Introduction

Lors d'une visite au Pakistan en mai 1996, une délégation d'Amnesty International a été stupéfaite de constater que les responsables gouvernementaux, les avocats et les partis politiques étaient largement favorables à la peine de mort. L'argument le plus souvent invoqué pour justifier le maintien de la peine capitale ou l'extension de son champ d'application est celui de l'effet dissuasif supposé de ce châtiment. Les chiffres disponibles dans le monde entier, y compris au Pakistan, démontrent pourtant le contraire. Le crime pour lequel la peine de mort est le plus souvent prononcée au Pakistan est le meurtre. Selon les statistiques officielles pour la province du Pendjab, le nombre de meurtres recensés chaque année – 1 200 en 1951 et plus de 4 500 en 1995 – a augmenté plus vite que la population, passée de 20,5 millions en 1951 à 71 millions en 1995 ; la peine de mort n´a pourtant cessé d'être en vigueur et a été appliquée pendant la majeure partie de cette période. Le taux d'homicides est parfois moins élevé dans des sociétés qui n'appliquent pas la peine capitale que dans celles ayant maintenu ce châtiment. Cette observation corrobore l'absence de preuve scientifique quant à l'effet dissuasif particulier de la peine de mort. C'est ainsi qu'en 1995, 459 meurtres ont été signalés à Lahore (sept millions d'habitants), 1 995 à New York (10 millions d'habitants), 121 à Tokyo (12 millions d'habitants) et 174 à Londres (12 millions d'habitants). Le meurtre est puni de mort dans les trois premières de ces villes mais pas dans la quatrième.

Deux amendements législatifs annoncés récemment au Pakistan donnent toutefois à Amnesty International des raisons d'espérer que l'application de la peine de mort sera restreinte dans un avenir proche.

L'abolition de la peine capitale pour les femmes a été approuvée par le gouvernement fédéral en juin 1996. À la suite de protestations des mouvements islamistes, le gouvernement a précisé que l'abolition envisagée ne s'appliquait pas aux condamnations à mort prononcées à titre de hadd ("limite") ou de qisas ("réparation"). À la connaissance de l'Organisation, ce projet de loi n'a pas encore été soumis au Parlement.

Un projet de loi sur les mineurs délinquants, proposé en 1995, est en instance devant le Sénat ; il prévoit que les enfants de moins de seize ans ne peuvent être condamnés à mort. Cet amendement reste malgré tout contraire aux dispositions de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, à laquelle le Pakistan est devenu partie en 1990 et qui prohibe l'application de la peine de mort aux personnes âgées de moins de dix-huit ans.

Amnesty International espère que ce projet de loi est une première étape vers l'abolition totale de la peine de mort pour les mineurs et pour toutes les autres catégories de personnes.

L'Organisation exhorte tous les parlementaires pakistanais à soutenir ces deux projets de loi restreignant le champ d'application de la peine capitale lorsqu'ils seront soumis à l'Assemblée nationale.

Amnesty International est inconditionnellement opposée à la peine de mort :

car il s'agit d'une violation du droit le plus fondamental, à savoir le droit à la vie ;

car la possibilité d'une erreur de jugement ne peut être totalement écartée ;

car il s'agit d'un châtiment cruel, inhumain et dégradant prohibé par les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme.

1. Rappel des dispositions relatives à la peine de mort au Pakistan

La peine de mort peut être prononcée pour un certain nombre de crimes. Parmi eux figurent le meurtre (art. 302 du Code pénal), le meurtre concomitant à un vol (art. 17-4 de l'Ordonnance sur les atteintes aux biens [application des ordonnances de hodoud] de 1979), les actes de guerre ou l'incitation aux actes de guerre contre l'État (art. 121 du Code pénal), l'incitation à la mutinerie (art. 13), l'enlèvement contre rançon (art. 364), l'enlèvement d'un enfant de moins de dix ans dans l'intention de le tuer ou de le blesser (art. 364-A), le dacoïtisme [grand banditisme] (art. 396), la piraterie aérienne (art. 402-B) et la complicité de piraterie aérienne (art. 402-C), les relations sexuelles en dehors du mariage et le viol (Ordonnance de zina [application des ordonnances de hodoud] de 1979), et le blasphème (art. 295-C). La peine capitale a été étendue au trafic de drogue sous le gouvernement de Benazir Bhutto en juillet 1994. La Loi de 1994 relative aux chemins de fer (amendement), qui introduit la peine de mort pour sabotage ou complicité de sabotage du réseau ferré, a été adoptée en juillet 1995 par le Sénat. Le gouvernement fédéral a par ailleurs approuvé en septembre 1995 un projet d'amendement à l'Ordonnance sur les armes à feu qui punit de mort le trafic d'armes.

La peine de mort est obligatoire en cas de zina (relations sexuelles hors mariage), de zina bil jabr (viol) et de meurtre, sous réserve de certaines conditions de preuve, entre autres, ainsi qu'en cas de blasphème.

C'est dans les affaires de meurtre que la peine capitale est le plus souvent imposée. Des condamnations à mort ont été prononcées pour blasphème, ainsi que des condamnations à la lapidation en vertu de l'ordonnance de zina ,mais aucune n'a été appliquée. En 1995, 127 personnes ont été condamnées à mort pour meurtre, 13 pour enlèvement et quatre pour blasphème. Au moins trois exécutions ont eu lieu, et un quatrième condamné est mort quelques heures avant le moment prévu pour sa pendaison. Au moins 25 condamnations à la peine capitale ont déjà été prononcées en 1996.

Cependant, le nombre réel de condamnations et d'exécutions est probablement beaucoup plus élevé que celui annoncé par les médias. Un ancien prisonnier détenu pendant huit mois en 1995 dans la prison centrale de Peshawar a déclaré aux représentants d'Amnesty International que cinq exécutions avaient eu lieu dans cette prison pendant sa détention ; les cinq prisonniers avaient été condamnés pour meurtre. Il a ajouté que 42 condamnés à mort étaient détenus dans la prison centrale de Peshawar, dont l'un depuis neuf ans. Selon certaines sources, 32 prisonniers étaient en instance d'exécution dans la prison centrale de Hyderabad en juillet 1995 : 25 d'entre eux attendaient que la haute cour du Sind ait statué sur leur appel, trois autres avaient introduit un recours devant la Cour suprême et les quatre derniers avaient sollicité une grâce présidentielle. L'Organisation ignore le nombre des personnes actuellement sous le coup d'une condamnation à mort au Pakistan.

2. L'Ordonnance de qisas et diyat

La plupart des condamnations à mort étant prononcées pour meurtre, il convient d'examiner en détail la législation qui définit ce crime et les châtiments qu'elle prévoit. L'Ordonnance de qisas ("réparation") et diyat ("prix du sang"), promulguée en septembre 1990 puis régulièrement prorogée par le président[1], redéfinit en termes islamiques les crimes de meurtre et de dommages corporels, ainsi que les peines encourues (cf. le document intitulé Pakistan. Les amendements législatifs modifiant l'application de la peine de mort, index AI : ASA 33/03/91). En droit musulman, la sanction prononcée pour meurtre, homicide ou blessure peut prendre la forme d'une peine de qisas (c'est-à-dire une sanction égale à l'infraction commise) ou de diyat (un dédommagement financier versé à la victime ou à ses héritiers). Ces concepts sont appliqués de façon différente selon les écoles de jurisprudence islamique.

L'Ordonnance de qisas et diyat remplace les articles 299 à 338 du Code pénal. Elle prévoit que la peine de mort peut être infligée à titre de qisas à tout individu coupable d'homicide volontaire ou ayant causé la mort d'une personne autre que celle qu'il avait l'intention de tuer. La peine capitale ne peut être prononcée comme qisas que si des conditions particulières de preuve sont satisfaites, notamment si l'accusé avoue son crime devant un tribunal compétent ou si les critères de preuve prévus par l'article 17 de la Qanun-e Shahadat (Loi sur l'administration de la preuve) de 1984 sont réunis. Les personnes de moins de dix-huit ans et celles atteintes d'une maladie mentale ne peuvent être condamnées à mort au titre de qisas. Il en va de même pour toute personne qui a tué son enfant ou son petit-enfant et pour celle dont les descendants directs sont les héritiers de la victime. Si les critères de preuve requis pour qu'une peine de qisas soit prononcée ne sont pas réunis, le tribunal peut imposer une peine de taazir (châtiment discrétionnaire, moins sévère). La peine de mort peut être prononcée à titre de taazir dans les affaires de meurtre.

