de Lipnica, partageant avec 10 autres personnes une ancienne salle de classe enfumée par le poêle à bois de fortune qui sert à la fois de chauffage et de cuisinière. KadaMihanovic et sa famille s'étaient vu attribuer une maison spécialement construite pour les personnes déplacées à Kalesija (dans la Fédération), mais, à leur arrivée, ils avaient constaté que d'autres personnes déplacées originaires de Srebrenica, qui vivaient dans la région, s'étaient introduites dans les maisons presque achevées. Or les autorités ont refusé de déloger les squatters. Après son retour au centre collectif, la vieille femme a déclaré à Amnesty International qu'elle aimerait rentrer chez elle: «Maintenant, je ne veux plus aller que dans un logement dont je puisse dire qu'il m'appartient, car alors personne n'aura le droit de m'en chasser».

La construction de logements neufs a des conséquences évidentes sur le relogement. Afin que l'aide internationale à la construction de nouvelles habitations mette bien l'accent sur le caractère volontaire du relogement, le GTRR a été chargé d'élaborer un code de conduite pour la construction de nouveaux logements. Il contribuera également à la coordination des dons internationaux destinés à financer la reconstruction. En outre, il veillera, avec d'autres, à ce que la construction de nouveaux logements favorise plus particulièrement le retour des minorités, par exemple en soutenant prioritairement les constructions dans des régions acceptant de mettre en place des projets de retour de ces minorités.

Certaines habitations vont être construites pour tenter de résoudre l'impasse actuelle en matière de logement. Appelés "logements relais", des bâtiments neufs et provisoires vont être bâtis pour les personnes qui reviennent dans leur région d'origine, mais qui ne peuvent pas se réinstaller immédiatement dans leurs foyers parce qu'ils sont endommagés ou occupés par d'autres gens. Dans certains cas, les "logements relais" seront utilisés pour les personnes déplacées qui ont été délogées à la suite du rapatriement ou du retour du propriétaire ou de l'occupant légitime de la maison où elles vivaient. Le logement dans les bâtiments provisoires est prévu pour durer de deux à six mois, période durant laquelle les autorités devront trouver une solution plus durable.

Toutefois, même avec les meilleures intentions, l'attribution de logements peut être sujette à des manipulations ou à des abus. Les "logements relais" répondront peut-être temporairement aux besoins de certains. Cependant, les problèmes liés au logement constituant la majorité des affaires traitées à la fois par les médiateurs de la Fédération et le médiateur de Bosnie-Herzégovine-y compris la non-application des décisions officielles (cf.plus bas)-, les risques de manipulation restent élevés.

Les facteurs qui sous-tendent le relogement passif et le relogement hostile

La plupart des personnes déplacées avec lesquelles les délégués d'Amnesty International en Bosnie-Herzégovine se sont entretenus en octobre et en novembre 1997 veulent retourner dans leurs foyers. Toutefois, beaucoup d'entre elles ont posé des conditions préalables à leur retour, conditions qui se résument au respect de leurs droits fondamentaux: sécurité de leur personne, possibilité d'affirmer librement leur appartenance nationale ou leurs croyances religieuses, égalité face à l'emploi et à d'autres droits, possibilité pour leurs enfants de recevoir une éducation adéquate.

La violence et la peur qu'elle engendre

L'expérience du nombre relativement faible de personnes qui sont retournées dans leurs foyers montre que la crainte concernant l'insécurité est réellement justifiée. En effet, parmi les quelques Musulmans et Croates de Bosnie qui sont rentrés en Republika Srpska, ainsi que les rares individus qui sont restés dans la région tout au long du conflit et qui appartiennent maintenant à la minorité, beaucoup n'osent même pas s'appeler par leur nom dans la rue. Ayant peu de chances d'obtenir un emploi ou de participer d'une quelconque manière à la société civile, ils vivent cachés, se dissimulant aux autorités et à toute autre personne dont ils craignent les attaques. Certains de ces individus, ainsi que des membres de minorités ayant regagné leurs foyers dans la Fédération, ont déclaré à Amnesty International qu'elles n'avaient pas peur de leur anciens voisins, mais plutôt des personnes déplacées provenant d'autres régions et installées dans leur communauté d'origine, ainsi que des personnalités militaires ou civiles responsables de leur fuite pendant la guerre, et qui restent en liberté, parfois à des postes importants.

Un certain nombre de personnes déplacées qui ne peuvent pas encore retourner dans leurs foyers ont canalisé leur frustration dans des groupes de pression tels que la Coalition pour le retour. Il s'agit d'un groupe multi-ethnique qui milite pour l'instauration d'un climat et de conditions favorables au retour et qui reconnaît le principe selon lequel chacun doit avoir la possibilité de regagner son foyer. Cependant, en 1997, la plupart des agressions commises contre des membres de minorités ont été le fait d'autres personnes déplacées. Ces attaques ont toutefois rarement donné lieu à des enquêtes approfondies débouchant sur la traduction en justice de leurs auteurs.

Dans de nombreux cas, les agressions ont été simplement provoquées par la présence de quelqu'un qui venait en visite dans sa région d'origine ou qui exprimait le désir de revenir. Ainsi, en mars 1997, un groupe de personnes déplacées originaires de Srebrenica (en Republika Srpska) a attaqué un couple serbe âgé qui tentait de se rendre dans un cimetière orthodoxe serbe situé près de Visoko (dans la Fédération). Extirpant de force le couple de sa voiture, le groupe l'a frappé à coups de bâton et de pierres; l'homme, âgé de quatre-vingts ans, est décédé cinq jours plus tard à l'hôpital des suites de ses blessures. Bien que des plaintes aient été déposées contre 15 suspects, personne n'a été arrêté. En outre, les auditions devant le juge d'instruction ont été marquées par des retards et des irrégularités. Par exemple, certains interrogatoires ont dû être reportés parce que les suspects ne se sont pas présentés devant le tribunal.

Dans d'autres régions, des réfugiés et des personnes déplacées ont aussi été tués après leur retour. Ainsi, le 30 novembre 1997, un Musulman de vingt-sept ans a été abattu alors qu'il réparait sa maison à Rakovo Noga (dans la Fédération), village situé près de ligne de démarcation entre les entités, à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Sarajevo. L'enquête a conclu que le suspect était probablement entré sur le territoire de la Fédération depuis la Republika Srpska, mais elle n'a pas beaucoup avancé en raison du manque de coopération entre les forces de police des deux entités. D'autres homicides non élucidés de Bosno-Croates revenus chez eux ont eu lieu à Travnik (dans la Fédération). L'un de ces Bosno-Croates est mort des suites des blessures reçues au cours d'une altercation l'ayant opposé, ainsi qu'un autre Bosno-Croate, à deux Musulmans. Le suspect soupçonné d'avoir porté les coups mortels aurait été relâché par la police sans explication moins d'une journée plus tard.

Stolac (dans la Fédération), ville contrôlée par les Croates de Bosnie, est une zone particulièrement difficile dans laquelle plusieurs attaques ont été commises pour décourager les retours. Bien que 100 familles musulmanes aient accepté de participer à un projet pilote qui a débuté en 1996, seules 76 d'entre elles avaient pu regagner cette ville en janvier1998. Parmi les informations plus récentes faisant état de violences commises à Stolac figurent des articles de presse, confirmés par les Nations unies, concernant l'agression de trois femmes musulmanes en visite dans la ville le 17 janvier 1998. Deux d'entre elles ont été attaquées par deux hommes, dont un armé d'un pistolet, tandis qu'elles tentaient de se rendre dans une maison où l'une d'elles vivait avant le conflit. La troisième a été agressée par trois hommes alors qu'elle rendait visite à un ami. Une autre femme aurait été blessée le 21 janvier 1998 lorsqu'un car transportant des Musulmans souhaitant se rendre sur les lieux où ils vivaient avant la guerre a été attaqué à coups de pierres dans le village de Prenj, près de Stolac. Le 30 janvier 1998, une explosion a endommagé la maison d'un Musulman qui était revenu s'installer dans la région et qui était sorti, ce jour-là, pour célébrer la fête religieuse musulmane de Bajram. Cette habitation avait aussi été la cible d'incendies criminels avant même d'avoir été totalement reconstruite. La police locale a ouvert des enquêtes sur ces affaires, mais, jusqu'à présent, aucun responsable n'a été identifié.

Dans certaines régions, les retours sont tolérés tant qu'il paraît s'agir de cas isolés, mais ne sont plus acceptés quand la quantité de candidats au retour atteint un nombre critique qui menace de modifier l'équilibre ethnique de l'ensemble de la communauté, voire même d'une partie de celle-ci. Ce refus a tendance à dégénérer en violences, comme à Jajce (dans la Fédération), début août 1997, lorsque plusieurs centaines de Musulmans ont été expulsés de force de leurs villages et qu'un Musulman revenu dans un autre village de la région a été abattu. Bien que le chef de la police et son adjoint aient été démis de leurs fonctions pour leur réaction inadaptée et, parfois, délibérément négligente face aux violences qui ont entraîné les expulsions, personne n'a été traduit en justice pour le meurtre commis. Par ailleurs, même si les Musulmans expulsés des villages des environs de Jajce ont pu, de nouveau, regagner leurs foyers, certains y ont trouvé des mines déposées en leur absence. Lors de leur entretien avec Amnesty International en novembre 1997, certains de ces villageois ont affirmé qu'ils ne faisaient toujours pas confiance aux autorités locales, qu'ils avaient encore peur de se rendre dans la ville de Jajce et que seules les patrouilles conjointes de la police croato-musulmane, ainsi que la présence de la Force de police internationale (IPTF) des Nations unies et de la Force de stabilisation (SFOR), les rassuraient.

