Détention Illimitée et Torture Systématique: Les Victimes Oubliées
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Date:
1 July 1996
Introduction
De flagrantes violations des droits de l'homme continuent d'être perpétrées en Égypte au nom de la "lutte contre le terrorisme". Des milliers de détenus politiques ont été emprisonnés sans inculpation ni jugement, certains durant six ans. Membres présumés et sympathisants de groupes islamistes armés sont toujours systématiquement torturés. Le président de la République continue de déférer de très nombreux civils devant des juridictions militaires dont la procédure est manifestement inéquitable, et qui ont prononcé 70 sentences capitales depuis trois ans et demi. Même si, selon la version des autorités égyptiennes, les homicides commis par les forces de sécurité l'ont été lors d'affrontements avec des membres de groupes armés, certains de ces homicides portent la marque des exécutions extrajudiciaires. Depuis le début 1992, les violences politiques opposant groupes islamistes armés et forces de sécurité ont coûté la vie à au moins 1 000 personnes ; si la plupart des victimes étaient des agents des forces de sécurité et des membres avérés ou présumés de groupes armés, des civils ont également été pris entre deux feux. Des groupes armés se sont par ailleurs rendus responsables de graves exactions. Des dizaines de civils, notamment des membres de la communauté copte et des touristes, ont été délibérément tués.
En mai 1996, le Comité des Nations unies contre la torture a publié un rapport résumant les différents étapes d'une enquête confidentielle menée depuis novembre 1991 ; le comité en arrivait à la conclusion que « les forces de sécurité égyptiennes, et plus particulièrement les services de renseignements, utilisent systématiquement la torture ; en effet, en dépit des dénégations du gouvernement, les allégations de torture présentées par des organisations non gouvernementales dignes de foi indiquent de façon concordante que les cas recensés dénotent un recours habituel, fréquent et délibéré à la torture dans, pour le moins, une très grande partie du pays ». En maintes occasions, Amnesty International et d'autres organisations de défense des droits de l'homme ont adressé au gouvernement égyptien des recommandations détaillées, l'invitant à prendre des mesures pour mettre un terme aux violations et pour instaurer un plus grand respect des droits de l'homme : ces recommandations sont restées sans écho.
Amnesty International reconnaît au gouvernement égyptien le droit de traduire en justice toute personne ayant commis une infraction prévue par la loi, mais il doit le faire dans le cadre des principes du droit, et dans le plein respect des libertés fondamentales. Or, il semblerait qu'en Égypte les principes du droit soient sacrifiés. Ainsi, le gouvernement ne cesse de recourir à la détention administrative illimitée ; ce faisant, il contrevient à ses propres obligations au regard des traités internationaux existants, notamment au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qu'il a ratifié en 1982, et ne tient même pas compte des quelques garanties prévues par les lois relatives à l'état d'urgence, en vigueur sans interruption depuis 1981. Alors que la torture des détenus politiques est monnaie courante, les responsables du gouvernement continuent à nier que le recours à la torture soit systématique. Ils ont déclaré à Amnesty International que si quelques cas isolés avaient pu se produire, cela ne revêtait aucun caractère institutionnel. Pourtant, l'Organisation a publié depuis 1981 de multiples rapports et adressé au gouvernement un certain nombre de communications directes faisant apparaître que l'usage de la torture à l'encontre des détenus politiques est systématique. Amnesty International a également présenté des rapports aux Nations unies au titre de l'article 20 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, convention ratifiée par l'Égypte en 1986.
Au cours des dix-huit derniers mois, le gouvernement égyptien notamment le ministre de l'Intérieur a fustigé les organisations internationales et locales de défense des droits de l'homme, les accusant de « défendre les droits des terroristes » ou de propager des informations erronées et politiquement tendancieuses à chaque fois que ces organisations publiaient un rapport abordant tel ou tel aspect de la situation des droits fondamentaux dans le pays. Le gouvernement continue de prétendre que les droits de l'homme sont respectés en Égypte et de rejeter les conclusions de ces organisations, les qualifiant de sans fondement.
Le présent rapport traite plus particulièrement de la détention administrative, de la torture et de la peine de mort, imputables au gouvernement égyptien, ainsi que des homicides et autres exactions commis par les groupes armés d'opposition. En matière de droits de l'homme, d'autres sujets préoccupent vivement Amnesty International, touchant notamment à l'iniquité des procès et aux exécutions extrajudiciaires probables, mais ces sujets ne sont pas abordés dans le rapport.