Le concept de qisas est défini dans l'ordonnance comme « un châtiment qui consiste à infliger au condamné le traitement même qu'il a fait subir à la victime, ou à lui infliger la mort s'il a commis le qatl-i amd [homicide volontaire], afin de faire valoir le droit de la victime ou d'un wali [héritier de la victime, ou le gouvernement provincial en l'absence d'héritier] ». En cas de meurtre, cela signifie que si les critères de preuve requis sont réunis, les héritiers de la victime sont en droit d'exiger que la peine de qisas soit infligée à l'accusé. Ils peuvent toutefois renoncer à ce droit, auquel cas la peine de mort ne pourra être prononcée au titre de qisas.

Dans les cas de qisas, l'ordonnance modifie le rôle de l'État dans la procédure criminelle : celui-ci se limite à garantir le jugement équitable de l'affaire par les tribunaux, et la victime ou ses héritiers ont le droit de décider, une fois la peine de qisas prononcée, si celle-ci doit ou non être exécutée. S'ils pardonnent au condamné et renoncent à l'application de la peine de qisas, l'État conserve le droit d'intervenir et de lui infliger une peine de taazir. Dans les cas d'homicide volontaire où les héritiers ont renoncé à l'application du qisas, l'ordonnance prévoit une peine de taazir allant jusqu'à dix ans d'emprisonnement et jusqu'à quatorze ans en cas de récidive.

Dans la plupart des cas où la peine de mort ne peut être infligée à titre de qisas pour homicide, le coupable doit verser un dédommagement (diyat) aux héritiers de la victime ; il peut également être condamné à une peine d'emprisonnement. L'ordonnance prévoit un montant minimum pour le diyat, mais la somme à verser dans chaque cas doit être fixée par le tribunal « en fonction de la situation financière du condamné et des héritiers de la victime ».

Aucune condamnation à mort prononcée en vertu de l'Ordonnance de qisas et diyat ne peut être exécutée sans avoir été confirmée par la haute cour provinciale concernée. Même une fois confirmée, la peine de mort ne peut être appliquée si les héritiers de la victime accordent leur pardon au condamné ou concluent avec lui un arrangement à l'amiable, ce qu'ils peuvent faire jusqu'« au tout dernier moment avant l'exécution de la condamnation ».

L'Ordonnance de qisas et diyat précise que lorsque la peine capitale est infligée au titre de qisas, elle doit être appliquée « par un fonctionnaire qui doit mettre à mort le condamné selon la méthode décidée par le tribunal ». Avant qu'une peine de qisas ne soit exécutée, les héritiers de la victime doivent être informés de la date, de l'heure et du lieu de l'exécution, qui ne peut se dérouler qu'en leur présence ou en celle de leurs représentants dûment désignés. Toutefois, si les héritiers sont absents bien qu'ayant été prévenus, le tribunal peut autoriser l'exécution de la peine.

Si le condamné est une femme enceinte, le tribunal a la possibilité de consulter un médecin habilité et d'ajourner la peine jusqu'à deux ans après la naissance de l'enfant. Pendant ce délai, la femme peut être remise en liberté sous caution. Si elle reste incarcérée, elle doit être traitée comme si elle avait été condamnée à une simple peine d'emprisonnement.

3.La peine de mort en vertu de l'ordonnance de zina

Les ordonnances de hodoud, promulguées en 1979 et entrées en vigueur l'année suivante, concernent les infractions suivantes : zina (relations sexuelles illicites), qazf (fausse accusation de zina), vol et vol à main armée, infractions liées aux produits stupéfiants. L'ordonnance de zina s'applique à toutes les relations sexuelles en dehors du mariage, ainsi qu'au viol et à l'enlèvement en vue de commettre un délit sexuel. Les peines réprimant les faits de zina et de viol dépendent des éléments sur lesquels se fonde la déclaration de culpabilité. Des peines de hadd – ce terme, dont le pluriel est hodoud, signifie littéralement "limite" – prévues dans le Coran peuvent être prononcées. Elles ne peuvent être modifiées et le juge doit les appliquer sans tenir compte des circonstances atténuantes si certains critères de preuve, entre autres conditions, sont réunis. Si une peine de hadd ne peut être infligée mais que le tribunal est convaincu de la culpabilité de l'accusé, il peut prononcer une peine de taazir ("châtiment") moins lourde. Dans ce dernier cas, le tribunal dispose d'une marge d'appréciation dans certaines limites bien définies.

Les peines de hadd prévues en cas de zina et de viol sont la lapidation en public jusqu'à ce que mort s'ensuive si le condamné est muhsan (musulman adulte sain d'esprit et qui a déjà eu des relations sexuelles licites) ou la flagellation (100 coups de fouet) en public dans le cas contraire. Des éléments de preuve bien précis doivent être produits pour que ces peines puissent être prononcées, à savoir les aveux de l'accusé devant le tribunal ou le témoignage oculaire d'au moins quatre hommes musulmans jouissant d'une bonne réputation. Le témoignage d'une femme, même si elle est la propre victime du viol, ne peut être retenu. Si ces critères ne sont pas remplis et que l'accusé est déclaré coupable au vu d'autres éléments de preuve, le tribunal peut prononcer une peine de taazir. Le châtiment maximum prévu en cas de zina est une peine de dix ans d'emprisonnement et de 30 coups de fouet, assortie d'une amende. Le viol est puni d'une peine d'emprisonnement comprise entre quatre et vingt-cinq ans, assortie de 30 coups de fouet et d'une amende.

L'article 17 de l'ordonnance de zina dispose que la peine de mort doit être infligée « de la manière suivante, à savoir : les personnes ayant témoigné contre le condamné doivent commencer à le lapider. Pendant la lapidation, celui-ci peut être abattu par balle auquel cas la lapidation et les tirs doivent prendre fin ».

4.La peine de mort aux termes de la loi sur le blasphème

Plusieurs articles relatifs à des délits religieux ont été introduits dans le Code pénal dans le cadre de la politique d'islamisation de l'ancien président Zia ul Haq. Aux termes de l'article 298-A, introduit en 1980, faire des remarques désobligeantes envers des personnes révérées par l'islam est une infraction pénale punie d'une peine maximale de trois ans d'emprisonnement. Cette infraction a été définie par la suite de manière plus restrictive : en 1986, la profanation du nom du prophète Mahomet est devenue, aux termes de l'article 295-C, une infraction pénale punie par la peine de mort ou la réclusion à perpétuité. Cet article dispose en effet :

« Usage de remarques désobligeantes, etc., envers la personne du Saint Prophète. Quiconque aura, par ses paroles ou ses écrits, ou par des représentations visibles, ou par toute imputation ou allusion, directement ou indirectement profané le nom sacré du Saint Prophète (que la paix soit sur Lui), sera puni de mort ou d'une peine de réclusion à perpétuité, assortie d'une peine d'amende. »

En octobre 1990, le tribunal fédéral de la charia (droit musulman) a considéré que « le châtiment pour outrage à la personne du Saint Prophète [...] ne pouvait être que la mort », et a donc demandé au gouvernement pakistanais d'introduire les amendements nécessaires dans la législation. Le gouvernement du Premier ministre Nawaz Sharif n'ayant pas relevé appel de cette décision[2], la peine de mort demeure le seul châtiment prévu pour le blasphème. La loi ne prévoit pas de méthode particulière ni de lieu pour l'exécution de la peine capitale pour blasphème.

