Les Droits des Réfugiés et des Personnes Déplacées
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Date:
1 February 1997
Introduction
Près d'un an après l'entrée en vigueur de l'Accord-cadre général sur la paix en Bosnie-Herzégovine[1] (l'Accord de paix), les principaux objectifs de cet accord dans le domaine des droits de l'homme ne sont toujours pas atteints. Les préoccupations les plus graves concernent le faible nombre de personnes déplacées ou de réfugiés ayant pu exercer leur droit au retour en toute sécurité et le peu de progrès effectués en vue de régler le problème de la justice et de l'impunité. En effet, la poursuite des atteintes aux droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine constitue une entrave réelle au retour des personnes déplacées et des réfugiés ; dans certains cas, elle a entraîné de nouveaux déplacements de population.
En dépit des nombreux obstacles, décrits dans le présent document, qui s'opposent au retour en toute sécurité des personnes déplacées, une grande partie d'entre elles sont fermement décidées à rentrer chez elles. Il semble que les principales préoccupations des personnes qui veulent rentrer ou qui attendent que la situation évolue pour être en mesure de le faire soient leur sécurité physique et le retrait du pouvoir d'individus qu'ils tiennent pour responsables des violences passées. Un espoir est apparu récemment avec la création de la Coalition pour le retour, qui rassemble les réfugiés et les personnes déplacées vivant en Bosnie-Herzégovine, en Croatie et en République fédérative de Yougoslavie. Le 7 novembre, ce groupe a signé un mémorandum exigeant l'application ferme des dispositions civiles de l'Accord de paix, tout particulièrement en ce qui concerne le retour des réfugiés et des personnes déplacées.
En Republika Srpska (RS, République serbe) et dans les territoires sous contrôle bosno-croate de la Fédération de Bosnie-Herzégovine (la Fédération), des événements récents, tels que la détérioration ou la destruction de centaines d'habitations dans lesquelles des Musulmans devaient revenir s'installer, ainsi que de violents affrontements à propos de leur retour, ont attiré l'attention des médias étrangers. Toutefois, on parle peu des plaintes pour mauvais traitements ou autres atteintes aux droits fondamentaux qui parviennent chaque jour aux organismes internationaux, tels que les Nations unies, la Force de police internationale (IPTF) et d'autres instances chargées de surveiller la situation des droits de l'homme dans ce pays. Ces accusations font état de mauvais traitements, de menaces de violence ou d'entraves destinés à empêcher le retour des personnes déplacées. D'autres habitants ont par ailleurs été poussés à fuir, étant parfois directement et violemment expulsés. Certaines personnes ont également été arbitrairement détenues pour des périodes allant de quelques heures à plusieurs mois. Bien que beaucoup de ces agissements aient été le fait de policiers ou de militaires, il semble que le problème réside plus largement dans l'inaction de la police de certaines régions, qui n'a pas offert une protection adéquate aux personnes menacées et qui pourrait avoir, dans les faits, encouragé les actes d'intimidation ou de violence.
L'évolution vers l'établissement de conditions durables de sécurité permettant le retour en toute tranquillité des réfugiés et des personnes déplacées est aussi freinée par la passivité de la communauté internationale. En effet, celle-ci ne fait rien pour que les personnes inculpées de crimes de guerre par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, mais toujours en liberté dans leur pays, soient arrêtées et jugées. Par ailleurs, on reste sans nouvelles de quelque 25 000 personnes depuis la guerre ; beaucoup sont portées manquantes ou ont "disparu" à la suite d'actes délibérés. La majorité de leurs proches sont des personnes déplacées ou des réfugiés qui craignent particulièrement pour leur sécurité dans l'éventualité de leur retour.
Depuis la signature de l'Accord de paix, sur un total d'environ deux millions de réfugiés et de personnes déplacées de Bosnie-Herzégovine, seuls 220 000 à 250 000[2] d'entre eux ont pu retourner dans leurs foyers. La plupart étaient des Musulmans réfugiés qui ont rejoint spontanément les zones à majorité musulmane de la Fédération, plutôt que de regagner leur domicile situé dans la partie contrôlée par les Bosno-serbes, la Republika Srpska (RS). De même, peu de Musulmans sont retournés dans la zone bosno-croate de la Fédération, peu de Croates de Bosnie ont regagné les parties sous contrôle musulman et peu de Bosno-serbes ont rejoint la Fédération. En outre, de nouveaux déplacements de population ont eu lieu durant la période d'entrée en vigueur de l'Accord de paix, venant contrebalancer le nombre des retours. Ainsi, quelque 70 000 Serbes de Bosnie ont fui ou ont été chassés des faubourgs de Sarajevo, qui sont passés du contrôle de la Republika Srpska à celui de la Fédération au début de 1996. Au mois d'août, seuls environ 800 d'entre eux seraient rentrés chez eux[3] La plupart des deux millions de personnes évoquées plus haut restent donc éloignées de leur domicile ; près de la moitié d'entre elles sont des réfugiés bénéficiant de différentes formes de protection temporaire décrites au chapitre II du présent document.
L'Accord de paix prévoyait l'instauration de la liberté de circulation (annexes 3 et 4), ainsi que le droit des réfugiés et des personnes déplacées à regagner leurs foyers (annexe 4) . Toutefois, l'application de ces dispositions s'est limitée à la possibilité pour ces individus de traverser certaines régions contrôlées par des nationalités adverses ou, parfois, d'y faire de brèves visites. Les personnes déplacées ayant tenté de circuler en grand nombre ou d'effectuer des visites de longue durée se sont heurtées à des menaces, des violences ou des arrestations arbitraires. Le retour de ces personnes dans leurs foyers est aussi compliqué par le fait que leurs habitations ont souvent été délibérément rendues inhabitables par des destructions totales ou partielles ou par la pose de mines ; il arrive également qu'elles soient occupées par d'autres personnes déplacées. Dans certains cas, des maisons en cours de réparation ont été saccagées, incendiées ou même détériorées à l'explosif dans le but évident de dissuader leurs occupants de s'y réinstaller définitivement. Par leur action ou leur inaction, les autorités locales et la police semblent cautionner ce type d'agissements. En dépit de quelques petits succès, les troupes de maintien de la paix de l'IFOR et les organisations internationales n'ont eu qu'une influence limitée sur la mise en uvre des retours.
En juin 1996, Amnesty International a publié un document intitulé Bosnia-Herzegovina: The international community's responsibility to ensure human rights (index AI : EUR 63/14/96) [Bosnie-Herzégovine. La responsabilité de la communauté internationale concernant le respect des droits de l'homme]. Elle y exprimait sa préoccupation devant le manque de coopération des parties à l'Accord de paix, la faiblesse inhérente à cet accord et aux mandats donnés aux organisations internationales, ainsi que devant le fait que la communauté internationale ne fasse pas respecter de nombreux aspects de ces mandats par la mise en place, en temps opportun, d'opérations sur le terrain. Parmi les mandats attribués dans le cadre de l'Accord de paix figurent celui de la Force militaire de mise en uvre (IFOR), placée sous le commandement de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ; celui de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui fournit des observateurs chargés de veiller au respect des droits de l'homme et qui organise et surveille les élections ; enfin, celui d'un Haut Représentant de la communauté internationale, qui a pour tâche de superviser et de coordonner l'application des aspects civils de l'Accord de paix. Même si les organisations concernées ont répondu à quelques-unes des préoccupations exprimées par Amnesty International en juin 1996 dont certaines, sont reprises et développées dans le présent document , la plupart restent aujourd'hui d'actualité.
Amnesty International estime que tant que les parties n'auront pas modifié radicalement leur politique et leur manière d'agir, il ne sera pas possible d'appliquer correctement l'esprit et la lettre des dispositions de l'Accord de paix relatives aux droits de l'homme. La communauté internationale porte elle aussi une lourde responsabilité : elle doit à la fois contraindre les parties à bien respecter les obligations que leur impose l'Accord de paix et agir de son côté en assurant une large présence de soldats de maintien de la paix et de personnel civil. Par ailleurs, la communauté internationale, en particulier les pays qui accueillent des réfugiés d'ex-Yougoslavie, doit faire en sorte que ces derniers continuent de bénéficier d'une protection efficace et durable et que tout réfugié ou toute personne déplacée souhaitant exercer son droit au retour puisse le faire dans un avenir proche. Pour cela, la communauté internationale doit exercer des pressions sur les parties à l'Accord de paix afin qu'elles mettent en place les conditions nécessaires à un retour de ces personnes dans la sécurité et la dignité.
Il faut donc qu'elle s'assure que les institutions nationales relatives aux droits de l'homme créées par l'Accord de paix soient correctement mises en place. Par ailleurs, il est indispensable que les organisations non gouvernementales locales de défense des droits fondamentaux soient encouragées dès ce premier stade de renforcement de la protection de ces droits en Bosnie-Herzégovine ; ce point est particulièrement important du fait de la responsabilité qui incombe aux différentes parties de faire cesser les atteintes aux droits de l'homme et de garantir aux réfugiés un retour en toute sécurité. Au cours des années qui viennent, les citoyens de Bosnie-Herzégovine auront pour tâche d'uvrer pour que toutes les personnes qui sont rentrées chez elles soient totalement intégrées dans la société.
Les principes fondamentaux contenus dans l'annexe 7 de l'Accord de paix doivent être respectés. Les parties doivent prouver que les réfugiés peuvent rentrer chez eux en toute sécurité, mais, pour cela, elles doivent aussi démontrer que les autorités locales ont les moyens de protéger ceux qui rentrent. À cet effet, des mécanismes efficaces de protection des droits de l'homme doivent être mis en place et respectés.
Les circonstances entourant les déplacements de population ; des politiques délibérées destinées à produire des réfugiés et des personnes déplacées
Le conflit armé en Bosnie-Herzégovine s'est caractérisé par de graves atteintes aux droits de l'homme, souvent perpétrées par les forces armées d'une nationalité dans le but d'éliminer du territoire qu'elles cherchaient à contrôler les membres d'une ou plusieurs autres nationalités. Si les principaux responsables de ces agissements ont été les troupes bosno-serbes (et, au début du conflit, celles de l'armée yougoslave), ainsi que les autorités bosno-serbes locales de facto, des violences destinées à chasser les membres d'autres nationalités ont aussi été commises par les forces bosno-croates (et l'armée croate qui s'est battue à leurs côtés), ainsi que, dans une moindre mesure, par les soldats de l'armée bosniaque à majorité musulmane.
Les violations du droit international humanitaire ont conduit à l'inculpation de quelque 75 personnes pour crimes de guerre commis en Bosnie-Herzégovine. Dans beaucoup d'actes d'accusation, parmi lesquels ceux de Radovan Karadzic, ancien dirigeant civil des Serbes de Bosnie, et de Ratko Mladic, ancien commandant militaire serbe, figurent le chef de génocide.
Certes, aujourd'hui, en raison des déplacements de population, il est correct de dire que les victimes appartiennent à des minorités ou des minorités restantes. Toutefois, dans beaucoup de régions, la nationalité actuellement la plus nombreuse, au nom de laquelle les nationalistes et les forces armées qui les soutenaient ont agi, n'était pas majoritaire, ou seulement de peu, avant la guerre. En effet, avec la présence de trois principales nationalités (44 p. cent de Musulmans, 31 p. cent de Serbes et 17 p. cent de Croates, selon le recensement de 1991) entremêlées dans presque tout le territoire avec des groupes minoritaires plus petits, ainsi qu'avec ceux qui se qualifiaient de « Yougoslaves » ou d'autres nationalités, il existait relativement peu d'endroits peuplés très majoritairement par l'une ou l'autre des nationalités.
Si les événements se sont déroulés de différentes manières selon les lieux et les périodes, l'analyse des violences révèle des politiques destinées, sans aucune ambiguïté, à tuer, à chasser de force ou à pousser à partir les populations civiles "non désirables". Bien que ces pratiques aient souvent été qualifiées de « nettoyage ethnique », ce terme n'est pas clairement défini. Il a en effet été appliqué à un grand nombre de situations, et pas seulement à celles faisant intervenir une violence cruelle et éhontée comme cela a souvent été le cas en Bosnie-Herzégovine.
Les premiers mois de la guerre, qui a débuté en avril 1992, sont ceux qui ont provoqué la majorité des réfugiés et personnes déplacées actuels. Si certains ont été arrachés de force à leur région d'origine, la plupart ont fui, souvent après avoir été témoins ou avoir pris profondément conscience des graves atteintes aux droits de l'homme perpétrées autour d'eux. Ceux qui ont été expulsés de force ou qui ont cherché à partir ont été très souvent soumis à des formalités administratives nettement destinées à officialiser leur départ. En 1992, les Musulmans réfugiés ou déplacés interrogés par des représentants d'Amnesty International ont souvent montré à ces derniers des documents qu'ils avaient dû signer au moment de leur départ ou de leur expulsion de leur région d'origine. Ces documents contenaient généralement des déclarations selon lesquelles l'individu partait « volontairement » et cédait la propriété de ses biens immobiliers à la municipalité. Dans certains cas, les formalités administratives ont consisté à inscrire, dans les registres policiers, le « départ » des individus de leur lieu habituel de résidence, « conformément » aux lois obligeant tout citoyen à faire enregistrer son lieu de résidence auprès de la police.
Dans certaines régions, la population n'a pas fui dans la terreur, mais a été littéralement expulsée sous la menace des armes ; beaucoup de personnes ont été expulsées en Croatie ou en République fédérative de Yougoslavie[4] Pour effectuer de telles expulsions au début du conflit, les forces serbes de Bosnie, les paramilitaires serbes et/ou les unités de la Jugoslovenska Narodna Armija (JNA, Armée fédérale yougoslave), qui ont par la suite constitué l'Armée serbe de Bosnie, ont généralement eu recours à une force militaire écrasante. Dans de nombreuses régions, cette force était totalement disproportionnée par rapport à la résistance armée que les Musulmans pouvaient lui opposer, si tant est que celle-ci eût existé. Une fois toute résistance armée réelle ou potentielle éliminée, les populations musulmanes ont reçu l'ordre de se présenter aux autorités ou, à certains endroits, ont été rassemblées de force. Les hommes jugés capables de porter les armes ont été séparés des femmes et des enfants et détenus dans de véritables camps de concentration ou dans des locaux plus petits, tels que des sous-sols ou des postes de police. Les membres des classes moyennes, à savoir les médecins, les avocats, les hommes d'affaires, les commerçants et autres, aussi bien hommes que femmes, qui pouvaient être considérés comme importants dans leur communauté, ont aussi été particulièrement visés. Ils ont sans doute été sélectionnés non seulement parce qu'ils risquaient de prendre la tête de l'opposition, mais aussi pour saper le moral du reste de la communauté musulmane. Des milliers d'individus, y compris de nombreuses femmes, ont été enfermés dans des camps de détention, dont certains s'apparentaient à des camps de concentration où torture et homicides délibérés et arbitraires étaient monnaie courante ; plusieurs milliers de ces personnes sont aujourd'hui portées manquantes. Le plus célèbre de ces camps était celui d'Omarska, tenu par les autorités serbes de facto de Bosnie, même si les forces armées des Bosno-croates et du gouvernement bosniaque ont aussi ouvert des camps de ce type. Beaucoup des survivants n'ont pas été autorisés à rentrer chez eux, mais ont été échangés contre d'autres prisonniers. Des civils détenus arbitrairement ont souvent été troqués contre des prisonniers de guerre ou contre les corps de soldats décédés. Parmi ceux qui ont servi de monnaie d'échange et qui ont sans doute été expulsés se trouvaient des Serbes ayant refusé, parfois pour des raisons de conscience, de faire leur service militaire et de combattre au sein de l'Armée serbe de Bosnie. Ils avaient par conséquent été emprisonnés.
Beaucoup de ceux qui n'ont pas été incarcérés ont été forcés de traverser les lignes de front, souvent en passant par des champs de mines, et se sont parfois fait tirer dessus ou ont été dévalisés ou agressés par les soldats lors de leur passage.
Des milliers de femmes ont été victimes de viols ou de sévices sexuels, dans le cadre d'une politique délibérée d'atteintes aux droits de la personne destinée à terroriser et à chasser les populations civiles[5] Les stigmates laissés par ce type de violences et la crainte des femmes qui ont survécu à ce traumatisme font que celles-ci hésitent à en parler. Par conséquent, le nombre de cas signalés est sans doute bien en deçà du nombre réel de cas survenus. La fréquence et la quantité de viols commis en Bosnie-Herzégovine ont eu des conséquences extrêmement pénibles sur beaucoup de réfugiées. Ces femmes ne doivent pas être obligées de retourner dans des communautés où il existe pour elles des raisons impérieuses, liées aux mauvais traitements qu'elles ont subis, de refuser de rentrer. Il est extrêmement important de comprendre que pratiquement aucune arrestation ni aucun procès n'ont eu lieu à l'encontre de personnes soupçonnées d'avoir ordonné ou commis ces violences. Beaucoup des auteurs de viols exercent sans doute toujours un pouvoir ou une influence dans leur communauté, ou bien sont en liberté dans d'autres parties du pays. Par ailleurs, un grand nombre d'entre eux n'ont pas encore été identifiés et ne le seront peut-être jamais. On ne peut donc tout simplement pas demander aux femmes victimes de viol de retourner dans un environnement où elles seront presque certainement la cible d'intimidations, de harcèlement ou même de nouveaux viols ou sévices sexuels. Même si les responsables de ces actes ont été mis en détention et ne sont plus dans ces communautés, certaines victimes continueront d'être trop traumatisées pour pouvoir rentrer[6]
Après l'importante vague d'expulsions et de départs des premiers mois de la guerre, les minorités restantes ont continué de partir durant tout le conflit, en particulier des régions du nord-ouest de la Bosnie contrôlées par les Serbes. En beaucoup d'endroits, bien avant le cessez-le-feu d'octobre 1995 qui a précédé l'Accord de paix, ces minorités restantes avaient été réduites à un petit noyau, composé en grande partie de familles issues de mariages mixtes et qui n'avaient pas vraiment le choix, ne sachant pas où aller. Dans la majorité des cas, les candidats au départ ont dû demander la permission de partir et ont souvent été obligés de payer une certaine somme pour y être autorisés ou pour sortir clandestinement. Les atteintes continuelles aux droits de l'homme ont été aggravées par la mauvaise situation économique, dans le cadre de laquelle les minorités restantes ont eu le sentiment d'être victimes de discriminations, particulièrement en ce qui concerne la distribution de l'aide humanitaire. Toutes les parties au conflit ont mobilisé les minorités pour effectuer des travaux forcés. La plupart des gens, membres ou non de minorités, qui n'étaient pas mobilisés dans l'armée ni autorisés à conserver un emploi officiellement approuvé, ont dû effectuer certains travaux obligatoires à la place du service militaire. Toutefois, les membres de minorités se sont souvent vu attribuer des tâches dangereuses, telles que le creusement de tranchées près des lignes de front ou dans des champs de mines. Dans certains cas, ceux qui effectuaient des travaux obligatoires étaient en fait en détention.
Au cours du conflit croato-musulman de 1993 et de début 1994, des Musulmans de Mostar-Ouest, contrôlée par les Bosno-croates, ont souvent été forcés de traverser les lignes de front pour rejoindre Mostar-Est, sous domination musulmane. Des milliers d'hommes musulmans détenus par les forces bosno-croates pendant ce conflit n'ont pas eu la possibilité de rentrer chez eux une fois libérés ou échangés contres d'autres prisonniers[7] Au début et au milieu de l'année 1992, les forces majoritairement musulmanes de l'Armija Bosne i Hercegovine (ABH, Armée de Bosnie et d'Herzégovine) se sont rendues coupables d'expulsions forcées de Serbes dans certaines régions, notamment du côté de Konjic.