1. La détention administrative
En vertu de l'article 3 de la Loi relative à l'état d'urgence, des milliers de sympathisants et de membres avérés ou présumés de groupes islamistes interdits ont été placés en détention administrative sans inculpation ni jugement, pour certains durant six ans. Aux termes de cet article, le ministre de l'Intérieur est habilité à « arrêter et détenir toute personne suspecte ou toute personne qui menace l'ordre public ou la sécurité ». Toute personne arrêtée en vertu de cette disposition peut contester la légitimité de sa détention trente jours après que l'ordonnance de placement en détention a été décernée. La requête est transmise à la Cour suprême de sûreté de l'État (instaurée par législation d'exception), laquelle doit rendre une décision motivée dans les quinze jours suivant l'introduction de la requête, après avoir procédé à l'audition du détenu. Si la cour décide de libérer le détenu, le ministre de l'Intérieur bénéficie d'un délai de quinze jours pour contester cette décision. Si le ministre s'oppose à la décision, l'affaire est renvoyée dans les quinze jours devant une juridiction équivalente, laquelle dispose alors de quinze jours à partir du renvoi pour statuer. Si cette seconde juridiction ordonne la libération du détenu, la décision doit être appliquée. Si elle se prononce pour le maintien en détention, le détenu est autorisé à présenter une nouvelle requête au bout de trente jours [1]
Dans la réalité, cependant, lorsqu'une seconde cour ordonne la libération d'un détenu, celui-ci est, la plupart du temps, transféré secrètement par des agents de la Sûreté vers un poste de police local, ou bien vers les locaux des Firaq Al Amn (brigades de sécurité), du siège du Service de renseignements de la sûreté de l'État, au Caire, ou de l'une des sections de ce service disséminées dans tout le pays. Le détenu y reste quelques jours, le temps de faire l'objet d'une nouvelle ordonnance de placement en détention, puis il est ramené en prison. Certains détenus inculpés et jugés par des cours de sûreté de l'État ou des tribunaux militaires ont été acquittés. Pourtant, loin d'être libérés à l'issue du prononcé du verdict, ils se sont vu décerner une nouvelle ordonnance de placement en détention avant d'être incarcérés illégalement dans diverses prisons. Cela n'empêche pas le gouvernement de continuer à nier que des personnes soient détenues illégalement. Il a ainsi déclaré en 1993 à Amnesty International : « Toute personne dont la requête a été retenue et que le tribunal a décidé de libérer a été remise en liberté ; toutefois, si la personne a immédiatement repris ses activités terroristes après avoir été libérée, de nouvelles mesures de sécurité doivent être adoptées (en rapport avec les activités menées par cette personne à la suite de sa libération). »Amnesty International a, à maintes reprises, rappelé au gouvernement égyptien les obligations qui sont les siennes au regard des traités internationaux, attirant son attention sur le fait que les détenus doivent être présentés sans délai devant une autorité judiciaire, ainsi que le prévoit l'article 9-4 du PIDCP, lequel dispose que « quiconque se trouve privé de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ».
Le principe 11.1 de l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement (ci-après dénommé Ensemble de principes) dispose également qu'« une personne ne sera pas maintenue en détention sans avoir la possibilité effective de se faire entendre sans délai par une autorité judiciaire ou autre ». Par ailleurs, des milliers de détenus politiques se sont vu refuser le droit élémentaire de recevoir la visite de leur avocat ou des membres de leur famille. Les prisonniers incarcérés dans la prison de haute sécurité de Tora (couramment appelée la prison du scorpion), dans le centre pénitentiaire de Tora et dans la prison d'El-Fayyoum, une nouvelle prison ouverte en mai 1995, n'ont eu de contact ni avec leur avocat ni avec leur famille depuis, respectivement, décembre 1993, septembre 1994 et mai 1995, les visites dans ces prisons ayant été interdites par le ministre de l'Intérieur. Une telle interdiction bafoue totalement les normes internationales en matière de droits de l'homme. En effet, le principe 15 de l'Ensemble de principes dispose que « la communication de la personne détenue ou emprisonnée avec le monde extérieur, et en particulier avec sa famille ou son conseil, ne peut être refusée pendant plus de quelques jours ». Cette interdiction viole également la législation égyptienne, puisque les articles 38, 39 et 40 du Règlement des prisons garantissent au détenu le droit de recevoir la visite de son avocat et de sa famille.
Les cas suivants illustrent le système de la détention administrative tel qu'il est pratiqué en Égypte. Il ne s'agit là que de quelques exemples, représentatifs du sort de plusieurs milliers d'autres personnes.
Muawwadh Mohammad Youssef Gawda, avocat de trente-quatre ans, marié et père de deux enfants, a été arrêté au Caire le 18 mai 1991. Il aurait été battu à son domicile par des agents de la sûreté avant d'être emmené au siège du Service de renseignements de la sûreté de l'État, place Lazoghli, où il aurait été torturé pendant son interrogatoire. Il aurait, entre autres tortures, reçu des décharges électriques sur différentes parties du corps. Il a ensuite été transféré au centre pénitentiaire de Tora. Une requête (n° 3778/année 1991) a été introduite en son nom par sa femme devant la Cour suprême de sécurité de l'État (instaurée par législation d'exception). Le 17 juin 1991, la cour a ordonné qu'il soit libéré, mais le ministre de l'Intérieur s'y est opposé le 29 juin de la même année. Le 7 juillet 1991, un second tribunal s'est prononcé en faveur de sa libération ; malgré cela, Muawwadh Mohammad Youssef Gawda aurait été conduit secrètement par des agents de la sûreté au siège de leur service, puis de nouveau torturé. Le 13 juillet 1991, il faisait l'objet d'une nouvelle ordonnance de placement en détention et était ramené au centre pénitentiaire de Tora. Son épouse a, une nouvelle fois, contesté la légitimité de cette détention (requête n° 5811/année 1991). Le 28 août 1991, un tribunal a ordonné sa libération, mais le ministre de l'Intérieur s'y est opposé le 9 septembre 1991. Un second tribunal a, le 15 septembre 1991, jugé cette opposition irrecevable, et de nouveau ordonné la relaxe du détenu. Puis la même procédure s'est une nouvelle fois répétée : le détenu a été interné durant quelques jours dans les locaux du Service de renseignements de la sûreté de l'État, avant d'être, sous le coup d'une nouvelle ordonnance de détention, reconduit en prison. À la date de mars 1996, il avait bénéficié de plus de 21 ordonnances de remise en liberté. Il est resté près de deux ans dans le centre pénitentiaire de Tora, au cours desquels il a de nombreuses fois été conduit place Lazoghli où il aurait, à chaque fois, été torturé. Il a ensuite été successivement transféré dans la prison d'al Marg, dans le pénitencier d'Abou Zaabal, dans la prison industrielle d'Abou Zaabal, dans la prison de haute sécurité, avant de retourner au centre pénitentiaire de Tora. En février 1995, il a été transféré à la prison d'al Wadi al Gadid puis, pendant l'été de cette année, reconduit au centre pénitentiaire de Tora où il est toujours incarcéré sans inculpation ni jugement.
