Passage à Tabac et Arrestation Arbitraire d'Etudiants Appartenant à des Minorités Religieuses

Le 31 janvier 1996, environ 700 agents de la force publique, parmi lesquels des membres du groupe paramilitaire Bangladesh Rifles (BDR) et des policiers, ont fait une descente au Jagannath Hall, résidence de l'Université de Dacca qui abrite des étudiants appartenant à des minorités religieuses. Après avoir défoncé portes et fenêtres, lancé des gaz lacrymogènes dans les chambres et dans les couloirs, puis sauvagement frappé les étudiants, ils se sont emparés de leurs effets de valeur, et ont procédé à au moins 95 arrestations arbitraires. Presque toutes les personnes appréhendées, dont des visiteurs extérieurs, ont été blessées.

L'opération a duré trois heures. Plus de 40 chambres ont été mises à sac et environ 200 étudiants ont été blessés. Au moins 37 d'entre eux ont reçu des soins à l'hôpital. L'un d'eux a déclaré qu'il avait été immobilisé par des agents de la force publique pendant qu'un policier lui tirait une balle dans la jambe.

Cette descente de police a eu lieu la veille de la venue du Premier ministre, la bégum Khaleda Zia, pour l'inauguration d'une foire du livre à l'académie bengalie, située juste à côté du campus universitaire de Dacca. Plusieurs groupes d'étudiants s'étaient, semble-t-il, opposés à cette visite. Selon certaines sources de l'opposition, les agents de la force publique ont délibérément attaqué le Jagannath Hall car les étudiants qui y résident, et qui appartiennent à des minorités religieuses, militent dans les rangs du parti d'opposition Awami League (Ligue Awami).

Amnesty International exhorte le gouvernement du Bangladesh à ouvrir une enquête impartiale et indépendante sur les cas de passage à tabac et de détention arbitraire décrits dans ce document, afin que les agents de la force publique responsables de ces violations des droits fondamentaux soient traduits en justice. L'Organisation recommande en outre au gouvernement du Bangladesh de veiller à ce que de tels faits ne puissent se reproduire à l'avenir.

1. Introduction

Le 31 janvier 1996, environ 700 agents de la force publique, parmi lesquels des membres du groupe paramilitaire Bangladesh Rifles (BDR) et des policiers, ont fait une descente au Jagannath Hall, résidence de l'Université de Dacca qui abrite des étudiants appartenant à des minorités religieuses. Après avoir défoncé portes et fenêtres, lancé des gaz lacrymogènes dans les chambres et dans les couloirs, puis sauvagement frappé les étudiants, ils se sont emparés de leurs effets de valeur (calculatrices, montres, etc.) et ont procédé à au moins 95 arrestations arbitraires. Presque toutes les personnes appréhendées, parmi lesquelles des visiteurs qui n'étaient pas des étudiants, ont été blessées. La police aurait affirmé que l'opération visait à s'emparer d'armes illégales. Cependant, aucune arme n'a été trouvée sur les lieux.

L'opération a duré trois heures. Plus de 40 chambres ont été mises à sac et environ 200 étudiants ont été blessés. Au moins 37 d'entre eux ont reçu des soins à l'hôpital. L'un d'eux a déclaré qu'il avait été immobilisé par des agents de la force publique pendant qu'un policier lui tirait une balle dans la jambe.

Cette descente de police au Jagannath Hall a eu lieu la veille de la venue du Premier ministre, la bégum Khaleda Zia, pour l'inauguration d'une foire du livre à l'académie bengalie, située juste à côté du campus universitaire de Dacca. Des groupes d'étudiants s'étaient, semble-t-il, opposés à cette visite. Le matin du 31 janvier, un petit groupe d'étudiants aurait jeté des pierres sur une brigade de police depuis le toit du Jagannath Hall. À la connaissance d'Amnesty International, aucun d'entre eux n'avait été identifié comme étant un résident du campus. Selon certaines sources de l'opposition, les agents de la force publique ont délibérément attaqué le Jagannath Hall car les étudiants qui y résident, et qui appartiennent à des minorités religieuses, militent dans les rangs du parti d'opposition Awami League (Ligue Awami).

