Des délégués d'Amnesty International ont mené deux missions en Bosnie-Herzégovine, en juillet 1995 et en avril 1996, afin de s'entretenir avec les proches des personnes portées manquantes. Au cours de leurs multiples entretiens avec des personnes rencontrées au hasard, ils n'ont parlé à aucun Musulman déplacé de Srebrenica en 1995 qui ne connaisse pas personnellement au moins une des personnes non retrouvées à ce jour ; dans la majorité des cas, il s'agissait de parents proches. Le présent rapport s'intéresse plus spécialement aux parents des personnes portées manquantes à Srebrenica. Il décrit en particulier les sentiments et les espoirs des proches des plus de 6 000 personnes dont on est toujours sans nouvelles, leur besoin de découvrir le sort des leurs, ainsi que l'obligation pour la communauté internationale de les aider à atteindre ce but et de traduire en justice les responsables des graves atteintes aux droits de l'homme perpétrées à Srebrenica et ailleurs en Bosnie-Herzégovine.
Lorsque l'Armée serbe de Bosnie a pris le contrôle de l'enclave de Srebrenica, le 10 juillet 1995, environ 15 000 Musulmans bosniaques (essentiellement des hommes ayant servi dans l'armée du gouvernement bosniaque) se sont rassemblés sur une colline à l'extérieur de Srebrenica. Il sont partis à pied, à travers un terrain boisé et montagneux, pour essayer d'atteindre les territoires contrôlés par le gouvernement bosniaque, à environ cinquante kilomètres au nord-ouest. Au cours de leur fuite à travers la forêt, ils ont été victimes d'embuscades tendues par l'Armée serbe de Bosnie, et beaucoup de ceux qui ont été capturés n'ont, depuis, jamais réapparu. Les quelque 25 000 civils restés dans l'enclave se sont rendus à Potocari ville industrielle située à quatre kilomètres au nord de Srebrenica, où se trouvait la principale base de la Force de protection des Nations unies (FORPRONU) de l'enclave , en attendant d'être évacués vers les territoires contrôlés par le gouvernement bosniaque. À Potocari, l'Armée serbe de Bosnie a séparé les hommes des femmes et emmenés les premiers vers une destination inconnue.
Dans leur immense majorité, les hommes séparés des civils à Potocari ou capturés au cours de leur fuite vers les territoires sous contrôle du gouvernement bosniaque ont été délibérément ou arbitrairement tués par l'Armée serbe de Bosnie. C'est la conclusion inéluctable de la plupart des observateurs. Elle s'appuie sur des éléments tels que les témoignages de ceux qui disent avoir échappé aux exécutions, les récits des témoins, les aveux d'un soldat de l'Armée serbe de Bosnie qui affirme avoir participé à des exécutions de masse, les enquêtes sur le terrain des journalistes, les premiers corps exhumés et les documents photographiques fournis par les services de renseignements des États-Unis. Les massacres, perpétrés semble-t-il dans le cadre d'une opération de grande envergure menée par l'Armée serbe de Bosnie, se sont produits soit sur le lieu de capture, alors que les prisonniers étaient provisoirement détenus dans un des nombreux centres improvisés, soit sur l'un des différents sites utilisés pour les exécutions de masse, après le transfert des prisonniers.
Si elle est importante pour engager des poursuites contre les responsables, la simple confirmation que des exécutions massives ont eu lieu n'est qu'une maigre consolation pour les familles souhaitant connaître le sort précis de chacun des leurs, afin de les retrouver s'ils sont vivants ou avoir un lieu où les pleurer s'ils sont morts. Même si certains des charniers ont peut-être été irrémédiablement dégradés et s'il risque de ne jamais être possible d'avoir une vision complète de la réalité, ce n'est que lorsque tous les centres de détention auront été répertoriés et les corps exhumés des charniers que l'on pourra satisfaire au vu des familles : connaître le sort de chacun des individus qui constituent les plus de 6 000 habitants de Srebrenica dont on est sans nouvelles. La découverte de la vérité sur toutes les personnes "disparues" et portées manquantes est un élément essentiel pour la stabilité future de la région. Pour beaucoup des proches déplacés par le conflit, c'est une condition préalable à leur retour chez eux. Ainsi, Halil Mehic, dont les deux frères sont portés manquants, a déclaré à Amnesty International : « Je ne voudrais retourner [à Srebrenica] que s'il m'était possible de retrouver les dépouilles de mes frères afin de les enterrer. Sinon je n'y retournerai pas. Je n'y retournerai jamais. »
Parce qu'elle constituait, jusqu'en juillet 1995, une "zone de sécurité" protégée par les Nations unies, Srebrenica occupe une place particulière dans les préoccupations de la communauté internationale. Toutefois, les personnes portées manquantes à Srebrenica ne constituent qu'une petite partie des plus de 27 000 personnes dont on ne connaît pas le sort à la suite du conflit en Bosnie-Herzégovine. Dans le présent document, Amnesty International demande donc également à la communauté internationale de fournir les ressources nécessaires à l'éclaircissement de ces dossiers. Ces efforts devront satisfaire à la fois à la nécessité urgente et légitime du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de réunir des preuves recevables et au désir profondément humain des familles de connaître le sort de leurs proches. Il faudrait que la communauté internationale fournisse, en priorité, le personnel, les équipements et les fonds nécessaires à la mise en uvre d'un programme d'action destiné à résoudre tous les dossiers dans les trois ans et à remettre aux familles ou aux communautés les corps ayant pu être identifiés ; cela en totale coopération avec l'expert des Nations unies chargé de la question des disparitions sur le territoire de l'ex-Yougoslavie.« Plus tard, j'ai compté : 25 membres de ma famille proche, ma famille si proche et si chérie, tous disparus. J'en souffre terriblement. Toutes sortes de pensées se bousculent dans ma tête. Je n'ai plus près de moi les personnes avec qui j'avais l'habitude de m'asseoir, de parler [...] J'avais tout une maison, des terres et bien d'autres choses, mais ce qui fait le plus mal, c'est la perte de la famille proche. Une maison, des bâtiments, un appartement, tout cela se remplace, mais la famille, jamais. Elle est perdue pour toujours. Maintenant, vous savez, j'ai tellement de peine que je ne sais plus que faire de moi-même. » [1]
Depuis septembre 1995, date de la publication du document d'Amnesty International intitulé Bosnie-Herzégovine. Portés manquants à Srebrenica (index AI : EUR 63/22/95), rares sont les personnes portées manquantes que l'on a retrouvées en détention ou dont le sort a été révélé. La mise au jour de nouveaux éléments accrédite de plus en plus la thèse de l'exécution massive des hommes capturés ou enlevés par l'Armée serbe de Bosnie en juillet 1995 [2] Le général Ratko Mladic et Radovan Karadzic, dirigeants militaire et politique de facto des Serbes de Bosnie, ont été mis en accusation le 16 novembre 1995 pour génocide, crime contre l'humanité et violation des lois ou coutumes de guerre, par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Ces mises en accusations sont liées aux événements qui ont immédiatement suivi la prise de Srebrenica par les Serbes de Bosnie, le 10 juillet 1995. Les deux hommes sont accusés d'être responsables de l'exécution sommaire de Musulmans bosniaques, hommes et femmes, à l'intérieur et autour du camp militaire des Nations unies de Potocari ; de l'exécution sommaire d'hommes musulmans bosniaques hors-de-combat blessés ou qui s'étaient rendus ou avaient été capturés alors qu'ils fuyaient à travers bois vers Tuzla ; et de l'exécution sommaire d'hommes musulmans bosniaques lors d'exécutions de masse à Karakaj et dans les environs. Entre-temps, un accord de paix pour la Bosnie-Herzégovine est entré en vigueur, et la Force de protection des Nations unies (FORPRONU) a quitté la région, cédant la place à la Force de mise en uvre (IFOR), force de maintien de la paix sous commandement de l'OTAN. L'accord de paix garantit à toutes les personnes déplacées par le conflit le droit de retourner chez elles ou d'être indemnisées, y compris aux habitants de l'enclave de Srebrenica, qui fait désormais partie de la Republika Srpska, entité bosno-serbe en Bosnie-Herzégovine.
Toutefois, pour la plupart des citoyens musulmans de Srebrenica, il est impensable de retourner vivre aux côtés des Serbes tant que le sort d'au moins 6 000 personnes restera inconnu. Beaucoup ont accepté le triste fait que les leurs sont très certainement morts, et ne demandent plus qu'un lieu où les pleurer. Cependant, malgré une très faible probabilité, nombreux sont ceux qui continuent de s'accrocher au mince espoir que leurs proches sont vivants et en détention. Tant que la vérité ne sera pas connue et les coupables poursuivis, les proches des personnes portées manquantes de Srebrenica continueront de vivre dans l'angoisse de l'incertitude, en colère contre la communauté internationale qui n'a pas su protéger les leurs et trouvant difficile d'envisager de faire confiance aux Serbes.
Ce qui importe aux familles des personnes portées manquantes n'est pas la masse, mais les individus les frères, les surs, le père, la mère et les cousins dont on ne connaît pas le sort. Des délégués d'Amnesty International ont mené deux missions en Bosnie-Herzégovine pour s'entretenir avec les proches des personnes portées manquantes. Au cours de leurs multiples entretiens avec des personnes rencontrées au hazard, ils n'ont parlé à aucun Musulman déplacé de Srebrenica en 1995 qui ne connaisse pas personnellement au moins une des personnes portées manquantes ; dans la majorité des cas, il s'agissait de parents proches. Les témoignages individuels contenus dans le présent rapport illustrent la situation d'un grand nombre de Musulmans de Srebrenica.
Ce document résume les événements qui ont entouré la prise de Srebrenica et intègre des informations communiquées après septembre 1995. Il s'intéresse plus spécialement aux parents des personnes portées manquantes à Srebrenica et, en particulier, aux sentiments et aux espoirs des proches des plus de 6 000 personnes dont on est toujours sans nouvelles. Parce qu'elle constituait, jusqu'en juillet 1995, une "zone de sécurité" protégée par les Nations unies, Srebrenica occupe une place particulière dans les préoccupations de la communauté internationale. Toutefois, les personnes portées manquantes à Srebrenica ne constituent qu'une petite partie des plus de 27 000 personnes dont on ignore le sort à la suite du conflit en Bosnie-Herzégovine. Ce document présente donc également les préoccupations et les recommandations d'Amnesty International concernant le problème des personnes "disparues" et portées manquantes dans l'ensemble du territoire de l'ex-Yougoslavie. [3]
Combien de personnes portées manquantes à Srebrenica ?
