Échanges entre Amnesty International et le Gouvernement
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Date:
1 September 1997
Introduction
En mai 1997, Amnesty International a adressé au gouvernement kenyan un mémorandum exposant les préoccupations de l'Organisation quant à la situation des droits de l'homme au Kenya, et faisant part de ses recommandations pour la protection et la promotion de ces droits. Le 5juin 1997, une rencontre a eu lieu à Nairobi entre des délégués de l'Organisation et le vice-président kenyan, le procureur général et son adjoint, des membres importants du Conseil des ministres, le chef de la police, le directeur de l'administration pénitentiaire et de hauts responsables des services de sécurité, qui ont fait part à l'Organisation de la réponse du gouvernement kenyan au mémorandum. Le procureur général est par ailleurs revenu, dans une lettre datée du 6août 1997, sur les cas précis figurant dans le mémorandum. Le présent rapport comprend l'exposé détaillé des préoccupations d'Amnesty International telles qu'elles ont été portées directement à la connaissance du gouvernement par le biais du mémorandum, ainsi que la réponse des autorités de Nairobi.
Au Kenya, Amnesty International a également rencontré de simples citoyens, des dignitaires religieux, des hommes d'affaires, des militants des droits de l'homme, des bailleurs de fonds, ou des membres de partis politiques notamment du parti au pouvoir, la Kenya African National Union (KANU, Union nationale africaine du Kenya), d'associations professionnelles ou de la communauté diplomatique. Ce que les délégués de l'Organisation ont vu et entendu est venu confirmer leurs craintes quant à la situation des droits de l'homme dans le pays, craintes manifestement partagées par un grand nombre de Kenyans. Depuis lors, la situation s'est encore dégradée. Au cours de la campagne électorale, des rassemblements en faveur de la démocratie ont été brutalement dispersés, au moins neuf personnes ont été tuées et des centaines d'autres, blessées. Nombreux sont les Kenyans qui exigent qu'avant la tenue des élections, des réformes législatives et constitutionnelles soient engagées. Ils estiment en effet que leurs suffrages n'auraient aucun sens dans le cadre de la législation actuellement en vigueur, qui restreint notamment la liberté d'expression et d'association.
Conséquence de telles pressions, le Conseil exécutif national de la KANU a demandé fin juillet qu'avant les élections soit présenté un projet de loi portant création d'une commission qui aurait pour mission de réviser la Constitution. Le Conseil a également suggéré que, préalablement au scrutin, plusieurs lois contraires aux droits de l'homme soient abrogées. Début août, le gouvernement kenyan a publié deux projets de lois qui doivent être soumis à l'Assemblée nationale, le premier portant sur les lois et règlements écrits (abrogations et amendements divers), et le deuxième sur la Commission de révision de la Constitution kenyane. Ces deux projets de loi ont été accueillis avec circonspection. Des militants en faveur de la démocratie ont toutefois critiqué l'absence de dialogue avec le gouvernement au sujet des réformes et du calendrier proposé pour débattre et mettre en uvre ces projets de loi.
Si l'on veut éviter de nouvelles violences, il convient d'apporter une réponse aux préoccupations de la population kenyane. Celle-ci ne souhaite pas que les gesticulations politiques et les querelles internes masquent le problème concret de la protection des droits de l'homme et les grandes questions qui se posent. Les citoyens kenyans veulent qu'un véritable dialogue s'instaure en vue d'améliorer la situation présente, de telle sorte que les prochains mois ne soient pas marqués à leur tour par des violences et des atteintes aux droits de l'homme.
Au cours des cinq années qui ont suivi la mise en place d'un régime multipartite, les organisations nationales et internationales de défense des droits de l'homme et d'autres organismes n'ont cessé de dénoncer les violations des droits fondamentaux au Kenya. Récemment, les autorités kenyanes ont pris un certain nombre de mesures visant à promouvoir ces droits; elles ont ainsi adhéré, début 1997, à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et créé un Comité permanent des droits de l'homme. Les plaintes pour torture n'ont pas cessé pour autant, et le Comité permanent des droits de l'homme, dont le mandat est limité, n'a toujours publié aucun rapport.
1 La législation
En décembre 1991, la Constitution kenyane a été révisée de manière à permettre l'instauration d'un système politique pluraliste. Cette initiative a été saluée dans la mesure où elle favorisait l'extension des droits à la liberté d'association et d'expression. Dans la réalité, toutefois, l'application systématique de lois contraires aux normes internationales a entraîné la restriction de ces libertés. Amnesty International a fait part de sa préoccupation concernant les lois en question, et notamment:
1). La Loi relative au maintien de la sécurité publique, qui permet, entre autres, le recours à la détention sans jugement pour une durée illimitée, les restrictions sur les médias, ainsi que l'interdiction de réunions et de rassemblements publics. Bien que, depuis 1992, aucun placement en détention n'ait été effectué en vertu de cette loi, celle-ci n'a pas été amendée de façon à rendre ce type de détention impossible. Les pouvoirs que cette loi reconnaît au président portent atteinte aux droits à la liberté d'expression et d'association, liberté pourtant garantie par les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme que le Kenya a ratifiés. Il faut que cette loi soit amendée afin de la mettre en conformité avec les dispositions de l'article4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui définit les critères permettant de se soustraire aux obligations du traité, et interdit toute dérogation à certains droits imprescriptibles, tels que le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
2). Certains articles du Code pénal relatifs à la sédition et à la trahison, qui continuent d'être utilisés pour arrêter et jeter en prison des détracteurs du gouvernement. En juillet 1996, 21 membres du groupe de pression baptisé Release Political Prisoners (RPP, Libérez les prisonniers politiques) ont été détenus durant deux semaines, après avoir tenté d'organiser une manifestation culturelle de trois jours à la mémoire de Karimi Nduthu, secrétaire général de leur mouvement, assassiné en mars dans des circonstances suspectes. Ces 21 personnes ont été poursuivies pour réunion illégale, incitation à la violence et désobéissance à un ordre émanant d'un représentant de la loi. Elles ont été libérées sous caution. Njehu Gatabaki, journaliste, éditeur et membre du Parlement, a été inculpé de sédition en mai 1995. Son affaire n'a toujours pas été examinée. Arrêté en mai 1996, il a été détenu pendant neuf jours parce qu'il ne s'était pas présenté, pour des raisons de santé, à une audience du tribunal.
3). La Loi relative à l'ordre public, qui prévoit que certaines réunions publiques doivent au préalable bénéficier d'une autorisation officielle. Cette loi a été utilisée pour empêcher la tenue de réunions et de rassemblements de partis politiques d'opposition, mais également de réunions qui n'avaient pas un caractère politique telles que des séminaires et des ateliers de travail consacrés à l'éducation civique, organisés notamment à l'initiative de groupements religieux. C'est ainsi qu'en octobre 1996, le responsable de district d'Embu a interdit à des organisations non gouvernementales et à des associations confessionnelles de tenir des séminaires. En avril 1997, un séminaire organisé à Loitokitok par la Commission catholique locale pour la paix et la justice a été interdit par le responsable de district, qui s'est prévalu d'une circulaire confidentielle émanant du Cabinet du président, laquelle disait: «Le gouvernement [ ] s'inquiète beaucoup des activités des ONG qui donnent des cours d'éducation civique. Ces organisations représentent une menace pour la sécurité de l'État, et il est nécessaire de restreindre leurs activités.»
4). La Loi relative à l'autorité des chefs, qui confère aux responsables administratifs locaux des pouvoirs étendus, en vertu desquels ils peuvent notamment procéder à des arrestations, placer des personnes en détention et restreindre la liberté de circulation. De nombreux cas d'abus de pouvoir ont été signalés. En mai 1996, le gouvernement a promis devant le Parlement que cette loi serait révisée, mais elle n'en demeure pas moins en vigueur. Trois enseignants qui avaient assisté au séminaire organisé à Loitokitok en avril 1997 ont été arrêtés par des membres de la police administrative sur l'ordre du responsable de district. Ils ont été passés à tabac et enfermés dans les toilettes du responsable de district pendant plusieurs heures. Ils ont finalement été relâchés après intervention de religieuses et du prêtre de la région.
5). La Loi relative à la police administrative, qui place une branche de la police sous contrôle direct de l'administration provinciale, ce qui tend à renforcer le pouvoirs des chefs locaux et des responsables de district. En avril 1997, le garde du corps de Kijana Wamalwa, dirigeant du FORD-Kenya, a été blessé par balle par un membre de la police administrative, qui aurait agi sur ordre du responsable de district. Ces faits se sont produits alors que Kijana Wamalwa cherchait à ouvrir un bureau du FORD-Kenya dans le district de Kakamega.
6). La Loi relative aux associations, qui restreint la liberté d'association et empêche certaines organisations, notamment des syndicats et des partis politiques, de se faire enregistrer officiellement.
Au cours de la campagne précédant la tenue des élections présidentielles et parlementaires qui doivent avoir lieu cette année, ces lois ont été utilisées pour restreindre davantage encore les activités des partis d'opposition et autres organisations, leur déniant de ce fait le droit à la liberté d'expression et d'association. Le 7juillet, des rassemblements en faveur de la démocratie qui se déroulaient dans différentes régions du Kenya ont été brutalement interrompus par les autorités, qui ont fait appel pour cela à la police, aux brigades antiémeutes, à la General Services Unit (GSU, Unité de services généraux) et à la police administrative. À Nairobi, ce sont les gardes affectés à la sécurité du Conseil municipal (connus sous le nom d'askari en swahili) qui ont été mobilisés, ce qui est contraire à la loi. Au moins neuf personnes ont été tuées. Dans certaines parties du pays, comme à Nakuru, des membres du mouvement de jeunesse de la KANU ont été utilisés pour disperser par la force une manifestation pacifique de défenseurs de la démocratie. Considérant que les partisans de la KANU peuvent quant à eux se réunir et manifester comme bon leur semble, il est de plus en plus à craindre que des affrontements ne se produisent un peu partout entre sympathisants de la KANU et partisans des réformes.
En l'espace d'une semaine, en avril 1997, un certain nombre d'incidents se sont produits au cours desquels des députés de l'opposition ont été la cible des agissements des autorités. Outre les coups de feu tirés sur le garde du corps de Kijana Wamalwa, dont il a été question plus haut, citons les cas de Raila Odinga, membre du National Development Party of Kenya (NDPK, Parti national pour le développement du Kenya), et de Oburu Odinga, appartenant au FORD-Kenya, blessés par la police alors que celle-ci dispersait brutalement une réunion à Eldoret. Charity Ngilu, du Social Democratic Party of Kenya (SDPK, Parti social démocrate du Kenya), qui avait été passée à tabac par des policiers en novembre 1996, a vu son domicile encerclé par la police, laquelle prétendait vouloir interrompre une réunion illégale.
Réponse du gouvernement kenyan aux préoccupations exprimées par Amnesty International concernant les réformes législatives et constitutionnelles:
«Au lendemain des élections générales de cette année, une Commission de révision de la Constitution sera nommée qui aura pour tâche de réviser entièrement la Constitution kenyane dans le souci des intérêts de l'ensemble du peuple kenyan... Le gouvernement kenyan pense que la meilleure conduite à suivre pour réformer la Constitution n'est pas celle qui consiste, pour les dirigeants politiques, professionnels, religieux et universitaires, voire même pour la société civile, à demander au peuple d'avaliser leurs idées préconçues sur la Constitution. La meilleure approche, c'est celle qui permet au peuple lui-même de formuler des propositions susceptibles d'être inscrites dans la Constitution.
«Il a été décidé de repousser la révision constitutionnelle au lendemain des élections parce que, compte tenu du calendrier parlementaire et du climat électoral, la période qui s'étend entre aujourd'hui et la fin de la session actuelle du Parlement n'est pas propice à ce travail important.»
Amnesty International est amenée à se poser plusieurs questions: comment l'actuel gouvernement, qui s'est déclaré favorable à la tenue d'élections libres et honnêtes, peut-il s'engager au nom d'un futur gouvernement non encore élu? Pourquoi tous les dirigeants, à l'exception de ceux désignés par le gouvernement, semblent être exclus du travail de révision? Pourquoi les séminaires destinés à faire connaître la Constitution aux Kenyans continuent-ils d'être interrompus ou interdits si la Constitution doit être élaborée en faisant appel à la participation populaire? L'éducation sur cette question n'est-elle pas primordiale?