Les événements politiques au Bangladesh ont été dominés ces deux dernières années par un antagonisme de plus en plus marqué entre l'opposition et le gouvernement du Premier ministre, la bégum Khaleda Zia. L'opposition a demandé la démission du gouvernement et l'organisation de nouvelles élections par un gouvernement intérimaire. Cette demande a été rejetée et des élections législatives ont été fixées au 15 février 1996 sous le gouvernement du Premier ministre Zia. Une campagne soutenue du Bangladesh Nationalist Party (BNP, Parti nationaliste du Bangladesh) en faveur de la tenue de ces élections boycottées par l'opposition a exacerbé les tensions politiques dans tout le pays, y compris dans les campus universitaires. De violents affrontements ont opposé le gouvernement et les partisans de l'opposition, et des unités de l'armée ont été déployées à travers le pays pour rechercher des caches d'armes et maintenir l'ordre public. Toutefois, les localités prises pour cibles par les raids de l'armée étaient, semble-t-il, des bastions de l'opposition qui ne montraient aucun signe d'activité armée.

Le passage à tabac d'étudiants quasiment arrêtés dans leurs chambres constitue une violation d'un droit fondamental de l'homme : le droit de ne pas être soumis à la torture, ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. L'interdiction de la torture, qui est l'un des principes les plus fondamentaux du droit international, est énoncée dans de nombreux instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. On ne peut déroger à ce principe en aucune circonstance. De même, l'arrestation et la détention arbitraires sont prohibées par un grand nombre de normes internationales relatives aux droits de l'homme.

En publiant ce rapport, Amnesty International souhaite attirer l'attention des autorités du Bangladesh sur les préoccupations suscitées par le passage à tabac et l'arrestation arbitraire d'étudiants, le 31 janvier 1996. Le cas décrit ici entre dans le cadre d'une série de violations des droits de l'homme perpétrées par les agents de la force publique durant la période qui a précédé les élections législatives du 15 février. Ce document se fonde sur les informations reçues de militants des droits de l'homme, de juristes et de sources universitaires au Bangladesh, ainsi que sur les articles publiés dans la presse locale et dans les médias internationaux.

Amnesty International exhorte le nouveau gouvernement intérimaire à ouvrir une enquête impartiale et indépendante sur les cas de violations des droits de l'homme décrits dans ce document, afin que les agents de la force publique impliqués dans le passage à tabac et l'arrestation arbitraire des étudiants du Jagannath Hall soient traduits en justice. L'Organisation recommande en outre au gouvernement du Bangladesh d'adopter des mesures pour que de tels faits ne puissent se reproduire à l'avenir.

2. Contexte général

Comme nous l'avons mentionné plus haut, la descente de police à la résidence du Jagannath Hall s'inscrit dans le contexte d'une crise politique, qui a commencé en mars 1994. À cette date, l'opposition a quitté le Parlement en demandant la démission du Premier ministre Khaleda Zia, chef du BNP, et la nomination d'un gouvernement provisoire politiquement neutre, chargé de veiller à la tenue d'élections impartiales. En décembre de la même année, 147 députés (sur un total de 300) ont démissionné. Le gouvernement a déclaré qu'à moins d'être amendée pour autoriser l'organisation d'élections par un gouvernement intérimaire, la Constitution du Bangladesh ne permettait pas de satisfaire leur demande. Il a par ailleurs affirmé qu'un tel amendement nécessiterait la participation de tous les membres du Parlement. Le gouvernement de Khaleda Zia est resté au pouvoir jusqu'à la fin de son mandat.

Le BNP a remporté une victoire écrasante lors des élections législatives du 15 février. Il a obtenu 203 sièges parlementaires, avec une très faible participation électorale : seuls 10 à 15 p. cent des électeurs se seraient rendus aux urnes. Pendant ce temps, les partis d'opposition ont lancé une campagne nationale pour réclamer l'organisation de nouvelles élections par un gouvernement intérimaire. Craignant que l'impasse politique ne porte préjudice à l'économie, déjà fragile, du Bangladesh, les milieux d'affaires ont également montré des signes d'inquiétude. Le nouveau Parlement a voté une loi amendant la Constitution, afin de permettre l'organisation d'élections par un gouvernement politiquement neutre. Le Premier ministre Zia a démissionné le 30 mars 1996. Son gouvernement a été remplacé par un gouvernement intérimaire dirigé par l'ancien président de la Cour Suprême, Muhammad Habibur Rahman, chargé d'organiser de nouvelles élections dans un délai de trois mois.

