Les Violations des Droits de l'Homme se Perpétuent

Introduction

Bien qu'il ait promis d'améliorer sa politique en matière de droits de l'homme après la condamnation internationale des exécutions de l'écrivain Ken Saro-Wiwa et de ses huit compagnons ogoni, le gouvernement nigérian n'a pris aucun engagement solennel ni aucune mesure concrète pour répondre aux critiques les plus vives de la communauté internationale. Rien n'est venu démontrer sa détermination à changer fondamentalement ou à long terme sa politique et ses pratiques en la matière.

Aucun engagement n'a été pris pour mettre fin aux violations persistantes des droits de l'homme, telles que les risques d'exécution ou d'incarcération prolongée qui pèsent toujours sur plusieurs prisonniers politiques. Chief Moshood Abiola, qui avait remporté les élections présidentielles de 1993, est emprisonné sans jugement depuis 1994 sous le chef d'inculpation de trahison, après que l'armée eut annulé les résultats du scrutin. Au moins 20 détenus ogoni accusés de meurtre sont incarcérés sans jugement depuis le milieu de l'année 1994. D'éminents défenseurs des droits de l'homme, dont le docteur Beko Ransome-Kuti, président du mouvement Campaign for Democracy (CD, Campagne pour la démocratie), et des dirigeants politiques tel le général Olusegun Obasanjo, ancien chef de l'État, sont emprisonnés depuis les procès militaires qui se sont tenus en secret en 1995. En mars 1997, des militants en faveur de la démocratie et des détracteurs du gouvernement placés en détention, notamment le docteur Frederick Fasehun, du mouvement Campaign for Democracy, et l'ancien ministre des Finances Chief Olu Falae, ont été inculpés de trahison et accusés par le gouvernement d'être responsables des récents attentats à la bombe ayant fait plusieurs morts. Enfin, certains détracteurs du gouvernement nigérian exilés à l'étranger ont vu des membres de leur famille incarcérés sans inculpation ni jugement.

Des informations font régulièrement état du recours à la torture et aux mauvais traitements contre les prisonniers, et des conditions de détention tellement épouvantables qu'elles s'apparentent à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Une série d'homicides et d'agressions contre des personnes ayant des liens avec les groupes d'opposition ou de défense des droits de l'homme, en particulier l'assassinat d'Alhaja Kudirat Abiola, épouse de Moshood Abiola, serait selon de nombreuses sources l'œuvre d'agents du gouvernement. Des arrestations, des passages à tabac et des homicides perpétrés par des soldats en pays ogoni continuent d'être signalés. Aucune de ces violations des droits de l'homme n'a fait rapidement l'objet d'une enquête approfondie et impartiale. En dépit d'une forte diminution du nombre des exécutions, l'exécution publique et en hâte, au mois de juillet 1997, d'un jeune homme âgé de dix-sept ans, dont le recours n'avait pas encore été examiné par la haute cour, illustre la manière dont les autorités militaires continuent d'utiliser des tribunaux d'exception pour infliger la peine capitale à l'issue de procès inéquitables.

Par ailleurs, le gouvernement militaire du général Sani Abacha n'a entrepris aucune réforme de fond pour prévenir les violations futures des droits de l'homme. Les autorités ont fait la promesse de restaurer la démocratie et un régime civil avant octobre 1998. Cependant, le programme de "transition vers un régime civil" qu'elles proposent risque de pérenniser la situation actuelle, l'armée gardant sa mainmise sur le gouvernement et la situation des droits de l'homme risquant de ne connaître aucune amélioration notable, dans la mesure où l'opposition non violente continue d'être réprimée et exclue de la vie politique.

Cette vision pessimiste est confortée par le refus du gouvernement de coopérer avec les organisations intergouvernementales qui tentaient d'enquêter sur la situation des droits de l'homme au Nigéria. Il n'a fourni qu'une réponse provisoire et inadéquate aux recommandations de la mission envoyée au Nigéria en avril 1996 par le Secrétaire général des Nations unies. Il n'a pas appliqué les nombreuses recommandations formulées en juillet 1996 par le Comité des droits de l'homme. Il s'est opposé aux missions d'enquête de deux experts de la Commission des droits de l'homme des Nations unies et du Groupe d'action ministériel du Commonwealth, et n'a pas tenu compte de leurs recommandations en matière de réforme. Les ministres du Commonwealth n'ont été autorisés à effectuer qu'une visite de deux jours, en novembre 1996, afin de s'entretenir avec le gouvernement ; ils n'ont été autorisés à rencontrer aucun prisonnier d'opinion ni défenseur des droits de l'homme. Après avoir tenté pendant des mois de convenir de la date d'une visite, les experts de la Commission des droits de l'homme ont refusé, en février 1997, les restrictions imposées par le gouvernement, qui leur interdisaient de rencontrer les principaux prisonniers d'opinion. La Commission des droits de l'homme a adopté une résolution critique au cours de sa session de mars 1997, de même qu'elle a nommé un rapporteur spécial chargé d'exercer une surveillance constante sur la situation des droits de l'homme au Nigéria. L'appartenance du Nigéria au Commonwealth, suspendue après que le gouvernement eut ordonné l'exécution des neuf Ogoni en dépit des appels lancés à la veille de la dernière réunion des chefs de gouvernement des pays membres du Commonwealth, en novembre 1995, sera reconsidérée lors de la prochaine réunion de cette organisation en octobre 1997.

Amnesty International appelle une nouvelle fois les principales instances intergouvernementales, telles que le Commonwealth, à poursuivre et à intensifier leurs efforts pour améliorer la situation des droits de l'homme au Nigéria et œuvrer en faveur de réformes structurelles à long terme qui permettront de garantir les libertés fondamentales à l'avenir. Lors de plusieurs réunions tenues en 1996, le Groupe d'action ministériel du Commonwealth a exhorté les autorités nigérianes à libérer certains prisonniers politiques détenus sans inculpation. Néanmoins, même si elles sont accueillies avec satisfaction, les libérations occasionnelles sont insuffisantes. Le Commonwealth devrait établir des règles précises que chacun de ses États membres serait tenu de respecter et définir leur mode d'évaluation, en fixant les mesures que le gouvernement nigérian devrait adopter selon un calendrier déterminé. L'organisation doit instaurer une procédure systématique de collecte d'informations, notamment en continuant d'insister pour effectuer des missions d'enquête au Nigéria, de sorte qu'elle puisse apprécier les progrès réalisés. Le Commonwealth devrait exhorter le Nigéria à coopérer sans réserve avec le rapporteur spécial des Nations unies, ainsi qu'avec les deux experts des Nations unies dont les enquêtes ont été entravées jusqu'ici. Il lui incombe également de déterminer quelles mesures prises par le gouvernement nigérian témoigneront d'un réel progrès.

1. Contexte politique

Les violations des droits de l'homme qui préoccupent Amnesty International ont eu pour toile de fond le programme de transition vers un régime civil, programme qui a été manipulé afin de maintenir le contrôle de l'armée sur le gouvernement tandis que les libertés fondamentales et l'autorité de la loi continuaient d'être bafouées. Cet État potentiellement riche en pétrole a connu une stagnation de son économie et a continué de souffrir de graves pénuries de carburant, d'un manque de moyens de communications, de la détérioration de l'infrastructure et de la corruption généralisée. Au cours de ces deux dernières années, des cas isolés d'attentats à la bombe, dont les auteurs n'ont pas été identifiés et qui visaient essentiellement des cibles militaires, ont fait plusieurs victimes. Le déplacement du siège de deux gouvernements locaux a entraîné des troubles intercommunautaires, qui se sont soldés par des dizaines de morts dans deux États en 1997 : entre mars et juillet, dans l'État du Delta, pas moins de 100 personnes ont trouvé la mort, des employés de l'industrie pétrolière ont été pris en otages, les exportations de pétrole se sont effondrées et une force d'intervention militaire a été déployée ; en août et en septembre, dans l'État d'Osun, près de 80 personnes ont été tuées et des centaines d'autres, déplacées.

1. 1 Le programme actuel de transition vers un régime civil

Un précédent programme de "transition vers un régime civil", lancé en 1987 par le gouvernement militaire du général Ibrahim Babangida, a été interrompu par l'armée en juin 1993, lorsqu'il est apparu clairement que Chief Moshood Abiola, originaire du sud-ouest du Nigéria, avait remporté les élections présidentielles avec le soutien du Nord et du Sud. Le Conseil provisoire de gouvernement, gouvernement militaire du général Sani Abacha qui a pris le pouvoir à la faveur d'un coup d'État en novembre 1993, a depuis lors amorcé un nouveau programme de transition vers un régime civil, qui devrait prendre fin lors des prochaines élections présidentielles, prévues pour octobre 1998.

Conformément au calendrier de la transition, des élections de gouvernements locaux ont été organisées en mars 1996, mais les partis politiques n'ont pas pu y participer en tant que tels. En septembre 1996, le gouvernement a légalisé cinq partis politiques, dans une procédure qui excluait de fait les principaux groupes d'opposition favorables à la démocratie : les partis n'ont en effet disposé que de cinq semaines pour satisfaire à de lourdes exigences financières et organisationnelles, notamment recueillir la signature de plus d'un million de membres dans les 30 États du Nigéria. En octobre 1996, six nouveaux États ont été créés, portant ainsi leur nombre total à 36 et entraînant le report de nouvelles élections de gouvernements locaux, contestées cette fois-ci par les cinq partis légalisés, à mars 1997. Des informations ont fait état de fraude électorale : dans plusieurs cas, la Commission électorale nationale désignée par le gouvernement aurait écarté des candidats à quelques jours seulement des élections, sans leur fournir aucune explication ou en invoquant des raisons de sécurité fallacieuses, et les administrateurs militaires de chaque État auraient fait prêter serment à des candidats qui avaient pourtant perdu le scrutin. En juillet 1997, le gouvernement militaire a habilité la Commission à amender le calendrier de la transition, à la suite de quoi l'élection des gouverneurs et des assemblées des différents États a été reportée à 1998.

La crédibilité du programme de transition a été entamée par la poursuite de la répression exercée contre la dissidence. Dès le début, le gouvernement s'est arrogé le droit d'infliger une peine de cinq ans d'emprisonnement aux détracteurs de ce programme, à l'issue de procès devant des tribunaux d'exception désignés par ses soins.[1] Dans la pratique, il a emprisonné sans inculpation ni jugement, ou sous des chefs d'accusation de trahison montés de toutes pièces, les opposants qui dénonçaient la transition ou qui semblaient souhaiter que les élections présidentielles soient une consultation digne de ce nom. Don Etiebet, dirigeant de l'un des cinq partis légaux, qui briguait la présidence, a été détenu pendant plusieurs jours avant d'annoncer publiquement sa loyauté au gouvernement et sa démission de son parti, le 4 avril 1997. Selon certaines informations, ce parti aurait remporté une majorité des voix dans son fief de l'État d'Akwa Ibom (sud-est du Nigéria) lors de l'élection des gouvernements locaux, en mars 1997 ; toutefois, les résultats auraient été truqués par la suite en faveur de deux autres partis.

1. 2 Poursuite de la répression et du mépris de l'État de droit

Il arrive fréquemment que les défenseurs des droits de l'homme, les journalistes et les groupes favorables à la démocratie voient leur liberté d'expression, d'association et de mouvement niée par des mesures de harcèlement et de placement en détention (plusieurs cas d'incarcération sont présentés au paragraphe 3, ci-après).

Les journalistes ont fait régulièrement l'objet de mesures de détention et de menaces pour avoir publié des articles critiquant l'armée et le gouvernement ; plusieurs ont choisi l'exil. La presse d'opposition survit uniquement dans une semi-clandestinité. Depuis juin 1996, les émissions diffusées quotidiennement au Nigéria par une station radiophonique d'opposition, Radio Kudirat Nigeria, ont incité le gouvernement à reprendre ses services de radiodiffusion en mai 1997 et à menacer de neutraliser les émissions « subversives ». En juin 1997, des organisations de journalistes ont lancé une nouvelle campagne pour dénoncer les menaces répétées du gouvernement d'imposer des contraintes juridiques et financières rigoureuses aux journalistes et aux quotidiens et d'instaurer un tribunal spécial chargé de juger ceux qui publient des « nouvelles mensongères ».