Le gouvernement a également fait savoir à Amnesty International que «toutes les lois dont Amnesty réclame qu'elles soient révisées font, de fait, l'objet d'une révision minutieuse» (par des groupes d'étude constitué en 1993). En juin 1997, le gouvernement s'est dit favorable à l'abrogation de la Loi relative à l'ordre public et à son remplacement par une «Loi relative aux rassemblements pacifiques, qui libéraliserait l'exercice de la liberté de rassemblement». Le gouvernement a toutefois précisé à l'intention de l'Organisation: «La Loi relative au maintien de la sécurité publique est si étroitement liée à la Constitution que sa révision devra se faire parallèlement à celle de la Constitution... il est peu probable que les recommandations émises par les groupes d'étude ou toute autre proposition de loi soient adoptées au cours de la session parlementaire actuelle en raison du manque de temps des députés.»
Amnesty International ne comprend pas comment il est possible que ces réformes, minutieusement étudiées depuis 1993, n'aient pas encore été achevées et présentées à l'opinion publique. L'Organisation demeure préoccupée par le fait que, même avec l'adoption des projets d'amendements à la Loi relative à l'ordre public et à d'autres lois, le président conserve des pouvoirs discrétionnaires étendus lui permettant de restreindre la liberté d'association et d'expression pouvoirs qui lui sont notamment reconnus par la Loi relative au maintien de la sécurité publique. Le procureur général, dans sa lettre du 6août, réaffirme que la Loi relative au maintien de la sécurité publique est très étroitement liée à la Constitution et sera révisée en même temps que celle-ci. Il est donc fort peu probable que la Loi relative au maintien de la sécurité publique soit amendée dans un avenir immédiat.
Le gouvernement a en outre déclaré que, même s'il n'y avait pas de réformes, il ferait en sorte que «les prochaines élections soient libres et honnêtes, et le jeu politique équitable», ajoutant: «Toutes les plaintes qui ont été formulées dans le passé concernant le fonctionnement des élections seront étudiées et traitées selon les cas.»
Au lendemain des élections de 1992, les groupes chargés de surveiller leur déroulement ont fait part de leurs graves préoccupations. Le National Election Monitoring Unit (NEMU, Observatoire national des élections) a abouti à la conclusion que «les élections de décembre 1992 [n'avaient] pas été libres[1]». Le groupe d'observateurs du Commonwealth a déclaré: «Sous certains aspects, ces élections n'ont pas été honnêtes. Citons pour exemples:
la procédure d'inscription dans de nombreuses régions du pays
la procédure de nomination, notamment dans la Vallée du Rift, qui a abouti à la réélection de 16 candidats de la KANU à la députation qui n'avaient aucun adversaire
le manque de transparence de la Commission électorale
les manuvres d'intimidation, les obstacles administratifs et les violences qui ont émaillé la campagne politique
les positions partisanes de la radio et de la télévision d'État
le peu d'empressement du gouvernement à prendre ses distances avec la KANU[2]».
Amnesty International s'est déclarée préoccupée par les actes d'intimidation et la violence politique qui ont marqué la période électorale en 1992. Les atteintes aux droits de l'homme ont eu des conséquences sur le résultat de ces élections; nombre de violations ont d'ailleurs été commises bien avant le jour du scrutin.
De nombreux citoyens kenyans hommes politiques de l'opposition, dignitaires religieux, défenseurs de la démocratie, militants des droits de l'homme, entre autres ont émis des doutes quant au caractère libre et honnête des prochaines élections présidentielles et parlementaires, dans le cadre du système juridique actuellement en vigueur. Ils ont dit leur méfiance quant à l'impartialité de la Commission électorale et à l'indépendance de la procédure d'inscription, et ils ont dénoncé les restrictions qui frappent les activités des formations d'opposition lesquelles, par exemple, n'ont pas accès à la radio et à la télévision. Une Commission électorale parallèle a été mise en place par la National Convention Assembly (NCA, Assemblée de la Convention nationale), organisation qui réunit des groupements religieux, des partis d'opposition, des associations professionnelles, des militants des droits de l'homme, des ONG, etc. Des atteintes aux droits de l'homme liées aux élections sont d'ores et déjà commises. Des rassemblements pacifiques pour l'instauration de réformes ont été brutalement dispersés par la police, qui a utilisé gaz lacrymogènes, matraques, balles réelles et balles en caoutchouc. Plusieurs personnes, notamment des femmes, qui envisageaient de se présenter aux élections ont déjà été victimes d'attaques. C'est le cas de Rhoda Fadhil, future candidate à la députation dans le nord-ouest du Kenya, qui affirme avoir été l'objet d'actes de harcèlement, d'intimidation et de menaces de viol de la part du député local et de ses sympathisants. Elle s'est plainte auprès de la police mais n'a bénéficié d'aucune protection; aujourd'hui, elle craint pour sa sécurité personnelle. Le NEMU a noté lors des élections de 1992 que toutes les candidates qu'il rencontrait, comme certains de leurs partisans, étaient harcelées par leurs opposants masculins: «En une occasion, une dizaine de femmes soutenant Charity Kaluki Mwendwa ont été victimes de sévices sexuels et violées par des hommes qui disaient soutenir son rival[3]».
Un certain nombre de programmes de surveillance des élections, tant nationaux qu'internationaux, sont à l'étude. Pour la protection et la promotion des droits de l'homme, il est indispensable que ces programmes soient mis en uvre dès que possible, et qu'ils soient principalement axés sur la surveillance de la situation des droits fondamentaux. Toute violation devra être directement signalée aux autorités et portées à la connaissance de l'opinion publique.
Un peu plus d'un mois après la rencontre avec Amnesty International, et suite aux pressions nationales et internationales, le gouvernement kenyan a donné l'impression de changer d'attitude. Il a annoncé la création d'une commission chargée de réviser la Constitution avant la tenue des élections. Par ailleurs, il a déclaré qu'il allait accélérer la révision de la législation et faire passer avant les élections une loi abrogeant un certain nombre de lois contraires aux droits de l'homme, parmi lesquelles: la Loi relative à l'ordre public, la Loi relative au maintien de la sécurité publique, le Code pénal, la Loi relative à l'autorité des chefs, la Loi relative aux collectes publiques, ainsi que la Loi relative à l'Assemblée nationale et aux élections présidentielles, qui comprend un code de conduite s'appliquant aux élections.
Le 4août 1997, le gouvernement kenyan a publié un projet de loi instituant une commission chargée de réviser la Constitution. Elle aura pour tâche d'amender l'ensemble de la Constitution et de faire des propositions de réforme. La commission est tenue de présenter son rapport dans les deux ans, un délai qui pourra éventuellement être prolongé d'un an. Concernant la désignation des membres de la commission, le président devra demander aux organisations religieuses, politiques, professionnelles et non gouvernementales qu'elles lui soumettent une liste de noms. Cette initiative est certes une tentative du gouvernement pour répondre aux attentes des citoyens kenyans, mais elle ne suffit pas à satisfaire à leurs exigences concernant les diverses réformes fondamentales à entreprendre avant les élections.
Le 1eraoût 1997, le gouvernement a publié des projets d'amendements à plusieurs lois, dont celles relatives à l'ordre public, aux associations et à l'autorité des chefs. Il a, dans le même temps, rendu public un document dans lequel il explique les raisons et les buts de ces amendements. Il explique notamment qu'il abroge la Loi relative aux districts éloignés, laquelle restreint la liberté de circulation entre certaines régions, ainsi que la Loi (administrative) relative aux districts spéciaux, et ce afin que tous les habitants du Kenya puissent, dans une plus large mesure, jouir de leurs droits fondamentaux.
Le projet d'amendement à la Loi relative à l'ordre public remplace l'autorisation jusque-là obligatoire pour organiser défilés et réunions publics par une procédure de notification. La police peut empêcher la tenue d'une réunion si elle a préalablement été avertie qu'une autre réunion devait avoir lieu. Elle est habilitée à interrompre ou à empêcher une réunion dont la tenue ne lui aurait pas été notifiée, ou une réunion interdite en raison de la tenue d'une autre réunion, ou bien encore s'il «existe des menaces manifestes, présentes ou imminentes de trouble de la paix ou trouble à l'ordre public». En vertu de ces amendements, la police continue de détenir des pouvoirs discrétionnaires étendus lui permettant d'empêcher l'organisation de rassemblements publics. S'il est exact que les amendements au Code pénal réduisent les peines applicables en cas de crime de sédition, il n'en demeure pas moins que l'infraction n'a pas été supprimée et peut toujours être utilisée par le gouvernement pour poursuivre des opposants pacifiques.
Les projets d'amendement à la Loi relative à l'autorité des chefs n'entament pas le pouvoir que cette loi confère aux responsables administratifs de procéder à des arrestations et à des placements en détention. Toutefois, l'un des projets d'amendement prévoit de retirer aux responsables administratifs le pouvoir de décider du transfert d'une personne relevant de la juridiction d'un responsable à celle d'un autre.
Le projet d'amendement à la Loi relative aux associations prévoit qu'une décision du ministre et directeur du registre des associations pourra être contestée devant la Haute Cour.
2.Les arrestations arbitraires
Les articles9(1) du PIDCP et 6 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples prohibent les arrestations arbitraires. Amnesty International a pourtant été informée à maintes reprises du fait que des défenseurs des droits de l'homme avaient été menacés, harcelés, battus ou arbitrairement arrêtés en raison de leurs activités non violentes. Leurs réunions ont été brutalement interrompues et leurs locaux saccagés. Des journalistes qui tentaient de rendre compte de certains événements ont été agressés par la police et par des membres du mouvement de jeunesse de la KANU. Ils ont été arrêtés, ont vu leurs appareils de photos et leurs pellicules détruites. Des journaux d'opposition ont été saisis, et des presses typographiques mises hors d'état de fonctionner.
La police a également procédé à des arrestations massives de pauvres, de femmes, d'enfants des rues et de réfugiés. Elle les accuse d'ivresse sur la voie publique, de vente à la sauvette, de vagabondage, de prostitution, ou bien encore d'être des immigrés clandestins. Les personnes appréhendées sont enfermées dans des cellules de la police. Peu d'entre elles ont accès à un avocat, soit en raison de leur pauvreté, soit parce qu'elles ignorent leurs droits. Beaucoup sont envoyées dans l'une ou l'autre des prisons surpeuplées du pays, où elles connaissent souvent des conditions qui menacent directement leur vie. Reste à savoir si l'abrogation de la Loi relative au vagabondage permettra de réduire le nombre de ces arrestations et placements en détention.
Réponse du gouvernement kenyan aux préoccupations exprimées par Amnesty International concernant les arrestations arbitraires:
«La législation kenyane est parfaitement claire quant au fait qu'une personne ne peut être arrêtée que si elle est soupçonnée d'avoir commis ou de vouloir commettre une infraction prévue par la loi. Toute personne arrêtée dans d'autres circonstances que celles susmentionnées dispose de voies de recours légales à l'encontre de la personne ou de l'autorité ayant procédé à l'arrestation. Le gouvernement n'a aucune mansuétude à l'égard de ceux de ses agents qui transgressent la loi. Ils font l'objet de mesures disciplinaires efficaces et sont souvent déférés à la justice.
«En ce qui concerne le détail des modalités d'administration de nos postes de polices et prisons (...) nous nous inspirons de principes et de règlements précis, qui sont appliqués. Bien entendu, personne n'est ou ne peut être arrêté uniquement en raison de sa nationalité ou de son origine ethnique. Le gouvernement est par ailleurs conscient de ses obligations aux termes de la législation internationale relative aux réfugiés, et il ne renverrait pas un réfugié dans son pays si celui-ci risquait véritablement d'y être persécuté.»
La police dispose cependant de pouvoirs étendus lui permettant de procéder à des arrestations sans mandat, y compris lorsqu'elle soupçonne une personne d'avoir commis ou de vouloir commettre une infraction. Elle a usé de ces pouvoirs pour détenir des femmes ayant des liens familiaux avec de présumés délinquants ou des prisonniers politiques. Akai Eregae et Akal Lobongou Margaret, respectivement épouse et mère d'un délinquant présumé, ont été arrêtées en juillet 1996 et maintenues en détention jusqu'à ce qu'elles accusent (à tort) la personne que les policiers suspectaient[4] Human Rights Watch a recensé un grand nombre de cas d'enfants des rues arrêtés arbitrairement par la police, notamment «lors de la tenue de conférences internationales ou pendant les saisons de vacances, lorsque l'attention nationale et internationale est fixée sur une ville».
Des réfugiés ont aussi été arrêtés arbitrairement et parfois expulsés. Le 18juillet 1997, au moins 80 Rwandais ont été appréhendés peu de temps après que sept autres ressortissants du même pays eurent été arrêtés à Nairobi, à la demande du Tribunal pénal international pour le Rwanda; ils étaient soupçonnés d'avoir joué un rôle capital dans le génocide de 1994. Toutefois, les 80 personnes interpellées ne devaient apparemment répondre d'aucune accusation quant à leur éventuelle participation au génocide, et il semble qu'elles aient été arrêtées arbitrairement par la police qui recherchaient plusieurs autres suspects en fuite. En juillet 1996, plus de 900 réfugiés somaliens ont été renvoyés en Somalie par l'armée kenyane six jours après avoir demandé l'asile au Kenya. En mars 1996, sept personnes ayant le statut de réfugiés et plusieurs autres ont été détenues au-delà du délai prescrit par la loi et menacées d'expulsion. Presque toutes étaient des Oromo d'Éthiopie, membres ou sympathisants du Front de libération oromo. Elles ont finalement été libérées en avril 1996 suite aux appels lancés en leur faveur tant au plan national qu'international.