Traditionnellement au cœur de la vie politique du Bangladesh, les étudiants ont souvent été à l'origine des bouleversements politiques qu'a connus le pays. La plupart des organisations estudiantines ont des activités politiques pacifiques, mais certains étudiants appartiennent à des groupes armés qui, selon certaines sources, sont affiliés au BNP, à la Ligue Awami et au Jamaat-e Islami. Ces groupes sont souvent impliqués dans des luttes armées entre factions ou dans des affrontements entre formations politiques rivales. Entre 1992 et 1995, ces heurts ont fait plus de 100 morts et des milliers de blessés plus ou moins graves parmi les étudiants. Les organisations d'étudiants non violentes et les groupes de défense des droits de l'homme du Bangladesh n'ont cessé d'exhorter le gouvernement et les partis d'opposition à désarmer leurs groupes de partisans afin de ramener le calme sur les campus.

En 1995, l'Université de Dacca a connu un regain d'activités politiques non violentes lorsque les professeurs et les organisations estudiantines ont fait campagne pour obtenir de meilleures installations universitaires et le démantèlement des groupes armés. Les responsables de l'Université ont également condamné haut et fort la violence sur le campus. Toutefois, avec la polarisation politique du pays fin 1995, la perspective de voir de nouveaux affrontements violents éclater entre les petits groupes d'étudiants appartenant aux différents partis a sérieusement menacé les activités pacifiques sur le campus.

En décembre 1995, des troupes ont été déployées dans tout le pays en vue d'aider la police à trouver des caches d'armes. Ces troupes étaient encore opérationnelles juste après les élections législatives du 15 février. Des dizaines de milliers de personnes, soupçonnées de détention illégale d'armes, auraient été arrêtées. Un grand nombre d'entre elles n'ont pas été informées du motif de leur interpellation. La plupart ont été libérées au bout de quelques jours ou de quelques semaines, la police n'étant pas en mesure d'étayer les accusations portées contre elles. Leurs familles ont également été victimes de mesures de harcèlement et d'intimidation. Des centaines de personnes ont ainsi été appréhendées uniquement en raison de leurs liens de parenté avec une personne recherchée par les forces armées. L'opposition a accusé les soldats de harceler ses militants.

Dans une déclaration du 14 février 1996, Amnesty International a fait état de ses préoccupations, indiquant que la nécessité de s'emparer d'armes illégales ne pouvait en aucun cas justifier des violations massives des droits fondamentaux. Elle exhortait le gouvernement du Bangladesh à ordonner l'ouverture d'enquêtes impartiales et indépendantes sur tous les cas présumés de violations des droits de l'homme imputables aux membres des forces de sécurité. Le gouvernement de la bégum Khaleda Zia n'a donné aucune suite aux demandes de l'Organisation.

3. Passage à tabac d'étudiants non armés au Jagannath Hall

L'attaque de la résidence universitaire a commencé vers 15 heures. Selon des témoins oculaires, des unités de policiers en uniforme et en civil ainsi que des membres de groupes paramilitaires, estimés à environ 700 hommes au total, ont pénétré sur le campus par quatre entrées différentes en forçant les portes et les serrures et en tirant des coups de feu en l'air. Ils auraient ensuite mise à sac la résidence, frappant et dépouillant de leurs biens les étudiants, les gardiens et les visiteurs dans quelque 42 chambres et dans les parties communes de la résidence. La police aurait emmailloté certains étudiants dans des couvertures afin de pouvoir les frapper et les rouer de coups de pieds sans qu'ils puissent s'échapper.

