Pour que Cesse le Mépris des Droits de l'Homme

« Le Comité est extrêmement préoccupé par le nombre élevé de cas d'exécution extrajudiciaire et sommaire, de disparition, de torture, de mauvais traitements et d'arrestation et de détention arbitraire dont seraient responsables des membres de l'armée et des forces de sécurité et par l'inaction du gouvernement qui n'a pas fait procéder à des enquêtes approfondies sur ces cas pour que les auteurs présumés de ces infractions soient poursuivis et les coupables punis, et n'a pas accordé réparation aux victimes ou à leur famille. L'impunité qui en résulte encourage d'autres violations des droits énoncés dans le Pacte. »

« Les Nigérians méritent un sort meilleur. »

Introduction

La politique menée par le gouvernement militaire actuellement au pouvoir au Nigéria bafoue ouvertement les droits de l'homme. Il y a un an, à l'issue de procès manifestement inéquitables, ce gouvernement a fait exécuter Ken Saro-Wiwa ainsi que huit autres partisans du Movement for the Survival of the Ogoni People (MOSOP, Mouvement pour la survie du peuple ogoni), soulevant un tollé au sein de la communauté internationale. À l'approche du premier anniversaire de ces exécutions, peu de changements ont été observés. Le gouvernement continue de violer les droits de ses détracteurs, que ceux-ci soient membres de partis d'opposition, journalistes, défenseurs des droits de l'homme ou issus de l'ethnie ogoni. La détention arbitraire de prisonniers d'opinion demeure monnaie courante, les autorités ne tenant pas compte des décisions des tribunaux si celles-ci leurs déplaisent. Les prisonniers politiques risquent toujours de faire l'objet de procès iniques, devant des juridictions spéciales habilitées à prononcer des condamnations à mort. Les détenus ne peuvent consulter un avocat, voir leur famille ni recevoir les soins médicaux les plus élémentaires. En outre, des accusations persistantes font état d'exécutions extrajudiciaires imputables à des fonctionnaires nigérians chargés de l'application des lois. Le 4 juin 1996, Alhaja Kudirat Abiola, première épouse de Chief (chef coutumier) Moshood Abiola, le vainqueur des élections présidentielles annulées de juin 1993, a été assassinée à Lagos dans des circonstances qui ont conduit nombre de personnes à penser que les auteurs de ce forfait pouvaient être des agents gouvernementaux ayant agi avec ou sans l'aval des autorités centrales. Le gouvernement n'a pas fait ouvrir d'enquête immédiate, approfondie et impartiale sur cet assassinat.

De nombreux observateurs éprouvent un sentiment décourageant de déjà-vu face à la situation des droits de l'homme qui prévaut au Nigéria. Les Nigérians sont-ils destinés à subir indéfiniment des gouvernements qui n'ont guère de considération pour l'État de droit, et qui se refusent à adopter les garanties nécessaires pour que les droits de l'homme soient respectés ? La communauté internationale est-elle prête à tolérer indéfiniment une telle situation dans un pays dont l'importance est cruciale pour la stabilité future de toute l'Afrique occidentale ? À n'en pas douter, le temps est venu de rompre avec le passé et de respecter enfin les droits de la personne humaine au Nigéria.

Le général Sani Abacha, qui dirige le gouvernement militaire actuel, s'est emparé du pouvoir en novembre 1993 après que son prédécesseur, le général Ibrahim Babangida, eut annulé les résultats des élections présidentielles qui devaient conclure le processus de transition vers un régime civil. Chief Moshood Abiola, vainqueur de ces élections, est maintenu en détention par les autorités militaires depuis juin 1994 sous l'accusation à caractère politique de trahison et de crime constitutif de trahison. Les militaires qui sont aujourd'hui à la tête du pays ont annoncé qu'ils céderaient le pouvoir à un gouvernement civil fin octobre 1998. Des voix se sont élevées à l'intérieur du pays pour affirmer que les élections locales organisées en 1996 n'avaient été ni libres ni honnêtes, et que ces premières étapes d'une transition vers un régime civil n'étaient qu'une imposture. Elles ont également dénoncé les récents décrets pris par les militaires, qui autorisent le gouvernement à harceler et arrêter toute personne critique à l'égard du processus de transition.

Si le respect des droits de l'homme n'est pas instauré de toute urgence au Nigéria, la communauté internationale se doit de considérer la perspective d'une transition vers un régime civil avec un profond scepticisme. L'adoption de mesures partielles et de vagues réformes en matière de droits fondamentaux, la libération d'un petit nombre de prisonniers d'opinion qui ont subi de longues périodes de détention arbitraire, voilà à quoi se sont engagées les autorités nigérianes à la suite du séjour dans le pays d'une mission de l'ONU, en avril 1996. Mais cela n'est pas suffisant. Ce qu'il faut, c'est libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers d'opinion, et mettre en œuvre sans plus attendre un vaste programme de réforme dans le domaine des droits de l'homme.

La communauté internationale, y compris les sociétés transnationales ayant d'importants intérêts économiques dans le pays, a le devoir de continuer à déployer tous ses efforts pour que le respect des droits fondamentaux soit instauré au Nigéria. Une telle responsabilité implique que les gouvernements s'entendent sur un certain nombre de mesures communes et spécifiques en matière de droits de l'homme, mesures que le Nigéria sera tenu d'appliquer sans retard. Les sociétés transnationales devraient affirmer leur adhésion à la Déclaration universelle des droits de l'homme et montrer par des actions concrètes dans le pays qu'elles acceptent l'idée de devoir, en vertu de cette déclaration, prendre leur part dans la défense des droits de l'homme.

Le présent rapport s'ouvre sur un bilan, celui de l'actuel gouvernement militaire dans le domaine des droits de l'homme. Il apparaît que ce gouvernement n'a pas respecté les normes internationales en matière de droits de l'homme, eu égard aux cas et catégories de violations relevant du mandat d'Amnesty International. Le bilan du Nigéria en matière de droits de l'homme depuis novembre 1993 est principalement établi en fonction des obligations juridiques de ce pays, tant au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) que de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), deux instruments que le Nigéria a pourtant ratifiés. Le rapport fait également mention du fait que le Nigéria a signé mais pas encore ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Amnesty International présente ensuite un Programme en 10 points pour une réforme en matière de droits de l'homme au Nigéria. L'Organisation demande au gouvernement militaire d'adopter et de mettre en œuvre ce programme pour que les droits de l'homme soient enfin respectés dans le pays.

Enfin, Amnesty International examine le rôle récent de la communauté internationale face à la situation des droits de l'homme au Nigéria, ainsi que l'attitude du gouvernement nigérian. L'Organisation définit les mesures que devraient prendre de toute urgence les gouvernements et les sociétés transnationales ayant d'importants intérêts économiques dans le pays, afin qu'ils s'acquittent du devoir qui est le leur de tout faire pour mettre fin au mépris dans lequel sont tenus les droits de l'homme au Nigéria.

Le gouvernement nigérian viole les normes internationales
en matière de droits de l'homme

PIDCP: Pacte international relatif aux droits civils et politiques

CADHP: Charte africaine des droits de l'homme et des peuples

1.     Procès secrets pour trahison, 1995

En 1995, la détention et le jugement, par un tribunal militaire spécial secrètement réuni, de personnes soupçonnées de participation à un complot visant à renverser le gouvernement ont abouti à la condamnation de 43 personnes pour trahison ou infractions relevant de trahison. Parmi ces personnes figuraient des défenseurs des droits de l'homme et des militants favorables à la démocratie, tels l'ancien chef de l'État, le général en retraite Olusegun Obasanjo, et son ancien bras droit, le général de division en retraite Shehu Musa Yar'Adua. Condamnés respectivement à la réclusion à perpétuité et à la peine de mort, ils ont vu leur peine commuée en quinze et en vingt cinq ans d'emprisonnement. Ont également été condamnés à de lourdes peines de prison pour complicité de trahison ou dissimulation d'actes de trahison Beko Ransome-Kuti, président de Campaign for Democracy (CD, Campagne pour la démocratie) et défenseur des droits de l'homme bien connu, Shehu Sani, vice-président de CD, et quatre journalistes : Chris Anyanwu, Kunle Ajibade, George Mbah et Ben Charles Obi. Amnesty International pense que tous ces hommes sont des prisonniers d'opinion et que leur incarcération a pour seul objectif de les empêcher de critiquer l'actuel gouvernement militaire.

Il y a enfin les cas de Rebecca Onyabi Ikpe, belle-sœur du colonel RSB Bello-Fadile, lui aussi soupçonné de tentative de coup d'État, et de l'avocat de ce dernier, le capitaine de frégate LMO Fabiyi. Bello-Fadile, reconnu coupable de trahison et de complot, a été condamné à mort, sentence commuée par la suite en une peine de détention à perpétuité. Rebecca Onyabi Ikpe et le capitaine Fabiyi, soupçonnés d'avoir transmis à des tiers la déclaration faite par le colonel Bello-Fadile pour sa défense, ont été inculpés de complicité de trahison après coup. De toute évidence, ce chef d'inculpation à caractère politique vise à empêcher que l'opinion publique ait connaissance des graves dysfonctionnements de l'appareil judiciaire. Rebecca Ikpe et le capitaine Fabiyi ont tous deux été condamnés à la détention à perpétuité, peine ramenée par la suite à quinze ans d'emprisonnement. Sanusi Mato, parent d'un autre prisonnier politique, a subi un sort similaire. (Pour tout renseignement complémentaire sur ces détentions et ces procès, prière de consulter le rapport publié par Amnesty International en octobre 1995 et intitulé Nigéria. Une parodie de justice. Procès secrets pour trahison et autres sujets de préoccupation d'Amnesty International, index AI : AFR 44/23/95).