3.L'indépendance du système judiciaire
Le système judiciaire kenyan ne prend pas la défense des droits fondamentaux de la population. L'article84 de la Constitution prévoit que toute infraction à l'une ou l'autre de ses dispositions sera jugée devant la Haute Cour; malgré cela, la Haute Cour a décidé qu'elle n'était pas compétente en ce qui concerne l'application des dispositions du chapitre V de la Constitution, qui ont trait aux droits de l'homme. Cela signifie que les victimes d'atteintes aux droits de l'homme ne bénéficient d'aucune espèce de protection judiciaire. En outre, il semble que le gouvernement se soit indûment ingéré dans les affaires de la justice, ce qui inquiète Amnesty International. Les juges de la Haute Cour et de la Cour d'appel sont nommés par le président sur proposition de la Commission des services judiciaires. Les membres de cette Commission sont eux-mêmes désignés par le président. Les juges qui se sont signalés par leur indépendance et leur impartialité ont été mutés dans des régions éloignées. C'est ainsi qu'en septembre 1994, le Nairobi Chief Resident Magistrate (haut magistrat de Nairobi) a été transféré à Kitui, à quelque 130 kilomètres à l'est de la capitale; il avait, peu de temps auparavant, refusé de prendre en compte les aveux de six hommes qui avaient été torturés, suite à l'attaque du bureau des chefs coutumiers de Ndeiya. Le juge avait critiqué les policiers et ordonné au préfet de prendre des mesures immédiates à l'encontre des auteurs des tortures, déclarant que «ce serait une bonne chose, lorsqu'il apparaît que des tortures ont été commises dans le cadre d'un procès, d'exiger que les enquêtes soient menées par le préfet».
Il semble qu'en un certain nombre d'occasions, le président n'ait pas, dans ses déclarations, respecté la règle relative aux affaires non encore jugées, et qu'il se soit prononcé sur des dossiers en cours. Le président s'est ainsi exprimé sur les poursuites engagées contre la University Academics Staff Union (UASU, Union du personnel universitaire) à la suite de la grève de 1993-1994. Plus récemment, il a fait savoir que les tribunaux ne devaient pas s'immiscer dans les litiges fonciers ni dans les questions relatives aux partis politiques ou aux universités. Le juge William Mbaya, à la retraite, a fait valoir en juillet 1997 que les déclarations du président «ne pouvaient être comprises que comme visant à influencer les décisions des tribunaux[5]» Le président de la Kenya Magistrates and Judges Association (KMJA, Association des procureurs et des juges du Kenya) a, en mars 1997, donné son avis sur la question: «Ces déclarations représentent une menace sans équivoque contre la primauté du droit, l'indépendance de la justice et la doctrine constitutionnelle de la séparation des pouvoirs.» Le procureur général a précisé par la suite que le président Daniel arap Moi exprimait un point de vue personnel; toutefois, considérant l'étendue des pouvoirs du président, il est impossible de ne pas en tenir compte.
Des juges et des procureurs n'ont pas été autorisés à assister à des réunions organisées par l'East African Law Society (Association juridique de l'Afrique de l'Est) la dernière en date de ces réunions ayant été celle de Mbarara (Ouganda), en avril 1997; la participation à des séminaires qui se déroulaient au Kenya même a également fait l'objet de mesures de restriction. En septembre 1996, le président de la Cour suprême a publié une circulaire exigeant des personnes désireuses d'organiser un séminaire qu'elles soumettent les thèmes de discussion et la liste des orateurs pressentis à l'approbation du juge Lakha, juge à la Cour d'appel et responsable de la formation en matière judiciaire. Des restrictions analogues ont visé les membres du système judiciaire invités à présenter des communications relatives à telle ou telle question juridique devant une autre institution. Interrogé à ce propos, le juge Lakha aurait, selon le président de la KMJA, déclaré qu'il empêcherait les rencontres entre la KMJA et d'autres organismes, telle la Law Society of Kenya (Association juridique du Kenya), et qu'il n'allait pas autoriser de discussions sur des sujets tels que la primauté du droit, les droits de l'homme, l'indépendance de la justice ou la responsabilité devant la loi. Le président de la KMJA a fait observer que «si les droits des fonctionnaires de la justice sont restreints, alors nul Kenyan, ni quelconque autre personne, ne pourra attendre des tribunaux du pays qu'ils l'autorisent à jouir de ces droits».
Réponse du gouvernement kenyan aux préoccupations exprimées par Amnesty International concernant l'indépendance de la justice:
«L'indépendance du système judiciaire kenyan est une réalité tant constitutionnelle que factuelle». Le gouvernement ajoute qu'un arrêté a été promulgué qui consacre la séparation de l'autorité judiciaire et du pouvoir exécutif, et que les salaires des fonctionnaires de justice ont été révisés à la hausse. «En ce qui concerne de supposées ingérences de l'exécutif, cela est une invention. Même lorsque des membres de la presse expriment des points de vue énergiques concernant l'appareil judiciaire (ce qu'ils font souvent), les juges peuvent néanmoins statuer, et de fait statuent, sur les dossiers qui leur sont soumis en vertu de la législation et des éléments de preuve, ce qu'ils ont prêté serment de faire.»
L'impact des propos du président n'en apparaît pas moins net. Après la déclaration que ce dernier avait faite, le dossier UASU (Union du personnel universitaire) a été classé sans suite. En mars 1993, le président a ordonné aux juges de Nakuru de ne pas libérer sous caution les suspects inculpés de détention illégale d'armes à feu. Le président de la Cour suprême a ensuite fait de même par le biais d'une circulaire adressée à tous les magistrats. Mais l'influence du président ne s'exerce pas seulement sur le système judiciaire kenyan. En juin 1997, une délégation d'Amnesty International a rencontré le préfet du district de Turkana à Lodwar, dans le nord-ouest du pays. La veille de cette rencontre, le président Moi avait accusé le Pastoralists Forum (Forum des pasteurs), réseau d'ONG locales et nationales travaillant auprès de plusieurs populations pastorales, d'être la façade d'un mouvement de guérilla. Le préfet connaissait bien le Forum des pasteurs pour avoir assisté à certaines de ses réunions. Interrogé sur les propos du président, il a répondu: «Ce que dit le président est, et sera, la vérité». Peu de temps après la déclaration présidentielle, plusieurs membres du Forum des pasteurs ont subi un interrogatoire par des agents de la Brigade spéciale.[6]
Dans un récent rapport intitulé The Legal System and Independence of the Judiciary in Kenya, l'Association internationale du Barreau fait observer que «quel que soit le degré d'indépendance de la justice au Kenya, il ne semble certainement pas, à quelques exceptions près, que cette indépendance soit suffisante vis-à-vis du principal organe exécutif[7]». Les auteurs du rapport ajoutent que les déclarations de Daniel arap Moi citées plus haut ne respectent pas les Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature[8] (ONU), et que «les propos du président, contraires à la règle qui s'attache aux affaires non encore jugées, affectent à tout le moins la façon dont l'indépendance du système judiciaire est perçue. La règle relative aux affaires pendantes doit être respectée par tous les Kenyans, mais le président lui-même doit montrer l'exemple quant à l'observation de cette règle».
4.Des procès inéquitables
Le droit à bénéficier d'un procès équitable est inscrit dans le PIDCP, ainsi que dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. La façon dont ce droit est respecté au Kenya a soulevé de vives inquiétudes, dont nous énumérons les principaux motifs:
L'absence d'aide juridictionnelle aux accusés jugés par des juridictions répressives (Magistrates' Courts). Les accusés poursuivis pour vol ou tentative de vol avec violence, qui sont passibles de la peine de mort s'ils sont reconnus coupables, ne reçoivent aucune aide juridictionnelle (pour plus de détails, cf.chapitre6 sur la peine de mort)
La non-compréhension de la langue utilisée par l'accusé devant le tribunal. Cela est contraire à l'article 14-3-f du PIDCP, qui dispose que toute personne a droit à «se faire assister gratuitement d'un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience», ainsi qu'à l'article 76-1-f de la Constitution du Kenya, aux termes duquel tous les accusés sont autorisés à bénéficier des services d'un interprète rémunéré par l'État s'ils ne comprennent pas la langue utilisée pendant le procès. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les affaires impliquant des Somalis kenyans originaires de la province de l'Est.
La recevabilité par le tribunal d'aveux faits à des policiers même lorsque l'interrogatoire de l'accusé s'est déroulé en l'absence de toute autre personne. Il semble que de nombreux accusés aient été reconnus coupables sur la foi d'"aveux" faits à des policiers pendant l'interrogatoire alors que personne d'autre n'était présent; souvent les accusés plaideront coupable pour, par la suite, se rétracter, accusant les policiers de les avoir torturés pendant leur interrogatoire.
Lorsqu'un suspect de droit commun affirme devant le tribunal avoir été torturé, le magistrat ou le juge saisi de l'affaire ouvre ordinairement ce qu'on pourrait appeler un "procès dans le procès" afin de déterminer si les accusations de torture sont fondées. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dispose, dans son article13, que «tout État partie assure à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur tout territoire sous sa juridiction le droit de porter plainte devant les autorités compétentes dudit État qui procéderont immédiatement et impartialement à l'examen de sa cause». Amnesty International craint que cette pratique actuelle du "procès dans le procès" ne permette pas de mener des enquêtes suffisamment impartiales en cas de plaintes pour tortures. L'accent est mis sur le fait de savoir si un aveu ou une déclaration a été fait(e) sous la contrainte, auquel cas l'aveu ou la déclaration ne pourra être utilisé(e) comme élément de preuve par le tribunal, l'accusation se montrant pour sa part favorable à la recevabilité de l'un ou l'autre et démentant toutes brutalités policières. Cela, en cas de plainte pour torture ou pour traitement cruel, inhumain ou dégradant, ne peut équivaloir à une enquête impartiale menée par un organisme indépendant, capable de faire la preuve de son indépendance formelle à l'égard des autorités responsables de l'arrestation et de l'interrogatoire.
La durée de la détention précédant le procès période où le risque de torture est le plus grand lorsqu'elle excède celle fixée par la loi. Il arrive souvent que les personnes arrêtées, dans l'attente d'être jugées, soient maintenues en détention pour une durée plus longue que la durée maximale admise par la législation nationale, qui est de vingt-quatre heures et de quatorze jours si la personne est soupçonnée d'un crime passible de la peine capitale. Les policiers s'efforcent de justifier une telle détention prolongée, qui est illégale, en arguant que le détenu «aide la police dans son enquête»; il est rare que le tribunal remette en cause cette pratique. La requête en habeas corpus, qui vise à garantir qu'un détenu sera présenté devant un tribunal, est une procédure coûteuse, accessible seulement à ceux dont la famille peut s'offrir les services d'un avocat.
Cette question de la détention prolongée illégalement n'est souvent pas prise en compte lors du "procès dans le procès", à moins d'être soulevée devant le tribunal par l'accusé ou son avocat. En octobre 1996, le président de la Cour suprême a ordonné à tous les tribunaux de première instance de ne pas accepter qu'un accusé maintenu en détention policière au-delà du terme de la durée légale plaide coupable, quand la police ne peut fournir de raisons valables à cette détention. Le tribunal devra consigner que l'accusé ne plaide pas coupable et suivre la procédure normale. Le président de la Cour suprême n'a pas voulu reconnaître qu'une détention provisoire excédant la durée légale constituait une violation des droits constitutionnels de l'accusé, et il a rejeté le recours en inconstitutionnalité formé par cinq prévenus, qui avaient été détenus jusqu'à soixante-cinq jours sans inculpation.
L'abandon par le ministère public des charges retenues au titre de l'article87-a du Code procédure pénale. Il semble que cela ait été utilisé en vue d'intimider les prévenus qui risquent d'être à nouveau arrêtés s'ils disent qu'ils ont été torturés. Dans certains cas, des accusés ont été arrêtés de nouveau dès leur sortie du tribunal puis à nouveau inculpés des mêmes chefs par un autre tribunal. Au cours des vingt-deux mois qu'a duré sa détention, Josephine Nyawira Ngengi a été poursuivie pour vol avec violence devant trois juridictions répressives (Magistrates' Courts) distinctes. Par deux fois les charges retenues contre elle ont été abandonnées, et à chaque fois elle a été de nouveau arrêtée avant d'être inculpée du même chef. Elle a finalement été relaxée en mars 1996.