Peu après le raid sur le campus, des militants des droits de l'homme et des journalistes ont visité le Jagannath Hall. Ils ont constaté que de nombreux étudiants avaient quitté la résidence universitaire par crainte d'une nouvelle descente de police. Ils ont visité des dizaines de chambres, notamment les chambres 331 à 335, 321 à 329, 360 à 363 et 385 à 396, ainsi que deux réfectoires. D'après leurs observations, toutes les fenêtres avaient été brisées et il y avait des traces de sang sur les murs, les lits, le sol des chambres et dans les escaliers.

3.1 Opération coup-de-poing dans les chambres d'étudiants

La première pièce dans laquelle la police a fait irruption était la chambre 335. Cinq étudiants, Anup Biswas, Shanto Nokrek, Sebastine Rema, Kartic Chandra Sana et Diponkor Sangma s'y trouvaient et étaient en train de discuter. Après avoir enfoncé la porte, les policiers ont lancé des gaz lacrymogènes dans la pièce. Tout en les abreuvant d'insultes, ils auraient frappé les occupants à coups de matraque et de crosse de fusil, blessant grièvement Anup, Sebastine, Shanto et Kartic. L'un des policiers aurait enroulé une serviette autour de la tête d'Anup pour l'empêcher de crier pendant que deux de ses collègues le frappaient. Les militants des droits de l'homme ont vu des taches de sang dans différents endroits de la pièce. Les étagères et les lits avaient été démolis. Les étudiants ont déclaré que les policiers s'étaient emparés de leur argent et de leurs objets de valeur.

Huit étudiants qui se trouvaient dans la chambre 331 ont rapporté qu'ils avaient laissé la porte ouverte pour montrer aux policiers qu'ils n'avaient rien à cacher, espérant ainsi ne pas être brutalisés. Mais, à l'exception d'un seul qui aurait été épargné après avoir déclaré appartenir au BNP, tous les autres ont été insultés et frappés à coups de crosse de fusil et de matraque. Certains étudiants se sont cachés sous les lits, mais les policiers les ont fait sortir et les ont frappés à leur tour. Les policiers auraient ensuite emporté l'argent et la plupart des objets de valeur trouvés dans la chambre, notamment un appareil photo et une montre.

Biltoo Kumar Bir, qui était venu à Dacca pour faire hospitaliser un oncle avant de rendre visite à un autre de ses oncles, étudiant résidant au Jagannath Hall, a déclaré aux journalistes :

« Je suppliais les policiers d'avoir pitié. Je leur ai même montré les papiers de l'hôpital pour leur prouver que j'étais en visite chez mon oncle. Mais ils ont continué de nous frapper jusqu'à ce que nous perdions connaissance. »

Quatre étudiants ont été passés à tabac dans la chambre 329. L'un d'eux, Prokash Boidhya, espérait être épargné en présentant sa carte d'étudiant à la police, mais il n'en fut rien. Les policiers ont défoncé porte et fenêtres, et mis sens dessus dessous ses livres et ses effets personnels.

Dans la chambre 332, cinq étudiants ont été si sauvagement battus que deux d'entre eux se seraient échappés en sautant par les fenêtres situées en étage. Les policiers auraient dérobé les effets personnels des étudiants, notamment les montres de Shandip et de Bishnu Chatterjee. Les choses se sont déroulées de manière identique dans la chambre 238 : lorsque la police a défoncé la porte, trois étudiants ont sauté par la fenêtre dans un mouvement de panique. Un quatrième s'est caché sous le lit, si bien que, ne voyant personne, les policiers ont passé leur chemin. Les deux étudiants qui se trouvaient dans la chambre 326 ont été roués de coups de pied et frappés avec des bâtons. Les étudiants de la chambre 325 ont déclaré aux militants des droits de l'homme : « Nous n'aurions jamais pensé que la police puisse être autorisée à traiter quiconque aussi brutalement. »

Photon Chandra Sutradhar a déclaré aux militants des droits de l'homme qu'il avait cru mourir étouffé lorsque les policiers lui avaient appliqué un bâillon sur la bouche et sur le nez, et l'avaient enroulé dans une couverture avant de le rouer de coups. Ils l'avaient ensuite forcé à se pencher en avant, un fusil braqué sur les fesses, en menaçant de le tuer. Photon a fini par perdre connaissance. Un étudiant qui se trouvait dans la même chambre s'est lui aussi évanoui après avoir été sauvagement battu. Les croyant morts, les policiers les ont emmenés hors de la résidence.