Ces détentions et ces procès constituent une violation des normes internationales en matière de droits de l'homme, notamment des obligations qu'imposent les traités en vigueur, pour les raisons suivantes :

a).        Les accusés n'ont pas été rapidement informés du contenu des charges retenues contre eux, ce qui leur aurait permis de savoir exactement quels actes leur étaient reprochés et en quoi ces actes constituaient des infractions – Articles 9(2) et 14(3)(a) du PIDCP ; article 7 de la CADHP

b).        Les accusés se sont vu refuser la possibilité d'être représentés par un avocat de leur choix – Articles 14(3)(d) du PIDCP ; article 7(c) de la CADHP

c).        Les accusés ont été jugés par un tribunal qui n'avait ni la compétence ni l'indépendance et l'impartialité requises – Article 14(1) du PIDCP ; articles 3 et 7 de la CADHP

d).        Les accusés n'ont pas eu le droit d'être jugés par des tribunaux ordinaires, ou par des tribunaux utilisant les procédures prévues par la loi – Principe n° 5 des Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature

e).        Les accusés n'ont pas bénéficié rapidement d'un examen médical correct – Articles 7 et 10(1) du PIDCP ; article 5 de la CADHP ; principe n° 24 de l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement ; règle n° 91 de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus

f).         Les graves accusations selon lesquelles les déclarations utilisées par le procureur auraient été obtenues sous la torture ou la contrainte, ou par des moyens de persuasion contraires à la loi, n'ont donné lieu à aucune mesure – Articles 7, 10(1) et 14(3)(g) du PIDCP ; articles 12, 13 et 15 de la Convention de l'ONU contre la torture ; articles 3, 4, 5 et 6 de la CADHP

g).        Les tribunaux n'ont pas été autorisés à faire comparaître les détenus, même par la voie d'une ordonnance d'habeas corpus (procédure permettant la comparution immédiate d'un détenu devant une autorité judiciaire, afin de contester la légalité de la détention, et de permettre ainsi une éventuelle remise en liberté) – Article 9(4) du PIDCP ; articles 6 et 7(1) de la CADHP

h) .       Les accusés n'ont pu disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense – Article 14(3)(b) du PIDCP ; article 7(c) de la CADHP

i) .        Les accusés se sont vu refuser le droit d'interjeter appel devant une juridiction supérieure et indépendante – Article 14(5) du PIDCP ; article 7(1)(a) de la CADHP

En outre, plusieurs des personnes jugées et condamnées par un tribunal militaire spécial n'appartenaient pas aux forces armées. Le Comité des droits de l'homme, qui est chargé de surveiller l'application des dispositions du PIDCP, a fait savoir que « les tribunaux militaires ne devraient pas avoir le droit de juger des affaires qui ne se rapportent pas à des infractions commises par des membres des forces armées dans l'exercice de leurs fonctions » (Doc. ONU CCPR/C/79/Add.3, paragraphe 9, 9 août 1993 (Observation sur le rapport de l'Égypte).

2.     Procès et exécutions de militants ogoni, 1995

Ken Saro-Wiwa, président du Movement for the Survival of the Ogoni People (MOSOP, Mouvement pour la survie du peuple ogoni), a été exécuté le 10 novembre 1995 en même temps que huit autres partisans du MOSOP, au mépris de la communauté internationale. Celle-ci s'était émue de l'iniquité manifeste et du caractère politique évident des procès. Les neuf suppliciés s'appelaient Ken Saro-Wiwa, Barinem Kiobel, Saturday Doobee, Paul Levura, Nordu Eawo, Felix Nuate, Daniel Gbokoo, John Kpuinen et Baribor Bera. (Pour tout renseignement complémentaire concernant ces procès, consulter le rapport d'Amnesty International de septembre 1995 intitulé Nigéria. Détention et procès de membres de la communauté ogoni, index AI : AFR 44/20/95.)

L'actuel gouvernement nigérian responsable de tels dénis de justice a violé les normes internationales en matière de droits de l'homme mentionnées ci-après, notamment les obligations qu'imposent les traités en vigueur,

a).        en arrêtant et en détenant arbitrairement, parfois pendant huit mois, des personnes qui n'avaient pas été inculpées – Article 9(1) du PIDCP ; article 6 de la CADHP

b).        en ne tenant pas compte des graves accusations selon lesquelles les déclarations utilisées par le procureur auraient été obtenues sous la torture ou la contrainte, ou par des moyens de persuasion contraires à la loi – Articles 7, 10(1) et 14(3)(g) du PIDCP ; articles 12, 13 et 15 de la Convention de l'ONU contre la torture ; articles 3, 4, 5 et 6 de la CADHP

c).        en n'autorisant pas les tribunaux à faire comparaître les détenus, même par la voie d'une ordonnance d'habeas corpus – Article 9(4) du PIDCP ; articles 6 et 7(1) de la CADHP

d).        en faisant juger les accusés par un tribunal qui n'avait ni la compétence ni l'indépendance et l'impartialité requises – Article 14(1) du PIDCP ; articles 3 et 7 de la CADHP

e).        En refusant aux accusés le droit d'être jugés par des tribunaux ordinaires, ou par des tribunaux utilisant les procédures prévues par la loi – Principe n° 5 des Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature

f).         en refusant aux accusés la possibilité de bénéficier rapidement d'un examen médical correct – Articles 7 et 10(1) du PIDCP ; article 5 de la CADHP ; principe n° 24 de l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement ; règle n° 91 de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus

g).        en n'autorisant pas les accusés à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense, en concertation avec un avocat de leur choix – Article 14(3)(b) du PIDCP ; article 7(1)(d) de la CADHP

h).        en autorisant qu'un même tribunal juge deux affaires simultanément au motif que les actes d'accusation étaient pratiquement identiques, une pratique qui nuit à l'indépendance et à l'impartialité du tribunal – Article 14 du PIDCP

i).         en refusant aux accusés le droit d'interjeter appel devant une juridiction supérieure et indépendante – Article 14(5) du PIDCP ; article 7(1)(a) de la CADHP

j).         en recourant à la peine capitale sans avoir fourni de preuves claires et convaincantes, ne laissant place à aucune autre interprétation des faits, de la culpabilité de l'accusé, et sans que cette culpabilité soit entérinée par un jugement définitif rendu par un tribunal compétent à l'issue d'une procédure juridique offrant toutes les garanties possibles d'équité, ainsi que la possibilité de faire appel devant une juridiction supérieure – Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort du Conseil économique et social des Nations unies.

3.     Dix-neuf prisonniers ogoni toujours détenus sans jugement

Au moins 19 prisonniers ogoni risquent actuellement d'être jugés sous des chefs d'inculpation similaires par le même tribunal spécial chargé des troubles sociaux, c'est-à-dire la juridiction qui a, en 1995, condamné à mort Ken Saro-Wiwa et huit de ses camarades à l'issue de procès manifestement inéquitables. La plupart sont détenus depuis la mi-1994. Ils ont été formellement inculpés en septembre 1995. Les 19 prisonniers s'appellent Samuel Asigha, John Banatu, Ngbaa Baovi, Kagbara Bassee, Paul Deekor, Michael Doghala, Godwin Gbodor, Friday Gburuma, Blessing Israel, Adam Kaa, Benjamin Kabari, Baribuma Kumanwee, Baritule Lebe, Taaghalo Monsi, Nyieda Nasikpo, Sampson Ntignee, Nwinbari Abere Papah, Babina Vizor et Pop-Gbara Zor-Zor.

En mai 1996, le gouvernement nigérian a annoncé une série de mesures visant à réformer les tribunaux spéciaux chargés des troubles sociaux. Ces réformes sont bien loin de satisfaire aux normes internationales en matière d'équité des procès, auxquelles ces tribunaux devraient se conformer. En outre, quelque forme que prenne en définitive la procédure judiciaire concernant les 19 prisonniers ogoni, les autorités nigérianes ont d'ores et déjà violé les normes internationales relatives aux droits de l'homme, notamment les obligations qu'imposent les traités en vigueur, durant la période de détention précédant le procès

a) en arrêtant et détenant arbitrairement ces personnes pendant une longue période – Article 9(1) du PIDCP ; article 6 de la CADHP

b) en ne les déférant pas à la justice dans un délai raisonnable à compter du moment de leur arrestation – Article 9(3) du PIDCP ; article 7(1)(d) de la CADHP

c) en n'autorisant pas les tribunaux à faire comparaître les détenus, même par la voie d'une ordonnance d'habeas corpus – Article 9(4) du PIDCP ; article 6 de la CADHP

d) en n'autorisant pas les accusés à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense, en concertation avec un conseil de leur choix – Article 14(3)(b) du PIDCP ; article 7(1)(d) de la CADHP

e) en leur imposant des conditions de détention dangereuses pour leur vie et en leur refusant la possibilité de bénéficier rapidement d'un examen médical correct – Articles 7 et 10 du PIDCP ; article 5 de la CADHP ; principe n° 24 de l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement ; règle n° 91 de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus

f) en ne faisant pas ouvrir d'enquête approfondie et impartiale sur la mort en détention, en août 1995, de Clement Tusima, qui devait être jugé en même temps que les 19 autres prisonniers ogoni – Principe n° 34 de l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement.

4.     Autres prisonniers d'opinion détenus, notamment des défenseurs des droits de l'homme

De nombreux défenseurs des droits de l'homme ont été détenus sans inculpation ni jugement par l'actuel gouvernement nigérian ; ces personnes étaient des prisonniers d'opinion. La plupart ont subi des conditions de détention épouvantables, et n'avaient souvent pas accès aux soins médicaux les plus élémentaires. Au nombre des personnes détenues sans inculpation ni jugement figuraient Olatunji Abayomi, dirigeant de Human Rights Africa (Droits de l'homme-Afrique), Chima Ubani, secrétaire général de Democratic Alternative (Alternative démocratique), et Abdul Oroh, directeur exécutif de la Civil Liberties Organisation (CLO, Organisation des libertés publiques). Les trois hommes ont été arrêtés en 1995, à l'époque des procès secrets pour trahison qui ont abouti à la condamnation de 43 personnes.

