Pour un Avenir Fondé sur les Droits de l'Homme

Résumé

Les importants changements politiques survenus en Sierra Leone au cours de l'année 1996 – retour à un régime civil et avancées vers une solution négociée à la guerre civile que connaît le pays – ont fourni des occasions privilégiées de mettre fin aux atteintes aux droits de l'homme. Le nouveau gouvernement s'est dit prêt à défendre et respecter les droits fondamentaux de la personne humaine. Les deux parties en conflit en Sierra Leone ont pris l'engagement, dans le cadre d'un projet d'accord de paix, d'adhérer aux normes internationales en matière de droits de l'homme. Il est à présent capital de donner corps à ces engagements.

Fin mars 1996, le National Provisional Ruling Council (NPRC, Conseil national provisoire de gouvernement), parvenu au pouvoir en avril 1992 à la faveur d'un coup d'État militaire, a cédé la place à un gouvernement civil dirigé par le président Ahmad Tejan Kabbah. Des élections législatives et présidentielles ont eu lieu en février et en mars 1996. La population sierra-léonienne, résolue à voter, ne s'est pas laissée impressionner par la campagne d'intimidation et de terreur menée tant par les soldats gouvernementaux que par les forces rebelles afin d'empêcher le bon déroulement du processus électoral. Des civils non armés ont été délibérément tués et torturés. Au cours des mois et des semaines qui ont précédé le scrutin, le conflit mettant aux prises les forces gouvernementales et le Revolutionary United Front (RUF, Front révolutionnaire uni) – groupe d'opposition armé – a donné lieu à quelques-unes des pires atrocités que le pays ait connues depuis cinq ans. Lors d'un séjour en Sierra Leone en avril 1996, de représentants d'Amnesty International se sont entretenus avec de nombreuses victimes de ces agissements, qui se chiffrent par centaines.

À la même époque, des représentants du NPRC et du RUF se rencontraient pour la première fois depuis que le conflit avait éclaté en 1991. En mars 1996, ils sont convenus d'un cessez-le-feu provisoire, reconduit par la suite. Les pourparlers se sont poursuivis avec le nouveau gouvernement civil et, fin mai 1996, les deux parties avaient abouti aux bases d'un projet d'accord de paix. Elles ne sont toutefois pas parvenues à s'entendre sur le calendrier du désarmement de leurs forces et du retrait des troupes étrangères présentes dans le pays. Il est essentiel que tout accord négocié définitif comprenne de solides garanties en matière de respect et de défense des droits de l'homme. Ces garanties devront notamment prévoir la mise en place de mécanismes indépendants et efficaces permettant de faire la lumière sur les atteintes aux droits de l'homme perpétrées au cours du conflit, de veiller à ce qu'aucun agissement de ce genre ne soit commis durant le processus de paix et d'empêcher à l'avenir toute nouvelle atrocit.

Tandis que se poursuivent les négociations en vue de conclure un accord de paix, et en dépit de l'instauration d'un cessez-le-feu, des civils sans défense continuent d'être torturés et tués. Des centaines de milliers de Sierra-Léoniens déplacés en raison du conflit ne peuvent toujours pas rentrer chez eux. Il est indispensable que le gouvernement comme le RUF veillent à ce que des mesures soient immédiatement prises afin de faire cesser les atteintes aux droits de l'homme commises tant par les soldats gouvernementaux que par les forces rebelles. Il ne faut pas attendre la signature d'un accord de paix définitif pour adopter des mesures efficaces permettant de garantir la défense des droits de l'homme.

La nécessité de faire la lumière sur les atrocités commises au cours du conflit armé sierra-léonien et de demander des comptes aux auteurs de ces agissements est un élément essentiel de tout processus de paix et de réconciliation. Une réconciliation véritable ne pourra avoir lieu que si le droit à la vérité, ainsi que le droit d'obtenir justice et réparation, sont reconnus aux milliers de victimes et à leurs familles. Obtenir réparation signifie notamment qu'il faut déterminer les responsabilités et définir les modalités d'indemnisation des victimes. Un tel processus nécessite l'entière coopération des deux parties au conflit, de même que la participation de tous les secteurs de la société sierra-léonienne et celle de la communauté internationale.

Amnesty International formule des recommandations concrètes pour faire avancer le processus sur la base des engagements pris par les deux camps en faveur de la défense des droits de l'homme lors des négociations de paix.

Introduction

Les importants changements politiques survenus en Sierra Leone au cours de l'année 1996 – retour à un régime civil et avancées vers une solution négociée à la guerre civile que connaît le pays – ont fourni des occasions privilégiées de mettre fin aux atteintes aux droits de l'homme. Le nouveau gouvernement s'est dit prêt à défendre et respecter les droits fondamentaux de la personne humaine. Les deux parties en conflit en Sierra Leone ont pris l'engagement, dans le cadre d'un projet d'accord de paix, d'adhérer aux normes internationales en matière de droits de l'homme. Il est à présent capital de donner corps à ces engagements.

Fin mars 1996, le National Provisional Ruling Council (NPRC, Conseil national provisoire de gouvernement), parvenu au pouvoir en avril 1992 à la faveur d'un coup d'État militaire, a cédé la place à un gouvernement civil dirigé par le président Ahmad Tejan Kabbah. Des élections législatives et présidentielles ont eu lieu en février et en mars 1996. La population sierra-léonienne, résolue à voter, ne s'est pas laissée impressionner par la campagne d'intimidation et de terreur menée tant par les soldats gouvernementaux que par les forces rebelles afin d'empêcher le bon déroulement du processus électoral. Des civils non armés ont été délibérément tués et torturés. Au cours des mois et des semaines qui ont précédé le scrutin, le conflit mettant aux prises les forces gouvernementales et le Revolutionary United Front (RUF, Front révolutionnaire uni) – groupe d'opposition armé – a donné lieu à quelques-unes des pires atrocités que le pays ait connues depuis cinq ans. Lors d'un séjour en Sierra Leone en avril 1996, de représentants d'Amnesty International se sont entretenus avec de nombreuses victimes de ces agissements, qui se chiffrent par centaines.

À la même époque, des représentants du NPRC et du RUF se rencontraient pour la première fois depuis que le conflit avait éclaté en 1991. En mars 1996, ils sont convenus d'un cessez-le-feu provisoire, reconduit par la suite. Les pourparlers se sont poursuivis avec le nouveau gouvernement civil et, fin mai 1996, les deux parties avaient abouti aux bases d'un projet d'accord de paix. Elles ne sont toutefois pas parvenues à s'entendre sur le calendrier du désarmement de leurs forces et du retrait des troupes étrangères présentes dans le pays. Il est essentiel que tout accord négocié définitif comprenne de solides garanties en matière de respect et de défense des droits de l'homme. Ces garanties devront notamment prévoir la mise en place de mécanismes indépendants et efficaces permettant de faire la lumière sur les atteintes aux droits de l'homme perpétrées au cours du conflit, de veiller à ce qu'aucun agissement de ce genre ne soit commis durant le processus de paix et d'empêcher à l'avenir toute nouvelle atrocité.

Tandis que se poursuivent les négociations en vue de conclure un accord de paix, et en dépit de l'instauration d'un cessez-le-feu, des civils sans défense continuent d'être torturés et tués. Des centaines de milliers de Sierra-Léoniens déplacés en raison du conflit ne peuvent toujours pas rentrer chez eux. Il est indispensable que le gouvernement comme le RUF veillent à ce que des mesures soient immédiatement prises afin de faire cesser les atteintes aux droits de l'homme commises tant par les soldats gouvernementaux que par les forces rebelles. Il ne faut pas attendre la signature d'un accord de paix définitif pour adopter des mesures efficaces permettant de garantir la défense des droits de l'homme.

La nécessité de faire la lumière sur les atrocités commises au cours du conflit armé sierra-léonien et de demander des comptes aux auteurs de ces agissements est un élément essentiel de tout processus de paix et de réconciliation. Une réconciliation véritable ne pourra avoir lieu que si le droit à la vérité, ainsi que le droit d'obtenir justice et réparation, sont reconnus aux milliers de victimes et à leurs familles. Obtenir réparation signifie notamment qu'il faut déterminer les responsabilités et définir les modalités d'indemnisation des victimes. Un tel processus nécessite l'entière coopération des deux parties au conflit, de même que la participation de tous les secteurs de la société sierra-léonienne et celle de la communauté internationale.

Amnesty International formule des recommandations concrètes pour faire avancer le processus sur la base des engagements pris par les deux camps en faveur de la défense des droits de l'homme lors des négociations de paix.

Les changements politiques survenus en 1996

Les élections et le retour à un régime civil

En août 1995, une Conférence consultative nationale représentant de nombreux secteurs de la société sierra-léonienne s'est réunie à Freetown, la capitale, afin d'étudier les modalités du retour à un gouvernement civil promis par les militaires du NPRC. Assistaient à cette conférence des représentants de partis politiques, de syndicats, de groupes religieux, d'organisations de femmes et d'associations d'étudiants, des chefs traditionnels, ainsi que des personnes déplacées et des Sierra-Léoniens réfugiés en Guinée et au Libéria. Cette assemblée a recommandé que les élections initialement prévues pour décembre 1995 soient reportées à février 1996, au plus tard.

Le RUF a refusé l'invitation de la Commission électorale nationale provisoire, responsable de l'organisation des élections, à prendre part à la Conférence consultative nationale. Il a également refusé de participer aux élections et de reconnaître leur légitimité.

Six semaines avant les élections, fixées au 26 février 1996, de sérieux doutes ont plané quant à la tenue effective du scrutin. Le 16 janvier 1996, en effet, le capitaine Valentine Strasser (dirigeant du NPRC) était chassé du pouvoir par son bras droit, le général Julius Maada Bio. Ni violences flagrantes ni pertes en vies humaines n'ont été à déplorer ; le capitaine Strasser fut mis à bord d'un avion à destination de la Guinée voisine. Le NPRC, reconstitué, a justifié le coup d'État en accusant le capitaine Strasser d'avoir eu l'intention de manipuler les élections pour se maintenir au pouvoir. Le général Maada Bio a alors promis de soutenir tout programme visant à rétablir un régime civil, en dépit du fait que certains membres du NPRC demandaient avec de plus en plus d'insistance le report des élections.

La Conférence consultative nationale s'est à nouveau réunie le 12 février 1996, afin de décider s'il fallait procéder aux élections. Deux jours avant la conférence, les locaux de la Commission électorale nationale provisoire et les domiciles du président de la commission, James Jonah, ainsi que du dirigeant du Sierra Leone People's Party (SLPP, Parti du peuple de Sierra Leone), Ahmad Tejan Kabbah, ont été la cible de grenades et de coups de feu. De l'avis général, ces attaques étaient imputables aux militaires. La Conférence consultative nationale a rejeté à une écrasante majorité le conseil du NPRC de reporter les élections.

La situation a commencé à se détériorer peu de temps après, lorsque plusieurs attaques lancées par des groupes armés contre des populations civiles ont été signalées dans les provinces du Nord et du Sud. Les élections ont tout de même eu lieu le 26 février 1996. En raison d'une participation massive, le scrutin a été prolongé jusqu'au lendemain. Les Sierra-Léoniens, déterminés à se prononcer en faveur d'un gouvernement civil et à mettre fin à quatre années de régime militaire, ont refusé de se laisser intimider par les manifestations de violence, qu'elles soient le fait des soldats gouvernementaux ou des forces du RUF. Le jour du scrutin, au moins 27 personnes seraient mortes, la plupart à Bo (province du Sud), victimes d'actions violentes. Ces tentatives de perturber les élections ont été officiellement attribuées au RUF, qui avait menacé d'empêcher leur bon déroulement. Toutefois, un certain nombre d'éléments concordants laissent à penser que des soldats opposés aux élections en étaient responsables.