Dans la chambre 361, située au troisième étage, les policiers auraient délibérément défenestré deux hommes – Arun K. Bala, étudiant, et Bimal Krishna Biswas, qui lui rendait visite. Le premier aurait eu la colonne vertébrale fracturée, et le deuxième, les deux jambes brisées. Un autre étudiant qui, terrorisé, avait sauté par la fenêtre, s'en est sorti indemne.

Les militants des droits de l'homme ont trouvé une grenade lacrymogène dans la chambre 360. Ils ont vu les morceaux d'une matraque en bois qui s'était brisée tandis que les policiers frappaient Milon Golder. Ce dernier se serait accroché au fusil de l'un des policiers pour l'empêcher de tirer tandis que deux autres continuaient de lui assener des coups de bâton et de pied.

Une dizaine d'étudiants se trouvaient dans la chambre 385 lorsqu'environ 12 policiers ont enfoncé la porte, lancé des gaz lacrymogènes et commencé à rouer de coups les étudiants. Depuis le couloir, un supérieur leur donnait des instructions sur la manière d'assener les coups. Jhontu s'est cassé le bras en tombant par terre à demi-conscient. Ensuite, les policiers se sont emparés de tous les objets de valeur qu'ils ont pu trouver. Ils auraient ordonné à quatre étudiants de se mettre en ligne avant de les viser avec leur fusil en annonçant qu'ils allaient les tuer. Mais au lieu de tirer, ils les ont criblés de coups de pied et sauvagement frappés.

Dans la chambre 388, les policiers ont ordonné aux étudiants de leur remettre leurs armes. Comme ceux-ci répondaient qu'ils n'en possédaient pas, les policiers ont commencé à tout saccager et à jeter les affaires dans tous les sens. Puis, ils ont frappé les étudiants et ont emporté leur argent. La même scène s'est produite dans la chambre 392 : la police a défoncé la porte et les fenêtres avant de passer les étudiants à tabac. Un étudiant de la chambre 396 a été blessé à la tête à coups de crosse de fusil. Dans la chambre 389, un autre étudiant, Somoresh Mandol, a été grièvement blessé à la gorge : il a été battu par un policier et menacé de mort. Le policier l'a ensuite jeté à terre et roué de coups de pied.

Au pavillon 2 de l'hôpital de la Faculté de médecine de Dacca, Bidhan Chandra Das a indiqué aux journalistes que deux policiers s'étaient saisis de lui dans sa chambre (386), puis qu'ils lui avaient tiré une balle dans la jambe avant de le passer à tabac.

3.2 Attaque de la cantine

La police a également fait une descente dans la cantine de la résidence. Sundhir Roy, employé à la cantine, s'est précipité pour fermer les portes et barrer l'accès à l'un des réfectoires. Les policiers l'en ont empêché et l'ont sauvagement frappé. La police a ensuite lancé des gaz lacrymogènes dans la salle et commencé à frapper et à rouer de coups de pied tous ses occupants, jetant leurs repas par terre, lançant des propos injurieux sur leurs croyances religieuses et leur reprochant de manger pendant le Ramadan. Le responsable de la cantine a tenté d'expliquer qu'il connaissait les étudiants attablés et qu'il s'agissait de résidents réguliers qui n'avaient pris part à aucune activité violente, mais les policiers n'ont fait aucun cas de ses explications. Plusieurs employés de la cantine et tous les étudiants qui se trouvaient dans le réfectoire ont ensuite été arrêtés.

3.3 Événements consécutifs à la descente de police

Vers 17 h 30, les étudiants du Jagannath Hall se sont rassemblés près de la résidence du président de l'Université pour protester contre les brutalités policières et demander que les agents de la force publique responsables de ces violences soient traduits en justice. La police aurait chargé le rassemblement et dispersé les étudiants.

Par crainte de nouvelles violences policières, de nombreux étudiants n'ont pas réintégré leur chambre et nombre des blessés ne se sont pas présentés dans les centres hospitaliers avoisinants pour se faire soigner. Une trentaine d'étudiants, dont Bidhan Das, à qui la police avait semble-t-il tiré une balle dans la jambe, ont été admis à l'hôpital de la Faculté de médecine de Dacca. D'autres blessés ont été soignés dans différents centres hospitaliers de la ville.