Deux syndicalistes sont également détenus sans inculpation ni jugement. Frank Kokori, secrétaire général du National Union of Petroleum and Natural Gas Workers (NUPENG, Syndicat national des ouvriers du pétrole et du gaz naturel), et Milton Dabibi, secrétaire général de la Petroleum and Natural Gas Senior Staff Association of Nigeria (PENGASSAN, Syndicat des cadres des industries pétrolières du Nigéria) ont été arrêtés respectivement en 1994 et en 1996, après avoir participé en 1994 à une grève de deux mois des ouvriers du pétrole pour protester contre l'emprisonnement de Moshood Abiola et contre le maintien au pouvoir des militaires.

Entre décembre 1995 et mai 1996, un grand nombre de militants des droits de l'homme ont été interpellés alors qu'ils n'avaient fait que se livrer à leurs activités légitimes de défenseurs des libertés fondamentales. Parmi les personnes arrêtées figuraient Chief Gani Fawehinmi, juriste et dirigeant du National Conscience Party (NCP, Parti de la conscience nationale), Femi Aborisade, directeur de l'organisation du NCP, cinq responsables de la section du NCP du nord du pays – Biodun Olamosu, Taiye Babalola, Biodun Odemeyi, Baba Ramota et Samibonu –, Femi Fallana, juriste et président de la National Association of Democratic Lawyers (NADL, Association nationale des avocats démocrates), trois dirigeants étudiants de l'université Obafemi Awolowo – à savoir Ife (alias Anthony Fasayo), Demola Yaya et une autre personne –, et Nosa Igiebor, rédacteur en chef du magazine Tell. Au mois de juin, Nnimmo Bassey, membre d'Environmental Rights Action (Action-Écologie) et de la CLO, a également été arrêté.

Au nombre des autres prisonniers d'opinion incarcérés figuraient Ayo Opadokun, secrétaire général de la National Democratic Coalition (NADECO, Coalition démocratique nationale), appréhendé en octobre 1994 et détenu depuis lors sans inculpation ni jugement, et Chief Moshood Abiola, vainqueur des élections présidentielles – annulées – de juin 1993, qui a été arrêté en juin 1994 après s'être déclaré président du Nigéria et avoir demandé aux militaires de se retirer. Au cours des mois suivants, Chief Moshood Abiola a été poursuivi pour trahison et crime constitutif de trahison, deux chefs d'inculpation dont Amnesty International estime qu'ils ont un caractère politique. La trahison est une infraction passible de la peine de mort ; le crime constitutif de trahison est punissable d'une peine d'emprisonnement à perpétuité. Chief Moshood Abiola n'a pas encore été jugé. Frederick Eno, conseiller de ce dernier, a été arrêté en août 1994. Ayo Adebanjo, Ganiyu Dawodu et Abraham Adesanya, trois responsables de la NADECO, ont été interpellés pour des raisons politiques en juin 1996 à la suite de l'assassinat d'Alhaja Kudirat Abiola. En juillet 1996, les autorités nigérianes n'ont pas tenu compte d'une décision de la Haute Cour fédérale de Lagos ordonnant qu'Ayo Adebanjo, Ganiyu Dawodu et Abraham Adesanya soient immédiatement libérés et indemnisés pour avoir été illégalement détenus.

Certaines des personnes citées plus haut – Olatunji Abayomi, Abdul Oroh, Frederick Eno, Nosa Igiebor et Nnimmo Bassey, entre autres – ont été libérées dans le courant de l'année 1996. Il n'en reste pas moins qu'en détenant des prisonniers d'opinion, les autorités nigérianes ont violé les normes internationales mentionnées ci-après, notamment les obligations qu'impose le droit en vigueur,

a).        en arrêtant et détenant arbitrairement ces personnes pendant de longues périodes – Article 9(1) du PIDCP ; article 6 de la CADHP

b).        en n'a\utorisant pas les tribunaux à ordonner la comparution des détenus, même par la voie d'une ordonnance d'habeas corpus – Article 9(4) du PIDCP ; articles 6 et 7(1) de la CADHP

c).        en n'autorisant pas les détenus à consulter leur avocat – Article 14(3)(b) du PIDCP ; article 7(c) de la CADHP

d).        en refusant ou restreignant l'accès de ceux qui en avaient besoin aux soins médicaux les plus élémentaires – Articles 7 et 10(1) du PIDCP ; article 5 de la CADHP ; principe n° 24 de l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement ; règle n° 91 de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus

5.     Les tribunaux pour vols et usage d'armes à feu

Le nombre des exécutions a augmenté de façon spectaculaire au lendemain du coup d'État de novembre 1993 et du remplacement, dans les 30 États du pays, des gouverneurs civils élus par des administrateurs militaires. Depuis cette date, environ 200 prisonniers de droit commun ont été exécutés, souvent en public, après avoir été poursuivis pour vol à main armée par des tribunaux pour vols et usage d'armes à feu. C'est ainsi qu'en juillet 1995, 43 prisonniers ont été fusillés à Lagos devant une foule d'un millier de spectateurs.

Les tribunaux pour vols et usage d'armes à feu n'autorisent pas les personnes condamnées à faire appel de leur condamnation devant une juridiction supérieure. En cela, ces tribunaux violent l'article 14(5) du PIDCP et l'article 7(a) de la CADHP. Ils contreviennent également aux Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort (Conseil économique et social des Nations unies).

6. Des exécutions extrajudiciaires seraient imputables aux forces de sécurité nigérianes

Un certain nombre de cas d'exécutions extrajudiciaires de civils sans défense par des membres des forces de sécurité nigérianes ont été signalés depuis la prise du pouvoir par l'actuel gouvernement.

Au moins 50 Ogoni auraient été tués et de nombreux autres blessés par les forces de sécurité à la fin du mois de mai et en juin 1994, lorsque des soldats ont attaqué des villes et des villages en pays ogoni. Il semble qu'ils aient tiré au hasard, faisant plusieurs victimes ; d'autres personnes auraient également été tuées de façon délibérée par des soldats. Des membres des forces armées auraient en outre agressé et violé des civils, et détruit des maisons. C'est ainsi qu'entre le 4 et le 9 juin 1994, les villages d'Uegere et de Bo-ue, qui sont voisins, auraient été attaqués de nuit à plusieurs reprises. Dix personnes, dont un jeune garçon de dix ans, auraient été tuées. Selon certaines informations, au moins deux jeunes garçons auraient été abattus lors de manifestations organisées en janvier 1996 en pays ogoni.

Des dizaines de personnes non armées auraient aussi été tuées par la police au cours de manifestations en faveur de la démocratie, en 1993 et en 1994.

En juin 1996, Alhaja Kudirat Abiola, première épouse de Chief Moshood Abiola, a été abattue à Lagos. Les circonstances de son assassinat ont conduit certaines personnes à affirmer que les tueurs avaient agi sur ordre de l'État. Alhaja Kudirat Abiola menait depuis longtemps campagne pour la libération de son mari. Sa mort n'a fait que confirmer une tendance qui voit les partisans de l'opposition politique au Nigéria faire de plus en plus souvent l'objet d'agressions physiques. C'est ainsi qu'en novembre 1995, Chief Alfred Rewane, l'un des bailleurs de fonds de la NADECO, a été abattu à son domicile par plusieurs tueurs. Les enquêtes policières n'ont, pour l'instant, abouti à rien.

S'il devait se confirmer que des membres de l'armée et des forces de sécurité se sont rendus responsables d'exécutions extrajudiciaires, le gouvernement nigérian aurait alors violé l'article 6(1) du PIDCP et l'article 4 de la CADHP.

Quoi qu'il en soit, les autorités nigérianes ont indubitablement violé les Principes de l'ONU relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions. Elles n'ont pas ouvert, dans des délais suffisamment rapides, d'enquêtes impartiales sur les cas d'exécutions extrajudiciaires qui lui ont été signalés. Lorsque enquête il y a eu, elles n'en ont pas publié les conclusions et n'ont pas traduit les responsables en justice. Le seul cas d'exécutions extrajudiciaires dont on sait qu'il a fait l'objet d'une enquête par une instance judiciaire indépendante est celui du massacre d'Umuechem, survenu en 1990 dans l'État de Rivers, au cours duquel 80 membres de l'ethnie etche ont été tués. Les conclusions de la commission judiciaire chargée d'enquêter sur cette tuerie n'ont jamais été rendues publiques, bien qu'elles aient été officieusement divulguées en 1992. Aucune mesure n'a semble-t-il été prise pour déférer à la justice les agents de la police mobile cités dans le rapport comme étant les auteurs de ce massacre.

Programme en 10 points pour une réforme en matière de droits de l'homme au Nigéria

Le gouvernement en place doit de toute urgence prendre un certain nombre de mesures visant à restaurer le respect des droits de l'homme dans le pays. Le présent chapitre présente un Programme en 10 points pour une réforme en matière de droits de l'homme au Nigéria. Chacun des 10 points de ce programme reflète une préoccupation thématique particulière d'Amnesty International se rapportant au mépris dans lequel sont tenus les droits de l'homme au Nigéria. Les préoccupations de l'Organisation concernent : les prisonniers d'opinion ; les procès inéquitables ; les tortures et les mauvais traitements ; la peine de mort et les exécutions extrajudiciaires présumées.

Amnesty International demande aux autorités nigérianes de mettre en œuvre les 10 points du programme suivant, pour une réforme en matière de droits de l'homme. Le gouvernement devrait :

1.         S'engager à instaurer le respect des droits de l'homme au Nigéria et, à cette fin, coopérer avec la communauté internationale.