1. Exposé de la situation actuelle en Bosnie-Herzégovine et des préoccupations d'Amnesty International - Poursuite des atteintes aux droits de l'homme dans toutes les régions de Bosnie-Herzégovine
Les éléments recueillis par Amnesty International au cours de ses missions de recherche de juin et d'octobre 1996, ainsi que les informations provenant régulièrement d'organisations locales et internationales, continuent de susciter l'inquiétude concernant le non-respect des droits de l'homme dans les deux entités de Bosnie-Herzégovine. Dans la plupart des cas signalés, mais en aucune manière dans tous, les victimes sont des membres de minorités. Dans ce contexte, il peut s'agir de toute personne n'appartenant pas à la nationalité au pouvoir dans une région que cette personne y réside, y effectue une visite ou ne fasse que la traverser. De nombreuses violences ont été commises contre des personnes déplacées ou des réfugiés qui tentaient de revenir, en visite ou définitivement, dans leur ancienne habitation ou leur région d'origine. D'autres agissements ont souvent été destinés à faire fuir les membres de minorités. Une seconde catégorie de victimes est constituée de personnes perçues comme étant des opposants politiques aux autorités des différentes régions. Les exemples les plus évidents de ce type de victimes sont ceux des individus vivant au nord de Bihac, dans la Fédération, et ayant aidé activement le dirigeant musulman rebelle Fikret Abdic, ou bien étant soupçonnés de l'avoir soutenu ou d'avoir combattu dans ses troupes.
L'État de droit
Il est important de remarquer que, dans beaucoup de témoignages recueillis récemment, les auteurs de violences n'ont pas été identifiés comme étant des agents de la force publique ou des soldats. S'il est possible que certains aient été des policiers ou des militaires agissant sans porter l'uniforme, il est probable que beaucoup étaient des civils. Toutefois, de nombreuses personnes se sont plaintes de la passivité de la police qui, en beaucoup d'endroits, s'est montrée peu disposée à mener des enquêtes et à assurer une protection adéquate. Dans certains cas, la police ou d'autres autorités auraient encouragé délibérément ces agissements. D'après les informations disponibles, il semble donc qu'une grande partie des actes de violence ou autres qui ont été signalés constituent des atteintes aux droits de l'homme. Par ailleurs, de nombreux soldats ont été démobilisés : certains ont été engagés dans la police, d'autres sont revenus dans la vie civile. Or, beaucoup de ces hommes ont toujours en leur possession des armes telles que des fusils et des grenades, et un grand nombre d'entre eux ont aussi de bons contacts avec les autorités. Il est clair que ces dernières ont la responsabilité de veiller à ce que ces armes ne soit pas utilisées pour des attaques et que les anciens militaires ne profitent pas de quelque uniforme, apparence officielle, ou lien qu'ils auraient pu conserver avec les autorités, pour commettre des atteintes aux droits de l'homme. Il s'agit d'un point particulièrement important, étant donné le nombre de cas de harcèlement ou de violences à l'encontre des minorités résultant de la grave pénurie de logements qui touche la plupart des régions du pays. À cela s'ajoute le fait que les soldats démobilisés ou risquant de l'être estiment avoir le droit d'être mieux logés en retour des sacrifices qu'ils ont faits au combat.
Prisonniers d'opinion ; mauvais traitements en détention ; absence de procès équitables menés dans les meilleurs délais
À de nombreuses reprises, des membres de minorités ont été victimes de mises en détention arbitraires pour des durées allant de plusieurs heures d'interrogatoire dans un poste de police sous le prétexte d'enquêter sur des crimes de guerre supposés à plusieurs mois de détention sans inculpation ou pour des charges constituant très probablement des prétextes (dans certains cas, les détenus ont été utilisés pour négocier des échanges et ont, en fait, servi d'otages).
Parmi les cas de détention arbitraire avérés ou probables recensés par Amnesty International figurent les exemples suivants :
Le 7 février 1996, un Bosno-croate a été arrêté par la police serbe de Bosnie ou par des soldats près de Priboj. Le 26 février, un Musulman a été appréhendé alors qu'il passait la Ligne de démarcation entre les entités de Bosnie-Herzégovine, entre les villes de Celic et de Koraj, pour aller rendre visite à sa sur qui vivait en Republika Srpska. Le Croate a déclaré avoir été obligé de signer, après son arrestation, une feuille de papier vierge qui a ensuite été présentée comme des aveux dans lesquels il reconnaissait avoir commis des crimes de guerre. Les deux hommes dont il est fait état ci-dessus sont toujours détenus dans la prison militaire de Bijeljina. Ils n'ont, ni l'un ni l'autre, été inculpés d'une quelconque infraction, mais les autorités de la Republika Srpska auraient demandé, en échange de leur libération, celle d'un Serbe de Bosnie détenu à Sarajevo et faisant l'objet d'une enquête pour crimes de guerre.
Deux hommes ayant des racines arabo-musulmanes et un troisième d'origine arabe, arrêtés en février près de Kiseljak par les autorités croates de Bosnie, ont très vite été proposés en échange de trois Croates reconnus coupables par des tribunaux de la zone contrôlée par le gouvernement bosniaque. Ce n'est qu'en juillet qu'une décision judiciaire confirmant l'ouverture d'une enquête sur leur participation présumée à des crimes de guerre a été prononcée. Ils ont finalement été libérés en septembre dans le cadre d'un échange de prisonniers.
Trois Musulmans arrêtés en mars par les forces serbes de Bosnie alors qu'ils regardaient les anciennes tranchées de l'Armée serbe de Bosnie, près de Sarajevo, ont aussi été rapidement proposés comme monnaie d'échange, bien que des charges ou décisions officielles sur leur mise en détention pour crimes de guerre présumés aient été, semble-t-il, prononcées rapidement. Deux d'entre eux ont été échangés en septembre, mais le troisième se trouve toujours en détention. Amnesty International essaie d'obtenir d'avantage d'informations sur son cas.
Le 1er juin, quatre Serbes déplacés ont été arrêtés par la police bosno-croate près de la Ligne de démarcation entre les entités, à proximité de Glamoc, où ils s'étaient rendus, dans deux voitures séparées, depuis Banja Luka pour aller voir leurs anciens domiciles ou lieux de travail. Ils ont été emmenés dans un poste de police à Glamoc où, pendant 11 jours, les agents de l'IPTF et les soldats de l'IFOR n'ont pas eu le droit de leur rendre visite. Ce n'est qu'après leur transfert dans une prison de Mostar que les membres des organismes internationaux ont pu les rencontrer. La police bosno-croate n'aurait rien pu donner d'autre que des raisons arbitraires pour tenter de justifier leur arrestation. Les quatre hommes ont été remis en liberté en juillet au cours d'un échange de prisonniers.
En juillet et en septembre, quatre Serbes de Bosnie ont été portés manquants à la suite de deux événements distincts survenus alors qu'ils se trouvaient au sud de Sarajevo, dans une zone appartenant à la Fédération. Sur le lieu d'un des enlèvements, des témoins ont raconté avoir vu ce qui semblait être des civils. Des organisations internationales ont exigé des informations au sujet des enquêtes de la police de la Fédération sur les deux affaires et sur le sort des détenus. Les autorités ont nié avoir connaissance de leur sort jusqu'au 16 octobre, lorsqu'on a découvert qu'ils étaient en détention et avaient été transférés dans la prison centrale de Sarajevo. À la suite de leur découverte et des pressions des organisations internationales, les quatre hommes ont finalement été libérés le 30 octobre.
Des lettres annexes signées par les parties dans le cadre de l'Accord de paix prévoyaient la libération des détenus non combattants. La plupart des civils détenus arbitrairement ont été remis en liberté au cours de l'année 1996, tout comme une majorité de prisonniers de guerre. Toutefois, outre l'apparition de nouveaux cas de mises en détention arbitraires tels que ceux cités ci-dessus, un certain nombre de personnes incarcérées avant la signature de l'Accord de paix n'ont toujours pas été libérées. De plus, il y a des milliers de personnes "disparues" ou portées manquantes, parmi lesquelles certaines sont peut-être encore en détention. Ainsi, un prêtre catholique, le père Tomislav Matanovic, Croate de Bosnie, a été arrêté en août 1995, à Prijedor, par la police bosno-serbe. Bien qu'ayant reconnu sa mise en détention et semblant avoir confirmé les informations selon lesquelles le père Matanovic et ses parents étaient détenus dans une prison « privée », les autorités de la Republika Srpska ne l'ont pas libéré. Par ailleurs, un petit nombre de prisonniers devant être remis en liberté au début de l'année 1996 ont "disparu". Ainsi, au moins deux prisonniers de guerre bosno-serbes détenus par le gouvernement bosniaque à Zenica ont été vus par d'autres prisonniers peu avant que ces derniers ne soient libérés. Depuis, personne ne les a vus ni n'a reconnu leur maintien en détention.
Les autorités des différentes régions de Bosnie-Herzégovine ayant insisté pour que de nombreux non-combattants accusés de crimes de guerre ou faisant l'objet d'une enquête à ce sujet soient maintenus en détention, un nouvel accord a été signé par les parties en février 1996, à Rome. Cet accord prévoit que toute personne soupçonnée d'avoir gravement violé le droit international humanitaire et maintenue en détention pour cette raison doit bénéficier d'un réexamen de son dossier et d'une confirmation de sa détention par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de La Haye. Les dispositions de cet accord, communément appelées « règles de la route », ne sont pas respectées par les parties.
Mauvais traitements
Dans certains cas, des détenus ont été frappés par des policiers ou des soldats au cours de leur détention. La plupart des cas signalés proviennent de la Republika Srpska, même si des plaintes contre les autorités bosno-croates et musulmanes de la Fédération ont aussi été enregistrées. En mai 1996, sept Musulmans qui s'étaient rendu aux troupes de l'IFOR stationnées en Republika Srpska ont rapidement été remis par celles-ci à la police locale. Ces hommes, connus sous le nom des « sept de Zvornik », ainsi qu'un huitième arrêté séparément, ont été sévèrement battus au cours de leur détention à Bijeljina. Amnesty International est préoccupée non seulement par ces passages à tabac, mais aussi par le fait que l'IFOR n'ait pas pris, avant de remettre ces hommes à la police, les garanties suffisantes pour s'assurer qu'ils ne seraient pas maltraités[8]
L'un des cas les plus graves de mauvais traitements qui ait été signalé est celui d'Hasan Kovacevik, un Musulman qui est mort en détention dans un poste de police de Banja Luka le 1er août 1996. D'après les rapports d'autopsie, cet homme avait de multiples fractures des côtes, provenant probablement de coups reçus en détention. La police a essayé de faire croire, de manière peu convaincante, qu'il s'était blessé en sautant d'une fenêtre du bâtiment.
De nombreux cas de violence ont été signalés dans la période qui a précédé les élections nationales du 14 septembre. Depuis, d'autres se sont produits, mais de manière bien moins fréquente. Des candidats de l'opposition et leurs sympathisants ont été agressés et des actes ont, semble-t-il, été commis pour décourager les personnes déplacées ou les réfugiés de revenir voter dans leur région le jour du scrutin. Bien que, selon la plupart des témoignages, les responsables de ces actes aient été des civils, le fait que les victimes aient été presque exclusivement des sympathisants de partis d'opposition dans les zones concernées et l'absence de réaction appropriée de la part de la police laissent à penser que les autorités sont responsables.
Expulsions forcées ; absence de liberté de circulation empêchant l'exercice du droit au retour
Dans différentes parties du pays où ils sont minoritaires, les Bosno-serbes, les Musulmans et les Bosno-croates ont été victimes de toutes sortes d'agissements visant à les chasser de leur domicile, et souvent aussi de leur région d'origine. Ainsi, les Serbes et un nombre plus restreint de Croates restés dans les faubourgs de Sarajevo qui sont passés sous le contrôle de la Fédération entre février et avril 1996 ont été doublement exposés aux violences. En effet, avant le transfert, ils ont été victimes d'actes d'intimidation commis par des gangs serbes voulant les inciter à rejoindre la Republika Srpska ; c'est ce qu'ont fait la majorité des Serbes (environ 70 000 personnes). Le harcèlement consistait à incendier des appartements et des maisons et à passer à tabac des habitants à leur domicile. La police de la Republika Srpska se serait montrée peu disposée et/ou efficace en ce qui concerne leur protection. Après le transfert, les personnes qui étaient restées ont été victimes de passages à tabac et d'autres formes de harcèlement et n'ont bénéficié que d'une protection limitée de la part des policiers de la Fédération. D'autres Bosno-serbes auraient rejoint la Republika Srpska depuis le transfert, au moins en partie à cause des actes d'intimidation dont ils étaient victimes. Parmi ceux qui sont restés, certains craignent ce qui pourrait leur arriver s'ils devaient regagner la Republika Srpska, ou lorqu'ils le feront.
En mai et en juin, dans certains villages des environs de la ville de Teslic, en Republika Srpska, s'est déroulée ce qui s'apparente à une campagne destinée à chasser les Musulmans restés dans la région. Cette campagne s'inscrivait dans la même ligne que les pressions exercées sur les Musulmans pendant pratiquement toute la guerre. La vague d'intimidations a fait suite à des tentatives, de la part de Musulmans déplacés, de revenir voir leurs habitations, et semble avoir été orchestrée par des hommes politiques bosno-serbes radicaux. Pendant plusieurs semaines, on a signalé des actes tels que des jets de grenades contre des habitations de Musulmans et des menaces ou passages à tabac à l'encontre de Musulmans par des civils serbes. Beaucoup des victimes ont cherché refuge auprès de la police locale de la Republika Srpska, mais n'ont que rarement reçu une protection adéquate. Les organisations internationales estiment que plusieurs centaines de Musulmans auraient quitté la région à la suite de cette vague d'intimidations. En dépit des dispositions de l'Accord de paix garantissant la liberté de circulation, ils ont chacun dû payer la somme de 10 marks allemands pour avoir l'autorisation de partir. À la suite des pressions exercées par les organisations internationales travaillant sur le terrain, le chef de la police de Teslic a été remplacé. La vague d'intimidations s'est en grande partie calmée après ce remplacement, ainsi que grâce à la présence accrue de l'IPTF.
Banja Luka
Dans beaucoup de zones de la Republika Srpska, des problèmes rencontrés par les quelques minorités restantes ont été signalés. Ainsi, la police serbe n'a pas su empêcher de manière efficace le harcèlement des Musulmans restés dans le faubourg Vrbanja de Banja Luka. Après une série de violents affrontements individuels entre Serbes et Musulmans vivant dans ce faubourg, parmi lesquels beaucoup de personnes déplacées, une trentaine d'habitants ont été chassés violemment de chez eux au mois de juin. La vague d'expulsions a été déclenchée par le retour dans la région d'un ancien réfugié musulman. Par ailleurs, un certain nombre d'autres familles musulmanes ont abandonné leur domicile et cherché refuge auprès des organisations internationales. Malgré des informations selon lesquelles le chef de la police locale aurait promis à l'IPTF d'assurer le retour de toutes ces familles à leur domicile, une seule avait été réinstallée chez elle au mois d'août. Des représentants du HCR sont aussi intervenus à plusieurs reprises auprès des autorités locales pour demander que les familles expulsées puissent rentrer chez elles. Toutefois, en septembre, estimant que leur sécurité ne pouvait être assurée à Banja Luka, le HCR a accédé aux demandes de beaucoup de victimes et a organisé leur évacuation. En novembre 1996, plus de cent personnes avaient été évacuées.
Bugojno
Bugojno est l'une des régions choisies pour un projet pilote né d'un accord entre Musulmans et Croates de Bosnie en novembre 1995[9] Deux cents familles croates devaient revenir à Bugojno. En septembre 1996, 98 l'avaient fait, mais certaines informations faisaient encore état d'actes de harcèlement destinés à chasser les Croates et à les décourager de rentrer. Entre la fin juin et la fin août, des cas de harcèlement contre des Croates ont été fréquemment signalés dans les environs de la ville ; parmi ceux vérifiés par les médiateurs[10] de la Fédération figuraient au moins huit explosions provoquées dans des habitations, des véhicules ou des églises, et deux incendies volontaires. Plusieurs personnes auraient aussi été frappées ou menacées de mort. Même s'il semble que la plupart de ces actes aient été commis par des civils ou des personnes non identifiées, la police s'est montrée peu disposée à agir de manière concertée pour protéger la minorité bosno-croate. Les médiateurs lui ont reproché d'avoir, par sa passivité, encouragé la violence.
Mostar
De violentes et fréquentes expulsions ont aussi eu lieu dans Mostar-Ouest, qui est sous contrôle bosno-croate. Elles étaient dans de nombreux cas l'uvre de gangs armés, souvent vêtus d'uniformes militaires. Bien que des membres de toutes les nationalités aient été touchés, il semble que les victimes aient été principalement musulmanes ou issues de mariages mixtes. La quasi-totalité de ces victimes étant des Musulmans ou des Serbes dont seuls quelques parents étaient encore présents dans Mostar-Ouest, elles ont été expulsées de force et ont dû trouver refuge dans Mostar-Est. La vague d'évictions s'est déroulée jusqu'à la fin août. Le 30 août, l'envoyé spécial de l'Union européenne à Mostar, Sir Martin Garrod, a condamné publiquement les dirigeants des groupes paramilitaires responsables, selon lui, des évictions. Celles-ci ont semblé se calmer au mois de septembre, mais ont repris en octobre et en novembre. Ainsi, le 27 novembre, quatre hommes en uniforme militaire ont fait irruption dans l'appartement d'un couple de Musulmans âgés et leur ont ordonné de partir. La femme a couru chez un voisin et a essayé d'obtenir de l'aide de la police, mais elle en a été empêchée par ses agresseurs. Entre-temps, ceux-ci ont battu son mari, puis ont déposé le couple à la ligne de démarcation entre Mostar-Ouest et Mostar-Est. Les deux victimes se sont plaintes auprès de la police locale (gérée conjointement par les Musulmans et les Croates), mais celle-ci a déclaré ne pas pouvoir les aider car des militaires étaient impliqués dans l'affaire. Lorsque des agents de l'IPTF les ont ramenés à leur appartement, ils ont découvert un groupe de personnes en train de le mettre à sac. La police militaire bosno-croate a refusé d'accorder au couple l'aide qu'il demandait, et ces deux personnes sont maintenant déplacées à l'intérieur même de leur propre ville, puisqu'elles vivent dans Mostar-Est.
Selon le HCR, au moins 67 évictions similaires ont eu lieu au cours de l'année 1996.
Absence de liberté de circulation
Bien que la liberté de circulation ait été présentée comme l'un des objectifs principaux de l'Accord de paix, seule une petite partie des centaines de milliers d'individus expulsés de force avant sa signature et des milliers d'autres qui l'ont été depuis ont pu exercer leur droit au retour dans leur foyer ou leur région d'origine. Comme le montre le présent document, les quelques améliorations apportées à la situation sont essentiellement liées à des passages ou visites de personnes déplacées dans leur région d'origine, dans des proportions limitées. En effet, même le 14 septembre, jour des élections nationales, pas plus de 20 000[11] électeurs se sont rendus de la Fédération vers la Republika Srpska et seuls 1 200 ont fait le trajet en sens inverse, ce qui constitue sans doute le record de passages pour une journée. Or, les Musulmans qui avaient fait le voyage pour aller voter ont souvent été emmenés jusqu'aux bureaux de vote, situés loin de leur domicile, et seul un petit nombre, pour ne pas dire aucun, ont pu retourner chez eux ce jour-là.