En 1997, à leur retour de Suisse où ils s'étaient réfugiés, Adem et SadetaTrtak, Musulmans retraités, sont retournés dans la ville de Jajce. Bien qu'ils soient reconnaissants à la Suisse de les avoir aidés, ils ont déclaré à Amnesty International que s'ils étaient rentrés dans leur pays c'était uniquement parce qu'ils craignaient de ne pas avoir suffisamment d'argent pour réparer leur maison s'ils attendaient. En effet, les autorités suisses leur avaient dit que leur protection pouvait être prolongée jusqu'en 1998, mais qu'ils ne recevraient une aide financière pour reconstruire leur maison que s'ils acceptaient d'être rapatriés en 1997. Avant la guerre, le couple habitait dans un logement social, aujourd'hui occupé par des Bosno-Croates déplacés. Les deux retraités vivent actuellement dans l'appartement de leur fille et de sa famille, qui sont aujourd'hui réfugiés en Suisse et qui, selon le plan de rapatriement de ce pays, devront rentrer en Bosnie-Herzégovine en avril1998. Après son retour, Adem Trtak a souvent été harcelé. Il raconte que, pendant les manifestations ayant entraîné les expulsions des villages proches de Jajce en août 1997, il s'est barricadé dans l'appartement alors qu'un groupe de jeunes hommes criait «les Turcs dehors» sous sa fenêtre. Il décrit cette nuit-là comme l'une des pires de sa vie et explique qu'il a fait les cent pas toute la nuit, prêt à se défendre avec une hache si nécessaire. Bien qu'il ait affirmé à Amnesty International se sentir maintenant en sécurité, Adem Trtak a avoué qu'il évitait toujours de sortir de l'appartement, en particulier la nuit, et qu'en aucun cas il ne se rendrait dans son ancien appartement, par crainte des Bosno-Croates déplacés qui y vivent. Adem Trtak garde toujours une hache à côté de sa porte d'entrée. Il dit qu'il espère que la communauté internationale restera le plus longtemps possible et qu'il se sent rassuré lorsqu'il entend les hélicoptères de la SFOR survoler la ville, car, pour lui, c'est grâce à eux qu'il est en sécurité.

Dans les villages situés près de Drvar (dans la Fédération), comme dans d'autres régions, les retours isolés de membres des minorités ont été tolérés, tandis que les retours en plus grand nombre se sont heurtés à une violente résistance. Ainsi, début octobre 1997, 50 à 60 hommes bosno-croates se sont installés dans le village de Martin-Brod, près de Drvar (dans la Fédération), peu avant le retour prévu de 15 familles bosno-serbes dans leurs foyers. Certains de ces hommes avaient reçu une autorisation de résidence temporaire datée du 6 octobre, soit la veille du retour des Bosno-Serbes. Le 7 octobre, quelque 27 Bosno-Serbes sont effectivement revenus dans le village mais, en présence d'un responsable local, les Bosno-Croates ont commencé à mettre à sac les maisons des Bosno-Serbes, jetant leurs affaires dans la rue. Une femme âgée de quatre-vingts ans a été menacée de viol par un des hommes. Pour prévenir la violence contre les Bosno-Serbes, la SFOR a bouclé le village et des représentants d'organisations internationales sont intervenus auprès des autorités locales. La situation s'est finalement arrangée lorsque la police musulmane du canton voisin a commencé à patrouiller dans le village et que la plupart des Bosno-Croates l'ont quitté.

Destruction délibérée de logements

Dans certaines régions, les maisons de personnes s'étant réinstallées chez elles ou de candidats au retour sont délibérément détruites pour empêcher que des personnes appartenant aujourd'hui aux minorités ne reviennent. On a beaucoup parlé de la destruction d'habitations appartenant à des Bosno-Serbes dans les villages proches de Drvar (dans la Fédération) les 2 et 3 mai 1997. Ces deux jours-là, 25 maisons ont été délibérément brûlées et au moins le double préparées à être incendiées. Au cours de l'année 1997, dans d'autres parties du pays, la destruction d'une ou de plusieurs habitations d'une région a aussi fait clairement comprendre à ceux qui envisageaient de rentrer chez eux que leurs efforts de reconstruction pouvaient être réduits à néant par un seul acte de violence. Selon l'OSCE, le 3 novembre 1997, cinq maisons en cours de reconstruction appartenant à des Musulmans ont été saccagées dans le faubourg de Dizdarusa, à Brcko, qui est sous administration internationale mais où vivent aujourd'hui principalement des Serbes de Bosnie. Plusieurs autres maisons auraient été endommagées le 7 novembre et une autre maison appartenant à des Musulmans aurait été détruite par une explosion le 14 novembre. Par ailleurs, le 16 août, trois habitations de Bosno-Croates ont aussi été délibérément détruites par des mines antichars et un lance-roquettes dans le village de Lug, près de Bugojno (dans la Fédération). Bien que trois suspects aperçus sur les lieux aient été arrêtés, ils ont été relâchés vingt jours plus tard. Les organisations internationales ont contesté les arguments des autorités selon lesquels les preuves étaient insuffisantes pour poursuivre ces suspects, en faisant remarquer qu'un grand nombre d'éléments de preuve étaient disponibles au sujet de ces destructions.

La présence de criminels de guerre jouissant d'une impunité totale

Les réfugiés et les personnes déplacées qui envisagent de regagner leur communauté d'origine ont peur des responsables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité qui sont toujours en liberté dans cette communauté, y détenant parfois un certain pouvoir. Amnesty International appelle depuis longtemps la SFOR à respecter son obligation de rechercher et d'arrêter les individus inculpés par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (le Tribunal). Elle relève que le fait qu'ils soient toujours en liberté et occupent des postes importants compromet le processus de paix et retarde la possibilité, pour les réfugiés et les personnes déplacées, de rentrer dans leurs foyers[16] Prijedor (en Republika Srpska), l'une des zones où la résistance à la mise en œuvre de l'Accord de paix était particulièrement forte, est maintenant l'une des régions cibles pour un retour négocié des minorités en 1998 (elle fait partie d'un "groupe de zones", cf.plus bas). Or un représentant de la SFOR a déclaré à un délégué d'Amnesty International que, pour ce qui est de la volonté des autorités de coopérer avec la communauté internationale, la situation s'était "dégelée" à Prijedor après juillet 1997, lorsque la SFOR avait arrêté un des suspects inculpés par le Tribunal et en avait abattu un autre en tentant de l'arrêter. Suite à cet épisode, beaucoup d'autres suspects publiquement inculpés qui vivaient au grand jour dans la zone de Prijedor, ainsi que d'autres dirigeants locaux ayant exercé un pouvoir pendant la guerre, ont disparu de la vie publique.

La majorité des suspects publiquement inculpés qui sont toujours en liberté sont des Serbes de Bosnie, qui refusent de reconnaître l'autorité du Tribunal. Bien qu'il y ait peu de chances qu'aucun d'entre eux ne comparaisse devant le Tribunal si la communauté internationale ne respecte pas son obligation de les appréhender, la SFOR continue de défendre son attitude passive. Elle a en effet déclaré à plusieurs reprises que ses soldats ne procéderaient à des arrestations que s'ils rencontraient les inculpés au cours de leurs activités habituelles. En fait, selon de récents articles de presse, en juillet 1997, la SFOR aurait même donné l'ordre à ses hommes de ne pas arrêter un Croate de Bosnie qui lui avait déjà fait savoir qu'il souhaitait se rendre volontairement; elle aurait aussi refusé d'escorter un responsable du Tribunal qui voulait procéder lui-même à cette arrestation[17]

Les mines terrestres

La sécurité est également menacée par la présence de mines terrestres. Si les mines et autres objets piégés placés délibérément pour empêcher le retour des personnes déplacées et des réfugiés ne représentent qu'une menace occasionnelle (cf.plus haut), les champs de mines hérités de la guerre constituent un problème permanent et considérable. Selon les estimations du Centre d'action antimines des Nations unies, la Bosnie-Herzégovine compte environ 750000 mines réparties dans quelque 30000 zones minées, dont la plupart ne sont toujours pas balisées et continuent donc à faire peser leur menace sur les civils[18] Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) estime que le nombre d'accidents dus aux mines est de 30 à 35 par mois en Bosnie-Herzégovine. Les personnes les plus touchées sont les hommes qui travaillent aux champs. Le CICR craint que les mines ne fassent un nombre croissant de victimes et que parmi celles-ci figurent davantage d'anciens réfugiés ou de personnes déplacées, qui sont moins bien informés que les autres habitants de l'emplacement des champs de mines et qui ne sont pas conscients du danger que ceux-ci représentent[19]

Obstacles administratifs et pratiques

En matière d'obstacles administratifs et pratiques au retour des minorités, il est difficile de différencier les cas où les autorités n'ont tout simplement pas les moyens d'accueillir des gens dans leur municipalité de ceux où elles utilisent des obstacles administratifs pour empêcher de manière délibérée le retour des gens dans leur communauté d'origine.