Le gouvernement actuel devrait déclarer publiquement qu'il respectera désormais pleinement les obligations juridiques internationales qui sont les siennes dans le domaine des droits de l'homme. Il devrait également s'engager à respecter les droits inscrits dans la Constitution et dans la législation nationale pertinente, lorsque ces droits sont conformes aux normes internationales. Le gouvernement devrait en outre préciser dans sa déclaration les mesures spécifiques qu'il compte prendre pour concrétiser ses promesses. Afin de prouver qu'il est prêt à collaborer avec la communauté internationale sur la question des droits fondamentaux, il devrait cesser de faire obstacle aux initiatives des organisations intergouvernementales et non gouvernementales visant à surveiller la situation des droits de l'homme au Nigéria, et à enquêter sur les cas de violations qui leur sont signalés. Parmi les organismes intergouvernementaux dont les représentants devraient pouvoir circuler librement figurent les Nations unies, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, ainsi que le Groupe d'action ministériel du Commonwealth.

2.         Libérer immédiatement tous les prisonniers d'opinion – à savoir les personnes emprisonnées en raison de leurs convictions politiques, de leurs croyances religieuses, de leur sexe ou de leur origine ethnique – qui n'ont pas eu recours à la violence ni n'en ont préconisé l'usage, notamment les prisonniers détenus sans inculpation ni jugement et ceux condamnés et incarcérés à l'issue de procès inéquitables.

Parmi les prisonniers d'opinion qui devraient être libérés immédiatement et sans condition figurent :

Chief Moshood Abiola – homme politique

Femi Aborisade – défenseur des droits de l'homme

Ayo Adebanjo – homme politique

Abraham Adesanya – homme politique

Kunle Ajibade – journaliste

Chris Anyanwu – journaliste

Milton Dabibi – dirigeant syndical

Ganiyu Dawodu – homme politique

Femi Falana – juriste et défenseur des droits de l'homme

Chief Gani Fawehinmi – juriste et défenseur des droits de l'homme

Rebecca Ikpe – parente d'un prisonnier politique

Frank Kokori – dirigeant syndical

Beko Ransome-Kuti – juriste et défenseur des droits de l'homme

Sanusi Mato – parent d'un prisonnier politique

George Mbah – journaliste

général Olusegun Obasanjo – homme politique

Ben-Charles Obi – journaliste

Ayo Opadokun – homme politique

Shehu Sani – défenseur des droits de l'homme

Chima Ubani – défenseur des droits de l'homme

général de division Shehu Musa Yar'Adua – homme politique

(Pour tout renseignement complémentaire sur le cas de ces personnes, consulter le rapport d'Amnesty International de novembre 1996 intitulé Nigeria : Human Rights defenders under attack (index AI : AFR 44/16/96) [Nigéria. Les autorités s'en prennent aux défenseurs des droits de l'homme]

3.         Faire cesser la détention arbitraire. Annuler tous les décrets militaires autorisant la détention au secret ou pour une durée illimitée de prisonniers politiques qui n'ont pas été jugés, notamment le Décret n° 2 de 1984 relatif à la sûreté de l'État et à la détention des personnes.

En mai 1996, le gouvernement militaire a annoncé qu'il allait amender le Décret n° 2 de 1984 relatif à la sûreté de l'État et à la détention des personnes afin de permettre que les dossiers des prisonniers détenus en vertu de ce décret fassent l'objet d'une révision tous les trois mois. Toutefois, la composition de l'organe chargé de procéder à ces révisions – qui comprend le chef d'état-major, l'inspecteur général de la police et le procureur général (également ministre de la Justice) – laisse à penser qu'il ne sera ni indépendant ni impartial. Le gouvernement militaire précédent, dirigé par le général Ibrahim Babangida, avait annoncé une mesure similaire lors de la dernière tentative – avortée – de transition vers un régime civil. Les effets concrets en avaient été très minces, et l'arrivée au pouvoir du général Abacha en novembre 1993 avait rapidement mis un coup d'arrêt à cette réforme. Amnesty International estime que le gouvernement actuel doit annuler en totalité le Décret n° 2 de 1984 s'il veut que quelque crédit soit accordé à son intention de ne plus tolérer la détention arbitraire.

Toujours en mai 1996, les autorités nigérianes ont annoncé qu'elles allaient engager une autre réforme, à savoir l'abrogation d'un amendement au Décret n° 2 de 1984. Le décret n° 14 de 1994, qui ôtait aux tribunaux le pouvoir de prendre une ordonnance d'habeas corpus concernant toute personne détenue au titre du Décret n° 2 de 1984, a désormais été abrogé. Cependant, le Décret n° 2 de 1984 contient toujours une disposition aux termes de laquelle les tribunaux, déclarés incompétents, ne peuvent ordonner la relaxe d'un détenu. En conséquence, l'abrogation du Décret n° 14 de 1994 ne garantit en rien que les autorités nigérianes vont respecter à l'avenir les ordonnances d'habeas corpus. Depuis novembre 1993, date de l'arrivée au pouvoir du gouvernement actuel, les tribunaux n'ont cessé de prendre des ordonnances de remise en liberté qui, régulièrement, sont restées lettres mortes. De fait, les autorités nigérianes n'ont tenu aucun compte d'un certain nombre d'ordonnances rendues par les tribunaux depuis mai 1996. De plus, d'autres décrets sont toujours en vigueur qui réduisent la compétence des juridictions ordinaires. Ainsi, le Décret n° 12 de 1994, qui interdit toute action judiciaire visant à mettre en cause la légalité d'un décret pris par les militaires ou de toute mesure adoptée en violation des dispositions constitutionnelles relatives aux droits fondamentaux, place effectivement le gouvernement au-dessus des lois.

En conséquence, Amnesty International estime que le gouvernement nigérian devrait annuler sans attendre tous les décrets militaires autorisant que des prisonniers politiques qui n'ont pas été jugés soient détenus au secret ou pour une durée illimitée.

4.         Garantir dans les meilleurs délais un procès équitable à tous les prisonniers politiques, lesquels jouiront de tous leurs droits en matière de défense, notamment du droit d'interjeter appel devant une instance supérieure et indépendante. Déférer sans délai à la justice, pour qu'ils y soient jugés de façon équitable, tous les prisonniers politiques incarcérés pour une durée indéterminée sans avoir été inculpés ou maintenus en détention prolongée avant leur procès, ou bien les remettre en liberté.

L'actuel gouvernement nigérian a jusqu'à présent marqué le plus grand mépris pour les obligations internationales qui sont les siennes en matière d'équité des procès. Les procès, en 1995, des auteurs présumés d'une tentative de coup d'État, ainsi que de Ken Saro-Wiwa et de 14 autres partisans du MOSOP, ont violé pratiquement tous les principes relatifs à l'équité des procès qui sont énoncés tant dans le PIDCP que dans la CADHP.

La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples – qui veille au respect de la CADHP – a, dans le passé, vivement critiqué les procédures des tribunaux spéciaux instaurés par décret à l'initiative des militaires. En ce qui concerne Zamani Lekwot et six autres plaignants (plainte 87/93), la commission a déclaré que le tribunal spécial chargé des troubles sociaux qui les avait jugés avait contrevenu à la CADHP, les plaignants n'ayant pas eu le droit de faire appel devant une instance supérieure après avoir été reconnus coupables et condamnés à mort. En conséquence, la commission a recommandé aux autorités nigérianes de libérer ces derniers. Toutes les personnes condamnées ont été remises en liberté en 1995. En outre, concernant les cas de Wahab Akamu, de G. Adega et d'autres personnes (plainte 60/91), la commission a déclaré que les tribunaux pour vols et usage d'armes à feu, qui ne prévoyaient pas non plus le droit de faire appel, violait aussi la CADHP.

Le gouvernement nigérian a annoncé en mai 1996 qu'à l'avenir, les tribunaux spéciaux chargés des troubles sociaux ne comprendraient plus de membres des forces armées. Il a également promis que serait mis en place, au niveau d'une instance d'appel, un contrôle des verdicts et des peines prononcés par les tribunaux spéciaux chargés des troubles sociaux. Apparemment, l'engagement d'interdire désormais au personnel militaire de siéger dans ces tribunaux constituait une réponse à l'une des critiques formulées lors des procès de Ken Saro-Wiwa et d'autres personnes en 1995. Toutefois, le gouvernement militaire maintient son contrôle sur le processus des nominations. L'annonce de l'institution d'un droit de recours semblait également répondre à une autre critique exprimée antérieurement. Cependant, il a également été déclaré que le Conseil provisoire de gouvernement jouerait le rôle d'« autorité de confirmation » après examen de l'appel. Ainsi, la procédure demeure toujours aussi peu à l'abri des ingérences politiques. Ces mesures ne suffisent donc pas à garantir une justice indépendante et impartiale.

Tout un ensemble d'autres préoccupations formulées par diverses organisations, dont Amnesty International, concernant le fonctionnement des tribunaux spéciaux chargés des troubles sociaux, qui ont jugé notamment Ken Saro-Wiwa, n'ont pas suscité de réponses governementales. Dorénavant, les accusés seront-ils rapidement informés des charges retenues contre eux ? Pourront-ils s'adresser à l'avocat de leur choix ? Seront-ils protégés contre la torture et les mauvais traitements ? Pourront-ils rapidement voir leur avocat, leur famille, un médecin ? Seront-ils traduits en justice dans des délais raisonnables ? Il n'existe aujourd'hui aucune garantie permettant de dire qu'à l'avenir ces droits seront sauvegardés.

Jusqu'à présent, le gouvernement ne s'est guère montré enclin à reconnaître la validité des critiques formulées par la communauté internationale concernant le déroulement des procès. Les autorités nigérianes devraient s'engager sur-le-champ à respecter le principe selon lequel tous les prisonniers politiques doivent bénéficier d'un procès équitable dans un délai raisonnable, et jouir de tous leurs droits en matière de défense, notamment du droit d'interjeter appel devant une juridiction supérieure et indépendante. En outre, à défaut d'être traduits rapidement en justice et jugés de façon équitable, tous les prisonniers politiques actuellement incarcérés sans inculpation pour une durée illimitée ou maintenus en détention prolongée dans l'attente de leur procès devront être libérés immédiatement. Cela concerne notamment les 19 prisonniers ogoni qui se trouvent toujours en détention préventive, sous des chefs d'inculpation identiques à ceux qui ont abouti à la condamnation et à l'exécution de Ken Saro-Wiwa et de huit autres membres du MOSOP en 1995.