Tentatives de visites de personnes déplacées dans leur foyer ou leur région d'origine
Durant toute l'année 1996, une série d'événements se sont produits au cours desquels des groupes de personnes déplacées tentant d'effectuer une visite dans leur région d'origine ont été attaqués parfois par des policiers, parfois par des civils avec la bienveillance de la police locale ou, au mieux, empêchés physiquement d'effectuer leur visite.
Au cours du second semestre de 1996, de violents affrontements, certains constituant des atteintes aux droits de l'homme, ont eu lieu dans les environs de plusieurs villages musulmans de la région du "pouce" de Sapna, langue de terre appartenant à la Fédération et située à l'ouest de Zvornik (Republika Srpska). Des Musulmans ont essayé de se réinstaller dans plusieurs villages situés en territoire serbe, mais dans la Zone de séparation démilitarisée établie de chaque côté de la Ligne de démarcation entre les entités. La tension est grande autour de ces villages, et la situation est compliquée par le fait que, selon les informations reçues, quelques Musulmans de retour dans certaines de ces localités ont apporté des armes. Or, l'Accord de paix interdit le port d'armes (sauf pour la police locale, avec quelques restrictions, et les membres de l'IFOR), notamment dans la Zone de séparation. Les autorités de la Republika Srpska accusent celles de la Fédération d'encourager les Musulmans à retourner dans ces villages avec des objectifs militaires, à savoir prendre pied en territoire serbe. Les troupes de l'IFOR ont confirmé que, dans certains cas, les hommes regagnant ces villages portaient des armes. Selon certaines informations, l'atmosphère régnant dans ces localités serait extrêmement tendue et de violents affrontements auraient éclaté par moments. Au cours de certains d'entre eux, la police bosno-serbe aurait commis des atteintes aux droits de l'homme. Ainsi, le 29 août, dans le village de Mahala, elle aurait tiré en l'air et frappé un certain nombre de Musulmans avant que l'IFOR et l'IPTF n'interviennent. Après que les policiers serbes eurent été arrêtés, la foule aurait jeté des pierres sur ces derniers jusqu'à ce qu'ils soient emmenés, tandis que les observateurs de l'IPTF étaient encerclés et bloqués dans leur base de la ville voisine de Zvornik.
Obstacles immédiats au retour des réfugiés et des personnes déplacées dans leur foyer ou leur région d'origine en Bosnie-Herzégovine
Les réfugiés ou personnes déplacées à l'intérieur du pays souhaitant regagner soit leur domicile, soit leur région, soit une autre région de Bosnie-Herzégovine, doivent faire face à d'énormes obstacles. Ce n'est qu'au prix de grandes difficultés que ces individus, ou ceux qui organisent ou encouragent leur retour, peuvent les surmonter, si toutefois ils y parviennent. En résumé, les problèmes sont les suivants : les difficultés relatives à la sécurité physique des personnes qui reviennent et qui sont menacées d'actes de violence ou d'intimidation de la part soit des forces de sécurité, soit de civils, la police étant alors peu disposée à leur fournir une protection adéquate, ou omettant de le faire ; les problèmes de sécurité physique liés aux mines ; le manque d'abris adéquats pour loger les personnes qui reviennent et les protéger des rigueurs de l'hiver dans la plupart des régions ; les problèmes de répartition des logements disponibles, avec en particulier la restitution des droits de propriété ou de location. Il est inutile de préciser que tous ces problèmes sont interdépendants et sujets à des manipulations politiques de la part des autorités de chacune des régions. La politique générale des autorités musulmanes de la Fédération consiste à inciter les Musulmans déplacés à rentrer chez eux. En Republika Srpska, les autorités n'encouragent pas les Serbes de Bosnie déplacés à regagner leur domicile. Elles s'opposent aussi ouvertement au retour des personnes déplacées et des réfugiés non serbes, perpétrant même des atteintes aux droits de l'homme et d'autres actes visant à décourager ces retours. Par ailleurs, des déclarations comme celle qui suit, faite par Biljana Plavsic, président de la Republika Srpska, constituent un message clair pour les candidats au retour, tout en soulignant le problème du logement qui touche les populations des deux entités :
« Nous ne sommes pas obligés de penser aux Bosniaques et aux Croates déplacés vivant dans la Fédération. Il nous faut d'abord résoudre le problème de place de [sic] nos propres Serbes déplacés. Ils ont dû abandonner dans la Fédération des biens qui leur appartenaient depuis des siècles. En conséquence, je ne peux envisager, dans un avenir proche, aucun retour de membres de minorités en Republika Srpska. De ce point de vue, l'accord de Dayton est plus théorique qu'autre chose. »[12]
Quant aux autorités des zones de la Fédération sous contrôle bosno-croate, elles adoptent une attitude se situant à mi-chemin entre celles des deux autres, résistant souvent au retour de Musulmans déplacés, mais n'encourageant pas systématiquement les Croates déplacés à regagner la Republika Srpska ou les territoires de la Fédération sous contrôle musulman.
Le lien avec les réfugiés de Croatie et de la République fédérative de Yougoslavie
Il convient de ne pas oublier que si les réfugiés et les personnes déplacées originaires de Bosnie-Herzégovine ou s'y trouvant constituent le principal élément de la crise des réfugiés en ex-Yougoslavie, un grand nombre de ces réfugiés et personnes déplacées sont originaires des autres anciennes républiques yougoslaves ou s'y trouvent actuellement. Pour ce qui est de ceux de Croatie, leur sort est particulièrement lié à celui des réfugiés bosniaques. En effet, en août 1995, près de 200 000 Serbes de Croatie ont fui en Bosnie-Herzégovine et en République fédérative de Yougoslavie lors de la reprise de la Krajina par l'armée croate. Les autorités croates n'ont pas fait grand-chose pour faciliter leur retour et ont, au contraire, instauré des obstacles bureaucratiques ; elles n'ont pas répondu non plus aux préoccupations concernant la sécurité physique des Serbes restés sur place. Moins de 12 000 Serbes de Croatie sont revenus dans le pays ou ont reçu l'autorisation des autorités croates de le faire, bien que, selon certaines informations, un nombre bien plus important en ait fait la demande[13] Beaucoup de ceux qui sont rentrés en Croatie n'ont pas pu retourner vivre dans leur propre logement. Les autorités n'ont pas pris les mesures nécessaires pour protéger les Serbes de Croatie restés en Krajina contre des actes de harcèlement répétés, en particulier les explosions criminelles provoquées dans les maisons des candidats au retour en cours de réparation[14]
Quelque 40 000 réfugiés serbes de Croatie sont toujours en Republika Srpska, beaucoup étant installés dans les logements laissés vacants par les personnes déplacées ou les réfugiés musulmans et croates. De leur côté, les autorités croates ont utilisé les anciennes habitations des Serbes de Croatie pour reloger, apparemment de manière définitive ou semi-définitive, environ 14 000 réfugiés bosno-croates en provenance de la Republika Srpska. La situation est encore compliquée par la présence de Croates déplacés provenant majoritairement de Slavonie orientale[15]4, dernière zone de la Croatie contrôlée par les Serbes et actuellement sous administration transitoire de l'ONU. Chaque fois qu'ils étaient habitables, les logements de beaucoup de ces Croates déplacés ont été repris par des Serbes de Croatie déplacés ou des réfugiés serbes de Bosnie ; il est peu probable que ceux-ci les libèrent tant que leur propre retour ou leur relogement définitif ne seront pas assurés. Une autre difficulté provient de la présence d'un petit nombre de Croates ayant quitté la Serbie, parfois semble-t-il de manière définitive, tels que ceux de la province du Kosovo. Les autorités croates les ont installés dans les logements de Serbes de Croatie réfugiés ou déplacés situés dans les anciennes zones protégées par les Nations unies (ZPNU). La Croatie a accordé très largement sa nationalité aux Croates de Bosnie, et certains pays d'accueil lui ont renvoyé des réfugiés sous prétexte qu'ils bénéficiaient de la double nationalité bosniaque et croate.
Un grand nombre de réfugiés bosniaques (environ 253 000), parmi lesquels une grande majorité de Bosno-serbes, ainsi que des Serbes de Croatie, ont cherché refuge en République fédérative de Yougoslavie. Leur situation est décrite au chapitre II du présent document.
De toute évidence, l'occupation physique des habitations laissées vacantes par les réfugiés, aussi bien en Croatie qu'en Bosnie-Herzégovine, ainsi que le précédent peu glorieux établi par les autorités croates avec les réfugiés serbes, démontrent que la possibilité de retour pour les réfugiés dépend de la mise en place, par les autorités de Croatie et de Bosnie-Herzégovine, des conditions de sécurité nécessaires, en coopération avec la communauté internationale.
Les références au retour des réfugiés dans l'Accord de paix
L'annexe 7 de l'Accord de paix mentionne explicitement le droit des réfugiés et des personnes déplacées à rentrer chez eux et fait de leur « retour rapide » l'un des importants objectifs du règlement du conflit en Bosnie-Herzégovine. Les parties y « confirment qu'elles acceptent le retour des personnes ayant quitté leur région d'origine, y compris celles ayant bénéficié d'une protection provisoire accordée par un pays tiers ». Elles s'y engagent à veiller « à ce que les réfugiés et les personnes déplacées puissent retourner chez eux en toute sécurité, sans risque de harcèlement, d'intimidation, de persécution ou de discrimination portant plus particulièrement sur leurs origines ethniques, croyances religieuses ou opinions politiques ».[16]
La Commission chargée des problèmes de propriété
Le premier paragraphe de l'Accord de paix mentionne aussi l'indemnité dont doivent bénéficier les propriétaires privés de leurs biens au cours des hostilités et ne pouvant pas les récupérer. Il établit une Commission pour les personnes déplacées et les réfugiés[17] qui a pour seule tâche d'examiner les plaintes d'individus ayant été dépossédés de leurs biens pendant la guerre et de statuer sur les titres de propriété en cas de différend. Cette commission n'étant pas chargée de traiter les autres problèmes importants auquels peuvent être confrontés les candidats au retour, il est plus juste de la qualifier de Commission chargée des problèmes de propriété. Toutefois, il existe des contradictions dans son mandat tel qu'il est défini dans l'Accord de paix, par exemple sur les délais de forclusion pour les affaires relevant de sa compétence. Par ailleurs, il n'est jamais mentionné explicitement que, sous l'ancien système qui prévalait en ex-Yougoslavie, beaucoup de logements étaient « propriété de la société » ; leurs occupants jouissaient donc plutôt d'une forme de "quasi-propriété" que d'une propriété totale telle qu'on pourrait l'entendre, par exemple, dans les systèmes de droit d'Europe occidentale.
La commission a été inaugurée en mars 1996, époque à laquelle ses membres ont été nommés par les deux entités, ainsi que par le président de la Cour européenne des droits de l'homme. Toutefois, il lui a fallu un temps considérable pour mettre en place les procédures administratives lui permettant d'examiner les plaintes. Après plusieurs déclarations et reports successifs, la commission a finalement annoncé qu'elle commencerait à recevoir les plaintes en novembre 1996. Selon ses propres estimations, sa capacité à remplir les formulaires nécessaires devrait lui permettre de traiter au maximum 3 000 dossiers par mois pendant les trois premiers mois de son exercice.
Bien que le problème des réfugiés et des personnes déplacées ait été qualifié de prioritaire, la commission va d'abord s'occuper des plaintes de personnes déplacées à l'intérieur de la Bosnie-Herzégovine, puis seulement de celles des réfugiés. Elle a décidé que la restitution des biens dans leur état actuel constituerait sa principale priorité et a reconnu qu'il ne serait réaliste de vouloir offrir des indemnités en lieu et place que lorsque la communauté internationale et les États parrainant l'Accord de paix fourniraient les fonds nécessaires à la reconstruction. Si le manque de moyens fait que, dans la pratique, la commission va logiquement mettre l'accent sur les restitutions de biens, ses décisions en ce domaine ne seront pas pour autant faciles à mettre en uvre. En effet, un grand nombre de plaignants ne peuvent envisager de rentrer chez eux si les préoccupations concernant leur sécurité, évoquées dans le présent document, perdurent. Par ailleurs, leur retour dépendra toujours, en définitive, de l'attitude des autorités des deux entités ; celles-ci devront en effet faire respecter les décisions de la commission en procédant aux expulsions nécessaires et veiller à ce que les plaignants soient protégés de tout harcèlement après leur retour.
Amnesty International déplore particulièrement le fait que la Commission chargée des problèmes de propriété n'ait pas le pouvoir d'accorder des indemnités aux propriétaires dont les biens ont été totalement ou partiellement détruits. Cela signifie que les milliers de victimes dont les habitations ont été délibérément endommagées ou détruites du fait de leur nationalité, de leur religion, de leur ethnie ou de leurs opinions politiques auront peu de chances d'obtenir l'indemnité à laquelle ils ont droit et qui leur permettrait de reconstruire. De plus, la commission ne dispose que de peu de moyens pour examiner les dossiers de centaines de milliers de plaignants potentiels ayant été chassés par la force de chez eux, et elle n'a aucun pouvoir pour faire appliquer ses décisions.
Pour conclure, il est clair que la commission ne pourra pas, dans le court terme, avoir une influence significative sur les problèmes de logement des réfugiés candidats au retour ; à moyen et à long terme, son efficacité dépendra de la manière dont elle sera dirigée et financée, ainsi que de la coopération que lui apporteront les différentes parties dans les mois à venir.
Indépendamment de cette commission, un petit nombre de locataires ou de propriétaires, expulsés dans l'une ou l'autre des entités par des individus cherchant à les chasser de leur région d'origine et à faire d'eux des réfugiés ou des personnes déplacées, ont demandé la restitution de leurs biens devant les tribunaux. Certaines décisions de justice ont été prononcées en faveur des plaignants, mais leur nombre paraît faible. Par ailleurs, un nombre encore moins important de décisions semblent avoir été exécutées avec succès.
La pénurie de logements convenables
Au-delà du problème de la restitution des logements à leurs propriétaires ou à leurs locataires, ou de l'octroi d'indemnités en cas de plainte, le manque de logements constitue un immense problème. Il résulte à la fois des déplacements de population et de l'étendue des dommages ou destructions d'habitations. Beaucoup de ces dommages ont été commis délibérément dans le but de faire fuir les populations minoritaires ou de les empêcher de revenir, et non pas été provoqués par le conflit armé. Selon le HCR, quelque 60 p. cent des logements ont été endommagés ou détruits au cours de la guerre[18] Les efforts locaux et internationaux de reconstruction des habitations et des infrastructures impliquent des besoins financiers immenses qui n'ont, pour l'instant, été satisfaits que partiellement par des engagements d'investissements. Il est inutile de préciser que ce problème est encore accentué par la rigueur de l'hiver dans ce pays ; chaque logement doit en effet disposer d'un sytème de chauffage et offrir une protection suffisante contre les éléments naturels. Bien qu'il s'agisse sans aucun doute d'un domaine essentiel, les efforts de reconstruction n'entrent pas dans le cadre du présent document.
Étant donné le grand nombre d'habitations endommagées ou détruites, ainsi que la présence massive de personnes déplacées, peu de logements habitables sont aujourd'hui inoccupés. Le retour des soldats démobilisés accentue encore le problème du logement ; en effet, ceux-ci estiment avoir droit à un traitement de faveur en remerciement des sacrifices qu'ils ont consentis. Par ailleurs, des soldats encore en poste, des membres de groupes paramilitaires ou des criminels de droit commun se livrent à des expulsions violentes ou à des actes de harcèlement uniquement dans le but d'obtenir de meilleurs logements.
Du fait de la pénurie, il est difficile pour les personnes qui reviennent de reprendre possession de leur logement, et même d'en trouver un autre. Les personnes déplacées, qui sont le plus souvent celles qui occupent temporairement les habitations laissées vacantes par des réfugiés ou d'autres personnes déplacées, acceptent difficilement d'être relogées ailleurs que dans leur foyer d'origine. Aussi bien pendant qu'après le conflit armé, des informations ont fait état d'actes de harcèlement commis contre des membres de minorités par des personnes déplacées voulant leur prendre leur logement. Par ailleurs, les réfugiés qui reviennent sont souvent mal vus par ceux qui sont restés, qui pensent qu'en partant ceux-ci ont échappé à bien des difficultés et ont pu gagner d'importantes sommes d'argent en Europe occidentale ou dans d'autres pays.
Lorsque des personnes déplacées sont chassées de leur habitation provisoire par des réfugiés qui reviennent, il y a de fortes chances pour qu'elles cherchent à prendre le logement de membres de minorités de la région. Or, comme ces derniers reçoivent généralement peu de soutien de la part des autorités et peu de protection physique de la part de la police, ils sont particulièrement vulnérables aux expulsions provoquées par le retour des réfugiés ou des personnes déplacées dans leur région.
Amnesty International a eu connaissance de nombreuses expulsions effectuées récemment dans différentes villes des deux entités. Certaines sont évoquées plus haut dans les rubriques consacrées à Bugojno, Mostar et Banja Luka.
Au-delà des problèmes liés aux reprises de logements par les personnes qui reviennent et aux expulsions qui en résultent, il est clair qu'il n'y a tout simplement pas assez de logements disponibles pour des retours sur une grande échelle dans le court terme. Ainsi, des représentants du HCR travaillant dans la région de Tuzla ont affirmé que tout retour important de réfugiés ou de personnes déplacées dans la région rendrait nécessaire la réouverture d'un nombre supplémentaire de centres collectifs d'accueil, seul moyen de fournir un abri à ces individus.
Outre les dommages infligés aux logements de manière délibérée ou du fait du conflit armé, de nouveaux problèmes sont apparus en octobre et novembre 1996, quand les Serbes de Bosnie ont commencé à endommager et à détruire délibérément des habitations à l'aide d'explosifs ou de matériel incendiaire. Il s'agissait principalement de maisons que des Musulmans avaient remis en état dans le but d'y revenir, ou bien qu'ils projetaient de venir voir dans l'intention de les réparer et de s'y réinstaller. En novembre, les Croates de Bosnie qui avaient brûlé un grand nombre de maisons appartenant à des Bosno-serbes dans la région de Mrkonjic Grad avant que celle-ci ne passe sous le contrôle de la Republika Srpska au début de l'année ont bientôt commencé à faire de même dans certaines régions sous leur contrôle. Bien qu'un certain nombre d'habitations aient été endommagées ou détruites à la suite de la signature de l'Accord de paix et du tranfert de certains territoires qu'il a entraîné, les destructions systématiques d'octobre et de novembre 1996 ont constitué un aspect nouveau et préoccupant. Ainsi, le HCR s'est inquiété de ce que 96 habitations détruites le 24 octobre dans la région de Prijedor, sous contrôle de la Republika Srpska, appartenaient à des Musulmans qui avaient demandé à revoir leur logement et dont les noms avaient été soumis aux autorités par les Nations unies[19]
Les projets pilotes
Pendant le déroulement des négociations sur l'ensemble de l'Accord de paix à Dayton, les présidents bosniaque[20] et croate ont signé un accord prévoyant le retour d'un nombre déterminé de personnes déplacées dans quatre villes de la Fédération. Il s'agissait de Musulmans et de Croates qui avaient été déplacés pendant la guerre de 1993-1994 entre les forces musulmanes et croates. Le retour prévu de 100 familles croates à Travnik et de 200 familles musulmanes à Jajce s'est terminé en juin et en septembre, mais l'objectif a été dépassé, car ce sont respectivement 200 et 202 familles qui sont rentrées. Toutefois, l'opération a été loin d'être aussi réussie dans les deux autres villes, Bugojno (cf. ci-dessus) et Stolac. En novembre 1996, pas une seule famille musulmane ne s'était réinstallée à Stolac. Pendant un certain temps, des Musulmans ont pu se rendre dans la ville avec un bus fourni par le HCR et effectuer des réparations dans leurs habitations, mais les autorités croates ont mis beaucoup d'obstacles à ce projet, entre autres en tolérant des explosions criminelles commises dans certaines maisons. Elles ont aussi refusé de fournir des garanties suffisantes pour la sécurité des candidats au retour. En octobre 1996, le projet a été suspendu pour la deuxième fois. Il a été repris, mais l'espoir qu'il se réalise semble faible.