Depuis 1994, des administrateurs désignés par le gouvernement remplacent d'office les dirigeants élus des syndicats et les élections promises ont été reportées. Le recours à la coercition par les autorités militaires a menacé le droit de grève. Aux alentours du 18 juin 1997, 19 dirigeants syndicalistes de l'État de Kaduna, dans le nord du Nigéria, ont été arrêtés lors d'une grève entamée par les fonctionnaires pour revendiquer l'amélioration de leur salaire et de leurs conditions de travail. Plus de 20 000 d'entre eux ont été révoqués. Il semble que les personnes arrêtées aient été poursuivies pour rassemblement illicite et incitation à la désaffection.

Les services de sécurité ont dispersé sous la contrainte les réunions privées et publiques auxquelles participaient des groupes de défense des droits de l'homme ou favorables à la démocratie, excepté celles organisées à l'initiative d'organes soutenus par le gouvernement. Le 1er mars 1997, une conférence sur les droits de l'homme organisée à Kaduna (nord du Nigéria) par le groupe local de défense des libertés fondamentales Network for Justice (Réseau pour la justice) a été interrompue par les services de sécurité, qui ont dispersé les participants au moyen de gaz lacrymogènes. En 1997, comme les années précédentes, toutes les réunions, manifestations ou commémorations publiques de l'anniversaire de l'annulation par l'armée des résultats du scrutin présidentiel, le 12 juin 1993, ont été interdites par la police dans l'ensemble du pays. Les autorités policières ont fait savoir qu'elles n'étaient pas en mesure de garantir la sécurité des personnes qui enfreindraient cette interdiction ; de fait, de nombreux protestataires favorables à la démocratie avaient été abattus par les forces de sécurité en 1993 et en 1994. Le 30 août 1997, les services de sécurité ont bouclé un bâtiment du Nigerian Union of Journalists (NUJ, Syndicat des journalistes du Nigéria) à Lagos, afin d'arrêter le lancement d'un livre consacré à Moshood Abiola à l'occasion de son soixantième anniversaire. Le 11 septembre 1997, elles ont empêché la tenue d'une conférence du Movement for Social and Economic Justice (Mouvement pour la justice sociale et économique) consacrée aux droits de l'homme et à l'État de droit, à l'Université de Lagos. Le 18 septembre, des policiers armés ont pénétré de force dans le domicile de Chief Ayo Adebanjo, membre de premier plan de la National Democratic Coalition (NADECO, Coalition nationale démocratique), afin de mettre un terme, sous la menace des armes, à une réception donnée pour le départ de l'ambassadeur américain. Les membres et sympathisants de la NADECO, mouvement en faveur de la démocratie fondé en 1994 par d'anciens hommes politiques et fonctionnaires du gouvernement, sont constamment arrêtés et harcelés par les autorités.

Les autorités ont limité les déplacements à l'étranger et la participation à des réunions internationales des détracteurs du gouvernement et des militants des droits de l'homme, en leur confisquant leur passeport ou en les plaçant en détention pour de brèves périodes. Ainsi, en avril 1996, des membres de la Civil Liberties Organisation (CLO, Organisation des libertés publiques) n'ont pas pu assister à une réunion du Comité des droits de l'homme des Nations unies. En juillet 1997, l'ancien sénateur et président par intérim de la NADECO, Abraham Adesanya, avocat âgé de soixante-quatorze ans, s'est vu refuser un passeport pour aller assister aux débats du Commonwealth sur le Nigéria. Eke Ubiji, secrétaire général de la section nigériane d'Amnesty International, n'a jamais récupéré son passeport confisqué en décembre 1996 et, en septembre 1997, David Omozuafoh, autre permanent de l'Organisation, s'est vu retirer le sien au retour d'une réunion d'Amnesty International. Tous deux avaient été détenus brièvement en novembre 1996, après le lancement d'une campagne d'Amnesty International sur le Nigéria.

Les décisions judiciaires ordonnant la libération des détenus, la restitution des passeports confisqués ou d'autres jugements défavorables au gouvernement sont souvent ignorés, dans des affaires de droit commun comme dans des affaires politiques. En février 1997, le chef militaire de la National Drug Law Enforcement Agency (NDLEA, Agence nigériane de lutte contre les stupéfiants) a refusé de comparaître devant la haute cour fédérale de Lagos pour expliquer pourquoi il ne serait pas coupable d'outrage à magistrat après avoir refusé de se soumettre, en décembre 1996, à une injonction du tribunal lui ordonnant de restituer les véhicules et de retirer les scellés apposés aux domiciles de suspects dans des affaires de drogue, après leur acquittement par un tribunal spécial. Le gouvernement a continué de promulguer des décrets militaires qui interdisent explicitement aux tribunaux de droit commun de connaître des affaires dans lesquelles ses actes risquent d'être mis en cause. Ainsi, la compétence des tribunaux de droit commun ne s'étend plus aux dossiers relevant de la Trade Union Act (Loi de 1973 relative aux syndicats) qui, depuis qu'elle a été amendée par trois décrets militaires en 1996, permet d'infliger des peines allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement pour punir l'exercice d'activités syndicales telles que l'élection libre de responsables ou l'affiliation à un syndicat international sans l'autorisation du gouvernement militaire, ou en dehors des conditions définies par celui-ci.

1. 3 Réponse du gouvernement à la communauté internationale

Certaines instances intergouvernementales, notamment la Commission des droits de l'homme des Nations unies et le Commonwealth, ont fait des recommandations au gouvernement nigérian, mais les plus importantes n'ont pas été mises en œuvre. Ces organisations se sont vu refuser l'accès libre et illimité au Nigéria pour mener des investigations ou s'entretenir avec des organisations non gouvernementales ainsi que des particuliers. Elles n'ont notamment pas eu le droit de se rendre en pays ogoni ou de rencontrer des prisonniers politiques.

Le gouvernement nigérian n'a pas fourni de réponse définitive au Secrétaire général des Nations unies au sujet des recommandations formulées par la mission envoyée au Nigéria en mars-avril 1996 pour enquêter sur les procès des Ogoni jugés par un Tribunal spécial chargé des troubles sociaux, ainsi que sur le programme de transition. Peu de progrès ont été enregistrés dans l'application des principales recommandations de cette mission, à savoir :

|–         soit abroger totalement le Décret n°2 de 1987 relatif aux troubles sociaux[2], soit révoquer le militaire siégeant au Tribunal spécial chargé des troubles sociaux ; désigner les membres de ce tribunal sur recommandation du Président de la Cour suprême du Nigéria et non plus sur ordre du chef du gouvernement militaire ; restaurer la compétence des tribunaux de droit commun à statuer sur les décisions de ce tribunal ; confier l'examen des condamnations et des peines à la Cour d'appel et non plus au gouvernement militaire, et, enfin, autoriser les condamnés à interjeter appel de leur déclaration de culpabilité et de leur peine auprès de la Cour suprême ;

suspendre tous les procès relevant du Décret relatif aux troubles sociaux jusqu'à la mise en œuvre de ces réformes ;

former un collège de juges pour déterminer l'indemnisation des personnes à charge des neuf Ogoni exécutés ;

libérer toutes les personnes détenues en vertu du Décret de 1984 relatif à la sûreté de l'État[3] et les prisonniers condamnés pour des délits politiques, et rétablir la compétence des tribunaux de droit commun à ordonner la libération des détenus ;

faire en sorte que tous les représentants du gouvernement et des forces de sécurité respectent les décisions de justice ;

procéder à une révision judiciaire de tous les décrets militaires et recommander l'abrogation de ceux qui sont contraires aux dispositions de la Constitution relatives aux droits de l'homme ou qui compromettent l'État de droit ;

supprimer les restrictions légales frappant la liberté d'expression et d'association des organisations politiques, professionnelles et syndicales.

Le gouvernement nigérian a fourni une réponse provisoire en mai 1995, mais les mesures qu'il a adoptées sont loin de répondre aux recommandations qui lui ont été adressées. En effet, il a :

révoqué le militaire qui siégeait au Tribunal spécial chargé des troubles sociaux, mais le gouvernement est toujours habilité à désigner directement les membres de ce tribunal et à confirmer les condamnations et les peines prononcées par celui-ci ;

autorisé le droit d'interjeter appel, mais uniquement auprès d'un autre tribunal d'exception nommé par le gouvernement, et non auprès d'une juridiction supérieure et indépendante ;

abrogé un décret en vertu duquel les tribunaux de droit commun n'avaient pas compétence pour décider de la libération des prisonniers, restaurant ainsi, en théorie, le droit d'habeas corpus. Toutefois, il a maintenu en vigueur les décrets militaires excluant les actes du gouvernement de la compétence des tribunaux et continué à ignorer les décisions judiciaires ordonnant la remise en liberté des détenus ;

mis en place une Commission nationale des droits de l'homme, qui ne dispose toutefois pas de l'indépendance et des pouvoirs nécessaires pour prendre des mesures efficaces contre les violations des droits de l'homme, conformément aux normes des Nations unies ;

formé une commission de recours chargée de réexaminer les mesures de placement en détention. Cependant, cette commission est présidée par les mêmes hauts responsables de la sécurité qui autorisent ces détentions dans un premier temps ; elle examine les dossiers en secret et ne confère aucun droit aux détenus.

Par ailleurs, le gouvernement n'a pas appliqué les recommandations détaillées, formulées en avril et en juillet 1996 par le Comité des droits de l'homme, organe de 18 experts chargé de surveiller l'application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), traité international relatif aux droits de l'homme qui a été ratifié par le Nigéria et auquel le gouvernement est tenu de se conformer. Le Comité recommandait notamment :

d'abroger tous les décrets portant création des tribunaux d'exception ou révoquant soit les garanties normales des droits fondamentaux ancrées dans la Constitution, soit la compétence des tribunaux de droit commun ;

de réexaminer le système judiciaire du Nigéria, afin de le mettre en conformité avec les principes enoncés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

de reconsidérer l'utilisation de la peine capitale et, en attendant qu'elle soit abolie, d'en limiter l'application ;

d'offrir aux accusés toutes les garanties d'un procès équitable, y compris le droit d'interjeter appel devant une juridiction supérieure ;

d'empêcher les exécutions arbitraires, extrajudiciaires ou sommaires ainsi que les actes de torture, les mauvais traitements et les détentions arbitraires, et de traduire en justice toutes les personnes responsables de telles atteintes aux droits de l'homme ;

de libérer toutes les personnes détenues arbitrairement ou sans inculpation, de réduire la durée de la détention préventive et de mettre fin à la pratique de la détention au secret ;

d'améliorer les conditions de détention de sorte qu'elles soient conformes aux normes internationales.

Durant toute l'année 1996, la Commission des droits de l'homme des Nations unies a tenté d'envoyer deux de ses experts – le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et le rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats – au Nigéria, mais les autorités nigérianes leur ont systématiquement refusé l'accès au pays. En février 1997, la Commission a décliné l'invitation des autorités nigérianes, dans le mesure où le droit de rencontrer les principaux prisonniers politiques lui était toujours refusé. L'engagement déclaré du Nigéria à lui accorder le libre accès était l'une des raisons qui avaient incité la Commission à ne pas désigner de rapporteur spécial sur ce pays en mars 1996 ; un rapporteur a donc été nommé lors de la réunion de mars 1997. En 1997, la Commission a recommandé au gouvernement nigérian :

de respecter les droits de l'homme et le droit à la vie, de libérer tous les prisonniers politiques, d'améliorer les conditions carcérales et de garantir les droits des minorités ;

de remplir les obligations qu'il a librement contractées lors de la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et d'autres traités internationaux relatifs aux droits de l'homme ;

de s'assurer que les procès soient équitables, rapides et en conformité avec les normes internationales ;

de veiller à l'indépendance de la Commission nationale des droits de l'homme ;

de tenir pleinement ses engagements provisoires auprès du secrétaire général des Nations unies et de répondre en totalité aux recommandations présentées par la mission de 1996 au Nigéria ;

de coopérer pleinement avec la Commission de droits de l'homme et ses rapporteurs spéciaux ;

d'adopter des mesures concrètes pour restaurer sans délai un régime démocratique.

