Un programme de réformes en faveur des Droits Humains

La démission du Président Suharto est sans nul doute un événement d'une extrême importance pour l'Indonésie. Mais loin d'être un aboutissement, ce départ doit marquer le début d'un processus de changement et de réforme qui permettra au pays de connaître une stabilité économique et politique, fondée sur la pleine participation du peuple indonésien et le respect des droits humains, et non sur la répression et l'exclusion.

Pour la première fois de son histoire, l'Indonésie va pouvoir jeter les bases d'un système garantissant l'ensemble des droits humains, les droits économiques, sociaux et culturels comme les droits civils et politiques. C'est une chance qu'il lui faut saisir. Il est désormais possible de mener à bien les réformes qui permettront aux citoyens indonésiens de bénéficier du développement économique de leur pays, d'être pleinement associés aux décisions politiques, d'avoir et d'exprimer des opinions de façon non violente sans crainte d'être sanctionnés par l'Etat.

Comme l'ont démontré les événements survenus au cours de ces derniers mois, le refus du gouvernement de l'Ordre Nouveau de respecter ces droits fondamentaux a provoqué la déception et la colère de la population, faisant basculer le pays dans l'instabilité politique et sociale. Beaucoup d'Indonésiens se retrouvent aujourd'hui sans ressources en raison de la crise économique, mais aussi à la suite des troubles et des émeutes qui ont fait de nombreuses victimes et causé des dégâts importants. Ce n'est qu'en acceptant de conduire de véritables réformes que les autorités indonésiennes pourront satisfaire aux revendications exprimées par les manifestants et empêcher que le mécontentement de la population ne dégénère en violences.

La crise actuelle ne pourra être résolue durablement que si les droits humains fondamentaux sont respectés. Ces droits n'ont rien d'abstrait: ils sont les garants du développement de l'Indonésie et de la pleine participation de chaque citoyen à la vie politique et économique de son pays.

Des mesures visant à instaurer immédiatement la confiance

Amnesty International considère que les mesures exposées ci-dessous devraient être immédiatement prises par le nouveau gouvernement, s'il veut faire la preuve qu'il est réellement prêt à rompre avec le passé, à engager des réformes et à redresser les torts causés avant son arrivée au pouvoir.

·        Libérer tous les Indonésiens et les Timorais détenus uniquement pour l'expression non violente de leurs opinions. La libération immédiate des prisonniers d'opinion, et notamment des militants politiques non violents, serait le signe que le gouvernement est prêt à écouter tous les appels au changement.

·        Procéder à la révision des condamnations prononcées à l'encontre de tous les autres prisonniers politiques en Indonésie et au Timor oriental, jugés pour la plupart au terme de procès inéquitables.

·        Lever toutes les restrictions qui pèsent aujourd'hui encore sur lesanciens détenus accusés d'avoir participé à la tentative présumée de coup d'État de 1965, ainsi que leur famille.

·        Respecter le droit du peuple indonésien à participer à des manifestations non violentes. Donner des instructions strictes aux membres des forces armées, y compris à la police, afin que tout individu puisse prendre part à une manifestation pacifique sans craindre que les services de sécurité n'aient recours à la force ou ne procèdent à son interpellation.

·        Ordonner à tous les membres des forces de sécurité de se conformer aux normes internationales relatives à l'utilisation de la force et des armes à feu et veiller à ce que ceux qui les enfreignent soient traduits en justice.

·        Veiller à ce qu'une enquête immédiate et indépendante soit menée sur les récentes "disparitions" de militants politiques, ainsi que sur les informations selon lesquelles les forces de sécurité auraient eu recours à une force excessive ou meurtrière, tuant notamment des étudiants de l'Université Trisakti, le 12 mai 1998, et blessant des étudiants lors d'une manifestation à Surabaya, le 19 mai 1998. Retirer du service actif les membres des forces de sécurité ayant pris part à ces agissements dans l'attente de leur jugement par un tribunal civil.

·        Lever les restrictions imposées à la presse afin de rétablir la liberté d'expression et de permettre un débat public sur le processus de réformes.

Une réforme législative et institutionnelle

Amnesty International recommande également au nouveau gouvernement de lancer un programme de réformes plus ambitieux, visant à renforcer les instances chargées de protéger les droits humains et à amender la législation interdisant aux citoyens indonésiens d'exercer ces droits. Pour l'élaboration de ce programme, le gouvernement devrait faire appel à une large gamme d'intervenants, comprenant les représentants des partis d'opposition, des syndicats et des organisations de défense des droits humains. L'Organisation estime que les mesures résumées ci-après devraient être au cœur de ce programme de réformes.

Réforme législative

Amnesty International recommande:

·        d'abroger toutes les lois qui autorisent l'emprisonnement de personnes dont le seul tort est de s'être livrées à des activités politiques pacifiques. Celles-ci comprennent: la Loi contre la subversion, les articles 154, 155 et 156 du Code pénal relatifs à la "propagation de la haine", les articles 134, 137, 207 et 208, qui permettent l'incarcération d'individus ayant exprimé des sentiments de mépris ou d'hostilité envers les autorités indonésiennes, la personne du président ou du vice-président, ainsi que la Loi N°5/PNPS/1963.

