Jugé pour Avoir Défendu ses Droits: Le Cas de Suh Jun-sik

Le défenseur des droits fondamentaux Suh Jun-sik est jugé en ce moment à Séoul pour avoir organisé un festival du film sur les droits humains. Actuellement en liberté sous caution, il risque d'être condamné à une peine d'emprisonnement alors qu'il n'a fait qu'exercer de manière non violente son droit à la liberté d'expression. Son cas est représentatif des violations des droits humains qui sont commises en Corée du Sud, et montre à quel point il est nécessaire d'amender au plus vite la Loi relative à la sécurité nationale. Amnesty International lance un appel pour que les charges retenues contre Suh Jun-sik soient abandonnées.

Âgé de quarante-neuf ans, Suh Jun-sik a déjà passé dix-sept ans et demi derrière les barreaux. Il a été détenu de 1971 à 1988, en application de la Loi relative à la sécurité nationale et de la Loi relative à la sûreté publique (abrogée depuis), puis arrêté de nouveau et détenu pendant six mois en 1991. Depuis 1993, il dirige Sarangbang, une petite organisation qui publie un bulletin quotidien sur les droits humains et travaille sur des projets d'éducation aux droits humains, tout en servant de centre de documentation. En 1996, puis de nouveau en 1997, Sarangbang a organisé un festival de films sur les droits humains visant à sensibiliser le public sur cette question; ce festival a également été l'occasion de remettre en cause la politique de censure frappant les films en Corée du Sud.

Suh Jun-sik est jugé alors qu'il n'a fait qu'exercer de manière non violente son droit à la liberté d'expression et d'opinion. Ce procès se déroule au mépris aux normes internationales relatives au respect des droits humains, qui prévoient notamment que:

«Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit»

(article19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme);

et que:

«Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix»

(article19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
ratifié par la Corée du Sud en 1990).

Le véritable motif de l'arrestation de cet homme et des poursuites engagées contre lui semble être sa volonté de défier la politique du gouvernement sur des points tels que la censure cinématographique et le militantisme étudiant. Lors du festival cinématographique annuel organisé par Sarangbang, il a refusé de soumettre à la censure gouvernementale les films présentés et, plus tôt dans l'année, il avait contrarié les autorités en soutenant le militantisme des étudiants, qu'il encourageait à s'engager dans la désobéissance civile non violente.

Le festival cinématographique en faveur des droits humains

Se déroulant du 27septembre au 3octobre 1997 à l'Université Hong-ik, à Séoul, le deuxième festival de films sur les droits humains organisé par Sarangbang devait faire une tournée dans neuf autres villes. Il présentait 24films en provenance de 13pays, dont la Corée du Sud, le Guatémala et Taiwan. Suh Jun-sik n'a pas soumis au préalable ces films à la censure gouvernementale, arguant du fait que cette dernière avait servi à violer la liberté d'expression artistique en Corée du Sud. Il craignait que certains films ou certaines scènes ne soient coupés pour des raisons politiques. En octobre 1996, la Cour constitutionnelle de la Corée du Sud avait reconnu que la censure cinématographique posait des problèmes, et avait jugé inconstitutionnel le fait que les films diffusés dans le pays soient systématiquement soumis à la censure de l'instance gouvernementale qu'est le Comité coréen d'éthique des événements culturels. En dépit de cette décision, la censure existe toujours et la législation qui s'y rapporte n'a pas encore été modifiée.

Peu avant la date prévue pour l'ouverture du festival, l'Université de Hong-ik a brusquement retiré aux organisateurs l'autorisation d'utiliser ses locaux. De nombreuses personnes estiment que cette décision inattendue a été prise sous la pression de la police et du ministère public. Le festival a quand même eu lieu, mais plusieurs étudiants bénévoles ont été arrêtés et détenus pendant une courte période, et de très nombreux policiers ont essayé d'empêcher le public d'entrer dans l'université pour y voir les films.

L'arrestation de Suh Jun-sik

Suh Jun-sik a été interpellé dans la soirée du 4 novembre 1997 par une quinzaine de policiers qui ont fouillé son bureau et son domicile. Le mandat de perquisition précisait que devaient être saisis «les cassettes vidéo contenant du matériel idéologique, et tout élément prouvant qu'il y avait eu violation de la Loi relative à la sécurité nationale». La police a saisi 20cassettes vidéo de films projetés lors du festival ainsi que plusieurs carnets de notes de Suh Jun-sik et son ordinateur portable, avec 48 disquettes. Les policiers se sont également emparés: d'un classeur contenant le bulletin quotidien de Sarangbang sur les droits humains, de recueils de poésie du poète emprisonné Park No-hae, et d'écrits de Suh Jun-sik lui-même, dont des lettres rédigées en prison. Un mandat d'arrêt a été délivré le lendemain contre Suh Jun-sik, qui a, par la suite, été inculpé aux termes de la Loi relative à la sécurité nationale, de la Loi relative à la surveillance publique et de plusieurs autres lois.