Pour une large part, la crise du logement résulte d'une législation relative aux biens immobiliers qui empêche les anciens propriétaires de reprendre possession des maisons qu'ils occupaient avant la guerre. Malgré les pressions exercées pendant deux ans par la communauté internationale, les autorités de Bosnie-Herzégovine n'ont pas fait grand chose pour modifier cette législation. Dans la Fédération, les autorités ont trahi à plusieurs reprises leurs engagements d'adopter de nouvelles lois ou de réviser les anciennes afin de les rendre conformes aux propositions du Haut Représentant, fondées sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et ses protocoles, ainsi que sur l'Accord de paix. En Republika Srpska, il est quasiment impossible, vu les conditions exigées, de reprendre possession d'un bien qui a été déclaré abandonné, et les autorités de cette entité ont ignoré les demandes répétées de la communauté internationale pour qu'une nouvelle législation soit adoptée. Tout récemment, la communauté internationale a exhorté les autorités de la Republika Srpska à faire de la législation relative aux biens immobiliers une priorité pour le Parlement nouvellement élu.

Si les autorités ne se plient pas aux exigences d'adopter une nouvelle législation, le Haut Représentant pourrait recourir aux pouvoirs qui lui ont été conférés lors de la réunion du Conseil de mise en œuvre de la paix de décembre 1997 et imposer une décision contraignante relative à cette législation. Toutefois, cela ne signifie pas qu'il pourra garantir sa mise en application. La grande majorité des affaires traitées à la fois par les médiateurs de la Fédération et le médiateur des droits humains de Bosnie-Herzégovine comportent des problèmes de propriété-fin janvier 1998, ce dernier avait reçu 23000 plaintes à ce sujet[20] Beaucoup de ces affaires montrent que, même lorsque des individus ont légalement le droit de reprendre possession de leurs logements, les autorités ne font rien pour faire exécuter les décisions administratives ou de justice. Les minorités nationales ne sont pas les seules touchées: des membres de nationalités majoritaires se retrouvent également sans logement parce que les autorités refusent d'expulser les occupants actuels de leurs maisons ou de faire exécuter des décisions de justice. Même des interventions à haut niveau ne garantissent pas toujours le rétablissement de ces droits. En mai 1997, le médiateur des droits humains a publié un rapport spécial relatif à la non-application des décisions judiciaires d'expulsion à Banja Luka (en Republika Srpska). En effet, dans cette ville, les autorités persistaient à ne prendre aucune mesure pour faire exécuter des décisions de justice prononcées en faveur de 21 personnes et ordonnant l'expulsion des individus qui occupaient leurs maisons illégalement. Le médiateur a conclu que le refus de la police d'aider les autorités judiciaires à procéder aux expulsions constituait une violation de la CEDH, et en particulier du droit d'obtenir réparation pour toute violation de ses droits fondamentaux, ainsi que du droit de faire appliquer les décisions de justice contraignantes et définitives. Toutefois, malgré l'intervention du médiateur, plusieurs des décisions d'expulsion n'avaient toujours pas été exécutées en février 1998.

Outre le problème de l'accès au logement, les personnes déplacées et les réfugiés se heurtent à d'autres obstacles administratifs à leur retour. Ainsi, dans de nombreuses régions, les autorités empêchent leur retour en entravant leur inscription comme résidents de la commune. Or, à beacoup d'endroits, le fait de ne pas être inscrit dans les registres municipaux limite les possibilités d'accès aux aides sociales et économiques, telles que la sécurité sociale, les retraites, l'aide humanitaire ou sociale et l'éducation. L'inscription peut être entravée par la "perte" d'un dossier ou par l'exigence d'une preuve selon laquelle l'individu concerné a bien annulé son inscription dans son dernier lieu de résidence, même si, comme c'est le cas pour de nombreux réfugiés de retour dans leur pays, cette inscription n'était pas obligatoire à cet endroit.

Parmi les autres obstacles administratifs figurent les impôts ou autres droits perçus pour le temps passé hors du pays (dénommés "impôts de guerre") et qui n'ont pas été complètement supprimés. En outre, Amnesty International relève que les autorités de la Republika Srpska n'ont toujours pas amendé les lois d'amnistie afin d'exempter de toute responsabilité pénale ceux qui ont fui ou sont restés à l'étranger pour se soustraire ou échapper au service militaire. L'Organisation fait remarquer que cette législation pourrait être utilisée pour emprisonner ceux qui ont fui la Republika Srpska du fait de leur opposition à ce service pour des raisons de conscience.

Il arrive également que l'obstacle au retour provienne d'une "double occupation", c'est-à-dire d'une situation dans laquelle des individus ou des familles occupent plus d'une unité de logement. C'est notamment le cas lorque la maison d'avant-guerre est en cours de reconstruction, mais que toute la famille ne peut pas encore venir s'y réinstaller pour des raisons telles que l'état du bâtiment, la scolarité des enfants ou l'emploi du chef de famille. Toutefois, une "double occupation" peut aussi se produire parce qu'une partie de la famille ne veut pas quitter une habitation urbaine pour regagner son foyer en zone rurale, ou parce que des gens ont profité de dispositions de réattribution des logements, décrites par le HCR comme «incohérentes et arbitraires», pour s'approprier plus d'une unité de logement[21] Les problèmes de ce dernier type sont particulièrement courants à Sarajevo où, bien que le nombre de logements soit en fait plus élevé qu'avant le conflit, les autorités affirment qu'aucune habitation n'est disponible pour les personnes qui se trouveraient déplacées par le retour des occupants d'avant-guerre dans leurs foyers[22] Néanmoins, le besoin de logements pour les quelque 840000 personnes déplacées et réfugiés de Bosnie-Herzégovine est bien réel, et il ne faut pas croire qu'il suffirait de résoudre les cas de la "double occupation" pour répondre au besoin fondamental de fournir un toit à chaque habitant du pays.

En raison de la crise du logement en Bosnie-Herzégovine, le simple fait de loger les personnes qui se trouvent actuellement dans le pays et de répondre à leurs besoins a mobilisé une grande partie des moyens dont disposent les autorités et la communauté internationale. Or l'industrie et d'autres éléments de l'infrastructure qui permettraient aux gens de subvenir eux-mêmes à leurs besoins ont été dégradés par la guerre. Selon une enquête menée par le gouvernement suisse auprès des bénéficiaires de son programme d'incitation au retour, seuls 3,2% des personnes interrogées (des réfugiés ayant quitté la Suisse pour rentrer en Bosnie-Herzégovine) avaient trouvé un emploi. De même, une étude réalisée par la Commission sur les biens immobiliers a révélé que 95% des personnes déplacées interrogées avaient déclaré qu'aucun membre de leur famille ne bénéficiait d'un emploi rémunéré.

III. Les responsabilités de la communauté internationale

Au-delà de la "sécurité": la responsabilité de continuer à promouvoir le retour des minorités en toute sécurité

Les pays qui accueillent des réfugiés originaires de Bosnie-Herzégovine ont une part de responsabilité dans le bon déroulement du retour en toute sécurité des minorités.

Sur plus de 600000 réfugiés de Bosnie-Herzégovine qui n'ont actuellement aucune solution durable ou autre[23], 43% se trouvent dans les États membres de l'Union européenne, le restant étant en Croatie, en République fédérative de Yougoslavie (avec plus de 250000 réfugiés originaires de Bosnie-Herzégovine et 300000 autres en provenance de Croatie, la RFY est le pays d'Europe qui accueille le plus grand nombre de réfugiés sans solution durable), en Ex-République yougoslave de Macédoine et en Slovénie. Le HCR estime que, parmi ces quelque 600000 réfugiés, «une écrasante majorité des candidats au retour sont originaires de zones où ils feraient partie de la population minoritaire [à leur retour]»[24]

En 1992, alors que l'exode massif de réfugiés et de personnes déplacées était à son apogée, peu de pays ont reconnu aux réfugiés de Bosnie-Herzégovine le droit de demander le statut de réfugié tel qu'il est défini dans la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés (1951), amendée par son protocole de 1967. Dans la plupart des cas, les individus qui avaient fui leur pays ont été l'objet d'une décision générale de la part des pays d'accueil, qui leur ont accordé une protection à titre uniquement temporaire. Cette protection était prévue pour durer tant que le conflit les empêcherait de rentrer chez eux ou jusqu'à ce que d'autres mesures soient prises pour réinstaller de manière permanente ceux qui avaient dû fuir. Amnesty International considère que si la protection temporaire des réfugiés de Bosnie-Herzégovine doit être levée, la décision doit être prise en se conformant strictement aux dispositions de la Convention, c'est-à-dire aux "clauses de cessation" contenues dans l'article1-C. Les normes internationales disposent que la protection ne peut prendre fin que lorsque survient un changement de circonstances d'une nature si profonde et si durable que la situation qui avait justifié l'octroi du statut de réfugié a cessé d'exister[25] Or, étant donné que la violation des droits humains que constituent les expulsions massives ne prend fin que lorsque ses victimes ont la possibilité de rentrer chez elles en toute sécurité, il apparaît clairement que la situation qui avait justifié l'octroi d'une protection internationale aux réfugiés de Bosnie-Herzégovine existe toujours.