·        d'introduire dans le Code pénal l'interdiction explicite du recours à la torture et aux traitements cruels, inhumains ou dégradants à l'encontre d'un détenu.

·        de procéder à la révision du Code de procédure pénale (KUHAP), du Code pénal, des décrets ministériels et présidentiels et des décisions gouvernementales, afin que les droits des détenus et des accusés soient pleinement protégés, conformément aux normes internationales en matière de droits humains.

·        d'abolir la peine de mort pour tous les crimes et de commuer toutes les condamnations à mort.

La liberté d'association

Amnesty International recommande:

·        de mettre un terme aux restrictions pesant sur la liberté d'association des individus et des groupes, notamment des syndicats et des organisations non gouvernementales.

·        d'aligner la législation relative aux activités des organisations populaires sur les normes internationales en matière de droits humains.

·        d'amender la législation relative aux activités des partis politiques et des syndicats, afin de mettre fin aux restrictions pesant sur la liberté d'association.

·        de procéder à la révision des lois et des pratiques électorales afin de garantir la liberté d'expression, d'association et de réunion, et de veiller à ce que les citoyens puissent voter et se présenter aux élections sans craindre d'être victime d'intimidation, de discrimination ou de harcèlement.

Réforme institutionnelle

Les forces armées (ABRI)

Amnesty International recommande:

·        de veiller à ce que toutes les violations des droits humains perpétrées par les forces de sécurité fassent l'objet d'une enquête exhaustive et indépendante et à ce que les responsables soient jugés par un tribunal civil conformément aux normes d'équité.

·        de veiller à ce que, conformément au Code de procédure pénale, les forces armées indonésiennes ne soient plus autorisées à procéder à des arrestations, des mises en détention et des enquêtes.

·        d'instaurer une force de police civile séparée.

Le pouvoir judiciaire

Amnesty International recommande:

1    d'instaurer un pouvoir judiciaire indépendant dans la loi et dans les faits.

2    de mettre fin au contrôle exercé par le ministère de la Justice sur l'appareil judiciaire et de renforcer les pouvoirs de la Cour suprême.

3    de supprimer l'obligation faite aux juges d'appartenir au Civil Service Corps (Corps des fonctionnaires), une organisation du Golongan Karya (Golkar), le parti au pouvoir, dirigée par le ministère de l'Intérieur.

4    de veiller à ce que les droits des détenus et des accusés, tels qu'ils sont énoncés dans le Code de procédure pénale indonésien et dans les normes internationales en matière de droits humains, soient respectés par les tribunaux et à ce que toute violation de ces droits fasse l'objet d'une enquête exhaustive et indépendante.

La Commission nationale des droits humains (Komnas HAM)

Amnesty International recommande:

1    de procéder à la révision du mandat, des statuts et du mode de fonctionnement de la Commission, afin de les rendre conformes aux normes internationales relatives aux institutions nationales chargées de protéger les droits humains.

2    de réexaminer tous les renseignements recueillis par la Commission, en vue d'appliquer les recommandations restées en suspens.

3    d'instaurer une commission des droits humains au Timor oriental véritablement représentative des Timorais, qui soit conforme aux normes internationales relatives aux institutions nationales chargées de protéger les droits humains et qui aient la confiance du peuple timorais.

Protection des droits humains

Amnesty International recommande:

1    de ratifier les engagements internationaux en matière de droits humains, dont la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Cela fait de nombreuses années que les autorités indonésiennes manifestent leur intention d'adhérer.

2    d'autoriser des experts et des mécanismes thématiques des Nations unies, tels que le Groupe de travail sur la détention arbitraire, le rapporteur spécial sur la torture et le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, à surveiller la situation des droits humains en Indonésie.

3    d'autoriser les organisations non gouvernementales nationales et internationales à surveiller la situation des droits humains dans toute l'Indonésie et le Timor oriental.

4    de veiller à ce que tous ceux qui prennent fait et cause pour les droits humains, qu'ils soient juristes, militants, syndicalistes ou journalistes, puissent agir sans être menacés, harcelés ou arrêtés.

Une formation aux droits humains

Les réformes exposées ci-dessus constituent le fondement du processus de changement qui permettra à l'Indonésie de construire un avenir fondé sur le respect des droits humains. Mais il est tout aussi indispensable de former les représentants de l'État et les membres des forces de sécurité, afin qu'ils prennent conscience de leurs responsabilités en matière de droits humains et qu'ils accomplissent leur tâche conformément aux normes internationales.

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Indonesia: An Agenda for Human Rights Reform. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL -ÉFAI- juin 1998.

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La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Indonesia: An Agenda for Human Rights Reform. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL -ÉFAI- juin 1998.

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