Plus tard, la police a déclaré qu'elle avait été provoquée par un groupe d'étudiants qui lui avait lancé des pierres depuis le toit d'un immeuble. Toutefois, des groupes de défense des droits de l'homme du Bangladesh ont indiqué que seule une poignée d'étudiants était impliquée dans cet incident - qui avait eu lieu des heures avant l'opération policière - et que rien ne permettait de prouver qu'ils s'agissait de résidents du Jagannath Hall. En fait, les étudiants ont été surpris par l'arrivée massive des policiers à une heure où ils se reposaient ou prenaient leur déjeuner.

Selon les informations reçues, la police a également indiqué que cette descente s'inscrivait dans une opération plus vaste destinée à confisquer des armes illégales. L'une des victimes a confié aux journalistes :

« [La descente de police au Jagannath Hall] était destinée à s'emparer d'armes et d'explosifs ? Dans ce cas, où sont les armes et les explosifs ? Pas une seule arme n'a été trouvée. »

Des sources indépendantes confirment qu'aucune arme n'a été découverte chez les étudiants du Jagannath Hall durant la descente de police du 31 janvier 1996.

4. Prisonniers d'opinion

La police a procédé à l'arrestation d'environ 95 étudiants et visiteurs, leur reprochant d'avoir agressé des policiers, détruit des biens appartenant à l'État et troublé l'ordre public. Cependant, en l'absence de preuves convaincantes à l'appui des déclarations policières, la thèse des étudiants selon laquelle ces charges auraient été forgées de toutes pièces pour justifier leur arrestation avant la visite du Premier ministre à l'académie bengalie paraît très crédible. Les groupes de défense des droits de l'homme du Bangladesh n'ont cessé d'affirmer que la descente de police au Jagannath Hall était une opération calculée visant à attaquer et à arrêter un groupe vulnérable de la communauté estudiantine afin d'intimider les autres étudiants de l'opposition.

Le 20 avril 1996, toutes les personnes appréhendées avaient été remises en liberté sous caution. Amnesty International estime que leur arrestation arbitraire constitue une violation des normes internationales garantissant le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. L'Organisation considère que les personnes arrêtées durant l'opération du 31 janvier étaient des prisonniers d'opinion.

Lors de l'interpellation des étudiants du Jagannath Hall, la police aurait agi en vertu de l'article 54 du Code de procédure pénale, qui permet d'arrêter une personne sans mandat lorsqu'une « plainte légitime », des « informations crédibles » ou des « soupçons plausibles » l'impliquent dans une infraction prévue par la loi. Toutefois, les experts juridiques du Bangladesh affirment que la police s'est mise hors la loi en arrêtant les étudiants du Jagannath Hall. Selon eux, l'expression « soupçons plausibles », au sens du Code de procédure pénale, implique que les soupçons reposent sur des faits établis et précis dont la police serait témoin. Or, ce n'était pas le cas, car la police a arrêté presque toutes les personnes sur lesquelles elle a pu mettre la main, sans avoir pris soin de les identifier.

En outre, les policiers ont pris pour cible uniquement des étudiants appartenant à des minorités ethniques et religieuses. L'Université de Dacca compte 15 résidences et tous les étudiants participent à une forme d'activité politique. Le Jagannath Hall est le seul campus abritant presque exclusivement des étudiants non musulmans ; or, c'est également le seul qu'a attaqué la police.

Il semble également que la police ait délibérément persécuté les étudiants non musulmans parce qu'ils mangeaient pendant le mois du Ramadan. À la connaissance d'Amnesty International, aucune loi au Bangladesh n'oblige les non-Musulmans à s'abstenir de manger pendant les heures de jeûne (entre le lever et le coucher du soleil) durant le Ramadan. L'attaque du réfectoire et les mauvais traitements infligés par les policiers aux étudiants qui y prenaient leur repas constituent des violations manifestes des droits des minorités au Bangladesh. Les étudiants ont affirmé aux groupes de défense des droits de l'homme que la police les avait constamment traités d'Hindous sur le mode de l'insulte et qu'ils avaient tenus des propos injurieux sur leurs croyances religieuses. Les policiers ont continuellement appelé les étudiants chakma les Shanti Bahini (Forces de paix, groupe politique d'opposition armée au gouvernement dans les Chittagong Hill Tracts), leur enjoignant de leur remettre des armes qu'ils n'avaient pas.