Depuis leur introduction, dans les années 80, les nouveaux articles du Code pénal relatifs aux délits religieux contre l'islam, notamment l'article 295-C, sont utilisés de manière abusive pour persécuter des membres de minorités religieuses comme les ahmadis et les chrétiens, voire des membres de la majorité sunnite. Plusieurs centaines de personnes ont été inculpées de blasphème ces dernières années. Dans tous les cas portés à la connaissance d'Amnesty International, les accusations semblent avoir été arbitraires et motivées uniquement par l'appartenance des personnes visées à des minorités religieuses. Des membres de la communauté musulmane majoritaire qui prônaient des idées nouvelles ont également fait l'objet d'accusations calomnieuses. Les éléments disponibles laissent à penser que les accusations étaient formulées pour intimider et sanctionner les membres de minorités religieuses ou les membres non conformistes de la majorité musulmane. L'hostilité envers les minorités religieuses semble bien souvent exacerbée par des inimitiés personnelles, des rivalités professionnelles ou économiques, ou encore par le désir d'obtenir un avantage politique.

À la mi-96, l'Organisation recensait plus de 140 personnes accusées de blasphème en vertu de l'article 295-C du Code pénal, et six personnes détenues pour ce motif. Les six condamnations à mort pour blasphème prononcées jusqu'à présent ont été annulées en appel et les accusés ont été mis hors de cause et libérés. Aucun des accusés dont le cas a été signalé à Amnesty International n'avait commis de faits pouvant constituer un blasphème. L'Organisation conclut donc que les personnes actuellement accusées de blasphème sont des prisonniers d'opinion, avérés ou probables, détenus du seul fait de leurs convictions religieuses réelles ou présumées, en violation de leur droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (cf. les documents publiés par Amnesty International et intitulés Pakistan. Les ahmadis victimes des violations des droits de l'homme (index AI : ASA 33/15/91), Pakistan. Utilisation abusive des lois sur le blasphème (index AI : ASA 33/08/94), et Pakistan. Cinq journalistes ahmadis inculpés de blasphème (index AI : ASA 33/03/94).

Les accusations de blasphème sont caractérisées par le fait qu'elles sont généralement reçues sans la moindre vérification par les autorités chargées d'exercer les poursuites, car celles-ci risquent d'être elles-mêmes menacées si elles refusent de les accepter. À la suite de protestations d'organisations internationales et locales de défense des droits de l'homme contre l'utilisation abusive des lois sur le blasphème, le gouvernement pakistanais a annoncé au début de 1994 son intention d'introduire deux modifications procédurales visant à prévenir toute utilisation abusive de l'article 295-C. Notamment, la police ne pourrait enregistrer une plainte et procéder à l'arrestation de personnes accusées de blasphème sans avoir obtenu au préalable l'autorisation formelle d'un magistrat. Par ailleurs, l'accusation calomnieuse de blasphème deviendrait une infraction pénale punie d'une peine d'emprisonnement d'une durée maximale de sept ans.

En février 1994, la Commission des lois présidée par le président de la Cour suprême, et dont font partie le ministre de la Justice et des Affaires parlementaires, le président du Conseil de l'idéologie islamique et les présidents des quatre hautes cours provinciales, a décidé de transmettre pour examen le projet d'amendement de la loi sur le blasphème au Conseil de l'idéologie islamique. Selon certaines sources, la Commission des lois s'est inquiétée des abus de pouvoir commis par la police lorsqu'elle enquête sur des cas de blasphème, ainsi que de l'utilisation de la loi à des fins détournées par différentes organisations politiques et confessionnelles. La Commission des lois se serait également déclarée préoccupée par l'impact négatif, au niveau international, de l'utilisation abusive faite au Pakistan des lois sur le blasphème. Maulana Kausar Niazi, président du Conseil de l'idéologie islamique, a déclaré à la presse que « la loi [devait] être amendée de façon à garantir que des éléments sans scrupules ne puissent pas l'utiliser à des fins personnelles » ; il a ajouté qu'il convenait de « revoir de manière approfondie la procédure d'enregistrement d'une infraction par la police, le niveau de juridiction auquel l'affaire doit être examinée et les critères de recevabilité des témoins[3]

À la suite des grèves et protestations massives déclenchées fin mai 1995 contre tout amendement aux lois sur le blasphème, le Premier ministre Benazir Bhutto a déclaré le 28 mai 1995 que le gouvernement envisageait uniquement des modifications de procédure. Elle a précisé : « Nous n'amenderons pas la loi. » Syed Iqbal Haider, ministre fédéral de la Justice et des Affaires parlementaires, avait déclaré un an plus tôt que la loi sur le blasphème ne serait pas abrogée car le gouvernement estimait nécessaire de maintenir dans la législation une disposition visant à dissuader toute profanation du nom du prophète Mahomet. Il a également justifié le maintien de la loi en faisant référence à des dispositions légales, présentées comme « similaires », en vigueur au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans d'autres pays. Le projet de loi relatif aux modifications de procédure n'a toujours pas été soumis au Parlement.

Des responsables gouvernementaux ont indiqué aux délégués d'Amnesty International que des mesures administratives avaient été prises pour empêcher toute utilisation abusive de l'article 295-C. De fait, aucune nouvelle plainte pour blasphème ne semble avoir été déposée à l'encontre de chrétiens en 1995. L'Organisation a eu connaissance de plusieurs cas dans lesquels des membres de l'administration étaient intervenus comme médiateurs lorsque des personnes voulaient intenter des procédures contre des chrétiens accusés de blasphème. De telles mesures ne semblent toutefois pas avoir été appliquées aux membres de la communauté ahmadiyya. Amnesty International déplore que ces directives administratives ne soient pas contraignantes et qu'elles ne changent rien à la loi, dont la formulation vague permet, voire favorise, les persécutions et les manœuvres d'intimidation à l'encontre des membres de minorités.

Les ahmadis accusés de blasphème rencontrent souvent de grandes difficultés pour obtenir une mise en liberté sous caution. Riaz Ahmed Chowdhury, son fils et ses deux neveux, originaires de Piplan dans le district de Mianwali (province du Pendjab), auraient prétendu que le fondateur de leur religion avait fait des miracles. Une telle affirmation ayant été considérée comme une infraction aux termes de l'article 295-C, les quatre hommes ont été arrêtés en novembre 1993. Selon des observateurs, l'accusation a été portée par des personnes qui briguaient la fonction de chef de village de Piplan, occupée par Riaz Ahmed. La demande de mise en liberté sous caution présentée par les quatre hommes a été rejetée par un tribunal d'instance de Mianwali, puis en juin 1994 par la haute cour de Lahore ; la Cour suprême n'a pas encore statué. Les quatre hommes sont toujours détenus à Mianwali en attendant l'ouverture de leur procès.

En janvier 1996, le sénateur Iqbal Haider a déclaré au Secrétariat international de l'Organisation à Londres qu'aucune nouvelle plainte pour blasphème n'avait été enregistrée en 1995. Amnesty International a toutefois eu connaissance d'au moins trois cas pour la seule province du Sind, dans lesquels huit personnes ont été accusées de blasphème aux termes de l'article 295-C.

C'est ainsi que le 16 novembre 1995, Zahoor Hussain Abro et Noor Hussain Abro, ahmadis originaires de Warrah dans le district de Larkana (province du Sind), ont été inculpés en vertu de l'article 295-C, entre autres, parce que leur motocyclette portait un autocollant sur lequel figurait un verset du Coran. La police, qui n'avait pas enregistré immédiatement la plainte, s'est décidée à le faire lorsque le plaignant, imam de la mosquée locale, a introduit une requête devant la haute cour. Les deux hommes arrêtés le 18 novembre 1995 ont vu leur demande de mise en liberté sous caution rejetée en première instance, puis acceptée par la haute cour du Sind au début de 1996. Ils sont respectivement le frère et l'oncle d'Anwar Hussain Abro, un ahmadi qui a été tué en décembre 1994 à Anwarabad (district de Larkana) après avoir été enlevé à son domicile par des fanatiques religieux ; ceux-ci l'ont abattu après avoir tenté de le contraindre à insulter le chef de la communauté ahmadiyya.