Aucun des candidats en lice pour la présidence n'a bénéficié des 55 p. cent de voix nécessaires pour être déclaré vainqueur. Le deuxième tour, qui s'est déroulé le 15 mars 1996, a vu s'affronter Ahmad Tejan Kabbah, du SLPP, et John Karefa-Smart, du United National People's Party (UNPP, Parti national populaire uni). Les violences ont été moindres lors de ce second scrutin. Avec près de 60 p. cent des voix, Ahmad Tejan Kabbah a remporté la victoire sans contestation possible. Aux élections législatives, cinq partis, dont le SLPP et l'UNPP, ont obtenu le nombre de voix requis pour être représentés au Parlement. L'élection au Parlement de 12 chefs traditionnels, ou "chefs souverains" (Paramount Chiefs), a eu lieu début mars 1996. Des observateurs appartenant au Secrétariat du Commonwealth ont déclaré que les élections avaient été « dans l'ensemble, libres et honnêtes ». Le Secrétariat du Commonwealth, dans son rapport final sur les élections, fait notamment remarquer : « … Étant donné les circonstances, ces élecions représentaient ni plus ni moins qu'un acte de foi de la part du peuple sierra-léonien. Il s'agissait des premières élections véritablement démocratiques en près de trente ans… »

Par la suite, le NPRC a pris un décret prévoyant que le pouvoir serait confié aux civils dans un délai de quatorze jours suivant l'annonce des résultats des élections. Le 14 mars 1996, il a publié un autre décret (n° 6) accordant l'impunité effective au NPRC et à toute personne ayant agi sous son autorité, y compris les militaires, pour tout acte commis pendant ou après le coup d'État d'avril 1992. Aux termes de ce décret, dit Décret relatif à l'immunité et à la transition (1966), aucune procédure ni poursuites judiciaires civiles ou militaires ne pourront être engagées pour quelque acte que ce soit commis sous le gouvernement du NPRC par ce dernier ou par quiconque ayant agi en son nom. Ce décret, qui ne définit pas plus précisément les actes auxquels il s'applique, est si vague dans sa formulation qu'il peut fort bien être interprété comme incluant les violations des droits de l'homme.

Lorsque le NPRC avait pris le pouvoir en 1992, il avait suspendu certaines dispositions de la Constitution sierra-léonienne de 1991 et gouverné à coups de proclamations et de décrets. Des droits fondamentaux comme la liberté d'expression et la protection contre l'arrestation et la détention arbitraires avaient été remis en cause au gré des lois adoptées par le NPRC. Or, début juillet 1996, le Parlement a promulgué la Loi relative au rétablissement des dispositions constitutionnelles ; en vertu de cette loi, les articles de la Constitution de 1991 qui avaient été suspendus ont donc été rétablis. La Constitution de 1991 reconnaît et protège les libertés et droits fondamentaux de l'individu, notamment le droit à la vie, le droit à la protection contre l'arrestation et la détention arbitraires, le droit à la protection contre les traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que le droit à la liberté d'expression et d'association. Le nouveau gouvernement et le Parlement devaient entamer la révision de tous ls décrets pris par le NPRC.

L'ouverture de négociations de paix

L'espoir qu'un règlement négocié mette fin à cinq ans de guerre civile, règlement qui jusque-là semblait inconcevable, s'est fait jour en 1996. Des organisations intergouvernementales – dont les Nations unies, l'Organisation de l'unité africaine (OUA) et le Commonwealth –, qui s'attachaient depuis la fin de l'année 1994 à favoriser un dialogue entre le NPRC et le RUF, ont poursuivi leurs efforts en vue d'une solution politique au conflit, aux côtés d'autres gouvernements de l'Afrique de l'Ouest, notamment celui de la Côte-d'Ivoire.

Une semaine après avoir pris le pouvoir, le 16 janvier 1996, le général Maada Bio s'est dit prêt à rencontrer le dirigeant du RUF, Foday Sankoh. Aux membres du RUF, il a proposé une amnistie et des sauf-conduits pour leur permettre de participer à des pourparlers de paix. Fayia Musa, porte-parole du RUF en Côte-d'Ivoire, a répondu positivement à l'offre d'engager des pourparlers. Le RUF est revenu sur ce qu'il considérait comme une condition préalable à toutes négociations, à savoir le retrait des troupes étrangères (les forces nigérianes et guinéennes, ainsi que les soldats fournis par la société sud-africaine Executive Outcomes, déployés dans le pays depuis mai 1995). Le RUF a alors proclamé un cessez-le-feu d'une semaine. Les deux camps sont convenus de se rencontrer en Côte-d'Ivoire le 28 février 1996, deux jours après les élections. Le RUF a continué de demander le report du scrutin, affirmant qu'il fallait en premier lieu restaurer la paix, et il a déclaré qu'il ne reconnaîtrait pas un gouvernement civi issu des élections.

Des représentants du NPRC et du RUF se sont rencontrés à Abidjan entre le 28 février et le 3 mars 1996. Les réunions se sont déroulées sous la présidence du ministre ivoirien des Affaires étrangères, qui faisait office de médiateur. Des représentants de l'ONU, de l'OUA et du Commonwealth assistaient également à ces réunions. Les représentants du NPRC et du RUF sont convenus que leurs dirigeants respectifs, le général Maada Bio et Foday Sankoh, devaient se rencontrer.

Le 17 mars 1996, deux jours après la victoire à l'élection présidentielle d'Ahmad Tejan Kabbah, le RUF a annoncé un cessez-le-feu de deux mois. Le lendemain, lors d'une émission de la BBC, le porte-parole du RUF, Fayia Musa, déclarait que son parti était prêt à rencontrer Ahmad Tejan Kabbah en tant que représentant élu de plus de 600 000 Sierra-Léoniens ayant voté pour lui, mais qu'il ne le reconnaissait pas comme chef de l'État.

Le général Maada Bio et Foday Sankoh se sont rencontrés entre le 25 et le 27 mars 1996 à Yamoussoukro, capitale de la Côte-d'Ivoire, quelques jours avant la passation officielle des pouvoirs à Ahmad Tejan Kabbah. C'est le président ivoirien Henri Konan Bedié qui a ouvert la séance. Au nombre des délégations présentes figuraient celles de l'ONU, de l'OUA et du Commonwealth. Dans le communiqué officiel publié à l'issue des deux jours de réunion, le dirigeant du RUF se disait prêt à rencontrer Ahmad Tejan Kabbah après son entrée en fonction, afin de poursuivre les pourparlers de paix. Le président Ahmad Tejan Kabbah et Foday Sankoh se sont donc rencontrés à Yamoussoukro les 22 et 23 avril 1996. Le cessez-le-feu a été prolongé et les discussions se sont poursuivies, portant sur un accord de paix, le désarmement et le cantonnement des combattants, ainsi que leur démobilisation et leur réinsertion.

Fin mai 1996, les deux camps s'étaient mis d'accord sur 26 des 28 dispositions jetant les bases d'un accord de paix. Y figuraient, entre autres, des références aux droits de l'homme, notamment l'engagement de respecter le droit international relatif aux droits de l'homme et le droit humanitaire international, ainsi que la mise en place d'une Commission nationale des droits de l'homme indépendante. Des points de désaccord subsistaient néanmoins quant au calendrier du désarmement des combattants et du retrait des troupes étrangères, en particulier des Executive Outcomes, de même que concernant le contrôle du budget et de la dette de l'État. Les pourparlers se sont donc poursuivis entre les deux parties, en présence de délégations des organisations intergouvernementales et des gouvernements participant aux négociations. Ainsi, au cours des semaines suivantes, la conclusion d'un accord de paix semblait être en vue. Fin juillet 1996, Foday Sankoh déclara que les forces du RUF continueraient de respecter le cessez-e-feu, mais qu'elles ne déposeraient pas les armes tant que toutes les troupes étrangères n'auraient pas quitté le pays. Au mois d'août, l'OUA a demandé à l'ancien président du Zimbabwe, Canaan Banana, de jouer le rôle de médiateur entre le gouvernement sierra-léonien et le RUF, afin de tenter de faire avancer le processus de paix.

Malgré la déclaration du 17 mars 1996 proclamant un cessez-le-feu de deux mois, reconduit par la suite, les attaques visant des civils se sont poursuivies dans les provinces du Sud, de l'Est et du Nord, faisant de nombreuses victimes au sein de la population sierra-léonienne. Au début, la motivation de ces attaques se résumait apparemment au désir de piller, notamment des vivres et du riz de semence. Les civils se voyaient aussi exiger de l'argent aux barrages mis en place par le RUF sur les principaux axes routiers du pays. D'après les informations reçues, certaines personnes auraient été passées à tabac pour avoir refusé de céder leurs biens. Cependant, à partir de début mai 1996 et durant les mois qui ont suivi, les violences se sont multipliées. Des attaques ont été signalées dans les districts de Bo, de Moyamba, de Pujehun et de Bonthe (province du Sud), dans le district de Kenema (province de l'Est) et dans le district de Tonkolili (province du Nord). Au cours de ces attaques, un certain nombre de civil ont été tués, mutilés ou enlevés. Malgré ces violences persistantes, donnant parfois lieu à des affrontements entre forces rebelles et soldats gouvernementaux, comme le 22 juillet 1996 à Yamandu, chefferie de Boama (district de Bo), les autorités sierra-léoniennes déclarèrent que le cessez-le-feu était toujours en vigueur.

Alors que les négociations se poursuivent en vue de résoudre les derniers points de désaccord, de graves atteintes aux droits de l'homme continuent d'être perpétrées en Sierra Leone. Il est urgent que des mesures soient adoptées afin que les engagements pris par les deux parties – respecter les droits de l'homme et adhérer aux normes internationales y afférentes –, qui sont incorporés dans le projet d'accord de paix, soient immédiatement mis en œuvre, sans attendre un règlement politique définitif du conflit.

Les garanties relatives aux droits de l'homme dans le processus de paix

Depuis l'ouverture des négociations, Amnesty International a insisté directement auprès du gouvernement du président Ahmad Tejan Kabbah et de la direction du RUF pour que tout règlement politique du conflit armé comprenne obligatoirement de solides garanties quant au respect des droits de l'homme. Celles-ci doivent comporter des mécanismes indépendants et efficaces permettant de faire la lumière sur les atteintes aux droits de l'homme perpétrées durant le conflit, de veiller à ce que de tels agissements ne se poursuivent pas pendant la période transitoire vers la paix et d'empêcher leur renouvellement ultérieur.

L'expérience a montré dans de nombreux autres pays que, pour être efficace et durable, tout règlement d'un conflit doit tenir compte des atteintes aux droits de l'homme commises au cours de ce conflit. Faire la lumière sur ces agissements et déterminer les responsabilités sont les composantes essentielles de tout processus de paix et de réconciliation. Une réconciliation véritable ne pourra avoir lieu que si le droit à la vérité, ainsi que le droit d'obtenir justice et réparation, sont reconnus aux milliers de victimes et à leurs familles. Obtenir réparation signifie notamment qu'il faut déterminer les responsabilités et définir les modalités d'indemnisation des victimes. Un tel processus nécessite l'entière coopération des deux parties au conflit, ainsi que la participation de tous les secteurs de la société sierra-léonienne, de même que celle de la communauté internationale.

Les règlements négociés qui ont été les plus satisfaisants du point de vue de la défense des droits de l'homme prévoyaient notamment l'instauration de mécanismes indépendants destinés à vérifier que des atteintes à ces droits ne soient pas commises pendant la période d'application de toutes les dispositions de l'accord de paix – en attendant que des institutions permanentes chargées de la défense des droits fondamentaux soient créées ou que celles déjà existantes soient réformées. Le mandat et les attributions de ces organismes prévoyaient, entre autres, que les parties acceptent de coopérer avec le mécanisme de surveillance, mais ne s'immiscent pas dans ses travaux. Les observateurs des droits de l'homme devraient pouvoir, au minimum, recevoir les plaintes de toute personne ou de tout groupe, procéder à des entretiens libres et confidentiels, notamment avec les détenus, se déplacer librement et se rendre dans n'importe quel endroit, y compris dans les lieux de détention. En outre, les témoins devraient se vor accorder une protection.

Il est essentiel que tout mécanisme relatif à la surveillance des droits fondamentaux soit dirigé par des personnes ayant une grande expérience en matière de droits de l'homme ; ce mécanisme doit aussi comprendre du personnel ayant déjà travaillé sur le terrain dans ce domaine. Amnesty International a instamment prié les deux parties, ainsi que les organisations intergouvernementales et les autres gouvernements participant à la recherche d'une solution politique au conflit sierra-léonien, de veiller à ce que l'accord final prévoie l'instauration d'un mécanisme efficace et indépendant permettant de surveiller la situation des droits de l'homme durant la période de transition vers la paix.

Le projet d'accord envisage la création d'un Groupe conjoint de surveillance composé de représentants du gouvernement et du RUF, ainsi que de membres de la communauté internationale, dont la mission serait de surveiller les éventuelles ruptures du cessez-le-feu prévu aux termes de l'accord de paix. Le Groupe conjoint de surveillance doit être déployé dans un délai de deux semaines après la signature de l'accord et pour une période initiale de trois mois.