Par ailleurs, la manière dont les pays d'accueil évaluent les possibilités, pour les réfugiés de Bosnie-Herzégovine, de retourner dans leur pays en toute sécurité et dans la dignité peut exacerber les difficultés entravant le retour des personnes déplacées dans leurs maisons d'avant-guerre. La communauté internationale est consultée périodiquement sur l'encadrement multilatéral de la mise en œuvre de l'Annexe7 de l'Accord de paix lors des réunions du Groupe de travail sur les questions humanitaires (HIWG), présidé par le HCR, dans le cadre du Conseil de mise en œuvre de la paix (celui-ci étant composé de tous les États, organisations et organismes internationaux veillant à l'application effective de l'Accord de paix). Lors de la réunion de décembre 1997 du HIWG, la communauté internationale a exprimé clairement son soutien à la proposition du HCR de faire de 1998 l'année du retour des minorités. Or, pour que ce soutien déclaré au retour des minorités soit un succès, il doit se traduire par de la patience et la poursuite de la protection des réfugiés. En effet, pour que le rapatriement des réfugiés en Bosnie-Herzégovine contribue à améliorer et non à détériorer la situation des droits humains, les pays d'accueil ne doivent pas renvoyer des personnes ne pouvant pas regagner en toute sécurité leurs maisons d'avant-guerre, ni promouvoir leur retour. La communauté internationale, qui s'est opposée à la division forcée de la Bosnie-Herzégovine en zones n'offrant des conditions de sécurité qu'à une seule nationalité, ne doit pas soutenir à présent des politiques d'exclusivité ethnique en renvoyant des réfugiés dans une région qui n'est pas la leur. La communauté internationale et les pays qui souhaitent se débarrasser des réfugiés perçus comme un fardeau feraient mieux de concentrer leurs efforts sur l'amélioration de la situation des droits fondamentaux dans les deux entités de Bosnie-Herzégovine.

En raison de la poursuite des attaques menées contre des membres des minorités, le HCR a recommandé aux pays d'accueil de prolonger, en 1998, la protection et les soins accordés aux personnes originaires de régions où leur nationalité n'est plus majoritaire:

«La nécessité d'une protection internationale continue d'être fondée sur le fait que les membres du groupe ethnique minoritaire dans une région donnée connaissent fréquemment les vexations quotidiennes et la discrimination et que les droits des minorités ne sont pas respectés. Les retours de minorités ont souvent provoqué des actes de destruction gratuite, des menaces, des voies de fait ou des expulsions violentes. Dans quelques régions, par exemple, de nouvelles mines ont été posées dans l'intention de provoquer la mort ou de blesser gravement et de faire comprendre aux minorités que leur retour n'est pas bien accueilli. Dans d'autres cas, la police locale s'est contentée d'observer et n'a rien fait pour prévenir des incidents dirigés à l'encontre des minorités ou elle a refusé d'accepter la responsabilité de garantir leur sécurité. Les autorités municipales ont également refusé d'enregistrer les retours de minorités et se sont affranchies de toute responsabilité quant aux conséquences possibles du retour. À la lumière de ce qui précède, le HCR pense que la décision des réfugiés et des personnes déplacées d'être rapatriés ou de revenir dans leurs anciennes zones d'origine où ils seraient aujourd'hui membres d'un groupe minoritaire devrait demeurer totalement volontaire.»[26]

Selon une enquête réalisée en Allemagne par le HCR et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) auprès de réfugiés originaires de Bosnie-Herzégovine, 71% des 14582 personnes interrogées souhaitaient retourner dans leurs foyers[27] D'autres études ont confirmé cette constatation, même si elles ont montré que, parmi les personnes déplacées, les Musulmans et les Bosno-Croates exprimaient un désir plus fort de rentrer chez eux que les Bosno-Serbes. Cependant, d'après une enquête menée auprès de 1545 personnes[28] par la Commission pour les demandes de restitution des biens immobiliers des réfugiés et des personnes déplacées (Commission sur les biens immobiliers), un quart des gens qui affirmaient ne pas vouloir retourner dans leurs maisons d'avant-guerre ont déclaré qu'ils changeraient d'avis et envisageraient de rentrer si leurs anciens voisins retournaient également. Par ailleurs, presque autant de gens se sont dit prêts à envisager un retour si les autorités locales assuraient leur sécurité. En fait, 93% des personnes interrogées ont précisé que la confiance envers les autorités locales constituait un critère important dans le choix de l'endroit où aller vivre[29] Globalement, la conclusion qui se dégage de ces différentes enquêtes semble être le fait que la majorité des personnes déplacées et des réfugiés restent fortement attachés à leurs foyers et souhaitent y retourner, à condition que leur sécurité soit assurée.

Les rapatriements contribuent à bloquer le relogement

Le rapatriement de réfugiés en provenance de l'étranger complique encore davantage le problème du relogement décrit plus haut. Comme nous l'avons déjà relevé, dans de nombreux cas, les réfugiés ne pouvant pas retourner dans leurs foyers à leur retour d'un pays étranger sont relogés dans des habitations appartenant à des personnes elles-mêmes déplacées ou réfugiées. Dans d'autres situations, lorsque les personnes déplacées ou les réfugiés qui sont de retour parviennent à accéder à leurs foyers et ne se heurtent pas à d'autres obstacles administratifs, leur retour provoque une réaction en chaîne sur les personnes déplacées qui vivaient chez eux. C'est particulièrement le cas lorsque ces dernières sont elles-mêmes membres de minorités ou originaires de régions maintenant dirigées par des autorités d'une autre nationalité et qu'elles ne peuvent donc pas, pour le moment, retourner chez elles en toute sécurité. Par exemple, Zahid Dujmonjic, Musulman de quarante et un ans originaire de Bosanski Samac (en Republika Srpska), a dû quitter le logement qu'il occupait temporairement dans la ville de Domaljevac, près d'Orasje (dans la Fédération), lorsque la famille bosno-croate qui en était propriétaire est revenue d'Allemagne en août 1997. Il s'est alors rendu à Bosanski Samac pour se renseigner sur les possibilités de se réinstaller dans sa maison d'avant-guerre, mais certains de ses anciens amis servant dans la police bosno-serbe l'ont prévenu qu'en tant que Musulman il n'y serait pas en sécurité. Zahid Dujmonjic a donc choisi d'aller plutôt à Tuzla (dans la Fédération), qui est essentiellement sous contrôle musulman. Toutefois, il a raconté à Amnesty International que les autorités de la ville n'avaient pas la capacité ou la volonté de lui trouver un logement et qu'elles l'avaient envoyé dans un centre de transit mis en place par le HCR. Bien que ces centres aient été créés pour héberger pendant une nuit les réfugiés rapatriés dans le cadre de mouvements organisés avant qu'ils ne partent vers leur destination finale prévue à l'avance, Zahid Dujmonjic y est resté presque six mois, n'ayant nulle part ailleurs où aller. Il aimerait toujours retourner à Bosanski Samac, mais, même s'il décidait d'en prendre le risque, il lui faudrait chasser la famille bosno-serbe originaire de Jajce (dans la Fédération) qui vit dans son ancienne maison et qui, à son tour, devrait trouver un autre endroit où s'installer.

La majorité des réfugiés qui sont rentrés en 1997 se sont installés ailleurs que dans leurs foyers. Tant que les obstacles au retour des minorités ne seront pas levés et que les conditions de sécurité seront insuffisantes, les anciens réfugiés continueront inévitablement de s'installer ailleurs que chez eux. Il est clair que la politique des pays d'accueil contribue à ces relogements involontaires. Le HCR estime que 95000 des quelque 110000 réfugiés rentrés en 1997 provenaient d'Allemagne. Les programmes de protection temporaire accordés par ce pays aux réfugiés de Bosnie-Herzégovine ont en effet pris fin (sauf pour les personnes âgées n'ayant plus de famille en Bosnie-Herzégovine mais dont des proches sont résidents permanents en Allemagne et qui peuvent donc vivre sans recourir à l'aide sociale; pour les témoins cités par le Tribunal; et pour les victimes de graves traumatismes attestés par un certificat médical). Contrairement à la position de la communauté internationale, le gouvernement allemand a estimé que le relogement involontaire constituait une solution adéquate pour les personnes qui, pour des raisons de sécurité, ne pouvaient pas retourner dans leurs maisons d'avant-guerre. En avril 1997, lors d'une réunion du Groupe de travail sur les questions humanitaires, le gouvernement allemand a déclaré:

«[Bien que le plan du HCR insiste sur le droit des réfugiés de retourner dans leur communauté d'origine] [...] cela ne signifie pas que leur séjour dans leur pays d'accueil doit être prolongé [sic] jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer dans leurs foyers. À notre avis, le fait qu'ils ne puissent pas encore le faire ne veut pas dire qu'ils ne peuvent pas du tout rentrer en Bosnie-Herzégovine. L'Allemagne considère que tous les réfugiés peuvent retourner chez eux ou se reloger dans des régions où leur groupe ethnique est majoritaire.»[30]

Lors de la réunion de décembre 1997 du Groupe de travail sur les questions humanitaires, les autorités allemandes ont confirmé leur position, tout en précisant que l'Allemagne accorderait une «attention particulière» à certaines catégories de personnes, telles que les individus non serbes originaires de Republika Srpska, les réfugiés suivant une formation et les personnes traumatisées actuellement sous traitement médical. Elles ont également déclaré que «l'Allemagne [allait] examiner chaque cas individuellement afin de déterminer si la protection du réfugié concerné devait être prolongée»[31] Bien que les 16 États fédérés (Länder) aient été laissés libres de décider comment mettre un terme à la protection temporaire, la plupart ont donné l'ordre aux réfugiés de Bosnie-Herzégovine de partir, le plus souvent tout en réduisant l'aide sociale dont ils jouissaient. Parmi les réfugiés qui ont pu prolonger la durée de leur protection, beaucoup se sont plaints d'avoir à renouveler fréquemment la "tolérance" (Duldung) dont ils bénéficient, car elle n'est chaque fois valable que quelques mois. Par ailleurs, en 1997, l'Allemagne a renvoyé de force en Bosnie-Herzégovine plus de 900 personnes, dont la majorité ont été expulsées des Länder de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Bavière, Bade-Wurtemberg et Berlin. Plus d'une centaine d'entre elles étaient originaires de régions où leur nationalité est maintenant minoritaire.