En octobre 1995, cinq autres ahmadis ont été accusés aux termes de l'article 295-C, entre autres, pour avoir imprimé des formules musulmanes de bienvenue sur une banderole invitant le public à une réunion à Faiz Ganj, dans le district de Khairpur. Deux des accusés ont été arrêtés et détenus pendant deux mois avant d'être mis en liberté sous caution par la haute cour ; les trois autres ont été laissés en liberté sous caution.

En mars 1996, deux femmes de confession ahmadie, âgées d'une soixantaine d'années, ont été blessées par un fanatique religieux, qui les a ensuite accusées de blasphème pour tenter de dissimuler l'agression. Bushra Siddiqua Tasir et Samia Bokhari ont été attaquées le 26 mars 1996 à Karachi par un tailleur chez qui elles étaient venues reprendre des vêtements. Les deux femmes, blessées à coups de couteau, ont dû être hospitalisées. L'agresseur, membre d'une organisation religieuse sunnite, a affirmé que le tissu remis par ses clientes portait des inscriptions coraniques, ce qui l'avait choqué. Il a ensuite déclaré qu'il avait reçu en rêve l'ordre d'attaquer les deux femmes, puis a affirmé que celles-ci avaient voulu lui prêcher la doctrine ahmadie. Le tailleur n'a pas été arrêté ; par contre, Bushra Siddiqua Tasir a été inculpée de blasphème aux termes de l'article 295-C. Il semble que la police n'a pas enregistré de plainte contre le tailleur, parce que celui-ci est considéré dans son quartier comme ayant défendu l'islam. Bushra Siddiqua Tasir, laissée en liberté sous caution, est toujours inculpée.

Six hommes, dont un enfant qui n'avait que douze ans au moment des faits, ont été condamnés à mort pour blasphème ; tous ont été acquittés à l'issue de la procédure d'appel. Bien qu'aucun condamné à mort pour blasphème n'ait été exécuté jusqu'à présent, au moins quatre chrétiens accusés de blasphème – Tahir Iqbal, Naimat Ahmer, Bantu Masih et Manzoor Masih – sont décédés. L'un d'entre eux est mort en prison dans des circonstances suspectes, et les trois autres ont été tués par des agresseurs armés. Au moins 16 ahmadis auraient été tués par des fanatiques religieux entre février 1994 et mai 1996. Les changements relatifs aux délits religieux introduits dans la législation semblent avoir favorisé un climat d'intolérance dans lequel certains fanatiques se sentent libres de faire justice eux-mêmes et d'appliquer la peine capitale en l'absence de toute procédure judiciaire.

5.La peine de mort aux termes de l'ordonnance de hodoud relative aux atteintes aux biens

L'Ordonnance sur les atteintes aux biens (application des ordonnances de hodoud) de 1979 redéfinit en termes islamiques le vol et le vol à main armée, et prévoit des peines spécifiques pour ces infractions. Le vol à main armée (haraabah) qui implique « le recours à la force dans le but de s'emparer d'un bien appartenant à un tiers, d'attaquer ce dernier, de le séquestrer ou de le menacer de mort ou de blessure » est puni d'une peine de hadd en cas d'aveux de l'accusé ou de témoignage oculaire de deux hommes musulmans ayant bonne réputation. La peine de hadd prévue en cas de haraabah est la mort ; si les critères de preuve requis ne sont pas réunis et que le tribunal juge l'accusé coupable sur d'autres bases, il peut le condamner à titre de taazir à l'une des peines prévues dans le Code pénal pour réprimer le vol. L'ordonnance ne renferme aucune disposition à propos de la procédure d'appel, ni de la méthode d'exécution de la peine capitale.

6.Les procès entraînant des condamnations à mort et les procédures d'appel

Les civils accusés de crimes pouvant être punis de la peine de mort comme le meurtre, le zina, le viol ou le blasphème, sont habituellement jugés par un magistrat de tribunal de grande instance. Certaines infractions comme les actes de guerre contre l'État ou l'enlèvement contre rançon relèvent des tribunaux d'exception pour la répression des activités terroristes. Les civils accusés de certains crimes contre la sûreté de l'État peuvent également comparaître devant une cour martiale.

Des condamnations à mort ont été prononcées à l'issue de procès qui ne respectaient pas les normes internationales d'équité. L'iniquité est particulièrement préoccupante dans le cas des procès pouvant déboucher sur une condamnation à la peine capitale, ainsi qu'il ressort des Garanties des Nations unies pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort. Lorsque les tribunaux d'exception appliquant une procédure accélérée existaient encore au Pakistan, Amnesty International avait déploré à plusieurs reprises que ces juridictions ne garantissent pas un procès équitable aux accusés, et que des condamnations à mort soient prononcées à l'issue de procès n'ayant duré que trois jours, privant ainsi les prisonniers du droit d'assurer pleinement leur défense (cf. le document intitulé Pakistan. Les tribunaux d'exception appliquant une procédure accélérée, index AI : ASA 33/23/91). Ces tribunaux ont été supprimés. Toutefois, les tribunaux d'exception pour la répression des activités terroristes, qui ne sont habilités à juger que certaines infractions énumérées dans une annexe de la loi créant ces juridictions, ne respectent pas les normes internationales d'équité dans la mesure où ils ne reconnaissent pas la présomption d'innocence. Au moins 28 des quelque 140 condamnations à mort recensées en 1995 par Amnesty International ont été prononcées par les tribunaux d'exception pour la représsion des activités terroristes. Au moins cinq personnes ont été condamnées à mort par contumace, c'est-à-dire sans avoir eu la possibilité de se défendre.

Certains procès ayant débouché sur des condamnations à mort pour blasphème étaient manifestement inéquitables : les juges ont fait preuve à l'encontre des accusés d'une partialité motivée par des considérations religieuses, et ils ne se sont guère préoccupés de l'équité de la procédure. Certaines condamnations ne reposaient sur aucun élément de preuve. C'est ainsi que Gul Masih, un chrétien condamné à mort en novembre 1992, est resté deux ans sous le coup de cette sentence capitale avant d'être acquitté en novembre 1994. Cet homme avait été accusé par un de ses voisins d'avoir prononcé des paroles blasphématoires au cours d'une dispute à propos de la réparation du robinet d'une fontaine publique ; en fait, une rivalité pour les élections municipales semble avoir joué un rôle décisif dans le dépôt de la plainte. La déclaration de culpabilité de Gul Masih était fondée uniquement sur les déclarations du plaignant. Le juge a déclaré qu'il ne voyait pas pourquoi celles-ci devraient être mises en doute, puisque le plaignant était « un jeune homme [...] portant la barbe, donnant l'impression d'être un bon musulman » et qu'il n'y avait donc « aucune raison de ne pas le croire ». Arshad Javed, un musulman d'âge moyen, a été arrêté en février 1989 à Bahawalpur car il s'était placé devant une manifestation d'étudiants islamistes en déclarant qu'il était Jésus-Christ. Cet homme, reconnu déséquilibré par des médecins experts indépendants, n'aurait pas dû être jugé. Condamné à mort en février 1993, il a été acquitté en janvier 1995 pour folie. Salamat Masih et Rehmat Masih, tous deux chrétiens, ont été condamnés à mort le 9 février 1995 par un tribunal d'instance de Lahore. Ils ont été acquittés peu après par la haute cour, au motif de l'absence de témoins et d'élément matériel prouvant l'infraction. Salamat Masih, à qui l'on reprochait des inscriptions blasphématoires sur le mur d'une mosquée, n'avait que douze ans au moment des faits et il était en outre illettré. Deux Afghans de confession chiite ont également été condamnés à mort pour blasphème en janvier 1995. Ils avaient été arrêtés en août 1993 à Peshawar, après avoir tenté de faire imprimer des portraits du prophète Mahomet. La représentation du visage du prophète, vraisemblablement permise par l'islam chiite, est interdite dans les communautés sunnites. Les deux hommes ont été acquittés en mai 1996 en raison de contradictions dans les déclarations des témoins à propos de la détention du dessin et des conditions de sa saisie. Le tribunal ne s'est toutefois pas prononcé sur la question de savoir si la détention de telles reproductions constituait ou non un blasphème.