Au moins 48 autres avocats ont fait l'objet d'une mesure de détention administrative. L'Organisation égyptienne des droits de l'homme (OEDH) et le Conseil de l'ordre des avocats ont fait campagne pour obtenir leur libération, mais en vain. Hassan al Gharbawi Shahata, trente-quatre ans, est l'un des plus anciens prisonniers frappés d'une mesure de détention administrative en Égypte. Arrêté le 11 janvier 1989, il a été inculpé dans le cadre de deux affaires liées à des troubles survenus à Aïn Shams, un quartier très peuplé du Caire. Cet homme a été jugé puis acquitté en mai 1990 ; pourtant, il est toujours en détention administrative, en dépit de nombreuses décisions de justice ordonnant sa libération. Actuellement incarcéré dans la prison d'al Wadi al Gadid, il souffrirait d'un mauvais état de santé. Amnesty International a de nombreuses fois évoqué le cas de cet homme devant les autorités égyptiennes. En 1993, le gouvernement a tenu les propos suivants : « [Hassan al Gharbawi Shahata] est un membre dirigeant d'une organisation terroriste secrète usant de la violence et du terrorisme pour atteindre des objectifs illégitimes. Nombre de ses tentatives visant à provoquer des dissensions sectaires et à mener des actions hostiles ont échoué. Il a été précédemment inculpé dans l'affaire n° 47/86 Sûreté suprême de l'État (troubles sur la place Abedine). Il a également été poursuivi dans l'affaire n° 2730 de 1989 infraction grave (quartier d'Aïn Shams). Il a été précédemment inculpé dans l'affaire n° 52/89 Sûreté suprême de l'État (tentative d'attentat à l'explosif contre un autobus). Il faisait partie des personnes interrogées dans le cadre des >investigations concernant l'affaire n° 2731 de 1989 infraction grave / Aïn Shams (troubles et actes de violence et de terrorisme dans le quartier d'Aïn Shams). Il est actuellement détenu (conformément à la Loi n° 162 de 1958) [2]2 en raison du danger qu'il représente du point de vue pénal et en tant que terroriste, qui donne ordres et directives à des éléments d'une organisation terroriste secrète afin qu'ils commettent des actions violentes et des actes de terrorisme. » Le gouvernement n'a toutefois pas reconnu le fait que cet homme avait été jugé et acquitté de toutes les charges pesant sur lui, et que son maintien en détention est illégal. En décembre 1993, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a conclu que la détention de Hassan al Gharbawi Shahata était arbitraire car elle contrevenait aux articles 9 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi qu'aux articles 9 et 14 du PIDCP.
Mohammad Sulayman Mohammad Ali, vingt-deux ans, était dans sa troisième et dernière année de lycée lorsqu'il a été arrêté, le 6 novembre 1993. Jusqu'en juillet 1995, il a fait l'objet de quatre ordonnances de remise en liberté (19 janvier 1994, 27 septembre 1994, 7 janvier 1995 et 26 février 1995), mais également de quatre nouvelles ordonnances de placement en détention (23 janvier 1994, 2 octobre 1994, 11 janvier 1995 et 4 mars 1995). Le 13 juillet 1995, Kamal Khaled, alors député de l'Assemblée du peuple (Parlement), a écrit au président de l'Assemblée ainsi qu'au ministre de l'Intérieur afin d'obtenir des éclaircissements sur les raisons du maintien en détention de Mohammad Sulayman Mohammad Ali ; il n'a toujours pas reçu de réponse. Mohammad Sulayman Mohammad Ali reste incarcéré sans inculpation ni jugement.
Mahmoud Moubarak Ahmad, un médecin célibataire de vingt-huit ans travaillant dans un hôpital de Kitkata, un village du gouvernorat de Sohag dans le sud du pays, a été arrêté le 24 janvier 1995 par des agents du Service de renseignements de la sûreté de l'État. Personne n'était au courant de son arrestation ni de l'endroit où il se trouvait jusqu'au 14 juillet 1995, date à laquelle sa famille a appris qu'il était détenu au centre pénitentiaire de Tora. Ses parents ont d'abord appris que Mahmoud Moubarak Ahmad avait été arrêté alors qu'il se rendait en voiture de Kitkata à Sohag, puis qu'il avait été détenu dans les locaux de la section du Service de renseignements de la sûreté de l'État de Sohag, et ensuite dans la prison de Sohag, avant d'être transféré vers le centre pénitentiaire de Tora. Il aurait été accusé d'appartenir à une organisation secrète ; pourtant, fin 1995, un tribunal a ordonné qu'il soit remis en liberté. Malgré cela, il a fait l'objet d'une nouvelle ordonnance de placement en détention et a été conduit à la prison d'al Wadi al Gadid, où il se trouve actuellement sans avoir été ni jugé ni même inculpé.