Le Groupe d'action ministériel du Commonwealth a été constitué au lendemain de l'exécution des neuf Ogoni, afin de vérifier que les États membres de l'Organisation tenaient les engagements qu'ils avaient pris lors de la Déclaration de Harare de 1991 en matière de droits de l'homme et de juste administration du pouvoir. Les réunions du Groupe en 1996 ont permis la libération de plusieurs prisonniers politiques détenus sans inculpation. Toutefois, les autorités nigérianes n'ont autorisé le Groupe à effectuer qu'une visite de deux jours au Nigéria, en novembre 1996, afin de s'entretenir avec les responsables et partisans du gouvernement, et non pour réaliser la mission d'enquête initialement demandée ; par ailleurs, le Groupe n'a pas été autorisé à rencontrer des prisonniers politiques. Les ministres ont exhorté le gouvernement nigérian à respecter intégralement les engagements pris auprès du Secrétaire général des Nations unies, notamment en ce qui concerne la « réconciliation de toutes les parties dans la région ogoni ». En outre, ils lui ont présenté quatre recommandations spécifiques :

restaurer sans délai un gouvernement civil ayant à répondre de ses actes ;

libérer immédiatement les prisonniers politiques, notamment Moshood Abiola ;

résoudre rapidement l'affaire des détenus ogoni sur lesquels pèsent les mêmes charges que celles retenues contre Ken Saro-Wiwa et ses coaccusés ;

réexaminer les conditions carcérales.

En avril et en juillet 1997, le Groupe a reçu des communications écrites et orales de mouvements de défense de la démocratie et des droits de l'homme à Londres.

En mars 1997, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a envoyé au Nigéria une délégation chargée d'effectuer une mission d'enquête. Cette délégation n'a pas pu rencontrer les organisations non gouvernementales militant en faveur de la démocratie et de la défense des droits de l'homme. Elle a cependant été autorisée à rendre visite à Moshood Abiola ainsi qu'aux détenus ogoni inculpés de meurtre qui se trouvent actuellement en instance de jugement. En septembre 1997, elle n'avait pas encore communiqué ses conclusions, notamment en ce qui concerne ses rencontres avec les prisonniers se voyant refuser l'accès à leur famille depuis des années, ni ses recommandations au gouvernement nigérian.

2. Emprisonnement pour des motifs politiques

L'an dernier, des centaines de personnes ont été emprisonnées pour des motifs politiques au Nigéria, la plupart sans inculpation ni jugement. Il s'agissait notamment de défenseurs des droits de l'homme, de journalistes, de membres de groupes d'opposition islamistes et pro-démocratiques, de syndicalistes, d'hommes politiques, de militaires et de parents de prisonniers politiques. Un grand nombre d'entre eux étaient des prisonniers d'opinion avérés ou probables.

Les libérations annoncées en 1996 par le gouvernement n'ont pas toujours été traduites dans les faits, certains prisonniers étant maintenus en détention. Le gouvernement a continué à incarcérer ses détracteurs en vertu du Décret n°2 de 1984 relatif à la sûreté de l'État (et à la détention de personnes). D'autres décrets militaires prévoyant la détention arbitraire sans inculpation ni jugement ou un procès inéquitable devant des tribunaux d'exception désignés par le gouvernement restent toujours en vigueur. Certains prisonniers politiques purgent aujourd'hui des peines d'emprisonnement prononcées à l'issue de procès iniques devant de tels tribunaux, tandis que d'autres, en instance de jugement, sont emprisonnés depuis des mois ou des années après que le gouvernement eut porté contre eux des accusations publiques dénuées de fondement.

2. 1 Personnes emprisonnées à l'issue de procès iniques

2. 1. 1 Militaires emprisonnés à la suite de la tentative de coup d'État de 1990

Le 18 juillet 1996, 11 militaires incarcérés à la suite d'une tentative de coup d'État remontant à avril 1990 ont été transférés pour une courte période de la prison de haute sécurité de Kirikiri, à Lagos, où ils étaient détenus au secret depuis 1991, au centre de détention de la Directorate of Military Intelligence (DMI, Direction des renseignements militaires) d'Apaga, également situé à Lagos. Quelques jours plus tard, les autorités militaires ont annoncé que trois d'entre eux avaient été remis en liberté, tandis que les huit autres seraient jugés en cour martiale. Toutefois, aucun de ces 11 prisonniers n'a été libéré ni jugé, et le 7 novembre 1996, ils ont tous été reconduits à la prison de Kirikiri.

Ces 11 militaires avaient été acquittés des accusations selon lesquelles ils étaient impliqués dans la tentative de coup d'État, à l'issue de deux procès secrets et manifestement iniques instruits par un Tribunal militaire spécial, en 1990. Ces procès avaient débouché sur l'exécution de 69 autres membres des forces armées. Finalement, ils ont été condamnés le 17 octobre 1991, au terme d'un troisième procès, lorsqu'un autre membre du gouvernement militaire a été nommé président du tribunal. Ces militaires auraient été graciés par le chef de l'État de l'époque ; cependant, ils n'ont pas encore été libérés. En voici la liste :

Soldat Olajide Adelabu )          
Soldat Taiwo Fakolade )          
Adjudant en second Jomo James          )           peine capitale commuée
Soldat Christopher Miebi          ) en détention à perpétuité
Adjudant en second David Mukoro (retraité)    )          
Sergent Gatie Ortoo     )          
Caporal Blacky Pullen  )          

Soldat Innocent Ofem Anang (retraité)  )           détention à perpétuité commuée
Caporal Lucky Iviero (retraité)  ) en 10 ans d'emprisonnement

Adjudant-chef Samson Ako Elo            ) acquittés mais maintenus en détention
Adjudant en second Augustine Ogbewe            )          

Le 23 juillet 1997, la haute cour fédérale de Lagos a ordonné la libération de sept d'entre eux, à l'issue d'une requête déposée par le Constitutional Rights Project (CRP, Projet de défense des droits constitutionnels), groupe local de défense des droits de l'homme, pour contester leur détention prolongée. La haute cour leur a en outre accordé une indemnisation pour arrestation et détention illégales. Toutefois, les autorités n'ont pas tenu compte de ces décisions.

2. 1. 2 Personnes emprisonnées pour leur participation présumée à une tentative de coup d'État en 1995[4]

Les dirigeants de mouvements favorables à la démocratie et les défenseurs des droits de l'homme déclarés coupables de trahison à l'issue de procès secrets et manifestement iniques en 1995 sont toujours détenus dans des conditions carcérales très dures qui mettent leur santé en péril (cf. 3. 2). Ces prisonniers ont été jugés par un tribunal militaire spécial présidé par un membre du gouvernement militaire. Ils se sont vu refuser la possibilité d'être défendus et d'interjeter appel auprès d'une juridiction supérieure ou indépendante.

Parmi les personnes condamnées à purger de longues peines d'emprisonnement figurent des dirigeants politiques, tels le général en retraite Olusegun Obasanjo, âgé de soixante et un ans, qui a assumé les fonctions de chef de l'État de 1976 à 1979, et son ancien bras droit, le général de division en retraite Shehu Musa Yar'Adua, détracteur du programme de transition du gouvernement militaire qui a été lui-même candidat à la présidence. Ont également été condamnés à de lourdes peines le docteur Beko Ransome-Kuti et Shehu Sani, tous deux militants des droits de l'homme et, respectivement, président et vice-président du mouvement Campaign for Democracy. Enfin, quatre rédacteurs en chef et journalistes figurent dans ce groupe de prisonniers ; il s'agit de Kunle Ajibade, Chris Anyanwu, George Mbah et Ben Charles Obi. Tous sont détenus dans des prisons situées à des centaines de kilomètres de leurs familles respectives, dont les visites sont limitées et soumises à une étroite surveillance.

L'avocat défenseur des droits de l'homme Chief Gani Fawehinmi tente depuis août 1995 d'obtenir une décision de la haute cour fédérale concernant la constitutionnalité du Tribunal militaire spécial et sa compétence pour juger le docteur Ransome-Kuti. Cette affaire a été régulièrement ajournée, les avocats du gouvernement formulant des objections et s'abstenant de comparaître devant tribunal pour les défendre.

2. 2 Personnes détenues sans jugement

Après les protestations de la communauté internationale au sujet de deux procès politiques manifestement iniques instruits en 1995, le gouvernement a adopté une nouvelle pratique consistant à emprisonner ses détracteurs indéfiniment, sans jugement. Il a tenté de justifier leur détention prolongée en déclarant publiquement leur culpabilité et en les accusant de graves infractions telles que la trahison ou le meurtre, accusations fondées sur des éléments contestables, voire sans aucun commencement de preuve. D'autre part, il a fait obstacle à leurs demandes de libération sous caution et à leur traduction rapide en justice, en ne tenant pas compte des décisions des tribunaux, en détenant les prisonniers au secret et en leur interdisant de consulter un avocat, en s'abstenant de les déférer au tribunal et en déployant d'autres tactiques dilatoires visant à retarder la procédure.

2. 2. 1 Moshood Abiola

Moshood K. O. Abiola, âgé de soixante ans, qui avait remporté les élections de 1993, est toujours emprisonné sans jugement et n'est pas autorisé à recevoir la visite de sa famille ni de ses avocats. Après avoir annulé les résultats des élections en juin 1993, lorsqu'il est apparu clairement que Moshood Abiola en était sorti vainqueur, les militaires l'ont arrêté sous l'inculpation de trahison en juin 1994, alors qu'il revendiquait son mandat électoral. Le gouvernement militaire qui a pris le pouvoir en novembre 1993 n'a montré aucune velléité de voir s'ouvrir un procès pour trahison en audience publique au cours duquel la question se poserait naturellement de savoir si la revendication d'un mandat conféré par les urnes constitue davantage un acte de trahison que la prise de pouvoir au moyen d'un coup d'État.

En lui interdisant toute visite de sa famille ou de ses avocats, même après l'assassinat de son épouse, le gouvernement a refusé à Moshood Abiola la possibilité de faire aboutir sa demande de liberté sous caution, qui est restée bloquée devant les tribunaux. Il n'a pas désigné de nouveaux juges à la Cour suprême pour examiner cette demande après que plusieurs se furent retirés de l'affaire en invoquant des conflits d'intérêt ; ils poursuivaient en effet le journal de Moshood Abiola pour diffamation.

2. 2. 2 Détenus ogoni[5]

Les autorités ont bloqué à tous les échelons les demandes en justice faites en faveur d'un groupe de vingt prisonniers ogoni afin qu'ils soient jugés ou bien libérés, plus de trois ans après l'arrestation de la plupart d'entre eux. Ces prisonniers continuent d'être incarcérés dans des conditions très pénibles, en attendant d'être jugés sous le même chef d'inculpation de meurtre que celui ayant conduit à l'exécution des neuf Ogoni en novembre 1995 ; ces neuf personnes étaient Ken Saro-Wiwa, écrivain et président du Movement for the Survival of the Ogoni People (MOSOP, Mouvement pour la survie du peuple ogoni), Barinem Kiobel, Saturday Doobee, Paul Levura, Nordu Eawo, Felix Nuate, Daniel Gbokoo, John Kpuinen et Baribor Bera. Les suppliciés avaient été condamnés au terme de procès iniques et motivés par des considérations politiques, instruits par un Tribunal spécial chargé des troubles sociaux, après le meurtre de quatre dirigeants ogoni rivaux, en mai 1994.

L'un des 20 prisonniers, Adam Kaa, a été arrêté le 12 mars 1994, avant que les meurtres n'aient été commis. Quant aux 14 détenus énumérés ci-après, ils ont été appréhendés entre mai et août 1994.