L'absence d'impartialité et de neutralité des juges est extrêmement préoccupante étant donné le caractère obligatoire de la peine de mort en cas de blasphème. Par ailleurs, la possibilité pour les personnes accusées de blasphème de bénéficier d'un procès équitable semble aussi fortement compromise par la présence aux audiences d'islamistes, qui interrompent fréquemment les débats en scandant des slogans, en intimidant publiquement les avocats, les témoins et les accusés, et en menaçant les juges.

L'iniquité des procès est parfois inhérente à la législation elle-même. Les femmes accusées de zina peuvent être condamnées à la lapidation jusqu'à ce que mort s'ensuive à titre de hadd sans que leur témoignage soit pris en considération. Seuls les aveux de l'accusé ou le témoignage oculaire d'au moins quatre hommes musulmans de bonne réputation peuvent donner lieu au prononcé d'une peine de hadd (cf. le document intitulé Les femmes au Pakistan. Réduites à l'infériorité et privées de leurs droits, index AI : ASA 33/23/95).

Les appels interjetés récemment à la suite de certaines condamnations à mort – outre celles pour blasphème évoquées plus haut – révèlent que ce châtiment a parfois été imposé à des innocents. La Cour suprême, exerçant le pouvoir de se saisir de questions d'intérêt général qui lui est dévolu par l'article 184-3 de la Constitution, a annulé en août 1994 une condamnation à mort qui avait été prononcée par un tribunal d'exception appliquant une procédure accélérée et confirmée par la chambre d'appel de la Cour suprême. Elle a considéré que la condamnation était entachée d'un vice de forme, de négligence grave et d'illégalité et qu'en outre, le tribunal qui l'avait prononcée n'était pas compétent. La Cour suprême a conclu : « L'erreur commise par le tribunal [...] est tellement grave que si l'accusé avait été pendu, son exécution aurait probablement correspondu à un meurtre judiciaire. »

Un cas soumis à la mi-95 à la haute cour de Lahore a également révélé qu'un innocent avait été condamné à mort. Maqsud Ahmad, arrêté en mai 1989 car on le soupçonnait d'avoir tué un commerçant au cours d'un vol à main armée, a été condamné à mort. Débouté de son appel, il était en instance d'exécution quand deux suspects arrêtés dans le cadre d'une autre affaire ont avoué le meurtre pour lequel cet homme avait été condamné. Une requête en vue d'obtenir la libération de Maqsud Ahmad a été introduite en juin 1995 devant la haute cour de Lahore. Cette juridiction aurait demandé à la police d'expliquer comment une telle erreur judiciaire avait pu se produire. Les médias ont laissé entendre que les policiers avaient peut-être présenté de faux éléments de preuve pour améliorer les statistiques d'élucidation de crimes du poste de police concerné. À la fin de février 1996, la Commission des droits de l'homme du Barreau pakistanais a demandé au président par intérim de la haute cour de Lahore de se pencher sur le cas de Maqsud Ahmad et d'ordonner à la police d'effectuer une nouvelle enquête. À la connaissance d'Amnesty International, aucune initiative n'a été prise dans cette affaire, et Maqsud Ahmad, incarcéré depuis mai 1989, est toujours détenu dans le quartier des condamnés à mort.

I. A. Rahman, directeur de la Commission des droits de l'homme du Pakistan, a déclaré à propos de la peine de mort : « Même dans les pays où le système judiciaire est exceptionnellement sain, la peine de mort est considérée comme une injustice. Vu l'état dans lequel se trouve notre système judiciaire et la tendance notoire qu'a la police de poursuivre des innocents même lorsqu'il est possible d'appréhender les coupables, la peine de mort au Pakistan ne peut être décrite que comme un acte d'une cruauté absolue. »

Les possibilités d'appel et les voies de recours varient en fonction des crimes pour lesquels la peine de mort a été prononcée. L'appel devant la haute cour provinciale est automatique pour les condamnations à mort prononcées pour des crimes ne relevant pas des ordonnances de hodoud. Le nombre de dossiers en souffrance est cependant tel que les condamnés doivent parfois attendre plusieurs années avant que leur recours ne soit examiné. Si la décision est confirmée par la haute cour, le condamné peut saisir la Cour suprême ; cette possibilité d'appel est toutefois discrétionnaire, la Cour suprême n'étant pas tenue d'accepter toutes les requêtes qui lui sont soumises. Quant aux personnes condamnées à mort aux termes des ordonnances de hodoud, elles doivent interjeter appel devant le tribunal fédéral de la charia et non devant la haute cour provinciale concernée. L'ultime voie de recours est la chambre de la charia de la Cour suprême.

Jusqu'à une date récente, les prisonniers condamnés à mort par une cour martiale en vertu de la Loi relative à l'armée n'avaient pas le droit d'interjeter appel ; les peines devaient simplement être confirmées par les autorités militaires. Le tribunal fédéral de la charia a considéré en 1988 que l'interdiction d'interjeter appel prévue à l'article 133 de la Loi relative à l'armée était contraire aux injonctions de l'islam et de ce fait nulle et non avenue. Il a ordonné au gouvernement d'amender la loi avant le 1er janvier 1989 ; celui-ci, légiférant par voie d'ordonnance, a introduit en décembre 1992 l'article 133-B, qui accorde le droit d'interjeter appel à tout condamné aux termes de la Loi relative à l'armée. Amnesty International ignore si les décrets d'application précisant la juridiction devant laquelle les appels doivent être interjetés et la procédure à suivre ont été publiés. L'ancien commandant Arshad Jamil, condamné à mort en octobre 1992 par une cour martiale à la suite de l'exécution extrajudiciaire de neuf villageois commise en 1992 à Tando Bahawal (cf. le document intitulé Pakistan : Torture, deaths in custody and extrajudicial executions – Pakistan. Torture, morts en détention et exécutions extrajudiciaires – index AI : ASA 33/05/93), a interjeté appel devant la Cour suprême au motif que la directive du tribunal fédéral de la charia n'avait pas été mise immédiatement en application. Il arguait qu'ayant été condamné à mort juste avant la promulgation de l'ordonnance, il avait été privé de son droit fondamental d'interjeter appel. La condamnation à mort du commandant Arshad Jamil a été confirmée par le chef d'état-major, et son recours en grâce a été rejeté par le président. La Cour suprême a ordonné un sursis à exécution en octobre 1995 après avoir reçu une requête constitutionnelle du commandant Arshad Jamil. Les familles des victimes manifestent régulièrement à Hyderabad pour obtenir l'exécution du condamné. En septembre 1996, deux parentes des victimes se sont immolées par le feu en public pour dénoncer le fait que le commandant Arshad Jamil n'ait toujours pas été exécuté.

Il arrive que les prisonniers attendent très longtemps dans le quartier des condamnés à mort le résultat de leur recours en appel ou leur exécution. Eid Wali, arrêté en 1969 pour sa participation à un meurtre et condamné à mort la même année par un juge de Rawalakot (Azad Cachemire), a vu sa peine commuée en réclusion à perpétuité en mars 1995, par le président de l'Azad Cachemire. Pendant sa détention dans la prison de district de Muzaffarabad, on lui aurait dit à plusieurs reprises que son exécution était imminente. Un ancien détenu de la prison centrale de Peshawar a affirmé qu'un condamné à mort se trouvait là-bas en instance d'exécution depuis neuf ans.

7. La commutation des condamnations à mort

L'introduction d'éléments du droit musulman dans le Code pénal a fortement restreint la possibilité pour les condamnés à mort d'obtenir une commutation de leur peine en réclusion à perpétuité, les dispositions applicables du Code pénal et du Code de procédure pénale ayant été déclarées nulles. Le pouvoir constitutionnel du président de commuer les condamnations à mort n'a pas été modifié, bien que les autorités judiciaires l'aient interprété comme se limitant à certaines catégories de peines.