Comme les attaques contre des civils sans défense et les atteintes aux droits de l'homme n'ont pas cessé, il est devenu urgent que la surveillance du cessez-le-feu s'accompagne de la création d'une commission de vérification de la situation de ces droits. Cette commission doit être chargée de contrôler que les normes relatives aux droits fondamentaux mentionnées dans le projet d'accord de paix soient respectées, notamment celles garantissant le droit à la vie et le droit de n'être ni torturé ni maltraité. À titre de garantie d'impartialité et d'indépendance, l'organisme appelé à surveiller la situation des droits de l'homme devrait comprendre en son sein des observateurs internationaux de ces droits qui, du fait de leur compétence et de leur crédibilité, soient à même de remplir efficacement leur rôle. L'organisme de surveillance devrait également, de concert avec les organisations locales de défense des droits de l'homme, pouvoir formuler des recommandations en vue d'une structure permanente susceptible d'asurer à long terme la défense des droits de la personne humaine, tout en proposant des réformes de type institutionnel en ce domaine. Par la suite, le contrôle de la situation des droits de l'homme devrait incomber à un mécanisme permanent spécialement affecté à cette mission, tel que la Commission nationale des droits de l'homme, indépendante, dont le projet d'accord de paix propose l'établissement.

Ce projet précise que la Commission nationale des droits de l'homme sera habilitée à enquêter sur les violations de ces droits et, le cas échéant, à engager des poursuites judiciaires. Il est prévu que la commission veille à ce que les droits élémentaires garantis dans l'accord de paix soient respectés. Sa mission sera de promouvoir l'éducation aux droits de l'homme dans toute la société sierra-léonienne, notamment à travers les établissements d'enseignement et les médias, ainsi qu'au sein des administrations policière et militaire. Il est indispensable que l'accord de paix définitif offre les meilleures garanties possibles de l'indépendance et de l'impartialité d'une telle commission, afin que celle-ci puisse jouer un rôle central dans la défense des droits de l'homme.

La création d'une Commission nationale des droits de l'homme peut constituer un moyen important de renforcer la défense de ces droits et d'engager des réformes institutionnelles. Ce mécanisme ne devra toutefois pas porter atteinte ou se substituer aux garanties prévues par un système de droit efficace et mises en œuvre par un appareil judiciaire indépendant, impartial, accessible et disposant d'un budget approprié. L'établissement d'une Commission nationale des droits de l'homme devrait aller de pair avec l'examen approfondi des diverses institutions existantes, notamment judiciaires, afin de rendre ces dernières plus efficaces dans la défense des droits de l'homme. Ces initiatives devraient en outre s'accompagner d'une politique gouvernementale déterminée à contraindre les auteurs de violations des droits de l'homme à répondre de leurs actes, de façon à les empêcher de bénéficier de l'impunité.

Le projet d'accord de paix contient des dispositions visant à renforcer l'indépendance du pouvoir judiciaire, ainsi qu'à réformer les forces de police civiles et militaires, notamment par la formation en matière de défense des droits de l'homme. Il est également prévu d'inciter les organisations locales de défense des droits fondamentaux à apporter leur aide pour veiller à ce que ces droits soient appliqués. Il est indispensable que ces réformes institutionnelles élémentaires soient menées dans le cadre d'un strict respect des normes internationales relatives à l'indépendance du pouvoir judiciaire, aux droits fondamentaux dans l'administration de la justice et aux codes de conduite pour les responsables de l'application des lois. Tous les secteurs de la société sierra-léonienne, y compris les associations de défense des droits de l'homme, devront collaborer à ces réformes.

Le projet d'accord de paix renferme un certain nombre de dispositions importantes concernant le respect et la défense des droits de l'homme. Si l'on veut que ces droits soient perçus comme un point central et essentiel de l'accord de paix final, un organisme spécifique devrait être créé, qui aurait pour tâche de veiller à ce que ces dispositions soient coordonnées et appliquées efficacement. Le projet d'accord de paix propose que soit institué un organisme national, la Commission pour la consolidation de la paix, qui serait chargée de surveiller et contrôler la mise en œuvre et le respect des dispositions de l'accord. Amnesty International recommande que soit créée une sous-commission, dépendant de la Commission pour la consolidation de la paix, qui coordonnerait et surveillerait le processus de mise en œuvre des divers mécanismes de défense et de promotion des droits de l'homme prévus par le projet d'accord de paix. Il est particulièrement important que cet organisme s'appuie sur les compétences, l'expérienc et les avis de tous les secteurs de la société sierra-léonienne.

Recommandations

•                Parallèlement à la mise en place d'un groupe chargé de surveiller l'application du cessez-le-feu devrait être instituée sans retard, avec l'aide et la participation de la communauté internationale, une commission ayant pour tâche de surveiller la situation des droits de l'homme. Cette commission devrait notamment compter en son sein des observateurs internationaux des droits de l'homme possédant la compétence et la crédibilité nécessaires pour pouvoir surveiller et contrôler efficacement la situation des droits de l'homme durant la période de mise en œuvre de l'accord de paix – en attendant la création de la Commission nationale des droits de l'homme et d'autres institutions adéquates.

•                Une fois mise en place, la Commission nationale des droits de l'homme devrait disposer des pouvoirs, ressources, compétences professionnelles et garanties d'indépendance et d'impartialité nécessaires pour ouvrir sans délai et mener à bonne fin des enquêtes sur les violations des droits de l'homme. Les conclusions de ces enquêtes devraient être rendues publiques et être assorties de recommandations demandant que les responsables soient traduits en justice. Elles devraient également comprendre des recommandations relatives à la réforme des institutions, ainsi que d'autres mesures de prévention, telles que l'éducation aux droits de l'homme dans tous les secteurs de la société, y compris au sein des administrations militaire, policière et judiciaire.

•                La communauté internationale, notamment l'ONU, l'OUA et le Commonwealth, ainsi que d'autres gouvernements – dont les États membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) –, devrait fournir une aide concrète pour qu'un mécanisme impartial et indépendant permettant de surveiller efficacement la situation des droits de l'homme soit mis en place et puisse fonctionner de manière efficace.

•                La communauté internationale devrait également favoriser l'engagement de réformes institutionnelles en Sierra Leone, telles que le renforcement de l'indépendance du pouvoir judiciaire et la réforme des forces de police civiles et militaires ; elle devrait aussi veiller à ce que le respect des normes internationales soit au cœur du processus de réforme institutionnelle.

•                Un organisme distinct devrait être institué au sein de la Commission pour la consolidation de la paix afin de coordonner et surveiller la mise en œuvre des différents mécanismes de défense et de promotion des droits de l'homme prévus par le projet d'accord de paix.

Enquêtes et responsabilités

Amnesty International estime que le phénomène de l'impunité contribue à ce que les atteintes aux droits de l'homme se perpétuent. Littéralement, impunité signifie exemption de châtiment. Pris dans un sens plus large, le terme évoque des malfaiteurs échappant à la justice ou n'étant pas réellement tenus de répondre de leurs actes.

Les normes internationales exigent clairement des États qu'ils mènent des enquêtes sérieuses sur les violations des droits de l'homme et veillent à ce que les responsables soient déférés à la justice. Toutes les plaintes pour torture, mauvais traitements ou exécutions extrajudiciaires, ainsi que tous les cas de ce type qui sont signalés, doivent sans délai faire l'objet d'enquêtes impartiales et efficaces, conformément aux normes internationales telles que les Principes de l'ONU relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions. Les enquêtes doivent être conduites par un organisme indépendant des responsables présumés et disposant des pouvoirs et des ressources nécessaires au bon déroulement des enquêtes.

Dans le domaine de la défense des droits de l'homme, le fait de devoir rendre des comptes est un principe vital. Il est indispensable que toute solution politique au conflit sierra-léonien prévoie, d'une part, des mécanismes assurant que les atteintes aux droits fondamentaux feront l'objet d'enquêtes approfondies et donneront lieu à une réparation et, d'autre part, des réformes institutionnelles élémentaires pour garantir à long terme la défense des droits de l'homme. Les personnes ayant été victimes de graves atteintes à ces droits, tant de la part des soldats gouvernementaux que de celle des forces rebelles, ont le droit d'exiger que toute la vérité soit rendue publique, ce qui signifie notamment que les responsabilités doivent être identifiées et reconnues publiquement. Ce n'est que lorsque les responsables sont amenés à répondre de leurs actes que le message devient clair : les atteintes aux droits de l'homme ne sauraient être tolérées, quelles que soient les circonstances. Traduire les responsables en jutice est une mesure de prévention plus que de vengeance. Cette mesure est indispensable si l'on veut rompre le cycle de la violence et de l'impunité et faire en sorte que de tels agissements ne se reproduisent plus.

Les lois d'amnistie, en empêchant les poursuites, favorisent l'impunité. Les lois qui entravent l'émergence de la vérité et la détermination des responsabilités devant la justice ne devraient pas être considérées comme acceptables, qu'elles soient adoptées par les gouvernements responsables des violations ou par ceux qui leur ont succédé.

Dans certains pays, les autorités gouvernementales responsables de violations des droits de l'homme ont pu devancer l'ouverture d'enquêtes en s'auto-amnistiant avant la passation des pouvoirs. Lorsque les gouvernements qui leur succèdent maintiennent de telles mesures d'amnistie, voire proclament eux-mêmes une amnistie, ils ne font que perpétuer le phénomène de l'impunité. Ces mesures sont souvent prises au nom de la réconciliation nationale, mais Amnesty International sait par expérience que l'impunité ainsi officialisée ne fait qu'alimenter le cycle de la violence et permettre que les atteintes aux droits de l'homme perdurent. Toute véritable réconciliation doit être fondée sur la vérité, la justice et la réparation.

C'est la raison pour laquelle Amnesty International est vivement préoccupée par la promulgation, le 14 mars 1996, du Décret n° 6 du NPRC, dit Décret relatif à l'immunité et à la transition (1966), peu avant la passation des pouvoirs au gouvernement du président Ahmad Tejan Kabbah. Ce décret prévoit une immunité générale pour « tout acte, question ou fait » imputable à des membres du NPRC ou des Forces armées de la République de Sierra Leone, ou à des personnes ayant agi sous leur autorité, entre le 29 avril 1992 – date de l'arrivée au pouvoir du NPRC – et le 14 mars 1996. Les termes « tout acte, question ou fait », sans autre précision, peuvent être interprétés comme incluant les violations massives et systématiques des droits de l'homme commises par les soldats gouvernementaux pendant la guerre civile.

Les soldats des forces régulières ont pris une lourde part dans de nombreuses actions menées depuis 1994 qui se sont soldées par la mort de civils et qui ont été officiellement attribuées au RUF.

Parmi les nombreux cas d'homicides sur la personne de civils ayant donné lieu à des versions contradictoires quant à l'attribution des responsabilités, mais n'ayant fait l'objet d'aucune enquête officielle, figure celui de Patrick P.B. Kebbie, avocat de renom, tué d'une balle dans la tête devant son domicile, à Kenema, le 25 décembre 1994. Durant leur séjour en Sierra Leone en avril 1996, les représentants d'Amnesty International ont recueilli de nouveaux témoignages accusant, sur la base d'éléments convaincants, des soldats gouvernementaux d'être responsables du décès de cet avocat. Ces derniers auraient été aperçus un peu plus tard à Kenema en compagnie d'autres soldats.

Les circonstances de la mort d'Alpha Lavalie, un assistant de l'université de Sierra Leone qui enseignait à la faculté Njala, dans le district de Moyamba, ont également donné lieu à des versions contradictoires. Cet homme était devenu un membre important d'un groupe de défense civile de Kenema, dans une zone où sévissaient les rebelles, mais où les soldats étaient connus pour extraire illégalement des diamants et pour avoir mené certaines des attaques contre des civils attribuées aux forces rebelles. Alpha Lavalie a été tué en mars 1994, au carrefour Mano, à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville de Kenema. Sa mort a été officiellement attribuée à l'explosion d'une mine terrestre posée par les rebelles. De nombreux Sierra-Léoniens pensent toutefois qu'il a peut-être été tué délibérément par les soldats gouvernementaux. Une enquête approfondie et indépendante sur les circonstances de sa mort devrait être menée afin d'identifier les vrais responsables.

Amnesty International n'a cessé de demander au gouvernement du NPRC d'ouvrir une enquête indépendante sur la mort de Patrick P.B. Kebbie, et cette question a aussi été évoquée avec le gouvernement du président Ahmad Tejan Kabbah. Cependant, aucune initiative n'a été prise visant à enquêter sur cette affaire ni sur d'autres, dans lesquelles des soldats gouvernementaux ont été identifiés comme responsables d'exécutions illégales sur la personne de civils, ou à tout le moins soupçonnés d'en être les auteurs. Amnesty International redoute que le fait de ne pas ouvrir d'enquêtes sur les soldats soupçonnés d'avoir commis des violations des droits de l'homme et de ne pas traduire les responsables en justice ne crée un climat de tolérance vis-à-vis des violations et de l'impunité.