Insuffisance du temps et des facilités accordés à la défense lors des procès devant les juridictions répressives. Cela signifie que les prévenus ne disposent pas du temps nécessaire à la préparation de leur défense comme l'exigent l'article14-3-b du PIDCP et le Principe21 des Principes de base sur le rôle du Barreau. La défense n'a pas connaissance à l'avance des éléments à charge ni de la liste des témoins à charge. Les éléments à charge ne sont transmis à la défense qu'après que le témoin a achevé sa déposition directe. Seulement alors la défense peut prendre connaissance de la déclaration originale manuscrite dudit témoin, avant de procéder au contre-interrogatoire. La défense n'a pas le droit de conserver cette déclaration ni de s'en faire délivrer une photocopie. La confrontation des déclarations des témoins et l'étude de ces déclarations sont de ce fait rendues très difficiles. En outre, il n'existe pas de liste des témoins, et la défense ignore quel sera le témoin suivant. Il s'agit là d'un grave handicap pour la défense, qui dès lors ne peut se préparer efficacement. Cet état de chose viole le principe de l'égalité devant la loi et bafoue un peu plus encore le droit qu'ont les prévenus de bénéficier d'un procès équitable, dans ces juridictions répressives où certains d'entre eux risquent la peine de mort s'ils sont reconnus coupables.
Lors d'un procès politique au moins, celui de Koigi wa Wamwere et de ses trois coïnculpés, l'indépendance du juge a été mise en doute par des observateurs tant nationaux qu'internationaux. Ces derniers ont notamment relevé que le juge dirigeait et soutenait les témoins à charge, qu'il ne cessait de couper la parole aux avocats de la défense pendant les contre-interrogatoires, et qu'il interrompait parfois la procédure en plein milieu d'un contre-interrogatoire mené par la défense, avant le terme normal de l'audience. Il autorisait en outre le procureur à poser des questions que les règles kenyanes d'administration de la preuve ne permettent pas de poser lors d'un nouvel interrogatoire et cela même lorsque l'avocat de la défense s'y opposait, et le laissait rappeler à la barre des témoins à charge, ce qui est parfaitement irrégulier.
Dans les juridictions répressives, le procès-verbal des débats ne se fait pas de façon indépendante. C'est en effet le juge qui se charge de consigner les minutes du procès. Des observateurs ont mis en doute l'exactitude du procès-verbal officiel. Les avocats de la défense en ont également contesté la fidélité. Dix-huit mois après la clôture du procès, aucune copie de ce procès-verbal n'a encore été délivrée. Le fait qu'il n'existe aucun compte rendu précis des débats rend difficile la possibilité de remettre en cause l'indépendance du tribunal et d'interjeter appel.
Réponse du gouvernement kenyan aux préoccupations exprimées par Amnesty International concernant l'iniquité des procès:
«Le principe de l'équité des procès est inscrit dans la Constitution. Des interprètes sont sollicités, au frais de l'État. La durée maximale de la détention préventive est de vingt-quatre heures sauf lorsque les faits reprochés sont passibles de la peine de mort, auquel cas elle est de quatorze jours. Si ces délais sont dépassés, il incombe à l'autorité chargée de la détention de justifier le dépassement. Une indemnisation est prévue si la justification n'est pas fournie. Les aveux obtenus par la torture ne sont pas recevables à titre d'éléments de preuve. C'est ainsi que cela fonctionne ordinairement.»
Ainsi qu'il a été dit auparavant, Amnesty International a toutefois eu connaissance de quelques cas où le procureur ou le juge a dénoncé la durée excessive de la détention préventive. En général, la police déclare qu'elle n'a pas terminé son enquête. Un procureur a été amené à dire à l'Organisation: «Nous ne pensons pas aux droits des prisonniers.» C'est une pratique qui a toujours cours. En juillet 1997, deux hommes arrêtés un vendredi n'ont été conduits devant le tribunal que le mercredi suivant, après qu'une requête en habeas corpus eut été introduite en leur faveur. Les deux hommes avaient distribué des tracts appelant la population de Mombasa à rester chez elle le 7juillet afin d'exprimer ainsi leur soutien à ceux qui réclament des réformes législatives et constitutionnelles. Dès qu'ils ont été présentés au tribunal, l'ordonnance d'habeas corpus a été annulée. Ils ont été inculpés de publication de fausses déclarations «de nature à susciter l'inquiétude et la crainte au sein de l'opinion» (article66 (1) du Code pénal), et libérés sous caution.
Le rôle de l'interprète est généralement tenu par l'un des fonctionnaires du tribunal, qui n'est pas toujours disponible. Dans son récent rapport intitulé Juvenile Injustice (les jeunes face à l'injustice), Human Rights Watch faisait état du cas d'un jeune garçon de quatorze ans qui n'avait pu bénéficier des services d'un interprète[9]
Lors de la rencontre avec des membres du gouvernement, Amnesty International a appris de l'adjoint du procureur général que de nombreuses personnes avaient, avec succès, poursuivi le gouvernement pour détention illégale. Il a donné l'exemple de Wanyiri Kihoro, détenu sans jugement en 1986 et sauvagement torturé. Wanyiri Kihoro s'est effectivement vu accorder une indemnisation pour sa détention illégale et les tortures subies entre 1986 et 1989, indemnisation qu'il n'a cependant toujours pas reçue. En outre, la possibilité de poursuivre les autorités n'est pas à la portée de tous les citoyens kenyans. Beaucoup ont peur ou n'ont tout simplement pas les moyens financiers d'intenter une action en justice. En 1995, le gouvernement a décidé d'augmenter de plusieurs centaines de livres sterling le prix à payer pour pouvoir engager des poursuites et faire examiner sa cause par un tribunal. C'est au gouvernement qu'il incombe d'interdire de façon stricte toute détention au-delà de la durée fixée par la loi, de punir ceux qui ne respectent pas cette interdiction, et d'indemniser les victimes; ce n'est pas à celles-ci ni à leur famille d'entamer des poursuites pour obtenir réparation.
5.Torture et morts en détention
La torture est une pratique clairement proscrite tant par le droit kenyan que par les traités internationaux que le Kenya a ratifiés, notamment la Convention des Nations unies contre la torture, ratifiée récemment. La législation kenyane dispose de tout un arsenal de lois permettant de punir cette pratique. La torture et les mauvais traitements ont été à plusieurs reprises publiquement condamnés par les plus hautes autorités de l'État. Le nouveau chef de la police, Duncan Wachira, a déclaré en février 1997 aux policiers d'Embu: «Si des policiers sont amenés à interroger des suspects, ils doivent veiller à ne leur faire aucun mal, car cela est contraire à la loi.» Le nombre de policiers poursuivis pour violations des droits de l'homme a augmenté, notamment dans les cas ayant entraîné la mort de la victime[10] Il semble que ces mesures aient entraîné une diminution du nombre de cas de torture.
Il n'en demeure pas moins que les informations faisant état de mauvais traitements, de tortures et de morts en détention suite à des tortures continuent d'affluer. Apparemment, nombreuses sont les plaintes pour tortures qui dans le passé n'ont pas fait l'objet d'enquêtes, ou à propos desquelles les enquêtes se sont révélées insuffisantes. Amnesty International a déjà fait part de ses préoccupations concernant la torture au Kenya dans deux rapports qu'elle a publiés[11] Les organisations de défense des droits de l'homme présentes au Kenya ont, elles aussi, fait part de leurs vives inquiétudes quant à l'impunité dont semble jouir la police. Le gouvernement kenyan, répondant au rapport de décembre 1995 d'Amnesty International, déclarait: «Il a été clairement précisé aux agents de la force publique que, dans leur travail, ils se devaient de respecter non seulement la législation kenyane, mais également le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l'application des lois. S'ils outrepassent leurs droits en matière de recours à la force ou de torture, ils font alors l'objet de poursuites pénales et/ou de mesures disciplinaires.» Cependant, les enquêtes sur les atteintes aux droits de l'homme commises par la police relèvent toujours de la responsabilité des forces de police et non d'une instance indépendante, ce qui rend la procédure très compliquée. C'est ainsi que pour déposer plainte contre la police, la victime présumée est tenue de solliciter un formulaire, dit formulaire P3 (rapport d'examen médical), auprès de la police. Ce formulaire doit être ensuite rempli par le médecin qui a examiné la victime présumée, puis retourné à la police. Il est toutefois évident que cette procédure ne fonctionne pas efficacement.
Amnesty International a reçu de nombreuses informations concernant des victimes que la police a menacées pour les empêcher de révéler qu'elles avaient été torturées, ou bien qui étaient trop effrayées pour se rendre au poste de police et demander un formulaire P3, ou bien encore qui se sont vu refuser ledit formulaire par les policiers. En conséquence, les plaintes pour tortures ou mauvais traitements ne parviennent pas souvent jusqu'au tribunal. L'Organisation a par ailleurs appris que le formulaire P3, que détient la police, n'apparaît pas toujours dans le dossier de l'accusé lorsque l'affaire passe en jugement; cela signifie que la question de la torture peut ne pas être abordée, à moins que l'accusé n'ait un avocat qui ait conservé une copie du formulaire P3. Il semble ainsi que les éléments de preuve d'ordre médical, souvent essentiels quand on veut prouver que l'allégation de torture est fondée, ne sont pas toujours portés à la connaissance des tribunaux dans le cadre du système qui prévaut aujourd'hui.
À l'évidence, la procédure actuelle régissant l'utilisation des formulaires P3 ne permet pas de protéger les victimes de violations des droits de l'homme commises par la police. L'ouverture d'enquêtes approfondies et impartiales sur les accusations de tortures et de mauvais traitements, ainsi que la traduction en justice des auteurs de tels actes, constitueraient un message clair adressé aux agents de la force publique, leur signifiant que l'usage excessif de la force et le recours à la torture sont inacceptables.[12]
Au moins cinq prisonniers sont décédés en détention l'année dernière, apparemment des suites de sévices. Le 8juillet 1996, à Lokichar (district de Turkana), Amodoi Achakar Anamilem est mort alors qu'il se trouvait aux mains des policiers mais avant d'avoir atteint le poste de police. Son arrestation faisait suite à celles, le 6juillet, de la femme et de la mère d'un voleur présumé; les deux femmes auraient été détenues en otages. Le 8juillet, l'une des deux femmes a, à tort, identifié Amodoi Achakar Anamilem comme étant son mari après avoir cédé semble-t-il aux pressions des policiers, ce qui aurait entraîné l'arrestation de celui-ci. Selon des témoins oculaires, il aurait d'abord été battu sous les yeux des passants, puis dans un bâtiment désaffecté, et à nouveau dans le camp de la police administrative de Lokichar. Amodoi Achakar Anamilem a été frappé avec son propre bâton et à coups de crosse de fusil, et il a reçu des coups de pied et de poing sur tout le corps. Les policiers auraient également essayé de l'étrangler avec son collier.
Le jour même de sa mort, son corps a été transporté au dispensaire de Loichangamatak, où le décès a été constaté et les blessures récentes ont été consignées. La dépouille a ensuite été conduite à la morgue de l'hôpital de district de Lodwar. Dix jours plus tard, il a été procédé à une autopsie. Les causes de la mort n'ont toutefois pu être établies en raison du laps de temps écoulé et de l'état de décomposition avancée du corps, les appareils de réfrigération de la morgue ne fonctionnant pas.
Le procureur général a ordonné en août 1996 qu'une enquête soit ouverte; en avril 1997, il a annoncé qu'une enquête allait avoir lieu, sans toutefois en préciser la date. Les policiers présumés responsables de la mort d'Amodoi Achakar Anamilem sont pourtant toujours en poste. Selon des défenseurs des droits de l'homme de la région, il semblerait que la police, l'administration du district et certains membres du personnel de l'hôpital s'efforcent ensemble d'étouffer l'affaire, de dissimuler la vérité et d'entraver les investigations. Dans cette affaire comme dans un certain nombre d'autres, il est particulièrement préoccupant de constater le retard avec lequel l'autopsie a été pratiquée, et le fait que les policiers incriminés n'ont pas été suspendus de leurs fonctions en attendant les résultats de l'enquête.