5.         Ordonner la révision, par une juridiction supérieure et indépendante, de toutes les condamnations et de toutes les peines prononcées par les tribunaux spéciaux qui ont jugé des prisonniers politiques ou qui ont recouru à la peine capitale, dans le but de libérer ou de rejuger ces prisonniers s'il s'avère que leur procès n'a pas satisfait aux normes internationales en matière d'équité des procès, et en vue de réformer lesdits tribunaux spéciaux afin de les mettre en conformité avec ces normes – ou bien de les abolir si une telle réforme est impossible.

Les juristes du monde entier s'accordent à penser que les procès des auteurs présumés d'une tentative de coup d'État, ainsi que ceux de Ken Saro-Wiwa et de 14 autres partisans du MOSOP, étaient manifestement inéquitables et répondaient à des motivations politiques évidentes. Il en découle que les condamnations et les peines prononcées à ces occasions constituaient de graves dénis de justice. Tous les Nigérians qui auraient pu être condamnés à tort et injustement à partir de chefs d'inculpation à caractère politique ont le droit d'exiger que la déclaration de culpabilité et la peine les concernant fassent l'objet d'une révision par une instance judiciaire supérieure et indépendante. Étant donné l'absence patente de garanties de procédure susceptibles de protéger les droits de l'homme dans la plupart des tribunaux spéciaux fonctionnant aujourd'hui, une telle révision devrait être entreprise à tous les niveaux du système des tribunaux spéciaux, de façon à permettre qu'à l'avenir, la justice soit effectivement rendue.

Bien qu'il soit trop tard pour sauver la vie de ceux qui ont été exécutés pour des raisons politiques à l'issue de procès manifestement iniques, les principes de justice exigent que la vérité soit connue. Aux prisonniers politiques qui purgent actuellement une peine d'emprisonnement, parmi lesquels figurent nombre des personnes incarcérées en 1995 pour tentative présumée de coup d'État, une révision de la déclaration de culpabilité et de la peine par une instance judiciaire supérieure et indépendante offrirait enfin une perspective de justice authentique.

Les tribunaux spéciaux, qui ne font pas partie du système judiciaire normal, ont été les principaux instruments par lesquels l'actuel gouvernement nigérian a pu obtenir que des condamnations à caractère politique soient prononcées, à l'issue de procès manifestement injustes. Lorsque le gouvernement s'engagera à respecter les principes d'équité et de célérité en matière de procès, ainsi qu'à reconnaître tous ses droits à la défense, il devra prendre immédiatement des mesures visant à réformer tous les tribunaux spéciaux qui ont, par le passé, jugé des prisonniers politiques, ou qui peuvent encore le faire à l'avenir. Au nombre de ces tribunaux figurent les tribunaux spéciaux chargés des troubles sociaux qui, en 1993 et en 1995, ont prononcé des condamnations à mort à l'issue de procès politiques inéquitables, et les tribunaux militaires spéciaux qui ont infligé des sentences capitales après des procès secrets et injustes en 1976, 1986, 1990 et 1995.

En outre, le gouvernement devra adopter sur-le-champ des mesures visant à réformer les tribunaux spéciaux qui jugent des prisonniers de droit commun et sont habilités à prononcer des condamnations à mort, mais qui n'offrent pas la possibilité de faire appel de la déclaration de culpabilité devant une instance judiciaire supérieure et indépendante. Sont notamment visés ici les tribunaux pour vols et usage d'armes à feu, qu'il est urgent de réformer. Pour l'heure, la peine de mort est obligatoire pour toutes les personnes reconnues coupables de vol à main armée par ce type de tribunaux.

6.         Mettre fin à la torture et aux mauvais traitements, y compris au manque de soins et aux conditions de détention susceptibles de mettre en péril la vie des prisonniers. À cet effet, instaurer des garanties suffisantes permettant notamment à tous les prisonniers de pouvoir immédiatement et sans restriction voir leur avocat, leur famille et recevoir tous les soins médicaux nécessaires.

Il est toute une série de mesures que le gouvernement nigérian devrait prendre sans retard pour faire cesser la torture et les mauvais traitements, et pour mettre en place des garanties suffisantes de nature à empêcher que de telles méthodes ne soient de nouveau utilisées à l'avenir.

Le gouvernement devrait adresser aux soldats et aux membres des forces de sécurité des instruction claires interdisant toutes les formes de torture et de mauvais traitements sous peine de sanction. Les autorités nigérianes devraient également spécifier à tous les membres des forces armées et de sécurité qu'ils ont le droit et le devoir formels de désobéir à tout ordre pouvant les conduire à commettre des actes de torture ou des mauvais traitements.

Le gouvernement devrait aussi veiller à ce que tous les détenus politiques puissent rencontrer immédiatement et sans restriction leur famille, leur avocat et un médecin, et recevoir les soins médicaux que leur état pourrait nécessiter ; il devrait garantir que leurs conditions de détention sont conformes à l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.

Le gouvernement devrait prendre de toute urgence des mesures visant à améliorer et approfondir la formation de tous les agents chargés de l'application des lois en ce qui concerne les normes internationales et les pratiques destinées à empêcher actes de torture et mauvais traitements.

Le gouvernement devrait ratifier la Convention contre la torture.

7.         Prendre des mesures pour empêcher les exécutions extrajudiciaires.

Le gouvernement nigérian devrait s'assurer que toutes les unités de l'armée et de la police, ainsi que tous les fonctionnaires de forces de sécurité ou autres qui sont chargés des opérations d'arrestation, de placement en garde à vue ou d'incarcération sont soumis à un contrôle strict, supposant notamment l'existence d'une hiérarchie clairement définie.

Le gouvernement devrait donner des instructions claires interdisant les exécutions extrajudiciaires. Un contrôle strict devrait s'exercer sur tous les personnels militaire, policier et des forces de sécurité participant à des opérations ; la législation devrait obliger ces derniers à respecter les Principes de base de l'ONU sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois.

Des règlements écrits relatifs aux procédures régissant l'utilisation des armes à feu devraient être transmis à chaque soldat et à chaque agent des forces de sécurité. S'il arrive qu'une arme à feu soit utilisée, un rapport devra, à chaque fois, être adressé dans les plus brefs délais aux autorités compétentes. S'il y a eu mort d'homme, une enquête indépendante devra immédiatement être ouverte.

Le gouvernement devrait prendre de toute urgence des mesures visant à améliorer et approfondir la formation de tous les agents chargés de l'application des lois en ce qui concerne les normes internationales et les pratiques relatives au recours à la force et à l'utilisation des armes à feu.

8.         Ordonner, conformément aux normes internationales en vigueur, que soient rapidement ouvertes des enquêtes impartiales sur tous les cas de violations des droits fondamentaux qui ont été signalés, déférer à la justice tous les auteurs de ces violations, et indemniser les victimes.

Le gouvernement militaire devrait s'engager à mettre un terme à cette culture de l'impunité qui existe au Nigéria depuis si longtemps. Pour cela, il devra – indispensable condition préalable – accepter le principe d'ouvrir dans les plus brefs délais des enquêtes impartiales sur tous les cas de violations des droits de l'homme qui ont été, sont ou seront signalés. Les autorités nigérianes devront s'engager à veiller à ce que les enquêtes soient menées sur la base des principes suivants :

La personne désignée pour mener l'enquête devra être choisie en raison de ses indiscutables qualités d'impartialité, de compétence et d'indépendance.

La personne dirigeant l'enquête sera autorisée à rechercher tous les renseignements nécessaires à son enquête, et pourra citer à comparaître tout témoin ou fonctionnaire soupçonné d'avoir participer à des atteintes aux droits de l'homme.

Des sanctions devront être prises contre tout membre des forces armées, de police ou de sécurité qui refuserait de collaborer à l'enquête.

Des mesures devront être adoptées afin de protéger plaignants, témoins et enquêteurs contre toute violence ou menace de violence, ou toute autre forme d'intimidation.

L'institution chargée de l'enquête devra, dès que possible, établir un rapport, lequel sera immédiatement rendu public. Les rapports devront préciser l'étendue des investigations, décrire en détail les faits tels qu'ils sont supposés s'être produits, fournir les éléments de preuve sur lesquels se fondent les conclusions et indiquer la procédure utilisée pour évaluer lesdits éléments. En outre, ils contiendront des recommandations concernant le type de mesures efficaces et pratiques à adopter pour traduire les responsables en justice et empêcher de nouvelles violations des droits de l'homme. En retour, les personnes disposant d'un pouvoir de décision devront dire quelles mesures elles comptent prendre.

Les autorités devraient se voir impartir un délai limité pour répondre aux rapports ; elles indiqueront le type de mesures prises pour faire face aux violations et empêcher leur récurrence, et rendront leurs réponses publiques.

Le gouvernement nigérian devrait également prendre sans attendre les mesures suivantes :

Publier le rapport d'enquête concernant le massacre d'Umuechem, survenu en 1990 dans l'État de Rivers, rapport qui n'a jamais été rendu public.

Ouvrir une enquête indépendante et impartiale sur les circonstances de la mort en détention dans la prison de Port-Harcourt, en août 1995, de Clement Tusima, ainsi que d'autres enquêtes sur toutes les plaintes pour torture ou mauvais traitements d'anciens détenus ou de prisonniers actuellement incarcérés. Tous les rapports devront être rendus publics.

Ouvrir des enquêtes indépendantes et impartiales sur toutes les plaintes pour exécutions extrajudiciaires attribuées aux forces de sécurité nigérianes, notamment en pays ogoni, depuis 1993. Tous les rapports devront être rendus publics.