Osman et Emina Lizalo, ainsi que leur fils majeur Mehmet, sont des Musulmans originaires du village de Dubrave, près de Bosanska Gradiska (en Republika Srpska). Le 15 septembre 1997, ils ont été renvoyés de force de Kleve (Allemagne) en Bosnie-Herzégovine, bien que la date d'expiration de leur "tolérance" (Duldung) sur le territoire allemand n'ait été que le 2 octobre 1997. Voici ce qu'a raconté Osman Lizalo: «[Des policiers allemands] sont venus chez nous à 5h30; ils nous ont ordonné de rassembler nos affaires et d'être prêts à partir en vingt minutes. Nous leur avons montré nos papiers et leur avons dit que nous partirions volontairement deux jours plus tard…» Les policiers n'ont pas changé d'avis pour autant, et la famille a été conduite à l'aéroport. MehmetLizalo, qui avait un emploi légal, a dû payer 1700 marks pour son voyage et celui de ses parents. La famille Lizalo vit actuellement avec un autre fils, sa femme et leur bébé dans deux petites pièces à BosanskiPetrovac (dans la Fédération). Bien qu'EminaLizalo soit terrifiée à l'idée de retourner dans le village de Dubrave, la famille ne peut pas vivre indéfiniment dans ces conditions. Osman Lizalo s'est donc rendu dans son village pour voir s'il était possible de se réinstaller dans la maison familiale d'avant-guerre. Lors de la fuite forcée des Lizalo en 1993, ces derniers avaient confié leur maison à un voisin bosno-serbe, étant entendu qu'ils reviendraient dès que les conditions de sécurité le permettraient. Pourtant, lors de sa visite en octobre 1997, Osman Lizalo s'est entendu répondre par ce voisin, qui vit maintenant dans la maison des Lizalo, qu'il était hors de question que la famille revienne maintenant.

Quand on les critique sur la politique qu'elles mènent à l'égard des réfugiés de Bosnie-Herzégovine, les autorités allemandes font souvent remarquer que seul un nombre relativement faible de réfugiés a été renvoyé de force, la majorité ayant quitté l'Allemagne spontanément. Toutefois, le terme "spontané" ne signifie pas nécessairement volontaire. En effet, beaucoup de réfugiés avec qui Amnesty International s'est entretenue, en particulier ceux qui revenaient d'Allemagne et de Suisse, ont dit être rentrés en Bosnie-Herzégovine uniquement parce qu'il ne leur semblait pas possible de rester dans leur pays d'accueil. Certains ont accepté de rentrer parce que l'aide financière que leur proposait le pays d'accueil pour réparer leurs maisons et se réintégrer en Bosnie-Herzégovine n'était accordée que jusqu'à une certaine date; et/ou parce la réduction de l'aide sociale dont ils bénéficiaient jusqu'alors signifiait qu'ils n'avaient plus les moyens de rester dans le pays d'accueil; et/ou parce que la protection dont ils jouissaient avait pris fin et qu'ils craignaient d'être renvoyés de force. Beaucoup de réfugiés qui n'ont nulle part où aller en Bosnie-Herzégovine essaient de gagner d'autres pays dans l'espoir de ne pas être obligés de rentrer. D'autres sont néanmoins retournés en Bosnie-Herzégovine, et un grand nombre d'entre eux se sont installés dans d'autres régions que la leur, bien qu'ils eussent préféré regagner leurs foyers.

Les autorités allemandes ont reconnu qu'elles se servaient des renvois forcés pour "encourager" les réfugiés à partir. Ainsi, le 11 décembre 1997, le ministre bavarois de l'Intérieur a déclaré: «Nous allons expulser davantage de personnes afin d'inciter les réfugiés à choisir le retour volontaire […]il est inacceptable que les retours volontaires ralentissent. Je vais clairement faire comprendre [aux réfugiés] que nous menons une politique très ferme». Le ministre a ajouté: «Le problème des réfugiés originaires de Bosnie-Herzégovine sera enterré en 1998, sauf pour un petit nombre de personnes représentant des cas humanitaires, qui devraient partir pour les États-Unis»[32]

Bien que, jusqu'à présent, les autorités allemandes soient celles qui ont utilisé de la manière la plus draconienne les renvois forcés pour faire peur aux autres réfugiés et les inciter à partir, d'autres pays ont aussi expulsé des réfugiés appartenant aux catégories pour lesquelles le HCR avait demandé une prolongation de la protection (cf.plus bas). Par exemple, en 1997, l'Autriche a renvoyé de force 90 personnes en Bosnie-Herzégovine, parmi lesquelles certaines qui se trouveraient dans la minorité si elles retournaient dans leur communauté d'origine. De même, la Suisse a reconnu que «des cas isolés d'exécution de renvois ne [pouvaient] plus être exclus» et a expulsé 49 personnes en 1997, dont des membres de minorités ethniques[33]

Donner la possibilité aux candidats au retour de choisir en toute connaissance de cause

Parmi les critères utilisés par le HCR pour déterminer si un retour est volontaire figure un élément important qui consiste à vérifier que la décision a été prise en toute connaissance de cause, ce qui nécessite l'accès à des informations impartiales, indépendantes et à jour. Or, actuellement, ni le Bureau du Haut Représentant, ni les autres instances internationales qui participent à des activités de surveillance ou de recherche dans le domaine des droits humains, ne proposent au public des rapports exhaustifs, indépendants et impartiaux sur la situation des droits fondamentaux en Bosnie-Herzégovine, qui permettraient de se faire une idée des conditions qui existent dans chaque région. En fait, bien que le Bureau du Haut Représentant soit le seul organisme de coordination qui puisse, du fait de ses contacts avec toutes les autres instances, publier périodiquement des documents complets, son Centre de coordination des droits humains a arrêté, en septembre 1997, la publication de ses rapports quotidiens et hebdomadaires. De son côté, le Centre d'information sur le rapatriement (CIR) a été créé par le HCR pour faciliter les retours en assurant la diffusion des informations entre les autorités et les institutions des pays d'accueil et de Bosnie-Herzégovine, les organisations gouvernementales et non gouvernementales, ainsi que les réfugiés et les personnes déplacées. Le CIR tient à jour une base de données qui contient une multitude d'informations pratiques utiles aux réfugiés et aux personnes déplacées envisageant de retourner dans leur communauté d'origine, et notamment beaucoup de rapports sur les droits humains publiés périodiquement par les organisations nationales et internationales. De plus, le CIR, en coopération avec la SFOR et son autre partenaire, le Centre international de développement des politiques de migration (basé à Vienne), publie des rapports qui évaluent la situation dans diverses municipalités. Toutefois, bien que beaucoup de ces informations soient utiles, Amnesty International a constaté que, dans un grand nombre de rapports publiés jusqu'en février 1998 par le CIR, les données concernant la situation des droits humains étaient loin d'être exhaustives.

Le CIR a l'intention de rendre sa base de données directement accessible sur Internet et il est disposé à effectuer des recherches sur des sujets spécifiques à la demande de ceux qui n'ont pas accès à ce réseau. Toutefois, ses services ne sont pas mis à la disposition de tous les réfugiés et personnes déplacées qui envisagent de retourner dans leurs maisons d'avant-guerre; le CIR a déclaré qu'en fait il n'aurait pas les moyens de satisfaire un grand nombre de demandes émanant de candidats au retour. Or, si le CIR ne peut pas fournir aux réfugiés et aux personnes déplacées des données récentes, exhaustives, indépendantes et impartiales sur la situation des droits fondamentaux dans leur municipalité d'origine, il est indispensable de trouver d'autres moyens de leur garantir un accès à ce type d'informations.

Les efforts de la communauté internationale pour catalyser le retour des minorités

L'un des moyens par lesquels la communauté internationale s'efforce d'encourager les municipalités à accepter le retour des minorités est l'octroi ou le refus des aides à la reconstruction et au développement. Le principal instrument pour stimuler le retour des minorités en 1998 est l'initiative "villes ouvertes", lancée en 1997 pour vaincre la résistance politique dans ce domaine. Par une conditionnalité positive, les municipalités qui se déclarent ouvertes et font preuve d'un engagement véritable et soutenu à favoriser et soutenir le retour de tous les résidents d'avant-guerre, quelle que soit leur appartenance ethnique, et leur pleine réintégration dans la communauté reçoivent un soutien financier et une aide au développement[34]

Des négociations sur des dispositions spécifiques destinées à promouvoir le retour des minorités sont également prévues, sur le modèle du Programme de retour dans le canton de Bosnie centrale, élaboré par le Bureau du Haut Représentant et d'autres organismes internationaux conjointement avec les autorités du canton, à la suite des violences qui s'étaient produites à Jajce (dans la Fédération) (cf.plus haut). Approuvée par les autorités, la première phase de ce programme prévoit le retour progressif d'environ 4000 familles membres de minorités. La deuxième phase concernera les propriétaires d'un logement actuellement occupé par d'autres et la troisième s'adressera aux individus qui habitaient dans des logements sociaux avant-guerre. Toutefois, la situation dans la région, marquée par la non-application des décisions judiciaires (cf.plus haut), requiert la plus grande prudence: ces promesses sur le papier ne pourront être évaluées qu'une fois qu'elles auront donné des résultats tangibles.