Les inculpations aux termes de la Loi relative à la sécurité nationale

L'article7 de la Loi relative à la sécurité nationale punit d'une peine pouvant aller jusqu'à sept ans d'emprisonnement les personnes qui «font l'apologie» d'une organisation «hostile à l'État», ou «servent ses intérêts», «en sachant qu'elles peuvent mettre en danger l'existence et la sécurité de l'État ou les fondements de la libre démocratie». (La Corée du Nord est définie comme une organisation «hostile à l'État».) Cette disposition, extrêmement vague, de la Loi relative à la sécurité nationale est celle qui est la plus souvent utilisée et donne lieu au plus grand nombre d'abus. Il y est fait recours de manière arbitraire, les personnes soupçonnées d'avoir des opinions de gauche, les étudiants et les dissidents étant les plus susceptibles d'être arrêtés. Estimant que cet article viole le droit à la liberté d'expression, Amnesty International demande aux autorités d'amender la Loi relative à la sécurité de l'État en vue de la rendre conforme aux normes internationales en vigueur.

Suh Jun-sik a été inculpé à deux reprises aux termes de l'article7 de cette loi. La première inculpation concerne la projection du film sud-coréen Chasse rouge, soupçonné par les autorités de «servir les intérêts» de la Corée du Nord. Ce documentaire concerne des événements qui ont eu lieu en 1948 sur la petite île de Cheju-do, au large de la côte méridionale de la Corée du Sud, devenue aujourd'hui un lieu de vacances très prisé. Le 3avril 1948, une insurrection communiste présumée a donné lieu à une violente répression sur l'île: des dizaines de milliers d'insulaires ont alors été massacrés sous prétexte qu'ils étaient des communistes ou des sympathisants. Chasse rouge, qui présente des témoignages de survivants et des commentaires d'historiens, avait été projeté quelque temps auparavant dans le cadre du Festival cinématographique international de Pusan, sans donner lieu alors à aucune interpellation. Le réalisateur de Chasse rouge a été détenu pendant une courte période après l'arrestation de Suh Jun-sik, mais il a été libéré rapidement, sans avoir été inculpé.

Suh Jun-sik a également été accusé de «servir les intérêts» de la Corée du Nord du fait qu'il était en possession de True Beginning, recueil de poèmes écrits par le célèbre poète socialiste et prisonnier politique Park No-hae. Des milliers d'exemplaires de ce recueil célèbre ayant été vendus au public, cette seconde inculpation semble donc uniquement destinée à renforcer les poursuites engagées contre Suh Jun-sik.

Ces deux accusations illustrent le caractère arbitraire du recours à la Loi relative à la sécurité nationale. En effet, tandis que Suh Jun-sik a été accusé d'aider la Corée du Nord en projetant le film Chasse rouge, d'autres personnes ayant projeté ce film, et le réalisateur lui-même, n'ont jamais été poursuivis. Des milliers de personnes sont en possession de recueils de poésie de Park No-hae, mais seul Suh Jun-sik a été accusé de détenir un de ces recueils en vue de servir les intérêts de la Corée du Nord.

Inculpations aux termes de la Loi relative à la surveillance publique

Suh Jun-sik a également été accusé d'avoir enfreint la Loi relative à la surveillance publique, utilisée pour surveiller les activités de certains prisonniers après leur libération. Les prisonniers politiques ayant refusé de se "convertir" (c'est-à-dire de renoncer au communisme) ou de reconnaître leurs "crimes" tombent sous le coup de cette loi. C'est le ministère de la Justice qui détermine quels prisonniers seront soumis à cette loi, et aucune information relative à cette décision n'est rendue publique.

Aux termes de la Loi relative à la surveillance publique, les prisonniers qui sont libérés sont tenus d'informer régulièrement la police de leurs activités et de leurs voyages. Il peut leur être interdit de participer à certains événements ou de rencontrer certaines personnes. De nombreux anciens prisonniers ont refusé de se plier à cette exigence et certains d'entre eux ont été poursuivis et condamnés à une amende. Amnesty International est préoccupée par le fait que cette loi est appliquée de manière arbitraire et a pour objectif d'empêcher d'anciens prisonniers politiques de se livrer à des activités pourtant légitimes.

Soumis à la Loi relative à la surveillance publique depuis sa libération en 1988, Suh Jun-sik ne s'est pourtant jamais plié aux dispositions de cette loi. Il lui avait été demandé de signaler ses activités à la police tous les trois mois et de fournir un rapport écrit sur ses voyages à l'étranger. Il aurait dû notamment faire un rapport sur les déplacements qu'il avait effectués pour se rendre à la Conférence mondiale sur les droits de l'homme organisée par les Nations unies en 1993, et pour rencontrer Amnesty International en 1997. La police lui a interdit à une occasion de prendre part à une manifestation contre la Loi relative à la sécurité nationale, et lui a demandé, à une autre occasion, de ne pas participer à une fête organisée pour célébrer la libération de prisonniers politiques ayant passé de nombreuses années en détention. Lorsqu'il présidait l'Alliance nationale pour la démocratie et la réunification de la Corée (coalition composée principalement de groupes favorables à la démocratie, d'organisations ouvrières et de groupes de défense des droits fondamentaux), la police l'a sommé de renoncer à ce poste.

