Les Accords du Processus de Paix: Les Points les Plus Importants au Regard des Préoccupations d'Amnesty International

Le 29 décembre 1996, le gouvernement guatémaltèque et l'Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca (URNG, Union révolutionnaire nationale guatémaltèque) ont signé l'Accord pour une paix stable et durable, mettant ainsi officiellement fin au conflit armé qui, depuis trente-six ans, ravageait le pays de façon plus ou moins violente. Avec la signature de cet accord sont entrés en vigueur tous les autres pactes précédemment conclus entre les deux parties. Négociés sous l'égide de l'ONU au fil des dernières années, les accords antérieurs portent sur un vaste éventail de domaines tels que les droits fondamentaux, les droits et l'identité des peuples indigènes, diverses questions d'ordre social ou économique, le problème des populations déracinées à cause du conflit, la clarification historique des violations des droits de l'homme et des actes de violence à l'origine des souffrances du peuple guatémaltèque, la réinsertion de l'URNG dans la société civile, et le rôle de l'armée dans une société démocratique.

Des atteintes aux droits fondamentaux continuent pourtant d'être signalées au Guatémala, et les autorités n'ont pas mis un terme à l'impunité dont jouissent ceux qui ont gravement bafoué ces droits par le passé. Il semble donc que bon nombre des mesures relatives aux droits de l'homme prévues par les accords de paix ne sont pas encore correctement appliquées.

Le tableau qui suit reprend les dispositions des accords du processus de paix –ainsi que celles d'autres pactes ou textes de loi pertinents–qui sont particulièrement importantes au regard des préoccupations d'Amnesty International au Guatémala, et dont l'Organisation va donc surveiller l'application, afin de s'assurer que le gouvernement guatémaltèque remplit les engagements qu'il a pris, notamment «son attachement aux principes et normes visant à garantir le plein respect des droits de l'homme, ainsi que sa volonté politique de défendre ces droits.»[1]

Fin des années 80

Le gouvernement guatémaltèque engage des contacts informels avec l'Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca (URNG, Union révolutionnaire nationale guatémaltèque), dans le cadre du processus de pacification régionale prévu par l'Accord pour la paix en Amérique centrale (Accord d'Esquipulas II, 1987).

Création, également en 1987, de la Commission nationale de réconciliation.

Par l'Accord d'Esquipulas II, les chefs d'État des pays d'Amérique centrale s'engagent à prendre des mesures en vue de rétablir une paix stable et durable dans toute la région. L'une des mesures prévues consiste notamment à promouvoir l'ouverture d'un dialogue entre gouvernement et rebelles dans les pays ravagés par un conflit interne. Dans le cas du Guatémala, cependant, l'armée et l'URNG ne parviennent pas à s'entendre, les militaires exigeant que le mouvement d'opposition dépose les armes avant d'entamer toute négociation.

Présidée par Mgr Quesada Toruño, la Commission nationale de réconciliation a pour mission de poursuivre les objectifs de l'Accord d'Esquipulas II, c'est-à-dire de promouvoir la réconciliation par le biais de la négociation. Dans le cadre de ce dialogue national, la commission organise des rencontres entre les parties adverses, auxquelles assiste également un observateur de l'ONU, Francesc Vendrell.

28 mars 1990

Signature de l'Accord d'Oslo par des membres de l'URNG et de la Commission nationale de réconciliation. Des représentants du gouvernement et de l'armée sont également présents à titre d'observateurs.

Aux termes de cet accord, les parties signataires s'engagent à entreprendre des pourparlers en vue de parvenir à un accord de paix. Le secrétaire général de l'ONU est invité à suivre ce processus de négociation en qualité d'observateur.

26 avril 1991

Signature, au Mexique, de l'Accord sur la recherche de la paix par des moyens politiques.

Première réunion officielle entre le gouvernement et l'URNG; les parties conviennent des questions sur lesquelles porteront les futures négociations.

Confirmation de la présence de l'ONU en qualité d'observateur du processus de paix.

25 juillet 1991

Des représentants du gouvernement et de l'URNG se retrouvent au Mexique pour signer les Accords de Querétaro sur la démocratisation.