Optimiste quant au succès du Programme de retour dans le canton de Bosnie centrale, la communauté internationale espère obtenir le même type d'engagement qu'elle a obtenu de la part des autorités de cette région en négociant des accords semblables dans d'autres zones cibles, appelées "groupes de zones"[35] Les critères utilisés pour déterminer les communautés qui doivent figurer en priorité dans ces "groupes de zones" sont notamment les suivants: le nombre de logements disponibles (calculé à partir des statistiques démographiques d'avant-guerre et actuelles); l'ouverture d'esprit des autorités locales concernant l'application de l'Accord de paix; les possibilités de développement économique; l'importance politique de la région en termes de réconciliation interethnique. Afin de répondre favorablement aux municipalités qui deviennent subitement des cibles pour le retour des minorités, le Groupe de travail pour le retour et la reconstruction (GTRR) prévoit de rendre des fonds disponibles afin de financer avec souplesse des projets de reconstruction et de développement.

Il est extrêmement important de noter que, du fait que les membres de minorités sont toujours menacés d'atteintes aux droits humains dans tout le pays, la décision de retourner dans une région où sa nationalité est minoritaire reste un choix risqué et doit donc être entièrement volontaire. Bien que les programmes décrits ci-dessus puissent entraîner le retour de membres de minorités dans des régions qui leur étaient jusque-là fermées, le HCR a souligné que ces régions «ne devraient pas être considérées comme sûres pour le rapatriement non volontaire de réfugiés depuis l'étranger», en particulier s'il s'agit de zones déclarées "villes ouvertes" ou de zones telles que le canton de Bosnie centrale, où des accords ont été négociés au sujet du retour des minorités[36]

Dans ses projets, le HCR compte sur la SFOR et la Force de police internationale (IPTF) pour établir un climat favorable aux rapatriements et aux retours, tout en reconnaissant qu'à long terme il sera nécessaire que des conditions durables de sécurité soient assurées par les autorités de Bosnie-Herzégovine. Les patrouilles de police multi-ethniques sont mises en avant comme moyen de maintenir l'ordre sans discrimination. Toutefois, étant donné que les incidents les plus graves signalés à ce jour en matière de sécurité étaient liés au retour des minorités, le HCR compte sur la SFOR pour prévenir ou contenir les troubles civils de ce type, qui pourraient dégénérer au point de provoquer une nouvelle confrontation entre les forces militaires ou paramilitaires des deux entités[37]

Situations spéciales: les cas où même les membres de la majorité ethnique ne doivent pas être contraints au retour

Si, comme relevé plus haut, il est important que les responsables des violations du droit humanitaire commises pendant la guerre soient traduits en justice, il est aussi nécessaire de tenir compte de leurs victimes, en particulier de celles qui sont disposées à témoigner pour que les auteurs de tels actes soient jugés. Conformément à l'article1-C de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés (1951), le HCR a recommandé que la protection des anciens détenus et des victimes ou des témoins de violences extrêmes soit maintenue. Ces personnes doivent être considérées comme des cas humanitaires spéciaux qui, pour des raisons impérieuses découlant des persécutions qu'elles ont subies, doivent continuer à bénéficier d'une protection internationale. Le HCR fait remarquer que «généralement gravement traumatisées, beaucoup de ces personnes ne seront peut-être jamais capables d'être rapatriées et de se réintégrer puisque cela ne fera qu'aggraver leur traumatisme et des solutions de rechange devraient être identifiées pour elles»[38] En raison des stigmates associés à certains types de violences extrêmes subies par certaines victimes, en particulier les victimes de viols, il est possible que toutes n'aient pas recherché le soutien d'un professionnel au sujet de leur traumatisme. Cet élément doit être pris en compte, en particulier dans la détermination des critères utilisés pour sélectionner les individus devant bénéficier de tels soins.

Le HCR a également recommandé que les témoins déposant devant le Tribunal bénéficient d'une protection continue. Toutefois, des procès pour crimes de guerre se déroulent également devant des tribunaux nationaux, non seulement en Bosnie-Herzégovine, mais aussi dans des pays tiers tels que l'Allemagne et l'Autriche. Il faut donc aussi prendre en compte le besoin de protection des personnes témoignant devant ces tribunaux.

Au sujet des personnes qui pourraient être renvoyées chez elles, le HCR, outre sa déclaration selon laquelle «la décision des réfugiés et des personnes déplacées d'être rapatriés ou de revenir dans leurs anciennes zones d'origine où ils seraient aujourd'hui membres d'un groupe minoritaire devrait demeurer totalement volontaire» (cf.plus haut), a recommandé de maintenir la protection et les soins accordés aux catégories suivantes: les personnes d'origine mixte ou les couples mixtes; les personnes ayant servi dans les forces armées contrôlées par un groupe ethnique dont elles ne faisaient pas partie; les personnes vulnérables du point de vue médical et social, comme les cas médicaux de personnes handicapées et les personnes âgées; et les enfants séparés de leur famille ou des personnes qui s'en occupent habituellement. De plus, le HCR considère qu'il faut continuer à protéger d'autres catégories d'individus, tels que les responsables militaires et politiques fidèles au rebelle musulman Fikret Abdic, ainsi que les membres de la communauté rom (tsigane).

IV. Un objectif trop ambitieux: le rapatriement en 1998

Le HCR a déclaré que, si les mouvements de retour des minorités demeuraient largement bloqués, la tendance au relogement ailleurs que dans sa communauté d'origine allait s'intensifier en 1998, avec des mouvements suivis vers les zones urbaines de la Fédération, en particulier dans les cantons de Sarajevo, d'Una-Sana et de Tuzla-Podrinje[39] Or, l'augmentation du nombre de relogements ne peut que compliquer encore davantage le retour des minorités. Comme l'explique le HCR, «sans une offensive concertée pour faire [des droits des réfugiés et des personnes déplacées] une réalité, la confiance dans le processus de paix vacillera, de plus en plus de personnes se relogeront dans des zones où leur ethnie est majoritaire faute d'autres solutions et la vision d'une Bosnie-Herzégovine multi-ethnique cédera la place à la réalité brutale de la division»[40] Espérant catalyser le progrès dans des régions qui, jusqu'ici, avaient connu peu d'avancées, le HCR a déclaré que l'année 1998 serait l'année du retour des minorités. Il espère que, de janvier à juin 1998, plus de 50000 personnes regagneront leur communauté d'avant-guerre où leur nationalité est maintenant minoritaire.

Cependant, cet objectif ne doit pas être considéré comme une fin en soi. Comme relevé plus haut, certaines des attaques les plus graves perpétrées contre des membres de minorités, dont de sérieuses atteintes aux droits humains, se sont produites lorsque le retour de réfugiés dans une région avait atteint un seuil critique. Compter sur la présence de la SFOR et de l'IPTF afin de garantir des conditions de sécurité aux minorités est dangereux et reflète un manque de vision. C'est en effet aux autorités de Bosnie-Herzégovine, et non à ces forces internationales, que revient la responsabilité d'assurer la sécurité de tous les citoyens, quelle que soit leur nationalité. Tant que ces autorités n'auront pas prouvé qu'elles ont la volonté et la capacité d'offrir une protection durable aux membres des minorités, la décision risquée de rentrer chez soi devra rester totalement volontaire. Malgré l'importance du retour des minorités en 1998 et l'enthousiasme que celui-ci provoque au sein de la communauté internationale, les personnes déplacées et les réfugiés ne doivent pas être contraints ni incités à retourner dans des régions où ils ne seraient pas en sécurité. Quant à ceux qui choisissent de rentrer, ils devront être pleinement informés des risques qu'ils courent. Dans un tel contexte, il est essentiel que la surveillance de la situation des droits humains soit adéquate et, plus encore, que des rapports impartiaux et exhaustifs soient publiés.

De même, le retour des minorités dans leur communauté d'avant-guerre ne doit pas être "négocié" par la communauté internationale avec les autorités municipales. Au contraire, il doit être accepté comme faisant normalement partie des efforts visant à s'assurer que chaque citoyen de Bosnie-Herzégovine peut choisir son lieu de résidence sans distinction de nationalité, d'appartenance politique ou de tout autre statut.

Toutefois, tant que les minorités se heurteront à des problèmes de sécurité et à des obstacles administratifs, il ne faudra pas accélérer le processus d'incitation au retour à leur sujet dans le but de respecter des délais reconnus comme étant ambitieux par ceux-là mêmes qui les ont fixés. La communauté internationale, et en particulier les pays pressés de mettre fin à la protection des réfugiés de Bosnie-Herzégovine, doivent assumer leur responsabilité et faire en sorte que le retour des minorités se fasse en toute sécurité.