Mahmoud Khalifa Sayyid Nasr al Din, vingt-trois ans, employé d'une société, a été arrêté au domicile de ses parents dans le quartier d'Aïn Shams au Caire, le 2 novembre 1994. Il aurait été détenu dans un poste de police de al Mahda (au Caire) jusque vers la mi-décembre 1994, puis conduit au centre pénitentiaire de Tora. Les membres de sa famille sont restés sans nouvelles de lui jusqu'à ce qu'une personne détenue dans le même poste de police, et libérée par la suite, leur apprenne qu'il l'avait vu à cet endroit. Le 18 ou le 19 décembre 1994, sa mère et son frère, dans l'espoir de le voir, se sont rendus au poste de police avec un peu de nourriture, mais on leur a dit qu'il n'était pas là ; les policiers ont d'ailleurs nié l'avoir jamais placé en détention. La famille a ensuite appris d'un autre ami qu'il avait été transféré au centre pénitentiaire de Tora. En février 1995, il a été conduit à la prison d'al Wadi al Gadid, où il est toujours incarcéré sans inculpation ni jugement, en dépit du fait qu'un certain nombre de décisions de justice aient ordonné sa libération. Depuis février 1995, chaque nouvelle décision de remise en liberté a entraîné son transfert dans un poste de police de la ville d'al Kharga et une incarcération de quelques jours, avant le retour en prison sous le coup d'une nouvelle ordonnance de placement en détention. En juin 1995, son père s'est rendu à la prison d'al Wadi al Gadid pour le voir, mais au bout d'un voyage d'une douzaine d'heures, il s'est entendu dire par les autorités de la prison que sa carte d'identité était arrivée à expiration et qu'il ne pouvait en conséquence voir son fils. Le père est retourné au Caire sans avoir rencontré son fils. Par la suite, sa mère a pu lui rendre visite.
Abd al Hakim Fahmi Awwad Ammar Ismail, un étudiant de vingt-huit ans marié et père de deux enfants, a été arrêté début 1993 dans le cadre de l'affaire Talai a Fatah (l'Avant-garde de la conquête) [3] Cette affaire ayant été renvoyée devant une juridiction militaire à la suite d'un décret présidentiel, le procureur de la sûreté de l'État a transmis le dossier au procureur militaire, lequel a jugé, le 10 août 1993, qu'aucun élément ne pouvait être retenu contre Abd al Hakim Awwad Ammar Ismail, et ordonné en conséquence au ministère chargé des prisons de le faire libérer. Cet homme n'a pourtant jamais été remis en liberté. Il a été détenu sans inculpation ni jugement dans diverses prisons jusqu'au début 1995, époque à laquelle il a été transféré dans la prison d'al Wadi al Gadid où il se trouve toujours actuellement, sans avoir été jugé ni même inculpé.
Youssef Mohammad Salah, un homme d'affaires de trente-neuf ans, marié et père de sept enfants, a été interpellé le 17 mai 1995. Cet homme a la double nationalité américaine et égyptienne. Après avoir vécu une quinzaine d'années aux États-Unis, il est retourné en Égypte le 17 novembre 1994 avec sa femme, américaine, et leurs sept enfants. Le 17 mai 1995, des agents du Service de renseignements de la sûreté de l'État auraient fait irruption à son domicile, situé dans une petite ville proche d'Alexandrie. Youssef Mohammad Salah était absent à ce moment-là ; ayant entendu dire qu'on le cherchait, il serait revenu le jour même et se serait rendu dans les locaux de la section du Service de renseignements de la sûreté de l'État à Alexandrie. C'est là qu'il a été arrêté. Conduit au siège du service de renseignements, place Lazoghli, il y aurait été détenu durant deux semaines, avant d'être transféré vers la prison de Mazraat Tora. Il aurait été inculpé d'appartenance à une organisation illégale et de détention d'armes. Il a été maintenu en détention tout au long de l'enquête jusqu'au 17 novembre 1995, date à laquelle le procureur de la sûreté de l'État a ordonné sa libération. En dépit de cette décision, des agents du Service de renseignements de la sûreté de l'État l'ont conduit place Lazoghli, où il est resté dix-huit jours ; le ministre de l'Intérieur a alors délivré une nouvelle ordonnance de placement en détention, et Youssef Mohammad Salah a été reconduit à la prison de Mazraat Tora. Début 1996, deux nouvelles ordonnances de remise en liberté ont été décernées par des tribunaux ; toutefois, au lieu d'être libéré, cet homme a été une fois encore amené le 11 février au siège du Service de renseignements de la sûreté de l'État. Au bout d'environ six jours, il a été transféré dans la prison d'El Faiyyoum, où les visites sont interdites. Il est actuellement incarcéré sans avoir été jugé ni même inculpé.Les cas qui viennent d'être exposés ici, comme ceux de milliers d'autres personnes, montrent que le gouvernement égyptien approuve ce système de détention arbitraire illimitée. Ce faisant, il bafoue ouvertement les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme qu'il a ratifiés, ainsi que d'autres instruments internationaux, sapant de façon systématique l'indépendance de son propre appareil judiciaire. Une fois encore, Amnesty International exhorte le gouvernement à réviser et à amender les dispositions de la Loi relative à l'état d'urgence, qui ont aussi favorisé le recours systématique à la torture et soumis les décisions et les jugements des tribunaux à l'approbation du pouvoir exécutif. En 1993, le Comité des droits de l'homme et le Comité des Nations unies contre la torture ont conclu que l'état d'urgence constituait une entrave sérieuse à l'application du PIDCP d'une part, et à celle de la Convention contre la torture d'autre part.