Sous la pression internationale, une commission officielle d'enquête dirigée par un éminent juriste – qui a été nommé depuis au poste de procureur général et de ministre de la Justice dans le gouvernement du président Ahmad Tejan Kabbah – a été mise en place pour enquêter sur l'homicide commis sur la personne d'un prêtre irlandais et d'une famille néerlandaise, lors d'une attaque lancée par les forces rebelles sur Panguma (district de Kenema), en mars 1994. La commission est parvenue à la conclusion que deux soldats avaient, par négligence professionnelle, concouru à la mort de ces personnes, et elle a recommandé qu'ils soient inculpés et jugés. Apparemment, certains éléments indiquaient l'existence d'une collusion avec les rebelles. Aucun des deux soldats n'a pourtant été poursuivi et chacun d'eux a retrouvé ses fonctions dans l'armée.

Lors de rencontres avec des membres du gouvernement pendant leur séjour en Sierra Leone en avril 1996, les représentants d'Amnesty International ont fait part des préoccupations de l'Organisation relatives au Décret n° 6 du NPRC et de l'impunité dont allaient ainsi pouvoir jouir des personnes responsables de graves violations des droits de l'homme, notamment d'exécutions extrajudiciaires, de tortures et de mauvais traitements. Dans une lettre du 24 mai 1996 adressée au président Ahmad Tejan Kabbah, Amnesty International avait de nouveau évoqué ses inquiétudes et exhortait le gouvernement à amender, voire abroger, le Décret n° 6, afin de supprimer les obstacles légaux qui empêchent d'enquêter sur les atteintes aux droits fondamentaux commises dans le passé et de poursuivre les responsables. L'Organisation avait alors reçu des assurances du procureur général et également ministre de la Justice, qui avait affirmé que le gouvernement et le Parlement examineraient le bien-fondé de chaque décret du NPRC à la lumièr de l'engagement déclaré du nouveau gouvernement de restaurer pleinement l'État de droit.

Malgré cela, le président Ahmad Tejan Kabbah a apparemment cautionné certaines dispositions du Décret n° 6 du NPCR, puisqu'il a déclaré le 7 juin 1996, dans son discours prononcé à l'occasion de l'ouverture de la session parlementaire, que le gouvernement s'apprêtait à présenter un projet de loi demandant l'immunité des poursuites pour les anciens militaires au pouvoir. Il a également promis une amnistie en faveur des membres du RUF.

Le projet d'accord de paix contient une clause garantissant qu'aucun combattant du RUF ne fera l'objet d'une action administrative ou judiciaire pour quelque acte que ce soit mené dans le cadre de ses objectifs en tant que membre de ce groupe armé et jusqu'à la date de la signature de l'accord. Tout en reconnaissant que les Sierra-Léoniens pourraient avoir du mal à admettre que ceux qui les ont fait souffrir durant cinq années de guerre civile bénéficient d'une amnistie, le président Ahmad Tejan Kabbah a mis en avant la nécessité de la réconciliation, de la réinsertion et de la reconstruction.

Aux termes des dispositions du projet d'accord de paix, les membres du RUF sont autorisés à se constituer en mouvement politique et à jouir pleinement de leurs droits civils et politiques. Cependant, les mesures prises en vue de garantir la réconciliation et la réinsertion des anciens combattants dans la vie civile ne doivent pas empêcher l'établissement des responsabilités dans les atteintes aux droits de l'homme. Amnesty International estime que les auteurs des atrocités perpétrées dans le passé doivent être identifiés si l'on veut instaurer durablement la paix, ainsi que le respect et la défense des droits fondamentaux. Après une guerre civile qui a donné lieu à d'innombrables atteintes aux droits de l'homme, il s'agit-là d'une composante essentielle du processus de paix et de réconciliation. S'il n'est pas tenu compte des droits des victimes et de leurs familles à connaître la vérité, ainsi qu'à obtenir justice et réparation, aucune réconciliation véritable ne pourra être réalisée. Toute amnistie généraleintervenant avant que des condamnations ne soient prononcées va à l'encontre de l'objectif de réconciliation poursuivi. Après une période de violence et de confusion, la grâce octroyée après la condamnation peut néanmoins aller dans le sens de la réconciliation générale. Amnesty International ne prend pas position à ce sujet, mais elle insiste pour que la vérité soit faite et pour que le cours de la justice aille jusqu'à son terme.

Une Commission de l'unité nationale et de la réconciliation, avec à sa tête un éminent avocat de Trinité-et-Tobago, a vu le jour le 1er juillet 1996. Cette commission a été constituée en vue de s'attaquer au problème des violations des droits de l'homme dont la population civile a été victime sous le gouvernement du NPRC, ainsi que sous les administrations précédentes. Parmi les questions à examiner figuraient les plaintes de ministres et de fonctionnaires de l'ancien gouvernement de l'All People's Congress (APC, Congrès du peuple réuni) du président renversé Joseph Saidu Momoh ; ces personnes avaient comparu devant des commissions d'enquête instituées par le NPRC, qui souhaitait enquêter sur les accusations de corruption portées contre d'anciens ministres, ainsi que d'anciens fonctionnaires de l'État et certaines entreprises publiques. Quelques-unes de ces personnes avaient dû dédommager l'État, avaient vu leurs biens confisqués et avaient été emprisonnées. En juin 1995, 57 anciens membres du gouvernement avient été exclus de tout poste dans la fonction publique pour dix ans. Les personnes reconnues victimes des injustices du NPRC allaient apparemment pouvoir demander à être indemnisées.

Afin de prévenir tout nouveau conflit, la Commission de l'unité nationale et de la réconciliation devait également enquêter pour identifier les raisons ayant conduit au fait que les civils soient écartés du pouvoir et à ce que la société sierra-léonienne sombre dans la division et la guerre. Le projet d'accord de paix propose que le mandat et la composition de la Commission de l'unité nationale et de la réconciliation soient étendus, en concertation avec la Commission pour la consolidation de la paix, afin de pouvoir lancer une grande campagne d'éducation civique dans le but de promouvoir efficacement l'unité nationale et la réconciliation.

Bien que le mandat de la commission semble apparemment étendu, on ignore s'il prévoit spécifiquement que les atteintes aux droits de l'homme commises tant par les soldats gouvernementaux que par les combattants du RUF durant la période de guerre civile devront faire l'objet d'enquêtes et donner lieu à des indemnisations.

La création de la Commission de l'unité nationale et de la réconciliation constitue une évolution positive. Afin qu'elle puisse atteindre son objectif, à savoir la réconciliation nationale, Amnesty International estime qu'elle devrait voir son mandat élargi et sa composition modifiée, de façon à pouvoir faire toute la lumière sur les atteintes aux droits de l'homme commises durant le conflit et formuler des recommandations en matière d'indemnisation. Il faut aussi que la communauté internationale apporte son aide à la Commission de l'unité nationale et de la réconciliation pour que celle-ci puisse remplir son rôle avec efficacité.

Recommandations

•                Le mandat de la Commission de l'unité nationale et de la réconciliation devrait être étendu et sa composition modifiée afin de faire la lumière, avec l'aide de la communauté internationale, sur les atteintes aux droits de l'homme commises durant la guerre civile. La commission devrait formuler des recommandations pour que les auteurs de ces agissements soient traduits en justice et pour que soient adoptées des mesures visant à empêcher leur renouvellement.

•                Le gouvernement sierra-léonien devrait faire en sorte que les dispositions du Décret n° 6 du NPRC, dit Décret relatif à l'immunité et à la transition (1966), ainsi que l'accord de paix définitif, n'autorisent pas la proclamation, avant toute condamnation, d'amnisties générales qui accorderaient l'impunité à des personnes ayant commis des atteintes aux droits fondamentaux.

Les atteintes aux droits de l'homme se poursuivent

Soldats et rebelles continuent de perpétrer des atrocités

En septembre 1995, Amnesty International a publié un rapport intitulé Sierra Leone. Violations des droits de l'homme en Sierra Leone : les civils principales victimes de la guerre. L'Organisation y recensait les systématiques atteintes aux droits de l'homme commises contre des civils sans défense par les soldats gouvernementaux comme par les forces rebelles, alors que le pays s'enfonçait dans une guerre civile s'étendant à tout le territoire sierra-léonien.

À partir de 1994, le conflit s'est développé. Alors qu'il opposait initialement les forces gouvernementales et un groupe d'opposition armé – le RUF –, il a dégénéré en une campagne de violence dirigée contre la population civile. Toute guerre, qu'elle soit civile ou interétatique, peut certes faire des victimes parmi les civils. En Sierra Leone, cependant, la plupart des civils tués, tant par les soldats gouvernementaux que par les forces rebelles, l'ont été de façon arbitraire et délibérée.

Les Conventions de Genève de 1949, qui s'appliquent aux conflits internationaux – c'est-à-dire aux guerres entre nations –, contiennent également des dispositions concernant les guerres civiles. L'article 3 commun aux quatre Conventions étend au « conflit armé ne présentant pas un caractère international » les règles fondamentales de protection des non-combattants que chaque partie au conflit est « au moins tenue d'appliquer ». Aux termes de cet article, les personnes qui ne participent pas ou ont cessé de participer directement aux hostilités doivent être, en toutes circonstances, traitées avec humanité. L'article 3 interdit spécifiquement les atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels et les tortures ; les prises d'otages ; les atteintes à la dignité des personnes, en particulier les traitements humiliants et dégradants. Ces interdictions s'appliquent non seulement aux forces gouvernementales, mais également à outes les autres parties aux conflits civils, en particulier aux groupes politiques armés.

À partir de 1994, l'identité et les motivations de ceux qui lançaient des attaques contre la population civile sont devenues de plus en plus confuses. Dans de nombreux cas, apparemment, la seule motivation était le vol, du butin des pillages à l'extraction illégale de diamants. Brouillant délibérément les pistes pour ne pas être identifiés, les soldats gouvernementaux comme les forces rebelles s'en sont pris à des civils non armés, dérobant les biens de ces derniers et les forçant à partir de chez eux lorsqu'ils habitaient des zones riches en minéraux. Avec l'approche des élections présidentielles et législatives de février 1996, auxquelles de nombreux soldats gouvernementaux et de rebelles étaient opposés, les manifestations d'intimidation et de terreur à l'encontre des populations civiles se sont multipliées dans le but d'empêcher l'organisation du scrutin.

Il est apparu qu'un grand nombre de soldats, qui, pour beaucoup, n'étaient pas cantonnés dans des casernes, n'agissaient pas sous le strict contrôle hiérarchique de leurs chefs militaires. Ces soldats ont été rejoints par de jeunes volontaires sans formation et sans solde, connus sous le noms d'"irréguliers" et qui, munis d'armes à feu et de machettes, sont chargés d'assurer la sécurité aux abords de certaines villes et de certains villages.

Certains éléments suggéraient l'existence d'une collusion et d'une collaboration entre soldats gouvernementaux et forces rebelles. Quelques civils capturés ou enlevés par les forces rebelles, et qui ont ensuite réussi à s'enfuir ou ont été libérés, ont en effet déclaré que soldats gouvernementaux et rebelles opéraient ensemble. Tandis que certains soldats déserteurs rejoignaient les rangs des forces rebelles, il semble que d'autres se soient constitués en groupes armés autonomes pour attaquer et piller la population civile en se faisant passer pour des combattants du RUF.

En dépit des récits de témoins oculaires ayant assisté aux atrocités commises contre des civils, l'identité des responsables est souvent demeurée inconnue, car, en général, que soit au niveau de l'apparence ou du comportement, pratiquement aucune marque distinctive ne permettait de reconnaître les forces armées impliquées. La plupart des attaquants portaient l'uniforme de l'armée gouvernementale et leurs armes étaient identiques. Le RUF utilisait des armes, des munitions et des uniformes dérobés aux forces gouvernementales ou fournis par des troupes régulières complices. Dans certaines régions, comme dans les environs de la ville de Bo par exemple, des groupes composés de soldats gouvernementaux et de combattants rebelles semblaient être en opération. Dans cette zone, le RUF continuait de lancer des opérations ; toutefois, certaines attaques étaient imputables aux soldats gouvernementaux, tandis que d'autres semblaient être le fait de groupes armés composés de soldats déserteurs.

Au cours des mois et des semaines qui ont précédé les élections, les atteintes aux droits de l'homme sur la personne de civils se sont encore multipliées. Dans le cadre de ce qui semble avoir été une véritable stratégie – tant de la part des soldats gouvernementaux que des forces du RUF – visant à terroriser la population civile, des hommes, des femmes et des enfants ont eu les doigts, les mains ou les bras tranchés à coups de machette ; parfois, c'étaient les oreilles et les lèvres qui étaient coupées. Certains avaient, tailladés dans le dos ou sur la poitrine, des slogans dénonçant les élections.