Ouvrir une enquête indépendante et impartiale sur l'assassinat, en juin 1996, de Kudirat Abiola, première épouse de Chief Moshood Abiola, homme politique actuellement incarcéré. Le rapport d'enquête devra être rendu public.

Accepter et appliquer le principe d'enquêtes rapides et impartiales sur tous les cas de violations des droits fondamentaux qui sont signalés ne suffit pas en soi à faire cesser l'impunité. Un tel objectif ne peut être atteint que si les auteurs de ces violations sont traduits en justice et les victimes, indemnisées – deux tâches auxquelles le gouvernement nigérian devra s'engager à s'atteler. Ce dernier devra accorder une indemnisation correcte à toutes les victimes de violations, ou à leur famille en cas de décès ou de "disparition", sans préjudice de toute autre procédure civile ou pénale.

9.         Mettre un terme aux exécutions et abolir la peine de mort.

Amnesty International est opposée par principe à la peine capitale parce qu'il s'agit de la forme de châtiment la plus cruelle et la plus inhumaine qui soit. À cela s'ajoute le fait qu'au Nigéria, presque toutes les personnes qui ont été exécutées depuis le retour des militaires au pouvoir en 1983 ont été condamnées à l'issue de procès inéquitables, sans pouvoir disposer du droit de faire appel devant une juridiction supérieure. De plus, le recours à des exécutions publiques massives a transformé l'acte judiciaire proprement dit en un spectacle macabre et dégradant. Le gouvernement nigérian ne pourrait donner meilleure preuve de son engagement en faveur du respect et de la protection des droits de l'homme qu'en mettant un terme aux exécutions et en abolissant la peine de mort. Ce faisant, le Nigéria s'inscrirait dans la tendance abolitionniste que l'on peut observer aujourd'hui tant en Afrique qu'ailleurs dans le monde.

Le gouvernement devrait prendre sans attendre les mesures suivantes : instaurer un moratoire immédiat sur les exécutions ; ratifier le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au PIDCP, visant à abolir la peine de mort ; amender la Constitution de telle façon qu'aucune infraction ne soit désormais obligatoirement punie de la peine de mort ; enfin, mettre en place une commission d'enquête judiciaire indépendante sur l'application de la peine de mort au Nigéria.

10.       Annuler le Décret n° 12 de 1994 relatif au gouvernement militaire fédéral (suprématie et exercice du pouvoir), qui place de fait le gouvernement au-dessus des lois en interdisant toute action judiciaire visant à mettre en cause la légalité des décrets militaires ou de toute mesure prise en violation des dispositions constitutionnelles relatives aux droits de l'homme.

Ce décret pris par les militaires constitue l'expression ultime du mépris dans lequel l'actuel gouvernement nigérian tient le principe de l'État de droit. En soustrayant le gouvernement à tout examen judiciaire minutieux de ses actions, notamment des violations des droits de l'homme qui lui sont imputées, il accorde à celui-ci une totale impunité. Tant que ce décret demeurera en vigueur, toute affirmation du gouvernement selon laquelle il respecte les droits de l'homme apparaîtra dénuée de sens. Le Décret n° 12 de 1994 doit faire l'objet d'une annulation avec effet immédiat.

Recommandations adressées à la communauté internationale

Au cours de l'année 1995, le Nigéria s'est retrouvé au premier rang des préoccupations de la communauté internationale. De nombreux pays ont condamné les procès secrets pour trahison et l'exécution de Ken Saro-Wiwa et de huit autres sympathisants du MOSOP. Le rapport d'Amnesty International de mars 1996 intitulé Nigéria. Résumé des préoccupations en matière de droits de l'homme (index AI : AFR 44/03/96) rend compte de l'attitude de la communauté internationale au cours de l'année 1995.

Le présent chapitre s'ouvre sur l'étude du rôle joué entre juin et août 1996 par les Nations unies, l'Organisation de l'unité africaine, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, ainsi que le Commonwealth. Cette étude laisse entrevoir le danger d'effritement qui menace la volonté politique d'engager une action concertée pour persuader le gouvernement nigérian d'améliorer la situation des droits de l'homme dans son pays. Au cours de cette période, la communauté internationale n'est pas parvenue à s'entendre sur un ensemble de mesures communes et spécifiques que l'actuel gouvernement devrait appliquer sans retard afin d'instaurer le respect des droits de l'homme au Nigéria. L'absence de toute approche coordonnée augmente le risque de voir des réformes décousues obtenir plus de crédibilité qu'elles ne le mériteraient vraiment.

La communauté internationale n'est cependant pas uniquement composée de gouvernements. Les sociétés transnationales ont également un rôle important à jouer. Amnesty International estime que ces dernières ont le devoir de déployer tous leurs efforts pour que les droits fondamentaux soient respectés, ainsi que le prescrit la Déclaration universelle des droits de l'homme. Cela concerne toutes les sociétés transnationales où qu'elles soient implantées, y compris au Nigéria. Nous nous pencherons donc aussi, dans le présent chapitre, sur le rôle joué au cours de ces dernières années par les sociétés transnationales au Nigéria – en suggérant qu'elles pourraient agir de façon bien plus significative en faveur des droits de l'homme.

En conclusion, nous préciserons les mesures que les gouvernements et les sociétés transnationales ayant d'importants intérêts économiques au Nigéria devraient prendre de toute urgence pour s'acquitter du devoir qui est le leur de tenter, par tous les moyens, de faire respecter les droits de l'homme dans ce pays.

Les Nations unies

En avril 1996, à l'issue de sa 56e session, le Comité des droits de l'homme (l'organisme qui veille à l'application du PIDCP) a relevé qu'il existait des contradictions fondamentales entre les obligations souscrites par le Nigéria dans le cadre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la mise en œuvre de ces droits. Il a notamment fait mention de pratiques telles que la détention illimitée ou au secret, et la suppression de l'habeas corpus. Le comité ajoutait que la mise en place, par décret militaire, de tribunaux spéciaux qui n'autorisent pas le libre choix d'un avocat et ne reconnaissent pas le droit de faire appel a conduit à ôter arbitrairement la vie à Ken Saro-Wiwa et aux autres coaccusés, en violation du PIDCP. Il a également dénoncé l'absence manifeste de toute enquête sérieuse sur les plaintes pour torture ou pour mauvais traitements, ou relatives aux conditions de détention, une situation qui, selon le comité, soulève de graves questions au regard des principes du PIDCP. Enfin, le Comité des droits de l'homme a formulé un certain nombre de recommandations prioritaires. Il a notamment exprimé le souhait de voir abroger tous les décrets portant création de tribunaux spéciaux ou supprimant les dispositions constitutionnelles qui, en temps normal, protègent les libertés fondamentales et la compétence des tribunaux ordinaires. Il a demandé que soit immédiatement suspendu tout procès en cours devant ces tribunaux spéciaux. Le comité a en outre recommandé que des mesures d'urgence soient prises pour que toute personne en instance d'être jugée bénéficie de toutes les garanties d'équité durant son procès, ainsi que prévu par le PIDCP, notamment du droit de voir la déclaration de culpabilité et la peine examinées par une juridiction supérieure (document ONU CCPR/C/79/Add.64).

En juillet 1996, à l'issue de sa 57e session, le Comité des droits de l'homme a pris bonne note des mesures de réforme annoncées en mai par le gouvernement nigérian ; il s'est félicité du retrait du personnel militaire des tribunaux spéciaux chargés des troubles sociaux, ainsi que de l'abrogation du Décret n° 14 de 1994, qui interdisait aux tribunaux d'émettre une ordonnance d'habeas corpus. Le comité est toutefois revenu sur nombre de ses préoccupations antérieures et de ses recommandations prioritaires, ajoutant même de nouvelles recommandations. Ainsi a-t-il de nouveau demandé l'abrogation de tous les décrets annulant ou restreignant les garanties relatives aux libertés et aux droits fondamentaux. Il a appelé les autorités nigérianes à libérer toutes les personnes incarcérées arbitrairement ou sans inculpation, à réduire la période de détention préventive et à supprimer la détention au secret. Il a également exprimé le souhait de voir les conditions de détention améliorées de toute urgence, afin que celles-ci soient en conformité avec les normes internationales. De plus, le comité a exhorté le gouvernement nigérian à envisager l'abolition de la peine capitale. Enfin, il a demandé que tout le système juridique nigérian de protection des droits de l'homme soit révisé afin de respecter pleinement les principes du PIDCP, notamment en ce qui concerne le droit à la liberté d'expression, ainsi que le droit de créer des syndicats et d'y adhérer. Le gouvernement nigérian a fait part de sa volonté de procéder à une telle révision (document ONU CCPR/C79/Add.65).

En avril 1996, la Commission des droits de l'homme de l'ONU a adopté une résolution sur le Nigéria dans laquelle elle mentionnait ses préoccupations persistantes concernant la situation des droits de l'homme dans le pays. Elle demandait au rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires ainsi qu'au rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats de se rendre au Nigéria, puis de présenter un rapport conjoint lors de la prochaine réunion de la commission, prévue en 1997. Toutefois, les efforts déployés par certains pays pour inclure dans la résolution finale la désignation d'un rapporteur spécial sur le Nigéria se sont révélés vains.