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a reçu des demandes de recherche concernant environ 6 000 personnes de Srebrenica dont on ignore le sort, parmi lesquelles environ 1 500 personnes desquelles on ne sait rien depuis qu'elles ont été emmenées de Potocari. Toutefois, d'après le CICR, il est possible que ces chiffres soient en deçà de la réalité. À la suite d'une première enquête concernant les personnes déplacées menée en 1995, environ 8 000 habitants de Srebrenica avaient signalé des personnes manquantes. Le processus officiel de recherche n'a été mis en place que plus tard, mais, entre-temps, les Musulmans déplacés de Srebrenica se sont dispersés dans toute la Bosnie-Herzégovine et dans d'autres pays ; il est donc possible que certains n'aient jamais rempli de demande officielle concernant leurs proches. Le recensement est encore compliqué par le fait que certaines personnes arrivées plus tard saines et sauves dans les territoires sous contrôle du gouvernement bosniaque ne se sont peut-être pas signalées au CICR. Enfin, les demandes officielles de recherche ne peuvent être remplies que par des membres de la famille proche, et certaines organisations non gouvernementales (ONG), telles que Femmes de Srebrenica, ont fait remarquer que certaines des personnes portées manquantes à Srebrenica n'avaient plus de famille proche pouvant signaler leur disparition. En juin 1996, le CICR a renouvelé son appel aux familles pour qu'elles remplissent des demandes de recherche ; l'organisation est convenue qu'en septembre 1996 les personnes autres que la famille proche seront autorisées à faire des démarches similaires.
La fuite de Srebrenica
Du 6 au 9 juillet 1995, l'Armée serbe de Bosnie a lancé une offensive au sud-est de l'enclave de Srebrenica, tout en bombardant la ville elle-même. Le dimanche 9 juillet, les postes de contrôle de la FORPRONU situés au sud de l'enclave avaient été débordés, quelques casques bleus néerlandais avaient été faits prisonniers et l'Armée serbe de Bosnie se trouvait à deux kilomètres de la ville de Srebrenica. Le lundi 10 juillet, les forces serbes ont intensifié leurs attaques contre la ville et ont averti le contingent néerlandais de la FORPRONU que les casques bleus et les civils avaient quarante-huit heures, à compter du mardi 11 juillet, 6 h 00, pour quitter l'enclave. L'ordre a été donné de procéder à des frappes aériennes, mais seuls deux chars serbes étaient visés. [4]
« Nous n'aurions jamais pensé que Srebrenica pouvait tomber. La FORPRONU disait « protégée, protégée », allons donc. Rien n'était protégé là-bas. Rien du tout. » Mila Ahmetovic (née en 1969) vivait dans le village de Suceska, près des lignes de front, avec son mari et leurs trois jeunes enfants. Le 10 juillet, lorsqu'elle a entendu que l'enclave allait être évacuée, elle s'est séparée de son mari Behadel Ahmetovic (né en 1959) et de son frère Vedrin Bekric (né en 1974). Elle ne les a jamais revus depuis. Les deux hommes faisaient partie des 15 000 personnes, essentiellement des hommes ayant servi dans l'armée du gouvernement bosniaque, mais aussi des femmes et d'autres civils, qui n'avaient pas confiance en l'annonce des Bosno-serbes de les évacuer. Ils se sont rassemblés sur la colline Susnjari, à l'extérieur de Srebrenica, et sont partis à pied à travers un terrain boisé et montagneux pour tenter de rejoindre les territoires contrôlés par le gouvernement bosniaque, à environ cinquante kilomètres au nord-ouest. Les quelque 25 000 civils restants se sont rendus à Potocari ville industrielle située à quatre kilomètres au nord de Srebrenica, où se trouvait la principale base de la Force de protection des Nations unies (FORPRONU) de l'enclave , en attendant d'être évacués vers les territoires sous contrôle du gouvernement bosniaque.
La marche à travers la forêt
Le groupe qui s'était rassemblé sur la colline Susnjari a pris le départ, formant une colonne de plusieurs kilomètres de long, avec à sa tête et à sa queue des soldats des forces gouvernementales bosniaques armés. Au cours des dix premiers kilomètres du voyage, la colonne a été bombardée, a subi des embuscades et s'est de ce fait divisée en groupes plus petits. Tous ceux qui ont décrit cette marche à Amnesty International ont affirmé qu'un nombre considérable de personnes avaient été tuées au cours de ces attaques.
Rifet Mujic, serrurier dans une usine de Srebrenica avant la guerre, et son frère Ahmo Mujic, âgé de quarante-trois ans, faisaient partie des personnes ayant entrepris le voyage. Alors qu'ils subissaient une attaque dans la forêt, les deux frères se sont partagé un dernier morceau de pain, puis ont décidé de voyager séparément pour avoir plus de chance qu'au moins l'un d'entre eux arrive dans la zone tenue par le gouvernement bosniaque. Peu après, ils ont atteint la route reliant Konjevic Polje à Bratunac en passant par Kravica. Cette route rejoint, près de Nova Kasaba, en formant un carrefour en forme de T, celle qui relie Kuslat à Milici et qui permet d'atteindre les territoires contrôlés par le gouvernement bosniaque. Les soldats de l'Armée serbe de Bosnie, équipés d'uniformes et de matériel volés à l'ONU, avaient pris position le long de ces routes et appelaient les Musulmans à se rendre. On est sans nouvelles de la plupart de ceux qui ont obtempéré. Rifet Mujic pense que son frère en faisait partie.
« Ils nous ont appelés depuis l'autre côté de la route à Konjevic Polje, et au début personne n'a traversé [ÉL'Armée serbe de Bosnie] avait [auparavant] capturé un de nos hommes, qui était monté sur un des camions de la FORPRONU qu'elle avait pris. « Venez, disait-il, rendez-vous pour que nous puissions vous emmener là où sont les femmes. » J'ai alors aussitôt vu 1 500 personnes s'avancer. Moi, je ne voulais pas. J'ai dit aux gens : « Attendez, n'y allez pas. Vous ne savez pas à qui vous vous rendez » mais c'était un des nôtres sur le camion. Ils l'avaient capturé et il l'obligeaient à dire ce qu'ils voulaient. On n'a jamais revu ceux qui s'étaient rendus. »
Des hommes ont aussi été capturés alors qu'ils tentaient de traverser la route. Vahid Sulejmanovic (né en 1966), originaire du village d'Urkovici, a vu pour la dernière fois son beau-frère Mehrudin Alic (né en 1974) près de cette route : « La dernière fois que je l'ai vu, nous commencions à nous avancer vers la route ; le groupe avait commencé à se diviser et à prendre plusieurs chemins afin de pouvoir traverser, car [l'Armée serbe de Bosnie] nous attendait. C'est à ce moment qu'il a disparu. J'ai essayé pendant un moment de le retrouver, mais je ne pouvais pas attendre plus longtemps car le coin n'était pas sûr. »
Le carrefour mentionné par Rifet Mujic et Vahid Sulejmanovic n'est qu'un des lieux où des hommes ont été capturés. Du personnel de la FORPRONU ayant emprunté cette route le 12 juillet a rapporté que les soldats de l'Armée serbe de Bosnie étaient positionnés tous les dix ou vingt mètres entre Bratunac et Nova Kasaba et entre Nova Kasaba et Milici. Cela confirme la vraisemblance des témoignages d'autres personnes ayant fui à travers bois, selon lesquels des hommes ont été capturés par les Bosno-serbes ou se sont rendus à de nombreux endroits le long de cette route [5]
Un cameraman serbe a filmé les événements ayant entouré la prise de Srebrenica [6] Ses images montrent notamment des prisonniers musulmans menés à pied sur un chemin par des membres de l'Armée serbe de Bosnie, ainsi qu'un prisonnier qui ne porte visiblement pas d'arme et se présente comme un civil, lors d'une courte interview. Cet homme, dont a appris plus tard qu'il s'appelait Ramo Aganovic, fait partie des personnes toujours portées manquantes.
Beaucoup de ceux qui ont fui à tavers la forêt disent avoir vu des groupes de Musulmans prisonniers gardés par des Bosno-serbes. Vahid Sulejmanovic a observé un groupe de ce type sur un terrain de sport près de Nova Kasaba, sur le côté nord du carrefour :
« Kasaba. Voilà l'endroit, Kasaba, non loin de Konjevic Polje. Il y a un terrain de sport, là-bas. Je les ai vus [y] amener peut-être 300 à 350 personnes ce jour-là. Toute la journée, ils ont amené des gens sur ce terrain, et le soir, des camions sont venus et ont commencé à les emmener par grands groupes, sans leurs affaires. Ils les ont dépouillés, les ont préparés, comme s'ils allaient les conduire en territoire libre. [Mais en fait], ils les ont emmenés [dans l'autre direction] vers Zvornik et Karakaj. »
Le 13 juillet, plusieurs soldats néerlandais ont dû passer la nuit à Nova Kasaba. À environ 2 h 30 du matin, ils ont « entendu, en provenance du terrain de football, une longue série de coups de feu tirés par des armes légères. Les tirs ont duré de trois quarts d'heure à une heure » [7] Ce site fait partie des charniers identifiés sur des photos aériennes publiées par les services de renseignements des États-Unis (cf. plus bas).
Les personnes qui ont survécu au voyage ont commencé à arriver en territoire sous contrôle du gouvernement bosniaque le 18 juillet 1995, par grands groupes, et même si le flux s'est ralenti avec le temps, des arrivées de groupes isolés ayant survécu dans les bois ont continué d'être signalées jusqu'en avril 1996.
L'évacuation de Potocari
Le mardi 11 juillet, les casques bleus de la FORPRONU se sont retirés de la ville de Srebrenica et se sont retranchés dans leur base principale, à Potocari. Environ 25 000 personnes, essentiellement des femmes, des enfants et des personnes âgées, mais aussi quelques hommes en âge de porter les armes, les ont accompagnés, s'installant dans la zone où se trouvait le camp de la FORPRONU, ainsi que dans les usines environnantes. Le même jour, les troupes de l'Armée serbe de Bosnie, sous le commandement du général Ratko Mladic, sont entrées dans la ville de Srebrenica. Elles ont ensuite continué vers Potocari.
La FORPRONU a signalé de graves atteintes aux droits de l'homme à l'intérieur de l'enclave, parmi lesquelles sans doute des homicides délibérés et arbitraires [8] Le 11 juillet, un casque bleu néerlandais en poste à la frontière de l'enclave, près de Bratunac, a raconté avoir vu deux camions conduits par des soldats de l'Armée serbe de Bosnie et transportant 40 à 50 hommes. Peu après les avoir perdus de vue, le soldat néerlandais a entendu une série de coups de feu. Le 12 juillet, les casques bleus de Potocari ont vu des soldats de l'Armée serbe de Bosnie emmener cinq hommes dans une usine située en face du camp de l'ONU et ont ensuite entendu cinq ou six coups de feu. Le 13 juillet, des soldats néerlandais ont examiné neuf corps trouvés près d'un ruisseau, à l'ouest de l'entrée du camp de la FORPRONU ; les neuf victimes semblaient avoir été abattues d'une balle dans le dos la nuit précédente. Le 13 juillet également, un casque bleu néerlandais a vu quatre soldats de l'Armée serbe de Bosnie séparer un habitant de la région d'un groupe d'autres Musulmans et l'abattre d'une balle dans la tête ou le cou. Un autre casque bleu a entendu des coups de feu et a vu deux hommes tomber à terre alors qu'ils tentaient de fuir à leur descente d'un minibus de l'Armée serbe de Bosnie.