Samuel B. Asigha         Friday Gburuma           Sampson Ntignee
John Banatu      Blessing Israel   Nwinbari Abere Papah
Kagbara Basseeh         Benjamin Kabari           Chief Babina Vizor
Paul Deekor     Baritule Bano Lebe       Pop-gbara Zor-zor
Godwin B. Gbodor       Nyieda N. Nasikpo

Ces détenus n'ont été inculpés que le 19 mai 1995 par une juridiction répressive de Port-Harcourt (Chief Magistrate's Court), dans le sud-est du Nigéria. L'un d'eux, Clement Tusima, est mort en août 1995 de malnutrition et de négligence médicale, peu après le transfert des détenus à la prison de Port-Harcourt. Deux autres prisonniers, Innocent Tonwee et Monday Oke, auraient été libérés après que leurs employeurs eurent fourni un alibi. Quatre autres personnes ont été arrêtées en août 1995 et inculpées par le tribunal cité plus haut, le 27 octobre 1995 (Ngbaa Baovi, Michael Kagbaranem Doghala, Baribuma Kumanwee et Taaghalobari Kovabel Monsi), ce qui porte à 19 le nombre des Ogoni toujours emprisonnés. À la fin de l'année 1995, le Tribunal spécial chargé des troubles sociaux a retenu des charges de meurtre contre pratiquement tous ces détenus, excepté Michael Kagbaranem Doghala, et à l'encontre d'un autre prisonnier, Elijah Leekie Baadom. En réponse à une requête introduite par la défense, la haute cour fédérale de Lagos a émis le 12 décembre 1995 une injonction interdisant aux autorités de traduire ces détenus devant le Tribunal spécial chargé des troubles sociaux tant qu'elle n'aurait pas déterminé si ce tribunal enfreignait les dispositions de la Constitution nigériane en matière d'équité des procès ; toutefois, aucun jugement n'a encore été rendu sur cette question. Un autre prisonnier, Nkale Beete, a été arrêté en décembre 1996 et accusé de meurtre dans le cadre de la même procédure, ce qui porte à 20 le nombre de détenus inculpés par la juridiction répressive.

Nombre des détenus ont affirmé avoir été passés à tabac et torturés dans les jours qui ont suivi leur arrestation, dans le but de leur arracher des déclarations auto-accusatrices. Selon certaines informations, des membres de l'armée et de la brigade mobile de l'Internal Security Task Force (ISTF), forces militaires/paramilitaires envoyées en pays ogoni en 1994 pour mettre fin à la campagne du MOSOP en faveur de l'environnement et des droits de l'homme, auraient battu des détenus dans les locaux de l'ISTF à Kpor ou au camp militaire de Bori, à Port-Harcourt. Les prisonniers ont ensuite été transférés au siège de la police de Port-Harcourt, où un grand nombre d'entre eux auraient été suspendus par les pieds ou par les mains pendant de longues périodes, tandis qu'on les frappait. L'un d'eux a déclaré avoir été roué de coups, pendu à un crochet fixé au plafond et aspergé de gaz lacrymogène dans les yeux. Un autre a affirmé qu'on l'avait frappé à la tête, en particulier sur les oreilles, et qu'on lui avait disloqué les articulations à coups de bâton.

Aucune enquête indépendante n'a été ouverte sur ces allégations de torture, pas plus que sur celles faites en 1995 devant le Tribunal spécial chargé des troubles sociaux, lors des procès des accusés ogoni Baribor Bera, Paul Levura et Nordu Eawo, qui ont été exécutés par la suite.

Tous ces prisonniers ogoni sont en mauvaise santé. Certains souffrent d'affections graves les laissant très diminués, en raison des conditions sanitaires déplorables ainsi que d'une alimentation insuffisante ou de l'absence de tout traitement médical. Ils sont détenus pratiquement au secret, se voient refuser le droit de recevoir la visite de leurs familles respectives et, pendant les deux premières années de leur détention, n'ont pas eu le droit de consulter leurs avocats. En juillet 1996, huit d'entre eux ont été autorisés à rencontrer, sous étroite surveillance, les avocats chargés de leur défense. En août 1996, un photographe du quotidien Vanguard a été agressé par la police et s'est vu confisquer son appareil photographique alors qu'il tentait de photographier l'état d'abattement de certains des détenus lors de leur présentation devant la Magistrate's Court. Deux des avocats assurant leur défense, Robert Azibaola et Uche Okwukwu, ont été arrêtés, détenus toute la nuit durant et accusés le lendemain de s'être opposés à un officier de police dans l'exercice de ses fonctions. En décembre 1996, la haute cour de Port-Harcourt a rejeté une demande de réexamen par une autorité judiciaire du maintien en détention prolongée sans jugement des prisonniers, au motif que les arguments selon lesquels ces détenus seraient en mauvaise santé, souffriraient des conditions carcérales épouvantables et ne bénéficieraient pas de soins médicaux adéquats reposaient uniquement sur des rumeurs. Le 13 mars 1997, une délégation de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples de l'OUA a rendu visite aux prisonniers ; toutefois, ses conclusions et ses recommandations au gouvernement n'avaient toujours pas été communiquées au mois de septembre. Le 22 juillet 1997, la nouvelle Commission nationale des droits de l'homme a également rencontré les détenus en prison, mais elle leur aurait déclaré qu'elle ne pouvait pas se charger de leur dossier. D'autres rencontres avec les avocats de la défense ont été autorisées en 1997.

Les tentatives visant à faire libérer les détenus sous caution ou à les traduire devant des tribunaux de droit commun ont été bloquées par l'interdiction faite aux prisonniers de rencontrer leurs avocats ainsi que par les longs atermoiements des tribunaux. En juillet 1997, la haute cour fédérale de Port-Harcourt s'est déclarée compétente pour accorder la mise en liberté sous caution ; dans sa décision, elle arguait que le gouvernement ne pouvait pas porter le dossier devant des juridictions locales de droit commun et en même temps contester leur compétence au motif que cette affaire était fédérale et relevait donc d'un Tribunal fédéral spécial chargé des troubles sociaux qui avait été dissous. Les autorités ont déposé un recours contre cette décision auprès de la Cour d'appel. En août 1997, les détenus ont entamé une grève de la faim de dix jours pour protester contre ces obstructions permanentes empêchant leur libération ou leur procès. Cette démarche n'a suscité aucune réaction des autorités.

2. 2. 3 Arrestations de Frères musulmans

Plusieurs membres dirigeants des Frères mulsulmans, groupe islamiste d'opposition du nord du Nigéria, ont été détenus au secret sans inculpation ni jugement pendant dix mois, avant d'être accusés d'incitation à la rébellion et à la sédition, le 31 juillet 1997. Les détenus ont refusé de se faire assister par un avocat et n'ont pas sollicité la mise en liberté sous caution. Leur procès, qui devait débuter en août 1997, a été ajourné jusqu'au mois d'octobre.

Au nombre des quatre inculpés figurent notamment Ibrahim Yakub Al-Zakzaky, intellectuel et prédicateur islamiste qui, semble-t-il, avait déjà été emprisonné du fait de ses activités religieuses et politiques, et Hamid Danlami, éditeur du journal du mouvement, Al mizan. Les deux hommes ont été arrêtés le 12 septembre 1996, en compagnie de 20 autres personnes, par des policiers armés qui auraient projeté des gaz lacrymogènes à l'intérieur du domicile d'Ibrahim Al Zakzaky, à Zaria (État de Kaduna), et mis à sac la maison d'Hamid Danlami. Depuis lors, Ibrahim Al Zakzaky a été détenu au secret à la prison de Port-Harcourt, dans le sud-est du Nigéria, à plus de 900 kilomètres de Zaria. Selon les informations reçues, sa famille aurait été chassée de chez elle par les forces de sécurité. Deux autres détenus, Abubakar Danladi et Mohammed Shittu, ont également été inculpés.

Des affrontements entre la police et des manifestants qui protestaient contre ces arrestations ont fait entre six et quatorze tués, dont un enfant et deux policiers, le 13 septembre 1996, à Zaria ; au moins sept victimes, dont deux agents de la sécurité, à Kaduna, le 18 septembre ; et au moins quatre morts, le 7 février, à Kano. Selon certaines allégations, les agents de sécurité auraient employé la force de manière excessive et les protestataires auraient fait preuve de violence.

Au moins 200 protestataires ont été arrêtés entre septembre et novembre 1996, et de nombreux autres en février 1997. Parmi eux figuraient des femmes et des enfants, qui ont été relâchés peu après. Au moins 150 personnes ont été détenues sans inculpation ni jugement pendant plusieurs mois, sans aucune possibilité de recevoir la visite de leur famille ou de leur avocat. Environ 70 d'entre elles auraient été déclarées coupables d'infractions allant de la réunion illicite à l'incendie criminel et au meurtre. Elles ont apparemment été condamnées à des peines allant de six mois à huit ans d'emprisonnement. Ces charges étaient liées à des affrontements religieux qui avaient éclaté dans le nord du Nigéria en 1996 : plus d'une dizaine de personnes, dont un policier, avaient trouvé la mort lors de troubles impliquant des groupes islamistes, en juin 1996 à Kaduna et Kontagora, puis en août 1996 à Katsina et Kano, ainsi qu'entre les communautés islamique et chrétienne, en septembre 1996 à Kafanchan. Certains des condamnés se seraient vu infliger des peines allant jusqu'à huit ans d'emprisonnement pour avoir eu en leur possession des discours et des photographies d'Ibrahim Al Zakzaky.

Le nord du Nigéria est depuis de longues années le théâtre d'affrontements religieux et ethniques entre groupes islamistes, qui ne reconnaissent pas les autorités séculières ni les dignitaires islamiques, ainsi qu'entre les communautés chrétienne et musulmane. En 1980, des centaines de personnes ont trouvé la mort au cours d'émeutes, à Kano, auxquelles participaient des disciples du dirigeant islamiste Muhammad Marwa, connu sous le nom de Maitatsine, et qui ont été réprimées par l'armée. En 1987, après que des affrontements entre les communautés chrétienne et musulmane à Kafanchan eurent fait au moins 19 morts, le gouvernement militaire a créé des tribunaux d'exception, les Tribunaux spéciaux chargés des troubles sociaux. Ceux-ci ont condamné 50 détenus musulmans à des peines d'emprisonnement. En 1992 et en 1993, ils ont infligé pour la première fois la peine capitale à 17 prisonniers déclarés responsables de nombreux morts dans l'État de Kaduna en mai 1992, lors du conflit entre les communautés chrétienne katab et musulmane haoussa ; à la suite des protestations quant à l'iniquité des procès, ces peines ont été commuées, et les détenus libérés en 1995. En mai 1995, au moins 17 personnes ont trouvé la mort dans le conflit opposant les communautés chrétienne ibo et musulmane haoussa à Kano, à la suite de quoi cinq personnes ont été inculpées en décembre 1995 par un Tribunal spécial chargé des troubles sociaux.

2. 2. 4 Les inculpations pour trahison de 1997

En mars 1997, les autorités nigérianes ont inculpé l'écrivain en exil et lauréat du prix Nobel Wole Soyinka, ainsi que 15 autres personnes, de trahison, délit puni de la peine de mort, en relation avec une série d'attentats à la bombe ayant fait au moins 20 morts dans le pays.

Parmi les 12 personnes emprisonnées au Nigéria sous ce chef d'inculpation figurent d'éminents défenseurs des droits de l'homme et militants en faveur de la démocratie. Frederick Fasehun, médecin âgé de soixante-deux ans qui s'était porté candidat à la présidence lors du précédent programme avorté de « transition vers un régime civil », a été détenu au secret depuis sont arrestation, le 18 décembre 1996. Président par intérim de l'organisation Campaign for Democracy depuis l'incarcération du docteur Beko Ransome-Kuti (cf. 3.1.2, ci-dessus), il avait déjà été incarcéré en tant que prisonnier d'opinion. En décembre 1995, il avait été détenu toute une nuit et inculpé de sédition et de réunion illicite après avoir oeuvré en faveur de la libération de prisonniers d'opinion ; toutefois, les poursuites intentées contre lui avaient été abandonnées. Il avait également été détenu pendant une courte période, les autorités voulant l'empêcher de rencontrer la mission du Secrétaire général des Nations unies en avril 1996. Chief Olu Falae, âgé de cinquante-neuf ans, a été arrêté le 9 janvier 1997. Il avait occupé des postes de premier plan dans le précédent gouvernement militaire du Général Ibrahim Babangida, en tant que Secrétaire du gouvernement de la Fédération puis comme ministre des Finances, avant de quitter le gouvernement en 1990 pour présenter sa candidature aux élections présidentielles. Chief Olu Falae a été détenu brièvement en tant que prisonnier d'opinion en juin 1995, après avoir participé à une réunion chez le président de la NADECO. Les autorités ont affirmé qu'il était impliqué dans les attentats à la bombe, parce que le nom "Falaye" figurait en regard de l'inscription « 40 Naira » (environ 30 francs) dans l'agenda de l'une des trois victimes de l'explosion d'une voiture piégée qui visait le chef de la sécurité à l'aéroport international de Lagos, en novembre 1996. À la suite de cet attentat, les autorités ont accusé deux des victimes d'être des agents de la NADECO.