Toujours en avril 1996, une mission de l'ONU s'est rendue au Nigéria sur instruction du secrétaire général de l'organisation, M. Boutros Boutros-Ghali. Cette mission avait pour mandat d'enquêter sur les procès de Ken Saro-Wiwa et de huit autres partisans du MOSOP – procès qui se sont déroulés en 1995 devant un tribunal spécial chargé des troubles sociaux –, ainsi que sur le programme de transition du gouvernement. La mission a transmis sans tarder son rapport au secrétaire général de l'ONU, assorti d'une série de recommandations en matière de droits de l'homme à l'adresse du gouvernement nigérian, lequel devrait notamment:

i)          Abroger le décret relatif aux troubles sociaux (tribunal spécial) de manière que les infractions auxquelles il s'applique soient à l'avenir jugées par des tribunaux pénaux ordinaires, ou amender ledit décret de manière à le mettre en conformité avec les normes internationales en vigueur en matière d'équité des procès. Les amendements souhaités par la mission de l'ONU sont les suivants : suppression de la disposition autorisant du personnel militaire en service actif à être membre des tribunaux spéciaux ; ajout d'une disposition prévoyant que les membres de ces tribunaux seront désignés sur recommandation du président de la Cour suprême ; ajout d'une disposition instituant le droit de faire appel et le remplacement du Conseil provisoire de gouvernement par la Cour d'appel nigériane comme institution chargée de confirmer verdicts et peines ; suppression d'une disposition excluant de la compétence des tribunaux la révision des décisions prises par les tribunaux spéciaux ; rétablissement du pouvoir des juridictions supérieures d'émettre des ordonnances d'habeas corpus ; et versement d'une indemnité aux familles de Ken Saro-Wiwa et des huit autres sympathisants du MOSOP qui ont été exécutés. Enfin, la mission a demandé que tous les procès en instance ou prévus devant des tribunaux spéciaux chargés des troubles sociaux soient suspendus jusqu'à l'entrée en vigueur de ces amendements.

ii)         Mettre en place un comité de révision présidé par un haut magistrat, qui sera chargé d'examiner les décrets promulgués par le gouvernement militaire jusqu'à aujourd'hui et de recommander l'abrogation des décrets ou dispositions qui violent les articles de la Constitution relatifs aux droits de l'homme et sapent les fondements de l'État de droit.

iii)         Veiller à ce que tous les fonctionnaires de son administration respectent les décisions, ordonnances et jugements des tribunaux.

iv)        Libérer toutes les personnes détenues en vertu du Décret n° 2 de 1984 et d'autres décrets analogues, et accorder une amnistie à toutes les personnes reconnues coupables d'infractions d'ordre politique.

v)         Respecter pleinement les droits à la liberté d'association et d'expression.

En mai 1996, le gouvernement nigérian a donné une réponse provisoire aux recommandations formulées par la mission de l'ONU. Il a annoncé que le Décret relatif aux troubles sociaux (tribunal spécial) ferait l'objet de deux amendements : d'une part, les membres des forces armées ne seront plus autorisés à siéger dans ces tribunaux, et d'autre part, une procédure judiciaire d'appel sera mise en place. Le gouvernement militaire conserve toutefois le contrôle exclusif du processus de désignation, et l'instance habilitée à confirmer verdicts et peines après épuisement des voies de recours demeure le Conseil provisoire de gouvernement. Un procès devant un tribunal spécial chargé des troubles sociaux ainsi réformé ne serait toujours pas à l'abri des ingérences politiques, et ne satisferait pas aux normes internationales existantes en matière d'équité des procès.

Le gouvernement nigérian a également déclaré que le Décret n° 14 de 1994, portant suspension de l'habeas corpus, allait être abrogé. Il a, de fait, été abrogé en juin 1996. Mais ce décret n'était qu'un amendement du Décret n° 2 de 1984, lequel contient toujours une disposition aux termes de laquelle les tribunaux sont dépossédés de leur compétence à cet égard. En outre, le Décret n° 14 de 1984 n'est que l'un parmi de nombreux autres décrets militaires restreignant le rôle du système judiciaire normal. Ainsi, le Décret n° 12 de 1994, qui interdit toute action judiciaire visant à mettre en cause la légalité d'un décret pris par les militaires ou de toute mesure adoptée en violation des dispositions constitutionnelles relatives aux droits fondamentaux, place de fait le gouvernement au-dessus des lois.

Le gouvernement nigérian a aussi annoncé qu'il allait amender le Décret n° 2 de 1984 afin d'autoriser une révision tous les trois mois du dossier des personnes détenues en vertu de ce décret par un organisme comprenant le chef d'état-major, l'inspecteur général de la police et le procureur général fédéral. La composition de cette instance soulève un certain nombre de questions quant à son impartialité et son indépendance. Les autorités nigérianes ont également promis que le cas de toutes les personnes actuellement incarcérées sans jugement au titre de ce décret ferait l'objet d'une révision. À la fin du mois de juin 1996, un certain nombre de personnes détenues en vertu du Décret n° 2 de 1984 avaient été libérées.

Les déclarations gouvernementales de mai 1996 sont bien loin de répondre aux recommandations énoncées dans le rapport de la mission de l'ONU. Les autorités ont déclaré que les autres aspects de ce rapport faisaient l'objet d'une étude minutieuse – mais elles n'ont, depuis lors, rien dit de plus. Le secrétaire général des Nations unies a fait savoir qu'il accueillait la réponse provisoire du gouvernement nigérian comme un encouragement, et qu'il surveillerait l'application des réformes annoncées. En août 1996, le secrétaire général de l'ONU a envoyé à Lagos le secrétaire général adjoint aux affaires politiques, Lansana Kouyate, afin que celui-ci juge des mesures de réforme mises en œuvre par le gouvernement nigérian.

L'Organisation de l'unité africaine

L'OUA a adopté un profil bas en ce qui concerne le Nigéria. Elle n'a, entre janvier et août 1996, fait aucune déclaration importante sur la situation des droits de l'homme dans le pays, laissant à l'ONU le soin d'occuper le devant de la scène.

La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples

En février 1996, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a demandé à une délégation composée de son président, de son vice-président et du rapporteur spécial sur les exécutions sommaires et arbitraires de se rendre en mission au Nigéria. Fin août 1996, les efforts visant à parvenir à un accord avec le gouvernement nigérian sur les modalités du séjour de la mission n'avaient toujours pas abouti.

Le Commonwealth

Au lendemain de l'exécution de Ken Saro-Wiwa et de huit de ses compagnons, en novembre 1995, le Commonwealth a suspendu pour deux ans l'adhésion du Nigéria à l'organisation. Le Commonwealth a également mis sur pied un Groupe d'action ministériel (comprenant les ministres des Affaires Étrangères du Royaume-Uni, du Canada, d'Afrique du Sud, du Zimbabwe, de Malaisie, du Ghana, de Jamaïque et de Nouvelle-Zélande) chargé de définir la politique de l'organisation vis-à-vis du Nigéria. En décembre 1995, le Groupe d'action ministériel a décidé que le Commonwealth devrait envoyer au Nigéria une mission réunissant de hauts fonctionnaires des gouvernements zimbabwéen, malaisien, ghanéen, jamaïcain et néo-zélandais. Le Nigéria a cependant refusé d'adresser une invitation à la délégation du Commonwealth. En avril 1996, le Groupe d'action ministériel a recommandé que le Commonwealth mette en œuvre de nouvelles mesures destinées à réaffirmer sa désapprobation face à la situation des droits de l'homme au Nigéria. En juin 1996, le gouvernement nigérian a rencontré à Londres les membres du Groupe d'action ministériel ; au même moment, un certain nombre de défenseurs des droits de l'homme étaient libérés au Nigéria. Le Groupe d'action ministériel a recommandé que les pays du Commonwealth reportent l'application des nouvelles sanctions. Le Canada a toutefois décidé de les appliquer unilatéralement. En août 1996, le gouvernement nigérian a invité des représentants du Groupe d'action ministériel à se rendre dans le pays les 29 et 30 août. Cependant, le gouvernement nigérian ayant imposé au séjour du Groupe d'action ministériel des restrictions que celui-ci a jugé intolérables, on ignorait si cette visite aurait lieu.

Les sociétés transnationales

La plus importante des sociétés transnationales ayant des intérêts économiques au Nigéria est la Shell, géante du pétrole. C'est, au Nigéria, la plus grande des compagnies pétrolières étrangères, puisque environ la moitié de la production de pétrole du pays passe par elle. Parmi les autres sociétés pétrolières étrangères présentes au Nigéria on trouve Agip, Elf, Chevron, Mobil, Total, Texaco, BP, Exxo et Statoil. Toute une série de sociétés transnationales travaillant dans les secteurs de l'industrie manufacturière, de la construction, de la vente au détail et de la banque représentent également des intérêts économiques importants.

Au cours de ces dernières années, les opérations de Shell dans la région du delta du Niger ont suscité, semble-t-il, d'importants mouvements de contestation. D'autres compagnies pétrolières étrangères, comme Elf, Agip et Chevron, ont également dû faire face aux protestations des communautés. Les préoccupations liées aux conséquences écologiques des activités de ces sociétés, et le sentiment que les communautés locales ne bénéficient pas d'un partage équitable des richesses découlant du pétrole, sont principalement à l'origine de ce mécontentement.

L'attention de la communauté internationale s'est essentiellement portée sur la société Shell. En novembre 1990, quelque 80 membres de l'ethnie etche ont été massacrés à Umuechem après que la Shell eut fait appel à la police mobile – une force paramilitaire – pour protéger ses installations et son personnel. En octobre 1993, un membre du personnel de Shell a été escorté par des soldats vers la station de Korokoro, où des troubles s'étaient produits. Un jeune Ogoni aurait été tué peu après par des militaires.

La société Shell a déclaré publiquement qu'elle était choquée par ce qui s'était passé à Umuechem et que, depuis 1994, elle avait décidé de décliner toute offre de protection policière ou militaire dans la région du delta du Niger. La Shell a essuyé des critiques très vives de la part de la communauté internationale pour n'avoir pas pris publiquement position en faveur des droits fondamentaux de Ken Saro-Wiwa et des huit autres dirigeants du MOSOP lors de leur procès, manifestement inéquitable, puis de leur exécution en novembre 1995. La société pétrolière s'est défendue, arguant qu'elle avait fait tout ce qu'elle pouvait en usant de la méthode qui avait sa préférence, à savoir celle de la diplomatie discrète. Le 30 janvier 1996, la Shell a publié un communiqué dans lequel elle affirmait son adhésion aux principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Durant l'année 1996, elle a continué d'expliquer que la diplomatie de la discrétion lui semblait le meilleur moyen de faire part de ses préoccupations au gouvernement nigérian concernant le futur procès, par un tribunal spécial chargé des troubles sociaux, de 19 autres prisonniers ogoni.