Les parties s'accordent sur le premier point à négocier, l'instauration de principes démocratiques au niveau de l'État et dans la société civile. Elles souscrivent à un ensemble de principes généraux relatifs à la prééminence du pouvoir civil, à la nécessité de mettre en place un gouvernement constitutionnel en tant qu'élément essentiel de la démocratie, et au respect inconditionnel des droits de l'homme.

L'accord ne comporte toutefois aucune précision sur l'adoption des normes encore non existantes, ni de calendrier pour leur introduction future. De même, l'URNG n'a rien obtenu de plus en ce qui concerne ses principales exigences en matière de droits de l'homme, notamment la création d'une commission de la vérité, l'abrogation d'une loi d'amnistie de 1985, le démantèlement des patrouilles d'autodéfense civile et des organismes paramilitaires, la suppression de la conscription obligatoire, le versement, par l'État, d'une réparation aux victimes de la répression, et la suppression effective du fuero militar de façon que la majorité des infractions commises par des membres de l'armée relèvent de la compétence des juridictions civiles et non plus militaires.

De son côté, le gouvernement continue d'insister sur le fait qu'un cessez-le-feu permanent doit d'abord être conclu pour que les droits fondamentaux puissent être garantis.

10 janvier 1994

Signature de l'accord-cadre.

Cet accord confirme la liste des points à négocier, déjà approuvée par l'accord du 26 avril 1991.

Il instaure la fonction de "modérateur" de l'ONU, confiée à Jean Arnault.

Il demande aux gouvernements de Colombie, d'Espagne, des États-Unis, du Mexique, de Norvège et du Vénézuéla de former un "Groupe de pays amis" pour soutenir les initiatives de l'ONU.

Il prévoit, une fois la paix signée, de faire vérifier l'application de tous les accords par une instance internationale, et demande à l'ONU de se charger de cette tâche.

29 mars 1994

Signature et entrée en vigueur immédiate de l'Accord général relatif aux droits de l'homme.

Il s'agit du seul accord ayant pris effet immédiatement; il est mis en application sous la surveillance de l'ONU, bien avant la signature de l'accord de paix final.

Par cet accord, le gouvernement s'engage à garantir le plein respect des droits de l'homme et à améliorer les mécanismes de défense de ces droits. Il promet également d'agir fermement contre l'impunité, et notamment de n'encourager aucune mesure, législative ou autre, susceptible d'empêcher que les auteurs de violations des droits fondamentaux ne soient traduits en justice et condamnés. Aux termes de l'article 7 de l'accord, le gouvernement doit également prendre des mesures pour garantir la sécurité des personnes et des organismes qui s'occupent de défendre les droits de l'homme.

17 juin 1994

Signature de l'Accord pour la réinstallation des populations déracinées à cause du conflit armé.

Par cet accord, le gouvernement s'engage à assurer les conditions nécessaires pour que les personnes déplacées à l'intérieur du pays puissent regagner en toute sécurité leur localité d'origine ou tout autre lieu de leur choix. Il reconnaît que le respect des droits fondamentaux de ce groupe vulnérable de la population requiert une surveillance spéciale. Il promet également de faire en sorte que les personnes déracinées par le conflit puissent récupérer les terres qu'elles ont abandonnées et/ou recevoir un dédommagement approprié.

23 juin 1994

Signature de l'Accord sur la création de la Commission pour la clarification historique des violations des droits de l'homme et des actes de violence qui sont à l'origine des souffrances du peuple guatémaltèque (dite Commission de la vérité).

Cet accord prévoit la mise en place d'une commission chargée de faire la lumière sur les atteintes aux droits fondamentaux et les actes de violences perpétrés pendant le conflit armé, et d'en chercher les motifs. La commission doit publier les conclusions de ses travaux et formuler des recommandations en vue de renforcer la paix et l'harmonie au Guatémala; notamment, elle doit proposer des mesures pour garantir que la mémoire des victimes de violations et d'actes de violence est respectée, pour favoriser le respect mutuel et la mise en œuvre des normes relatives aux droits de l'homme, et pour renforcer la démocratie.