Si de nombreuses autopsies sont pratiquées avec retard, cela tient au fait qu'un membre de la famille doit être présent. Des éléments de preuve très importants relatifs à la cause de la mort sont ainsi perdus en raison de ce retard. Il faut procéder à l'autopsie dans les quarante-huit heures qui suivent la mort de la victime, ce qui bien souvent n'est pas le cas. Amnesty International a reçu des informations selon lesquelles la police fait pression sur la famille de la victime pour que celle-ci ne poursuive pas son action à la suite de l'autopsie[13]
Réponse du gouvernement kenyan aux préoccupations exprimées par Amnesty International concernant le recours à la torture et les morts en détention:
«Le recours à la torture est interdit par la Constitution kenyane. Nous sommes déterminés à faire respecter notre législation nationale et à nous conformer à nos obligations internationales en matière de torture. Si des sévices sont infligés aux détenus, ce n'est pas parce que le gouvernement n'exprime pas sa désapprobation à l'égard de la torture c'est malgré le fait qu'il l'exprime. En conséquence, les coupables font l'objet de poursuites.
«En ce qui concerne les décès en détention, des enquêtes sont à chaque fois ouvertes afin d'établir les causes de la mort de toute personne décédée alors qu'elle se trouvait en garde à vue ou en prison.»
Amnesty International continue pourtant de recevoir des informations faisant état de tortures et de morts en détention, qui ne donnent lieu généralement à aucune mesure de la part de la police. Josephine Nyawira Ngengi a été détenue illégalement et affirme avoir été sauvagement torturée avant d'être inculpée de vol avec violence (cf.plus haut chapitre 4). Des responsables gouvernementaux ont déclaré qu'aucune enquête n'avait été ouverte sur ses allégations de torture parce qu'elle n'avait pas déposé plainte. Plainte a pourtant été déposée au moment de son inculpation, et le tribunal a ordonné qu'elle subisse un examen médical; par la suite, ses aveux ont été déclarés irrecevables parce qu'ils avaient été obtenus par la torture. C'est aux autorités kenyanes, et non à la victime, qu'il incombe de veiller à ce que toutes les accusations de torture fassent l'objet d'une enquête. Cela constitue une obligation au titre de la Convention des Nations unies contre la torture, à laquelle le Kenya a adhéré.
Le procureur général a, concernant la plupart des accusations de torture, répondu qu'aucune plainte officielle n'avait été déposée. Il faut savoir que, pour porter plainte, les victimes de torture doivent faire une déclaration sous serment à la police, et que ces victimes ont parfois affaire aux policiers qu'elles accusent précisément de les avoir torturées. Cédant à la peur et aux manuvres d'intimidation, elles ne portent pas plainte. Il relève toutefois de la responsabilité du gouvernement kenyan d'enquêter sur les allégations de torture, qu'il y ait eu ou non une plainte officiellement déposée. Cette obligation découle non seulement de l'article74-1 de la Constitution kenyane mais également du fait que le Kenya a adhéré à la Convention des Nations unies contre la torture. L'article12 de ladite Convention dispose en effet que «tout État partie veille à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction». En vertu de cette disposition, c'est aux autorités kenyanes qu'il revient de procéder «immédiatement à une enquête impartiale». Le fait de confier l'enquête aux policiers qui sont accusés de torture n'est pas conforme à cette obligation. L'article précité n'exige pas non plus qu'une plainte formelle ait été déposée, et les autorités sont tenues d'ouvrir une enquête «chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture a été commis». Disons une fois encore que le gouvernement kenyan a failli à cette obligation.
En mai 1997, un jeune gardien de troupeau de dix-sept ans est mort en garde à vue deux jours après avoir été arrêté dans le district de Turkana (dans le nord-ouest du pays). La police a procédé à une autopsie, sous la conduite du médecin local, sans parvenir à établir les causes de la mort. Une nouvelle autopsie a été pratiquée par un éminent expert en médecine légale, agissant à titre privé à la demande de la famille, qui a conclu que le jeune garçon avait été battu et qu'il était mort étranglé après avoir reçu des coups à la tête. Le chef de la police a déclaré à Amnesty International en juin 1997 qu'un policier avait été arrêté et inculpé d'homicide. Ce policier était pourtant toujours en liberté, et il n'existait aucun procès-verbal d'audience indiquant que cet homme ait été inculpé. Aucune enquête n'a encore été ouverte sur la mort du jeune garçon.
La réponse du procureur général concernant la plupart des allégations de torture consiste à dire qu'aucune plainte pour torture n'a officiellement été déposée. Pour ce qui est des décès en détention, des enquêtes ou des informations judiciaires sont en cours, alors que, dans certains cas, la mort remonte à quatre ou cinq ans. Nous n'avons eu connaissance que d'une seule affaire où des mesures disciplinaires avaient été prises à l'encontre de policiers accusés d'agression. Dans trois affaires où la victime est décédée alors qu'elle était aux mains de la police, des inculpations ont été prononcées contre des policiers; ces dossiers sont en instance de jugement. En juillet 1995, un juge a ordonné que les policiers impliqués dans la mort de Rosemary Nyambura soient poursuivis pour homicide volontaire; plus de deux ans après cette décision, et cinq ans après la mort de Rosemary Nyambura, aucune inculpation n'a pourtant été prononcée.
Si les autopsies ne sont pas correctement pratiquées, si des enquêtes approfondies et impartiales ne sont pas rapidement ouvertes, si les responsables ne sont pas traduits en justice, alors les tortures et les morts en détention se multiplieront. Tous les fonctionnaires de police et les membres de l'administration pénitentiaire doivent savoir qu'ils ne pourront continuer à violer les droits de l'homme en toute impunité.
6. Châtiments corporels et peine de mort
Amnesty International considère la bastonnade comme une forme de châtiment cruel, inhumain et dégradant, qui est à ce titre interdit par la législation internationale relative aux droits de l'homme. Le Comité des droits de l'homme des Nations unies a déclaré que l'interdiction de la torture telle qu'elle est inscrite dans le PIDCP comprend l'interdiction des châtiments corporels et des punitions excessives ordonnés à titre de sanction d'une infraction ou de mesure éducative ou disciplinaire[14] En avril 1997, le Comité des droits de l'homme a rappelé aux gouvernements dans sa résolution 1997/38 que «les châtiments corporels [pouvaient] être assimilés à des peines cruelles, inhumaines ou dégradantes, voire à la torture». Dans son rapport daté du 10janvier 1997 et remis à la Commission des droits de l'homme des Nations unies, le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture, Nigel Rodley, a précisé que «le châtiment corporel est en contradiction avec l'interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, telle qu'elle est énoncée notamment dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[15]».
Malgré cela, les tribunaux kenyans continuent de prononcer des peines de bastonnade à titre de châtiment pour toute une série d'infractions, dont le vol et le viol. Aux termes de l'article27 (3) du Code pénal kenyan, la bastonnade peut constituer une peine de substitution et remplacer toute autre sanction prononcée contre un individu de moins de dix-huit ans et de sexe masculin qui a été reconnu coupable; elle peut également s'ajouter à ladite sanction. De nombreux prisonniers risquant d'être condamnés à la bastonnade ont été déclarés coupables à l'issue de procès qui ne respectaient pas les normes internationales en matière d'équité. De nombreux garçons de moins de dix-huit ans reçoivent des coups de bâton qui leur sont infligés soit à titre de peine de substitution, soit en plus d'une condamnation à une peine d'emprisonnement. En octobre 1995, trois prisonniers d'opinion ont été condamnés à une peine de quatre ans d'emprisonnement assortie de six coups de bâton à l'issue d'un procès manifestement inique qui a duré plus de seize mois.
Plus de 700 personnes sont sous le coup d'une sentence capitale au Kenya. Aucune exécution n'a été signalée depuis neuf ans, mais de nombreux prisonniers sont décédés dans le quartier des condamnés à mort en raison des conditions de détention épouvantables qui y règnent. Aux termes du Code pénal, la peine de mort est obligatoire pour toute personne reconnue coupable de trahison, d'homicide volontaire, de vol ou tentative de vol avec violence, ou du crime consistant à faire illégalement prêter serment à une personne dans le but de lui faire commettre une infraction passible de la peine capitale. La législation kenyane prévoit que la peine de mort ne peut être prononcée contre une personne qui, au moment des faits, avait moins de dix-huit ans, ni contre une femme enceinte ou un malade mental.
La peine de mort pour trahison, pour homicide volontaire ou pour le crime consistant à faire illégalement prêter serment est inscrite dans les textes depuis l'indépendance, en 1963. La peine de mort pour vol avec violence et tentative de vol avec violence a été introduite à la faveur d'un amendement aux articles296 et 297 du Code pénal en avril 1973, suite à une recrudescence des vols avec violence qui avait ému tout le pays. L'amendement disposait que la peine de mort était impérativement prévue pour les personnes reconnues coupables de vol ou de tentative de vol et qui avaient utilisé une arme offensive, ou qui étaient accompagnées d'une ou de plusieurs personnes, ou avaient usé de violence contre autrui. Aux termes de cet amendement, toute personne reconnue coupable d'avoir menacé d'utiliser la violence alors qu'elle se trouvait en compagnie de deux autres personnes ou plus pendant la commission d'un vol ou d'une tentative de vol devait être condamnée à mort, même si les personnes impliquées n'avaient pas d'armes ou n'avaient pas recouru réellement à la violence.
La police est habilitée à détenir sans inculpation jusqu'à quatorze jours d'affilée toute personne soupçonnée d'«avoir commis ou voulu commettre une infraction punissable de la peine de mort». Amnesty International a cependant reçu de nombreuses informations faisant état de prisonniers qui avaient été détenus plus longtemps que quatorze jours (cf.plus haut chapitre4). Par ailleurs, toute personne soupçonnée d'une infraction passible de la peine de mort ne peut bénéficier d'une libération sous caution.
Les personnes inculpées d'homicide volontaire ou de trahison sont jugées par la Haute Cour. Si elles sont reconnues coupables, elles peuvent former un recours auprès de la Cour d'appel. Les membres des forces armées poursuivis pour trahison sont jugés par une cour martiale et disposent du droit d'interjeter appel devant la Haute Cour. Les accusés devant répondre du chef de vol ou tentative de vol avec violence sont jugés par des juridictions répressives; s'ils sont déclarés coupables, ils ont la possibilité de faire appel devant la Haute Cour, puis devant la Cour d'appel. En 1996, trois hommes condamnés à des peines d'emprisonnement ont vu le premier jugement infirmé et ont été condamnés en appel à la peine capitale. Le laps de temps qui s'écoule avant que l'appel ne soit examiné par la Haute Cour ou par la Cour d'appel est variable, et il n'est pas prévu de date imite à cet examen. Il n'est pas rare de voir, au niveau de la procédure d'appel, les retards se prolonger. Une fois toutes les voies de recours épuisées, les dossiers des prisonniers condamnés à mort sont automatiquement transmis au président kenyan en vertu de l'article27 de la Constitution, qui lui reconnaît le droit de grâce. Le président dispose du droit de gracier ou de commuer la condamnation de toute personne, quelle que soit l'infraction dont elle a été reconnue coupable, en vertu de la «Prérogative présidentielle de dispense d'exécution de la peine de mort».
Le gouvernement justifie le recours à la peine de mort en faisant appel au droit:
«Le droit international ne connaît aucune norme ou coutume juridique qui dispose que la légitime administration de la peine de mort à l'issue d'une procédure régulière soit assimilable à une violation des droits de l'homme. La seule exigence tient à ce que l'accusé puisse bénéficier d'un procès équitable et à ce que la procédure régulière soit respectée. Si, à l'issue d'un procès conduit dans les règles, un accusé est reconnu coupable, l'application de la peine de mort est justifiée.» La Commission des droits de l'homme des Nations unies a récemment déclaré dans sa résolution sur la peine de mort qu'elle «[était] convaincue que l'abolition de la peine de mort [contribuait] au renforcement de la dignité humaine et à l'élargissement progressif des droits fondamentaux[16]». La Commission appelle tous les États parties au PIDCP à envisager d'adhérer au Deuxième Protocole facultatif se rapportant au PIDCP, visant à abolir la peine de mort, ou de ratifier cet instrument.
Au Kenya, les accusés passibles de la peine de mort sont souvent reconnus coupables à l'issue de procès qui ne respectent pas les normes internationales. Ainsi, toutes les personnes qui risquent la peine capitale ne bénéficient pas de l'aide juridictionnelle accordée par l'État. Si une personne est exécutée en application d'un jugement prononcé à l'issue d'un procès inéquitable, cette exécution sera assimilable à une exécution arbitraire et constituera une violation du droit à la vie. En vertu de l'article76-1-d de la Constitution kenyane, tous les accusés passibles de la peine de mort ont droit à être assistés d'un avocat. L'aide juridictionnelle n'est octroyée que lorsque l'affaire est jugée par la Haute Cour ou par la Cour d'appel, c'est-à-dire s'il s'agit d'une affaire de trahison ou d'homicide volontaire. Les prisonniers jugés par les juridictions répressives ne peuvent prétendre à bénéficier de cette aide. Les personnes poursuivies pour vol avec violence ou tentative de vol avec violence n'y ont donc pas droit si elles ne peuvent s'offrir les services d'un avocat, malgré le fait qu'elles risquent la peine de mort dans le cas où leur culpabilité serait reconnue. En conséquence, nombre des personnes condamnées à mort n'ont pas d'assistance juridique et ne peuvent donc préparer convenablement leur défense ou leur recours. La majorité des délinquants reconnus coupables de vol ou tentative de vol avec violence et condamnés à la peine capitale ne bénéficient pas d'une assistance juridique. Les autorités kenyanes ont obligation de fournir une telle assistance aux prisonniers passibles d'une sentence capitale, en vertu de l'article14-3-d du PIDCP qui dispose que toute personne a droit «à être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix; si elle n'a pas de défenseur, à être informée de son droit d'en avoir un, et, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, à se voir attribuer d'office un défenseur, sans frais, si elle n'a pas les moyens de le rémunérer».