Avant la promulgation de l'Ordonnance de qisas et diyat, les peines capitales pouvaient, aux termes du Code pénal et du Code de procédure pénale, être commuées par le président, ainsi que par les autorités fédérales ou provinciales. Les modifications introduites par l'Ordonnance de qisas et diyat prévoient que les autorités fédérales ou provinciales peuvent toujours commuer les condamnations prononcées à titre de qisas, aux termes du Code pénal, sous réserve que la peine de mort « ne soit pas commuée sans le consentement des héritiers de la victime » (art. 54-A et 55-A du Code pénal). L'ordonnance modifie dans le même sens l'article 402-C du Code de procédure pénale, en précisant que les condamnations ne peuvent désormais être commuées sans le consentement des héritiers de la victime.

Les condamnations à mort prononcées à titre de hadd ne peuvent être commuées par les autorités fédérales ou provinciales ni par le président comme le prévoyait précédemment le Code de procédure pénale. L'article 24-4 de l'Ordonnance sur les atteintes aux biens (application des ordonnances de hodoud) de 1979, qui prévoit la peine de mort à titre de hadd pour le meurtre commis au cours d'un vol à main armée, annule explicitement les dispositions du chapitre XXIX du Code de procédure pénale qui permettait la commutation des peines capitales. L'article 20-5 de l'ordonnance de zina précise quant à lui que ces dispositions du chapitre XXIX du Code de procédure pénale ne s'appliquent pas aux condamnations à mort prononcées à titre de hadd en vertu de l'ordonnance.

Aux termes de l'article 45 de la Constitution, le président a le pouvoir « d'accorder son pardon, de commuer une peine ou d'accorder un sursis, ainsi que de gracier le condamné, de suspendre ou de commuer toute condamnation prononcée par un tribunal, une cour ou toute autre autorité ». Cette disposition n'a pas été modifiée par la promulgation de l'Ordonnance de qisas et diyat. En effet, l'article 203-D de la Constitution ne permet pas au tribunal fédéral de la charia, qui a ordonné au gouvernement d'introduire le concept de qisas et de diyat pour le meurtre et les dommages corporels, de déterminer la conformité de la Constitution avec l'islam. Bien que l'ordonnance dispose que seuls la victime ou ses héritiers peuvent renoncer à l'application de la peine de qisas, le président conserve, en vertu de la Constitution, le pouvoir de commuer lui-même toutes les peines prononcées par les tribunaux. Les ordonnances de hodoud ne font pas non plus référence au pouvoir constitutionnel du président de commuer les condamnations à mort.

La Cour suprême a toutefois considéré, dans un arrêt rendu en 1992, que le président n'avait pas le pouvoir de commuer les condamnations à mort prononcées à titre de hadd ou de qisas (affaire Hakim Khan contre le gouvernement du Pakistan, PLD 1992 SC 595). Le pouvoir du président de commuer les condamnations à mort prononcées à titre de taazir n'est pas modifié, mais le tribunal fédéral de la charia a tout de même émis des recommandations à ce sujet : « Nous prions respectueusement le président de se conformer aux injonctions de l'islam [...] dans l'exercice du pouvoir qui lui est conféré par l'article 45 de la Constitution même en matière de taazir » (affaire Habib ul Wahab Alkhairi contre la Fédération du Pakistan, PLD 1991 FSC 236).

L'arrêt du tribunal fédéral de la charia qui rend la peine de mort automatique en cas de blasphème précise : « Nous avons également observé qu'après le Saint Prophète (que la paix soit sur Lui) personne n'a exercé ou n'a été autorisé [à exercer] le droit de commutation ou de grâce » (affaire Muhammad Ismaïl Qureshi contre le Pakistan, PLD 1991 FSC 26). Cela signifie que personne ne peut commuer la peine de mort obligatoire en cas de blasphème. Il semble toutefois que le pouvoir de commutation et de grâce conféré au président par l'article 45 de la Constitution ne soit pas affecté par l'arrêt du tribunal fédéral de la charia..

8.Les dispositions régissant le diyat

Les changements dans les procédures de commutation des peines introduits par l'Ordonnance de qisas et diyat sont susceptibles d'accroître le caractère arbitraire de l'application de la peine de mort. L'ordonnance prévoit que les peines capitales ne peuvent être commuées qu'avec le consentement des héritiers de la victime, mais que ceux-ci peuvent accorder leur pardon au condamné et accepter un diyat, c'est-à-dire un dédommagement, au lieu de l'exécution. Il est à craindre que les héritiers soient moins enclins à conclure un arrangement avec un condamné pauvre qu'avec un riche. Cela ne ferait que renforcer le caractère arbitraire de l'application de la peine de mort : les condamnés à mort pauvres risqueraient beaucoup plus d'être exécutés que les riches. Par ailleurs, le marchandage de la vie d'un individu constitue une violation de la dignité inhérente à la personne humaine et démontre un manque de respect pour la vie.

En mai 1995, Kamal Khan Barozai, condamné à mort pour meurtre cinq ans auparavant et qui avait épuisé toutes les voies de recours, a échappé à l'exécution alors qu'il était déjà sous la potence dans la prison de Mach (province du Baloutchistan). Le magistrat, le médecin de la prison et le personnel pénitentiaire étaient en train de terminer les dernières formalités avant l'exécution quand la famille de la victime a pardonné au meurtrier et a accepté le versement d'un dédommagement. D'autres condamnés, eux, ont attendu en vain le pardon : c'est ainsi que Rehan, reconnu coupable de meurtre en 1991, a été pendu en octobre 1994 dans la prison centrale de Peshawar. Il a dû attendre plus d'une demi-heure avec la corde déjà passée autour du cou, pendant que sa famille et les héritiers de la victime tentaient de parvenir à un compromis. À la mi-95 à Faisalabad, un condamné aurait supplié les proches de sa victime de lui pardonner, mais ceux-ci auraient refusé et auraient assisté à la pendaison.

9.L'exécution

Les condamnés à mort sont immédiatement séparés de leurs codétenus et transférés dans un quartier spécial où ils ont peu de contacts avec les autres prisonniers. La réglementation des prisons pakistanaises prévoit que les condamnés à mort « sont incarcérés dans une cellule séparée des autres prisonniers et [qu'ils] sont surveillés nuit et jour par des gardiens spécialement affectés à cette tâche » (règlement 332). En outre, « la cellule du condamné à mort doit rester éclairée du coucher au lever du soleil de façon qu'il se trouve sous surveillance constante » (règlement 334). Les condamnés à mort ne doivent pas porter de fers hormis pendant les transferts ou à titre de sanction. Toujours selon la réglementation des prisons, l'exécution doit avoir lieu à l'intérieur de l'établissement pénitentiaire sauf s'il en est disposé autrement. Le règlement 360 prévoit qu'au moment de l'exécution, « les prisonniers sont enfermés dans leurs quartiers et cellules jusqu'à ce que l'exécution soit terminée et que le corps ait été enlevé ». Les exécutions ont lieu à l'aube (règlement 361). Des anciens prisonniers ont déclaré aux représentants d'Amnesty International que les condamnés à mort pouvaient recevoir la visite de leur famille dans les jours précédant leur exécution et qu'ils faisaient leurs adieux aux autres détenus la veille. L'atmosphère serait tendue et triste au moment des exécutions.

La méthode d'exécution prévue pour la plupart des crimes est la pendaison. L'Ordonnance de qisas et diyat prévoit toutefois que l'exécution prenne la forme de qisas, c'est-à-dire un châtiment équivalent au crime commis. Elle se déroule alors en présence de la famille de la victime et parfois en public. L'ordonnance de zina prévoit la lapidation en public.