Trente-six détenus ont été mis en liberté sous caution le 3 février 1996. La Haute Cour a ordonné la libération sous caution de 54 autres prisonniers le 5 février. Toutefois, quinze d'entre eux ont été maintenus en détention en dépit de la décision de la Haute Cour, et leurs avocats n'ont été informés d'aucune directive gouvernementale concernant le prolongement de leur détention. Le 1er avril 1996, 14 détenus ont été libérés sous caution.

Le seul prisonnier d'opinion à n'avoir pas été libéré à cette date est Pankaj Basu. Son ordonnance de placement en détention a été reconduite le 2 février pour une nouvelle période de trois mois. Tailleur de son état, il allait rendre visite à un ami étudiant dans la résidence du Jagannath Hall lors de son arrestation. Sa détention prolongée motivée uniquement, semble-t-il, par le fait qu'il se trouvait dans la résidence universitaire alors qu'il n'est pas étudiant, l'a privé des revenus de sa boutique de tailleur dont sa famille a cruellement besoin. Le 17 avril 1996, la Haute Cour a jugé sa détention illégale. Pankaj Basu a été libéré trois jours plus tard.

5. Recommandations

Amnesty International n'a cessé d'exposer ses motifs de préoccupation au gouvernement du Bangladesh face aux tortures et aux mauvais traitements infligés aux personnes détenues par les agents de la force publique. Le recours systématique à la torture et aux mauvais traitements, mais aussi à la détention arbitraire est apparu au début de l'année 1996, lorsque des troupes ont été déployées à travers le pays pour rechercher des armes illégales (cf. plus haut au point 2). La descente de police à la résidence universitaire du Jagannath Hall s'inscrit dans une série d'opérations de la force publique contre des civils non armés. Le 5 février 1996, l'armée a notamment attaqué le village de Syedpur, au sud de Dacca. Selon les informations reçues, les soldats ont mis le village à sac, frappant ses habitants et saccageant 22 maisons. Ils ont ensuite arrêté environ 400 jeunes hommes du village avant de les libérer quelques jours plus tard (cf. Bangladesh. La recherche de caches d'armes ne saurait justifier des violations des droits de l'homme, index AI : ASA 13/01/96).

Les recommandations d'Amnesty International relatives aux événements du Jagannath Hall entrent dans deux catégories : elles concernent, d'une part, la détention d'au moins 95 personnes interpellées en violation des normes internationales garantissant l'exercice pacifique du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, et, d'autre part, les tortures et les mauvais traitements infligés aux résidents du Jagannath Hall par les forces de police, en violation des normes internationales interdisant de tels sévices.

5.1 Abandon des charges motivées par des considérations politiques

Amnesty International considère que toutes les personnes arrêtées lors de la descente de police à la résidence du Jagannath Hall étaient des prisonniers d'opinion durant leur détention. L'organisation a pris acte de leur mise en liberté sous caution, mais elle reste préoccupée par les informations selon lesquelles les charges qui continuent de peser sur ces anciens détenus auraient des motifs politiques. Elle exhorte le gouvernement du Bangladesh à abandonner ces chefs d'inculpation et à ouvrir une enquête impartiale et indépendante afin de déterminer les raisons pour lesquelles la police a pris pour cible ce groupe d'étudiants.

5.2 Condamnation des actes de torture et des mauvais traitements infligés par les policiers et les paramilitaires

L'interdiction de la torture et des mauvais traitements, qui compte parmi les principes les plus fondamentaux du droit international, est énoncée dans de nombreux instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. On ne peut déroger à ce principe en aucune circonstance. L'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme prévoit que « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». La même interdiction figure à l'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Selon les termes de l'article 2 de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, « tout acte de torture ou tout autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant est un outrage à la dignité humaine et doit être condamné comme un reniement des buts de la Charte des Nations unies et comme une violation des droits de l'homme et des libertés fondamentales proclamés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme ». En outre, l'article 4 de cette même Déclaration requiert que « tout État, conformément aux dispositions de la présente déclaration [prenne] des mesures effectives pour empêcher que la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ne soient pratiqués dans sa juridiction ». Ces principes ont manifestement été violés lors du raid du 31 janvier 1996.