Les lacunes des lois d'amnistie
L'Accord de paix contient une obligation pour les différentes parties de promulguer des lois garantissant une amnistie à tout réfugié ou personne déplacée retournant dans sa région d'origine et inculpé d'une infraction, à condition qu'il ne s'agisse pas d'une grave violation du droit international humanitaire telle que définie dans les statuts du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ou d'une infraction de droit commun sans rapport avec le conflit[21] L'accord ajoute qu'« aucune inculpation ne sera prononcée pour des motifs politiques ou tout autre motif non valable, ou encore pour tourner l'application de l'amnistie ».
Les autorités de la Fédération, de la République de Bosnie-Herzégovine et de la Republika Srpska ont promulgué des lois d'amnistie couvrant une série d'infractions telles que « l'appel à la résistance », « la diffusion de fausses informations » et « la détention illégale d'armes ou d'engins explosifs ».
Toutefois, si la loi d'amnistie de la Fédération s'applique aussi aux personnes ayant déserté ou s'étant soustraites au service militaire, celle de la Republika Srpska exclut spécifiquement les infractions telles que « le refus de répondre à l'appel et la soustraction au service militaire » (article 214 du Code pénal de l'ancienne République socialiste fédérative de Yougoslavie), ainsi que « l'abandon volontaire et la désertion des forces armées » (article 217). Il est important de souligner que les articles 214 et 217 contiennent tous les deux des alinéas faisant référence aux individus qui fuient ou restent à l'étranger pour échapper ou se soustraire au service militaire. Ainsi, les réfugiés ou personnes déplacées qui reviennent en Republika Srpska risquent d'être poursuivis pour avoir déserté ou même pour avoir fui dans le but d'échapper à l'appel. Il n'existe aucune disposition concernant les objecteurs de conscience dans la législation de la Republika Srpska.
Un autre problème, moins grave, se pose dans la législation de la Fédération pour les anciens soldats. En effet, la loi d'amnistie ne s'applique qu'aux actes commis jusqu'au 14 décembre 1995, date de la signature de l'Accord de paix, mais l'état de guerre dans la République de Bosnie-Herzégovine n'a été officiellement levé que le 22 décembre 1995. Or, à la suite du cessez-le-feu instauré en octobre et au vu des négociations en cours à Dayton, certains soldats de l'Armée de Bosnie et d'Herzégovine auraient quitté les rangs sans permission et pourraient être poursuivis pour avoir été absents entre le 14 et le 22 décembre.
Suite à l'application de la loi d'amnistie dans la Fédération, des hommes détenus dans les territoires musulmans de celle-ci pour avoir déserté ou s'être soustraits au service militaire ont été libérés. La loi d'amnistie de la Fédération va sans doute éviter des poursuites aux individus qui avaient quitté le pays après avoir déserté ou pour échapper au service militaire parce qu'ils refusaient de participer au conflit armé pour des raisons de conscience. Toutefois, elle n'empêchera pas que ces personnes puissent être soumises à la conscription ou mobilisées à leur retour dans le pays[22] Une nouvelle loi relative à la Défense récemment votée dans la Fédération prévoit une alternative au service militaire pour les objecteurs de conscience. Toutefois, cette alternative n'est pas purement civile et sa durée est pénalisante, puisqu'elle est le double de celle du service classique. Par ailleurs, elle n'est accessible qu'aux hommes en ayant fait la demande dans les 90 jours suivant leur inscription au registre des individus astreints au service militaire, ce qui exclut la plupart des réfugiés actuellement en âge de porter les armes[23]
Des doutes subsistent également sur l'applicabilité des lois d'amnistie dans les territoires de la Fédération contrôlés par les Bosno-croates, territoires qui forment la "république croate d'Herzeg-Bosna". Cette république autoproclamée a été officiellement dissoute le 31 août et ses fonctions administratives transférées aux autorités compétentes de la Fédération. Toutefois, cet accord fait partie d'une série d'accords ou d'engagements jamais totalement respectés sur la dissolution de cette république, série qui a débuté avec l'accord initial de Washington sur la création de la Fédération en mars 1994. Il n'est toujours pas sûr que les lois d'amnistie soient reconnues, dans un avenir prévisible, par les tribunaux de la "république croate d'Herzeg-Bosna".
Bien qu'il n'existe pas de statistiques exhaustives sur le nombre d'hommes ayant cherché à se soustraire au service militaire en Republika Srpska, un millier d'entre eux auraient été déclarés coupables par le tribunal militaire de Banja Luka pendant la seule période de janvier à août 1993 et condamnés à des peines allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement[24] Par ailleurs, le chiffre de 12 000 hommes s'étant dérobés à leurs obligations militaires ou ayant déserté, reconnu par les autorités de la République fédérative de Yougoslavie lors du vote de sa propre loi d'amnistie, laisse à penser qu'il existe aussi un nombre important de cas en Bosnie-Herzégovine, et en particulier en Republika Srpska. En effet, l'Armée serbe de Bosnie aurait connu de nombreux problèmes de désertion lors des défaites qu'elle a subies au cours des derniers mois du conflit, à la mi-1995. Des groupes paramilitaires de Serbie, les Tigrovi (Tigres) avaient été appelés pour infliger des châtiments physiques aux déserteurs et les ramener sur le front.
Amnesty International ne se prononce pas sur les lois d'amnisties générales qui s'appliquent aussi à des individus reconnus coupables ou accusés d'actes de violence. Toutefois, elle reconnaît que, dans la pratique, la crainte d'être poursuivi sans avoir droit à un procès équitable dans les meilleurs délais est réellement dissuasive pour les réfugiés ou les personnes déplacées candidats au retour, et même pour certains membres de minorités restantes qui souhaitent ne pas partir. De même, l'absence de lois d'amnistie pour les habitants de la Republika Srpska ayant déserté ou échappé à la conscription et les lacunes concernant les objecteurs de conscience dans les deux entités signifient que certains hommes risquent d'être emprisonnés pour objection de conscience.
Les élections
Dans l'Accord de paix, les parties se sont engagées à promouvoir des « élections libres, équitables et démocratiques » devant être tenues dans les neuf mois suivant la signature de l'accord (c'est-à-dire avant le 14 septembre 1996)[25]14, à condition que l'OSCE, chargée d'organiser ces élections, certifie que les conditions sont réunies. Les élections nationales ont eu lieu le 14 septembre, mais les élections locales ont d'abord été reportées par l'OSCE au mois de novembre, puis au printemps 1997.
Des organisations non gouvernementales ayant surveillé le processus électoral ont sévèrement critiqué la décision prise en juin par l'OSCE d'autoriser les élections. En effet, ces organisations ont constaté une absence de liberté de circulation, une manipulation des listes électorales et des atteintes aux droits de l'homme décrites dans le présent document , ainsi qu'une restriction de l'accès de l'opposition aux médias et d'autres facteurs remettant en cause la validité du scrutin[26]
Comme mentionné plus haut, le jour du scrutin, quelque 20 000 électeurs ont franchi la Ligne de démarcation entre les entités pour aller voter. Toutefois, la sous-commission chargée d'examiner les appels interjetés à propos des élections a déclaré après le vote qu'elle estimait que près de 30 000 personnes déplacées voulant se rendre dans leur municipalité d'origine en Republika Srpska avaient pu être « empêchées ou découragées d'aller voter par le manque de dispositifs de sécurité appropriés ».
Le mandat d'Amnesty International ne lui permet pas de juger des conditions dans lesquelles se déroulent des élections ni de déterminer si elles sont libres et démocratiques. L'Organisation ne prend pas position à ce sujet, mais, elle considère que la tenue des élections nationales en septembre ne constitue pas, en soi, une indication selon laquelle les réfugiés peuvent rentrer chez eux.
Visites d'évaluation effectuées dans leur région d'origine par des personnes déplacées
L'expérience de la première année d'application de l'Accord de paix montre très clairement que ses objectifs visant à favoriser le retour des réfugiés et des personnes déplacées sont loin d'être atteints. La liberté de circulation, décrite dans les annexes 3 et 4 de l'Accord de paix, et qui constitue de toute évidence une condition préalable au retour de ces personnes, n'existe toujours pas. Seule une quantité insignifiante de réfugiés ou de personnes déplacées pourra raisonnablement espérer rentrer en 1997, à moins que les progrès suivants n'interviennent : changement radical de la situation en matière de sécurité ; modification de la politique des parties, en particulier en Republika Srpska et dans les zones sous contrôle bosno-croate de la Fédération ; mise en place d'une Commission chargée des problèmes de propriété et/ou d'un système judiciaire efficaces ; apport d'importants moyens pour traiter le problème de la pénurie de logements.
Bien que des milliers de passages quotidiens aient été enregistrés ces derniers mois à la Ligne de démarcation entre les entités, des éléments révèlent que la plupart de ces passages sont ceux d'individus ou de marchandises en transit qui empruntent les routes traversant la Republika Srpska pour rejoindre la Croatie dans le nord ou un raccourci à travers une région appelée "l'enclume" pour se rendre dans l'ouest. Des lignes de bus régulières reliant les deux entités, par exemple entre Banja Luka et Zenica, ainsi qu'entre les zones de Sarajevo sous contrôle de la Fédération et celles appartenant à la Republika Srpska, ont été établies avec beaucoup de difficultés par le HCR, mais fonctionnent depuis quelques semaines sans trop de problèmes. Ces lignes ont permis à un petit nombre de personnes déplacées d'effectuer une visite dans leur région d'origine. D'autres ont fait le trajet en voiture, mais peu semblent avoir osé s'aventurer très loin avec un véhicule immatriculé dans l'autre entité ; elles ont préféré utiliser des voitures avec une immatriculation étrangère, ou sans plaque du tout. Dans la plupart des cas, ces visites ont été de courte durée, et seul un nombre insignifiant de personnes serait rentré définitivement.
Ainsi, le 13 octobre 1996, un groupe d'environ 250 Serbes de Bosnie déplacés ont tenté d'effectuer une visite dans leur ville d'origine, Drvar, située dans le canton de Tomislavgrad, sous contrôle bosno-croate. Le HCR n'avait ni organisé cette visite, ni servi d'intermédiaire. Après avoir essuyé, semble-t-il, une trentaine de refus de la part des autorités de Drvar, ces personnes ont décidé de tenter de rejoindre la ville sans autorisation officielle (autorisation que l'Accord de paix ne rend en aucun cas obligatoire). Le convoi de cars a d'abord été arrêté juste après avoir passé la Ligne de démarcation entre les entités par le chef de la police locale, qui a affirmé ne pas pouvoir assurer la sécurité de ces personnes. Après avoir insisté pour poursuivre sa route, le convoi a alors été empêché de pénétrer dans la ville par une foule hostile ; cinq heures plus tard, le groupe a abandonné et il est rentré en Republika Srpska.
Il faut signaler que des problèmes similaires existent dans de nombreuses régions de la Fédération, régions que des Musulmans et des Croates ont fui lors du conflit entre ces deux nationalités pendant l'année 1993 et une partie de l'année 1994. Des Musulmans ont effectué des visites dans certaines zones de la Fédération contrôlées par les Croates de Bosnie, notamment à Stolac et dans Mostar-Ouest, avec la même prudence qu'en Republika Srpska. De même, des Croates souhaitant retourner à Bugojno se sont plaints de harcèlement (cf. plus haut).
L'un des aspects les plus décourageants des problèmes relatifs au retour des personnes déplacées est le cas des visites de groupe organisées soit à l'initiative du HCR, de l'IFOR ou des autorités locales accueillant les personnes déplacées, soit par ces personnes elles-mêmes. En effet, ces visites ont été largement politisées par les autorités des deux entités et ont souvent davantage ressemblé à des manifestations qu'à des visites au cimetière ou aux anciens domiciles des participants, comme c'était prévu à l'origine. Il a été encore plus fréquent que les autorités du territoire recevant la visite d'un groupe organisent des contre-manifestations. Il semble qu'aussi bien les personnes déplacées que les populations locales hôtes aient été manipulées. Les autorités des territoires sous contrôle musulman, dirigées en grande partie par le Stranka Demokratske Akcije (SDA, Parti d'action démocratique), semblent avoir par moment essayé d'imposer le règlement du problème des retours et avoir insisté sur la politique déclarée du SDA de maintenir l'unité nationale de la Bosnie-Herzégovine. À l'inverse, les autorités serbes de Bosnie, dirigées par le Srpska Demokratska Stranka (SDS, Parti démocrate serbe), qui s'oppose à l'idée d'un État unitaire et considère que l'entité serbe de Bosnie constituée par la Republika Srpska doit être peuplée exclusivement de Serbes, ont essayé d'empêcher tout retour sur leur territoire et même tout départ de Serbes déplacés vers la Fédération. De leur côté, les autorités des territoires sous contrôle bosno-croate de la Fédération ont appliqué une politique se situant à mi-chemin entre les deux autres. En effet, elles s'opposent généralement au retour des minorités dans les zones qu'elles contrôlent, mais elles n'empêchent pas systématiquement les Bosno-croates de regagner d'autres parties de la Fédération ou la Republika Srpska.
Quelles que soient les objectifs des différents partis politiques, un grand nombre de personnes déplacées, ainsi que de réfugiés, souhaitent vivement rentrer chez eux, ou au moins aller voir leur ancienne habitation. Ils ont donc accepté avec empressement toute initiative des autorités locales ou des organisations internationales visant à organiser des visites de groupe, ou se sont chargés eux-même de leur organisation.
Justice et vérité
La vague massive d'atteintes aux droits de l'homme commises en Bosnie-Herzégovine au cours des quatre dernières années a laissé peu de familles indemnes de toute perte ou bouleversement. Les individus les plus touchés sont ceux qui ont été personnellement victimes de tortures, mauvais traitements, viols ou sévices sexuels, détention arbitraire ou autres formes de violence ou d'intimidation. Les proches des victimes ont également souffert, en particulier les familles de celles qui ont été tuées, sont portées manquantes ou ont "disparu". L'un des éléments essentiels pour les victimes et leur proches dans le processus d'acceptation des faits est d'établir la vérité et veiller à ce que les responsables soient tenus de répondre de leurs actes et démis de toute fonction leur donnant la possibilité de commettre de nouvelles violences.
La satisfaction de ces besoins est d'autant plus importante qu'elle est indispensable à la réalisation des objectifs de l'Accord de paix relatifs au retour des réfugiés et des personnes déplacées dans leur foyer ou leur région d'origine. En effet, si tel n'était pas le cas, les candidats au retour devraient regagner un environnement dans lequel beaucoup d'auteurs ou d'auteurs présumés d'atteintes aux droits de l'homme sont toujours en liberté, et parfois même au pouvoir. Il est donc clair que, pour beaucoup de victimes, les sentiments d'insécurité, de haine ou de colère seraient trop lourds à porter. Par ailleurs, il est clair également que la traduction en justice des responsables d'atteintes aux droits fondamentaux atténuera le sentiment de culpabilité collective en mettant l'accent sur la responsabilité individuelle des personnes qui ont ordonné ou perpétré des violences. Sinon, il sera de toute évidence difficile aux communautés de vivre à nouveau ensemble. Bien que beaucoup de candidats au retour, en particulier musulmans, affirment qu'ils ne pourront jamais accepter de rentrer chez eux dans des régions sous domination de ce qu'ils appellent la « loi tchetnik »[27]16, c'est-à-dire la Republika Srpska, d'autres se disent prêts à rentrer si les criminels de guerre présumés sont écartés du pouvoir et traduits en justice.
Les points de vue exprimés par un grand nombre de personnes déplacées et de réfugiés interrogés par Amnesty International montrent cet état d'esprit. C'est le cas du témoignage d'un vieil homme originaire de la région de Vlasenica, interrogé à Tuzla en juin 1996. Cet homme avait d'abord été obligé, en 1992, de fuir à Srebrenica, d'où il avait ultérieurement dû fuir pour Tuzla en juillet 1995, lors de la chute de l'enclave[28] Neuf membres de sa famille proche ont été tués, parmi lesquels sa femme et deux de ses fils. Il a fallu quarante-sept jours à son troisième fils pour atteindre Tuzla à travers la zone boisée qui sépare les deux villes. Le vieil homme ne pense qu'à une chose : rentrer chez lui. Interrogé sur les conditions de sécurité nécessaires à son retour, il a répondu qu'elles dépendaient des autorités au pouvoir. Il possédait trois maisons qui ont été bombardées, puis détruites à l'explosif. Il est prêt à revivre comme avant auprès de ses anciens voisins, car eux aussi sont des êtres humains, mais pas avec ceux qu'il considère comme des criminels de guerre.
Les différentes parties n'ont pris que peu de mesures pour identifier et traduire en justice les auteurs d'atteintes aux droit de l'homme de leur propre camp, mais toutes ont entrepris activement de réunir des témoignages et d'enquêter sur des éléments de preuve, tels que les charniers, lorsqu'il leur a semblé s'agir de victimes de leur nationalité. De même, tous les camps, et en particulier la Republika Srpska, les autorités bosno-croates et les gouvernements de Croatie et de la République fédérative de Yougoslavie qui les soutiennent, n'ont pas pleinement coopéré avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
Au début de décembre 1996, 75 individus avaient été inculpés par ce tribunal ; ils sont toutefois pour la plupart encore en liberté. Bien qu'il soit naturellement impérieux que tous les suspects soient finalement arrêtés et jugés, il est encore plus important de constater qu'il n'y a eu aucun effort concerté de la part de l'IFOR pour assurer l'arrestation de Radovan Karadzic, ancien dirigeant civil des Serbes de Bosnie, et du général Ratko Mladic, commandant de l'Armée serbe de Bosnie. En effet, les efforts des représentants de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine pour obtenir le retrait du pouvoir de Radovan Karadzic, tel que le prévoyait l'Accord de paix, ont d'abord été hésitants et soumis aux manipulations des autorités bosno-serbes. Amnesty International déplore particulièrement le fait que l'IFOR, qui y est pourtant contrainte par le droit international humanitaire, ne fasse aucun effort pour arrêter Radovan Karadzic, Dario Kordic l'ancien dirigeant bosno-croate et les autres individus inculpés de crimes de guerre[29] Les parties à l'Accord de paix, à savoir les autorités bosno-serbes, yougoslaves et croates n'ont rien fait non plus pour arrêter et transférer les inculpés.