Parmi les quatre autres exilés qui ont également été inculpés de trahison par contumace figure l'un des écrivains les plus renommés du Nigéria, Wole Soyinka, lauréat du prix Nobel de littérature en 1986 et éminent critique du régime militaire. Après avoir quitté le Nigéria, en 1994, il a joué un rôle de premier plan dans la création de groupes favorables à la démocratie en exil. Les trois autres exilés sont des membres dirigeants de la National Democratic Coalition (NADECO, Coalition nationale démocratique) : il s'agit notamment de Chief Anthony Enahoro, ministre du précédent gouvernement, et du général à la retraite Alani Akinrinade, ancien chef d'état-major des armées et ministre, mais aussi l'un des militaires les plus haut gradés parmi les partisans de la NADECO. Tous deux prisonniers d'opinion en 1994 (Chief Enahoro est resté détenu pendant quatre mois sans inculpation ni jugement), ils ont quitté le Nigéria après avoir reçu des menaces. Enfin, le docteur Amos Arogundade Akingba, collaborateur de longue date du général Akinrinade, aurait été inculpé parce qu'il connaissait l'une des victimes de la voiture piégée qui a explosé en novembre 1996 à l'aéroport de Lagos.

Certains parents et employés du général Akinrinade et du docteur Akingba ont été arrêtés en janvier et en février 1997 et détenus sans inculpation pendant plusieurs semaines (cf. 2. 3. 3, ci-dessous). Au nombre de ceux qui ont été inculpés de trahison par la suite figure le docteur Adegbenga Adebusuyi, âgé d'une quarantaine d'années, ancien responsable d'une carrière appartenant au général Akinrinade. Il semble qu'après son arrestation, il aurait été suspendu par les pieds tandis qu'on lui assenait des coups de pied sur la tête. Son père et son épouse ont été détenus sans inculpation pendant plusieurs semaines au début de l'année 1997. Certains des autres accusés, notamment Moses Akere Akinnola, Bayo Johnson, Oluyinka Festus Adeboye, Femi Adeyemiwo, Layi Odumade et Olugbenga Odumade, ont semble-t-il été arrêtés parce qu'ils connaissaient eux aussi l'une des victimes de l'attentat à la voiture piégée de novembre 1996.

Trois des accusés, à savoir Mohammed Sukere Lafiagi, Musa Okoiyaafo Yasin et Moshood Yahaya, avaient déjà été arrêtés car ils étaient soupçonnés d'avoir participé à un attentat à la bombe responsable du décès de cinq personnes à Ilorin, dans l'État du Kwara, en mai 1995. En septembre 1996, une Magistrate's Court d'Ilorin a ordonné leur libération après l'abandon des poursuites, faute de preuves. Les autorités n'ont pas tenu compte d'une décision ultérieure de la haute cour fédérale d'Ilorin ordonnant la comparution des trois hommes afin de justifier leur détention prolongée.

Le 21 janvier et le 10 mars 1997, la haute cour fédérale a ordonné la mise en liberté sous caution du docteur Fasehun, au motif qu'aucun élément n'avait été produit pour justifier la poursuite de sa détention. Le gouvernement n'a tenu aucun compte de cette décision. Le 12 mars 1997, les 16 détenus ont été inculpés de trahison par le président d'une Magistrate's Court d'Ikeja, près de Lagos. Il leur était reproché d'avoir conspiré pour déclarer la guerre au gouvernement militaire et d'avoir provoqué des explosions dans diverses régions du Nigéria, entre mai 1995 et février 1997. En mai et en juin 1997, la Magistrate's Court d'Ikeja a rejeté les requêtes sollicitant l'abandon des poursuites ou le transfert de cette affaire devant la haute cour, au motif que cette décision ne relevait pas de sa compétence. En avril, en mai, en juin et en septembre 1997, la haute cour fédérale a ajourné les audiences relatives à la demande de mise en liberté sous caution des détenus, tantôt parce que le ministère public ne s'était pas présenté devant le tribunal, tantôt en raison d'une panne d'électricité.

Il semble que les charges de trahison aient servi à justifier la détention de dirigeants de mouvements favorables à la démocratie et à discréditer les groupes en exil militant pour un régime démocratique. Certains membres de premier plan du gouvernement ont, à plusieurs reprises, accusé publiquement la NADECO d'être responsable des attentats à la bombe. Ils ont également accusé les gouvernements du Canada, du Royaume-Uni et des États-Unis d'avoir participé à ces attentats ou empêché la police nigériane de mener une enquête dans ces pays. Toutefois, un certain nombre d'accusés n'ont pas été interrogés sur les attentats pendant leur détention avant d'être inculpés de trahison (le docteur Fasehun aurait été interrogé uniquement sur ses activités dans le domaine des droits de l'homme) et se sont vu refuser le droit de rencontrer leurs avocats respectifs.

Les détenus se trouvent au siège de la police fédérale, le Federal Intelligence and Investigation Bureau (FIIB), à Ikoyi (Lagos). Dans sa demande de mise en liberté sous caution, le docteur Frederick Fasehun a dénoncé les conditions de détention inhumaines imposées aux prisonniers, ce qui lui a valu d'être transféré dans une cellule sale et surpeuplée du poste de police local de Lagos, dans des conditions pires encore, avant d'être ramené au FIIB. Au début du mois de septembre 1997, on a appris qu'il voyait moins bien d'un œil mais qu'il s'était vu refuser des soins médicaux appropriés.

2. 3 Détention sans inculpation ni jugement

2. 3. 1 Syndicalistes

Deux dirigeants syndicalistes du secteur pétrolier sont toujours détenus pour avoir participé à une grève des ouvriers du pétrole de deux mois, en 1994, dans le but d'obtenir notamment la libération de Moshood Abiola et d'autres militants en faveur de la démocratie. Frank Ovie Kokori, secrétaire général du National Union of Petroleum and Natural Gas Workers (NUPENG, Syndicat national des ouvriers du pétrole et du gaz naturel) âgé de cinquante-deux ans, est détenu au secret depuis août 1994. Milton G. Dabibi, secrétaire général du Senior Staff Consultative Association of Nigeria (SESCAN, Syndicat consultatif des cadres du Nigéria), a été arrêté en janvier 1996. Auparavant, il était secrétaire général du Petroleum and Natural Gas Senior Staff Association of Nigeria (PENGASSAN, Syndicat des cadres de l'industrie du pétrole et du gaz naturel du Nigéria), dont les membres s'étaient mis en grève en 1994.

Le gouvernement a déclaré que ces syndicalistes étaient emprisonnés pour des raisons de sécurité, parce que la grève était motivée par des considérations politiques et menaçait des vies, mais ils n'ont pas été inculpés. Aucune visite de leurs avocats ou collègues syndicalistes ne leur a été autorisée. En mai 1997, le domicile de Frank Kokori aurait été mis à sac, tandis que sa femme et son fils auraient été menacés par des agresseurs non identifiés, après que celle-ci eut lancé un appel public en faveur de sa libération. Les médecins de la prison ont recommandé que Frank Kokori reçoive un traitement médical pour une blessure à la colonne vertébrale, mais les autorités s'y seraient opposées.

2. 3. 2 Journalistes

Les journalistes sont régulièrement détenus et harcelés lorsqu'ils publient des articles critiquant le gouvernement ou les responsables militaires de haut rang. Ils sont des dizaines à avoir été emprisonnés ces dernières années, généralement pour quelques jours seulement, mais parfois aussi pendant des mois. Quatre journalistes qui purgent actuellement des peines de quinze ans d'emprisonnement dans des conditions épouvantables souffrent de graves problèmes de santé (cf. 2. 1. 2 et 3. 2). En juin 1997, les organisations de journalistes ont lancé une nouvelle campagne de protestation contre les menaces répétées du gouvernement d'appliquer des décrets militaires imposant des contraintes légales et financières très strictes aux journalistes et aux quotidiens, ainsi que d'instaurer un tribunal spécial chargé de juger ceux qui publient des « informations mensongères ».

Parmi les journalistes détenus pendant de longues périodes sans inculpation ni jugement figure Okina Deesor, producteur à la station radiophonique publique de l'État de Rivers, qui est emprisonné depuis juillet 1996 pour avoir diffusé "l'hymne national" ogoni sur l'antenne. Moshood Fayemiwo, éditeur du magazine d'actualités Razor, aurait été enlevé par des agents de la sécurité nigériane dans la République du Bénin voisine, le 14 février 1997. Depuis lors, il serait détenu dans une cellule souterraine des locaux de la Directorate of Military Intelligence (DMI, Direction des renseignements militaires) à Apapa, Lagos. Mohammed Adamu, correspondant du magazine d'actualité African Record dans la capitale, Abuja, est apparemment détenu par les services de sécurité de la Présidence depuis son arrestation, le 27 juillet 1997, après qu'il eut publié un article critiquant le Major Mohammed Hamza Al Mustapha, chef du service de sécurité de la présidence.

George Onah, correspondant au journal Vanguard pour les questions relatives à la défense, a été détenu sans inculpation ni jugement pendant un an, après avoir été arrêté en mai 1996 pour avoir écrit un article concernant la réorganisation des officiers supérieurs de l'armée. Godwin Agbroko, éditeur du magazine d'actualités The Week, a été emprisonné de décembre 1996 à mai 1997 parce qu'il refusait de révéler ses sources pour un article qu'il avait écrit concernant une lutte pour le pouvoir entre des responsables de haut rang de l'armée. Il n'a reçu aucune nourriture pendant les quatre premiers jours passés au centre de détention de la DMI et a eu les jambes enchaînées durant les deux mois qui ont précédé sa libération. Godwin Agbroko et George Onah se sont vu confisquer leurs passeports et ont reçu l'ordre, à leur libération, de se présenter régulièrement aux services de sécurité, ce qui leur rend impossible toute activité professionnelle normale. Ladi Olorunyomi, épouse du journaliste exilé Dapo Olorunyomi et elle-même journaliste, a été détenue au secret sans inculpation ni jugement de mars à juin 1997. Aucune raison n'a été invoquée pour justifier son incarcération, qui semble avoir été uniquement motivée par les activités politiques de son mari en exil.

Parmi les personnes détenues pendant de courtes périodes figure Olatunji Dare, professeur de journalisme vivant aux États-Unis et ancien chef de la rédaction du quotidien Guardian, qui a été arrêté à l'aéroport le 4 juin 1997 alors qu'il venait en visite au Nigéria. Il a été détenu jusqu'au lendemain et son passeport lui a été confisqué pour plusieurs semaines. Stanley Yakubu, journaliste au quotidien Punch, a été arrêté à Yola, dans le nord-est du pays, le 19 juin 1997. Accusé d'avoir publié des informations mensongères et séditieuses dans un article critiquant l'épouse de l'administrateur militaire de l'État, il est resté détenu quatre jours sans inculpation. Au début du mois de septembre 1997, Akpandem James et Chris Ikwunze, correspondants dans l'État de Rivers des quotidiens Punch et Vanguard respectivement, ont été arrêtés par l'Internal Security Task Force (ISTF). Ils ont été détenus sans inculpation pendant plusieurs jours à Okomoko, au sud de Port-Harcourt, parce que, semble-t-il, leurs journaux avaient cité une déclaration faite à la presse par le MOSOP. Chris Ikwunze a affirmé que des soldats l'avaient frappé à coups de cravache durant sa détention parce qu'il avait fait sortir clandestinement une note relatant son arrestation.

Le 10 septembre 1997, à la suite d'articles de presse laissant entendre que le chef de l'État était gravement malade, des soldats armés et des membres de la police antiémeutes sont entrés de force chez Nosa Igiebor, éditeur du magazine Tell, et ont emmené son épouse Arit Ngiebor, qu'ils ont maintenue en détention pour une brève période. Le 15 septembre, les marchands de journaux et vendeurs des kiosques d'Abuja ont été arrêtés. Ils se sont vu confisquer leurs copies du magazine The News. Le 17 septembre 1997, les services de sécurité, qui recherchaient les éditeurs et les correspondants du magazine The News dans le nord du pays, ont placé sous scellés les bureaux du magazine à Lagos et arrêté Babatunji Wusu, membre de son personnel administratif.