Dans les provinces du Nord et du Sud, des civils ont été attaqués par les soldats gouvernementaux ainsi que par les forces rebelles. Dans les districts de Kambia et de Bombali (province du Nord), les villes de Kamakwie, de Kamalu et de Pendembu, ainsi que plus de 200 villages, ont été la cible d'attaques. Au cours de celles-ci, des dizaines de civils ont été délibérément et arbitrairement tués, et de nombreux autres enlevés. La façon dont se sont passés ces enlèvements et les témoignages de personnes enlevées ayant réussi à s'échapper confirment la responsabilité des forces du RUF. Les personnes enlevées ont été emmenées dans un camp du RUF situé dans les collines Malal où, déjà par le passé, des civils avaient été retenus prisonniers par les rebelles. Par la suite, on a retrouvé dans la région la trace de campements provisoires abandonnés par les rebelles.

Cette personne souffre de profondes entailles à la tête, au bras et au pied, après avoir été attaquée par un groupe d'hommes armés en uniforme militaire, dans le district de Bo (province du Sud).

Si les attaques lancées dans la province du Nord étaient le fait du RUF, il était moins facile d'identifier les responsables dans la province du Sud, où soldats gouvernementaux et forces rebelles s'en sont pris avec brutalité à la population civile durant la période précédant les élections. Entre le 19 et le 22 février 1996, lors de raids contre des villages situés dans les chefferies de Fakunya (district de Moyamba) et de Lubu (district de Bo), plusieurs personnes ont fait l'objet de tentatives d'amputation de leurs mains. D'autres se sont vu infliger l'inscription « pas d'élections » gravée au couteau dans la chair de leur dos, ou « RUF » sur le front. Certaines personnes ont également eu les doigts, la lèvre supérieure ou les oreilles coupés. Dans le village de Sumbuya (chefferie de Lubu), attaqué le 22 février 1996, les assaillants ont gravé au couteau les slogans « RUF » et « pas d'élections » sur le front et le dos d'un villageois. Ce dernier a aussi eu la lèvre supérieure et l'oreille droite coupées. L même jour, un groupe composé de personnes en uniforme ou en vêtements civils et armé de bâtons, de machettes, d'armes à feu et de fusils lance-grenades a attaqué le village de Kpatobu, situé à une dizaine de kilomètres de Sumbuya. Deux villageois ont été tués et au moins quatre autres mutilés ; un homme a eu la lèvre supérieure coupée et l'inscription « pas d'élections » gravée au couteau dans le dos.

Ce garçon de sept ans a eu la jambe délibérément coupée lors de l'attaque par un groupe armé du village de Komende, chefferie de Boama, dans le district de Bo (province du Sud), en février 1996.

Dans l'après-midi du 18 février 1996, un groupe composé de nombreux hommes en uniforme et bien armés, en apparence des soldats, s'est approché du village de Moyolo, chefferie de Fakunya. Ils ont déclaré qu'ils étaient envoyés par le général Maada Bio pour protéger le déroulement des élections. Aucun coup de feu n'a été tiré. Ces hommes ont demandé aux villageois s'ils avaient vu des rebelles. La réponse ayant été négative, les prétendus soldats ont affirmé être des rebelles du RUF. À Moyolo, ce jour-là, au moins vingt personnes ont été tuées. Elles auraient été regroupées de force dans une maison, puis contraintes de sortir une par une pour être tuées. Au nombre des victimes figurait Michael Bundor, un homme d'affaires accusé d'aider les kamajos, ces chasseurs locaux participant à la défense des villes et des villages contre les attaques rebelles, ainsi qu'à des opérations contre les forces rebelles. Il a été tué à coups de machette et de bâton. Ont également été tués : Bobo Blango, le porte-parole du village Tejan Sama, Vandi Ndanema, Alfred Kondor, Emmanuel Morovia, Brima Kamara et Mariama Abdulai. En outre, une quinzaine de personnes ont eu certains membres coupés à coups de machette, dont Philip John Bull, qui a perdu la main droite, et Moses Jangati, qui a eu la main gauche tranchée. Deux hommes capturés par les assaillants auraient été tués par la suite.

Les femmes et les enfants n'ont pas échappé aux atrocités. Des femmes ont été violées ou ont subi d'autres formes d'agressions sexuelles. Des machettes ou des baïonnettes ont été introduites dans leur vagin – certaines femmes en sont mortes. Lors de l'attaque contre Moyolo le 18 février 1996, au moins quatre femmes auraient été violentées, certaines à l'aide de baïonnettes. Au cours d'une attaque lancée le 7 février 1996 contre le village de Kanga Bomu, chefferie de Bum (district de Bonthe), une femme aurait subi l'intromission de bâtons dans son vagin avant d'être tuée. Le 25 mai 1996, une jeune fille de dix-huit ans a été violée à plusieurs reprises durant l'attaque du village de Mendema, chefferie de Bagbe (district de Bo) ; elle est morte par la suite d'une infection pelvienne. Le 1er juillet 1996, un groupe d'une cinquantaine de personnes portant l'uniforme militaire a attaqué le village de Monseneh, chefferie de Mano Sa Krim (district de Pujehun). Au moins sept personnes ont été tuées : quatre auraient té décapitées et trois femmes seraient mortes après qu'on leur eut introduit un bâton dans le vagin. Tout le village a été brûlé et tous les biens des villageois emportés. Selon d'autres informations, des femmes enceintes auraient été éventrées et leurs foetus arrachés. Certaines sources font aussi état de bébés enlevés du dos de leur mère et tués à coups de machette.

Parmi les nombreuses femmes qui ont subi de terribles épreuves, il y a cette femme d'une cinquantaine d'années qui a dû partir de chez elle, dans la province de l'Est, à la suite d'une attaque contre Panguma, en mars 1994, au cours de laquelle son mari, son gendre et trois de ses petits-enfants ont été tués. Elle s'est alors réfugiée à Mattru, un village situé à environ cinq kilomètres de Bo. En octobre 1995, elle a de nouveau été victime d'une attaque par des hommes armés portant l'uniforme militaire ; on ignore s'il s'agissait de soldats gouvernementaux ou de combattants rebelles. Après avoir été déshabillée, elle aurait subi des sévices sexuels. Puis elle a eu les deux mains tranchées à coups de machette ; ensuite, ses tortionnaires lui ont attaché les deux mains aux coudes avec de la ficelle en lui disant d'aller les porter à Bo en guise de message. Au cours de la même attaque, quatre autres personnes auraient eu des membres coupés.

Lors d'une attaque lancée contre le village de Komende, chefferie de Boama, en février 1996, un jeune garçon de sept ans a eu la jambe droite délibérément coupée. Le même jour, son père, sa mère, ses deux frères et ses deux sœurs ont été tués. Sa mère, enceinte de huit mois, a eu la gorge tranchée.

1. Pour tout renseignement complémentaire concernant le mandat, la composition et le fonctionnement des institutions nationales chargées de la promotion et de la défense des droits de l'homme, consulter le document intitulé Proposed Standards for National Human Rights Commissions (index AI : IOR 40/01/93) [Proposition de normes pour les commissions nationales de défense des droits de l'homme], publié par Amnesty International en janvier 1993.

2. La CEDEAO est une organisation internationale dont le siège se trouve au Nigéria et qui regroupe 16 États (Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte-d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria, Sénégal, Sierra Leone et Togo). La CEDEAO a pour mission de promouvoir la coopération et le développement entre les États membres, ainsi que de renforcer les relations entre ceux-ci.

3. Pour tout renseignement complémentaire sur les atteintes aux droits de l'homme commises dans le cadre de la guerre civile en Sierra Leone, se reporter au document intitulé Sierra Leone. Violations des droits de l'homme en Sierra Leone : les civils principales victimes de la guerre (index AI : AFR 51/05/95), publié par Amnesty International le 13 septembre 1995.

Les violations des droits de l'homme commises par les soldats gouvernementaux

Homicides et torture sur la personne de civils imputables aux soldats

D'après les informations obtenues par les représentants d'Amnesty International lors de leur séjour en Sierra Leone en avril 1996, il est possible que des soldats gouvernementaux aient participé à des attaques officiellement attribuées aux forces rebelles et qui se sont déroulées entre la fin décembre 1995 et la mi-janvier 1996, dans les environs des villes de Mano, Taiama et Njala (district de Moyamba). Au cours de ces attaques, un certain nombre de civils non armés ont été délibérément et arbitrairement tués. Des biens dérobés dans les villages auraient été aperçus par la suite dans des casernes. Les villes de Njala et de Taiama, ainsi que plusieurs villages, dont Foya, Njama, Periwahun et Senehun, dans les chefferies de Kori, de Kowa et de Kamajei (district de Moyamba), ont été attaqués durant la même période.

Ces attaques ont fait des dizaines de morts parmi la population civile. Les survivants souffraient de toutes sortes de blessures : blessures par balle, membres délibérément amputés, profondes entailles dues à des coups de machette ou de baïonnette. Les maisons ont été incendiées, les biens pillés. Dans le village de Njama (chefferie de Kowa), attaqué plusieurs fois entre le 24 décembre 1995 et le 4 janvier 1996, par des hommes armés vêtus du treillis militaire, de nombreuses personnes ont été tuées et beaucoup de maisons brûlées. Des hommes, des femmes et des enfants ont eu des membres coupés ou tailladés ; une vieille femme a eu la main gauche tranchée. Dans la ville de Taiama, attaquée le 3 janvier 1996, un petit garçon de cinq ans a été grièvement brûlé dans sa maison après que des hommes portant l'uniforme de l'armée l'eurent recouvert de plastique auquel ils ont mis le feu. La mère de cet enfant a été tuée. Un survivant a déclaré être certain que les responsables étaient des soldats gouvernementaux.

On ignore combien de civils ont été tués ou blessés lors de l'attaque lancée le 6 janvier 1996 contre Periwahun, chefferie de Kamajei. Un groupe important d'hommes revêtus du treillis militaire et armés de fusils et de machettes auraient pénétré dans le village, forçant les villageois à s'enfuir et brûlant les maisons. L'une des victimes aurait été poignardée, ligotée les bras dans le dos et menacée d'amputation.

Le 26 février 1996, premier jour des élections présidentielles et législatives, des hommes armés auraient attaqué les villes de Bo et de Kenema, faisant plusieurs victimes civiles. Le NPRC a accusé les forces rebelles de vouloir, par ces attaques, perturber le processus électoral. Un certain nombre d'éléments probants laissent toutefois à penser que les auteurs des attaques étaient en fait des soldats. Bon nombre de militaires ne souhaitaient pas que se tiennent des élections devant aboutir à la formation d'un gouvernement civil. Des personnes présentes lors de l'attaque contre Kenema le 26 février 1996 ont déclaré que celle-ci avait été organisée par des soldats gouvernementaux. Certains de ces derniers ont été reconnus parmi les rebelles présumés ; l'un d'eux a par exemple été identifié par son cousin. De même à Bo, ce sont des soldats gouvernementaux, et non des rebelles comme l'ont affirmé les autorités, qui ont tenté le 26 février 1996 d'interrompre les élections. Le 25 et le 26 février, cette ville a ét le théâtre de fusillades et de tirs d'obus. Les rebelles présumés auraient été aperçus quittant la caserne de l'armée. Une vingtaine de civils non armés ont été tués. Par la suite, une dizaine de soldats ont été capturés, mutilés et tués par des civils à titre de représailles.

Au cours des mois qui ont suivi les élections, des soldats gouvernementaux ont continué de participer à des attaques contre des civils. Le 23 juin 1996, un témoin a remarqué deux véhicules militaires à proximité du village de Yaweyoma (chefferie de Fakunya), au moment où cette localité essuyait une attaque menée par un groupe important d'hommes portant l'uniforme militaire. De nombreuses personnes auraient été tuées, d'autres auraient été blessées par balles. Personne n'a été enlevé. Les biens ont été pillés et les maisons brûlées.

Amnesty International n'a cessé d'exhorter les responsables des forces de sécurité à maintenir un contrôle strict au sein de leur hiérarchie, afin qu'ils empêchent leurs subordonnés de commettre des violations des droits de l'homme. Le gouvernement devrait prouver qu'il est totalement opposé aux violations des droits fondamentaux perpétrées par les forces régulières, et faire clairement comprendre à tous les membres des forces de sécurité que de telles violations ne sauraient être tolérées, quelles que soient les circonstances. Des enquêtes devraient être ouvertes sur les violations des droits de l'homme imputées aux forces de sécurité, et les auteurs d'actes de torture, de mauvais traitements et d'exécutions extrajudiciaires devraient être déférés à la justice.

Tortures et mauvais traitements infligés à des personnes détenues par les militaires

Depuis le début du conflit armé en Sierra Leone, des centaines de rebelles présumés et de personnes accusées d'aider les rebelles ou de collaborer avec eux ont été torturés ou maltraités par les soldats. Ces faits n'ont, semble-t-il, donné lieu à aucune enquête indépendante ou impartiale, et aucune mesure efficace n'a apparemment été prise afin d'empêcher que de mêmes faits ne se reproduisent.