Amnesty International estime que les individus soupçonnés d'avoir perpétré ou ordonné de graves atteintes aux droits de l'homme sont tenus de rendre des comptes et doivent être jugés dans le cadre de procès équitables, conformément aux normes internationales. C'est en effet le seul moyen de combattre l'effet dissuasif qu'ils représentent pour le retour des personnes déplacées et des réfugiés.
2.La protection des réfugiés dans les pays d'accueil
Le conflit en Bosnie-Herzégovine et la série de violences qui en a découlé ont obligé quelque deux millions de personnes à quitter leur domicile et à chercher refuge dans d'autres pays ou, quand cela n'était pas possible, dans d'autres parties de Bosnie-Herzégovine. Comme exposé plus haut, beaucoup des atteintes aux droits de l'homme commises pendant le conflit se poursuivent aujourd'hui et empêchent un grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées à l'intérieur du pays de satisfaire à leur désir de rentrer chez eux. La poursuite de ces agissements montre clairement que, malgré l'Accord de paix, les conditions de sécurité ne sont pas suffisantes pour que les réfugiés rentrent en Bosnie-Herzégovine.
Historique de la protection temporaire des réfugiés d'ex-Yougoslavie
En 1992, face à l'afflux de réfugiés en provenance de l'ex-Yougoslavie, un certain nombre de pays (principalement européens) ont accueilli ces personnes en leur accordant diverses formes de protection. Les différences de niveau de protection et de traitement des réfugiés selon les États ont été assez marquées. Certains pays, comme le Danemark, ont finalement reconnu à ces personnes le droit de réclamer le statut de réfugié tel qu'il est défini dans la Convention relative au statut des réfugiés (1951), amendée par son protocole de 1967[30]2, et ont ensuite accordé ce statut à quelque 17 000 Bosniaques[31] À l'inverse, d'autres pays ont refusé de leur reconnaître les droits liés à ce statut. Beaucoup d'entre eux ont autorisé les réfugiés bosniaques à rester temporairement sur leur sol en leur accordant un statut en fonction de leur législation nationale sur l'immigration, avec l'intention de les renvoyer en Bosnie-Herzégovine quand ils le décideraient. D'autres pays ont donné à un certain nombre de réfugiés le droit de rester pour des raisons humanitaires. Un exemple récent de cette attitude est celui des autorités norvégiennes qui ont décidé, le 8 novembre 1996, d'accorder une permission de séjour humanitaire à 12 000 réfugiés bosniaques.
Cette protection, aussi appelée protection temporaire, était prévue pour durer tant que le conflit en ex-Yougoslavie empêcherait les réfugiés de rentrer chez eux ou jusqu'à ce que d'autres mesures soient prises pour réinstaller de manière permanente les personnes ayant été obligées de fuir. Dans la plupart des cas, celles-ci n'ont pas pu faire une demande d'asile individuelle afin d'obtenir le statut de réfugié tel qu'il est défini par la convention de 1951. Elles ont en fait été l'objet d'une décision générale qui leur accordait une protection temporaire. De ce fait, il avait été jugé inutile de prendre des décisions sur les cas individuels.
Dans sa Comprehensive Response to the Humanitarian Crisis in Former Yougoslavia [Réponse détaillée sur la crise humanitaire en ex-Yougoslavie] en date du 21 janvier 1993[32]4, le HCR déclarait que beaucoup de personnes bénéficiant d'une protection temporaire étaient susceptibles de remplir également les conditions pour obtenir le statut de réfugiés aux termes de la convention de 1951. Le HCR ajoutait que son approbation de mesures destinées à suspendre, si nécessaire, les procédures de demande d'asile pendant la période de protection temporaire n'empêchait évidemment pas les personnes jouissant d'une protection temporaire d'être autorisées à effectuer une telle demande.
En tant que tels, les réfugiés bosniaques qui, après avoir fui les atteintes aux droits de l'homme entraînées par le conflit, ont reçu une protection temporaire dans un pays d'accueil ont le droit de ne pas être renvoyés en Bosnie-Herzégovine tant qu'ils n'auront pas pu bénéficier d'une procédure de demande d'asile équitable et satisfaisante, conformément au droit de toute personne à ne pas être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté sont menacées. Le principe fondamental du non-refoulement est exprimé dans l'article 33-1 de la convention de 1951, ainsi que dans l'article 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et constitue une norme internationale d'origine coutumière. Cette norme prévoit que les réfugiés ne doivent pas être renvoyés de force dans un territoire où ils risquent des persécutions ou d'autres atteintes graves aux droits de l'homme. Or, la majorité des pays d'accueil sont parties à ces deux conventions.
Les conditions de sécurité ne sont pas suffisantes pour permettre la levée de la protection
Le principe fondamental du non-refoulement implique que les réfugiés qui fuient de graves atteintes aux droits de l'homme doivent être protégés de manière efficace et durable contre toute expulsion vers un territoire où ils risquent d'être victimes de violences. Les États européens et autres ne peuvent donc pas décider unilatéralement de renvoyer les réfugiés en Bosnie-Herzégovine en mettant fin à leur protection temporaire ou en supprimant leurs permis de séjour, alors qu'il est dangereux pour eux de rentrer. Si le statut de réfugié n'est pas un statut définitif, et peut prendre fin dans certaines circonstances[33]5, Amnesty International estime que les conditions de sécurité sont encore insuffisantes pour renvoyer les réfugiés en Bosnie-Herzégovine.
Les pays d'accueil doivent protéger les réfugiés jusqu'à ce que la situation des droits de l'homme dans leur pays d'origine leur permette de rentrer en toute sécurité. Comme le prouve la poursuite des violences commises contre les minorités en Bosnie-Herzégovine, les réfugiés risqueraient d'être victimes de graves atteintes à leurs droits fondamentaux s'ils étaient renvoyés de force dans des régions où leur nationalité est minoritaire. À l'inverse, étant donné la situation actuelle, si les pays d'accueil renvoyaient un nombre important de réfugiés dans des zones où leur nationalité est majoritaire, les minorités présentes dans ces régions risqueraient d'être victimes d'un regain de violences et de discriminations, pouvant dégénérer en des persécutions et de nouveaux déplacements de population. Par ailleurs, il existe un risque que des atteintes aux droits de l'homme soient commises par les populations locales de personnes déplacées contre ces réfugiés appartenant à la nationalité majoritaire, en raison du problème de la propriété des biens, mais aussi d'une perception selon laquelle les réfugiés se sont soustraits à leurs obligations militaires pendant le conflit. Enfin, des retours massifs de réfugiés pourraient avoir un effet très déstabilisant pour le pays, menaçant aussi bien les réfugiés de retour en Bosnie-Herzégovine que les personnes déplacées à l'intérieur du pays, tout en risquant de déclencher un nouveau conflit entre les parties. Le renvoi des réfugiés dans les zones contrôlées par leur nationalité et non dans leur foyer d'origine, avec peu de chances pour qu'ils puissent un jour se réinstaller dans leur foyer, serait contraire aux dispositions contenues dans l'annexe 7 de l'Accord de paix. Il faut rappeler qu'actuellement, pour les différentes nationalités, la liberté de circulation est très limitée entre les deux entités et même à l'intérieur de la Fédération.
Les pays d'accueil ne doivent donc pas supprimer maintenant la protection accordée aux réfugiés de Bosnie-Herzégovine, car les conditions de sécurité en Bosnie-Herzégovine ne sont pas encore suffisantes. De même, les personnes déplacées à l'intérieur de la Bosnie-Herzégovine ne pourront rentrer chez elles que lorsque la situation sera suffisamment sûre.
Les pays d'accueil exercent des pressions visant à renvoyer les réfugiés chez eux
Comme cela a été dit plus haut, si les réfugiés d'ex-Yougoslavie ont reçu une protection dans divers pays à travers le monde, la plupart ont été accueillis dans des pays européens qui leur ont accordé, pour la majorité, une protection temporaire. Après la signature de l'Accord de paix, plusieurs de ces pays européens ont cherché à mettre fin à cette protection et à renvoyer rapidement les réfugiés chez eux. Du fait de la poursuite des atteintes aux droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine tout au long de l'année 1996, ce renvoi précoce s'est avéré impossible. Amnesty International est de ce fait particulièrement préoccupée par la décision prise par les autorités allemandes le 19 septembre 1996 de supprimer la protection temporaire des réfugiés et de commencer à les renvoyer en Bosnie-Herzégovine[34] Dans cette partie du présent document, nous examinons la protection que les réfugiés ont reçue dans divers pays européens et les pressions exercées par certains d'entre eux, à commencer par l'Allemagne, pour renvoyer maintenant les réfugiés en Bosnie-Herzégovine[35]
Allemagne
La protection temporaire des réfugiés bosniaques en Allemagne a été accordée sur décision du gouvernement fédéral en consultation avec les États fédérés (Länder). Cette décision s'appuyait sur l'article 54 de la Loi relative aux étrangers et comprenait une interdiction de refouler les réfugiés en Bosnie-Herzégovine, en vertu d'une décision prise à cet effet le 22 mai 1992.
En pratique, environ 15 000 des 320 000 réfugiés bosniaques ayant fui en Allemagne ont reçu une protection temporaire officielle. La plupart sont en situation irrégulière en Allemange, mais leur présence a été tolérée (« Duldung ») du fait de la situation en Bosnie-Herzégovine.
Approximativement 32 000 réfugiés bosniaques ont demandé asile à l'Allemagne. À partir de la mi-93, le bureau fédéral chargé de statuer sur les demandes d'asile a cessé d'examiner les dossiers, en laissant quelque 30 000 en suspens. En août 1996, le Tribunal administratif fédéral de Berlin a décidé que les réfugiés bosniaques ne pouvaient obtenir le statut de réfugiés en Allemagne que si, au moment de leur fuite, ils ne pouvaient trouver protection dans les territoires aujourd'hui couverts par l'une ou l'autre des entités de Bosnie-Herzégovine. Amnesty International considère cette décision inacceptable, car il était clair, au moment de la fuite de la plupart des réfugiés, que la situation en Bosnie-Herzégovine était si instable qu'aucune région n'y était sûre. De plus, l'Organisation souligne que, pour échapper au conflit, beaucoup de réfugiés n'avaient pas d'autre solution que de fuir par la Croatie.
Le tribunal a estimé que les réfugiés fuyant le conflit auraient pu fuir vers l'autre entité, alors qu'il n'existait à l'époque aucune entité et, en tout état de cause, aucune entité pouvant offrir une quelconque protection. Le bureau fédéral chargé de statuer sur les demandes d'asile a repris l'examen des dossiers en septembre 1996, mais il est probable que la plupart des demandes seront rejetées en vertu de la décision rendue en août 1996 par le Tribunal administratif fédéral.
La « tolérance » des réfugiés bosniaques devait prendre fin le 31 mars 1996, mais a été prolongée jusqu'au 30 septembre 1996 en raison de la poursuite des atteintes aux droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine. Le 19 septembre 1996, au cours d'une conférence, les ministres de l'Intérieur du gouvernement fédéral et des Länder ont décidé de mettre fin à cette « tolérance » à compter du 1er octobre 1996. Dans sa résolution, la conférence affirmait qu'elle était favorable aux retours volontaires, mais que, si cela s'avérait nécessaire, les réfugiés seraient renvoyés de force. Certains Länder devaient débuter un programme de rapatriement dès le 1er octobre 1996, d'autres pas avant le 1er avril 1997. Les participants à la conférence ont aussi décidé que la première phase du programme de rapatriement ne concernerait que les réfugiés dont la région d'origine en Bosnie-Herzégovine était considérée comme sûre. Pour déterminer les « régions sûres », les autorités allemandes se sont fondées sur une mauvaise interprétation d'une liste établie en juin 1996[36] par le HCR concernant les régions à reconstruire en premier. Les 22 régions sélectionnées par le HCR étaient celles qui pouvaient le plus facilement être reconstruites, mais la liste ne contenait aucun élément sur la sécurité dans ces régions. Les autorités allemandes se sont appuyées sur ce document du HCR pour étayer leur raisonnement en faveur de la suppression de la protection temporaire, décidée le 19 septembre 1996. Avant cette date, le HCR avait lancé un appel aux autorités allemandes pour qu'elles ne suppriment pas cette protection et, après la décision de ces dernières, le HCR a déclaré que les conditions en Bosnie ne permettaient pas, à l'heure actuelle, de renvoyer les réfugiés de force[37]
La première catégorie de réfugiés définie par les autorités allemandes doit comprendre les adultes célibataires et les familles sans enfants, tandis que la seconde sera constituée des familles avec enfants, des personnes soignées en Allemagne pour troubles traumatiques, des individus âgés de plus de soixante-cinq ans et des témoins cités à comparaître devant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, à La Haye. Les membres de la seconde catégorie ne seront pas rapatriés avant l'été 1997.
Depuis la décision du 19 septembre 1996, de nombreux réfugiés bosniaques ont reçu l'ordre des autorités locales de quitter l'Allemagne, y compris des réfugiés originaires de régions ne faisant pas partie des 22 évoquées ci-dessus. Certains ont fait appel de cette décision et attendent qu'il soit statué sur leur recours. Il faut s'attendre à ce que des réfugiés bosniaques soient renvoyés contre leur gré en Bosnie-Herzégovine dans les semaines et les mois à venir, mais la majorité d'entre eux ne seront pas rapatriés avant avril 1997. Pour officialiser la décision de faire retourner les réfugiés bosniaques dans leur pays, l'Allemagne et la Bosnie-Herzégovine ont signé un Accord de rapatriement le 20 novembre 1996. D'après le ministre allemand de l'Intérieur, entre 70 000 et 90 000 réfugiés auront été rapatriés d'ici au 30 juin 1997[38]
Comme déjà indiqué plus haut, Amnesty International est gravement préoccupée par la décision des autorités allemandes de supprimer la protection temporaire ; elle s'inquiète à la fois de l'interprétation erronée selon laquelle 22 régions sont sûres et de la décision du Tribunal administratif fédéral de refuser la protection en Allemagne aux réfugiés au motif qu'ils auraient pu fuir vers d'autres régions de Bosnie-Herzégovine. Amnesty International estime que les possibilités de fuite à l'intérieur du pays, vers des zones humanitaires ou des zones de sécurité[39]11, ne doivent être utilisées ni pour empêcher des personnes de franchir les frontières de leur pays, ni pour leur refuser la protection lorsqu'elles la demandent dans un pays d'accueil.
Il est clair qu'en supprimant la protection offerte par la protection temporaire ou la « tolérance » dont bénéficiaient les réfugiés, les autorités allemandes ne se conforment pas aux normes internationales relatives à la protection des réfugiés. Amnesty International déplore le fait qu'en faisant rentrer chez eux contre leur gré les réfugiés de Bosnie-Herzégovine, l'Allemagne risque de violer le principe fondamental du non-refoulement, qui interdit à tout État de renvoyer un individu dans un pays où il est menacé de graves atteintes aux droits de l'homme.
Tout en reconnaissant la générosité dont l'Allemagne a fait preuve en accordant sa protection aux réfugiés bosniaques alors que beaucoup de ses partenaires européens ne le faisaient pas, Amnesty International demande instamment aux autorités allemandes de revenir sur leur décision de renvoyer les réfugiés bosniaques tant que des conditions de sécurité durables permettant leur retour ne seront pas établies. Sur ce point, l'Organisation rappelle à l'Allemagne que l'absence de partage des responsabilités entre les États ne justifie pas une cessation prématurée de la protection des réfugiés. Si la protection est effectivement supprimée pour tous les réfugiés bosniaques, tout individu exprimant le désir de ne pas rentrer dans son pays par crainte d'être victime de graves atteintes aux droits de l'homme doit avoir accès à une procédure individuelle de demande d'asile équitable et satisfaisante. Une telle demande ne doit par ailleurs pas être rejetée uniquement au motif que le réfugié aurait pu, en théorie, fuir vers une autre partie de la Bosnie-Herzégovine.
Autriche
L'Autriche a accordé une protection temporaire aux réfugiés bosniaques en vertu du paragraphe 12 de la Loi relative au séjour des étrangers de 1993, associé à un certain nombre de décrets pris par intermittence pendant toute la durée du conflit en Bosnie-Herzégovine. Le dernier décret, en date du 28 juin 1996, prolonge jusqu'au 31 août 1997 la protection temporaire accordée à certaines "catégories" de réfugiés bosniaques. Voici la protection obtenue par ces différentes catégories avec les conditions requises :
Les Bosniaques qui ont été obligés de fuir la Bosnie-Herzégovine en raison du conflit armé et qui sont entrés en Autriche avant le 1er juillet 1993 ont obtenu des permis de séjour d'une durée limitée pour des raisons humanitaires, en vertu du paragraphe 12 de la Loi relative au séjour des étrangers.
Les réfugiés bosniaques qui ont cherché refuge en Autriche entre le 1er juillet 1993 et le 15 décembre 1995 et qui, pour des raisons valables, ne se sont pas présentés aux autorités douanières autrichiennes, mais se sont fait connaître sans délai aux autorités autrichiennes après leur entrée dans le pays, ont aussi reçu des permis de séjour d'une durée limitée.
Les réfugiés bosniaques qui sont entrés en Autriche entre le 15 décembre 1995 et le 28 juin 1996 n'ont bénéficié de cette protection temporaire que s'ils se sont présentés aux autorités douanières autrichiennes et que celles-ci les ont autorisés à pénétrer dans le pays.
Enfin, les réfugiés bosniaques qui viennent chercher refuge en Autriche après le 28 juin 1996 ne peuvent obtenir une protection temporaire que s'ils se présentent à la frontière et sont autorisés à entrer par les autorités douanières, après déclaration de consentement du ministre de l'Intérieur.
Ce décret classe donc les réfugiés selon les dates auxquelles ils ont fui la Bosnie-Herzégovine. La politique de générosité consistant à accorder une protection temporaire aux réfugiés bosniaques a été appliquée à la plupart de ceux ayant fui avant le 1er juillet 1993. Cependant, ceux qui sont arrivés en Autriche après cette date ont été soumis aux diverses interprétations des termes « raisons valables » et « sans délai »[40] qui ont été faites par les différentes autorités autrichiennes. Ainsi, certains réfugiés arrivés après juillet 1993 n'ont bénéficié ni de permis de séjour temporaires accordés en vertu de la Loi relative au séjour des étrangers, ni de l'asile prévu par la législation autrichienne en la matière. Par ailleurs, les réfugiés arrivés après le 15 décembre 1995 n'ont obtenu une protection temporaire que s'ils étaient entrés en Autriche avec des papiers en règle, des visas et l'autorisation des autorités douanières. La plupart n'ont pas pu remplir toutes ces conditions.
En janvier 1996, le ministre autrichien de l'Intérieur a déclaré qu'aucune pression ne devait être exercée sur les réfugiés bosniaques pour les inciter à rentrer chez eux, car cela pourrait nuire à la consolidation de l'Accord de paix. D'après lui, quelque 80 000 réfugiés bosniaques se trouvent actuellement en Autriche, parmi lesquels environ 55 000 ont pu s'intégrer dans la communauté grâce à des permis de travail et des cartes de séjour temporaires. Actuellement, quelque 16 000 réfugiés vivent de l'aide fédérale et bénéficient aussi de permis de séjour temporaires.
En Autriche, comme indiqué plus haut, la protection temporaire des réfugiés bosniaques ne sera pas supprimée avant le 31 août 1997.