2. La torture
La législation égyptienne, notamment l'article 42 de la Constitution et l'article 40 du Code de procédure pénale, interdit de torturer et de maltraiter les détenus. L'article 42 de la Constitution dispose également que les aveux obtenus sous la contrainte ne peuvent être retenus. En vertu de l'article 126 du Code pénal, tout fonctionnaire reconnu coupable d'avoir torturé ou ordonné de torturer un accusé dans le but de lui arracher des aveux sera condamné à une peine comprise en trois et 10 ans d'emprisonnement. Toutefois, en dépit des promesses du gouvernement de respecter les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme, qui interdisent la torture, et malgré l'existence de garanties constitutionnelles et législatives, la torture des détenus politiques continue d'être systématique, ce qui constitue une violation flagrante de la législation nationale comme du droit international.
Au fil des années, Amnesty International a publié de nombreux rapports concernant le recours systématique à la torture contre les détenus politiques en Égypte[4] La torture continue d'être infligée aux détenus placés au secret au siège du Service de renseignements de la sûreté de l'État, place Lazoghli au Caire, dans les locaux des sections de la Sûreté et des Firaq al Amn dans tout le pays, ainsi que dans les postes de police. Généralement, les suspects sont torturés immédiatement après leur arrestation, mais aussi quand ils sont transférés secrètement dans les lieux cités ci-dessus, après avoir fait l'objet d'une décision judiciaire de remise en liberté, et en attendant d'être reconduits en prison sous le coup d'une nouvelle ordonnance de placement en détention. Les méthodes les plus fréquemment décrites sont les décharges électriques, les coups, la suspension par les poignets ou les chevilles, les brûlures de cigarettes ainsi que diverses formes de tortures ou de mauvais traitements psychologiques, notamment menaces de viol ou de sévices sexuels sur la personne du détenu ou de parentes du détenu en présence de ce dernier. Amnesty International a reçu de nombreux rapports indiquant que tortures et mauvais traitements sont également pratiqués dans les prisons. Au cours des trois dernières années, un nombre croissant de prisonniers sont morts en détention, certains apparemment des suites de tortures ; pourtant, dans pratiquement tous les cas, le gouvernement a déclaré que leur mort était due à des causes naturelles.
Amnesty International se félicite de ce que récemment, dans trois affaires distinctes, les tribunaux aient décidé de ne pas retenir à titre de preuves des aveux qui avaient été obtenus sous la contrainte. Le 14 octobre 1995, la Cour suprême de sûreté de l'État (instaurée par législation d'exception) a rendu son verdict dans l'affaire connue sous le nom d'"affaire Tima" (n° 388 et n° 95 pour l'année 1993). Cinq membres présumés du Al Gamaa al Islamaya (Groupe islamiste) Bakhit Abd al Rahman Salem, Mohammad Fawzi Abd al Adhim, Mahmoud Mostafa Sulayman, al Sayyid Maqboul Fahmi et Ali Ahmad Ali Ahmad avaient été inculpés, entre autres charges, de « collusion criminelle », de l'assassinat d'un policier, de tentative d'assassinat sur la personne d'un soldat et de détention illégale d'armes. Les faits se sont produits entre le 9 et le 11 mars 1993 tout près de Tima, petite ville du gouvernorat de Sohag située au sud du Caire. Le tribunal a acquitté tous les accusés des charges retenues contre eux au motif que leurs aveux avaient été extorqués sous la contrainte (et en raison également de différents vices de procédure). Le tribunal s'est fondé sur des rapports médico-légaux faisant apparaître que les accusés souffraient de blessures correspondant aux tortures qu'ils affirmaient avoir subies. Le rapport établi pour le premier accusé, Bakhit Abd al Rahman Salem, fait état de contusions aux deux cuisses et aux deux jambes consécutives à des coups portés à l'aide d'un instrument tel qu'un bâton. En outre, le rapport mentionne également au niveau du pénis les traces d'une blessure ayant pu être causée par des décharges électriques.Le 14 décembre 1995, la Cour suprême de sûreté de l'État a rendu son verdict dans un autre dossier baptisé "Affaire Abou Tig". À cette occasion, cinq accusés, Abd al Rahman Farag Sayyid Morsi, Abd al Gayyid Ali Ahmad, Mohammad Ali Abd al Aal Ismail, Gafar Mahmoud Nasr et Amer Abd al Rahim Mahmoud Ali, ont été acquittés des chefs d'inculpation prononcés contre eux. Ils étaient poursuivis pour « collusion criminelle » et pour appartenance à une organisation interdite, Al Gamaa al Islamiya, qui « appelle à la suspension des dispositions constitutionnelles et à lutter contre l'unité nationale et la paix sociale». Ils étaient également accusés du meurtre, commis le 21 mai 1993, d'un policier dans un petit village du nom d'Abou Sami, près d'Abou Tig (gouvernorat d'Assiout), ainsi que de détention d'armes. Le tribunal a jugé, entre autres choses, que les aveux faits par les accusés lors de leur interrogatoire avaient été obtenus sous la contrainte, tant physique que psychologique.