Originaire de Karacic, Sevdina Latifovic (née en 1976) s'était rendue avec sa famille à Potocari pour être évacuée. Son père, Ramo Zukic, avait travaillé comme postier pour la FORPRONU et pensait que les casques bleus allaient assurer sa sécurité ainsi que celle de sa famille. Cependant, des soldats bosno-serbes ont abordé et emmené Ramo Zukic et son fils Jasmin Zukic, âgé de dix-sept ans, alors qu'ils allaient se renseigner sur leur évacuation. « Jasmin était assez grand et avait le teint très mat. Ils lui ont demandé quel âge il avait. Il a dit dix-sept ans, mais ils ne l'ont pas cru. Alors, il a essayé de leur expliquer, mais ils se sont contenté de jurer, se sont emparé de lui et l'ont emmené. » Sevdina fond en larmes à l'évocation de son frère. « Il avait des cheveux noirs, de petits yeux, un visage fin, et il était grand. Il se faisait une raie sur le côté [...] Il aimait être seul. Il était toujours seul, à lire quelque chose. Il n'aimait pas traîner en ville, mais préférait rester seul ou avec ses deux meilleurs amis. »
Le lendemain de l'enlèvement de son père et de son frère, Sevdina dit avoir vu des corps gisant dans un champ avec la gorge tranchée :
« Deux soldats de la FORPRONU se tenaient là [...] À cet endroit, un peu plus loin, il y avait de l'eau dans un ruisseau. Nous allions chercher de l'eau, mais ils ne nous ont pas laissé passer. Moi, j'ai pensé que s'ils m'avaient laissé passer, je serais allée voir si mon père et mon frère faisaient partie de ceux qui avaient été massacrés. Car je savais que, la nuit précédente, ils avaient emmené mon père et mon frère, et le matin je suis allée chercher de l'eau, mais ils ne nous ont pas laissé approcher des corps qui gisaient dans le champ. » [9]
Le mercredi 12 juillet, l'Armée serbe de Bosnie encerclait la zone où se trouvaient les personnes à évacuer. Le général Mladic s'est rendu à Potocari à cette date, a indiqué au commandant néerlandais de la FORPRONU la marche à suivre pour l'évacuation et a fourni des cars pour emmener les Musulmans sur les lignes de front près de la zone tenue par le gouvernement bosniaque, à Kladanj.
Halil Mehic avait dix-sept ans en juillet 1995. Il avait d'abord décidé de fuir à travers la forêt, mais il n'avait pas réussi à retrouver ses frères dans la foule qui s'était rassemblée à Susnjari, point de départ de la marche. Il n'avait pas de nourriture, ses chaussures étaient en mauvais état et il a craint de ne pas pouvoir supporter cette marche éprouvante. Il voulait se rendre à l'Armée serbe de Bosnie, mais avait peur de traverser seul des territoires inconnus à cause des champs de mines. Il était donc retourné à Potocari, où il avait retrouvé les femmes de sa famille. Il était présent quand le général Mladic s'est adressé aux Musulmans à Potocari :
« Alors le chef est venu, ce Ratko Mladic. Il a ordonné que les hommes soient emmenés sur le côté, pour des raisons de sécurité, afin que les enfants ne soient pas étouffés et que les gens ne soit pas entassés les uns sur les autres. « Les hommes d'un côté », a-t-il dit, puis ils les ont emmenés ailleurs. Où, je n'en sais rien. »
Le film du cameraman serbe montre Ratko Mladic promettant aux Musulmans de Srebrenica que tous ceux qui le souhaitent seront évacués, la priorité étant donnée aux femmes et aux enfants, et leur affirmant qu'ils n'ont rien à craindre parce que personne ne leur fera de mal. [10]
Beaucoup des hommes séparés des femmes et des enfants à Potocari ont été retenus dans les usines, puis, d'après certaines informations, emmenés dans la direction de Bratunac. Sevdina Latifovic se rappelle avoir vu le cousin de son père être conduit dans une de ces usines :
« Il y avait un bâtiment, je les ai vu y emmener l'un des cousins de mon père et le faire entrer à l'intérieur. Avant la guerre, c'était un abattoir pour le bétail, et voilà que maintenant ils y emmenaient les hommes. Le cousin de mon père a été poussé à l'intérieur et il était suivi par un autre tchetnik [11] avec un grand couteau. Auparavant, ils avaient évacué vers Bratunac deux cars entiers d'hommes détenus dans ce bâtiment. »
Ne faisant pas confiance aux Bosno-serbes, Halil Mehic, déguisé en femme et portant le bébé de sa sur dans ses bras, a pu monter dans un des camions se rendant en territoire sous contrôle du gouvernement bosniaque. Toutefois, le beau-père de sa sur, Mujo Atic, âgé de soixante-sept ans, a dû quitter le camion avant l'évacuation de la famille. Halil Mehic se souvient :
« Le [soldat bosno-serbe] lui a demandé : « Étais-tu dans l'armée ? » Il a répondu : « Je n'étais pas dans l'armée, j'ai soixante-sept ans, je n'ai plus l'âge de me battre et, de toute façon, que voulez-vous faire de moi, je suis vieux. » Le soldat a répondu : « Bon, quoi qu'il en soit, même si tu es vieux, tu ferais mieux de venir avec nous. » Alors ils l'ont pris par le bras, et il ne tenait même plus debout à cause de sa peur et de son âge. »
Mujo Atic n'est pas le seul homme âgé qui aurait été emmené de Potocari. Le beau-père de Mila Ahmetovic, Ibrahim Ahmetovic (né en 1939), a été forcé de descendre d'un des cars, de même que Selim Mehmedovic (né en 1923), originaire de Cerska-Rovasi, dans la municipalité de Vlasenica. Par ailleurs, au moins une personne handicapée, un jeune homme sourd, a subi le même sort. Sa mère a montré aux délégués d'Amnesty International la seule preuve qui lui reste de son existence : son diplôme d'un lycée pour mal-entendants de Serbie.
Les cars et les camions évacuant les civils de Potocari ont emprunté la route passant par Bratunac, Kravica et Nova Kasaba, celle-là même où les hommes ayant fui à travers bois ont été capturés ou se sont rendus. Nombre des personnes évacuées qui pouvaient regarder à l'extérieur par les fenêtres des cars ou par l'arrière des camions disent avoir vu des groupes de prisonniers forcés de marcher le long de la route ou gardés dans des champs. En se penchant à l'extérieur du camion, Halil Mehic a vu son cousin Kadrija Halilovic le long de la route, sur un terrain de sport qui pourrait être celui de Nova Kasaba, mentionné par Vahid Sulejmanovic.
« J'ai entendu quelqu'un crier « plus vite, plus vite », raconte Halil Mehic, « et les maudire [...] et j'ai cru qu'il s'agissait des gens de Potocari qui avaient été emmenés, mais en fait c'était les soldats qui étaient allés à travers la forêt. Ils avaient été capturés et rassemblés au bord du terrain de sport. Tous avaient les mains sur la nuque et ils étaient très nombreux. Dans le groupe que j'ai vu, ils étaient au moins 500. »
L'évacuation de Potocari s'est achevée le jeudi 13 juillet, en fin de journée, et le CICR estime que 23 000 personnes ont été transportées en car jusqu'à la zone sous contrôle du gouvernement bosniaque. Une fois parvenues dans cette zone, les personnes déplacées ont été logées principalement dans la région de Tuzla, où elles ont attendu dans l'angoisse l'arrivée de leurs proches qui avaient fui à tavers la forêt, ainsi que des nouvelles de ceux qui avaient été enlevés à Potocari. Le 21 juillet, la FORPRONU a quitté l'enclave. Le 4 août, l'ONU avait recensé 35 632 personnes déplacées de Srebrenica dans les territoires contrôlés par le gouvernement bosniaque. Il apparaît donc qu'au moins 13 000 hommes ont réussi à atteindre cette zone par la forêt. [12]
Des malades portés manquants
Les personnes qui étaient hospitalisées au moment de l'attaque de l'enclave ou qui l'ont été à la suite de celle-ci ont été évacuées dans un convoi spécial escorté par la FORPRONU. Certaines ont été évacuées le 12 juillet, tandis que celles qui n'étaient pas capables de parcourir à pied les quelques kilomètres nécessaires pour traverser les lignes de front et atteindre la zone tenue par le gouvernement bosniaque ont été ramenées à Bratunac. Le 17 juillet, le CICR a organisé un nouveau convoi comprenant les blessés de Bratunac et d'autres se trouvant encore à Potocari. Il semblerait que certains de ceux qui ont été laissés sur place pour y recevoir des soins supplémentaires figurent parmi les personnes portées manquantes. Sept autres sont considérés par l'Armée serbe de Bosnie comme prisonniers de guerre. Le 18 juillet, alors que le médecin néerlandais responsable du groupe était absent du dispensaire de fortune, les blessés ont disparu. Lorsque le médecin s'est enquis de leur sort, on lui a répondu que « de telles questions étaient mauvaises pour [sa] santé ». On est, depuis, sans nouvelles de ces hommes. [13]
Des femmes portées manquantes
Même s'ils sont loin d'être aussi systématiques et répandus que pour les hommes, de nombreux cas d'enlèvements de jeunes femmes à Potocari ou dans les convois qui quittaient ce lieu ont été signalés à Amnesty International. Toutefois, la plupart de ces accusations n'étaient pas fondées sur des informations de première main et, parmi les quelque 6 000 demandes de recherche formulées auprès du CICR pour des habitants de Srebrenica, seules 27 concernent des femmes, parmi lesquelles certaines ayant peut-être fui à travers la forêt. Néanmoins, certaines ONG travaillant avec les femmes de Bosnie-Herzégovine affirment avoir des informations indiquant que les enlèvements et viols de femmes de Srebrenica ont été plus fréquents qu'on ne le pense. En raison des stigmates sociaux qui se rattachent au viol, il est possible que des femmes ne se soient pas confiées à Amnesty International alors qu'elle l'ont fait dans le cadre plus intime d'une thérapie.
Un homme évacué avec le convoi médical du 12 juillet a raconté aux délégués d'Amnesty International, en juillet 1995, qu'une des infirmières accompagnant le convoi avait été emmenée par des soldats de l'Armée serbe de Bosnie pour être interrogée et qu'à son retour elle avait dit avoir été battue et violée. Amnesty International connait le nom de cette infirmière ; le service de gynécologie de l'hôpital Gradina, à Tuzla, a confirmé qu'une femme de ce nom avait reçu des soins après s'être plainte de viol et que l'examen médical avait révélé des signes de rapports sexuels récents.