 

 

L'accord précise toutefois que la commission n'a pas pour mission de déterminer les responsabilités individuelles des violences passées, et que ses conclusions et ses recommandations n'ont pas d'implications judiciaires. De même, elle n'est pas habilitée à ordonner des perquisitions ou des saisies, ni à décerner des mandats d'arrêt ou de comparution. Ses membres se réunissent à huis clos, et toutes les informations qu'ils reçoivent, ainsi que leurs sources, doivent également rester secrètes.

31 mars 1995

Signature de l'Accord sur l'identité et les droits des peuples indigènes.

Par cet accord, le gouvernement s'engage à demander au Congrès (Parlement) de qualifier de délit la discrimination ethnique et d'abroger toute loi discriminatoire. Il promet de faire connaître les dispositions de l'Accord sur l'identité et les droits des peuples indigènes, et de promouvoir la défense de ces droits. Il s'engage également à accorder un statut constitutionnel aux langues indigènes, et à s'assurer que tout inculpé peut bénéficier d'un interprète pour suivre dans sa propre langue la procédure judiciaire dont il fait l'objet. Enfin, l'accord prévoit qu'à la demande du gouvernement, le Congrès doit définir, en collaboration avec les populations concernées, des normes juridiques reconnaissant le droit des communautés indigènes de traiter leurs propres affaires selon leurs lois et usages coutumiers, à condition que ceux-ci soient conformes au système judiciaire national et aux normes relatives aux droits de l'homme universellement reconnues.

6 mai 1996

Signature de l'Accord sur les questions socio-économiques et la situation agraire.

Cet accord contient une série de dispositions par lesquelles le gouvernement s'engage à promouvoir la démocratisation et le développement participatif, à préciser le droit d'occupation des terres et à mettre en place des mécanismes pour résoudre rapidement et équitablement les litiges fonciers, à prendre des mesures en faveur du développement social et rural, et à moderniser la gestion publique et la politique fiscale.

19 septembre 1996

Signature de l'Accord sur le renforcement du pouvoir civil et le rôle de l'armée dans une société démocratique.

Aux termes de cet accord, le gouvernement s'engage à entreprendre, par le biais des organes d'État compétents, des réformes portant sur le pouvoir législatif, l'administration de la justice, le pouvoir exécutif, la police nationale, les services de renseignements de l'armée, etc. Il doit également encourager une révision du Code pénal, de façon que les infractions les plus préjudiciables pour la société soient poursuivies en priorité, que le respect des droits de l'homme soit pleinement garanti et que les actes tels que menaces et pressions à l'encontre du personnel judiciaire soient qualifiés de crimes particulièrement graves.

Par ailleurs, le gouvernement s'engage à demander au Congrès d'abroger le décret portant création des Comités Voluntarios de Defensa Civil (CVDC, Comités volontaires d'autodéfense civile). L'accord dispose également que la police militaire mobile doit être démantelée dans un délai d'un an à compter de la signature de l'accord de paix final, et que toutes les forces de police existantes doivent être regroupées en un seul corps de police nationale civile dépendant du ministère de l'Intérieur.

 

 

Le gouvernement doit aussi demander au Congrès d'adopter une législation relative aux agences de sécurité privées, afin de réglementer leurs méthodes et d'exercer un contrôle sur la possession d'armes. Il s'engage en outre à entreprendre une réforme constitutionnelle en vue de garantir que les infractions de droit commun commises par des membres de l'armée soient jugées par les juridictions pénales civiles. De plus, le gouvernement doit veiller, en collaboration avec le Congrès, à ce que des mesures administratives et législatives soient prises pour garantir que l'enrôlement de force n'est pas pratiqué et que les conscrits effectuent leur service militaire dans des conditions conformes aux normes élémentaires relatives aux droits de l'homme. Enfin, l'accord précise que le personnel militaire et les moyens alloués à l'armée doivent être adaptés aux besoins de cette institution pour remplir ses obligations –à savoir la défense du territoire et de la souveraineté nationale– ainsi qu'aux ressources économiques dont dispose le pays.