2. 3. 3 Militants en faveur de la démocratie et des droits de l'homme

Les militants en faveur de la démocratie et des droits de l'homme risquent toujours d'être détenus sans inculpation ni jugement uniquement pour avoir eu le tort d'exprimer leurs opinions de manière pacifique. Olatunji Abayomi, avocat et président du groupe de défense nigérian des droits de l'homme Human Rights Africa, qui avait déjà été détenu sans inculpation ni jugement pendant un an jusqu'à juin 1996, a de nouveau été arrêté le 27 août 1997 et emprisonné sans inculpation pendant trois jours. Son mouvement avait prévu de décerner un prix à un juge de la République du Bénin qui avait annoncé les résultats des élections présidentielles de ce pays, bien qu'ils fussent défavorables au président de l'époque et en dépit des menaces dont il faisait l'objet.

Chief Olabiyi Durojaiye est détenu au secret depuis décembre 1996, sans aucune explication. Avocat et économiste âgé de soixante-quatre ans, il a autrefois dirigé la Banque centrale du Nigéria, s'est présenté aux élections présidentielles lors du dernier programme de « transition vers un régime civil » et est l'un des membres fondateurs de la NADECO. Selon les informations reçues, Chief Olabiyi Durojaiye se trouverait au siège de la DMI à Apapa, Lagos. Sa famille n'est pas autorisée à le rencontrer et s'est vu interdire de lui faire parvenir de la nourriture, des médicaments ou même des vêtements de rechange - il a été emmené dans les vêtements qu'il portait lors de son arrestation, en plein milieu de la nuit. Détenu à l'isolement, il serait devenu hagard et désorienté en raison des conditions très pénibles auxquelles il est soumis. Le gouvernement a interjeté appel de la décision d'une haute cour fédérale qui, en mai 1997, a ordonné la libération de Chief Olabiyi Durojaiye et le versement d'une indemnisation pour détention illégale.

Polycarp Nwite, ancien sénateur et prisonnier d'opinion durant plusieurs mois en 1994 en raison de ses activités en faveur de la démocratie, a été arrêté le 6 août 1997 et serait maintenu en détention sans inculpation ni jugement depuis cette date. Aucune raison n'a été fournie pour justifier sa détention prolongée.

En février 1997, des parents et des collaborateurs de militants en faveur de la démocratie exilés, dont certains ont ensuite été inculpés de trahison (cf. 3.2.4, ci-dessus), ont été arrêtés et détenus au secret pendant des périodes allant jusqu'à quatre mois au siège de la DMI, à Apapa. Aucun motif n'a été invoqué pour justifier ces arrestations et ils ont finalement été libérés sans avoir été inculpés. Deux d'entre eux, Femi et Bankole Akinrinade, frères de l'un des accusés en exil, le général Akinrinade, ont été détenus au siège du Federal Intelligence and Investigation Bureau (FIIB) à Ikoyi, Lagos, jusqu'à leur libération en mai 1997.

Les parents et employés d'Amos Akingba, autre accusé en exil, ont été harcelés et emprisonnés, y compris sa belle-mère âgée de soixante-huit ans, Muriel Nelson-Williams. Celle-ci a été arrêtée une première fois le 9 janvier 1997 pour une courte période, lorsque des dizaines d'agents de la sécurité sont venus fouiller la maison de son beau-fils, à Lagos. Puis, le 14 janvier 1997, elle a été de nouveau appréhendée et détenue jusqu'au lendemain, en compagnie de quatre parents et employés, lorsqu'une centaine de soldats armés sont revenus fouiller la maison. Arrêtée une nouvelle fois avec deux autres membres de sa famille le 15 février, elle est restée incarcérée sans inculpation ni jugement au centre de détention de la DMI à Apapa jusqu'à sa libération, le 3 mars. Dans ce centre ont également été détenues, de février à juin 1997, Sabina Solayide Iluyomade, enseignante de cinquante-quatre ans, et sa fille, Folake Folasade Iluyomade, âgée de trente et un ans. Cette dernière a apparemment été incarcérée parce que son mari, qui vivait aux États-Unis, avait un jour servi sous les ordres du général Akinrinade. Folake Folasade Iluyomade a perdu l'enfant qu'elle portait après s'être vu refuser des soins médicaux pendant deux jours.

3. Torture et mauvais traitements

3. 1 Torture

Il est monnaie courante que les soldats et les policiers torturent ou maltraitent les prisonniers au moment de leur arrestation ; ces sévices servent aussi à leur arracher des déclarations compromettantes, même dans les affaires de droit commun. Ainsi, selon certaines sources, une femme incarcérée début 1997 au centre de détention de la DMI à Apapa, Lagos, aurait été frappée à coups de lanières découpées dans un pneu de voiture, afin de la contraindre à révéler où se trouvait son compagnon.

Certains prisonniers politiques ont également été passés à tabac par des soldats lors de leur arrestation. Deux journalistes ont ainsi déclaré que des militaires les avaient frappés dans les bureaux de l'administrateur militaire de l'État à Owerri (État d'Imo), il y a quelques semaines. Le 1er juillet 1997, des soldats auraient arrêté puis flagellé Chief Oni Egbunine, éditeur du journal The Horn, jusqu'à ce qu'il perde connaissance, après la publication d'un article dénonçant la corruption des fonctionnaires de l'État. Le 3 septembre 1997, des agents de la sécurité auraient déclaré à Oby Eke-Aghbai, présidente du conseil de la Nigeria Union of journalists (NUJ, Syndicat des journalistes du Nigéria) de l'État d'Imo, qu'elle n'était pas la bienvenue, avant de la frapper à coups de ceinture devant la grille d'entrée.

Amnesty International a continué de recevoir des informations faisant état d'actes de torture et de mauvais traitements infligés à des détenus soupçonnés de soutenir le MOSOP. Ces deux dernières années, de nombreux partisans de ce mouvement auraient été arrêtés et détenus pendant de courtes périodes par des agents de l'ISTF ou par l'armée à Kpor, en pays ogoni, et à Afam, situé à 30 kilomètres à l'est de Port-Harcourt. Il semble qu'un grand nombre d'entre eux aient subi des passages à tabac. Ainsi, on appris le 3 octobre 1996 que Joseph Kpakoi, qui avait été arrêté en raison de ses activités politiques, serait décédé après avoir été torturé au siège de la police de Port-Harcourt. Chief S. K. Tigidam comptait parmi une trentaine d'hommes qui ont, semble-t-il, été appréhendés et flagellés à Zaakpon pour avoir commémoré la Journée des Ogoni le 4 janvier 1997. Il serait mort en juin 1997 des suites des mauvais traitements qu'il avait reçus. L'un des hommes arrêtés en même temps que lui a déclaré avoir reçu 64 coups de fouet. Selon certaines informations, le 28 janvier 1997, les soldats qui procédaient à l'arrestation de Saturday Naadah lui auraient fracturé le crâne à coups de crosse de fusil. Samuel Asiga a apparemment été torturé par des soldats avant d'être abattu, le 12 février 1997, parce qu'il avait tenté de rendre visite à des détenus ogoni au camp militaire d'Afam, situé à une trentaine de kilomètres à l'est de Port-Harcourt. Les soldats auraient laissé sa dépouille à la morgue du centre hospitalier universitaire de Port-Harcourt.

Aucune enquête indépendante n'a été ouverte sur les allégations selon lesquelles certains agents des forces armées condamnés lors des procès pour trahison instruits en secret en 1995 auraient été torturés afin de les contraindre à reconnaître leur culpabilité et à compromettre d'autres personnes dans une tentative de coup d'État montée de toutes pièces. Depuis leur condamnation, certains de ces prisonniers n'ont pu recevoir aucune visite, pas même des membres de leur famille. Le Colonel Lawan A. Gwadabe, ancien responsable du personnel de la présidence, et le Lieutenant-colonel M. A. Igwe, qui purgent respectivement des peines de détention à perpétuité et de vingt-cinq ans d'emprisonnement, souffrent apparemment de paralysie partielle depuis qu'ils ont été torturés.

En s'abstenant d'ouvrir une enquête à la fois rapide et impartiale sur les allégations de torture et de mauvais traitements, le Nigéria ne respecte pas les obligations qui lui incombent en vertu du Pacte International relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[6] Le Comité des droits de l'homme des Nations unies s'est déclaré extrêmement préoccupé par les cas « de torture [et] de mauvais traitements... dont seraient responsables des membres de l'armée et des forces de sécurité et par l'inaction du gouvernement qui n'a pas fait procéder à des enquêtes approfondies sur ces cas pour que les auteurs présumés de ces infractions soient poursuivis et les coupables punis, et n'a pas accordé de réparation aux victimes ou à leur famille ». Six mois plus tard, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a attiré l'attention sur les conclusions du Comité et appuyé ses recommandations.

3. 2 Dureté des conditions carcérales et négligence médicale

Sont reproduites ici les descriptions faites par divers prisonniers politiques des conditions carcérales qu'ils ont dû endurer en prison ou dans les locaux de la police :

« J'ai passé les quatre premiers mois de mon incarcération dans une cellule d'un mètre carré, humide, mal éclairée, infestée de moustiques et de cafards, sans pouvoir me laver ni mettre de vêtements de rechange, sans articles de toilette, sans rien à lire. »

Un autre prisonnier a déclaré avoir été nourri invariablement de haricots secs et de graines de manioc. Il a ajouté que de telles conditions mettaient en danger la vie des détenus :

« Aucun soin médical ni premiers secours, la faim, l'absence d'eau potable, sans parler d'eau pour se laver, aucun espace de détente, pas un seul véhicule pour l'évacuation d'urgence. Lorsqu'une personne est mise en cage dans cet endroit, ses seules chances de survie passent par la charité ou l'entretien constant des membres de sa famille et de ses amis. La nourriture préparée pour les prisonniers ne serait même pas donnée au chien du village dans la vie normale et, au matin, après une pluie nocturne, tout ce que l'on peut voir, c'est un groupe de détenus se disputant les eaux d'écoulement pour boire et se laver. »

Un autre prisonnier a déclaré :

« Les conditions générales de détention dans les cellules sont déplorables, elles rappellent une porcherie. Les toitures sont tellement abîmées qu'il n'y a aucune différence entre dormir dehors et être enfermé entre quatre murs, en particulier les jours de pluie... Les cellules sont infestées de rats et d'insectes rampants comme les mille-pattes, les tiques, les poux, etc. Plus de 120 personnes dormant à même le sol s'entassent généralement dans une cellule d'environ 20 pieds par 28 [environ 7 mètres sur 9]... La concurrence est dure pour la nourriture et l'espace. La mauvaise ventilation des cellules... rend la vie terrible dans l'après-midi. Les seaux contenant l'urine et les selles sont constamment parmi nous et ne sont vidés qu'à la discrétion du gardien... Nous sommes gravement sous-alimentés. D'où notre maigreur et notre pâleur, et notre grande vulnérabilité face à toutes sortes de maladies. »

Un autre encore a relaté :

« Les conditions de vie ici sont terriblement inhumaines et inimaginables ; nous sommes entassés dans ce qui n'est pratiquement rien d'autre qu'un foyer ou un camp de concentration de cadavres et de morts vivants, c'est le moins que l'on puisse dire, avec la majorité des prisonniers qui attendent d'être jugés. »

Pour la plupart des personnes emprisonnées au Nigéria, les conditions de détention sont si préjudiciables à la santé qu'elles s'apparentent à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Les soins médicaux sont pratiquement inexistants ; seuls les détenus qui possèdent de l'argent peuvent parfois obtenir des médicaments. Les prisonniers politiques attendent parfois des mois que le gouvernement autorise leur hospitalisation. Certains peuvent recevoir un nombre limité de visites des membres de leur famille, parfois de 15 minutes une fois par mois et sous étroite surveillance. Comme la plupart sont incarcérés à des centaines de kilomètres de chez eux, les parents qui subsistent à grand peine sans le soutien de famille ne peuvent leur rendre visite que très rarement. D'autres se voient refuser toute visite de leur famille et ne sont même pas autorisés à recevoir de la nourriture ou des vêtements. Les prisonniers politiques sont coupés de tout contact avec le monde extérieur : ils n'ont pas le droit de rencontrer leur avocat ni leur propre médecin, d'avoir d'autres livres que le Coran et la Bible, de lire les journaux ou d'écouter la radio, et de recevoir de quoi écrire. En juillet 1997, on a appris que 60 agents de l'administration pénitentiaire avaient été arrêtés par la DMI car ils étaient soupçonnés d'avoir laissé des membres de la famille de prisonniers politiques rendre visite à ces derniers, en particulier à certains soldats condamnés pour trahison en 1995.