Au cours de leur séjour dans le pays en avril 1996, les représentants d'Amnesty International ont visité la prison centrale de Pademba Road, à Freetown. Il y ont rencontré un certain nombre de prisonniers, notamment des détenus politiques incarcérés sans inculpation ni jugement sur ordre du NPRC. Beaucoup de ces détenus, apparemment emprisonnés parce qu'ils étaient soupçonnés d'avoir participé à des activités rebelles, présentaient des traces de tortures et de mauvais traitements subis alors qu'ils étaient aux mains des militaires, avant leur transfert dans la prison de Pademba Road. De nombreux détenus interrogés portaient encore les cicatrices des lésions occasionnées par les liens qui avaient tenu leurs bras étroitement ligotés dans le dos pendant de longues périodes. D'autres gardaient les marques des passages à tabac qu'ils avaient endurés, ainsi que des coups de baïonnette qu'ils avaient reçus.

D'autres détenus placés sous la garde des militaires ont également été maltraités. En avril 1996, une trentaine de soldats accusés ou inculpés d'infractions pénales ou militaires, telles que la désertion, étaient incarcérés dans la prison de Pademba Road et soumis à un régime pénitentiaire baptisé "détention militaire de sécurité". Nombre d'entre eux avaient été battus par les soldats lors de leur arrestation, ou bien avaient eu les bras étroitement ligotés dans le dos pendant de longues périodes.

Amnesty International prie instamment le gouvernement de veiller à ce que ceux qui sont à la tête des forces armées fassent preuve d'autorité pour que les forces gouvernementales ne commettent pas de violations des droits fondamentaux, telles que tortures ou mauvais traitements à l'encontre de personnes détenues. Toute plainte pour agissements de cette sorte devrait faire l'objet d'une enquête impartiale et indépendante, les responsables devant être déférés à la justice. En signant la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le gouvernement sierra-léonien a pris l'engagement de n'agir d'aucune façon qui soit contraire à ce traité, ainsi que de prendre des mesures de prévention destinées à empêcher les actes de torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants. Amnesty International exhorte le gouvernement à ratifier cette convention.

Autres cas de torture et de mauvais traitements à l'encontre de civils imputables à des soldats gouvernementaux

En de nombreuses occasions, des soldats gouvernementaux se sont rendus coupables de tortures et de mauvais traitements dans des circonstances qui n'étaient pas toujours directement liées au conflit en cours.

Entre le 26 et le 28 octobre 1995, à la suite apparemment d'un désaccord intervenu entre un civil et le chauffeur du lieutenant-colonel Karefa Kargbo, un ancien membre éminent du NPRC, un groupe de soldats a fait irruption dans plusieurs maisons situées aux alentours de Sibthorpe Street, à Freetown, et agressé physiquement des civils à leur domicile ou dans la rue. Des hommes et des femmes ont été passés à tabac. Ces faits n'ont donné lieu à aucune enquête officielle, et aucune sanction n'a été prise contre les soldats responsables.

Paul Kamara, rédacteur en chef du journal For di people et président d'une organisation non gouvernementale de défense des droits de l'homme dénommée National League for Human Rights and Democracy (Ligue nationale pour les droits de l'homme et la démocratie), a accepté, en janvier 1996 le poste de secrétaire d'État aux Affaires agraires, au Logement et à l'Environnement dans le NPRC remanié du général Maada Bio. De nombreuses personnes ont été surprises par cette nomination. En effet, Paul Kamara et son journal ne s'étaient pas montrés avares de critiques à l'égard du NPRC. Cet homme avait été détenu sans inculpation à plusieurs reprises dans le passé, l'arrestation la plus récente remontant à août 1995, date à laquelle il avait été détenu durant deux jours à la suite d'un article critiquant la façon du NPRC de gérer le conflit en cours. Dans la soirée du 26 févier 1996, premier jour des élections, Paul Kamara a été sérieusement blessé par des soldats en uniforme, qui lui ont tiré dessus avec des AK76 peu aprs l'imposition d'un couvre-feu. De graves lésions à la jambe ont nécessité qu'il soit emmené à l'étranger pour y être soigné. Les hauts responsables militaires ont déclaré qu'une enquête officielle serait ouverte, mais celle-ci n'a toujours pas eu lieu.

En février 1996, peu avant les élections, un soldat aurait été tué par des villageois après avoir tenté de voler de l'huile de palme dans un village proche de Tikonko (district de Bo). Selon certaines informations, des soldats sont entrés un peu plus tard dans le village à la recherche de leur collègue, puis ont regroupés dix hommes et deux femmes, tous d'un certain âge. Ces personnes ont été battues, avant d'être emmenées à la caserne de Tikonko, d'où elles ont ensuite été transférées au quartier général militaire de Bo. Là, elles auraient à nouveau été rouées de coups. Ces mauvais traitements se sont soldés par des fractures pour deux personnes et des brûlures pour trois autres. Par la suite, ces hommes et ces femmes ont été remis aux mains de la police, qui les a tous relâchés à l'exception d'une personne.

La veille du scrutin du 26 février 1996, des coups de feu sporadiques, des agressions physiques sur la personne de civils et des actes de pillage, imputables aux soldats gouvernementaux, ont été signalés dans Bo. Certains soldats auraient pénétré dans des camps pour personnes déplacées et frappé des gens. À un barrage, une vieille femme a été sauvagement battue par des soldats, qui lui ont cassé un bras.

Depuis l'arrivée au pouvoir du président Ahmad Tejan Kabbah, certaines initiatives ont été prises visant à améliorer la discipline au sein des forces régulières et à traduire en justice les responsables de violations des droits de l'homme. Deux soldats ont été renvoyés de l'armée et emprisonnés durant un mois. Le 20 août 1996, une cour martiale les avait reconnus coupables dans une affaire de viol et d'agression survenue le 14 août dans le village de Petema, chefferie de Bumpe (district de Bo). Un troisième soldat avait été rétrogradé.

Recommandations

•                Des mesures efficaces devraient être prises sans délai pour mettre fin aux violations des droits de l'homme commises par les soldats gouvernementaux, qu'ils participent ou non au conflit armé interne en cours.

•                La torture, les mauvais traitements et les exécutions extrajudiciaires devraient être officiellement condamnés et interdits par la loi ; le gouvernement sierra-léonien devrait faire comprendre à tous les membres des forces de sécurité que les violations des droits de l'homme ne sauraient être tolérées, quelles que soient les circonstances.

•                Un contrôle hiérarchique strict devrait être assuré sur les forces de sécurité sierra-léoniennes, afin qu'elles ne puissent pas commettre de violations des droits fondamentaux telles qu'actes de torture, mauvais traitements et exécutions extrajudiciaires.

•                Toute plainte pour torture, mauvais traitements ou exécution extrajudiciaire devrait faire l'objet d'une enquête rapide, impartiale et efficace, conformément aux normes internationales, et les responsables devraient être traduits en justice.

•                Tous les membres des forces de sécurité devraient, au cours de leur formation, être instruits du fait que la torture, les mauvais traitements et les exécutions extrajudiciaires sont des actes criminels.

•                Il incombe aux pays qui fournissent formation militaire, armes ou toute autre forme d'assistance militaire au gouvernement sierra-léonien de veiller à ce que leur aide comporte des garanties en matière de droits de l'homme.

Les exactions commises par le RUF

Les dirigeants du RUF ont souvent affirmé que les attaques visant les populations civiles, au cours desquelles des hommes, des femmes et des enfants ont été maltraités, torturés, voire tués de façon arbitraire et délibérée, n'étaient pas le fait de leurs forces mais des soldats gouvernementaux. En mars 1996, cependant, alors que se déroulaient à Yamoussoukro (Côte-d'Ivoire) les pourparlers de paix entre le président du NPRC, le général Maada Bio, et le dirigeant du RUF, Foday Sankoh, ce dernier a reconnu que son mouvement s'était rendu coupable d'atteintes aux droits de l'homme. Il aurait ainsi déclaré : « Oui, nous avons commis des atrocités. Un jour, nous nous présenterons devant le peuple pour lui demander de nous pardonner ». Cette déclaration, par laquelle le RUF reconnaît s'être livré à des exactions, doit être suivie d'ordres clairs de la direction du mouvement interdisant toute atteinte aux droits de l'homme, ainsi que d'autres mesures de prévention, dont la recherche des responsabilités concernant le atrocités commises dans le passé.

Homicides délibérés et arbitraires, tortures et mauvais traitements sur la personne de civils

Au cours des mois et des semaines qui ont précédé les élections, le RUF s'est rendu coupable de nombreuses attaques contre la population civile dans les provinces du Nord et du Sud.

Le 22 décembre 1995, plusieurs civils sont tombés dans une embuscade tendue par un groupe de rebelles près du village de Gbaama, chefferie de Jaiama Bongor (district de Bo). Les rebelles, au nombre de 15 ou 20, se composaient d'hommes, de femmes et de jeunes garçons armés de fusils, de machettes et de lances. Certains portaient l'uniforme militaire, d'autres étaient vêtus d'habits ordinaires. Ils ont menacé de tuer tous les civils. L'un d'entre eux, un ingénieur électricien d'une quarantaine d'années, s'est entendu dire par les rebelles qu'au lieu d'être tué il allait devoir porter un message à Gondama, où se trouve un grand camp pour personnes déplacées, à onze kilomètres au sud de Bo. Cet homme a alors dû, sous la menace d'une arme, tendre une main, qui a été coupée à la machette. Sa main a ensuite été mise dans un sac, qu'il a reçu l'ordre de porter à Gondama pour dire que les rebelles contrôlaient la région. Cinq ou six des hommes présents ont été enlevés ; on est sans nouvelles à leur sujet.

Au cours des mois suivants, les forces du RUF ont poursuivi leurs attaques dans la province du Sud. En février 1996, à l'époque des élections, de nombreux villages ont été pris pour cible dans les districts de Bo et de Moyamba. Des attaques ont également eu lieu dans le district de Pujehun : le 8 mars 1996, un groupe composé de plus d'une cinquantaine de personnes en treillis militaire a investi le village de Pehala, chefferie de Panga Kaponde, avant de le brûler en partie. Trois personnes auraient été abattues et une quatrième tuée à coups de machette. De nombreuses autres personnes, dont des femmes et des enfants, ont été grièvement blessées par des coups de machette.

Le RUF est aussi à l'origine d'un grand nombre d'attaques lancées en février 1996 dans la province du Nord. Entre le 17 et le 29 février, pendant la période électorale et juste après le scrutin, une soixantaine de villages ont ainsi été dévastés dans les chefferies de Tonko Limba, Bramaia, Masungbala et Magbema (district de Kambia). Des dizaines de personnes ont été tuées de façon arbitraire et délibérée, et plus d'une trentaine enlevées ; des centaines de maisons ont été pillées, puis brûlées. À la mi-février, les forces du RUF se sont lancées à l'assaut des villes de Kamakwie, Kamalu et Pendembu, et ont attaqué plus de 200 villages du district de Bombali. Une soixantaine de familles auraient perdu certains de leurs parents, tués ou enlevés. Les biens – y compris les équipements médicaux – ont été pillés et les maisons incendiées.

Les forces rebelles n'ont pas cessé leurs attaques après la proclamation du cessez-le-feu, le 17 mars 1996. Si la plupart des opérations comportaient, semble-t-il, des manoeuvres de harcèlement à l'encontre de la population civile, ainsi que des actes de pillage, des informations n'ont aussi cessé de faire état de civils tués, mutilés, battus ou enlevés. Les combattants du RUF se sont montrés particulièrement actifs aux alentours de Gerihun et de Yamandu, à l'est de Bo, ainsi qu'au nord de cette ville, autour de Yele, Mongeri, Mandu et Dambara, où étaient installées des bases rebelles. Au cours du mois d'avril 1996, des attaques du RUF ont été signalées contre plusieurs villages du district de Tonkolili, notamment dans les chefferies de Bonkolenken et de Tane, où des civils ont été tués et torturés, capturés et enlevés. Les vivres et les biens ont été volés, et les maisons détruites.

Le 24 mars 1996, dans le village de Boaboabu, à environ huit kilomètres de la ville de Kenema, des rebelles auraient ouvert le feu sur un groupe composé de nombreuses femmes originaires de Kenema, au moment où elles se dirigeaient vers eux. Quatre jours plus tôt, les rebelles avaient capturé un groupe – moins important – de femmes, puis avaient relâché ces dernières en leur demandant de revenir nanties de la promesse des autorités qu'elles garantiraient leur sécurité s'ils déposaient les armes. Les autorités civiles et militaires de Kenema conseillèrent aux femmes de ne pas retourner voir les rebelles. Les femmes retournèrent néanmoins, mais, comme elles n'avaient aucune promesse officielle à transmettre, les membres du RUF ouvrirent le feu sur elles. On ignore combien de femmes sont mortes ce jour-là. Six d'entre elles, dont Baby Cecilia Lahai, Mariama Musa et Aminata Senessie, ont été grièvement blessées par balles et ont dû être hospitalisées. Six femmes qui auraient été enlevées par les rebelles à l'époqu de ces faits ont été relâchées par la suite.