4 décembre 1996

Signature de l'Accord sur le cessez-le-feu définitif

Cet accord contient plusieurs mesures d'ordre pratique concernant le cessez-le-feu, la séparation des forces en conflit, le désarmement et la démobilisation.

7 décembre 1996

Signature de l'Accord sur les réformes constitutionnelles et le régime électoral.

Le gouvernement s'engage à encourager l'adoption, par le Congrès, de diverses réformes constitutionnelles et électorales nécessaires à la mise en œuvre des accords de paix.

12 décembre 1996

Signature de l'Accord sur la légalisation et la réinsertion de l'URNG.

Cet accord définit les procédures pour la démobilisation des membres de l'URNG et leur réinsertion au sein de la société civile. Il engage le gouvernement à demander au Congrès de voter une loi de réconciliation nationale, et reconnaît à la société le droit inaliénable de connaître la vérité sur le conflit armé, afin d'éviter que les violations des droits fondamentaux et les actes de violence perpétrés au cours de cette période ne se reproduisent à l'avenir. L'accord prévoit cependant, dans l'intérêt de la réconciliation nationale mais «sans pour autant ignorer la nécessité de combattre l'impunité», une «extinction» de la responsabilité pénale pour les crimes politiques et les crimes connexes de droit commun commis pendant la période du conflit armé, ainsi que pour les crimes commis par toute personne qui cherchait, au nom de l'État, à prévenir, empêcher ou punir les crimes politiques ou crimes connexes de droit commun.

18 décembre 1996

Le Congrès vote la Loi de réconciliation nationale.

La Loi de réconciliation nationale va à l'encontre des promesses de lutte contre l'impunité énoncées dans l'Accord général relatif aux droits de l'homme. En effet, fondée sur l'Accord sur la légalisation et la réinsertion de l'URNG, cette loi accorde l'immunité aux auteurs de crimes politiques ou de crimes connexes de droit commun, ainsi qu'aux membres des forces armées, ou à tout collaborateur agissant sous leurs ordres, s'étant rendus coupables de crimes de droit commun –non précisés–, dans le cadre du conflit armé, lorsque ces crimes ont été commis dans l'intention de prévenir, empêcher

 

 

ou punir des crimes politiques ou des crimes connexes de droit commun perpétrés par les groupes armés d'opposition.

L'extinction de la responsabilité pénale ne s'applique pas aux crimes de "disparition", de torture et de génocide. Néanmoins, il semble que la loi puisse être interprétée de façon que les membres des forces de sécurité coupables d'exécutions extrajudiciaires échappent aussi aux poursuites, de même que les membres des groupes armés d'opposition qui se sont rendus responsables d'homicides délibérés et arbitraires.

Par ailleurs, la loi dispose que les victimes des violations des droits fondamentaux commises dans le cadre du conflit ont droit à réparation; elle charge la Commission de la vérité de «mettre au point des moyens visant à permettre de connaître et de reconnaître la vérité historique sur la période du conflit armé interne, afin d'éviter que de tels faits ne se reproduisent.»

29 décembre 1996

Signature de l'Accord sur le calendrier de la mise en œuvre des accords de paix et la vérification de leur application.

Cet accord définit le calendrier et les procédures générales de la mise en œuvre des accords de paix d'ici à l'an 2 000. Il précise que la Commission de la vérité choisira elle-même la date à laquelle elle commencera ses travaux, et que ceux-ci s'étendront sur une période de six mois éventuellement renouvelable.

29 décembre 1996

Signature de l'Accord pour une paix stable et durable.

Cet accord met officiellement fin au conflit armé.Tous les accords signés antérieurement entrent en vigueur. Par cet accord final, le gouvernement réaffirme «son attachement aux principes et normes visant à garantir le plein respect des droits de l'homme, ainsi que sa volonté politique de défendre ces droits.»

31 juillet 1997

La Commission de la vérité commence ses travaux.

 

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Guatemala: The Guatemalan Peace Process Agreements: Elements Most Relevant to AI's Concerns. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL -ÉFAI- septembre1997.



[1]. Source: Accord pour une paix stable et durable, signé le 29 décembre 1996.

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La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X8DJ, Royaume-Uni. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI

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