La publicité des exécutions a fait l'objet d'un débat en 1992, date à laquelle les tribunaux d'exception appliquant une procédure accélérée ont été instaurés. Ces juridictions ont condamné à mort plusieurs personnes à l'issue de procès qui n'avaient, dans certains cas, duré que deux ou trois jours. La loi créant ces tribunaux d'exception prévoyait que le tribunal pouvait choisir la méthode d'exécution et le lieu où celle-ci devait se dérouler « en tenant compte de l'effet dissuasif que pouvait avoir une telle exécution » (art. 10). Le Premier ministre Nawaz Sharif a annoncé à la fin de 1992 que les prisonniers condamnés à mort par les tribunaux d'exception appliquant une procédure accélérée seraient pendus en public pour dissuader les autres criminels. La Cour suprême, agissant à sa propre initiative, s'est penchée sur la question de savoir si les exécutions publiques étaient compatibles avec la dignité humaine garantie inconditionnellement par l'article 14 de la Constitution pakistanaise. Elle a aussi suspendu les exécutions publiques en attendant de statuer sur ce problème.

Avant que la Cour suprême n'ait rendu son arrêt, le nouveau gouvernement de Benazir Bhutto a annoncé en février 1994 l'interdiction des exécutions publiques. Les autorités auraient publié un communiqué de presse dont il ressortait que les pendaisons en public constituaient une violation du droit fondamental énoncé à l'article 14 de la Constitution. En conséquence, la Cour suprême a classé sans suite la procédure en cours, le 6 février 1994, au motif qu' « aucune initiative de la cour ne [semblait] plus nécessaire ».

La politique déclarée du gouvernement et les circulaires administratives n'ont toutefois aucune force contraignante. En 1995, trois exécutions ont eu lieu en présence de centaines de prisonniers qui ont été contraints d'y assister. Mushtaq Arain et Mohammed Juman Keerio ont été pendus, respectivement, le 13 juillet 1995 dans la prison centrale de Karachi et le 26 juillet 1995 dans la prison centrale de Hyderabad, en présence de très nombreux détenus prévenus ou déjà condamnés, dont certains à mort, et de membres du personnel pénitentiaire. Des journalistes avaient été invités à assister à l'exécution qui a eu lieu à Hyderabad. Les deux suppliciés avaient été reconnus coupables de meurtre, ils avaient été déboutés des appels interjetés devant la haute cour du Sind et devant la Cour suprême, et leurs recours en grâce avaient été rejetés. Les médias, notamment les journaux sindhis Ibrat et Kawish et les quotidiens de langue anglaise Dawn et The News, ont vivement protesté contre ces exécutions publiques. Le ministre de la Justice et des Affaires parlementaires, Raza Rabbani, a déclaré en décembre 1995 à Amnesty International : « Je démens catégoriquement ces informations [à propos des pendaisons en public] ». L'Organisation a appris en mai 1996 que le Premier ministre Benazir Bhutto avait admonesté les directeurs des prisons de Karachi et de Hyderabad pour avoir procédé aux exécutions contrairement à la politique du gouvernement.

Un autre prisonnnier, Zulfikar, a été pendu en présence de ses codétenus dans la prison centrale de Faisalabad. Cet homme, qui souffrait apparemment de tuberculose à un stade avancé, n'a pas été informé suffisamment à l'avance de son exécution.

Ainsi que certains l'ont fait observer, personne n'avait été contraint d'assister à une pendaison en public sous le régime militaire de Zia ul Haq. Le fait de contraindre 200 détenus à assister à une exécution publique révèle une brutalité particulière dans le traitement des prisonniers et constitue en outre une violation des règlements pénitentiaires cités plus haut. Ainsi que l'a souligné I. A. Rahman, directeur de la Commission des droits de l'homme du Pakistan, « la philosophie qui sous-tend cette règle est fondée sur la nécessité d'épargner au condamné une torture et une dégradation dans les derniers instants de sa vie, ainsi que de protéger les autres prisonniers de la cruauté de ce qui est désormais universellement considéré comme un meurtre commis par l'État ».

Une exécution publique à titre de qisas devait se dérouler en mai 1995. Un juge de Swabi (Province de la Frontière du Nord-Ouest, NWFP) avait décerné un « mandat noir » (ordre d'exécution) prévoyant que Jahangir, reconnu coupable de meurtre, devait être exécuté par les héritiers de la victime sur les lieux mêmes du crime. Le père de l'enseignante qui avait été tuée devait abattre Jahangir sur le terrain de sport de l'école où le crime avait été commis. L'exécution a été suspendue en attendant que la haute cour de Peshawar ait statué sur la compatibilité des exécutions publiques avec la dignité humaine (cf. Pakistan. Les exécutions en vertu de l'ordonnance de qisas [réparation] et diyat [prix du sang], index AI : ASA 33/13/95). En juin 1996, la haute cour de Peshawar a conclu que l'ordre d'exécution était illégal, la peine de mort ayant été prononcée à titre de taazir et non de qisas. Elle a ajouté que même dans les cas de qisas, la peine devait être infligée en présence duwali (héritier légal de la victime) mais non par celui-ci. La haute cour a déclaré que les exécutions publiques étaient contraires à la Constitution, et a ordonné que le condamné soit pendu selon les règles habituelles. Jahangir devait être exécuté le 24 juin1996 dans la prison centrale de Peshawar ; son père aurait désespérément tenté de parvenir à un compromis avec la famille de la victime. Amnesty International ignore si l'exécution a eu lieu.

10.La peine de mort et les mineurs

Parmi les prisonniers condamnés à mort en 1995 figurait Salamat Masih, un chrétien reconnu coupable de blasphème puis acquitté faute d'éléments probants. Il n'avait que douze ans au moment des faits. Cette affaire a de nouveau attiré l'attention sur le fait que le Pakistan est l'un des rares pays au monde où des mineurs peuvent être condamnés à mort.

La condamnation de mineurs à la peine capitale contrevient à l'obligation du Pakistan, en tant qu'État partie à la Convention relative aux droits de l'enfant, de mettre sa législation en conformité avec ce texte, qui prohibe la condamnation à mort des personnes âgées de moins de dix-huit ans au moment des faits. (cf. le document intitulé Pakistan. La peine de mort et les mineurs, index AI : ASA 33/07/95).

Le gouvernement fédéral a approuvé le 5 juin 1995 un projet de loi sur les mineurs délinquants, qui porte à seize ans l'âge à partir duquel un accusé peut être condamné à mort ou à une peine de flagellation. Le sénateur Iqbal Haider a déclaré à Amnesty International en février 1996 que le gouvernement préconisait de porter à dix-huit, voire vingt et un ans, l'âge à partir duquel les délinquants pouvaient être condamnés à mort. Le procureur général avait déclaré en juillet 1995 que la préoccupation de l'Organisation quant à l'application de la peine capitale aux mineurs était fondée sur « l'ignorance de la législation et de la réalité pakistanaises », ajoutant que ce châtiment avait été aboli pour les enfants de moins de seize ans (Dawn, 25 juillet 1995). À la connaissance d'Amnesty International, la future loi sur les mineurs délinquants n'a pas encore été approuvée par le Parlement, et les enfants peuvent toujours être condamnés à mort au Pakistan. Par ailleurs, tout en se félicitant des dispositions de ce projet de loi qui porte à seize ans l'âge en dessous duquel la peine capitale ne peut être prononcée, l'Organisation fait observer qu'elles n'en restent pas moins en contradiction avec la Convention relative aux droits de l'enfant.

11. Les normes internationales relatives à la peine de mort

Les normes internationales relatives à l'application de la peine de mort sont énoncées dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et dans le Deuxième Protocole facultatif de ce pacte visant à abolir la peine de mort, dans la Convention relative aux droits de l'enfant, ainsi que dans les Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort (annexe à la résolution 1984/50 du Conseil économique et social des Nations unies), approuvées en décembre 1984 par l'Assemblée générale des Nations unies dans la résolution 39/118 qui réclame l'adoption de ces recommandations « dans la législation et en pratique ». Ces traités contiennent de nombreuses garanties contre l'application arbitraire de la peine de mort, prévoyant notamment que « toute personne condamnée à mort a le droit de se pourvoir en grâce ou de présenter une pétition en commutation de peine ; la grâce ou la commutation de peine peut être accordée dans tous les cas de condamnation à mort. » (garantie 7 des Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort adoptées par le Conseil économique et social).