Le même jour, le même tribunal a rendu son verdict dans une autre affaire, dite "affaire Ahnassia" (n° 1200, année 1994), dans laquelle étaient impliqués 13 membres présumés du Al Gamaa al Islamiya. Ces derniers avaient été arrêtés au cours de l'été 1994 après que deux agents de la Sûreté eurent été la cible, le 15 juin 1994, d'une tentative d'assassinat à Ahnassia, un bourg du gouvernorat de Beni Suef situé au sud du Caire. Leur procès s'est ouvert pendant l'été 1995. Tous ont été inculpés d'appartenance à une organisation interdite. Certains des accusés étaient soupçonnés de « collusion criminelle », et deux d'entre eux poursuivis pour tentative d'assassinat sur la personne de deux agents de la Sûreté. Le tribunal a acquitté 10 des accusés de toutes les charges retenues contre eux, et condamné les trois autres à des peines d'emprisonnement pour appartenance à une organisation interdite : l'un s'est vu infliger cinq ans de travaux forcés, et les deux autres trois ans d'emprisonnement chacun. Le tribunal a déclaré qu'il ne pouvait retenir les dépositions des témoins à charge, agents de la Sûreté pour la plupart, des dépositions qui apparaissaient émaillées de contradictions. Le tribunal a ajouté que les aveux faits par les accusés lors de leur interrogatoire avaient été arrachés sous la contrainte, une contrainte tant physique que psychologique. Tous les accusés ont affirmé avoir été torturés après leur arrestation. Gamal Amer Mohammad Ahmad, arrêté le 22 juin 1994 à Beni Suef, a ainsi déclaré le 26 octobre 1994, alors que le procureur de la sûreté de l'État examinait la légitimité de son placement en détention, qu'il avait été torturé juste après son arrestation. Son corps en porterait encore les séquelles. Il a été acquitté de toutes les charges retenues contre lui.
D'autres personnes arrêtées dans le cadre de la même affaire, mais qui n'ont pas été officiellement inculpées, ont également affirmé avoir été torturées. Elles se trouveraient toujours en détention sans inculpation ni jugement. Au nombre de ces personnes figure Ashraf Uwais Sulayman, vingt-six ans, qui a été interpellé le 9 juillet 1994. Le 10 septembre 1994, alors que le procureur de la sûreté de l'État examinait la légitimité de sa détention, il a déclaré qu'à la suite de son arrestation, il avait été conduit dans les locaux de la section de la Sûreté de Beni Suef. Avant de pénétrer dans le bâtiment, des agents de la Sûreté lui ont noué un bandeau sur les yeux et tordu les poignets dans le dos pour lui passer les menottes. Une fois à l'intérieur, il aurait été soumis à des décharges électriques notamment sur les mollets et derrière les oreilles alors qu'il était allongé sur le dos. Il aurait subi ce traitement à plusieurs reprises. Il a également reçu des coups de poing au visage, ainsi que des coups de pied qui lui auraient causé une blessure au genou gauche. Voici ce que le médecin expert auquel il a été présenté le 12 septembre 1994 a consigné dans son rapport : «L'examen de l'accusé, Ashraf Uwais Sulayman, a révélé la présence de deux blessures de nature traumatique au niveau du poignet gauche et à l'arrière du genou gauche. Ce type de blessure peut être la conséquence d'un traumatisme causé par n'importe quel instrument dur et contondant. Il est impossible de déterminer la date exacte de ces blessures, étant donné que toutes deux ont cicatrisé. Cela n'exclut pas que l'accusé ait pu être battu le jour dont la date figure dans les documents [correspondants] et dans la déclaration [le rapport] du ministère public. Quant aux affirmations de l'accusé citées dans la déclaration du ministère public et selon lesquelles l'accusé aurait été soumis à des décharges électriques, il ne peut être prouvé qu'elles sont vraies ou fausses du fait que le courant électrique ordinaire ne laisse pas trace de blessure. » Concernant certains des accusés de l'"affaire Ahnassia", Amnesty International a obtenu la copie des rapports établis par des médecins travaillant à la section de médecine légale du ministère de la Justice. Ces rapports officiels sont représentatifs des très nombreux cas dont l'Organisation a eu connaissance. Il n'est procédé à un examen médical que sur les détenus politiques dûment inculpés et interrogés par le ministère public.
Les personnes placées en détention administrative, et qui n'ont été ni jugées ni même inculpées, n'ont habituellement pas la possibilité de se plaindre de leur sort aux Services du procureur général. Bien souvent, les examens médicaux ont eu lieu longtemps après les actes de torture présumés, ce qui remet évidemment en cause leur utilité car, entre-temps, les traces physiques de torture ont pu s'atténuer ou disparaître. De plus, les méthodes de torture employées peuvent, comme c'est le cas pour les décharges électriques, ne laisser que peu, voire pas du tout de traces physiques. Les accusés acquittés dans le cadre des trois affaires judiciaires mentionnées plus haut seraient toujours en détention, pour la plupart dans la Prison de haute sécurité, les trois verdicts devant être encore ratifiés par le président de la République. En vertu de l'article 12 de la Loi relative à l'état d'urgence, les jugements rendus par ces juridictions ne sont pas exécutoires tant que le président ne les a pas ratifiés ; ce dernier, aux termes de l'article 13, peut décider d'annuler le jugement et ordonner qu'un nouveau procès ait lieu devant un tribunal de même compétence. Si, à l'issue de ce nouveau procès, le tribunal se prononce pour l'acquittement, ce second verdict doit également être ratifié par le président [5] Une telle procédure viole l'indépendance de la magistrature et ne respecte pas l'interdiction de la double incrimination pour un même fait [6] Il n'existe aucun recours judiciaire.