Danemark
Le Danemark a accordé une protection temporaire sous la forme de permis de séjour temporaires aux réfugiés d'ex-Yougoslavie, y compris ceux de Bosnie-Herzégovine, en vertu de la Loi relative à la Yougoslavie[41]13, adoptée le 28 novembre 1992. L'objectif de cette loi était d'offrir une protection aux réfugiés s'étant enfui au Danemark jusqu'à ce que le conflit cesse en ex-Yougoslavie et que les réfugiés puissent rentrer chez eux.
La Loi relative à la Yougoslavie s'appliquait à ceux qui avaient fui la Bosnie-Herzégovine et demandé asile au Danemark, ainsi qu'à ceux considérés par le HCR comme ayant spécifiquement besoin d'une protection. Les réfugiés appartenant à ces deux catégories ont obtenu des permis de séjour de six mois, renouvelables périodiquement jusqu'à ce qu'ils puissent regagner leur pays en toute sécurité. La Loi relative à la Yougoslavie permettait aux autorités danoises de repousser l'examen des demandes d'asile de deux ans au maximum, ce qu'a fait le service chargé des étrangers.
À partir du 30 juin 1993, les autorités danoises ont exigé des réfugiés bosniaques qu'ils aient un visa, expliquant que la plupart d'entre eux arrivaient au Danemark par des pays tiers et qu'ils devaient recevoir une protection dans ces pays[42] Pour compenser cette restriction, les autorités danoises ont établi une mission diplomatique à Zagreb, le "bureau de Zagreb", chargée d'accorder des visas à une sélection de réfugiés.
Le 1er novembre 1994, quelque 19 000 réfugiés bosniaques avaient obtenu un permis de séjour temporaire en vertu de la Loi relative à la Yougoslavie. À cette période a commencé l'examen des demandes d'asile qui avait été reporté. Le 5 juillet 1996, 17 589 de ces réfugiés avaient été reconnus en tant que tels, dont 4 661 aux termes de l'article 1-A de la convention de 1951 et 12 256 en vertu du concept du réfugié tel qu'il existe de facto au Danemark.
Le 18 janvier 1995, le Parlement danois a adopté un amendement à la Loi relative aux étrangers de 1983, amendement qui prévoit que les Bosniaques ayant résidé au Danemark pendant deux ans en vertu de la Loi relative à la Yougoslavie se verront accorder un permis de séjour pour raisons humanitaires si leur demande d'asile a été rejetée. Ce permis pourra leur être retiré dans les trois ans si leur besoin de protection cesse. Ne peuvent bénéficier de cette disposition ceux qui sont concernés par la règle du premier pays d'asile[43]
Et ne peuvent non plus bénéficier de cette disposition ceux qui ont commis une infraction pénale[44]
Le Danemark a pris une série de mesures financières généreuses en faveur des personnes qui sont volontaires pour retourner en Bosnie-Herzégovine, qu'elles aient ou non obtenu le statut de réfugié. Pour instaurer la confiance, les réfugiés de ces deux catégories sont autorisés à revenir au Danemark respectivement dans les six et dans les trois mois, si tel est leur choix.
Le traitement accordé aux réfugiés bosniaques par les autorités danoises a consisté, en grande partie[45]17, en une reconnaissance et une aide généreuses. Suite à la décision des autorités allemandes de mettre fin à la protection temporaire[46]18, le Danemark a annoncé qu'il n'avait pas l'intention de faire de même, car renvoyer dès maintenant les réfugiés « constituerait une menace pour la paix fragile qui est en train de naître » dans un pays où « la situation n'est pas encore stabilisée »[47]
Norvège
À partir d'octobre 1992, la Norvège a accordé une protection temporaire collective aux réfugiés bosniaques, en vertu de l'article 8 de la Loi relative à l'immigration. Cette protection temporaire a pris la forme de permis de séjour de douze mois renouvelables périodiquement jusqu'à ce que les conditions de sécurité en Bosnie-Herzégovine soient suffisantes pour permettre le retour des réfugiés. L'attribution d'une protection temporaire collective a entraîné la suspension de l'examen des demandes d'asile individuelles.
Au milieu de l'année 1993, la Norvège a reçu un nombre de demandeurs d'asile sans précédent ; il s'agissait essentiellement de réfugiés bosniaques n'ayant pas pu demander asile au Danemark ou en Suède après l'introduction dans ces pays de mesures rendant les visas obligatoires. En octobre 1993, la Norvège a adopté des dispositions semblables et le nombre de demandeurs d'asile a chuté de manière significative.
Quelque 20 000 réfugiés d'ex-Yougoslavie ont fui en Norvège, dont environ 12 000 Bosniaques. Le 8 novembre 1996, le ministre norvégien de la Justice a annoncé que ces 12 000 personnes seraient autorisées, pour des raisons humanitaires, à rester en Norvège, déclarant : « Le gouvernement a décidé qu'aucun réfugié bosniaque ne doit être obligé à quitter la Norvège contre son gré. »[48] Amnesty International se félicite de la position des autorités norvégiennes[49] et la considère comme une décision positive allant à l'encontre de la décision des autorités allemandes de renvoyer de force tous les réfugiés bosniaques.
rester en Norvège, déclarant : « Le gouvernement a décidé qu'aucun réfugié bosniaque ne doit être obligé à quitter la Norvège contre son gré. »[50] Amnesty International se félicite de la position des autorités norvégiennes[51] et la considère comme une décision positive allant à l'encontre de la décision des autorités allemandes de renvoyer de force tous les réfugiés bosniaques.
Slovénie
La Slovénie a accordé une protection temporaire aux réfugiés bosniaques en 1992. Par la suite, un décret gouvernemental a interdit l'entrée des réfugiés bosniaques dans ce pays, mais beaucoup ont continué d'arriver et ont obtenu une protection temporaire. Celle-ci a été toutefois accordée de manière exceptionnelle et sous certaines conditions. Les premiers réfugiés à fuir de Bosnie-Herzégovine en Slovénie n'ont bénéficié d'une protection temporaire que pour des raisons humanitaires. Toutefois, en 1994 et en 1995, un nombre plus important de réfugiés se sont vu accorder une protection temporaire, en particulier ceux qui ont fui Srebrenica en juillet 1995.
Les personnes qui souhaitent demander le statut de réfugié en Slovénie en vertu de la convention de 1951 n'ont que trois jours pour le faire ; cette restriction les empêche en pratique d'avoir accès à la procédure d'examen de leur demande. Amnesty International craint que cette mesure restrictive ne prive les personnes ayant fui des atteintes aux droits de l'homme du droit de demander asile aux termes de la convention de 1951. Cette règle des trois jours peut exclure en particulier les réfugiés d'ex-Yougoslavie, y compris les Bosniaques, arrivés en Slovénie en 1992 et qui peuvent être considérés comme n'ayant pas fait leur demande dans les délais requis.
Début 1996, 18 000 réfugiés bosniaques se trouvaient en Slovénie. Le gouvernement slovène avait l'intention de mettre fin à leur protection temporaire le 1er juin 1996, avec l'adoption de lignes directrices prévoyant une suppression progressive de la protection à compter de cette date. Toutefois, face aux vives protestations de l'opinion publique, les autorités slovènes ont prolongé la protection temporaire jusqu'à fin août 1996 pour les réfugiés bosniaques de la Fédération et jusqu'à la fin de l'année 1996 pour ceux de la Republika Srpska. Par la suite, à la mi-août 1996, les autorités slovènes ont prolongé jusqu'au 31 décembre 1996 la protection de tous les réfugiés bosniaques. Il est difficile de dire si cette protection temporaire sera étendue au-delà de cette date. Amnesty International demande instamment aux autorités slovènes de la maintenir en 1997.
L'Organisation croit savoir qu'un projet de loi sur la protection temporaire, examiné par le Parlement slovène en 1996 mais retiré depuis le récent changement de gouvernement, pourrait être intégré dans un projet de loi sur l'asile prévu pour 1997.
Ajouté à la règle des trois jours évoquée ci-dessus, le projet de loi sur la protection temporaire, s'il est adopté sous sa forme actuelle, pourrait supprimer toute protection aux réfugiés en Slovénie et entraîner leur refoulement. Amnesty International renouvelle son appel aux autorités slovènes pour qu'elles respectent leurs obligations internationales en ce domaine et ne renvoient aucun demandeur d'asile dans un pays où il risque de subir de graves atteintes aux droits de l'homme.
Suède
En 1993, la Suède a accordé à la plupart des réfugiés bosniaques une autorisation permanente de séjour pour des raisons humanitaires. Ainsi, sur quelque 125 500 réfugiés d'ex-Yougoslavie, environ 62 000 ont obtenu une protection permanente en Suède pour des raisons humanitaires ou familiales, mais très peu se sont vu accorder l'asile politique. Toutefois, de nombreuses demandes d'asile sont encore en attente de réponse. La responsabilité de trancher les dossiers de certains réfugiés bosniaques a été transférée du Bureau suédois de l'immigration au gouvernement lui-même en mai 1996. Le Bureau de l'immigration a sélectionné un certain nombre de demandes d'asile représentatives et les a confiées au gouvernement afin qu'il prenne une décision politique sur des catégories précises de réfugiés. La décision politique s'appliquerait à tous les dossiers en suspens classés dans ces catégories particulières. L'une d'entre elles concerne les personnes issues de mariages mixtes.
En 1994, la Suède a mis en place une protection temporaire pour les réfugiés bosniaques. En mai 1995, le gouvernement a pris une série de décisions destinées à offrir une protection de six mois aux réfugiés bosniaques ayant un passeport croate. Cette politique a ensuite été appliquée à quelque 5 000 personnes par les autorités chargées de l'immigration. Cette protection temporaire a pris fin en novembre 1995 et les autorités examinent à présent les demandes d'asile de ces réfugiés. Si aucun réfugié de ce groupe n'a été renvoyé de force en Bosnie-Herzégovine ou en Croatie, rien ne garantit que ce ne sera pas le cas dans l'avenir. Une décision gouvernementale du 16 février 1996 sur les réfugiés ayant la double nationalité bosniaque et croate déclarait que si ceux-ci ne pouvaient être renvoyés en Bosnie-Herzégovine, la Croatie était un pays suffisamment sûr pour y retourner. Amnesty International souligne que le renvoi des réfugiés bosniaques en Croatie peut constituer une violation de leur droit à regagner leur foyer tel que garanti dans l'annexe 7 de l'Accord de paix.
En transférant au gouvernement suédois la responsabilité de trancher certains dossiers « typiques » de réfugiés bosniaques, comme indiqué plus haut, le Bureau de l'immigration s'est référé à une coordination internationale des retours, mais a signalé qu'il fallait clairement faire comprendre aux réfugiés qu'ils devaient quitter le pays ; il a ajouté que le gouvernement devait prendre la décision de les renvoyer chez eux. Si Amnesty International se félicite de la protection que la Suède a généreusement accordée à la plupart des réfugiés bosniaques, elle est très préoccupée par la décision gouvernementale du 16 février et par les commentaires du Bureau de l'immigration. Elle réitère en particulier ses craintes, exprimées dans le chapitre I du présent document, que le renvoi de réfugiés bosniaques en Croatie ne provoque de nouvelles atteintes aux droits de l'homme. La Croatie a relogé plus de 14 000 réfugiés bosniaques dans les anciennes zones protégées par les Nations unies (ZPNU) de son territoire[52] La plupart des habitations occupées par ces réfugiés sont probablement celles de Serbes de Croatie chassés de la région et que cette mesure, ainsi que les conditions de sécurité insuffisantes et les obstacles bureaucratiques dressés par les autorités croates, empêchent par conséquent de rentrer chez eux (cf. plus bas la rubrique sur la Croatie).
Suisse
La Suisse a accordé une autorisation d'entrée sur son territoire et une protection temporaires collectives aux réfugiés de Bosnie-Herzégovine en s'appuyant sur la Loi fédérale de 1931 relative aux conditions de séjour des étrangers, ainsi que sur un décret du Conseil fédéral suisse du 21 avril 1993. La validité de ce décret a été prolongée à plusieurs reprises. Le 12 avril 1996, les autorités suisses ont décidé de mettre fin à la protection temporaire des réfugiés à compter du 31 août 1996. Toutefois, en juin 1996, à la suite d'une nouvelle évaluation de la situation en Bosnie-Herzégovine, ainsi que des fortes pressions exercées par les groupes de réfugiés, les autorités suisses sont revenues sur leur décision et ont prolongé la protection temporaire jusqu'au 30 avril 1997 pour les célibataires et les couples sans enfants, et jusqu'au 31 août 1997 pour les familles. Une nouvelle évaluation de la situation en Bosnie-Herzégovine sera faite en mars 1997 et permettra de décider si la protection des réfugiés doit être de nouveau prolongée. Les individus ayant déserté ou s'étant soustraits au service militaire ne seront pas concernés par cette décision.
Au total, quelque 25 000 personnes ont obtenu une protection en Suisse, parmi lesquelles 4 500 bénéficient du statut de réfugié en vertu de la convention de 1951. Ce statut a été accordé principalement en 1991 et en 1992. Parmi les personnes qui ne l'ont pas obtenu, 8 000 vont devoir quitter la Suisse fin avril 1997 et 13 000 fin août 1997, selon s'il s'agit de célibataires et de couples sans enfants ou de familles. Environ un millier de déserteurs ayant fui le service militaire ont été classés dans la même catégorie que les familles et pourront rester jusqu'à ce que des lois d'amnistie satisfaisantes entrent en application (cf. plus haut).
Les pressions exercées sur le HCR
Depuis la signature de l'Accord de paix le 14 décembre 1995, certains pays d'accueil de réfugiés bosniaques exercent des pressions croissantes sur le HCR pour qu'il vérifie si les réfugiés peuvent être renvoyés en toute sécurité en Bosnie-Herzégovine dans l'intérêt de leur retour rapide dans leurs foyers. Comme le demande l'annexe 7 de l'Accord de paix, le HCR a présenté au Groupe de travail chargé des questions humanitaires, le 16 janvier 1996 à Genève, un Plan de rapatriement qui prévoyait que la protection temporaire des réfugiés pourrait prendre fin lorsque les parties auraient répondu aux trois exigences suivantes :
la mise en application des dispositions militaires de l'Accord de paix ;
la proclamation d'une amnistie comme prévu dans l'annexe 7 ;
l'établissement et la mise en uvre de mécanismes de défense des droits de l'homme.
Dans un document récent intitulé Bosnia-Herzégovina: The international community's responsibility to ensure human rights [Bosnie-Herzégovine. La responsabilité de la communauté internationale concernant le respect des droits de l'homme] (op. cit.), Amnesty International a commenté le Plan de rapatriement du HCR et a critiqué le fait que ces trois indicateurs soient estimés suffisants pour décider que la situation des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine permet le retour de la plupart des réfugiés. L'Organisation a souligné que le simple fait de satisfaire à chacune de ces trois exigences ne pouvait en soi suffire à prouver qu'il existait en Bosnie-Herzégovine des conditions de sécurité suffisamment durables pour éliminer tout risque de violence à l'encontre de la majorité des réfugiés à leur retour. Le Plan de rapatriement précise bien que la suppression de la protection temporaire doit se faire de manière coordonnée et multilatérale. Une délégation d'Amnesty International ayant effectué une visite en Bosnie-Herzégovine en juin 1996 a appris que certains gouvernements européens avaient continué à exercer, tout au long de l'année, des pressions sur le HCR pour qu'il déclare possible le renvoi de groupes de réfugiés dans certaines régions des deux entités de Bosnie-Herzégovine. Tout récemment, la liste de 18 (puis 22) régions de la Fédération pouvant bénéficier en premier des efforts de reconstruction, liste présentée par le HCR lors de la Conférence sur la mise en uvre de la paix des 13 et 14 juin 1996 à Florence, a été mal interprétée par les autorités allemandes, qui l'ont utilisée pour justifier la levée de la protection temporaire des réfugiés bosniaques.
Comme indiqué plus haut, les États européens ne peuvent pas déclarer que les réfugiés ont besoin d'une protection, puis décider de manière unilatérale que ce besoin n'existe plus, sans que cette décision ne soit fondée sur des éléments institutionnels. C'est pourquoi Amnesty International rappelle aux États leur obligation internationale de protéger tous les réfugiés jusqu'à ce que ceux-ci n'aient plus besoin de leur protection.
Des conditions de sécurité durables : comment faut-il interpréter ces termes et qui décide que ces conditions sont remplies ?
Amnesty International estime que la protection des réfugiés ne peut être supprimée tant que la situation dans leur pays d'origine ne s'est pas améliorée de manière suffisamment significative et durable pour qu'à leur retour les réfugiés ne risquent pas d'être victimes de graves atteintes aux droits de l'homme. En d'autres termes, des conditions de sécurité durables doivent être établies pour permettre le retour des réfugiés. Cette exigence est soutenue par la conclusion n° 69 du Comité exécutif du HCR relative à la cessation du statut de réfugié en vertu des articles 1-C-5 et 1-C-6 de la convention de 1951. Amnesty International considère que si la protection des réfugiés bosniaques doit être levée, la décision doit être prise en se conformant strictement aux dispositions de la convention de 1951 en la matière, c'est-à-dire aux « clauses de cessation » contenues dans l'article 1-C.
La conclusion n° 69 du Comité exécutif du HCR confirme sa conclusion n° 65. Le HCR soulignait dans cette conclusion qu'il est possible d'appliquer les clauses de cessation pour retirer le statut de réfugié lorsqu'un changement dans la situation d'un pays est d'une nature si profonde et durable que les réfugiés originaires de ce pays n'ont plus besoin d'une protection internationale et ne peuvent plus continuer à refuser de se réclamer de la protection de leur pays. Le HCR précisait qu'il doit toutefois être reconnu que des raisons impérieuses peuvent, pour certains individus, justifier le maintien du statut de réfugié.
Dans sa conclusion n° 69, le HCR définit plus précisément ce qu'il entend par : changement dans la situation d'un pays d'une nature si profonde et durable. Il déclare qu'avant de conclure à la cessation des circonstances justifiant la protection des réfugiés les autorités compétentes doivent vérifier le caractère fondamental des changements intervenus dans le pays dont les réfugiés ont la nationalité ou sont originaires y compris en ce qui concerne la situation générale des droits de l'homme et les raisons particulières de craindre des persécutions , afin de s'assurer de manière objective et contrôlable que la situation qui justifiait l'attribution du statut de réfugié n'existe plus.
Enfin, la conclusion n° 69 du HCR précise que le principal critère de décision doit être le caractère fondamental, stable et durable du changement.
Cette exigence, ainsi que l'importance donnée à la situation générale des droits de l'homme dans le pays, rejoignent la position sans cesse défendue par Amnesty International, selon laquelle il est indispensable que des conditions durables de sécurité soient réunies dans le pays d'origine des réfugiés pour qu'ils puissent y retourner. Or, la situation des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine, plus d'un an après la signature de l'Accord de paix, ne traduit pas de changements fondamentaux, stables et durables par rapport aux politiques sous-jacentes qui ont caractérisé le conflit.
Enquête sur la situation des droits de l'homme et surveillance de l'évolution de la situation
Les informations sur les atteintes aux droits de l'homme rapportées par l'OSCE, le HCR et d'autres organismes internationaux qui pourraient servir à déterminer s'il existe des conditions durables de sécurité en Bosnie-Herzégovine restent insuffisantes. Il est indispensable que la Mission de l'OSCE en Bosnie-Herzégovine, en collaboration étroite avec le HCR et les autres organismes internationaux, fasse une enquête approfondie sur la situation des droits fondamentaux des réfugiés et des personnes déplacées et qu'elle publie à ce sujet des rapports fréquents et exhaustifs. Ces rapports permettront de fonder sur des informations complètes et récentes toute décision relative à l'existence ou non de conditions durables de sécurité dans le pays.