En outre, certains accusés ont déclaré devant le tribunal qu'on les avait torturés ou maltraités pour les obliger à plaider coupable. Amnesty International craint que des prisonniers n'aient été, à tort, déclarés coupables parce qu'ils avaient plaidé coupable sous la contrainte. Le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a déclaré en 1993 que les procès des personnes risquant la peine capitale «devraient respecter les critères absolus d'indépendance, de compétence, d'objectivité et d'impartialité des juges, et [que] toutes les garanties d'un procès équitable [devaient] être intégralement respectées, en particulier en ce qui concerne le droit de se défendre, le droit de faire appel et celui de se pourvoir en grâce ou de présenter une pétition en commutation de peine[17]». L'article5 des Garanties des Nations unies pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort dispose que «la peine capitale ne peut être exécutée qu'en vertu d'un jugement final rendu par un tribunal compétent après une procédure juridique offrant toutes les garanties possibles pour assurer un procès équitable, garanties égales au moins à celles énoncées à l'article14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques».
Depuis 1993, il semble que les chefs d'inculpation susceptibles d'entraîner une condamnation à mort, et qui ne peuvent donner lieu à une libération sous caution, aient été utilisés contre les opposants. C'est ainsi que le 2novembre 1993, Koigi wa Wamwere, détracteur bien connu du gouvernement et ancien député, a été arrêté et poursuivi pour une infraction passible de la peine capitale. Le procès de Koigi wa Wamwere et de ses trois coïnculpés a été régulièrement suivi par des observateurs appartenant à des organisations nationales et internationales de défense des droits de l'homme ou à des associations juridiques. Ces observateurs ont émis de sérieuses réserves quant à l'équité du procès, s'interrogeant sur la conduite des débats et sur la valeur des témoignages, et mettant en doute l'impartialité du tribunal. Le 2octobre 1995, le chef d'inculpation était requalifié en vol simple, et Koigi wa Wamwere, son frère Charles Kuria Wamwere et Njuguna Ngengi, condamnés à une peine de quatre ans d'emprisonnement assortie de six coups de bâton. Ils ont été libérés plus d'un an après pour des raisons médicales, en attendant qu'il soit statué sur leur appel. Leurs avocats n'ont toujours pas reçu la transcription des minutes du procès qui leur permettrait de poursuivre la procédure d'appel.
Réponse du gouvernement kenyan aux préoccupations exprimées par Amnesty International concernant les châtiments corporels et la peine de mort:
«[Le gouvernement] attend le rapport du groupe d'étude sur la réforme de la législation pénale avant d'envisager d'éventuelles réformes en ces deux domaines. En attendant, le gouvernement est tenu de continuer à appliquer la loi en vigueur. Les propositions d'Amnesty aux termes desquelles, en attendant l'abolition de la peine de mort, personne ne devrait être exécuté, et qui préconisent qu'aucune peine d'emprisonnement ne devrait être aggravée en appel et transformée en condamnation à mort, reviennent à nous recommander de suspendre nos lois. Cela est parfaitement inacceptable.»
Le groupe d'étude sur la réforme de la législation pénale se consacre à sa tâche de révision en ces deux «domaines» depuis 1993. En attendant, des Kenyans continuent d'être condamnés à des peines de bastonnade, ou à se voir infliger la peine capitale. En juillet 1996, par exemple, deux hommes ont été condamnés pour viol à une peine de dix ans d'emprisonnement assortie de 13 coups de bâton. Pour la seule année 1996, au moins 63 personnes ont été condamnées à la peine capitale. Les préoccupations mentionnées plus haut par Amnesty International concernant ces deux pratiques ont conduit l'Organisation à recommander leur suspension, première étape vers leur abolition. L'objectif est de protéger les droits des citoyens kenyans droits qui continuent d'être violés pendant que ces pratiques sont soumises à l'examen d'un groupe d'étude.
7.Conditions carcérales
Les conditions de vie dans les prisons kenyanes sont difficiles et, bien souvent, assimilables à une forme de traitement cruel, inhumain et dégradant. En septembre 1995, un juge de la Haute Cour les a qualifiées «d'antichambres de la mort» en raison du taux élevé de mortalité constaté. Ce juge faisait observer que le fait «d'aller en prison aujourd'hui est devenu un moyen sûr d'obtenir un certificat de décès». Des centaines de prisonniers meurent chaque année, la plupart du temps de maladies infectieuses causées par le surpeuplement, dont le niveau est alarmant, ainsi que par le manque de nourriture, d'eau propre et de soins médicaux appropriés. Les services médicaux des prisons n'ont pas les médicaments nécessaires; en outre, les médecins de prison étant peu nombreux, les malades n'ont bien souvent affaire qu'à des garçons de salle. Les statistiques officielles sont rares; en octobre 1995, cependant, un ministre a fait savoir que plus de 800 prisonniers étaient morts au cours des neuf premiers mois de l'année.
Lors de ses entretiens avec Amnesty International, le gouvernement a reconnu l'existence du problème, mais il a déclaré qu'en dépit des limitations budgétaires, les conditions carcérales s'étaient améliorées, et qu'il envisageait de prendre certaines mesures visant à réduire le phénomène de surpeuplement. Un comité chargé de réfléchir sur les peines de travail d'intérêt général a été mis en place en février 1996 afin de trouver un moyen de réduire le nombre des peines privatives de liberté[18] Lors de la création de ce comité, le procureur général a fait observer: «Soixante-quinze pour cent des détenus de nos institutions pénales ne sont pas seulement des jeunes, mais également des mères célibataires avec enfants.» En juin 1997, le procureur général a fait savoir à Amnesty International qu'un projet de loi était presque prêt.
Les conditions carcérales n'en demeurent pas moins très éprouvantes. Des membres du groupe de pression baptisé Release Political Prisoners (RPP, Libérez les prisonniers politiques), qui est une ONG de défense des droits de l'homme, font la description suivante de la prison pour femmes de Lang'ata: «Les quartiers de la prison sont surpeuplés. Chaque cellule abrite trois personnes ou plus, qui partagent un maigre matelas déchiré et de vieilles couvertures en lambeaux, dans lesquelles elles s'enroulent quand elles lavent les tissus fournis par la prison qu'on appelle "kunguru". Elles n'ont pas le droit de porter de chaussures ni de pantoufles, et on ne leur donne rien pour se couvrir les pieds, si bien qu'elles sont nu-pieds. Marcher pieds nus sur ce sol crasseux leur fait mal, et provoque également des maladies du pied, ainsi que de constants refroidissements[19].» Et la population carcérale continue de se multiplier. En 1996, elle a augmenté de plus de huit mille personnes pour atteindre près de 41000 prisonniers, malgré la grâce accordée à 4288 d'entre eux par le président Moi en octobre.
8.Le recours excessif à la force meurtrière
Un nombre alarmant de Kenyans ont été tués par la police au cours des dernières années, dans des circonstances où les victimes ne représentaient pas une menace et étaient, pour certaines d'entre elles, sans armes. Un cas survenu en octobre 1996 est particulièrement parlant: Stephen Muthuo Kahara, prédicateur laïc, a été abattu par la police administrative à Uthiru, près de Kiambu. Entendant au milieu de la nuit les cris de ses voisins qu'on était en train de voler, il était allé à leur secours avec une trentaine d'autres habitants du village. Les deux policiers, croyant avoir affaire à des voleurs, ont alors fait feu sur le groupe, sans sommation, et sans avoir fait état de leur qualité. Stephen Muthuo Kahara a reçu une balle dans la jambe. Comme il était incapable de s'enfuir, son frère Gichere est venu l'aider à gagner une petite route proche. Mais Gichere a lui aussi été atteint d'une balle tirée par les policiers, qui se sont lancés à sa poursuite. Stephen Muthuo Kahara est resté seul sur le bord de la route. Il n'avait pas d'armes et n'était muni que d'une lampe électrique. Selon des témoins, les deux policiers sont revenus vers l'endroit où Stephen Muthuo Kahara était allongé, et ils lui ont tiré à bout portant trois balles dans le ventre et une dans le bras. Il a succombé à ses blessures le lendemain. Par la suite, la police locale a accusé les deux frères de faire partie d'une bande armée. On ignore si une enquête a été ouverte, mais les deux policiers n'ont pas été arrêtés. Il est possible que Stephen Muthuo Kahara ait été victime d'une exécution extrajudiciaire. Dans la réponse qu'il a adressée à Amnesty International, le procureur général indiquait «qu'une information judiciaire était ouverte et attendait les décisions du juge».
Le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l'application des lois et les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois limitent le recours à la force aux circonstances exceptionnelles, en cas de stricte nécessité, et si les moyens non violents s'avèrent inefficaces. «L'emploi d'armes à feu est considéré comme un moyen extrême. Tout devrait être entrepris pour exclure l'emploi d'armes à feu, spécialement contre des enfants. D'une manière générale, il ne faut pas avoir recours aux armes à feu, si ce n'est lorsqu'un délinquant présumé oppose une résistance armée ou, de toute autre manière, met en danger la vie d'autrui, et lorsque des moyens moins radicaux ne suffisent pas pour maîtriser ou appréhender le délinquant présumé. Chaque fois qu'une arme à feu a été utilisée, le cas doit être signalé promptement aux autorités compétentes[20]»
L'article10 des Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois dispose que ces derniers, s'ils font usage de leurs armes à feu, doivent se faire connaître en tant que tels et donner un avertissement clair de leur intention d'utiliser des armes à feu, en laissant un délai suffisant pour que l'avertissement puisse être suivi d'effet. Amnesty International est préoccupée par le recours excessif à la force, les exécutions extrajudiciaires et la privation arbitraire de la vie dont la police kenyane se rend apparemment responsable, contrevenant en cela aux normes internationales comme aux obligations du Kenya qui découlent du PIDCP et de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Dans son Observation générale sur l'article6 du PIDCP, le Comité des droits de l'homme des Nations unies déclare: «La privation de la vie par les autorités de l'État est une question extrêmement grave. La législation doit donc réglementer et limiter strictement les cas dans lesquels une personne peut être privée de la vie par ces autorités.»
Le nombre de policiers arrêtés pour homicide volontaire dans ces circonstances a augmenté, mais il semble que, dans de nombreux cas, aucune interpellation ne soit intervenue, ou que les éléments de preuve réunis lors de l'enquêtes'il y en a eu une n'aient pas été suffisants pour donner lieu à des poursuites[21]
Réponse du gouvernement kenyan aux préoccupations exprimées par Amnesty International concernant le recours excessif à la force meurtrière:
«[Le gouvernement] ne tolère pas que les membres des forces de sécurité utilisent leurs armes à mauvais escient. [Il] ne tolère pas les brutalités policières. Lorsque, après enquête, il a été prouvé que des policiers avaient fait un usage excessif de la force, les responsables ont été soumis à la procédure légale. Dans un certain nombre de cas, des policiers ont été inculpés d'homicide volontaire, d'homicide involontaire ou d'agression. Lorsque la situation l'exigeait, des enquêtes pour rechercher les causes de la mort ont été ouvertes. De nombreux policiers ont fait l'objet de mesures disciplinaires. Le gouvernement a récemment ratifié la Convention des Nations unies contre la torture.»
Les textes de la Constitution kenyane relatifs à l'usage légal des armes à feu sont susceptibles d'une interprétation très large, et évoquent aussi bien la défense des biens que la nécessité d'empêcher une personne de fuir ou de commettre une infraction[22] Ces dispositions vont plus loin que les restrictions recommandées dans le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois et les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu. Bien que le gouvernement ait déclaré à Amnesty International que cet article de la Constitution faisait l'objet d'une interprétation très stricte, les homicides sur la personne de Kenyans sans armes dont des suspects de droit commun et des manifestants se poursuivent[23] En décembre 1996, trois étudiants ont été abattus en deux occasions distinctes lors de manifestations étudiantes. Ces homicides ont provoqué l'indignation de l'opinion publique kenyane, et la démission du chef de la police a été réclamée. Ce dernier a par la suite été remplacé. Une «enquête approfondie» a été annoncée. Douze policiers ont été inculpés dans le cadre de l'une des affaires, et une enquête pour rechercher les causes de la mort a été ouverte dans l'autre. En mars 1997, alors qu'il marchait dans la rue en compagnie de deux amis, Anthony Chege, étudiant, a été la cible des balles de la police. Il est mort alors qu'on l'emmenait à l'hôpital. Ses deux amis ont été sauvagement passés à tabac et détenus par la police pendant une semaine.