Homicides délibérés et arbitraires
Au cours des mois qui ont suivi la prise de Srebrenica par les Bosno-serbes, des éléments de plus en plus nombreux sont venus accréditer la thèse de l'exécution massive de milliers de personnes portées manquantes dans l'enclave. On est sans nouvelles de la majorité de celles que l'on savait en captivité et, même si les familles continuent d'espérer en s'accrochant aux rumeurs selon lesquelles leurs proches seraient en détention ou se cacheraient dans la forêt, il existe peu d'éléments solides permettant de penser que beaucoup de personnes portées manquantes sont encore vivantes. La grande majorité des hommes séparés des civils à Potocari ou capturés au cours de leur fuite à travers la forêt ont été tués. C'est la conclusion inéluctable de la plupart des observateurs. Elle s'appuie sur des éléments tels que les témoignages de ceux qui disent avoir échappé aux exécutions, les récits des témoins, les aveux d'un soldat de l'Armée serbe de Bosnie qui affirme avoir participé à des exécutions de masse, les enquêtes sur le terrain des journalistes, les premiers corps exhumés et les documents photographiques fournis par les services de renseignements des États-Unis. Les massacres, perpétrés semble-t-il dans le cadre d'une opération de grande envergure menée par l'Armée serbe de Bosnie, ont eu lieu soit sur le lieu de capture, alors que les prisonniers étaient provisoirement détenus dans un des nombreux centres improvisés, soit sur l'un des différents sites utilisés pour les exécutions de masse, après le transfert des prisonniers.
Les témoins des exécutions
Un petit nombre de Musulmans bosniaques affirmant avoir échappé aux exécutions se sont présentés à Amnesty International, et les témoignages de certains d'entre eux corroborent les informations fournies par les photographies aériennes. Ces personnes affirment que des centaines de prisonniers ont été exécutés à Karakaj en deux endroits différents, dont une usine d'oxyde d'aluminium, et que plusieurs centaines d'autres ont été abattus dans un entrepôt de Kravica. Par ailleurs, 25 à 30 prisonniers auraient été exécutés près de Zabrde, 21 près de Rasica Gaj et 16 sur les rives de la rivière Jadar, à Kuslat. [14]
Hurem Suljic est un homme de cinquante-cinq ans dont les déclarations ont été largement publiées dans la presse. Il raconte qu'il a été séparé des autres civils à Potocari, le 12 juillet. Dans la soirée du même jour, il a été emmené en car avec d'autres personnes à Bratunac, puis conduit dans un entrepôt agricole où il a été obligé de passer la nuit. Au cours de la nuit, quelques passages à tabac et exécutions de prisonniers ont eu lieu. Le lendemain, 13 juillet, Hurem Suljic et d'autres détenus ont été emmenés en car à Karakaj via Zvornik, dans un lieu où se trouvait un terrain de sport. Il ont été détenus là dans un long bâtiment et, le 14 juillet, les Bosno-serbes ont bandé les yeux d'Hurem Suljic et l'ont fait monter dans un camion avec un groupe de 20 à 30 personnes. Le trajet en camion a duré environ dix minutes et les a menés dans un champ près d'une usine et d'une voie ferrée. Les Bosno-serbes ont fait descendre les hommes et les ont alignés en quatre rangs. Il y a eu une rafale d'arme automatique, mais Hurem Suljic n'a pas été blessé et a réussi à se cacher sous les cadavres. La nuit, après le départ des gardes, il a appelé pour voir si quelqu'un d'autre avait survécu. Mevludin Oric, âgé de vingt-quatre ans, qui avait été capturé au cours de sa fuite à travers la forêt, lui a répondu. Les deux hommes se sont alors sauvés. Le lendemain, ils ont trouvé un autre survivant, Smail Hodzic, âgé de soixante-trois ans, qui avait lui aussi été capturé dans la forêt, et les trois hommes ont réussi à atteindre les territoires sous contrôle du gouvernement bosniaque [15] L'endroit où ces hommes disent avoir survécu aux exécutions a été filmé par une équipe de télévision au début du printemps 1996, et des restes de squelettes humains étaient clairement visibles dans la boue du champ. [16]
En mars 1996, un soldat de l'Armée serbe de Bosnie a avoué à deux journalistes qu'il avait participé à l'exécution massive d'environ 1 200 prisonniers musulmans de sexe masculin à Pilice, un village situé à environ vingt-cinq kilomètres au nord de Zvornik. Dans cette interview, réalisée en République fédérative de Yougoslavie, Drazen Erdemovic, Croate de Bosnie originaire de Tuzla, âgé de vingt-cinq ans et ayant servi dans l'Armée serbe de Bosnie, a décrit comment un matin, lui et sept de ses collègues avaient reçu l'ordre de se présenter à la police militaire de Zvornik, qui les avait envoyés dans une ferme d'État près de Pilice avec pour consigne de « liquider » les prisonniers musulmans [17] Il a appris de l'un des prisonniers qu'il s'agissait apparemment d'hommes capturés par l'Armée serbe de Bosnie après qu'ils s'étaient réfugiés avec les femmes à Potocari. Peu après l'arrivée des soldats à la ferme, un car est arrivé. « Il y avait environ 60 hommes à l'intérieur. Tous étaient habillés en civil, et certains n'avaient guère plus de dix-sept à dix-huit ans. » [18] Les 10 premiers prisonniers ont été conduits dans un champ devant un des hangars de la ferme et ont été alignés, le dos tourné vers les soldats. Drazen Erdemovic et ses collègues leur ont tiré dessus jusqu'à ce qu'ils soient tous tombés à terre, puis ont achevé d'une balle dans la tête ceux qui montraient encore des signes de vie. Lorsque les 10 prisonniers suivants ont été amenés pour être exécutés, ils ont supplié les soldats de leur laisser la vie sauve, promettant que leur famille à l'étranger enverrait de l'argent, mais en vain. Tout au long de la journée, jusqu'à 15 h 30, des cars ont continué d'arriver. Drazen Erdemovic estime que les prisonniers de 15 à 20 cars ont été massacrés ce jour-là. « Les cinq mêmes bus faisaient la navette entre Zvornik et la ferme. Les chauffeurs serbes étaient terrifiés, mais [le commandant] les a forcés à abattre chacun au moins un Musulman afin qu'ils ne soient pas tentés de témoigner par la suite. » [19] Après son interview avec les journalistes, Drazen Erdemovic a été arrêté par les autorités de la République fédérative de Yougoslavie et livré au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Le 29 mai 1996, il a été mis en accusation par ce tribunal pour crime contre l'humanité et violation des lois ou coutumes de la guerre ; il a plaidé coupable.
Par ailleurs, certains Bosno-serbes résidant aux alentours de l'enclave ont fait état de détentions et d'exécutions massives dans cette région. Des habitants bosno-serbes de Bratunac, interviewés par des journalistes dans le village serbe de Ljubovija, sur l'autre rive de la rivière Drina, ont raconté en juillet 1995 que des massacres avaient lieu dans cette ville. D'après l'un d'entre eux, les autorités locales avaient invité tous les Serbes ayant perdu un parent au cours des raids menés par les Musulmans de Srebrenica à venir sur le terrain de sport de la ville « pour se venger » [20] Les lieux d'exécution signalés par les habitants de Bratunac sont notamment le terrain de sport de Bratunac, une école voisine et un camp situé à Batkovici. Un prêtre a confirmé à The New York Times que des écoles de Bratunac avaient servi de centres de détention pour des prisonniers musulmans et que ceux-ci avaient été abattus [21] Une femme, qui affirme avoir vu le lieu d'exécution sur le terrain de sport, a parlé d'un champ « noyé dans le sang », mais elle-même était écurée par les exécutions : « C'est terrible ce qu'ils font. Si je le pouvais, je tuerais les gens de Bratunac pour leurs actes. » [22] Des soldats de la FORPRONU ont confirmé avoir vu des cars remplis d'hommes musulmans et avoir entendu « une grande quantité de coups de feu à Bratunac, entre autres en provenance de ce qui est appelé le stade. » [23]
Il semble que les autorités serbes de Bosnie aient pris des mesures pour éviter que la vérité ne soit révélée. Le 20 mai 1996, le journal américain The Boston Globe a rapporté que les habitants de la région hésitaient à répondre aux journalistes par crainte de représailles de la part des autorités bosno-serbes ; une personne ayant accepté de parler aurait reçu des menaces de mort le lendemain de l'interview [24] David Rohde, collaborateur du journal américain The Christian Science Monitor, a été détenu arbitrairement par les Bosno-serbes le 29 octobre, pour avoir soi-disant modifié sa carte de presse et pris des photographies dans des zones interdites [25] À cette époque, il poursuivait une enquête qui l'avait mené dans un lieu où l'on soupçonnait la présence d'un charnier ; il y avait trouvé des restes humains ainsi que des objets ayant appartenu à des Musulmans portés manquants.
Documents photographiques
Le 10 août 1995, les États-Unis ont rendu publiques des photographies aériennes de Srebrenica et ses environs qui montraient des sites où des exécutions massives pourraient avoir eu lieu. L'ambassadeur des États-Unis auprès des Nations unies, Madeleine Albright, qui a montré les clichés, ce jour-là, au cours d'une séance à huis clos du Conseil de sécurité des Nations unies, a affirmé qu'on avait la preuve de l'existence de six sites répartis en deux endroits : dans la zone de Nova Kasaba/Konjevic Polje et dans la zone de Karakaj. Le 29 octobre 1995, il a été annoncé que d'autres sites avaient été découverts à partir des photographies. Toutefois, le même jour, les services de renseignements des États-Unis ont aussi indiqué que les Bosno-serbes pourraient avoir versé des produits chimiques corrosifs sur les cadavres et dispersé les corps enterrés dans les charniers pour tenter d'éliminer les preuves. [26]
Par crainte que la divulgation des sites n'encourage les Bosno-serbes à détruire les preuves, les emplacements de certains d'entre eux n'ont pas été rendus publics, même si tous ont été communiqués au tribunal international. Parmi les photographies publiées, un cliché d'un terrain de sport de Nova Kasaba pris autour du 13 juillet montre un grand groupe de personnes environ 600 d'après les estimations rassemblées sur le terrain, avec des véhicules garés à proximité. Un autre cliché d'un lieu situé à environ un kilomètre du terrain de sport, et où le sol apparaissait intact sur des photographies plus anciennes, montre la présence de parcelles fraîchement retournées et la trace de véhicules lourds, alors qu'il n'y a pas d'activités industrielles ou agricoles dans la région.