La garantie 5 prévoit que les personnes passibles de la peine de mort doivent bénéficier d'un procès équitable respectant au moins les normes énoncées à l'article 14 du PIDCP. Ce pacte dispose que toute personne accusée d'une infraction pénale doit être présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. L'ambiguïté introduite dans la présomption d'innocence par l'article 8 de la loi portant création des tribunaux d'exception appliquant une procédure accélérée va à l'encontre de l'Observation générale 13(21) sur l'article 14 du PIDCP du Comité des droits de l'homme. Celui-ci fait en effet observer au point 7 que la présomption d'innocence « est indispensable à la protection des droits de l'homme » et que « la preuve incombe à l'accusation et l'accusé a le bénéfice du doute. Nul ne peut être présumé coupable tant que l'accusation n'a pas été établie au-delà de tout doute raisonnable. » La non-recevabilité du témoignage des femmes dans les affaires de zina et de viol pour lesquelles la peine capitale peut être prononcée à titre de hadd bafoue cette garantie, ainsi que l'article 7 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui dispose : « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. » Enfin, l'article 7 de la Déclaration des Nations unies sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes requiert que toutes les dispositions des codes pénaux constituant une discrimination envers les femmes soient abolies (résolution 2263 (XXII) adoptée le 7 novembre 1967 par l'Assemblée générale).

L'étendue du champ d'application de la peine de mort observée ces dernières années au Pakistan est contraire à la résolution 32/61 adoptée le 8 décembre 1977 par l'Assemblée générale des Nations unies. Celle-ci dispose : « Le principal objectif à poursuivre en matière de peine capitale est de restreindre progressivement le nombre de crimes pour lesquels la peine capitale peut être imposée, l'objectif souhaitable étant l'abolition totale de cette peine »

12.Conclusions et recommandations d'Amnesty International à propos de la peine de mort

Amnesty International reconnaît le droit des gouvernements de traduire les criminels en justice. Elle est toutefois inconditionnellement opposée à la peine de mort, aussi scrupuleuses que soient les procédures qui régissent l'application de ce châtiment. La peine capitale constitue une violation du droit à la vie et de l'interdiction des peines cruelles, inhumaines et dégradantes, énoncés aux articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui disposent respectivement : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » et « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

L'Organisation est préoccupée par l'extension régulière du champ d'application de la peine capitale au Pakistan. Elle appelle le gouvernement à inverser cette tendance et à rejoindre le mouvement mondial en faveur de l'abolition de ce châtiment. Cinquante-huit pays ont aboli la peine de mort pour tous les crimes et 15 autres ne l'ont maintenue que pour les crimes exceptionnels. Vingt-sept pays peuvent être considérés comme abolitionnistes de facto : bien qu'ayant maintenu la peine capitale dans leur législation, ils n'ont procédé à aucune exécution depuis dix ans au moins ou bien ils se sont engagés au niveau international à ne pas le faire. Les 100 pays abolitionnistes de jure ou de facto représentent plus de la moitié des États. En Asie, le Cambodge a aboli la peine capitale en 1989, Hong Kong en 1993 et le Népal en 1990 pour les crimes de droit commun. Le Bhoutan, les Maldives et Sri Lanka sont abolitionnistes de facto, n'ayant procédé à aucune exécution depuis dix ans au moins.

Au Pakistan, la peine capitale est prononcée dans la plupart des cas pour meurtre. Le risque d'erreur ne peut être éliminé, alors que la peine de mort est un châtiment irrévocable. Les études effectuées à ce sujet révèlent qu'aucun élément fiable ne prouve que la peine de mort ait un effet dissuasif, pas même dans le cas des crimes pour lesquels elle est appliquée. Au contraire, certains éléments, certes insuffisants, tendent à démontrer que la peine capitale peut contribuer à les encourager ; elle empêche les gouvernements de rechercher des moyens plus efficaces de combattre la criminalité.

La préoccupation d'Amnesty International à propos de l'application de la peine de mort au Pakistan est renforcée par l'absence de garanties strictes de procédure et d'équité. Les procédures de jugement, les dispositions régissant les appels et les possibilités de commutation de la peine capitale sont en contradiction flagrante avec les normes internationales. L'Organisation appelle le gouvernement pakistanais à mettre en œuvre sans réserve les Garanties des Nations unies pour la protection des personnes passibles de la peine de mort, dans l'attente de l'abolition de ce châtiment.

Les négociations prolongées entre les proches des condamnés et la famille de la victime à propos du versement du diyat renforcent la préoccupation d'Amnesty International quant au caractère particulièrement inhumain et dégradant de cette forme de châtiment lorsqu'elle est prononcée en vertu de l'Ordonnance de qisas et diyat. Cette pratique est contraire aux normes internationales relatives aux droits de l'homme et notamment à celles énoncées dans les Garanties pour la protection des personnes passibles de la peine de mort. La garantie 9 dispose en effet : « Lorsque la peine capitale est appliquée, elle est exécutée de manière à causer le minimum de souffrances possibles. » L'Organisation prie instamment les autorités pakistanaises de mettre sans délai leur législation en conformité avec ces garanties.

Toute exécution est cruelle, inhumaine et dégradante en soi. Toutefois, les exécutions publiques sont encore plus dégradantes du fait que la souffrance du condamné est exposée sous forme de spectacle. Les exécutions publiques ont un effet cruel et déshumanisant sur ceux qui y assistent et sur la société en général, ce qui est incompatible avec le respect pour la vie et la dignité de la personne humaine. Les exécutions qui se déroulent en présence d'autres condamnés à mort semblent avoir pour but d'accroître la souffrance de ces prisonniers, ce qui contrevient à la garantie 9 citée plus haut. Amnesty International demande instamment au gouvernement pakistanais d'interdire les exécutions publiques.

Amnesty International exhorte le gouvernement pakistanais à :

mettre un terme à toutes les exécutions et interdire les exécutions publiques

L'Organisation appelle les autorités à ne plus exécuter de prisonniers et à interdire les exécutions publiques pour des motifs humanitaires et de respect des droits de l'homme. Elle prie le président d'user des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 45 de la Constitution pour commuer toutes les condamnations à mort.

abolir la peine de mort

Conformément à son opposition inconditionnelle à la peine de mort, Amnesty International exhorte le gouvernement à abolir la peine de mort dans la législation. L'Organisation souhaite attirer l'attention des autorités pakistanaises sur les remarques contenues dans le rapport publié le 14 décembre 1994 par le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires : «... le Rapporteur spécial aimerait dire qu'à son avis, bien que la peine capitale ne soit pas interdite en droit international, il n'existe pas de droit à la peine capitale, restreint uniquement par certaines limitations contenues dans des instruments internationaux. Étant donné que la perte de la vie est irréparable, qu'il est impossible de réparer les erreurs judiciaires et, en fait, que de nombreux experts en criminologie, sociologie, psychologie, etc., ont exprimé des doutes bien fondés quant à l'effet dissuasif de la peine de mort, le Rapporteur spécial exhorte à nouveau les gouvernements de tous les pays où la peine capitale existe encore à tout mettre en œuvre pour qu'elle soit abolie. »

ratifier les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme

Amnesty International appelle le gouvernement pakistanais à devenir partie aux traités internationaux relatifs aux droits de l'homme et notamment au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), aux deux protocoles facultatifs à ce pacte, ainsi qu'à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Pakistan: The death penalty. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - novembre 1996.



[1] Au Pakistan, les ordonnances restent en vigueur pendant les cent vingt jours qui suivent leur promulgation ; passé ce délai, s'il n´y a pas eu confirmation par le Parlement, elles deviennent caduques. La pratique consistant à promulguer à nouveau les ordonnances est critiquée par de nombreux observateurs qui affirment qu'elle permet au pouvoir exécutif de se passer du Parlement.

[2] Aux termes de l'article 203-D de la Constitution, les décisions du tribunal fédéral de la charia sont contraignantes pour le gouvernement. Celui-ci peut toutefois interjeter appel devant la chambre de la charia de la Cour suprême, qui statue en dernier ressort.

[3] Agence France-Presse, 18 février 1994.

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La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X8DJ, Royaume-Uni. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI

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