Si, dans l'avenir, une évaluation de la situation des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine conclut que les réfugiés et les personnes déplacées peuvent rentrer en toute sécurité, il conviendra malgré tout d'examiner les cas individuels. Amnesty International est favorable au principe selon lequel si la protection d'un groupe dans son ensemble est supprimée, tout individu de ce groupe exprimant le souhait de pas rentrer chez lui par crainte de subir de graves atteintes aux droits de l'homme doit avoir accès à une procédure équitable et satisfaisante de demande d'asile individuelle. Cette procédure doit aussi prendre en compte certaines catégories de personnes à qui l'on ne peut raisonnablement pas demander de retourner dans un lieu qu'elles ont des raisons impérieuses de fuir ; c'est le cas, par exemple, des femmes qui ont été violées[53]
Exercer des pressions sur les parties et non sur le HCR pour que les réfugiés puissent rentrer en toute sécurité
Le HCR a souligné que la situation en Bosnie-Herzégovine ne permettait pas aux réfugiés de rentrer chez eux et que leur protection temporaire dans les pays d'accueil ne devait pas cesser[54] Amnesty International juge donc déplacées et inopportunes les pressions exercées sur le HCR par les pays d'accueil. La récente décision allemande de supprimer unilatéralement la protection temporaire et de commencer à renvoyer les réfugiés vers 22 régions, décision fondée sur une mauvaise interprétation des déclarations du HCR, laisse supposer l'existence d'un autre objectif derrière les pressions exercées sur cet organisme pour qu'il autorise les premiers retours. De l'avis d'Amnesty International, le HCR reste profondément préoccupé par le fait que les parties ne respectent guère les principes fondamentaux contenus dans l'annexe 7 de l'Accord de paix (cf. plus bas).
L'Organisation considère qu'il faut plutôt exercer des pressions sur les parties pour qu'elles mettent fin aux atteintes systématiques aux droits de l'homme qui continuent d'être commises en Bosnie-Herzégovine. Elle estime également que ces pressions doivent avoir pour résultat d'amener les différentes parties à cesser leur politique d'opposition au retour des personnes déplacées et des réfugiés dans des zones où leur nationalité serait minoritaire, ainsi qu'à ne plus manipuler les personnes déplacées. Les parties doivent s'engager publiquement à assurer la protection de tous les candidats au retour. Amnesty International s'inquiète de déclarations récentes selon lesquelles les réfugiés et les personnes déplacées ne seraient pas autorisés à regagner leurs foyers[55] Cet engagement doit être pris par toutes les parties à l'Accord de paix envers la totalité des candidats au retour, et être suivi de garanties effectives permettant leur retour (cf. plus haut la rubrique sur la liberté de circulation).
Les autres républiques d'ex-Yougoslavie
On estime à environ 525 000 le nombre de réfugiés bosniaques se trouvant encore dans d'autres républiques d'ex-Yougoslavie. Ces réfugiés doivent recevoir le même degré de protection que celui dont ils bénéficient dans les autres pays d'accueil. À ce propos, la Croatie, la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), l'Ex-République yougoslave de Macédoine et la Slovénie sont toutes parties à la convention de 1951 et sont liées par ses dispositions, en particulier par le principe fondamental du non-refoulement énoncé dans son article 33-1.
Les réfugiés en République fédérative de Yougoslavie (en provenance de Bosnie-Herzégovine et de Croatie)
De nombreux citoyens de la République fédérative de Yougoslavie ont fui leur pays à différents stades du conflit en ex-Yougoslavie et ont cherché refuge à l'étranger. Cependant, la République fédérative de Yougoslavie a elle-même accueilli un grand nombre de réfugiés. En effet, le conflit entre la Croatie et ce qui était alors la République socialiste fédérative de Yougoslavie a amené beaucoup de Serbes à fuir la Croatie en 1991 et en 1992. Ceux-ci ont été suivis par de nombreux Serbes de Bosnie en 1992. L'afflux de réfugiés en République fédérative de Yougoslavie a atteint son maximum avec l'exode massif de l'été 1995, au cours duquel environ 200 000 Serbes ont fui la région de la Krajina de Croatie qui avait été reprise par l'armée croate. À la fin de l'année, la République fédérative de Yougoslavie comptait plus de 560 000 réfugiés sur son territoire, essentiellement des Serbes originaires de Croatie et de Bosnie-Herzégovine.
Le renvoi forcé des réfugiés installés en République fédérative de Yougoslavie
En juin 1995, quelque 4 000 hommes serbes en âge de porter les armes réfugiés en Serbie ont été renvoyés de force dans les zones de Bosnie-Herzégovine et de Croatie contrôlées par les Serbes pour y être incorporés dans les forces armées serbes locales. En août 1995, un nombre encore plus important de réfugiés ayant fui la région de la Krajina de Croatie après que l'armée croate en eut repris le contrôle auraient été arrêtés par la police serbe. Beaucoup ont été interpellés dans des centre d'accueil de réfugiés. Il ont été expulsés vers les zones de Bosnie-Herzégovine contrôlées par les Serbes et mobilisés par les forces armées serbes locales. Les anciens réfugiés incorporés dans l'armée auraient été maltraités pour avoir « trahi la cause serbe ».
Les réfugiés ayant fui la République fédérative de Yougoslavie
De leur côté, des milliers de Croates et de Hongrois ont fui la Serbie après avoir reçu des menaces ou avoir vu leurs biens détruits par des extrémistes, des réfugiés et des paramilitaires serbes. D'autres ont fui parce qu'ils appartenaient à des familles d'origine mixte et qu'ils étaient souvent considérés comme suspects dans leur communauté du fait qu'ils avaient du mal à se situer dans les catégories nationales et les loyalismes simplificateurs imposés par la guerre. Des milliers de jeunes hommes ont fui pour ne pas avoir à participer au conflit. Ainsi, en 1991, en République socialiste fédérative de Yougoslavie, plus de la moitié des jeunes appelés se seraient soustraits à leurs obligations, parmi lesquels beaucoup de Serbes et de Monténégrins. Plus tard dans le conflit, plusieurs centaines de milliers d'Albanais de souche, en majorité des jeunes hommes, ont fui le pays pour éviter d'avoir à servir dans l'armée.
Au fur et à mesure de l'escalade du conflit et de son extension à la Bosnie-Herzégovine, la situation des droits de l'homme a empiré pour les minorités ethniques de Serbie et du Monténégro, en particulier pour les Albanais de souche de la province du Kosovo et les Musulmans slaves de la région du Sandjak. Si la situation dans cette dernière région s'est quelque peu améliorée, celle du Kosovo reste préoccupante.
Les réfugiés originaires de régions de l'ex-Yougoslavie autres que la Bosnie-Herzégovine ont bénéficié, dans certains pays d'accueil[56]7, d'une protection temporaire semblable à celle accordée aux réfugiés bosniaques, même si depuis, un certain nombre d'États ont mis fin à cette protection[57]
L'exemple le plus récent de suppression de la protection de ces réfugiés est l'accord bilatéral conclu en octobre 1996 entre l'Allemagne et la République fédérative de Yougoslavie. Cet accord prévoit le rapatriement des personnes originaires de ce pays sur une période de deux à trois ans à compter de décembre 1996. Quelque 135 000 réfugiés de la République fédérative de Yougoslavie se trouvent actuellement en Allemagne, parmi lesquels une majorité d'Albanais de souche. Amnesty International rappelle aux pays d'accueil que les accords de rapatriement bilatéraux ne doivent pas se faire aux dépens de la protection des réfugiés. Personne ne doit être renvoyé dans un pays où il risque d'être victime de graves atteintes aux droits de l'homme. En conséquence, les autorités allemandes doivent veiller à ne rapatrier en République fédérative de Yougoslavie aucun individu risquant d'y subir des violences à son retour.
Amnesty International a eu connaissance de mauvais traitements infligés à des demandeurs d'asile en provenance du Kosovo après leur retour en République fédérative de Yougoslavie, alors même que les autorités allemandes avaient, semble-t-il, reçu des garanties de sécurité de la part de leurs homologues yougoslaves, qui avaient assuré que les réfugiés ne feraient l'objet d'aucun harcèlement à leur retour[58]
Les dispositions de l'Accord de paix ne s'appliquent pas à la République fédérative de Yougoslavie, sauf en ce qui concerne ses liens avec la Republika Srpska, qu'elle a représentée à la conférence sur la paix de Dayton. De ce fait, l'annexe 7[59] ne s'applique pas au territoire de la République fédérative de Yougoslavie. Par conséquent, si la protection temporaire des réfugiés bosniaques est levée, elle ne doit pas l'être en même temps pour les réfugiés en provenance de la République fédérative de Yougoslavie, à moins que des observateurs indépendants chargés de veiller au respect des droits de l'homme ne concluent à l'existence de conditions durables de sécurité en République fédérative de Yougoslavie. Cette exigence est la même que celle requise par Amnesty International avant toute proposition de rapatriement en Bosnie-Herzégovine (cf. plus bas). Comme pour les réfugiés bosniaques, tout individu exprimant le désir de ne pas retourner en République fédérative de Yougoslavie doit avoir accès à une procédure équitable et satisfaisante de demande d'asile individuelle dans le pays d'accueil.
Croatie
La Croatie accueille actuellement quelque 170 000 réfugiés de Bosnie-Herzégovine, auquels viennent s'ajouter approximativement 250 000 personnes déplacées à l'intérieur même de la Croatie. Parallèlement, environ 250 000 Serbes de Croatie sont réfugiés en République fédérative de Yougoslavie, et quelque 80 000 se trouvent en Bosnie-Herzégovine. Amnesty International est préoccupée par le fait que les autorités croates n'accordent pas une protection adéquate aux réfugiés bosniaques. Entre 1992 et début 1996, de nombreux cas de refoulement ont été constatés.
En Croatie, la population serbe restée en Krajina a été soumise à un harcèlement faisant naître des craintes pour sa sécurité et décourageant le retour dans leurs foyers des réfugiés serbes de Croatie[60] Les obstacles bureaucratiques dressés par les autorités croates ont aussi empêché les Serbes de Croatie réfugiés en République fédérative de Yougoslavie de rentrer chez eux.
Par ailleurs, les réfugiés croates de Bosnie ont été renvoyés en Croatie par certains États européens sous prétexte qu'ils avaient la double nationalité croate et bosniaque. La Croatie a relogé plus de 14 000 réfugiés bosniaques dans des habitations appartenant à des Serbes chassés des anciennes zones protégées par les Nations unies (ZPNU) de la Krajina, comme indiqué plus haut.
Les observateurs chargés de veiller au respect des droits de l'homme
Il est indispensable que la situation des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine soit surveillée de manière efficace afin qu'il soit possible de déterminer si les conditions de sécurité sont suffisamment durables pour permettre le retour des réfugiés. À la veille de la Conférence sur la mise en uvre de la paix qui s'est tenue à Florence les 13 et 14 juin 1996, Amnesty International a publié un document intitulé Bosnia-Herzegovina: The international community's responsibility to ensure human rights [Bosnie-Herzégovine. La responsabilité de la communauté internationale concernant le respect des droits de l'homme] (op. cit.). Ce document examinait la mise en uvre, par la communauté internationale, des engagements relatifs aux droits de l'homme contenus dans l'Accord de paix. Il comprenait de nombreuses recommandations aux diverses organisations intergouvernementales chargées de l'application de l'Accord de paix et leur demandait de renforcer la défense des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine, y compris par la surveillance et l'établissement de rapports à ce sujet. Amnesty International a fait d'autres recommandations, notamment à l'occasion de la Conférence sur la mise en uvre de la paix de Londres. Parmi celles-ci figurait la nécessité pour la communauté internationale de mettre au point un programme d'action relatif aux droits de l'homme en collaboration avec le Haut Représentant. L'Organisation précisait également que ce dernier devait être investi du pouvoir et de la responsabilité de faire appliquer ce programme et veiller à ce que des rapports réguliers et complets sur la situation des droits de l'homme soient acessibles au public.
Amnesty International continue de déplorer le manque d'informations sur la situation des droits de l'homme qui permettraient de déterminer si les réfugiés peuvent rentrer chez eux en toute sécurité. Sans informations satisfaisantes à ce sujet, les réfugiés ne peuvent pas décider en connaissance de cause de rentrer ou non.
Depuis mars 1996, le HCR a publié un certain nombre de rapports d'information relatifs au rapatriement, couvrant chacun une municipalité en particulier. Si Amnesty International reconnaît que ces rapports contiennent des informations exactes et factuelles sur certains aspects pratiques intéressants pour les Bosniaques, elle ne considère pas qu'ils constituent, ou tentent de constituer, une évaluation de la situation des droits de l'homme dans les différentes municipalités de Bosnie-Herzégovine[61] Tant que l'OSCE n'examinera, ne contrôlera et ne signalera pas les atteintes aux droits de l'homme[62]13, il existera un vide évident dans la surveillance indispensable de ces droits en Bosnie-Herzégovine. Il est essentiel que le Haut Représentant, en étroite collaboration avec le HCR, veille à ce que les organisations internationales participant à la surveillance de la situation des droits de l'homme mènent une enquête approfondie à ce sujet eu égard aux réfugiés et aux personnes déplacées et publient sans délai des rapports fréquents et complets. La communauté internationale disposera ainsi d'informations complètes pour déterminer s'il existe des conditions durables de sécurité dans le pays.
Toute évaluation par les organisations internationales de la situation des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine doit comprendre une enquête sur le respect des dispositions de l'annexe 7 (Réfugiés et personnes déplacées) de l'Accord de paix. Or, l'annexe 7 n'a cessé d'être bafouée, tout comme d'autres dispositions de l'Accord de paix. Ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, le HCR continue de déplorer le fait que les parties ne respectent guère les principes fondamentaux de l'annexe 7 qui, tout comme le principe de la liberté de circulation prévu dans l'annexe 6, ne sont toujours pas appliqués plus d'un an après la signature de l'Accord de paix.
Mécanismes efficaces de défense des droits de l'homme et État de droit
La troisième exigence indiquée par le HCR dans son Plan de rapatriement avant toute levée de la protection temporaire des réfugiés, c'est-à-dire l'établissement et la mise en uvre de mécanismes de défense des droits de l'homme, n'a pas été respectée par les parties. Toute évaluation relative à l'existence de conditions durables de sécurité en Bosnie-Herzégovine doit comprendre une enquête sur la mise en place et le fonctionnement effectifs de tels mécanismes, en plus de la capacité de chaque entité à protéger efficacement les réfugiés qui rentrent, en particulier s'ils appartiennent à une minorité.
Une fois qu'il aura été décidé, en fonction de la situation des droits de l'homme, que les conditions de sécurité sont suffisamment durables pour permettre le retour des réfugiés, et que ce retour est réalisable (par exemple, en ce qui concerne la capacité des différentes zones d'accueil prévues en Bosnie-Herzégovine face à un afflux de réfugiés qui rentrent), la suppression de la protection temporaire doit se faire de manière coordonnée. Ainsi, les pays d'asile et les pays d'origine des réfugiés devront, comme il se doit, établir leurs programmes en concertation avec le HCR et les autres organismes internationaux. Ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, en cas de levée de la protection temporaire, tout individu exprimant le souhait de ne pas rentrer par crainte de subir de graves atteintes aux droits de l'homme doit avoir accès à une procédure équitable et satisfaisante de demande d'asile individuelle.
Les retours volontaires
Nous avons évoqué plus haut, dans le présent document, les difficultés et la violence rencontrées par les candidats au retour lors du franchissement de la Ligne de démarcation entre les entités ou lors de "visites d'évaluation". Ces visites n'impliquent pas le retour dans leurs foyers des personnes déplacées, mais sont des séjours de courte durée destinés à rétablir la confiance en vue d'un éventuel retour futur. Toutefois, ces retours s'avèrent impossibles du fait de la violence organisée qui entrave souvent les visites et qui constitue une violation directe du principe de la liberté de circulation et des garanties de l'annexe 7 de l'Accord de paix.
Même les projets pilotes, mentionnés dans le chapitre 1 de ce document et destinés à permettre le retour de personnes déplacées à l'intérieur de la Fédération, se sont avérés difficiles à mettre en uvre, en particulier pour la ville de Stolac. Depuis la signature de l'Accord de Washington en 1994, la communauté internationale oeuvre pour la mise en place de la Fédération, quoiqu'avec moins de vigueur que depuis la signature de l'Accord de Dayton, mais cette mise en place n'est toujours pas achevée et le retour des personnes déplacées à l'intérieur de ce territoire reste un problème. La résistance à la construction de la Fédération et aux retours vient essentiellement du camp bosno-croate. Les tentatives visant à assurer le retour volontaire des personnes déplacées entre les deux entités ont entraîné encore plus de problèmes et de violence. Dans les deux cas (retours entre les deux entités et à l'intérieur de la Fédération), les problèmes ont été créés ou exacerbés par les autorités aussi bien locales que centrales. Amnesty International considère qu'il faut continuer à exercer des pressions sur les autorités concernées, afin qu'elles inversent leur politique et garantissent la sécurité de ceux qui reviennent en visite ou définitivement.
Comment peut-on déterminer si une décision de rentrer est prise librement et en toute connaissance de cause ?
Le premier élément donnant aux réfugiés la possibilité de décider librement et en toute connaissance de cause de rentrer chez eux est l'existence d'informations complètes, fiables et objectives sur la situation des droits de l'homme dans leur pays d'origine. Pour pouvoir fournir de telles informations, l'organisme chargé de surveiller la situation doit être totalement impartial, expérimenté et indépendant, afin que l'objectivité de ses rapports soit clairement garantie. Ses rapports doivent être fréquents et complets et traiter de la situation des droits de l'homme dans toutes les zones prévues pour accueillir des candidats au retour. Comme indiqué plus haut, Amnesty International déplore l'insuffisance des informations sur la situation des droits de l'homme fournies par la Mission de l'OSCE qui permettraient de juger si les conditions de sécurité sont suffisamment durables pour autoriser le retour des réfugiés.
Jusqu'à présent, la Mission de l'OSCE a été limitée par un manque de personnel qui l'a empêchée de remplir ces fonctions essentielles. Par ailleurs, elle s'est détournée sensiblement du problème de la surveillance des droits de l'homme, et des enquêtes à ce sujet, depuis le début de l'été, afin de se consacrer avant tout, conformément aux directives, aux élections nationales de septembre. Ses observateurs doivent maintenant faire en sorte que des informations soient rassemblées dans le but d'élaborer des rapports sur les droits de l'homme. Ces rapports devront être distribués régulièrement aux personnes déplacées et aux réfugiés, afin de permettre aux candidats au retour d'évaluer la situation des droits de l'homme au fil du temps.