Les exhumations
Le tribunal international a commencé à exhumer les corps enterrés dans certains sites autour de Srebrenica, afin de rassembler des éléments lui permettant de traduire en justice les responsables des exécutions. Des emplacements ont été examinés autour de Karakaj, Pilice, Kravica, Nova Kasaba et Konjevic Polje et, le 29 mai 1996, des excavations ont commencé à Cerska. Le 5 juin 1996, un site a été fouillé à Nova Kasaba, et les médecins légistes, montrant aux journalistes six cadavres, ont officiellement confirmé l'existence d'un charnier. [27]
Où est la vérité : résoudre les cas des personnes portées manquantes et "disparues"
Les éléments de preuve réunis jusqu'ici ne donnent qu'un aperçu des actes commis par l'Armée serbe de Bosnie après la prise de l'enclave de Srebrenica. De nouveaux témoignages de survivants, de participants aux exécutions et de Serbes vivant dans la région vont sans aucun doute être recueillis au cours des prochains mois, permettant de compléter le puzzle et de déterminer non seulement le sort des personnes portées manquantes à Srebrenica, mais aussi leur identité. Toutefois, ces informations, inévitablement fragmentaires, ne suffiront pas à donner une image juste et complète de la réalité. Si elle est importante afin d'engager des poursuites contre les responsables, la simple confirmation de l'existence d'exécutions massives n'est qu'une maigre consolation pour les familles qui veulent connaître le sort précis de chacun des leurs, afin de les retrouver s'ils sont vivants ou avoir un lieu où les pleurer s'ils sont morts. Même si certains des charniers ont peut-être été irrémédiablement dégradés et s'il risque de ne jamais être possible d'avoir une vision complète de la réalité, ce n'est que lorsque tous les centres de détention auront été répertoriés et les corps exhumés des charniers que l'on pourra satisfaire au vu des familles : connaître le sort de chacun des individus qui constituent les plus de 6 000 habitants de Srebrenica dont on est sans nouvelles.
Beaucoup de gens espèrent encore que des survivants de Srebrenica se trouvent en territoire bosno-serbe. Des rumeurs continuent de courir sur l'existence de centres de détention secrets, par exemple dans la mine d'argent de Srebrenica, où les personnes portées manquantes à Srebrenica seraient détenues au secret. Il reste aussi la possibilité, bien que peu vraisemblable, que certaines personnes portées manquantes aient survécu soit en se cachant dans la forêt, soit en se faisant passer pour serbes dans la région. Un prisonnier échangé début 1996 a déclaré à Mila Ahmetovic qu'un gardien de la prison lui avait raconté qu'un ami serbe de la famille avait aperçu son mari Behadel. D'après lui, le Serbe serait sorti nourrir ses cochons et aurait trouvé Behadel Ahmetovic dans la porcherie. Surpris de le voir, il lui aurait expliqué qu'il aurait aimé le protéger, mais qu'il ne le pouvait pas, et il lui aurait donné le pain rassis qu'il avait amené pour les cochons. Lorsque le Serbe est revenu donner à manger aux cochons, Behadel était parti. Mila s'accroche à cette rumeur comme preuve que son mari est toujours vivant.
De tels espoirs sont nourris par l'arrivée périodique, plusieurs mois plus tard, d'habitants de Srebrenica. Le 18 novembre 1995, huit hommes musulmans ont franchi les lignes de front et atteint la zone tenue par le gouvernement bosniaque. Parmi eux, Besir Johic et son frère Omer ont raconté qu'ils s'étaient cachés dans un moulin désaffecté de Cerska, se nourrissant de pommes, d'escargots, de champignons et d'orties [28] Avec le temps, l'espoir de voir arriver d'autres survivants s'amenuise, mais, le 6 avril 1996, six nouvelles personnes ont atteint les territoires contrôlés par le gouvernement bosniaque. Les délégués d'Amnesty International qui se trouvaient à Tuzla à l'époque se sont entretenus avec Fatima Husejnovic, présidente d'une ONG, Femmes de Srebrenica, qui se bat pour connaître le sort des personnes portées manquantes. Fatima Husejnovic leur a déclaré que ces arrivées faisaient resurgir l'espoir dans le cur des milliers de femmes toujours sans nouvelles de leurs proches : « Nous sommes conscientes, toutes les femmes sont conscientes, que beaucoup des personnes capturées ne sont plus en vie, mais nous continuons malgré tout d'espérer que nous allons retrouver quelqu'un, qu'il reste aussi des survivants. »
Le 15 avril 1996, trois personnes affirmant s'être cachées dans la forêt depuis juillet 1995 ont atteint la République fédérative de Yougoslavie à Uzicse, où elles ont été enregistrées par des représentants du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Beaucoup espèrent que leurs proches portés manquants se trouvent en République fédérative de Yougoslavie. Au total, le HCR et le CICR ont recensé 796 personnes ayant fui les enclaves de Srebrenica et de Zepa et atteint la République fédérative de Yougoslavie ; ces personnes ont été soit réinstallées dans un pays tiers, soit rapatriées en Bosnie-Herzégovine. Il est possible que d'autres soient entrées en République fédérative de Yougoslavie sans se signaler auprès du HCR ou bien que les Serbes les aient fait "disparaître" avant qu'elles n'aient pu le faire. D'après le Comité des accords d'Helsinki pour la région de Sandjak (zone de la République fédérative de Yougoslavie comptant une importante communauté slave musulmane qui éprouve dans sa grande majorité une vive sympathie pour les Musulmans bosniaques), 95 réfugiés de Srebrenica et de Zepa ont "disparu" après leur arrivée dans la République fédérative de Yougoslavie et ne font pas partie des 796 personnes recensées par le HCR.
Il est fort possible que les réfugiés de Srebrenica ayant "disparu" en République fédérative de Yougoslavie aient été renvoyés en territoire bosno-serbe. Le Comité des accords d'Helsinki pour la région de Sandjak a signalé que, mis à part les 95 "disparus", on sait que sept personnes ont été renvoyées, puisqu'au moins une d'entre elles, détenue dans la prison de Foca, a ensuite été échangée contre un prisonnier de guerre bosno-serbe. Amnesty International s'oppose au renvoi de réfugiés vers des territoires où ils risquent d'être victimes de graves atteintes aux droits de l'homme. Elle exhorte la République fédérative de Yougoslavie à respecter ses obligations aux termes de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, qui dispose en son article 33-1 : « Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. »
Amnesty International est préoccupée par les informations selon lesquelles des prisonniers, parmi lesquels des personnes originaires de Srebrenica, auraient été maltraités et torturés par les Bosno-serbes. Le 10 mai 1996, sept hommes affirmant être restés cachés dans la forêt qui entoure Srebrenica se sont présentés à une unité des États-Unis de l'IFOR, mais ont été remis aux autorités bosno-serbes. Des membres du personnel de l'ONU ayant par la suite interrogé ces hommes à Zvornik et Bijeljina ont constaté qu'ils avaient été roués de coups, semble-t-il pour les obliger à "avouer" le meurtre de civils serbes. On leur avait également refusé le droit de consulter un avocat. L'IFOR a nié avoir commis une erreur en remettant les détenus aux autorités bosno-serbes, car, en vertu de l'article 1 de l'annexe 11 de l'Accord-cadre, les forces de l'ordre de chaque entité sont chargées du maintien de l'ordre civil, et la police serbe leur avait signifié son intention de mener une enquête sur les membres de ce groupe en rapport avec des crimes commis quelques jours plus tôt.
Toutefois, il n'est pas sûr que l'IFOR était obligée de remettre immédiatement les sept hommes aux autorités bosno-serbes. En effet, avant de remettre tout prisonnier aux autorités de Bosnie-Herzégovine, elle doit recevoir l'assurance qu'il ne sera pas torturé ni maltraité et qu'il sera jugé selon une procédure équitable. En outre, elle doit s'assurer de sa sécurité en faisant en sorte que le transfert se fasse sous le contrôle d'observateurs internationaux tels que l'Équipe internationale de police, les observateurs chargés des droits de l'homme de la mission de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ou le CICR [29] Le respect de ces garanties est conforme aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel les États-Unis sont partie et qui est contraignant pour tout État exerçant sa juridiction sur des territoires où ses forces armées ont une autorité, comme c'est le cas pour l'IFOR [30] En effet, celle-ci exerce un pouvoir quasiment total dans toutes les parties de la Bosnie-Herzégovine.
S'ils ne reviennent pas, au moins connaître la vérité
La découverte de la vérité sur les personnes "disparues" et portées manquantes est un élément essentiel pour la stabilité future de la région. Fatima Husejnovic a expliqué à Amnesty International :
« Pour les gens de Podrinja [31]32, pour les femmes de Podrinja, la guerre n'est pas terminée. Dans nos curs, c'est toujours la guerre. Car tant que nous n'aurons pas retrouvé la trace de tous nos disparus de Podrinja et de l'exode de Srebrenica, tant que nous ne serons pas tous rentrés chez nous ce que l'accord de Dayton nous a permis et promis de faire , tant que tout cela ne sera pas possible, dans nos curs, ce sera encore la guerre. »
Trop souvent, même l'énormité d'une tragédie comme celle-là ne suffit pas à empêcher qu'elle ne s'efface peu à peu du calendrier international d'action. Au fil des ans, un sentiment de résignation s'installe chez les membres de la communauté internationale quant au sort des personnes "disparues" ou portées manquantes. L'absence de progrès réalisés donne naissance à un sentiment de fatalisme et de défaite. Des crises plus récentes relatives aux droits de l'homme retiennent l'attention aussi bien des hommes politiques que des militants, tandis que les victimes et leurs familles, oubliées, se sentent frustrées et abandonnées. Le monde, qui s'était déclaré révolté par leur situation tragique, ne semble soudain plus se souvenir ou se soucier du fait que ces familles sont littéralement pétrifiées dans le temps incapables d'aller plus loin dans leur vie [32] La seule chose qui reste à Mila Ahmetovic de son mari est une photographie qu'elle et sa belle-sur conservent précieusement. Mila attend toujours le retour de son frère, de son mari et de son beau-père :
« Je serais perdue [si je ne découvrais pas la vérité]. J'espère qu'ils sortiront de quelque part. C'est chaque jour plus facile, mais en fait plus difficile. Je pense toujours que je vais entendre parler d'eux ; à chaque fois que je vais quelque part, je crois que je vais les rencontrer ou, au moins, que quelqu'un va me donner de leurs nouvelles. Je ne sais pas si je pourrais le supporter, si j'arriverais à survivre, vraiment, si j'apprenais que je ne connaîtrai jamais la vérité. »
Les familles ont besoin de connaître le sort de leurs proches. Les terribles effets émotionnels et psychologiques que provoquent chez une famille l'attente d'informations définitives sur le sort d'un des siens doivent être pris en compte par un véritable engagement politique et financier de la communauté internationale et des autorités locales. La découverte du sort des personnes "disparues" et portées manquantes doit s'inscrire dans un projet à long terme. Dans son approche de ce problème, la communauté internationale doit considérer la persévérance comme un élément fondamental. Il est aussi important de souligner que la réapparition physique des personnes n'est pas l'unique objectif dans de telles circonstances. Celle-ci ne constituant une ambition réaliste que dans un nombre limité de cas, la simple découverte de la réalité sur le sort des individus et les pressions exercées pour traduire les responsables en justice sont autant de motifs importants justifiant une action concertée de la part des autorités locales et de la communauté internationale. Par ailleurs, face à l'émergence récente de théories niant l'existence de ces crimes et d'autres tout aussi graves, ou en minimisant l'ampleur, il est de plus en plus urgent pour la communauté internationale de rendre compte avec soin et de manière exhaustive du sort d'un maximum de personnes "disparues" et portées manquantes. Le tribunal international a pour tâche principale de traduire en justice des individus plutôt que de fournir un bilan historique complet. On ne peut pas et ne doit pas attendre de lui qu'il vérifie le sort de chacune des personnes "disparues" ou portées manquantes.