De nombreux prisonniers souffrent de graves troubles de santé et le nombre de décès est élevé. Chris Anyanwu, qui figurait parmi les quatre journalistes condamnés pour trahison au terme de procès iniques en 1995, est détenue à la prison de Kaduna, dans le nord-est du Nigéria. Selon certaines sources, elle aurait souffert d'hypertension, de crises de paludisme, de la fièvre typhoïde ainsi que de graves problèmes oculaires nécessitant une intervention chirurgicale, en raison des conditions carcérales déplorables. En juin 1997, le ministre de la Justice, écoutant les plaintes des détenus de la prison de Kaduna en sa qualité de responsable du National Council for the Prerogative of Mercy (Conseil national pour l'exercice du droit de grâce), aurait refusé de la recevoir au motif qu'il s'agissait d'une prisonnière politique. Un autre journaliste, Ben Charles Obi, a eu des crises de paludisme, attrapé la gale et souffert de diarrhées constantes en raison des conditions d'hygiène épouvantables qui règnent à la prison d'Agodi, à Ibadan, dans le sud-est du Nigéria. La famille d'un autre prisonnier condamné lors des procès pour trahison de 1995, le Colonel R. S. B. Bello-Fadile, n'a pas été autorisée à lui envoyer les médicaments dont il a besoin pour son affection cardiaque. En juillet 1997, elle a indiqué qu'il avait été hospitalisé, mais qu'elle n'avait pas été autorisée à le voir.

Chief Gani Fawehinmi, militant de longue date en faveur des droits de l'homme, a été emprisonné à plusieurs reprises en raison de ses activités. Il a vu sa santé durablement altérée à la suite de sa détention sans inculpation ni jugement à la prison de Bauchi, dans le nord du Nigéria, de janvier à novembre 1996. Il a dû être transporté d'urgence à l'hôpital cinq fois de suite, car il avait contracté une pneumonie dans sa cellule glaciale et humide. Cet avocat de cinquante-huit ans qui présidait la défense aux procès ogoni n'a eu aucun contact avec l'extérieur pendant toute la durée de sa détention : même sa famille et ses avocats n'ont pas pu lui rendre visite.

Alhaji Ibrahim Dasuki, ancien Sultan de Sokoto âgé de soixante-quatorze ans, a apparemment dû être hospitalisé d'urgence pour traiter une fièvre typhoïde qu'il avait contractée en détention. En avril 1996, le gouvernement l'a déposé en tant que Sultan, chef traditionnel de la communauté musulmane du Nigéria. Alhaji Ibrahim Dasuki a ensuite été banni à Zing, dans l'État de Taraba (nord-est du Nigéria), où il est maintenu en résidence surveillée. Acquitté des charges qui pesaient sur lui en vertu du décret de 1994 sur les banques en faillite[7], il semble avoir été détenu uniquement en raison des critiques qu'il avait formulées contre le gouvernement militaire actuel. Selon les informations reçues, Alhaji Ibrahim Dasuki n'a été autorisé à recevoir qu'une seule visite de sa famille, sous étroite surveillance, depuis sa détention.

4. Exécutions extrajudiciaires présumées

Depuis 1994, les homicides, agressions et menaces de mort visant des Nigérians associés aux mouvements des droits de l'homme et en faveur de la démocratie se sont multipliés. Certains de ces incidents donnent à penser que des agents du gouvernement seraient impliqués, au su des autorités fédérales ou non. Par ailleurs, de nombreux Nigérians sont convaincus que ces assassinats pourraient être des exécutions extrajudiciaires de détracteurs du gouvernement pris pour cibles par les autorités en raison de leurs opinions politiques. À ce jour, aucune enquête indépendante n'a été ouverte sur les exécutions extrajudiciaires perpétrées en pays ogoni depuis 1993.

L'assassinat le plus frappant d'un détracteur du gouvernement de premier plan est celui d'Alhaja Kudirat Abiola, épouse de Moshood Abiola, qui avait refusé de se laisser intimider par les menaces et les mesures de harcèlement et de surveillance dont elle faisait l'objet depuis 1994 en raison de son combat pour son mari emprisonné. Le 4 juin 1996, elle a été abattue dans sa voiture, à Lagos. Les tueurs, qui n'ont pas été identifiés, ont pu s'enfuir dans un autre véhicule sans être inquiétés, malgré les nombreux barrages dressés à Lagos par l'armée et la police. Si les vols à main armée sont monnaie courante, il ne s'agissait cependant pas d'une tentative de vol. Kudirat Abiola n'avait pas été autorisée à rendre visite à son mari depuis 1994. En mai 1996, elle avait été brièvement détenue par les services de sécurité, et inculpée tout d'abord pour avoir comploté et fait des déclarations mensongères, puis pour avoir publié des documents subversifs. Dans un entretien accordé à la presse au mois de mai, elle avait exprimé sa détermination à ne pas se laisser réduire au silence au sujet de son mari.

En dépit des accusations désignant le gouvernement comme responsable de cet assassinat, les autorités n'ont pas tenté de dissiper ces soupçons en ouvrant une enquête indépendante. Les personnes arrêtées en relation avec ce meurtre étaient des membres de la famille Abiola et des dirigeants de la NADECO. Ces prisonniers d'opinion ont été détenus au secret pendant des périodes allant jusqu'à quatre mois, sans inculpation ni jugement. Parmi eux figurait Abraham Adesanya, alors vice-président de la NADECO, qui a lui même échappé à la mort en janvier 1997, quand des tueurs inconnus ont ouvert le feu sur sa voiture depuis un autre véhicule.

Il est aussi à craindre que deux anciens ministres du gouvernement militaire actuel n'aient été pris pour cibles parce qu'ils avaient émis des critiques, réelles ou perçues comme telles, contre le gouvernement. En février 1996, Alex Ibru, ancien ministre de l'Intérieur et éditeur du quotidien Guardian, a été grièvement blessé par balle. Un mouvement inconnu jusqu'alors a déclaré qu'il avait tiré sur lui pour protéger les intérêts du gouvernement. En décembre 1996, Toyin Onagoruwa, fils d'un ancien procureur général et ministre de la Justice, a été abattu chez lui par des tueurs non identifiés. Son père, Olu Onagoruwa, avait été renvoyé du gouvernement militaire en septembre 1994, après avoir critiqué les décrets militaires répressifs.

Les poursuites judiciaires engagées par la police sur ces affaires n'ont jamais abouti. Ainsi, plusieurs personnes ont été arrêtées après l'assassinat, en octobre 1995, de Chief Alfred Rewane, l'un des principaux partisans de la NADECO. Mais l'affaire a été abandonnée car, selon la police, les suspects auraient disparu après avoir été libérés sous caution ; cependant, les avocats de la défense ont affirmé ne pas avoir eu connaissance de leur remise en liberté. Les menaces de mort et les attaques contre les domiciles des dirigeants de la NADECO et des militants en faveur de la démocratie ou des droits de l'homme se sont poursuivies, notamment chaque fois que ces derniers étaient mis en cause par des responsables du gouvernement ou qu'ils critiquaient publiquement le régime. En 1997, Chief Gani Fawehinmi et Femi Falana, tous deux avocats spécialisés dans la défense des droits de l'homme, ont signalé qu'ils avaient reçu des menaces ; en 1994, deux tueurs non identifiés ont fait irruption dans le cabinet de Chief Gani Fawehinmi, blessant grièvement deux agents chargés de la sécurité.

Les autorités n'ont toujours pas traduit en justice les responsables des homicides perpétrés pendant plusieurs années par les forces de sécurité dans l'État de Rivers (sud-est du Nigéria). Il s'agit notamment de membres des forces de la police mobile désignés par une commission d'enquête judiciaire comme étant responsables du massacre de 80 personnes à Umuechem, en novembre 1990. Le gouvernement n'a pas non plus ouvert d'enquête indépendante sur les allégations selon lesquelles l'armée serait à l'origine d'attaques ayant opposé des communautés ogoni, en pays ogoni et à Port-Harcourt, en 1993 et en 1994 ; des informations selon lesquelles des soldats auraient abattu ou blessé par balle des manifestants ogoni à Biara en avril 1993, à Nonwa en mai 1993 et à Korokoro en octobre 1993 ; et des affirmations selon lesquelles l'ISTF se serait rendue responsable d'au moins 50 exécutions extrajudiciaires dans des villages du pays ogoni au milieu de l'année 1994[8] Selon certaines informations, des membres de l'ISTF auraient aussi frappé et tiré sur des manifestants lors des commémorations publiques de l'exécution des neuf Ogoni, le 4 janvier 1996 (Journée des Ogoni). Ils auraient également arrêté et passé à tabac des dizaines d'autres manifestants au cours des jours suivants. Parmi les personnes abattues figuraient Paul Ngange et Kpannen Nicodemus, âgé de douze ans, tués tous deux à Kegbara-Dere, ainsi que Lucky Nwabari Gbarabe, garçonnet de douze ans originaire d'Uegwere Bo-ue, qui aurait été tué d'une balle dans la tête par des soldats à Bori avant d'être jeté dans une rivière.

Aucun de ces homicides n'a fait l'objet d'investigations rapides, approfondies et impartiales, comme l'exigent les Principes des nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions. En effet, le Comité des droits de l'homme s'est déclaré extrêmement préoccupé par « le nombre élevé de cas d'exécution extrajudiciaire et sommaire... dont seraient responsables des membres de l'armée et des forces de sécurité et par l'inaction du gouvernement qui n'a pas fait procéder à des enquêtes approfondies sur ces cas pour que les auteurs présumés de ces infractions soient poursuivis et les coupables punis, et n'a pas accordé réparation aux victimes ou à leur famille. L'impunité qui en résulte encourage d'autres violations des droits énoncés dans le Pacte. »

5. Peine capitale

Le nombre d'exécutions a considérablement diminué durant l'année qui a suivi la mise à mort des neuf Ogoni, passant d'au moins 95 en 1995 à au moins quatorze en 1996 et à 27 jusqu'au début du mois de septembre 1997. Toutefois, en juillet, les autorités ont exécuté un mineur alors que son recours n'avait pas encore été examiné par la haute cour, en violation flagrante du droit international.

Cette affaire a été jugée par un pour vol et usage d'armes à feu, juridiction spéciale désignée directement par les autorités militaires, ce qui ne permet pas de garantir son indépendance vis-à-vis du gouvernement et n'autorise pas le droit d'appel devant une instance indépendante ou supérieure. Plus de 1 200 prisonniers ont été exécutés depuis que l'armée a renversé le dernier gouvernement civil élu au Nigéria, en 1983 : condamnés à mort pour la plupart par des tribunaux spéciaux pour vol et usage d'armes à feu, ils ont été passés par les armes en public par un peloton d'exécution.

5. 1 Exécution d'un mineur

Chidiebere Onuoha était âgé de dix-sept ans lorsqu'il a été fusillé devant une foule de milliers de personnes, le 31 juillet 1997. La condamnation à mort d'un mineur est contraire à l'article 6 (5) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui prévoit qu'une « sentence de mort ne peut être imposée pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de dix-huit ans ». Cinq autres personnes ont été exécutées en même temps que lui : Vincent Obidiozor Duru, Macdonald Chukwudi Ebere, Collins Ndulaka, Amanze Onuoha et Nnaemeka Syndney Onyechege. Ils avaient été condamnés à la peine capitale le 30 mai 1997 par un tribunal spécial pour vol et usage d'armes à feu, à Owerri, dans l'État d'Imo (sud-est du Nigéria), en même temps qu'un autre mineur âgé de seize ans, Patrick Obinna Okoroafor. Le 18 juillet, l'administrateur militaire de l'État d'Imo avait confirmé les peines de six des condamnés et commué celle de Patrick Obinna Okoroafor en réclusion à perpétuité.

Ces exécutions sont également contraires aux règles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques concernant le droit à bénéficier d'un procès équitable devant un tribunal compétent, indépendant et impartial, ainsi que le droit d'interjeter appel devant une juridiction supérieure.