9. Obligations à l'égard des traités
Amnesty International a recommandé au gouvernement kenyan de produire les rapports qu'il est tenu de remettre au Comité des droits de l'homme en vertu des dispositions du PIDCP, ainsi qu'à la Commission africaine au titre des dispositions de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples deux instruments que le Kenya a ratifiés. Son premier rapport au Comité des droits de l'homme a été transmis en 1981. Le deuxième rapport devait être remis en avril 1986. À ce jour, le gouvernement kenyan n'a toujours pas produit ce deuxième rapport, ni répondu aux 20 rappels qu'il a reçus du Comité des droits de l'homme. Le Kenya n'a, par ailleurs, toujours soumis aucun rapport à la Commission africaine.
Le gouvernement a répondu qu'il était «conscient de n'avoir pas satisfait à ses obligations vis-à-vis des traités internationaux en ce qui concerne les rapports à remettre. Le problème est dû à un manque de compétence technique et à l'absence d'une véritable coordination. La réponse à ces deux problèmes a consisté à créer au sein du cabinet du procureur général un bureau central d'enregistrement des traités, ainsi qu'à recruter le personnel nécessaire».
Le gouvernement n'a pas précisé à Amnesty International le délai qu'il se donnait pour remettre les rapports aux instances susmentionnées.
10.Questions d'ordre général
Le gouvernement a adressé à Amnesty International des observations concernant ses méthodes de recherche, ses recommandations, ainsi que son langage:
«Lorsqu'elle mène ses recherches et ses enquêtes, Amnesty pourrait augmenter considérablement le crédit de ses recommandations si elle sollicitait l'avis des représentants et organismes gouvernementaux compétents avant de formuler celles-ci et de les présenter au monde entier comme reflétant toute la vérité et rien que la vérité. Bien entendu, le gouvernement donnerait suite aux recommandations qu'il estimerait fondées, sous réserve de disposer des ressources matérielles et humaines suffisantes et de respecter les principes impératifs de notre souveraineté nationale. Le gouvernement ne se soumettra pas aux recommandations qui mettent en cause la souveraineté nationale ou qui sont rédigées en des termes péremptoires et autoritaires, tels que ceux ordinairement employés dans le cadre d'une relation maître-serviteur. Le gouvernement espère qu'à l'avenir Amnesty se montrera soucieuse de notre souveraineté nationale, et que ses recommandations seront exprimées dans le langage qui convient.»
Il est arrivé qu'Amnesty International soumette ses rapports aux gouvernements avant de les rendre publics, et qu'elle insère la réponse gouvernementale dans ses publications ultérieures; il en va généralement ainsi lorsqu'il existe un dialogue fructueux entre l'Organisation et le gouvernement concerné. Nombre des questions soulevées et des cas cités dans les différents rapports rédigés par Amnesty International sur le Kenya ont préalablement fait l'objet de discussions avec le gouvernement kenyan. Comme il a été dit plus haut, le présent rapport a d'abord été soumis au gouvernement sous la forme d'un mémorandum, et la réponse du gouvernement a été incorporée in extenso[24]
Le gouvernement kenyan accuse Amnesty International d'ingérence dans ses affaires intérieures et prétend que les droits de l'homme sont une question relevant de la souveraineté nationale. En ratifiant les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme, le gouvernement a reconnu à la communauté internationale le droit de surveiller la situation des droits fondamentaux dans le pays et de lui demander des comptes sur son bilan en ce domaine. Les recommandations formulées par Amnesty International et le langage employé pour ce faire s'inspirent directement des normes internationales élaborées par les gouvernements. L'Organisation use du même langage dans ses recommandations, quel que soit le gouvernement auquel elle s'adresse. Dans ces normes internationales sont énoncés des droits qui sont les droits de tous, et en aucun cas la prérogative des gouvernements. Le peuple kenyan veut voir ses droits protégés. Il doit pouvoir bénéficier des mêmes droits que tous les autres peuples.
11.Conclusions et recommandations
Amnesty International se félicite du dialogue instauré avec le gouvernement kenyan, tout en demeurant vivement préoccupée quant à son attitude à l'égard des droits de l'homme.
Le gouvernement affirme qu'il «fera respecter ses lois dans l'intérêt des Kenyans et ne tolérera aucune infraction à ces lois ( ) le maintien de la loi et de l'ordre est la première obligation de tout gouvernement, et le gouvernement kenyan ne faillira pas à cette obligation[25].» Le gouvernement a admis que les lois qui violaient les droits de l'homme étaient mauvaises, et il procède à leur révision révision engagée depuis 1993. En attendant, ces lois continuent d'être appliquées. Quand des défenseurs des droits de l'homme, des détracteurs du gouvernement ou d'autres personnes ne tiennent pas compte de ces lois, ils sont passés à tabac, arrêtés, voire tués par des policiers qui agissent «dans le cadre de la loi.»
Le recours persistant à des méthodes dilatoires et l'absence de mesures concrètes face aux violations des droits de l'homme qui sont commises ont amené nombre de Kenyans à mettre en doute les promesses du gouvernement d'engager des réformes dans le domaine des droits fondamentaux. La réponse faite par le procureur général à Amnesty International, en date du 6août 1997, vient confirmer cela. Nombreux sont ceux qui considèrent avec scepticisme la proposition récente du gouvernement de réviser la Constitution et d'abroger ou d'amender les lois qui bafouent les normes internationales. Il ne suffit pas d'espérer que, cette fois-ci, la proposition est sérieuse. Tous les acteurs de la crise actuelle doivent se réunir immédiatement et engager un véritable dialogue afin de faire en sorte que les libertés d'expression, de rassemblement et d'association soient garanties pour tous les citoyens kenyans.
Dans le Manifeste en faveur des droits de l'homme au Kenya qu'elle a récemment publié, Amnesty International appelle le gouvernement kenyan à tenir les promesses qu'il a faites à son peuple en signant et ratifiant les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme[26] L'Organisation invite instamment le gouvernement à mettre en uvre les recommandations suivantes:
A. Réformes législatives et constitutionnelles
1. Les lois kenyanes qui contreviennent aux normes élémentaires acceptées par l'ensemble de la communauté internationale, et qui sont contraires aux obligations du Kenya à l'égard des traités qu'il a ratifiés, doivent être abrogées ou amendées. C'est notamment le cas de
la Loi relative au maintien de la sécurité publique, qui permet que des personnes soient détenues sans jugement pendant une durée indéterminée ou voient leur liberté de mouvement restreinte
.les articles du Code pénal relatifs à la sédition et à la trahison qui sont utilisés pour emprisonner les détracteurs du gouvernement
.la Loi relative à l'ordre public, qui restreint la liberté d'association en exigeant que les réunions publiques soient autorisées à l'avance
. la Loi relative à l'autorité des chefs, qui accorde aux responsables des administrations locales des pouvoirs étendus et leur permet de restreindre la liberté de mouvement et d'autres droits élémentaires
. la Loi relative à la police administrative, qui donne aux chefs et aux sous-chefs un contrôle direct sur une branche des forces de police
la Loi relative aux associations, qui restreint la liberté d'association et empêche l'enregistrement de certaines organisations, dont des syndicats et des partis politiques
2. La Constitution devrait être renforcée afin de garantir en toutes circonstances les droits fondamentaux des citoyens kenyans, d'interdire la détention arbitraire, ainsi que les châtiments cruels, inhumains ou dégradants tels que la bastonnade ou la flagellation et les exécutions, de défendre la liberté d'expression, de mouvement, de réunion et d'association, ainsi que le droit à ne pas subir de discrimination. La Constitution devrait également permettre de garantir que les droits constitutionnels ne peuvent être ni restreints ni abolis par le pouvoir exécutif. Elle ne devrait autoriser la restriction de droits constitutionnels que dans certaines conditions bien définies (par exemple lorsque des restrictions sont strictement nécessaires dans le cadre d'une société démocratique et ouverte fondée sur la liberté et l'égalité) . La Constitution devrait donner aux tribunaux le pouvoir de réviser la législation ou les mesures gouvernementales qui restreignent les droits constitutionnels, et d'ordonner que le gouvernement prennent les mesures appropriées pour remédier à la situation.
3. La législation relative à l'état d'urgence devrait être conforme aux obligations que le Kenya est tenu de respecter aux termes des normes internationales, notamment de l'article4 du PIDCP. Les mesures d'urgence ne devraient jamais être introduites ou maintenues en vue de mettre fin à l'exercice légitime de certains droits. Les dispositions de la législation relative à l'état d'urgence qui restreignent les garanties contre les abus de pouvoir devraient être abrogées.
4. Le Kenya devrait intégrer dans sa législation la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ainsi que la Déclaration sur l'élimination de la violence contre les femmes. Le Kenya est partie à la Convention susmentionnée, mais celle-ci n'a pas été incorporée dans sa législation. À l'heure actuelle, le droit interne kenyan contrevient aux dispositions inscrites dans ces deux instruments relatifs aux droits de la personne humaine. Le gouvernement devrait en outre adopter une stratégie cohérente en vue de mettre en uvre le Programme d'action de Beijing. Les autorités de Nairobi se sont engagées à défendre les droits des femmes en ratifiant les traités internationaux, mais elles n'ont pas fait grand-chose pour aligner sur ces traités la Constitution kenyane et les autres lois qui sont sources de discrimination à l'égard des femmes.
B. Arrestations arbitraires
1. Toutes les arrestations devraient être soumises à un contrôle judiciaire strict; seuls les agents de la force publique munis d'un mandat devraient être habilités à procéder aux arrestations. Les membres du mouvement de jeunesse de la KANU ne devraient pas y être autorisés. Toute personne devrait être informée, au moment de son interpellation, des raisons pour lesquelles elle est appréhendée. Les détenus devraient être clairement informés de leurs droits, oralement et par écrit, afin de les connaître et de pouvoir les exercer, et notamment de savoir comment porter plainte en cas de mauvais traitements. Nul ne devrait être maintenu en garde à vue au-delà du délai légal de vingt-quatre heures sans être présenté à un juge. Ce délai devrait être le même pour tous les détenus, y compris ceux qui risquent d'être inculpés pour des faits passibles de la peine de mort. Les personnes qui ne respectent pas ces garanties devraient être sanctionnées ou déférées à la justice.
2. Prévention de la détention au secret. Tous les détenus devraient être gardés dans des lieux de détention postes de police ou prisons autorisés et connus de tous. Les détenus devraient pouvoir communiquer avec leur famille, leur avocat ou leur médecin dès leur arrestation, et de façon régulière pendant toute la durée de leur détention ou de leur emprisonnement. Les familles devraient être immédiatement informées de toute arrestation, et pouvoir connaître à tout moment le lieu de détention de leur proche. Les requêtes en habeas corpus devraient être considérées comme recevables dès le moment de l'arrestation, même en cas de suspension des garanties constitutionnelles. Le dépôt de telles requêtes devrait être gratuit. Détenus et prisonniers ne devraient pas être transférés d'un poste de police à l'autre, mais au contraire gardés dans un seul poste pendant toute la durée de leur détention ou emprisonnement. Tout centre de détention et toute prison devraient être mis dans l'obligation de tenir à jour un registre détaillé, relié et coté, indiquant l'identité de chaque détenu ou prisonnier, ainsi que l'heure de son arrestation et l'identité des personnes qui y ont procédé. Chaque fois que le détenu est conduit hors du poste de police pour les besoins de l'enquête ou autres, cette sortie devrait également être consignée. Dans ce registre devraient aussi figurer le jour et l'heure où le détenu a été présenté à une autorité judiciaire.
3. Nul ne devrait être arrêté uniquement en raison de sa nationalité ou de son origine ethnique. Aucun réfugié ne devrait être renvoyé dans son pays s'il risque d'y être victime de violations de ses droits fondamentaux.
C. Indépendance de la justice
1. Le système judiciaire devrait être protégé contre toute ingérence du pouvoir exécutif et bénéficier du soutien politique nécessaire ainsi que des moyens suffisants pour être en mesure de mener à bien ses tâches.
2. Les normes internationales relatives à la magistrature, aux procureurs et aux avocats, notamment celles contenues dans les Principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l'indépendance de la magistrature, les Principes directeurs applicables au rôle des magistrats du Parquet et les Principes de base sur le rôle du Barreau, devraient être intégrées dans la législation du Kenya et observées dans la pratique.