Retrouver la dépouille d'un proche est un élément important qui permet aux familles de continuer à vivre. Dans le cas de Srebrenica, certaines familles ayant accepté l'idée du décès des leurs ne peuvent cependant toujours pas imaginer retourner à Srebrenica si elles n'ont pas d'endroit où les pleurer. C'est le sentiment d'Halil Mehic à propos de ses deux frères, dont on est sans nouvelles depuis leur fuite dans la forêt :
« Je ne voudrais retourner [à Srebrenica] que s'il m'était possible de retrouver quelque part les dépouilles de mes frères afin de les enterrer. Sinon je n'y retournerai pas. Je n'y retournerai jamais. Seulement s'il m'était d'une façon ou une autre possible de retrouver une partie de leur cadavre. Sinon, non, je ne voudrais pas être seul là-bas. »
Retrouver la dépouille d'un proche est un élément important qui permet aux familles de continuer à vivre. Dans le cas de Srebrenica, certaines familles ayant accepté l'idée du décès des leurs ne peuvent cependant toujours pas imaginer retourner à Srebrenica si elles n'ont pas d'endroit où les pleurer. C'est le sentiment d'Halil Mehic à propos de ses deux frères, dont on est sans nouvelles depuis leur fuite dans la forêt :
« Je ne voudrais retourner [à Srebrenica] que s'il m'était possible de retrouver quelque part les dépouilles de mes frères afin de les enterrer. Sinon je n'y retournerai pas. Je n'y retournerai jamais. Seulement s'il m'était d'une façon ou une autre possible de retrouver une partie de leur cadavre. Sinon, non, je ne voudrais pas être seul là-bas. »
Les efforts de la communauté internationale pour découvrir la vérité
Même si une proportion significative des plus de 27 000 personnes dont on est sans nouvelles sur l'ensemble du territoire de Bosnie-Herzégovine a peut-être été victime du conflit armé plutôt que d'exactions ou de violations du droit international relatif aux droits de l'homme et du droit international humanitaire, beaucoup d'éléments indiquent qu'un grand nombre d'entre elles ont été victimes d'homicides délibérés ou arbitraires. On a dénombré jusqu'à 3 000 fosses communes en Bosnie-Herzégovine, parmi lesquelles environ 300 seraient des charniers contenant un grand nombre de cadavres. Plus de 10 sites ont déjà été identifiés comme renfermant probablement les corps des personnes tuées après la prise de l'enclave de Srebrenica par l'Armée serbe de Bosnie, et certains éléments laissent supposer qu'il en existerait beaucoup d'autres. Le grand nombre de sites signalés ou formellement identifiés constitue en lui-même un problème énorme, mais qui peut et doit être résolu. Comparés à l'ampleur du problème, les moyens fournis par la communauté internationale pour la recherche de la vérité sont très limités.
Amnesty International estime qu'il est essentiel que la communauté internationale mette au point en priorité un programme d'action à long terme qui garantisse que les besoins des familles sur le plan humanitaire seront autant pris en compte que les exigences du tribunal international. La communauté internationale a reconnu qu'il était urgent d'éclaircir le sort des personnes "disparues" et portées manquantes, en exhumant les corps si nécessaire, mais n'a fourni qu'une infime partie des moyens financiers, humains et matériels requis.
Depuis maintenant de nombreux mois, Amnesty International se bat avec détermination pour que la communauté internationale s'engage à étendre son soutien financier et politique afin que l'ONU puisse exhumer les corps des charniers et réaliser des autopsies de manière satisfaisante. L'Organisation fait également campagne pour que les dépouilles des victimes soient remises aux familles afin que celles-ci puissent les enterrer ; elle a l'intention de poursuivre, sur ce point, ses pressions sur la communauté internationale et les gouvernements qui la constituent.
Amnesty International a cité à plusieurs reprises le rapport de 1994 sur la visite en ex-Yougoslavie d'un membre du Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires. Un délégué indiquait dans ce rapport que tous les corps devaient être exhumés et si possible identifiés afin de faire la lumière sur les cas des personnes portées manquantes. Il relevait, outre la diversité des sensibilités à cet égard qui rendait indispensable une volonté polique inconditionnelle , qu'une telle tâche serait herculéenne. Selon le délégué, les Nations unies devaient chercher à mettre en place, sous leur égide, cette entreprise médico-légale, aider à trouver les experts disponibles et obtenir le financement nécessaire, le cas échéant à partir de fonds privés. [33]
Amnesty International estime que la communauté internationale doit adhérer totalement à cette proposition et faire en sorte que cet engagement public dans un programme de collecte d'informations ante mortem, de fouilles, d'identification des corps et de retour des dépouilles aux familles soit communiqué comme il se doit aux proches des victimes, aux ONG et à toute personne concernée.
Structure
Le principal organisme international chargé d'enquêter sur ces cas en ex-Yougoslavie est le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires, qui ne s'occupe normalement pas des "disparitions" survenant aux cours de conflits armés ni des enlèvements perpétrés par des groupes non liés à un gouvernement. C'est pourquoi, en 1994, la Commission des droits de l'homme des Nations unies a mis en place un « dispositif spécial » concernant les personnes "disparues" et portées manquantes sur le territoire de l'ex-Yougoslavie [34]35[35]36
La mise en uvre du dispositif spécial a été confiée conjointement au rapporteur spécial des Nations unies sur l'ex-Yougoslavie et au Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires. Dans son rapport de janvier 1995, le groupe de travail définissait le nouveau mécanisme comme procédant d'une démarche strictement humanitaire et non accusatrice [36] Un expert, Manfred Nowak, a été chargé, sur proposition du président du groupe de travail, de mener à bien la mission du dispositif spécial. Cet expert a pour unique tâche de déterminer ce qu'il est advenu des personnes "disparues" et portées manquantes, sans chercher à établir les responsabilités.
Depuis la nomination de l'expert et jusque très récemment, le travail de ce dernier a été sérieusement entravé par un manque chronique de moyens adaptés, par des obstacles d'ordre logistique qui ont gêné ses déplacements et sa recherche d'informations dans la région (tout particulièrement en Bosnie-Herzégovine) et par le refus de coopérer de la République fédérative de Yougoslavie. En 1995, au cours de son action internationale pour les personnes "disparues" et portées manquantes en ex-Yougoslavie, Amnesty International s'est montrée extrêmement préoccupée par l'insuffisance très nette des moyens dégagés par les Nations unies pour le dispositif spécial par rapport à la tâche à accomplir. L'Organisation a instamment demandé à la communauté internationale, par l'intermédiaire des États membres des Nations unies, de fournir toutes les ressources nécessaires moyens financiers et humains, aide logistique et soutien politique pour que le dispositif spécial permette vraiment de recueillir des informations et d'élucider, de manière concertée et complète, les milliers de cas de personnes "disparues" et portées manquantes en ex-Yougoslavie. De plus, Amnesty International a exhorté toutes les parties au conflit à coopérer avec le dispositif spécial pour tenter de retrouver la trace des personnes "disparues" et portées manquantes, en communiquant les archives et les registres en leur possession et en autorisant l'accès aux territoires sous leur contrôle. [37]
Par ailleurs, l'Accord-cadre pour la paix de décembre 1995 a suscité une grande déception, car il ne contient pas d'orientations claires ni de réelle détermination à éclaircir le sort des personnes "disparues" et portées manquantes. Rien, dans cet accord, ne définit le rôle exact que doivent jouer le dispositif spécial et les parties à l'accord de paix pour que les milliers de cas de ce genre soient élucidés. Toutefois, entre début mars et fin avril 1996, lorsque la Commission des droits de l'homme des Nations unies s'est penchée sur la situation, un certain nombre d'évolutions positives ont au moins permis la naissance d'une stratégie d'ensemble pour tout le territoire de l'ex-Yougoslavie. Néanmoins, il manque encore une volonté politique et un soutien financier des États membres des Nations unies, ainsi qu'une totale coopération des gouvernements locaux. Il est important de souligner que, pour beaucoup de familles déplacées, connaître le sort de leurs proches est une condition préalable à leur retour spontané chez eux. Ainsi, Sevdina Latifovic a déclaré : « Je ne voudrais rentrer [à Srebrenica] que si mes frères et mon père étaient vivants, ou sinon, s'il m'était possible de me recueillir sur leurs tombes. Si on pouvait, au moins, un jour, retrouver leurs tombes, que je sache où ils sont. »
Le 1[38]
Les propositions de lignes directrices pour le groupe d'experts définissent son objectif principal comme étant la coordination des activités liées à la fouille des sites où l'on soupçonne l'existence de charniers, à l'exhumation des corps et à la recherche d'informations ante mortem dans le but de faciliter l'identification des victimes. Le groupe d'experts est investi d'une mission humanitaire consistant à déterminer le sort des personnes portées manquantes et à informer les familles de ses découvertes. Conformément à cet objectif, la priorité est donnée à la recherche d'informations pouvant permettre de retrouver la trace des personnes portées manquantes, par des démarches aussi bien publiques que privées.
Ainsi, le groupe d'experts ne doit recourir à des exhumations à des fins d'identification que lorsque les autres moyens d'identification ont échoué ou lorsqu'il existe des raisons de croire que, du fait des circonstances, l'exhumation constituera un moyen efficace d'élucider un cas qui n'aurait probablement pas pu l'être autrement. En toutes circonstances, les exhumations de fosses communes doivent être faites conformément aux normes reconnues internationalement, y compris la reconnaissance du droit à une sépulture décente, aussi bien pour les corps identifiés que pour les autres. Le groupe d'experts reconnaît que la collecte d'informations ante mortem est, en principe, nécessaire avant toute exhumation à des fins d'identification.