5.2.1 Traduction en justice des auteurs de violations des droits de l'homme

Amnesty International demande instamment au gouvernement du Bangladesh d'ouvrir une enquête impartiale, indépendante et exhaustive sur les actes de torture et les mauvais traitements infligés aux étudiants membres de minorités religieuses à la résidence universitaire du Jagannath Hall. Le mandat et les conclusions de la commission d'enquête devront être rendus publics dans les meilleurs délais. Les investigations auront pour objectif d'identifier tous les agents de la force publique impliqués dans des violations des droits fondamentaux lors de l'attaque du Jagannath Hall, afin de les déférer sans délai à la justice.

5.2.2 Respect de l'autorité de la loi

Il ne sera possible de mettre un terme à la torture et au mauvais traitement des personnes détenues par des représentants de la loi que si le gouvernement veille à ce que la police, l'armée et les forces paramilitaires se conforment rigoureusement au droit international relatif aux droits de l'homme. Amnesty International invite les plus hautes instances du Bangladesh à condamner publiquement la torture et les mauvais traitements infligés aux étudiants de la résidence du Jagannath Hall et à déclarer sans équivoque que de tels faits ne sauraient être tolérés à l'avenir.

5.2.3 Amélioration de la formation des policiers

Tous les représentants de la loi doivent recevoir une formation approfondie sur l'interdiction de la torture conformément aux normes internationales relatives aux droits de l'homme. Ils doivent en outre recevoir l'ordre de refuser d'obéir à toute instruction leur enjoignant de se livrer à des actes de torture ou d'infliger des mauvais traitements. Par ailleurs, il convient d'établir une hiérarchie de commandement bien définie au sein de la police, afin d'identifier les personnes chargées de surveiller les procédures de maintien de l'ordre et de prendre des sanctions contre les policiers qui ne les respectent pas.

5.2.4 Mise en conformité des garanties juridiques avec les normes internationales relatives à la torture

Amnesty International est préoccupée par le caractère apparemment contradictoire de certaines dispositions de la Constitution du Bangladesh en ce qui concerne l'interdiction de la torture. L'article 35-5 dispose :

« Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »

Cependant, l'article 35-6 semble contredire ce principe, approuvant la torture dans les faits :

« Aucune disposition des clauses 35-3 et 35-5 ne saurait affecter l'application d'aucune loi prescrivant un châtiment ou une procédure de jugement quelconque. »

Amnesty International exhorte le gouvernement du Bangladesh à mettre l'ensemble de la législation de ce pays en conformité avec le droit international relatif aux droits de l'homme. Il convient, en particulier, de lever l'ambiguïté concernant l'interdiction de la torture à l'article 35 de la Constitution.

5.2.5 Ratification des traités internationaux relatifs à la torture

Le gouvernement du Bangladesh n'a pris aucune mesure en vue de ratifier les principaux traités internationaux relatifs aux droits de l'homme. Amnesty International considère que la ratification de ces instruments traduit clairement la volonté d'un gouvernement de reconnaître que le concept des droits de l'homme transcende les frontières nationales. L'adhésion à ces instruments ne donne pas seulement une impulsion aux efforts nationaux pour mettre en œuvre ces principes, mais elle préserve également les importants acquis d'aujourd'hui des régressions de demain.

Amnesty International invite donc le gouvernement du Bangladesh à ratifier les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son Premier Protocole facultatif, ainsi que la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Comments:
La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Bangladesh : Beating and arbitrary detention of religious minority students. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - juillet 1996.

This is not a UNHCR publication. UNHCR is not responsible for, nor does it necessarily endorse, its content. Any views expressed are solely those of the author or publisher and do not necessarily reflect those of UNHCR, the United Nations or its Member States.