D. Procès équitables
1. Le gouvernement devrait accorder une aide juridictionnelle gratuite aux accusés sans ressources, y compris à ceux devant répondre de chefs d'inculpation passibles de la peine de mort. Une aide juridictionnelle gratuite devrait également être prévue pour les personnes placées en détention préventive.
2. Les accusés qui ne parlent pas swahili devraient pouvoir bénéficier des services d'un interprète.
3. Le délai légal de vingt-quatre heures au-delà duquel la police est tenue de présenter un détenu devant un juge devrait être respecté. Les personnes susceptibles d'être inculpées d'un crime passible de la peine de mort la période maximale fixée par la loi pour la garde à vue est en ce cas de quatorze jours devront, elles aussi, être présentées à un magistrat dans les plus brefs délais.
4. La détention illégale devrait être formellement interdite. Si une personne a été détenue illégalement, elle devrait être indemnisée.
5. Les juges devraient examiner avec la plus grande rigueur la légalité de la mise en détention et l'état de santé des prévenus et des accusés, et enquêter avec la même rigueur sur toute allégation de torture et de traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants.
6. Les aveux obtenus par la torture ou par des mauvais traitements ne devraient jamais être considérés comme recevables dans le cadre d'une procédure judiciaire, sauf comme élément de preuve à charge dans des procédures engagées à l'encontre des auteurs de ces tortures ou de ces mauvais traitements. L'article15 de la Convention des Nations unies contre la torture dispose que «tout État veille à ce que toute déclaration dont il est établi qu'elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n'est contre la personne accusée de torture pour établir qu'une déclaration a été faite». La Convention contre la torture exige des autorités qu'elles procèdent immédiatement à des enquêtes approfondies et impartiales sur toutes plaintes pour torture ou mauvais traitements afin de déterminer si les accusés ont fait leurs déclarations de leur plein gré. Il conviendrait de réexaminer sans retard les dossiers des accusés reconnus coupables sur la base d'aveux obtenus sous la contrainte.
E. Tortures et décès en détention
1. Le gouvernement devrait:
prévenir les arrestations arbitraires et les mises en détention au secret
instituer un strict contrôle des procédures d'interrogatoire et interdire de façon efficace l'utilisation d'aveux obtenus par la torture
enquêter sur tous les cas de torture qui sont signalés et veiller à ce qu'une enquête indépendante et impartiale soit menée afin de déférer les auteurs de tels actes à la justice
veiller à ce que, chaque fois qu'une personne meurt en détention, une autopsie soit pratiquée peu de temps après le décès; veiller également, de manière systématique, à ce qu'une enquête publique pour rechercher les causes de la mort soit ouverte.
2. Le gouvernement devrait étudier les moyens propres à améliorer l'étendue et la qualité de la formation des membres des professions de santé en matière d'éthique professionnelle. Il devrait notamment veiller à ce que les principales normes existant en ce domaine, telles qu'elles sont énoncées dans les Principes d'éthique médicale des Nations unies, soient portées à la connaissance de tous les médecins des services de santé officiels, et plus spécialement du personnel de santé qui s'occupe des détenus.
3. Une enquête approfondie sur le recours à la torture au Kenya devrait être ouverte. Cette enquête devra être impartiale et indépendante; les enquêteurs devront avoir accès aux informations et rapports d'expertise dont ils auront besoin, et se voir assurer la sécurité nécessaire à la poursuite de leurs investigations. Le gouvernement devra rendre publics les résultats de cette enquête.
4. Dans tous les cas de mort en détention, les enquêtes médico-légales devraient être menées conformément aux normes internationales, notamment aux Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions.
5. Le gouvernement devrait veiller à ce que toutes les mesures nécessaires soient prises pour empêcher les agressions ou les menaces à l'encontre des victimes de violations des droits de l'homme et de leurs familles, des personnes témoins de tels actes et des militants des droits de l'homme, et faire en sorte que tous les individus responsables de ce type d'agissements soient traduits en justice.
6. Le gouvernement kenyan devrait faire une déclaration, au titre de l'article22 de la Convention des Nations unies contre la torture, reconnaissant que le Comité des Nations unies contre la torture a la compétence requise pour recevoir des plaintes émanant de particuliers ou déposées au nom de particuliers.
F. Châtiments corporels et peine de mort
1. Amnesty International recommande que les châtiments de la bastonnade et de la flagellation soient remplacés par d'autres peines qui soient conformes aux normes internationalement reconnues en matière de prévention de la délinquance et de traitement des délinquants.
2. La peine de mort devrait être abolie et toutes les condamnations à mort commuées.
3. En attendant que la peine de mort soit abolie, il ne devrait être procédé à aucune exécution; aucune infraction ne devrait être obligatoirement punie de la peine capitale; aucun accusé ne devrait être jugé pour une infraction passible de la peine capitale sans être défendu par un avocat; nul ne devrait être jugé pour une infraction passible de la peine capitale devant une juridiction répressive (Magistrates' Court), et une peine d'emprisonnement ne devrait jamais pouvoir devenir une sentence capitale en appel.
G. Conditions carcérales
1. Le gouvernement devrait veiller à ce que la législation nationale, dans les textes et dans la pratique, respecte pleinement les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme que le Kenya a ratifiés, ainsi que les autres normes internationales relatives aux droits fondamentaux, en particulier l'Ensemble de Principes des Nations unies pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement et l'Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus.
2. Le gouvernement devrait veiller tout particulièrement à la protection des détenus vulnérables du fait de leur âge ou de leur sexe.
3. Tous les lieux de détention et toutes les prisons devraient prévoir la possibilité de visites et d'inspections régulières par des représentants d'instances indépendantes telles que le Comité international de la Croix-Rouge, dans le respect des principes de fonctionnement propres à ces organismes. Tout détenu ou prisonnier devrait être autorisé à communiquer en toute liberté et en toute confidentialité avec ces inspecteurs. Ceux-ci devraient pouvoir consulter sans aucune restriction tous les registres appropriés et être autorisés à recevoir les plaintes des détenus et à y donner suite. L'organe ayant procédé à l'inspection devrait rédiger un rapport détaillé sur chaque visite, en s'attachant notamment à décrire les problèmes de surpeuplement carcéral et l'état de santé des détenus, et veiller à ce que toutes les mesures utiles soient prises pour améliorer le traitement réservé aux détenus et aux prisonniers si celui-ci était jugé inadéquat. Ce même organe devrait formuler des recommandations visant à améliorer les conditions de détention, conformément aux dispositions de l'Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus. Ces recommandations devraient être mises en uvre dans un délai raisonnable.
H. Exécutions extrajudiciaires
1. Les policiers ne devraient avoir recours à la force ou aux armes à feu que lorsque cela est strictement nécessaire, et dans la mesure exigée par les circonstances. Quand ils ont recours à la force, ils devraient s'efforcer de ne causer que le minimum de blessures et de préserver la vie humaine. Il ne devrait être fait usage de la force meurtrière que si cela est strictement nécessaire pour protéger la vie d'autres personnes.
2. Lorsque des personnes ont été blessées ou tuées par des policiers ayant eu recours à la force ou à des armes à feu, ces derniers devraient signaler les faits à leurs supérieurs, lesquels devraient veiller à ce que soit menée une enquête indépendante et impartiale.
3. Les normes internationales dont le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l'application des lois, les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, et les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions devraient être intégrées dans la législation et les pratiques observées par le Kenya.
4. Il ne devrait pas être fait usage de la force et des armes à feu pour disperser les rassemblements non violents. Des enquêtes devraient être menées sur toutes les allégations d'homicides illégaux imputables à des policiers, et les responsables de tels agissements devraient être traduits en justice.
I. Obligations à l'égard des traités
Amnesty International continue de recommander au gouvernement de produire les rapports qu'il est tenu de remettre au Comité des droits de l'homme des Nations unies aux termes du PIDCP, ainsi qu'à la Commission africaine au titre des dispositions de la C
[1] The Multi-Party General Elections in Kenya. The Report of the National Election Monitoring Unit (NEMU), 29décembre 1992.
[2] The Presidential, Parliamentary and Civic Elections in Kenya. The Report of the Commonwealth Observer Group, 29décembre 1992.
[3] The Multi-Party General Elections in Kenya, op. cit., p. 83-84.
[4] Kenya. Les professionnels de la santé face aux détentions et à la torture, (index AI: AFR 32/01/97), janvier 1997, page 18. Cf. également Kenya. Répression et résistance des femmes au Kenya (index AI: AFR 32/06/95), juillet 1995, chapitre 3.2, et The International Federation of Women Lawyers - Kenya chapter, Annual Report on the Legal Status of Kenyan Women for 1996, p.20.
[5] The Daily Nation, 16juillet 1997.
[6] Au moins 80 personnes ont été arrêtées en 1995 dans l'ouest du pays suite à une déclaration similaire du président Moi concernant des activités de guérilla dans la région. Nombre des personnes arrêtées ont été sauvagement torturées par des agents de la Brigade spéciale. Cf. Kenya. Les professionnels de la santé face aux détentions et à la torture, op. cit., p. 11-14.
[7] Association internationale du Barreau, The Legal System and Independence of the Judiciary in Kenya Le système juridique et l'indépendance de la justice au Kenya, novembre 1996, p. 16-17.
[8] Adoptés lors du Septième Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants (26août - 6septembre 1985), et entérinés par l'Assemblée générale dans sa résolution 40/32 du 29novembre 1985.
[9] Juvenile Injustice, op. cit. p.59.
[10] En juin 1997, le gouvernement a remis à Amnesty International une liste de policiers actuellement poursuivis pour un certain nombre d'infractions, dont 23 cas d'homicide volontaire, commises entre 1992 et 1997. L'Organisation s'est entendu dire qu'il s'agissait là d'une liste préliminaire; cette liste ne comporte aucune précision concernant l'identité des victimes ni la date ou les circonstances de leur mort.
[11] Kenya. La torture est aggravée par la privation de soins médicaux (index AI: AFR 32/18/95, décembre 1995), et Kenya. Les professionnels de la santé face aux détentions et à la torture, op. cit.
[12] L'annexe 1 comprend une liste de victimes présumées de tortures. Amnesty International a sollicité des informations sur les Eventuelles enquêtes et poursuites auxquelles ces allégations auraient donné lieu. Dans sa réponse du 6aont 1997, le procureur général indiquait que, concernant la plupart des cas évoqués, les registres de la police ne faisaient pas mention de tortures.
[13] En annexe 2 figure une liste des cas de morts en détention. Amnesty International a sollicité des informations sur les éventuelles enquêtes et poursuites auxquelles ces allégations auraient donné lieu. Dans sa réponse du 6août 1997, le procureur général indiquait que la plupart des cas cités faisaient actuellement l'objet d'une enquête policière ou d'une information judiciaire.
[14] Observation générale n° 20 du Comité des droits de l'homme, paragr.5.
[15] Doc. ONU E/CN.4/1997/7, p.5, paragr.6.
[16] Doc. ONU: E/CN.4/1997/L.11/Add. 1, p. 21.
[17] Doc. ONU E/CN.4/1993/46, paragr.680.
[18] Il a été demandé au comité d'étudier le rapport et les recommandations du symposium qui s'est tenu en décembre 1995 sur le thème de l'emploi hors de la prison et du système de justice pénale. Le comité est également chargé d'élaborer un plan d'action sur les modalités de la mise en uvre des peines de travail d'intérêt général, et de proposer un premier projet de loi sur ce sujet.
[19] A Stay in Hell Experiences in Industrial Area and Lang'ata Women's Prisons, Nairobi, Kenya, 22July 6August 1996 Un séjour en enfer Expériences vécues dans la prison de la zone industrielle et dans la prison pour femmes de Lang'ata, Nairobi, Kenya, 22juillet 6août 1996 , mini-rapport du groupe de pression RPP sur les conditions carcérales, p.5. Ce rapport a été rédigé après que 21 membres du RPP, dont trois femmes, eurent été détenus en juillet 1996.
[20] Article3(c) du Code de conduite pour les responsables de l'application des lois.
[21] L'annexe3 comprend une liste des personnes tombées sous les balles de la police. Amnesty International a sollicité des informations concernant les éventuelles enquêtes et poursuites auxquelles ces faits auraient donné lieu. Dans sa réponse du 6août 1997, le procureur général indiquait que, dans la plupart des cas, des informations judiciaires étaient en cours.
[22] La Constitution kenyane, article71-2.
[23] La Commission des droits de l'homme du Kenya estime que 316 personnes ont été tuées par la police entre 1994 et 1996.
[24] Cf. annexe4.
[25] Déclaration gouvernementale du 11juillet 1997.
[26] Manifeste en faveur des droits de l'homme, (index AI: AFR 32/18/97).
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