Bien qu'il n'ait jamais obéi à ces ordres pendant dix ans, il n'a été arrêté et inculpé en relation avec ces interdictions qu'à une seule occasion, en 1991. D'autres anciens prisonniers politiques vivent sous la menace constante d'être poursuivis pour avoir enfreint la Loi relative à la surveillance publique, que Suh Jun-sik vit comme un frein à ses activités de défenseur des droits humains. Ce dernier a déclaré en février 1998 à Amnesty International qu'il n'aurait «pas pu mener ses actions en faveur des droits humains s'il avait respecté cette loi». Les accusations qui pèsent sur lui aux termes de la Loi relative à la surveillance publique, en plus de celles prononcées en application de la Loi relative à la sécurité nationale, semblent elles aussi avoir pour objectif d'aggraver son cas.

Autres inculpations

Suh Jun-sik a également été inculpé aux termes de la Loi relative aux disques et aux cassettes vidéo pour ne pas avoir soumis certains films à la censure gouvernementale et pour avoir pénétré dans l'Université de Hong-ik sans y avoir été autorisé («entrée non autorisée»). Il a en outre été accusé d'avoir levé des fonds pour le festival cinématographique illégalement et sans l'autorisation du gouvernement. La législation relative aux collectes de fonds, en cours d'examen devant la Cour constitutionnelle, est utilisée de manière arbitraire depuis des années contre certains groupes d'opposition. Sarangbang a collecté des fonds auprès du public, à concurrence d'environ 10000 won (environ 30FF) par personne, en échange de l'envoi d'un bulletin d'information et d'une brochure sur le festival. L'organisation avait décidé de ne pas accepter les dons importants de sociétés commerciales ou d'autres organisations, et avait rassemblé ces fonds publiquement, en toute transparence. D'autres organisations ayant collecté des fonds de la même manière n'ont jamais été poursuivies.

Incarcération et libération sous caution

Suh Jun-sik a été interrogé par les services de la Sûreté dépendant de la Direction de la police de Séoul, entre le 4et le 12novembre 1997, avant d'être transféré au centre de détention de Youngdungpo, à Séoul également. Pendant cette période, ses lectures étaient censurées: il n'a pas été autorisé, par exemple, à lire le bulletin quotidien de Sarangbang sur les droits humains. Il a souffert du froid pendant sa détention (les cellules ne sont pas chauffées en hiver) et a déclaré avoir vu plusieurs prisonniers maltraités par les gardiens de la prison.

Le procès de Suh Jun-sik s'est ouvert devant le tribunal de district de Séoul, le 30janvier 1998. Des audiences distinctes devraient être réparties sur plusieurs mois. Le 5février 1998, Suh Jun-sik a été libéré sous caution moyennant le versement de 10000000 won (environ 33000FF). Depuis qu'il a été libéré, Suh Jun-sik a déposé plusieurs plaintes auprès de la Cour constitutionnelle pour protester contre la manière dont il avait été traité en prison, contre la censure frappant les journaux parvenant aux prisonniers, contre le fait que ces derniers portent des menottes et que les détenus n'ayant pas encore été jugés doivent porter l'uniforme des prisonniers.

Ce que vous pouvez faire:

•.          Envoyez des lettres / fax / courriers électroniques / pétitions au président Kim Dae-jung, en suivant les consignes suivantes:

•.          dites-vous préoccupé par le fait que Suh Jun-sik est jugé alors qu'il s'est contenté d'exercer de manière non violente son droit à la liberté d'expression, et demandez que les charges retenues contre lui soient abandonnées;

•.          exprimez votre inquiétude quant au fait que l'article7 de la Loi relative à la sécurité nationale est souvent utilisé pour incarcérer des personnes ayant exercé de manière pacifique leurs droits à la liberté d'expression et d'association; demandez la libération de tous ceux qui sont détenus uniquement en raison de leurs activités non violentes;

•.          priez instamment les autorités d'amender la Loi relative à la sécurité nationale afin de la rendre conforme aux normes internationales, entre autres à l'article19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Envoyez vos appels à l'adresse suivante:

President Kim Dae-jung
The Blue House
1 Sejong-no, Chongno-gu
Séoul, Corée du Sud
Fax: (82 2) 770 0253

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Republic of Korea (South Korea): On Trial for Defending his Rights: The Case of Human Rights Activist Suh Jun-sik. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL -ÉFAI- juin 1998.

Pour toute information complémentaire veuillez vous adresser à:

AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI

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