Le HCR a annoncé qu'un maximum de 220000 réfugiés pourraient être rapatriés en 1998. Cependant, dans l'Opération de rapatriement et de retour 1998, le HCR reconnaît que «la cessation des formes de protection temporaire sera un facteur décisif [pour le calendrier et le rythme des mouvements de réfugiés] à partir du printemps [le deuxième trimestre de l'année]». Il reconnaît aussi que «la projection pour 1998 n'a pas été calculée en fonction d'une capacité d'absorption réelle ou probable et ne devrait pas donner à penser que la Bosnie-Herzégovine dispose de l'infrastructure sociale et économique requise pour assimiler un si grand nombre de rapatriés de l'étranger en un période relativement courte»[41] Le HCR précise également que cette projection élevée (220000 retours) «tient compte des décisions politiques de certains États d'Europe occidentale qui pourraient aboutir à des mouvements non volontaires ou travailler à induire des mouvements librement consentis en 1998, malgré les difficultés bien connues que les minorités et d'autres groupes continuent d'affronter»[42]

Toutefois, en décembre 1997, quand le HCR a révélé ses plans durant la réunion du Groupe de travail sur les questions humanitaires (HIWG), l'Allemagne a déclaré que «[son] principal objectif pour l'année 1998 [était] de poursuivre les renvois de réfugiés en Bosnie-Herzégovine au même rythme qu'en 1997»[43] Au cours de cette réunion, la délégation allemande a précisé qu'elle était d'accord avec le HCR et le Conseil de mise en œuvre de la paix sur le fait que le retour projeté de plus de 200000 personnes ne serait possible qu'en permettant que des réfugiés retournent dans des régions où leur nationalité est maintenant minoritaire. Toutefois, malgré cette déclaration de soutien à la position du HCR, l'Allemagne n'a nullement laissé entendre qu'elle allait modifier sa politique, qui a conduit au renvoi forcé et "spontané" en Bosnie-Herzégovine de réfugiés qui, une fois de retour, n'ont pas eu d'autre choix que de s'installer ailleurs que dans leur région d'origine.

Il est honteux que le HCR ait à établir des programmes pratiques fondés sur le fait que ses recommandations de principe seront ignorées. Amnesty International craint beaucoup qu'en raison du grand nombre de personnes concernées par les intentions déclarées de l'Allemagne de se débarrasser, d'ici à la fin 1998, des réfugiés perçus comme un fardeau sans accorder l'attention voulue à leur destination, la communauté internationale ne soit poussée à accélérer le délicat processus du retour des minorités, ne faisant ainsi qu'accroître les risques encourus par ces dernières. De plus, l'impatience de l'Allemagne risque non seulement de perpétuer, mais aussi de consolider les conséquences des expulsions massives fondées sur la nationalité qui ont eu lieu pendant la guerre. Cette situation risquerait, à son tour, de miner le processus de paix, entraînant la Bosnie-Herzégovine dans un nouveau conflit et de nouvelles atteintes aux droits humains. Amnesty International est préoccupée par le fait qu'au lieu de s'inquiéter de la politique allemande d'autres pays européens accueillant des réfugiés de Bosnie-Herzégovine ont laissé entendre qu'ils pourraient envisager de suivre son exemple.

Ainsi, en juin dernier, le gouvernement suisse a déclaré qu'il allait maintenir ses projets de rapatriement de milliers de réfugiés originaires de Bosnie-Herzégovine, bien que beaucoup d'entre eux n'auront pas la possibilité de regagner leur communauté d'origine et devront s'installer dans une région maintenant administrée par leur nationalité. Au même moment, les autorités ont aussi annoncé qu'à partir d'août 1997 elles renverraient peut-être en Bosnie-Herzégovine les réfugiés qui refuseraient de partir d'eux-mêmes. De fait, comme indiqué plus haut, la Suisse a renvoyé de force 49 personnes au cours de l'année 1997, dont certaines originaires de régions où leur nationalité est maintenant minoritaire. Rien ne garantit que ce chiffre n'augmente pas en 1998. Toutefois, il est clair qu'il n'existe aucun consensus au niveau fédéral en Suisse, comme en témoignent les divergences d'opinion entre le ministre des Affaires étrangères, Flavio Cotti, et le ministre de la Justice. En effet, tandis que ce dernier annonçait son intention de poursuivre les rapatriements, FlavioCotti tenait les propos suivants: «Renvoyer de force des individus dans une région qui n'est pas leur région d'origine et où leur nationalité est majoritaire revient à soutenir activement la purification ethnique et à contredire Dayton, le HCR et la communauté internationale.[44]»

Il faut que les pays qui accueillent des réfugiés originaires de Bosnie-Herzégovine s'arment de patience en ce qui concerne la protection de ces réfugiés, afin de permettre le retour des minorités. En effet, les individus qui n'ont pas d'autre choix envisageable que celui de retourner dans leur pays s'installeront inévitablement dans une autre région que leur région d'origine si leur seule alternative est de regagner une zone où ils ne seraient pas en sécurité. À court terme, les relogements qui ne sont pas totalement volontaires exacerbent les difficultés administratives auxquelles se heurtent les membres de minorités souhaitant se réinstaller dans leurs maisons d'avant-guerre. À long terme, la frustration de ceux qui souhaitent mais ne peuvent pas regagner leurs foyers risque de les amener à abandonner les méthodes pacifiques pour réaliser leur désir légitime de rentrer chez eux, ce qui pourrait menacer la paix fragile qui règne en Bosnie-Herzégovine.

Pour les pays qui ont l'impression de ne plus pouvoir continuer à supporter le "fardeau" que représentent les réfugiés, la solution n'est pas de les renvoyer dans des régions où ils risquent d'être victimes d'atteintes aux droits humains. Elle n'est pas non plus de poursuivre une politique qui risque de compromettre l'Accord de paix en empêchant que les violations des droits fondamentaux constituées par les expulsions massives soient réparées. Renvoyer des réfugiés dans leur pays à un moment où il n'est pas probable qu'ils puissent regagner leurs foyers, ou lorsque leur rapatriement empêche le retour d'autres personnes dans leurs propres logements, reviendrait à réaliser l'objectif des expulsions massives, qui ont été utilisées au cours du conflit comme instrument pour diviser un État en fonction de ses différentes nationalités. Il faut rappeler aux États de la communauté internationale qu'ils ont l'obligation de se partager la responsabilité des réfugiés du monde entier et de veiller à ce que les pays géographiquement proches d'un État d'où un nombre important de personnes sont contraintes à la fuite n'aient pas à supporter un poids disproportionné. La communauté internationale doit également faire en sorte de se répartir la responsabilité du maintien de la protection internationale accordée à ceux dont on ne peut raisonnablement pas attendre qu'ils rentrent chez eux ou à ceux qui sont dans l'impossibilité de le faire en toute sécurité et dans la dignité. Ces exigences figurent dans le droit international relatif aux réfugiés et dans l'Annexe7 de l'Accord de paix.

L'argument de l'indemnisation

Il est vrai que certaines personnes ne veulent pas retourner dans leur communauté d'origine en raison du traumatisme qu'elles ont subi pendant la guerre ou pour d'autres motifs. L'Accord de paix donne non seulement le droit à chacun de réclamer ses biens et de regagner son foyer, mais aussi celui de demander une indemnité au lieu de rentrer. Cependant, ce droit à un dédommagement ne doit pas être utilisé comme une excuse pour ne pas améliorer la situation des droits humains. Il faut en effet que chacun, sans distinction de nationalité, puisse regagner son foyer en toute sécurité si tel est son choix.

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Bosnia-Herzegovina: All The Way Home. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL-ÉFAI- juin 1998.

Pour toute information complémentaire veuillez vous adresser à:



[1]. Le présent document est une mise à jour des préoccupations exposées dans le document d'Amnesty International intitulé Bosnie-Herzégovine. «Qui vit dans ma maison?» Les obstacles au retour en toute sécurité des réfugiés et des personnes déplacées (indexAI: EUR63/01/97, mars 1997); il inclut et complète également les recommandations relatives au retour des réfugiés et des personnes déplacées en 1998 qui figuraient dans le document intitulé Bosnia-Herzegovina: Righting the Wrongs (indexAI: EUR63/28/97, décembre1997) [Bosnie-Herzégovine. Réparer les injustices].

[2]. Les statistiques indiquées dans ce paragraphe figurent dans un document de travail intitulé "Retour, relogement et droits de propriété", publié en décembre1997 par la Commission du HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) pour les demandes de restitution des biens immobiliers des réfugiés et des personnes déplacées (Commission sur les biens immobiliers); les chiffres proviennent des statistiques des registres municipaux fournies par les autorités concernées.

[3]. La Commission d'experts des Nations unies a défini les termes "purification ethnique" comme le «fait de rendre une région homogène sur le plan ethnique en ayant recours à la force ou à l'intimidation afin de chasser de cette région les personnes d'une autre appartenance ethnique ou religieuse». "Final report of the United Nations Commission of Experts established pursuant to Security Council Resolution780 (1992): AnnexIV, the Policy of Ethnic Cleansing", S/1994/674/Add.2 (Vol.I), 28 décembre 1994, paragraphe2 [Rapport final de la Commission d'experts des Nations unies établie conformément à la résolution780 du Conseil de sécurité (1992): AnnexeIV, la Politique de purification ethnique].

[4]. Accord-cadre général sur la paix en Bosnie-Herzégovine, paraphé à Dayton (États-Unis) le 22 novembre 1995 et signé à Paris (France) le 14 décembre 1995, Annexe 7, Accord sur les réfugiés et les personnes déplacées. ChapitreI, articleI, paragraphes 1 et 2.

[5]. Le Haut Représentant est nommé par le Conseil de sécurité des Nations unies pour superviser la mise en œuvre des dispositions civiles de l'Accord de paix. Pour obtenir des informations plus détaillées sur les aspects de l'Accord relatifs aux droits humains et sur le rôle des autres instances internationales dans son application (en juin 1996), voirle document d'Amnesty International intitulé Bosnia-Herzegovina: the international community's responsibility to ensure human rights (indexAI: EUR63/14/96) [Bosnie-Herzégovine. La communauté internationale a le devoir de garantir le respect des droits humains].

[6]. Statistiques mentionnées dans le document de travail "Retour, relogement et droits de propriété", p.7.

[7]. Statistiques mentionnées dans le document de travail "Retour, relogement et droits de propriété", p.7.

[8]. "Retour, relogement et droits de propriété", p.7.