Début mai 1996, les forces du RUF ont lancé des attaques contre plusieurs villages des chefferies de Lubu, de Gbo et de Boama (district de Bo), attaques au cours desquelles des civils ont été frappés, poignardés ou tailladés à coups de machette. De nombreux civils ont aussi été enlevés. Dans la matinée du 1er mai, des combattants du RUF revêtus du treillis militaire, mais parmi lesquels se trouvaient de nombreux enfants en vêtements ordinaires, seraient entrés dans Sumbuya, chefferie de Lubu (district de Bo). Plusieurs civils ont été grièvement blessés par balles. De nombreux civils, dont des enfants, ont été enlevés. L'un d'eux a reçu une balle dans le bras, quand il a refusé de suivre les rebelles.

Le village de Maina, à une dizaine de kilomètres de Gerihun, chefferie de Boama, a été attaqué le 3 mai 1996 par un groupe armé portant l'uniforme militaire. Au nombre des assaillants, qui s'en sont pris aux civils à coups de machette, figuraient des enfants. Les rebelles ont enlevé des hommes, des femmes et des enfants.

Au moins 100 civils auraient été tués le 4 mai 1996 à Bendu, chefferie de Malen (district de Pujehun), lors d'une offensive menée par des chasseurs locaux – les kamajos – qui cherchaient à délivrer des personnes enlevées par les rebelles. Certains civils ont été pris entre deux feux ; d'autres ont été regroupés, puis contraints d'entrer dans une maison qui a été incendiée. D'après certains témoignages, la plupart des victimes avaient entre cinquante et soixante-quinze ans. Des personnes plus jeunes ont été capturées et enlevées.

Des affrontements ont également opposé, le 10 mai 1996, des kamajos à un groupe de rebelles près du village de Gondama, chefferie de Kamajei. Lorsque les rebelles sont retournés dans le village, entre 60 et 100 personnes auraient été tuées ; certaines d'entre elles auraient été décapitées. De nombreuses autres souffraient de graves blessures par balles ou d'entailles profondes dues à des coups de machette. Une quinzaine de personnes ont été capturées et contraintes de porter le butin des pillages ; elles auraient été tuées par la suite.

Durant les mois de juin et juillet 1996, les forces rebelles ont continué de lancer des opérations contre des villages afin de s'approvisionner en aliments, notamment en riz. Dans de nombreux cas, les villageois qui refusaient de leur donner des vivres ont été battus, voire attaqués à coups de machette et de baïonnette. Le 1er juin, un groupe important de rebelles portant l'uniforme militaire ou habillés en civil auraient pénétré dans le village de Negbema, chefferie de Niawa Lenga (district de Bo), armés d'AK47 et de fusils lance-grenades. De nombreux villageois auraient été battus et au moins sept jeunes garçons auraient été enlevés.

Traitements inhumains et homicides sur la personne de civils capturés

Un grand nombre de civils sierra-léoniens, notamment des jeunes gens et des enfants, ont été capturés puis enlevés par les forces du RUF. Le groupe rebelle a toujours nié détenir des personnes contre leur volonté, affirmant que des civils avaient rejoint ses rangs de leur plein gré. Dans la plupart des cas, cependant, les civils capturés étaient détenus sous la contrainte, menacés de mort ou de mauvais traitements, et ils n'avaient guère d'autre choix que celui de coopérer, bien qu'il semble aussi que certains aient décidé par la suite de rejoindre les rangs du RUF. On estimait à des dizaines de milliers le nombre de Sierra-Léoniens vivant dans des régions qui étaient encore des bastions rebelles, par exemple dans certaines zones des districts de Kailahun et de Pujehun.

Il est impossible d'avoir des nouvelles de la plupart des civils capturés par les forces rebelles tant qu'ils ne sont pas parvenus à s'enfuir ou n'ont pas été libérés. Leur famille et leur communauté sont laissées dans l'ignorance de leur sort, ne sachant s'ils sont en vie et en sécurité.

Des civils enlevés qui avaient tenté de se cacher ou de s'enfuir ont été délibérément et arbitrairement tués. Des jeunes filles et des jeunes femmes ont été violées. Des enfants ont été enrôlés de force pour combattre dans les rangs des rebelles. Certaines informations laissaient à penser que des civils capturés avaient été contraints de cacher des rebelles lors d'opérations militaires et que, de ce fait, ils se plaçaient dans une situation vulnérable en cas de contre-offensive. Des civils ont été forcés de porter les vivres et les biens volés.

De nombreux civils capturés semblaient être gravement sous-alimentés, car la nourriture qu'ils recevaient leur permettait tout juste de survivre. Plusieurs d'entre eux seraient morts de malnutrition. D'autres, détenus dans des camps rebelles en pleine brousse, seraient morts de maladie et d'absence de soins médicaux.

Quelque 250 civils capturés auraient été libérés le 22 avril 1996 à Bendu, chefferie de Malen. Parmi eux figurait Ansuma Conteh, un technicien de laboratoire enlevé en janvier 1995, lors de l'attaque par le RUF de la Sierra Leone Ore and Metal Company (SIEROMCO), dans le district de Moyamba. D'autres civils ont été délivrés après une offensive lancée contre les forces rebelles à Bendu, chefferie de Malen, le 4 mai 1996. Certains des civils relâchés étaient détenus depuis plus d'un an par les rebelles. Plus d'un millier et demi de personnes, dont un grand nombre de femmes et d'enfants, auraient été relâchées dans le district de Bo au cours du mois d'août 1996. Beaucoup d'entre elles étaient sous-alimentées et malades.

Les rebelles ont toutefois continué d'enlever des civils et plusieurs centaines d'entre eux seraient encore prisonniers. De nombreux civils auraient été enlevés lors des attaques lancées en février 1996 par le RUF dans la province du Nord. Des enfants auraient été enlevés par les rebelles à l'issue d'une opération contre le village de Sumbuya, chefferie de Lubu, le 1er mai 1996. En mai en en juin, un grand nombre d'habitants de villages situés dans les chefferies de Bagbe, de Badja et de Valunia (district de Bo) auraient été capturés. Le 10 juin, un groupe important de rebelles aurait attaqué le village situé au carrefour de Bangema, chefferie de Valunia, et enlevé la plupart de ses habitants, qui auraient été contraints de porter les vivres volés jusqu'au village de Boamahun. La plupart des personnes enlevées, dont certaines ont été battues et ligotées, ont été relâchées par la suite.

En juin 1996, Amnesty International a écrit au dirigeant du RUF, Foday Sankoh, en Côte-d'Ivoire, pour recommander une nouvelle fois à la direction de ce mouvement de mettre fin aux atteintes aux droits de l'homme. L'Organisation demandait notamment aux dirigeants du RUF d'expliquer à leurs forces qu'ils étaient totalement opposés à la torture et au meurtre de non-combattants, d'interdire les homicides délibérés et arbitraires sur la personne de non-combattants, ainsi que les prises d'otages, d'ordonner que les prisonniers soient traités avec humanité, qu'ils soient civils ou membres des forces armées, et de ne jamais les tuer. Amnesty International a, à plusieurs reprises, exhorté le RUF à se conformer aux normes minimales du comportement humanitaire, telles qu'énoncées dans le droit international humanitaire, notamment dans l'article 3 commun aux Conventions de Genève, qui s'applique aux conflits armés internes.

Dans une déclaration publiée le 5 mars 1996, et faisant suite aux premiers pourparlers de paix avec les représentants du NPRC, le RUF s'engageait à respecter les principes élémentaires du droit international humanitaire, notamment l'article 3 commun aux Conventions de Genève.

Les forces du RUF ont toutefois continué de se livrer à des exactions, en dépit de l'annonce d'un cessez-le-feu le 17 mars 1996. Dans la lettre qu'elle a adressée à Foday Sankoh en juin 1996, Amnesty International demandait aux dirigeants du RUF des éclaircissements quant aux mesures qu'ils avaient prises et continuaient de prendre pour traduire dans les faits leur engagement déclaré de respecter les principes élémentaires du droit international humanitaire. L'Organisation souhaitait notamment savoir si des instructions précises avaient été transmises aux combattants du RUF, leur ordonnant de ne pas commettre d'atteintes aux droits de l'homme ; elle demandait également si des enquêtes avaient été ouvertes sur les exactions présumées, de manière à ce que les individus soupçonnés d'être les auteurs de tels agissements soient écartés de tout poste de commandement ou de toute fonction susceptible de les mettre en contact avec des prisonniers, ou avec toute autre personne risquant de voir ses droits bafoués.

Recommandations

•                Les dirigeants du RUF devraient prouver leur engagement à respecter les droits de l'homme et les principes élémentaires du droit international humanitaire. Ils devraient expliquer aux forces sous leurs ordres qu'ils sont totalement opposés à la torture et au meurtre de non-combattants, quelles que soient les circonstances.

•                Des mesures devraient être prises immédiatement pour que, tant que dureront les hostilités, les forces du RUF se conforment aux normes minimales en matière de comportement humanitaire.

•                Un contrôle efficace devrait être exercé sur les membres du RUF par leurs supérieurs afin d'empêcher les tortures et le meurtre de non-combattants.

Personnes déplacées et réfugiés

Des centaines de milliers de Sierra-Léoniens ont dû quitter leur maison et leur travail pour échapper à la torture, aux mauvais traitements, ainsi qu'aux homicides délibérés et arbitraires. Certains ont fui vers la Guinée ou le Libéria voisins, mais la plupart sont devenus des personnes déplacées dans leur propre pays. Recueillis par des parents ou des amis dans les principales villes de Sierra Leone, ou bien dans des camps pour personnes déplacées, ils ont traversé de terribles épreuves. Ils ont perdu leur maison, leurs biens et leurs moyens de subsistance. Ils ont affronté le manque de nourriture et la maladie. De nombreux civils ont été déplacés plus d'une fois au cours du conflit, allant de camp en camp au fur et à mesure que la situation se détériorait et que les attaques armées gagnaient le pays tout entier. Les camps pour personnes déplacées n'ont pas été épargnés par les attaques, qu'elles soient le fait des soldats gouvernementaux ou des forces rebelles.

L'étendue du phénomène des personnes déplacées en Sierra Leone est immense. Selon les estimations de l'ONU pour 1996, plus de deux millions de personnes, soit près de la moitié de la population totale, ont été forcées de partir de chez elles ; la plupart d'entre elles sont restées dans le pays tandis que les autres, quelque 360 000, ont gagné la Guinée ou le Libéria voisin pour y trouver refuge.

La population de Freetown est passée de 730 000 personnes à plus d'un million en 1996. Seulement 20 000 personnes déplacées se trouvaient dans des camps à l'intérieur et à proximité de la capitale. On estime à 230 000 le nombre de personnes ayant trouvé refuge à Bo.

Dans la ville de Bo, le nombre de personnes déplacées – qui s'élevait déjà à plusieurs dizaines de milliers – a connu une augmentation spectaculaire en octobre 1995, lorsque les civils ont fui les attaques particulièrement brutales lancées contre les villes et les villages de la région environnante. Des hommes, des femmes et des enfants, mutilés délibérément par leurs assaillants, sont arrivés à Bo avec les doigts, les mains ou les bras coupés ; d'autres avaient été victimes de violences sexuelles, souffraient de graves entailles causées par des coups de machette, ou bien avaient

© Jon Spaull été blessés par balles lors d'attaques menées tant par les soldats gouvernementaux que par les forces rebelles contre des villages dans toute la province du Sud. Près de 14 000 personnes déplacées de fraîche date sont arrivées à Bo au cours du mois de décembre 1995, suivies de quelque 26 500 autres en janvier 1996, après que des dizaines de villages eurent été attaqués dans les districts de Moyamba et de Bo.

Malgré le cessez-le-feu entré en vigueur en mars 1996, les attaques se sont poursuivies, contraignant de nouveaux civils à fuir leur maison et empêchant ceux qui étaient déjà partis de revenir chez eux. Début juillet 1996, plus de 16 000 civils auraient fui leurs villages dans le district de Tonkolili, à la suite d'attaques attribuées au RUF. Ils ont tenté de gagner les camps pour personnes déplacées de Magburaka et de Matotoka, qui auraient connu de graves pénuries de vivres et de médicaments.

Des milliers de réfugiés sierra-léoniens sont revenus du Libéria voisin, où les combats entre les diverses factions armées libériennes se sont intensifiés à partir de début avril 1996. La plupart des réfugiés ont cependant estimé qu'il était risqué pour eux de retourner dans leur village.