Dans le contexte de Srebrenica, les récits des témoins et des survivants montrent que rien n'a été fait pour identifier ou recenser les prisonniers qui ont été exécutés. À l'exception des relations que les survivants ont vu se faire tuer, il n'existe donc peut-être pas d'autre moyen que l'exhumation pour identifier les corps enterrés dans les charniers. L'IFOR fournit aux enquêteurs du tribunal international le soutien logistique et la protection nécessaires à leurs déplacements sur les sites des fosses communes ou ailleurs. Elle assure aussi la surveillance aérienne de ces fosses, mais elle a refusé de protéger tous les sites vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il est indispensable que l'IFOR et la communauté internationale assurent une protection suffisante des fosses communes, des autres preuves matérielles et des témoins.
Le groupe d'experts est convenu que toute exhumation effectuée par les autorités locales doit être faite de manière professionnelle, conformément aux normes internationales et sous le contrôle d'experts internationaux, et qu'il faut encourager les autorités locales à se consacrer en priorité à la collecte d'informations. La cheville ouvrière du groupe d'experts, qui dépend du Bureau du Haut Représentant, a notamment pour mission de favoriser la coopération en proposant une répartition des tâches, en conseillant les membres en cas de conflits ou de chevauchements dans leur travail, en définissant les solutions pour un meilleur partage des informations et en coordonnant les initiatives de collecte de fonds. Le groupe d'experts s'attache particulièrement à organiser la formation d'experts locaux, à informer les familles sur les actions menées pour déterminer le sort des personnes portées manquantes, à aider les ONG locales et à établir les préférences des parties et des familles concernant les sépultures. [39]
Depuis le début juin 1996, les exigences du tribunal international concernant les enquêtes et les poursuites sont prioritaires par rapport aux autres questions relatives aux cas des personnes "disparues" et portées manquantes. Étant donné les moyens extrêmement limités du tribunal et son obligation de cibler très précisément son travail afin de procéder le plus rapidement possible à des mises en accusation et des poursuites, il est probable qu'il ne pourra effectuer, cette année, que la fouille d'un tout petit nombre de sites où l'on soupçonne la présence de charniers en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Même si des sites de la région de Srebrenica en font partie, ils seront naturellement sélectionnés en fonction des besoins des enquêtes judiciaires actuellement en cours, et ces fouilles seront principalement effectuées dans le but de réunir des preuves pour les mises en accusation et les poursuites. L'identification de toutes les personnes "disparues" ou portées manquantes et le retour aux familles des dépouilles des victimes identifiées au cours des fouilles ne sont pas considérés comme étant du ressort du tribunal international.
Toutefois, il semble que le groupe d'experts a l'intention de poursuivre une action plus large dès que les besoins immédiats du tribunal auront été satisfaits. Cette action consisterait essentiellement à identifier individuellement les victimes. Elle serait rendue possible grâce à une opération de grande envergure destinée à recueillir, auprès des proches, toutes les informations possibles sur les caractéristiques physiques, le passé médical, etc., des personnes "disparues" ou portées manquantes. Il est donc indispensable de mettre en place de nouvelles représentations locales du Haut Commissariat pour les Réfugiés (en particulier à Tuzla, où se trouvent la plupart des proches des personnes portées manquantes à Srebrenica).
Une telle opération nécessitera des moyens considérables pour financer à la fois la collecte sur le terrain d'informations ante mortem et les exhumations elles-mêmes. L'expert chargé de la question des disparitions a donc demandé à la Commission des droits de l'homme des Nations unies, au cours de sa session du 18 mars au 26 avril 1996, de fournir les moyens financiers nécessaires, soit en puisant dans le budget ordinaire, soit en créant un fonds spécial de contributions volontaires que les gouvernements alimenteraient spécifiquement pour cette opération.
Malheureusement, la Commission des droits de l'homme des Nations unies n'a pas demandé à l'IFOR de garantir la surveillance des fosses communes, mais elle a exhorté l'expert chargé de la question des disparitions à coopérer avec les membres du groupe d'experts pour préparer un programme complet d'exhumations ; elle a également souligné la nécessité de mettre en place une base de données ante mortem [40]41 [41]42 [42] À l'inverse, l'expert chargé de la question des disparitions en est réduit à aller mendier de gouvernement en gouvernement pour collecter lui-même des fonds.
Après avoir consulté le groupe d'experts, l'expert chargé de la question des disparitions a dressé un budget s'élevant à 6 120 000 dollars pour la collecte d'informations ante mortem sur 8 000 personnes portées manquantes, ainsi que l'exhumation et l'identification de 1 000 corps sur une année. Le 22 mai 1996, il a lancé un appel à la communauté internationale pour qu'elle fournisse au dispositif spécial soit des médecins légistes qualifiés, soit un soutien logistique ou financier, afin qu'il puisse mener à bien son mandat dans le but de soulager la souffrance des familles qui attendent de connaître le sort des leurs [43] L'expert a ensuite organisé une réunion à Genève le 30 mai 1996 avec plus de 30 représentants de gouvernements, afin de leur présenter ce budget. Bien qu'aucun engagement concret n'ait été pris au cours de cette réunion, les représentants des gouvernements ont, dans l'ensemble, réagi favorablement.
Dans ces circonstances, Amnesty International appelle la communauté internationale à s'engager fermement à mettre en place un vaste programme destiné à identifier les victimes enterrées dans les charniers de Bosnie-Herzégovine et à leur assurer une sépulture décente. Ce programme nécessitera le soutien total du dispositif spécial, du tribunal international, du CICR, du Bureau du Haut Représentant, de l'IFOR et des ONG, ainsi que des États par l'intermédiaire de l'Assemblée générale des Nations unies et de la Commission des droits de l'homme et par leur dons aux fonds de contributions volontaires existants.
Pour être mené de manière efficace, ce programme doit être mis en uvre par un mécanisme international unique qui devra rester en contact étroit avec les autres institutions, en particulier le dispositif spécial, le CICR et le tribunal international. Amnesty International estime que l'expert chargé de la question des disparitions, en étroite collaboration avec le groupe d'experts, est le mieux placé pour jouer ce rôle. Bien qu'il constitue un premier pas important, le programme d'un an proposé par cet expert ne doit être que l'amorce d'un programme exhaustif destiné à élucider tous les cas de personnes "disparues" et portées manquantes.
Ce programme pourrait profiter des nombreux médecins légistes du monde entier qui ont offert leur aide bénévole [44] Par ailleurs, il devrait être mis en uvre en étroite collaboration avec les autorités et les proches des victimes en particulier pour réunir des informations ante mortem précises , et faire en sorte que les familles soient bien informées, afin que les attentes de part et d'autre soient réalistes.
Le programme devrait également être poursuivi sur une longue durée, car l'ampleur même de la tâche implique que le travail prendra sans doute plusieurs années ; l'Assemblée générale des Nations unies a bien précisé que la poursuite des enquêtes sur les "disparitions" reste un devoir tant que les cas n'ont pas été élucidés, les victimes ou leurs familles indemnisées et les responsables traduits en justice. [45]
La mise en application d'un tel programme devrait reposer principalement sur les gouvernements, mais le dispositif spécial superviserait la collecte d'informations ante mortem et surveillerait les fouilles afin de s'assurer qu'elles sont effectuées de manière professionnelle et impartiale, conformément aux normes internationales, en prenant en compte les besoins des familles des victimes et du tribunal international. Si les gouvernements se montraient incapables ou non disposés à effectuer les fouilles, le dispositif spécial s'en chargerait lui-même.
Que l'objectif premier d'une exhumation soit la constitution d'une preuve aux fins de poursuites judiciaires ou l'identification de la victime, il est indispensable qu'elle soit faite conformément aux normes professionnelles les plus strictes afin qu'aucune erreur ne soit commise dans l'identification et que la preuve soit suffisante pour être présentée devant le tribunal international ou toute juridiction nationale.
De même, toute exhumation, qu'elle soit effectuée par le tribunal international ou le dispositif spécial, doit être conforme aux normes internationales notamment trois instruments adoptés par les Nations unies : les principes régissant les enquêtes des Nations unies sur les allégations relatives à des massacres, le Protocole type pour les enquêtes judiciaires concernant les exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires (Protocole du Minnesota) et le Protocole type d'autopsies qui garantissent que les intérêts des familles sont bien représentés lors des exhumations. [46]
Recommandations
1. Des informations précises sur l'arrestation de toute personne et sur son lieu de détention, y compris les transferts et remises en liberté, doivent être communiquées dans les plus brefs délais à la famille, aux avocats et aux tribunaux. Les gouvernements doivent s'assurer que les prisonniers sont détenus uniquement dans des centres de détention publiquement reconnus, et un registre de tous les prisonniers doit être tenu à jour dans chaque lieu de détention, ainsi que par les autorités centrales. Tout détenu doit être enregistré et signalé à un organisme international tel que l'Équipe internationale de police ou le CICR.
2. Une grande partie de la vérité sur les événements de Srebrenica est détenue par les Serbes qui se trouvaient dans la région à l'époque. Les responsables de graves atteintes au droit humanitaire doivent être traduits en justice, afin que les témoins qui ont des informations sur le sort des personnes portées manquantes puissent parler sans craindre les représailles de ceux qui essaient d'échapper aux poursuites.
L'IFOR doit dès maintenant satisfaire à la requête du tribunal international qui demande que toutes les fosses communes soient surveillées en permanence.
3. L'expert chargé de la question des disparitions, en coordination avec le groupe d'experts, doit mettre en place, en coopération avec les organisations concernées, un programme d'action destiné à élucider tous les cas dans les trois ans et à remettre aux familles ou aux communautés les corps ayant pu être identifiés. Le programme d'action devra comprendre un projet exhaustif de collecte d'informations ante mortem.
Le programme d'action devra respecter à la fois les besoins urgents et légitimes du tribunal international de rassembler des preuves recevables et les préoccupations humanitaires des familles, sans que les uns ou les autres ne soient lésés. Il devra également être conçu de telle sorte que les proches des personnes "disparues" ou portées manquantes soient bien informés de l'étendue et de l'avancée des fouilles et des identifications.
Le Haut Représentant et le Haut Commissaire doivent demander à la communauté internationale de fournir en toute priorité les moyens humains, matériels et financiers nécessaires à la mise en uvre de ce programme et s'assurer que les parties à l'accord de paix coopèrent totalement avec l'expert chargé de la question des disparitions.
La communauté internationale doit considérer comme une priorité l'apport du personnel, des équipements et du financement nécessaires à la mise en uvre de ce programme.
[1] Rifet Mujic, déplacé de Srebrenica en juillet 1995, interviewé par Amnesty International en avril 1996.
[2] Amnesty International qualifie de "disparues" les personnes mise en état d'arrestation par des forces gouvernementales et dont on est sans nouvelles depuis, que l'arrestation ait eu lieu ou non dans le cadre d'un conflit armé ; les personnes "portées manquantes" sont celles dont on est sans nouvelles après leur capture par des entités non gouvernementales.