Le témoignage suivant est celui d'un ancien détenu interrogé en 1995 par des délégués d'Amnesty International ; il est parfaitement représentatif des centaines de témoignages de torture recueillis par l'Organisation depuis 1981. Cette personne a déclaré avoir été arrêtée le 27 avril 1995, vers 2 heures 30 du matin. Voici son récit : « [ ] J'étais en train de dormir lorsque j'ai entendu qu'on frappait à la porte d'entrée. Ma sur a ouvert la porte. De nombreux agents de la Sûreté ont alors pénétré dans la maison et ont commencé à perquisitionner. Ils sont montés à l'étage, où je me trouvais. Ils m'ont dit de les suivre, que cela ne prendrait que cinq minutes, et qu'ensuite je rentrerais chez moi. Je leur ai demandé s'ils avaient un mandat d'arrêt, et ils m'ont répondu que non. Ils ont mis la main sur un grand nombre de mes livres, ainsi que sur mon diplôme universitaire et sur mon passeport. Je suis descendu avec eux, et ils m'ont alors placé un bandeau sur les yeux. Nous sommes sortis de la maison, ils m'ont poussé à l'intérieur d'une voiture, et nous sommes partis [ ] La voiture s'est arrêtée, et l'on m'a conduit dans un bâtiment dont j'ai su plus tard qu'il s'agissait de Lazoghli [place Lazoghli, siège du Service de renseignements de la sûreté de l'État]. Deux personnes ont commencé à m'interroger. Elles m'ont mis les mains derrière le dos et m'ont passé les menottes, des menottes en fer très serrées [ ] Elles voulaient savoir à quelle mosquée j'allais, quels livres j'avais lus, qui je connaissais, etc. [ ] Puis on m'a ôté presque tous mes vêtements, et les coups ont commencé à pleuvoir. Ils m'ont aussi infligé des décharges électriques sur différentes parties du corps, notamment sur les organes génitaux [ ] Ils m'ont mis sur une table, et après avoir attaché mes bras à la porte, ils ont retiré la table. On m'a laissé ainsi suspendu derrière la porte durant une demi-heure environ. Au cours de mes premiers jours de détention à Lazoghli, c'est une torture que j'ai subie à de nombreuses reprises, généralement entre dix heures du matin et quatre heures de l'après-midi, mais parfois après dix heures du soir. J'étais au rez-de-chaussée, mais je pouvais entendre les gens qui criaient à l'étage [ ] On m'a retenu là pendant vingt-deux jours. Durant les deux premières semaines, ma famille ne savait pas où j'étais ; puis une personne appartenant au Syndicat des journalistes égyptiens est venue me voir. On m'a alors transféré vers la prison d'El Faiyyoum. Là, les gardiens m'ont battu plusieurs fois avec un bâton [ ] J'ai été libéré le 24 juin grâce aux efforts du Syndicat des journalistes égyptiens [ ] Je n'ai pas déposé plainte, de crainte qu'ils ne reviennent m'arrêter [ ]. » Les délégués d'Amnesty International ont relevé, sur l'épaule gauche et au niveau supérieur du bras gauche, plusieurs marques qui seraient dues aux tortures subies par cette personne.
Amnesty International engage depuis des années le gouvernement égyptien à faire cesser le recours à la torture, à ouvrir sans retard des enquêtes approfondies et impartiales sur toutes les allégations de torture, et à rendre publiques dans un délai raisonnable les méthodes et les conclusions de ces enquêtes. L'Organisation a régulièrement attiré l'attention des autorités sur leurs obligations au regard des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme qu'elles ont ratifiés. L'article 12 de la Convention contre la torture dispose que « tout État partie veille à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction».
Dans sa réponse au rapport d'Amnesty International publié en septembre 1994 [7]7, le gouvernement Égyptien déclarait : « Les allégations de torture, à supposer que certaines d'entre elles soient vraies, ne concernent que quelques cas isolés et exceptionnels qui ne relèvent d'aucune façon d'une politique systématique, laquelle serait contraire à notre législation, aux religions auxquelles nous croyons, à nos coutumes et à nos traditions. »
Toutefois, même lorsque le gouvernement a reconnu qu'il avait pu y avoir quelques cas isolés et exceptionnels de torture, il ne semble pas que des mesures de prévention aient été adoptées pour améliorer la situation.En mai 1996, après en être arrivé à la conclusion que la torture était véritablement utilisée de façon systématique en Égypte, le Comité contre la torture faisait observer avec inquiétude qu'« aucune enquête n'avait jamais été ouverte ni aucunes poursuites engagées contre des membres du Service de renseignements de la sûreté de l'État depuis l'entrée en vigueur de la Convention pour l'Égypte en juin 1987 ». Le comité priait instamment le gouvernement égyptien de « redoubler d'efforts afin d'empêcher que les forces de sécurité n'agissent comme un État dans l'État, car celles-ci semblent échapper au contrôle des autorités supérieures ». Il recommandait au gouvernement de mettre en place un « mécanisme d'investigation indépendant, composé de juges, d'avocats et de médecins, et chargé d'examiner minutieusement toutes les allégations de torture de façon que les tribunaux en soient rapidement saisis. Ce groupe indépendant devra également veiller à ce que les personnes privées de leur liberté puissent bénéficier des garanties contre la torture prévues par la législation égyptienne, notamment en ayant accès à tous les lieux où des allégations de torture ont été signalées, en alertant immédiatement les autorités compétentes dès que ces garanties ne sont pas pleinement respectées, et en soumettant des propositions aux autorités compétentes pour que ces garanties soient respectées partout où des personnes sont détenues ».