Au cours de l'année 1996, la nature des relations entre la Shell et les forces policières ou militaires nigérianes a suscité un regain d'émotion dans la communauté internationale après que la société pétrolière eut reconnu avoir, dans le passé, acheté des armes importées au profit de la police nigériane, afin d'assurer la protection de ses installations et des demeures de ses cadres. Shell a d'abord déclaré qu'elle n'avait procédé qu'à un seul achat, celui de 107 pistolets en 1981. Il est toutefois apparu qu'entre 1993 et 1995, de nouvelles négociations avaient eu lieu entre la Shell, la police nigériane et un marchand d'armes nigérian pour la fourniture d'une série d'armes plus lourdes destinées aux 5 000 policiers affectés à la garde des biens de la Shell dans tout le pays. La société Shell a déclaré qu'au Nigéria, les délinquants utilisaient de plus en plus souvent des mitraillettes, et que de nombreuses autres compagnies implantées dans le pays achetaient aussi des armes destinées aux policiers qui gardaient leurs installations. Un conseiller de la Shell en matière de sécurité avait inclus dans les négociations l'éventuel achat de matériel antiémeute, mais la société a fait savoir que cela n'avait pas été autorisé, et que la personne en question avait été licenciée. Elle a également affirmé qu'elle n'avait pas effectué d'autres achats d'armes, mais qu'elle souhaitait se laisser la possibilité de le faire.

À l'occasion des contacts noués au cours de ces dernières années, Amnesty International a demandé à la Shell et à d'autres sociétés transnationales ayant des intérêts économiques importants au Nigéria de reconnaître qu'elles devaient déployer tous leurs efforts pour, au nom des principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme, défendre les droits fondamentaux de la personne humaine. Jusqu'à présent, seule la Shell s'y est engagée. L'Organisation a également exhorté ces sociétés à ne pas faire appel à la protection des forces policières, militaires ou de sécurité lorsque la présence de celles-ci risquait de donner lieu à des violations des droits de l'homme, et à ne laisser passer aucune occasion de rappeler aux autorités nigérianes la nécessité de respecter les normes internationales en ce domaine. Il a en outre été demandé aux sociétés transnationales d'encourager le gouvernement nigérian à améliorer et étendre la formation aux droits de l'homme destinée aux agents chargés de l'application des lois, et de soutenir ceux qui, au Nigéria, luttent pour la défense des libertés fondamentales.

Amnesty International demande à la communauté internationale, y compris aux sociétés transnationales ayant d'importants intérêts économiques au Nigéria, de :

Faire en sorte que le gouvernement nigérian considère la question des droits de homme comme une priorité.

Il est demandé à tous les gouvernements d'user de leur influence auprès des autorités nigérianes pour les convaincre de respecter désormais les droits de l'homme. Les sociétés transnationales ayant d'importants intérêts économiques au Nigéria, notamment celles travaillant dans le secteur pétrolier, devraient également tenter d'influer en ce sens sur le gouvernement nigérian. La communauté internationale devrait exhorter ce dernier à s'associer pleinement aux initiatives internationales visant à surveiller la situation des droits de l'homme dans le pays.

Les organisations intergouvernementales devraient, l'année prochaine, prendre les mesures suivantes :

i)          Les États membres de l'ONU devraient soutenir les travaux du rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires et du rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, dont les rapports sur le Nigéria seront examinés par la Commission des droits de l'homme en mars et en avril 1997.

ii)         Lors de la réunion de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, les États membres devront veiller à ce que les recommandations des rapporteurs spéciaux soient adoptées et débouchent sur une action rapide de la communauté internationale visant à assurer leur application par le gouvernement nigérian.

iii)         Les États membres de l'ONU devraient encourager le gouvernement nigérian à ratifier sans retard tous les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme qu'il n'a pas encore ratifiés, notamment la Convention contre la torture. Simultanément, les autorités nigérianes devraient être incitées à reconnaître la compétence du Comité des Nations unies contre la torture.

iv)        Les États membres de l'OUA devraient s'engager à faire en sorte que le Nigéria figure à l'ordre du jour de leur organisation lors des prochaines réunions du Conseil des ministres et des chefs d'État, en février et en juin 1997, et que l'OUA joue un rôle plus actif pour convaincre l'actuel gouvernement nigérian de respecter les droits de l'homme.

v)         La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples devraient prendre des mesures plus efficaces qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent pour veiller à ce que le Nigéria respecte les obligations légales qui sont les siennes au regard de la CADHP.

vi)        Les États membres du Commonwealth devraient veiller à ce que leur organisation prenne toute la mesure du bilan du Nigéria en matière de droits de l'homme lorsqu'elle participera à la rencontre des chefs d'État et de gouvernements fin 1997. Lors de cette réunion, le Commonwealth devrait étudier la situation des droits fondamentaux au Nigéria à partir du rapport établi par le Groupe d'action ministériel du Commonwealth, qui contient des recommandations spécifiques aux autorités nigérianes pour que celles-ci agissent en faveur des droits de l'homme. Ce rapport devra être rendu public.

S'entendre sur des mesures communes et spécifiques que le gouvernement nigérian devra mettre en œuvre afin d'instaurer le respect des droits de l'homme.

L'application des mesures spécifiques évoquées plus haut démontrerait que les gouvernements cherchent vraiment à protéger les droits fondamentaux au Nigéria. Quelque chose d'autre est toutefois nécessaire si l'on veut que la pression internationale produise des effets significatifs. La coopération internationale visant à défendre et à promouvoir les droits de l'homme au Nigéria devra se fonder sur une approche coordonnée utilisant toutes les organisations intergouvernementales existantes, et sur des mesures communes et spécifiques en matière de droits de l'homme que le Nigéria devra mettre en œuvre pour instaurer le respect des droits de l'homme.

Amnesty International estime que son Programme en 10 points pour une réforme en matière de droits de l'homme au Nigéria peut servir de base à une action concertée de la communauté internationale au Nigéria. En conséquence, l'Organisation demande à chaque gouvernement et chaque organisation intergouvernementale importante d'approuver ledit programme et de l'intégrer à la politique qu'ils mènent en direction de ce pays.

Veiller à ce que les transferts d'équipement, de technologie, de formation et de personnel dans les domaines militaire, de sécurité ou de police ne favorisent pas les violations de droits de l'homme au Nigéria.

Amnesty International demande à tous les gouvernements et aux grandes organisations intergouvernementales de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les transferts d'équipement, de technologie, de formation et de personnel dans les domaines militaire, de sécurité ou de police, n'aient pas lieu lorsqu'il existe des raisons de penser que ces transferts peuvent favoriser les atteintes aux droits fondamentaux. Le transfert d'équipement de sécurité destiné à être utilisé dans les prisons nigérianes devrait également être interdit tant qu'il n'est pas démontré qu'un tel équipement ne servira pas à perpétrer des violations des droits de l'homme. Les gouvernements devraient publier tous les détails relatifs aux autorisations d'exporter des armes et des équipements "non meurtriers" vers le Nigéria accordées au cours des cinq dernières années après demandes émanant de sociétés ou autres. Les gouvernements devraient également prendre des mesures pour enquêter sur les éventuels soutiens financiers et logistiques apportés dans leurs pays aux transferts à destination des forces militaires, policières ou de sécurité du Nigéria, en menant par exemple des investigations sur les comptes bancaires ouverts à l'étranger par les autorités de l'armée et de la police.

Amnesty International demande aux sociétés transnationales implantées au Nigéria d'adopter toutes les mesures nécessaires pour s'assurer qu'aucune arme ou aucun équipement de sécurité importé au Nigéria et destiné aux policiers affectés à la garde des installations et du personnel desdites sociétés ne sera utilisé pour violer les droits de l'homme. Il faudrait instituer des "règlements relatifs à l'engagement armé" afin de garantir que la police et l'armée nigérianes ne violent pas, dans le cadre de la protection des installations et du personnel des sociétés transnationales, les normes internationales concernant le recours à la force et l'utilisation des armes à feu. Ces "règlements relatifs à l'engagement armé" devraient être rendus publics.

Les sociétés transnationales devraient envisager de promouvoir des mesures de formation pratique afin de faire face à la question particulière posée par le triste bilan des agents nigérians chargés de l'application des lois dans le domaine des droits de l'homme. Elles devraient encourager le gouvernement nigérian à améliorer et à étendre les programmes de formation destinés à ces agents, sur la base des normes internationales existantes. Les sociétés transnationales devraient, au minimum, s'assurer que les personnes affectées à la garde de leurs installations et de leur personnel ont reçu une formation conforme à ces normes.

Soutenir les personnes qui luttent pour défendre les droits de l'homme au Nigéria.

Amnesty International demande à la communauté internationale d'agir pour obtenir la libération de tous les défenseurs des droits de l'homme actuellement incarcérés sans inculpation ni jugement, ou qui ont été condamnés sous des chefs d'inculpation à caractère politique à l'issue de procès manifestement inéquitables. Les gouvernements, les grandes organisations intergouvernementales et les sociétés transnationales ayant d'importants intérêts économiques au Nigéria devraient également déployer tous leurs efforts pour apporter une assistance matérielle et morale aux organisations non gouvernementales nigérianes de défense des droits fondamentaux, en aidant notamment les initiatives qui visent à surveiller la situation des droits de l'homme, ainsi que celles dont le but est l'éducation et la formation aux droits de l'homme.

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Nigeria: Time to end contempt for human rights. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - octobre 1996.

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