Au début du mois de juillet 1996, la sécurité de la population civile demeurant toujours aussi incertaine, les personnes déplacées continuaient d'affluer dans la ville de Bo, venant de villages situés dans les districts de Bo, de Moyamba et de Bonthe (province du Sud), ainsi que dans les districts de Kenema et de Kailahun (province de l'Est). Au cours du mois suivant, toutefois, des milliers de personnes déplacées ont commencé à retourner vers le district de Pujehun.

Un ministère de la Reconstruction nationale, du Repeuplement et de la Réinsertion a été créé, afin de faire face à la situation de dévastation engendrée par la guerre civile et d'aider les centaines de milliers de Sierra-Léoniens à retourner chez eux, à reconstruire leur vie et leur communauté.

Tant que les mesures appropriées visant à protéger les civils contre les atteintes aux droits de l'homme qu'ils ont fuies ne seront pas prises, il ne sera pas possible pour les milliers de Sierra-Léoniens devenus des réfugiés ou des personnes déplacées de revenir en toute sécurité, et définitivement, chez eux.

Recommandations

•                Tous les efforts devraient être faits pour garantir la sécurité des personnes déplacées ; les camps pour personnes déplacées devraient pouvoir bénéficier de mesures de protection adéquates contre les atteintes aux droits de l'homme.

•                La communauté internationale devrait aider le gouvernement sierra-léonien à assurer la sécurité des réfugiés et des personnes déplacées durant le processus de retour dans les foyers.

Autres motifs de préoccupation se rapportant aux droits de l'homme

La détention politique sans inculpation ni jugement

Le gouvernement du président Ahmad Tejan Kabbah a déclaré qu'il s'engageait à restaurer et défendre l'État de droit. Lorsqu'il avait pris le pouvoir en 1992, le NPRC avait suspendu certaines dispositions de la Constitution de 1991 et gouverné par proclamations et par décrets. La législation adoptée par le NPRC a porté atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine, tels que la protection contre toute arrestation ou détention arbitraires et la liberté d'expression. La section 6 de la Proclamation du 4 mai 1992 relative à l'administration de la Sierra Leone (Conseil national provisoire de gouvernement) donnait au NPRC le pouvoir « de prendre contre toute personne toute décision de placement en détention » et prévoyait qu'une telle décision « ne pouvait être remise en cause devant quelque tribunal que ce soit ». Depuis 1992, des centaines de détenus politiques ont été incarcérés pour une durée indéterminée sans inculpation ni jugement, en violation des normes internationales relatives aux droits de l'hmme, notamment de celles garantissant la présomption d'innocence, l'équité des procès et la protection contre toute arrestation ou détention arbitraires.

Les dispositions de la Constitution de 1991 que le NPRC avait suspendues – soit par proclamation, soit par décret – ont été rétablies début juillet 1996, lorsque le Parlement a promulgué la Loi de 1996 relative au rétablissement des dispositions constitutionnelles. L'article 17 de la Constitution garantit la protection contre l'arrestation et la détention arbitraires : toute personne arrêtée et détenue doit être présentée devant un tribunal et inculpée dans les soixante-douze heures, ou bien être relâchée.

Début avril 1996, quelques jours seulement avant de prêter serment, le président Ahmad Tejan Kabbah a annoncé la libération de 67 personnes soupçonnées d'activités rebelles et détenues sans inculpation ni jugement dans la prison de Pademba Road. Trois personnes incarcérées dans des conditions similaires dans la même prison et classées par les autorités pénitentiaires comme étant des rebelles présumés – Momoh Saffa, détenu depuis juin 1994, Ibrahim Mansaray, incarcéré depuis 1995, et Ishaka Sesay, emprisonné en octobre 1994 – n'ont pas bénéficié de cette mesure de libération.

Le président Ahmad Tejan Kabbah a également ordonné la libération de trois membres de l'ancien gouvernement du président Joseph Saidu Momoh qui étaient toujours en résidence surveillée, à savoir Joseph B. Dauda, Solomon Leonard Fofanah et Bu Buakei Jabbie. Aucune inculpation pénale n'avait été prononcée contre ces personnes. Le NPRC affirmait qu'elles n'avaient pas dédommagé l'État des sommes qu'elles étaient accusées d'avoir détournées sous le précédent gouvernement.

En dépit du fait que l'entrée en vigueur le 14 mars 1996 du Décret n° 6 du NPRC, dit Décret relatif à l'immunité et à la transition (1996), ait annulé la Proclamation de 1992 relative à l'administration de la Sierra Leone (NPRC), 30 personnes étaient toujours incarcérées sous le coup d'une ordonnance de placement en détention du NPRC dans la prison de Pademba Road en avril 1996, lorsque des représentants d'Amnesty International se sont rendus dans le pays. Nombre de ces détenus ont apparemment été arrêtés parce qu'ils étaient soupçonnés d'avoir pris part à des activités rebelles. Parmi eux figure Victor Alimamy Kanu, ancien inspecteur des écoles pour les districts de Kambia et de Port Loko (province du Nord), qui a été arrêté le 25 septembre 1994 parce que, semble-t-il, sa famille connaît un membre de l'ancien gouvernement de l'All People's Congress (APC, Congrès du peuple réuni) ; il a été incarcéré sans inculpation ni jugement.

Sept soldats arrêtés début octobre 1995, à la suite d'une tentative présumée de coup d'État étaient toujours, en avril 1996, détenus sans inculpation ni jugement dans la prison de Pademba Road pour des motifs politiques. Il s'agissait du lieutenant John Kallon, du lieutenant James Bishop Kamara, du caporal Sallu Kamara, du capitaine Alie Bakara Koroma, du lieutenant Sahr J. Panda, du lieutenant Augustin Kanja Sandy et du lieutenant Christopher Stevens. Ces sept hommes étaient toujours en prison sans qu'aucune charge ait été officiellement retenue contre eux, alors que d'autres soldats arrêtés en même temps qu'eux avaient été libérés en février 1996.

Quatre autres détenus politiques étaient, eux aussi, maintenus en détention. Ces quatre personnes – trois Sierra-Léoniens, dont une femme, et un Guinéen –, accusées d'appartenir au RUF, avaient été arrêtées en Guinée en novembre 1995 et remises aux mains des forces de sécurité sierra-léoniennes, en vertu, semble-t-il, d'un accord de défense existant entre les deux pays. Elles avaient par la suite été détenues à Freetown, d'abord au quartier général militaire de Cockerill, puis dans une maison, toujours sous la garde des militaires. Au début du mois d'avril 1996, l'armée a remis ces quatre personnes à la police, qui les a placées en détention au siège de la police judiciaire à Freetown. Fin août 1996, Alhaji Mohamed Ali Barrie, Isatu Kallon Koroma, James Massallay et Braimah Shangari n'avaient toujours pas été inculpés d'une quelconque infraction, quelque neuf mois après leur arrestation, et se trouvaient toujours au siège de la police judiciaire.

Que ce soit lors des rencontres entre ses représentants et des responsables du gouvernement sierra-léonien en avril 1996 ou dans sa lettre du mois de mai au président Ahmad Tejan Kabbah, Amnesty International n'a cessé de demander avec insistance la révision de tous les cas de détention politique sans inculpation ni jugement. Toutes les personnes placées en détention pour une durée indéterminée sans inculpation ni procès devraient être libérées si elles ne sont pas inculpées d'une infraction prévue par la loi et jugées sans délai d'une manière équitable, conformément aux normes internationales relatives à l'équité des procès.

Trente-trois détenus politiques ont été libérés le 16 août 1996. Parmi eux figuraient six des sept soldats incarcérés depuis octobre 1995, ainsi que Victor Alimamy Kanu. Amnesty International s'est félicitée de ces libérations.

Des inquiétudes ont surgi concernant le respect de l'État de droit, lorsque, le 19 juillet 1996, le rédacteur en chef de l'hebdomadaire The Point, Edison Yongai, a été arrêté par la police judiciaire et détenu cinq jours avant d'être inculpé. Il avait publié un article accusant plusieurs ministres du gouvernement d'être corrompus. Edison Yongai a été détenu au siège de la police judiciaire jusqu'au 22 juillet, date à laquelle il a été transféré dans la prison de Pademba Road. Le lendemain, soit cinq jours après son arrestation, 10 chefs d'inculpation liés au délit de diffamation séditieuse ont été retenus contre lui, en vertu de la Loi de 1965 relative à l'ordre public. Edison Yongai a finalement été libéré sous caution. Le 9 août, cependant, il a de nouveau été arrêté, puis a été détenu toute la nuit dans la prison de Pademba Road.

Recommandations

•                Toutes les personnes détenues sans inculpation ni jugement devraient être libérées si elles ne sont pas inculpées et jugées de façon équitable, conformément aux normes internationales.

La peine de mort

Amnesty International considère que la peine de mort constitue une violation du droit fondamental à la vie et du droit de ne pas être soumis à un châtiment cruel, inhumain ou dégradant. En conséquence, elle est inconditionnellement opposée à son application. Aucune des nombreuses études réalisées dans différents pays n'a fourni la preuve scientifique et irréfutable que la peine capitale ait un effet dissuasif particulier par rapport à d'autres châtiments.

Les dernières exécutions judiciaires qui ont eu lieu en Sierra Leone remontent à novembre 1994. À cette époque, 12 militaires, dont un sous-officier de soixante-dix-sept ans, ont été exécutés après avoir été reconnus coupables par des tribunaux militaires de Freetown de différentes charges, notamment de collaboration avec les rebelles, de vol à main armée et de meurtre. La peine de mort prononcée en janvier 1995 contre un officier supérieur, le lieutenant-colonel Chernor M. Deen, reconnu coupable par un tribunal militaire d'avoir aidé et renseigné les forces rebelles, a été par la suite commuée en une peine de détention à perpétuité.

Les tribunaux militaires sont composés d'un jury d'officiers supérieurs présidé par un juge civil de Haute cour, qui conseille le jury sur certains points de droit. Les accusés n'ont pas le droit d'interjeter appel devant une juridiction supérieure de la déclaration de culpabilité et de la peine. Toute sentence doit être confirmée par le chef de l'État.

En avril 1996, 58 prisonniers – dont quatre femmes – de la prison de Pademba Road se trouvaient sous le coup d'une condamnation à mort. Au moins cinq personnes étaient des soldats qui avaient été condamnés par des cours martiales et n'avaient pu former un recours devant une juridiction supérieure. En outre, plusieurs des personnes condamnées à mort ont affirmé qu'elles avaient moins de dix-huit à l'époque des faits qui leur étaient reprochés. Les Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort approuvées en 1984 par l'Assemblée générale des Nations unies disposent que la peine de mort ne pourra pas être prononcée contre les personnes qui étaient âgées de moins de dix-huit ans au moment du crime et que toute personne condamnée à mort aura le droit de faire appel devant une juridiction supérieure.

Amnesty International prie instamment le gouvernement sierra-léonien d'abolir la peine de mort dans sa législation, conformément à la tendance qui s'accentue en Afrique et dans le monde entier. En effet, 19 États africains, et une majorité d'États dans le monde, ont aboli la peine de mort en droit ou de fait. En attendant que la peine de mort soit abolie, l'Organisation exhorte les autorités sierra-léoniennes à commuer la sentence capitale frappant les 58 prisonniers et à ne plus prononcer aucune condamnation à mort.

Recommandations

•                Amnesty International demande instamment au gouvernement sierra-léonien d'abolir la peine de mort dans sa législation. En attendant cette abolition, toutes les condamnations à mort devraient être commuées et aucune autre sentence capitale ne devrait être prononcée.

La ratification des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme

De nombreux gouvernements civils nouvellement constitués ont ratifié les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme afin de démontrer leur volonté de respecter ces droits.

Amnesty International encourage vivement le gouvernement sierra-léonien à ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques – auquel 132 États sont déjà parties –, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants – signée mais pas encore ratifiée par la Sierra Leone. Grâce au cadre fourni par ces instruments, la Sierra Leone pourrait mettre en œuvre un certain nombre de réformes. Cela permettrait aussi au Comité des droits de l'homme et au Comité contre la torture de l'ONU de vérifier régulièrement que le gouvernement sierra-léonien respecte ses engagements au regard de ces traités internationaux.

La Sierra Leone a ratifié la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples en 1984. Amnesty International demande instamment au gouvernement sierra-léonien d'agir en conformité avec les obligations qu'il a ainsi contractées.

Recommandations

•                Amnesty International encourage vivement le gouvernement sierra-léonien à ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

septembre 1996

Index AI: AFR 51/05/96

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La version originale en langue anglaise du document résumé ici a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Sierra Leone: Towards a future founded on human rights. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL -ÉFAI- septembre 1996.

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