[3] Un rapport a été présenté par Manfred Nowak, expert du Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires et responsable du dispositif spécial des Nations unies pour l'ex-Yougoslavie, conformément au paragraphe 4 de la résolution 1995/35 de la Commission des droits de l'homme, en date du 4 mars 1996, document ONU E/CN.4/1996/36, paragr. 1. Voir aussi les documents d'Amnesty International suivants : Ex-Yougoslavie. Où sont les "disparus" ? Dossier complet des cas d'appel (index AI : EUR 05/08/95, octobre 1995) ; Ex-Yougoslavie. Où sont les "disparus" ? Recommandations (index AI : EUR 05/06/95, octobre 1995) ; Bosnie-Herzégovine. Portés manquants à Srebrenica (index AI : EUR 63/22/95, septembre 1995).
[4] Lettre du ministre [néerlandais] de la Défense à la Chambre basse du Parlement (n¡ D101/95/19818), 30 octobre 1995.
[5] Report based on the Debriefing on Srebrenica [Rapport basé sur le Compte rendu de mission sur Srebrenica], p. 59.
[6] Panorama, BBC, 11 mars 1996.
[7] Report based on the Debriefing on Srebrenica [Rapport basé sur le Compte rendu de mission sur Srebrenica, op. cit.], p. 50.
[8] Ces incidents ont été rapportés dans le Report based on the Debriefing on Srebrenica [Rapport basé sur le Compte rendu de mission sur Srebrenica, op. cit.], p. 47-51.
[9] L'endroit décrit par Sevdina Latifovic correspond à celui où la FORPRONU a signalé la découverte des corps de neuf personnes ayant été abattues. Comme la jeune femme n'a pas pu vraiment s'approcher des cadavres, il est possible qu'elle ait mal évalué le nombre de victimes (dans la suite de l'entretien, elle a estimé avoir vu 20 corps) et qu'elle se soit trompée dans la manière dont celles-ci avaient été tuées ; il se peut donc que les corps qu'elle dit avoir vus soient les mêmes que ceux signalés par les casques bleus néerlandais.
[10] Panorama, BBC, 11 mars 1996.
[11] Les tchetniks étaient des partisans serbes royalistes et anticommunistes durant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, quelques groupes paramilitaires serbes ont remis ce titre au goût du jour, mais il est avant tout utilisé de manière péjorative par les Croates et les Musulmans pour désigner les combattants serbes.
[12] Annexe 4 de la lettre du ministre [néerlandais] de la Défense à la Chambre basse du Parlement (n¡ D101/95/19818, op. cit.), en date du 30 octobre 1995.
[13] Report based on the Debriefing on Srebrenica [Rapport basé sur le Compte rendu de mission sur Srebrenica, op. cit.], p. 59.
[14] Informations rapportées par David Rohde, The Christian Science Monitor, 2 octobre 1995.
[15] Récit rapporté par David Rohde, The Christian Science Monitor, 2 octobre 1995 ; Michael Dobbs et Christine Spolar, The Washington Post, 26 octobre 1995 ; et d'autres.
[16] Panorama, BBC TV, diffusé le 11 mars 1996.
[17] Le compte rendu qui suit a été fait à partir des articles de Vanesa Vasic-Janekovic, Nasa Borba, 13 mars 1996, et de Renaud Girard, Le Figaro, 8 mars 1996. Dans les interviews, la date donnée pour les exécutions était le 20 juillet. Toutefois, Drazen Erdemovic a plaidé coupable devant le tribunal international pour « avoir participé personnellement à l'exécution sommaire de centaines de civils musulmans bosniaques de sexe masculin non armés [É] le 16 juillet 1995 ou aux alentours de cette date » (Jennifer Scott, agence de presse Reuter, 29 mai 1996).
[18] Renaud Girard, Le Figaro, 8 mars 1996.
[19] Ibid.
[20] Robert Block, Mass Slaughter in a Bosnian field knee-deep in blood [Massacre dans un champ bosniaque noyé dans le sang], The Independent, 21 juillet 1995.
[21] The New York Times, 29 octobre 1995.
[22] Robert Block, The Independent, 21 juillet 1995.
[23] Report based on the Debriefing on Srebrenica [Rapport basé sur le Compte rendu de mission sur Srebrenica, op. cit.], p. 58.
[24] Elizabeth Neuffler, The Boston Globe, 20 mai 1996.
[25] Cf. Arbitray Detention, David Rohde, journalist, US national [Détention arbitraire, David Rohde, journaliste, citoyen des États-Unis], Action urgente 134/95 (index AI : EUR 63/26/95), 7 novembre 1995.
[26] Tim Weiner, The New York Times, 30 octobre 1995.
[27] Mark Heinrich, agence de presse Reuter, 6 juin 1996.
[28] Emma Daly, The Independent, 27 novembre 1995.
[29] Pour connaître les autres critiques et recommandations faites par Amnesty International aux organisations internationales chargées de faire appliquer l'accord de paix en Bosnie-Herzégovine, voir le document de l'Organisation intitulé Bosnia-Herzégovina: The international community's responsibility to ensure human rights [Bosnie-Herzégovine. La responsabilité de la communauté internationale concernant le respect des droits de l'homme], index AI : EUR 63/14/96, juin 1996.
[30] Le PIDCP, en son article 7, dispose : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». L'article 14 du même instrument ajoute : « Toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi. »
[31] Région située dans la partie est de la Bosnie-Herzégovine, au bord de la rivière Drina.
[32] D'après l'expert des Nations unies chargé de la question des disparitions, quinze ans d'expérience du Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires montrent que les proches des personnes portées manquantes gardent toujours l'espoir de revoir les leurs vivants tant qu'il n'a pas été prouvé au-delà de tout doute raisonnable qu'ils sont morts (rapport de l'expert chargé de la question des disparitions, document ONU E/CN.4/1996/36, paragr. 78).
[33] Document ONU E/CN.4/1994/26/Add.1, paragr. 111.
[34] Résolution 1994/39, paragr. 23 ; résolution 1994/72, paragr. 24.
[35] Rapport soumis par Manfred Nowak, membre du Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires, conformément au paragraphe 24 de la résolution 1994/72 de la Commission des droits de l'homme.
[36] Ibid.
[37] Cf. le document d'Amnesty International intitulé Ex-Yougoslavie. Où sont les "disparus" ? Recommandations. (index AI : EUR 05/06/95, octobre 1995).
[38] Le groupe d'experts ne doit pas être confondu avec un groupe de travail sur les personnes portées manquantes créé le 1er mars 1996 à Sarajevo, sous la présidence du CICR, conformément à l'accord de paix, et qui est chargé de rechercher les parents portés manquants. Cf. rapport Bildt, document ONU S/1996/190, paragr. 75-76. L'expert chargé de la question des disparitions a un rôle d'observateur dans le groupe de travail et les parties à l'accord de paix y participent.
[39] Cette présentation du travail du groupe d'experts s'appuie sur une copie de ses propositions de lignes directrices en date du 3 avril 1996 obtenue par Amnesty International. Il semble que ces lignes directrices reflètent bien les actions et la politique menées actuellement par le groupe d'experts.
[40] Résolution de la Commission des droits de l'homme des Nations unies adoptée le 23 avril 1996, document ONU E/CN.4/1996/L.11, paragr. 34-a-b.
[41] Ibid., paragr. 36-37. Le Haut Commissaire a ouvert un sous-compte dans le fonds destiné à financer le Centre pour les droits de l'homme, afin de soutenir les activités liées aux exhumations et à l'identification des corps de l'expert chargé de la question des disparitions. Lettre de l'expert chargé de la question des disparitions aux représentants permanents de l'ONU à Genève, en date du 22 mai 1996.
[42] Ibid., paragr. 46.
[43] Lettre de l'expert chargé de la question des disparitions aux représentants permanents des Nations unies à Genève, en date du 22 mai 1996. Le budget détaillé joint à la lettre montre clairement qu'une réduction significative des dépenses dans les domaines administratif, logistique et autres a été réalisée grce à la bonne volonté d'un certain nombre d'organismes, parmi lesquels le Bureau du Haut Représentant, le CICR et l'IFOR, qui ont accepté de soutenir gracieusement le dispositif spécial.
[44] Le Centre des Nations unies pour les droits de l'homme a établi une liste de médecins légistes s'étant proposés bénévolement pour accomplir ce travail. Cf. résolution 1996/31 de la Commission des droits de l'homme des Nations unies, adoptée le 19 avril 1996, document ONU E/CN.4/1996/L.11/Add.1 ; résolution 1994/31, adoptée le 4 mars 1994 ; rapport du secrétaire général sur les droits de l'homme et la médecine médico-légale, document ONU E/CN.4/1996/41 ; rapport du secrétaire général sur les droits de l'homme et la médecine médico-légale présenté conformément à la résolution 1992/24 de la Commission des droits de l'homme, document ONU E/CN.4/1993/20.
[45] Conformément aux normes internationales, « une enquête doit pouvoir être menée [É] tant qu'on ne connaît pas le sort de la victime d'une disparition forcée » (Déclaration de Nations unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, art. 13-6). « Les victimes d'actes ayant entraîné une disparition forcée et leurs familles doivent obtenir réparation et ont le droit d'être indemnisées de manière adéquate, notamment de disposer des moyens qui leur permettent de se réadapter de manière aussi complète que possible. En cas de décès de la victime du fait de sa disparition forcée, sa famille a également droit à indemnisation » (Ibid. art. 19). « Tout acte conduisant à une disparition forcée continue d'être considéré comme un crime, aussi longtemps que ses auteurs continuent à dissimuler le sort réservé à la personne disparue et le lieu où elle se trouve et que les faits n'ont pas été élucidés » (Ibid. art. 17).
[46] Ces normes internationales font partie, avec d'autres, des Principes régissant les enquêtes des Nations unies sur les allégations relatives à des massacres (Bureau des affaires juridiques, Organisation des Nations unies, New York, 1995). Le principe 16 des Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions dispose :
« Les familles des défunts et leurs représentants autorisés seront informés de toute audience et y auront accès, ainsi qu'à toute information touchant l'enquête ; ils auront le droit de produire d'autres éléments de preuve. La famille du défunt aura le droit d'exiger qu'un médecin ou un autre représentant qualifié assiste à l'autopsie. Lorsque l'identité du défunt aura été établie, un avis de décès sera affiché et la famille ou les parents du défunt seront immédiatement avisés. La dépouille mortelle leur sera rendue après l'enquête. »
Le paragraphe D-13 du Protocole du Minnesota prévoit que les familles des défunts et leurs représentants autorisés seront informés de toute audience et y auront accès, ainsi qu'à toute information touchant l'enquête ; ils auront le droit de produire des éléments de preuve. L'accent particulier mis sur le rôle de la famille en tant que partie à la procédure implique que les intérêts de la famille jouent un rôle particulièrement important dans la conduite de l'enquête.
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