Les rapatriements doivent être volontaires, sûrs et individuels
L'exigence selon laquelle tous les retours doivent être volontaires est une norme internationale fondamentale de protection. Les gouvernements des pays d'accueil doivent se conformer aux normes internationales relatives au rapatriement des réfugiés qui disposent explicitement que tout rapatriement doit avoir un caractère volontaire, sûr et individuel. L'exigence du libre consentement est très explicitement énoncée dans la conclusion n° 40-b du Comité exécutif du HCR, qui déclare que :
« Les réfugiés ne doivent être rapatriés que s'ils en expriment librement le désir ; le caractère librement consenti et individuel du rapatriement des réfugiés et la nécessité d'effectuer ce rapatriement dans des conditions de sécurité absolue, de préférence au lieu de résidence des réfugiés dans le pays d'origine, doivent toujours être respectés. »
Les garanties pour un retour librement consenti
Le retour volontaire se faisant normalement dans le cadre d'un processus selon lequel une personne qui se trouve hors de son pays d'origine reçoit une aide pour y retourner, les deux entités de Bosnie-Herzégovine doivent garantir qu'aucun réfugié ne sera, à son retour, victime de harcèlement, de menaces, de mise en détention, de discriminations ni d'aucun autre mauvais traitement. Ces garanties doivent être renforcées par un État de droit et donner aux réfugiés des droits pouvant être appliqués. Une amnistie doit être accordée à ceux qui ont déserté ou qui se sont soustraits au service militaire afin de les encourager à rentrer, mais aucun réfugié ne doit être soumis au service militaire à son retour s'il s'y oppose pour des raisons de conscience. Les pays d'accueil et les deux entités doivent continuer à coopérer pleinement avec le HCR et veiller à ce que celui-ci ait accès librement et sans entrave à tous les réfugiés rapatriés, afin de pouvoir surveiller la situation.
Comme indiqué au chapitre I du présent document, la communauté internationale doit prendre des mesures correctives si elle veut favoriser le retour librement consenti des réfugiés. Parmi ces mesures, il est avant tout essentiel de s'attaquer avec honnêteté et exhaustivité aux problèmes de la vérité et de la justice, qui restent des sujets très sensibles pour les citoyens de Bosnie-Herzégovine.
Recommandations d'Amnesty International relatives à la protection des réfugiés et des personnes déplacées :
I. Aucun État ne doit prévoir de lever la protection temporaire accordée aux réfugiés d'ex-Yougoslavie, ni de les rapatrier, tant que des conditions durables de sécurité ne seront pas établies dans leur pays d'origine.
II. Toute évaluation de la situation des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine permettant aux réfugiés de décider de rentrer doit être faite par des observateurs indépendants, expérimentés et impartiaux.
III. Des pressions doivent être exercées sur les parties pour qu'elles garantissent la sécurité des réfugiés à leur retour. Les organismes tels que le HCR doivent pouvoir se consacrer à leur mission de protection des réfugiés.
IV. Les principes contenus dans l'annexe 7 de l'Accord de paix doivent être intégralement respectés.
V. Lors de la levée de la protection temporaire, tout réfugié qui exprime le désir de ne pas rentrer par crainte de subir de graves atteintes aux droits de l'homme doit avoir accès à une procédure individuelle de demande d'asile dans le pays d'accueil.
VI. Une attention particulière doit être apportée aux individus originaires de régions où leur nationalité est minoritaire, à ceux qui sont issus de mariages mixtes et aux objecteurs de conscience au service militaire.
VII. Des principes de protection similaires doivent être appliqués aux personnes déplacées à l'intérieur du pays lors du retour dans leur foyer.
VIII. Tout rapatriement doit être abordé de manière coordonnée par les pays d'accueil, les pays où les réfugiés sont renvoyés et le HCR.
IX. Pour instaurer la confiance, les pays d'accueil doivent garantir aux candidats au retour en Bosnie-Herzégovine qu'ils auront la possibilité de revenir dans le pays d'accueil si la situation dans leur pays se dégrade à nouveau.
X. Le Haut Représentant et la Force de police internationale (IPTF), en coopération avec les autres membres de l'Équipe spéciale chargée des droits de l'homme, doivent surveiller avec efficacité la situation des droits de l'homme et enquêter à ce sujet ; ils doivent également donner des informations fréquentes et complètes accessibles aux réfugiés et aux personnes déplacées, afin de leur permettre de déterminer en toute connaissance de cause si les conditions de sécurité sont suffisantes pour rentrer ; enfin, ils doivent assurer la protection de ces personnes après leur retour.
XI. La communauté internationale doit immédiatement prendre des mesures pour faire cesser les agressions dont sont victimes les réfugiés et les personnes déplacées lors de leurs visites dans leur région d'origine. L'IFOR et le Haut Représentant doivent, en toute priorité, mettre en place des mesures efficaces permettant à ces personnes d'effectuer des visites d'évaluation en toute sécurité.
XII. Les recommandations formulées dans le document d'Amnesty International publié en juin 1996 et intitulé Bosnia-Herzegovina: The international community's responsibility to ensure human rights [Bosnie-Herzégovine. La responsabilité de la communauté internationale concernant le respect des droits de l'homme] doivent être appliquées. Pour permettre aux réfugiés et aux personnes déplacées d'exercer leur droit au retour, la communauté internationale doit immédiatement prendre des mesures visant à régler les problèmes de la justice et de la vérité en ce qui concerne les atteintes aux droits de l'homme commises en Bosnie-Herzégovine.
[1]. Le texte de l'Accord de paix est disponible sur Internet à l'adresse URL suivante : http://www.nato.int/ifor/gfa/gfa-home.htm
[2]. United Nations High Commissioner for Refugees (UNHCR) Information Notes on Bosnia-Herzegovina and other republics August/September 1996 [Notes d'information du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) sur la Bosnie-Herzégovine et les autres républiques août/septembre 1996]. Ces chiffres sont qualifiés de suppositions-estimations.
[3]. Estimations fournies par l'Initiative démocratique des Serbes de Sarajevo, organisation composée de Bosno-serbes qui sont restés dans les faubourgs de Sarajevo après leur transfert de la Republika Srpska à la Fédération.
[4]. Cf. par exemple le document d'Amnesty International intitulé Bosnie-Herzégovine. Flagrantes atteintes aux droits fondamentaux de l'homme (index AI : EUR 63/01/92). Les pages 16 à 18 décrivent l'expulsion par le train de Musulmans de Bosanski Novi (aujourd'hui rebaptisé Novi Grad par les autorités de la Republika Srpska) et des villages environnants. La page 40 raconte l'expulsion de Musulmans de Kozluk en car et en train vers la République fédérative de Yougoslavie, puis la Hongrie.
[5]. Cf. Bosnie-Herzégovine. Viols et sévices sexuels pratiqués par les forces armées (index AI : EUR 63/01/93).
[6]. L'article 1-C-5 de la Convention relative au statut des réfugiés (1951) dispose qu'on ne peut supprimer la protection dont bénéficie un réfugié « qui peut invoquer, pour refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures ».
[7]. Cf. Bosnie-Herzégovine. La population du Centre et du Sud-Ouest prise au piège de la violence (index AI : EUR 63/01/94).
[8]. Cf. Bosnia-Herzegovina: The international community's responsibility to ensure human rights [Bosnie-Herzégovine. La responsabilité de la communauté internationale concernant le respect des droits de l'homme] (op. cit.).
[9]. Cf. Bosnia-Herzegovina: The international community's responsibility to ensure human rights [Bosnie-Herzégovine. La responsabilité de la communauté internationale concernant le respect des droits de l'homme] (op. cit).
[10]. Les postes de médiateurs ont été créés, avec le soutien de l'OSCE (à l'époque encore appelée CSCE, Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe), par la Constitution de la Fédération établie à Washington en mars 1994. Les trois médiateurs sont respectivement musulman, serbe et croate.
[11]. Report of the Secretary-General pursuant to Security Council Resolution 1035 (1995) [Rapport du secrétaire général conformément à la résolution 1035 du Conseil de sécurité (1995)], 1er octobre 1996, document ONU S/1996/820. Le HCR donne un chiffre encore plus bas avec 13 500 personnes (Notes d'information août/septembre 1996).
[12]. HCR, Information Notes [Notes d'information], août/septembre 1996.
[13]. Further Report on the Situation of Human Rights in Croatia Pursuant to Security Council Resolution 1019 (1995) [Nouveau rapport sur la situation des droits de l'homme en Croatie conformément à la résolution 1019 du Conseil de sécurité (1995)], document ONU S/1996/691, 23 août 1996. Une autorisation officielle aurait été accordée à 9 253 personnes. La majorité d'entre elles étaient âgées de soixante ans et plus.
[14]. Cf. Préoccupations d'Amnesty International en Europe. Janvier-juin 1996 (index AI : EUR 01/02/96).
[15]. Le nombre de personnes déplacées en Croatie est actuellement difficile à établir, car certaines ont pu retourner dans les régions reprises par l'armée croate en 1995.
[16]. Accord-cadre général, Annexe 7, art. I, alinéas 1 et 2.
[17]. Accord-cadre général, Annexe 7, chapitre II.
[18]. Groupe de travail sur les problèmes humanitaires, document HLWM/96/1.
[19]. Reuter, 6 novembre 1996, citant le porte-parole du HCR, Kris Janowsky.
[20]. Alija Izetbegovic était alors président de la République de Bosnie-Herzégovine. Lors des élections de septembre 1995, il a été élu à l'un des trois sièges de la présidence collective du pays dont il a pris la présidence en tant que candidat ayant recueilli le plus grand nombre de voix.
[21]. Accord-cadre général, Annexe 7, art. VI.
[22]. L'Initiative démocratique des Serbes de Sarajevo affirme déjà que des Serbes de cette ville sont appelés dans les rangs dans le but délibéré de les harceler. Amnesty International n'a pas encore pu vérifier ces accusations.
[23]. Cette analyse s'appuie sur une copie du projet de loi. Amnesty International n'a pas été informée de modifications ayant été apportées avant que le texte n'entre en vigueur.
[24]. Communiqué de l'agence de presse yougoslave Tanjug, 3 octobre 1993.
[25]. Accord-cadre général, Annexe 3, art. 2, alinéa 4.
[26]. Cf. Why the Bosnian elections must be postponed [Pourquoi les élections en Bosnie doivent-elles être reportées], rapport n° 14 du Groupe de crise international, 14 août 1996, et Conditions for free and fair political campaigning are still lacking in Bosnia and Herzégovina [Les conditions nécessaires à une campagne politique libre et équitable ne sont toujours pas réunies en Bosnie-Herzégovine], communiqué de presse de la Fédération internationale Helsinki pour les droits de l'homme, Sarajevo et Vienne, 29 août 1996.
[27]. Les tchetniks étaient les partisans serbes royalistes et anticommunistes pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce terme est aujourd'hui utilisé de manière péjorative par les Musulmans pour désigner les soldats serbes ou tout Serbe soupçonné d'être favorable à l'Armée serbe de Bosnie, ainsi que les Serbes de la République fédérative de Yougoslavie qui lui apportent leur soutien.
[28]. Pour une description des graves atteintes aux droits de l'homme commises à la suite de la chute de l'enclave, cf. Bosnie-Herzégovine. « Pour pouvoir enterrer mes frères » (index AI : EUR 63/15/96).
[29]. Cf. Bosnie-Herzégovine. Rechercher les auteurs présumés de crimes de guerre. Lettre ouverte d'Amnesty International aux commandants de la Force de mise en uvre (IFOR) et aux gouvernements qui y participent (index AI : EUR 63/08/96) ; Bosnie-Herzégovine. Amnesty International réitère ses appels à la Force de mise en uvre (IFOR) pour qu'elle respecte le droit international (index AI : EUR 63/11/96) ; et Bosnia-Herzegovina: The international community's responsibility to ensure human rights (index AI : EUR 63/14/96) [Bosnie-Herzégovine. La responsabilité de la communauté internationale concernant le respect des droits de l'homme].
[30]. L'article 1 de cette convention définit comme réfugié toute personne qui « ... craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner... ».
[31]. Cf. plus bas la rubrique sur le Danemark.
[32]. Réunion informelle sur la protection temporaire, note d'information du paragraphe 15.
[33]. Cf. les conditions de cessation du statut de réfugié dans l'article 1-C de la convention de 1951.
[34]. Cette décision a été prise au cours d'une réunion entre les autorités fédérales allemandes et les Länder (États fédérés). Elle a été suivie d'un Accord de rapatriement conclu le 20 novembre 1996 entre l'Allemagne et la Bosnie-Herzégovine, accord qui prévoit le rapatriement d'un premier groupe de 70 000 à 90 000 réfugiés d'ici à juin 1997 (cf. ci-après la rubrique sur l'Allemagne).
[35]. Les États passés en revue dans cette partie du présent document constituent une sélection représentative des pays d'accueil européens, ce qui ne signifie pas que les pays non cités ne sont pas concernés par les recommandations de ce document.
[36]. Annoncée lors de la Conférence sur la mise en uvre de la paix qui s'est tenue à Florence les 13 et 14 juin 1996 (cf.plus bas).
[37]. Déclaration du porte-parole du HCR, Christiane Berthiaume, qui a dit regretter profondément la décision unilatérale des autorités allemandes (Reuter, 20 septembre 1996). De son côté, Selim Beslagic, maire de Tuzla, a affirmé au cours d'une conférence de presse à Bonn : « Vous ne pouvez pas résoudre le problème en vous contentant de chasser les gens [ ] Nous souhaitons aussi que les réfugiés reviennent en Bosnie, mais [leur retour] doit être soigneusement préparé pour éviter de nouvelles tensions » (Reuter, 9 octobre 1996). Par la suite, le gouvernement bosniaque a conclu un Accord de rapatriement avec l'Allemagne.
[38]. Déclaration du ministre de l'Intérieur, Manfred Kanther (Reuter, 20 novembre 1996). Voir aussi, plus bas, l'Accord de rapatriement conclu entre l'Allemagne et la République fédérative de Yougoslavie en octobre 1996.
[39]. Les événements liés à la chute de la soi-disant « zone de sécurité » de Srebrenica en juillet 1995 démontrent les risques inhérents à toute politique de protection géographiquement limitée. Cf. Bosnie-Herzégovine. « Pour pouvoir enterrer mes frères. » (op. cit.).
[40]. Tels que définis dans les différents décrets, le dernier datant du 28 juin 1996.
[41]. Loi n° 933.
[42]. C'est ce qu'on appelle le principe du pays tiers sûr, très répandu dans les pays européens, qui permet à un État de renvoyer un demandeur d'asile dans un pays qu'il vient de traverser si celui-ci est sûr. Amnesty International a eu connaissance de nombreux cas de demandeurs d'asile renvoyés de pays en pays parce que les États ne parvenaient pas à se mettre d'accord sur celui qui devait examiner la demande. D'autres demandeurs d'asile ont vu leur requête rejetée sans réel examen et ont été renvoyés uniquement pour des raisons de procédure, étant parfois refoulés vers leur pays d'origine, où ils risquaient d'être victimes de graves atteintes aux droits de l'homme.
[43]. Cette mesure restrictive empêche souvent les demandeurs d'asile d'obtenir une protection dans un État du fait qu'ils ont traversé un autre pays après avoir fui le leur et qu'ils auraient dû demander asile dans le premier pays où ils sont arrivés. Cette disposition ne figure pas dans la Convention relative au statut des réfugiés (1951). Dans son commentaire sur cette convention, Paul Weiss, décrivant les travaux préparatoires relatifs à l'article 31, déclarait que le libellé proposé « ne pouvant pas trouver asile, même temporairement, dans un pays autre que celui où sa vie ou sa liberté seraient menacées » n'avait pas été adopté. Il ajoutait qu'on ne pouvait demander à un réfugié de prouver qu'il avait cherché à trouver asile dans un autre pays, ou qu'il aurait pu le faire.
[44]. Il s'agit de ceux qui sont reconnus coupables d'une infraction pénale dans un pays d'accueil, tandis que l'article 33-2 de la convention de 1951 autorise l'expulsion d'un réfugié « ... qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ». Amnesty International estime que personne ne doit être renvoyé dans un pays où il risque de subir de graves atteintes aux droits de l'homme, quelles qu'aient été ses activités criminelles, aussi bien dans le pays d'origine que dans le pays d'accueil. En ce qui concerne ce dernier cas, l'Organisation considère que ces personnes peuvent être jugées, reconnues coupables et condamnées dans le pays d'accueil pour l'infraction commise. Amnesty International souligne que le principe du non-refoulement, tel qu'il est défini dans l'article 33-1 de la convention de 1951 et dans l'article 3-1 de la Convention [des Nations unies] contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est un principe absolu.
[45]. À l'exception de l'exigence de visas imposée à partir de juin 1993.
[46]. Cf. plus haut rubrique sur l'Allemagne.
[47]. Reuter, 20 septembre 1996, citant le ministre danois de l'Intérieur, Birte Weiss.
[48]. Reuter, 8 novembre 1996.
[49]. À la suite de cette décision, la section norvégienne d'Amnesty International a déclaré dans un communiqué de presse qu'elle « ... se félicitait de ce que le nouveau gouvernement ait pris au sérieux les craintes relatives à un retour prématuré [et que cette décision] faisait passer les préoccupations humanitaires avant le prestige politique ».
[50]. Reuter, 8 novembre 1996.
[51]. À la suite de cette décision, la section norvégienne d'Amnesty International a déclaré dans un communiqué de presse qu'elle « ... se félicitait de ce que le nouveau gouvernement ait pris au sérieux les craintes relatives à un retour prématuré [et que cette décision] faisait passer les préoccupations humanitaires avant le prestige politique ».
[52] D'après le Rapport du gouvernement de la République de Croatie sur le 2e rapport (daté du 10 juin 1996) relatif à la mise en uvre de la résolution 1019 (1995) du Conseil de sécurité, au paragraphe 38 traitant des Bosniaques réinstallés en Croatie.
[53]. Article 1-C-5 de la Convention relative au statut des réfugiés (1951).
[54]. Reuter, 20 septembre 1996, rapportant les propos du porte-parole du HCR, Christiane Berthiaume, qui a dit regretter profondément la décision unilatérale des autorités allemandes.
[55]. Cf. les commentaires du président de la Republika Srpska, Biljana Plavsic, cités dans le chapitre 1 du présent document.
[56]. On estime par exemple que l'Allemagne a accueilli quelque 135 000 réfugiés originaires de la République fédérative de Yougoslavie.
[57]. Beaucoup de Croates réfugiés dans des pays d'accueil ont été renvoyés en Croatie.
[58]. Amir Drugzani, Albanais de souche originaire de Slatina, dans la province du Kosovo, aurait décidé volontairement de rentrer chez lui le 15 septembre 1996 après le rejet de sa demande d'asile en Allemagne. D'après son témoignage, il a été détenu de 13h30 à 21h00 dans l'aéroport de Belgrade par des policiers qui l'ont frappé et ont menacé de le « liquider ». Il a ensuite pris un avion pour Pristina, où il a été détenu par la police dans l'aéroport jusqu'à 5h00 le lendemain matin et interrogé sur un soi-disant entraînement militaire qu'il aurait suivi. Il a affirmé que cinq autres Albanais de souche qui avaient voyagé avec lui avaient subi le même type de mauvais traitements. Cf. le document d'Amnesty International EXTRA 150/96 (complément d'informations), index AI : 70/28/96.
[59]. Cf. plus bas.
[60]. Cf. Préoccupations d'Amnesty International en Europe janvier-juin 1996 (index AI : EUR 01/02/96).
[61]. Cet avertissement est d'ailleurs donné dans l'introduction des rapports, qui explique que le Rapport général d'informations relatif au rapatriement n'est pas un rapport de la situation des droits de l'homme ; il ne doit pas être utilisé pour juger de la validité des demandes d'asile ni pour déterminer si les craintes de persécution de certains individus sont fondées.
[62]. Cf. Bosnia-Herzégovina: The international community's responsibility to ensure human rights (op. cit.).
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