[9]. "Retour, relogement et droits de propriété", p.23.

[10]. Cf.House Burnings: Obstruction of the Right to Return in Drvar [Des maisons incendiées: obstruction au droit au retour à Drvar], Rapport du Groupe international de crise, 9 juin 1997.

[11]. Déclaration de Mme Sadako Ogata dans le cadre de la réunion du Groupe de travail sur les questions humanitaires du Conseil de mise en œuvre de la paix, 17 décembre 1997, Genève (Suisse).

[12]. Conférence 1997 de mise en œuvre de la paix de Bonn, Bosnia and Herzegovina 1998: Self Sustaining Structures, 10 décembre 1997, paragrapheIII. 1.c [Bosnie-Herzégovine 1998: Structures autonomes de soutien].

[13]. Outlook for 1998: Resources, Repatriation and Minority Return [Les perspectives pour 1998. Moyens, rapatriement et retour des minorités], Groupe de travail pour le retour et la reconstruction (GTRR), décembre 1997. Ce document peut être obtenu via le réseau Internet, sur le site du Bureau du Haut Représentant, à l'adresse suivante: http://www.ohr.int. En décembre 1997, les membres du GTRR étaient le HCR, la Commission européenne (notamment le Bureau de l'action humanitaire de la Communauté européenne), le Commissaire fédéral allemand chargé du retour des réfugiés et des reconstructions connexes, la Commission pour les demandes de restitution des biens immobiliers des personnes déplacées et des réfugiés (Commission sur les biens immobiliers), la Banque mondiale, le Groupe international de gestion, le gouvernement des États-Unis et le Bureau du Haut Représentant.

[14]. Déclaration au nom de l'Union européenne, prononcée par la délégation de l'UE dans le cadre de la réunion du Groupe de travail sur les questions humanitaires du 17 décembre 1997, à Genève (Suisse).

[15]. Outlook for 1998: Resources, Repatriation and Minority Return [Les perspectives pour 1998. Moyens, rapatriement et retour des minorités], GTRR, p. 38.

[16]. cf.Bosnie-Herzégovine. Comment peuvent-ils dormir la nuit? Arrêtez-les maintenant! (indexAI: EUR63/22/97, octobre 1997); Bosnie-Herzégovine. Rechercher les auteurs présumés de crimes de guerre. Lettre ouverte d'Amnesty International aux commandants de la Force de mise en œuvre (IFOR) et aux gouvernements qui y participent (Bulletin d'informations 41/96, indexAI: EUR63/08/96, 1er mars1996); Bosnie-Herzégovine. Amnesty International réitère ses appels à la Force de mise en œuvre (IFOR) pour qu'elle respecte le droit international (indexAI: EUR63/11/96, avril 1996).Cf.Bosnie-Herzégovine. Comment peuvent-ils dormir la nuit? Arrêtez-les maintenant! (indexAI: EUR 63/22/97, octobre 1997); Bosnie-Herzégovine. Rechercher les auteurs présumés de crimes de guerre. Lettre ouverte d'Amnesty International aux commandants de la Force de mise en œuvre (IFOR) et aux gouvernements qui y participent (Bulletin d'informations 41/96, indexAI: EUR 63/08/96, 1er mars1996); Bosnie-Herzégovine. Amnesty International réitère ses appels à la Force de mise en œuvre (IFOR) pour qu'elle respecte le droit international (indexAI: EUR 63/11/96, avril 1996).

[17]. Cf.Bosnie-Herzégovine. Assez de déclarations: arrêtez-les maintenant! (Bulletin d'informations213/97, indexAI: EUR63/27/97, 11 décembre 1997).

[18]. Cf.La menace silencieuse: les mines terrestres en Bosnie-Herzégovine, résumé d'une étude publiée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), en collaboration avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), décembre 1997.

[19]. La menace silencieuse: les mines terrestres en Bosnie-Herzégovine.

[20]. Chiffres cités dans Rebuilding a Multi-ethnic Sarajevo: the Need for Minority Returns [La reconstruction d'un Sarajevo multi-ethnique: le retour nécessaire des minorités], rapport du Groupe international de crise, 3 février 1998.

[21]. Bosnie-Herzégovine. Opération de rapatriement et de retour 1998, Groupe de travail sur les questions humanitaires, HIWG/97/7, 10 décembre 1997, p.24-25.

[22]. Pour une étude exhaustive des obstacles au retour des minorités à Sarajevo, dont la "double occupation", voirRebuilding a Multi-ethnic Sarajevo: the Need for Minority Returns [La reconstruction d'un Sarajevo multi-ethnique: le retour nécessaire des minorités], op. cit. Ce document examine également en détail les questions relatives à la législation sur les biens immobiliers dans la Fédération.

[23]. Les solutions durables et autres sont notamment l'obtention d'une protection humanitaire ou d'un statut de réfugié, l'octroi d'un autre statut de résident, la réinstallation ou le rapatriement.

[24]. Bosnie-Herzégovine. Opération de rapatriement et de retour 1998, HIWG/97/7, p.11.

[25]. Pour de plus amples informations sur la nature de la protection accordée aux réfugiés de Bosnie-Herzégovine, voirBosnie-Herzégovine. «Qui vit dans ma maison?» Les obstacles au retour en toute sécurité des réfugiés et des personnes déplacées (indexAI: EUR63/01/97, mars1997).

[26]. Bosnie-Herzégovine. Opération de rapatriement et de retour1998, HIWG/97/7, p.41.

[27]. Enquêtes mentionnées dans le document de travail "Retour, relogement et droits de propriété", p.18.

[28]. Il s'agissait de personnes déplacées dans les deux entités de Bosnie-Herzégovine, ainsi que de réfugiés musulmans installés en Croatie et en République fédérative de Yougoslavie.

[29]. Document de travail intitulé "Retour, relogement et droits de propriété", p.15-16. Parmi les facteurs déterminants pour le retour, la qualité du logement est celui qui a recueilli le plus de suffrages, puisqu'il a été jugé important par 97% des personnes interrogées. La possibilité de trouver un emploi venait en seconde position avec 81% des voix. En revanche, une majorité de gens (56%) a estimé qu'il n'était pas important d'avoir des voisins du même groupe ethnique que soi, contre 44% qui étaient d'avis contraire.

[30]. Déclaration de Gerold Lehnguth, directeur, ministre fédéral de l'Intérieur, Allemagne, dans le cadre de la réunion du Groupe de travail sur les questions humanitaires du 23 avril 1997.

[31]. Déclaration du représentant permanent de l'ambassadeur d'Allemagne, Wilhelm Höynck, lors de la réunion du Groupe de travail sur les questions humanitaires du 17 décembre 1997, à Genève (Suisse).

[32]. Cité dans "La Bavière lance un ultimatum aux réfugiés de Bosnie-Herzégovine", Matthias Inverardi, agence Reuter, 11 décembre 1997.

[33]. Déclaration de la délégation suisse lors de la réunion du Groupe de travail sur les questions humanitaires du 17 décembre 1997, à Genève (Suisse).

[34] Les critères pour être déclaré "ville ouverte" par le HCR sont notamment les suivants:
- la confirmation que les autorités locales se sont véritablement engagées à apporter un appui systématique et égal à tous les membres de la population dont elles sont responsables, ainsi que le démontrent l'égalité des droits et de l'accès à l'emploi, à l'éducation et aux charges publiques, la liberté de mouvement, le respect des droits de l'homme;
- la confirmation que les retours de minorités auront lieu sans violence à l'égard de ces minorités;
- l'impartialité démontrée et la participation de la police locale pour garantir que la sécurité et le respect de la loi et de l'ordre public seront assurés par tous;
- la confirmation que les autorités locales ont véritablement pris l'engagement de déminer toute la municipalité;
- un emploi positif des médias pour préparer la communauté résidente au retour des minorités, promouvoir la réconciliation et inviter les minorités à revenir.

(Critères indiqués dans Bosnie-Herzégovine. Opération de rapatriement et de retour 1998, HIWG/97/7, p.17.)

[35]. Pour de plus amples informations sur le concept des "groupes de zones", voirle document du GTRR intitulé Outlook for 1998: Resources, Repatriation and Minority Return [Les perspectives pour 1998: moyens, rapatriement et retour des minorités].

[36]. Bosnie-Herzégovine. Opération de rapatriement et de retour 1998, HIWG/97/7, pp.l et 41.

[37]. Bosnie-Herzégovine. Opération de rapatriement et de retour 1998, HIWG/97/7, p.15.

[38]. Bosnie-Herzégovine. Opération de rapatriement et de retour 1998, HIWG/97/7, p.42.

[39]. Bosnie-Herzégovine. Opération de rapatriement et de retour 1998, HIWG/97/7, p.13.

[40]. Bosnie-Herzégovine. Opération de rapatriement et de retour 1998, HIWG/97/7, p.1.

[41]. Bosnie-Herzégovine. Opération de rapatriement et de retour 1998, HIWG/97/7, pp.13,8,9.

[42]. Bosnie-Herzégovine. Opération de rapatriement et de retour 1998, HIWG/97/7, p.9.

[43]. Déclaration du représentant permanent de l'ambassadeur d'Allemagne, Wilhelm Höynck, lors de la réunion du Groupe de travail sur les questions humanitaires du 17 décembre 1997, à Genève (Suisse).

[44]. "La Suisse maintient son projet de renvoi des réfugiés bosniaques", agence Reuter, 9 juin1997.

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-La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Bosnia-Herzegovina: All The Way Home. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL-ÉFAI- juin 1998.

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