Selon les informations reçues, les sept accusés auraient été condamnés à la suite d'un vol à main armée commis en mai 1995. Patrick Obinna Okoroafor et Chidiebere Onuoha, qui étaient âgés respectivement de quatorze et quinze ans au moment de l'infraction, se voyant refuser le droit d'interjeter appel devant une instance supérieure ou indépendante, ont sollicité la clémence en invoquant leur jeune âge auprès de l'administrateur militaire de l'État. Avec le soutien des organisations locales de défense des droits de l'homme, ils ont demandé, pour les mêmes raisons et au motif que la constitution du tribunal était incorrecte, que la haute cour fédérale de Port-Harcourt rende d'urgence une décision visant à empêcher les exécutions. Les présidents de tribunal sont généralement choisis parmi les juges en activité ou retraités de la haute cour, mais dans ce cas précis, il s'agissait d'un juge de cour d'appel de droit coutumier, juridiction inférieure qui n'a pas compétence pour connaître des affaires punies de la peine capitale. Les accusés lui ont reproché de déchaîner les passions du public dans son jugement. Le haute cour fédérale a refusé d'émettre une injonction provisoire et a ajourné l'affaire jusqu'au 6 octobre 1997, au motif qu'il s'agissait d'une interprétation de la Constitution et que cela n'avait « rien à voir avec la peine de mort ».

Cette affaire a suscité localement des pressions particulièrement fortes en faveur des exécutions car l'un des accusés était le fils d'un détenu soupçonné d'avoir participé à des assassinats rituels, c'est-à-dire commis dans le contexte de croyances religieuses traditionnelles. La découverte du corps d'un enfant, en septembre 1996, avait entraîné des émeutes à Owerri ainsi que des attaques contre les biens des suspects. L'un d'eux, Innocent Ekeanyanwu, est décédé pendant sa garde à vue par la police le 22 septembre 1996 dans des circonstances inexpliquées. Matthew Anyanwu, également soupçonné dans cette affaire, est mort à la prison d'Owerri en août 1997 et il semble que d'autres suspects soient malades. Chidiebere Onuoha, qui était étudiant lorsqu'il a été arrêté en août 1995, a contracté plusieurs maladies graves en prison, notamment la fièvre typhoïde et une hépatite.

Dans une affaire qui avait fait grand bruit sous le précédent gouvernement militaire, la haute cour a ordonné un sursis à exécution pour 12 jeunes condamnés à mort en 1988, parmi lesquels un adolescent âgé de quatorze ans au moment de l'infraction. Leurs condamnations prononcées par un tribunal pour vol et usage d'armes à feu étaient manifestement entachées de vices de forme, avec notamment des irrégularités et des partis pris dans l'enquête de police et durant le procès. Leurs sentences capitales ont été commuées en 1992, à la suite de quoi les 12 jeunes ont été libérés.

5. 2 Des centaines de condamnés à mort

Selon certaines informations, au moins 800 prisonniers se trouveraient dans le couloir de la mort au Nigéria, dont certains depuis de nombreuses années. Le 10 juillet 1997, six hommes âgés de trente-deux à quarante ans ont été fusillés publiquement par un peloton d'exécution à Umuahia, dans l'État d'Abia. Il s'agissait des premières exécutions dans cet État depuis sa création, en 1991. Apparemment, les suppliciés se trouvaient dans l'antichambre de la mort depuis 1979. Il se pourrait qu'au moins deux prisonniers reconnus coupables de meurtre et condamnés à la pendaison en 1979 aient figuré parmi eux.

Le mouvement nigérian de défense des droits de l'homme Civil Liberties Organisation (CLO, Organisation des libertés publiques) a tenté d'obtenir une décision judiciaire dans une affaire appelée à faire jurisprudence, afin de mettre en cause la pratique consistant à maintenir des prisonniers pendant des années dans l'antichambre de la mort dans des conditions cruelles, inhumaines et dégradantes. Les prisons nigérianes sont surpeuplées par des dizaines de milliers de détenus, et cela en grande partie du fait que le ministère public, la police, les tribunaux et les établissements pénitentiaires reçoivent des ressources financières insuffisantes et sont minés par la corruption.

Il n'est pas rare de voir les prisonniers corrompre les représentants de l'État pour faire progresser leur affaire : les policiers pour obtenir le papier à lettres et les moyens nécessaires à la transmission de leur dossier au ministère public, ou les fonctionnaires de justice pour faire en sorte que leur affaire ne soit pas négligée ou ajournée sans fin lorsqu'elle finit par parvenir devant un tribunal. En 1996, la population carcérale comptait environ 55 000 prisonniers, dont 60 p. cent (soit environ 37 000) attendaient d'être jugés. Nombreux sont les détenus qui passent des années dans des conditions carcérales mettant leur vie en danger avant d'être jugés, souvent sur la base de chefs d'inculpation contestables. Le taux de décès dû à la malnutrition et à la maladie est très élevé.

6. Recommandations d'Amnesty International[9]

En novembre 1996, Amnesty International a publié un programme en 10 points pour une réforme en matière de droits de l'homme au Nigéria que l'Organisation estimait nécessaire afin de mettre un terme aux violations des droits fondamentaux dans ce pays. Pas une seule de ces recommandations n'a été appliquée. Amnesty International continue à exhorter le gouvernement nigérian à :

1.         S'engager à instaurer le respect des droits de l'homme au Nigéria et, à cette fin, coopérer avec la communauté internationale, notamment en appliquant les recommandations du secrétaire général des Nations unies, du Comité des droits de l'homme, de la Commission des Nations unies sur les droits de l'homme et du Groupe d'action ministériel du Commonwealth.

2.         Libérer immédiatement tous les prisonniers d'opinion – à savoir les personnes emprisonnées en raison de leurs convictions politiques, de leurs croyances religieuses, de leur sexe ou de leur origine ethnique – qui n'ont jamais eu recours à la violence ni n'en ont préconisé l'usage, notamment les prisonniers détenus sans inculpation ni jugement et ceux condamnés et incarcérés à l'issue de procès inéquitables motivés par des considérations politiques.

3.         Faire cesser la détention arbitraire. Annuler tous les décrets militaires autorisant la détention au secret ou pour une durée illimitée de prisonniers politiques qui n'ont pas été jugés, notamment le Décret n°2 de 1984 relatif à la sûreté de l'État et à la détention des personnes.

4.         Garantir dans les meilleurs délais un procès équitable à tous les prisonniers politiques, lesquels jouiront de tous leurs droits en matière de défense, notamment du droit d'interjeter appel devant une instance supérieure et indépendante. Déférer sans délai à la justice, pour qu'ils y soient jugés de façon équitable, tous les prisonniers politiques incarcérés pour une durée indéterminée sans avoir été inculpés ou maintenus en détention prolongée avant leur procès, ou bien les remettre en liberté.

5.         Ordonner la révision, par une juridiction supérieure et indépendante, de toutes les déclarations de culpabilité et de toutes les peines prononcées par les tribunaux spéciaux qui ont jugé des prisonniers politiques ou qui ont recouru à la peine capitale, dans le but de libérer ou de rejuger ces prisonniers s'il s'avère que leur procès n'a pas satisfait aux normes internationales en matière d'équité des procès, et en vue de réformer lesdits tribunaux spéciaux afin de les mettre en conformité avec ces normes – ou bien de les abolir si une telle réforme est impossible.

6.         Mettre fin à la torture et aux mauvais traitements, y compris au manque de soins et aux conditions de détention susceptibles de mettre en péril la vie des prisonniers. À cet effet, instaurer des garanties suffisantes permettant notamment à tous les prisonniers de pouvoir immédiatement et sans restriction voir leur avocat, leur famille et recevoir tous les soins médicaux nécessaires.

7.         Prendre des mesures pour empêcher les exécutions extrajudiciaires.

8.         Ordonner, conformément aux normes internationales en vigueur, que soient rapidement ouvertes des enquêtes impartiales sur tous les cas de violations des droits fondamentaux qui ont été signalés, déférer à la justice tous les auteurs de ces violations, et indemniser les victimes.

9.         Mettre un terme aux exécutions et abolir la peine de mort.

10.       Annuler le décret n°12 de 1994 relatif au gouvernement militaire fédéral (suprématie et exercice du pouvoir), qui place de fait le gouvernement au-dessus des lois en interdisant toute action judiciaire visant à mettre en cause la légalité des décrets militaires ou de toute mesure prise en violation des dispositions constitutionnelles relatives aux droits de l'homme.

Compte tenu de l'inaction du gouvernement nigérian, qui n'a pas véritablement répondu aux préoccupations de la communauté internationale concernant les violations des droits de l'homme, Amnesty International exhorte celle-ci, et en particulier les organisations intergouvernementales telles que le Commonwealth, à continuer de faire pression sur le gouvernement nigérian pour qu'il réponde à la nécessité non seulement de mettre fin aux cas de violations des droits de l'homme qui lui ont été signalés, mais aussi pour qu'il instaure des garanties à long terme contre les violations futures.

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Nigeria: No Significant Change - Human Rights Violations Continue. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - octobre 1997.



[1] Le Décret n °1 de 1996 relatif au Programme politique de transition vers un régime civil, promulgué le 12 février 1996, prévoit une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans pour toute personne reconnue coupable d'avoir conspiré ou agi dans le but « d'empêcher ou de compromettre la réalisation du programme politique » ou de « présenter sous un faux jour... les implications... du programme politique ». En vertu de ce décret, les procès se déroulent devant un tribunal spécial désigné par le chef de l'État, qui comprend un responsable des forces armées et dont les décisions sont susceptibles d'appel uniquement auprès d'une autre juridiction spéciale instituée par le gouvernement. Ce tribunal a la possibilité d'infliger une peine d'emprisonnement à toute autre personne, même si elle n'a pas été inculpée par celui-ci, s'il est convaincu qu'elle a « agi de concert » ou « participé sciemment... à l'acte constitutif du délit ».

[2] Le Décret n°2 de 1987 relatif aux troubles sociaux habilite le chef de l'État à constituer un tribunal d'exception, en dehors du système judiciaire normal, pour juger les affaires d'émeutes et de troubles sociaux. Les condamnations et peines prononcées par ce tribunal doivent être confirmées ou infirmées par le gouvernement militaire, et le Décret n'autorise pas les recours judiciaires auprès d'une instance supérieure ou indépendante. La formation de tels tribunaux d'exception est contraire au principe n°5 des Principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l'indépendance de la magistrature.

[3] Le Décret n°2 de 1984 relatif à la sûreté de l'État (et à la détention de personnes) permet la détention au secret pour une durée illimitée, sans inculpation ni jugement, de toute personne considérée comme une menace pour la sûreté ou l'économie de l'État. Aucune disposition ne prévoit le réexamen des placements en détention par une autorité judiciaire ou indépendante, et les tribunaux sont déclarés explicitement incompétents pour les décisions concernant les personnes détenues en vertu de ce décret.

[4] Pour plus de détails sur ces prisonniers, voir les documents intitulés Nigéria. Une parodie de justice. Procès secrets pour trahison et autres sujets de préoccupation d'Amnesty International (index AI : AFR 44/23/95, octobre 1995) et Nigéria. Les autorités s'en prennent aux défenseurs des droits de l'homme (index AI : AFR 44/16/96, novembre 1996).

[5] Pour plus de détails sur les cas des prisonniers ogoni, voir les documents intitulés Nigéria. L'opposition durement réprimée par le gouvernement militaire (index AI : AFR 44/13/94, novembre 1994) et Nigéria. Détention et procès de membres de la communauté ogoni (index AI : AFR 44/20/95, septembre 1995).

[6] Le Nigéria a signé, mais n'a pas encore ratifié la Convention contre la torture, qui prévoit que les allégations de torture doivent faire immédiatement l'objet d'une enquête impartiale. En tant que signataire de cette convention, le Nigéria est tenu de ne prendre aucune mesure qui nuirait à l'objet et au but du traité avant sa ratification.

[7] Décret de 1994 sur les banques en faillite (recouvrement de dettes) et autres malversations bancaires, en vertu duquel des dizaines de directeurs et responsables de banques ont été détenus sans inculpation, parfois pendant de longues périodes, ou traduits devant un tribunal spécial désigné par le gouvernement.

[8] Voir le document intitulé Nigéria. L'opposition durement réprimée par le gouvernement militaire (index AI : AFR 44/13/94, novembre 1994).

[9] Pour plus de détails sur le programme en 10 points pour une réforme des droits de l'homme proposé par Amnesty International, se reporter au document intitulé Nigéria. Pour que cesse le mépris des droits de l'homme (index AI : AFR 44/14/96, novembre 1996).

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La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X8DJ, Royaume-Uni. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI

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