En outre, le comité invitait vivement le gouvernement à ouvrir une « enquête approfondie sur le comportement des forces de police afin d'établir si les nombreuses allégations d'actes de torture [étaient] ou non fondées, de traduire les auteurs de tels actes devant la justice, et de publier et transmettre à la police des instructions claires et précises visant à empêcher à l'avenir tout acte de torture ». L'Unité de défense des droits de l'homme créée en novembre 1993 au sein des Services du procureur général est chargée d'enquêter sur les cas de torture et autres violations des droits de l'homme qui lui sont signalés. Cependant, en dépit des centaines de plaintes déposées auprès de cette unité par des avocats agissant au nom de leurs clients, par l'Ordre des avocats et par les organisations locales de défense des droits de l'homme, notamment l'Organisation égyptienne des droits de l'homme (OEDH) et le Centre égyptien d'aide juridique pour la défense des droits de l'homme (CHRLA), aucune enquête rapide et impartiale n'a, semble-t-il, été menée. Pourtant, le gouvernement continue d'affirmer que toutes les accusations de torture donnent lieu à une enquête officielle.
À de nombreuses reprises, Amnesty International a demandé que lui soit transmise copie des rapports des enquêtes prétendument effectuées, mais elle n'a, jusqu'à ce jour, rien reçu. En octobre 1994, le gouvernement a déclaré à Amnesty International : « Le Niyaba [ministère public], notamment les Services techniques du procureur général [l'Unité de défense des droits de l'homme], n'est pas obligé de publier les conclusions des enquêtes auxquelles il procède. Toutefois, pour marquer sa coopération dans le domaine des droits de l'homme, le Niyaba, à travers ses Services techniques, a dans certains cas rendu publiques les conclusions de ses investigations. Cependant, le mauvais usage fait dans certains milieux de ces renseignements, ainsi que les tentatives de discréditer le Niyaba dans les médias tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, ont conduit le ministère public à n'informer que les personnes concernées par les conclusions des enquêtes une fois closes, conformément à la loi. » Les avocats qui ont déposé de nombreuses plaintes au nom de leurs clients auprès de l'Unité de défense des droits de l'homme ont cependant déclaré aux délégués d'Amnesty International que même eux ne sont pas tenus informés des conclusions des enquêtes. Peu d'éléments laissent à penser que les plaintes donnent véritablement lieu à des enquêtes dignes de ce nom.
Déjà plus de deux ans se sont écoulés depuis la mort, apparemment des suites de tortures, de l'avocat Mohammad Abd al Harith Madani [8] ; selon le gouvernement, l'enquête sur les circonstances de son décès serait toujours en cours. Amnesty International a, à de nombreuses reprises, évoqué le cas de cet homme avec les autorités égyptiennes. En octobre 1994, le gouvernement a déclaré : « Le rapport d'autopsie n'a toujours pas été publié et les Services du procureur général continuent leur enquête, dont les résultats seront annoncés une fois celle-ci close. » [9]
Amnesty International continuera à demander au gouvernement de publier les conclusions de l'enquête sur la mort de Mohammad Abd al Harith Madani. L'Organisation attire l'attention du gouvernement sur les dispositions des normes internationales : ainsi, l'article 17 des Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions (ONU, 1989), article qui s'applique aux cas de morts en détention résultant de tortures ou de mauvais traitements, exige qu'un rapport d'enquête détaillé, faisant notamment état des conclusions de l'enquête ainsi que « des procédures et méthodes utilisées pour apprécier les éléments de preuve », soit « rendu public immédiatement » après la fin de l'enquête.
3. La peine de mort
Alors que, conformément à l'article 6 du PIDCP, un certain nombre de pays ont pris le chemin de l'abolition de la peine de mort ou, à tout le moins, d'une réduction de son utilisation, on a assisté au cours de ces dernières années à une augmentation alarmante du recours à ce châtiment en Égypte. Dans les quatre premiers mois de 1996 seulement, Amnesty International a recensé 25 condamnations à mort prononcées tant par des juridictions civiles et militaires que par des cours de sûreté de l'État. Durant la même période, quatre personnes condamnées à mort au cours des années précédentes dans des affaires distinctes ont été exécutées.
Depuis octobre 1992, date à laquelle le président Moubarak a commencé de publier des décrets spéciaux imposant que les affaires civiles soient jugées par des tribunaux militaires, 70 personnes inculpées d'infractions « terroristes » ont été condamnées à mort dont 16 par contumace par ces tribunaux, et 48 exécutions ont eu lieu. Six personnes condamnées à la peine capitale le 13 janvier 1996 par la Cour suprême militaire ont vu leur sentence ratifiée par le président le 26 février ; leur exécution n'a toutefois pas encore eu lieu. Il n'existe aucune possibilité d'interjeter appel devant une juridiction supérieure des verdicts et des condamnations prononcés par les tribunaux militaires[10] Toute sentence capitale prononcée par une juridiction militaire est uniquement susceptible d'être soumise au Bureau militaire d'appel un organisme n'appartenant pas à l'appareil judiciaire et placé sous l'autorité directe du président , puis à la ratification du président. En fait, toutes les condamnations à mort qui ont été prononcées jusqu'à présent ont été confirmées par ce bureau ainsi que par le président.
De telles procédures sont bien loin d'être conformes aux normes internationales relatives à l'équité des procès, notamment à l'article 14-5 du PIDCP, qui dispose que « toute personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi ».Amnesty International n'a cessé de demander au gouvernement égyptien de mettre un terme à la pratique consistant à faire juger des civils devant des juridictions militaires. Par ailleurs, l'Organisation a maintes fois instamment prié le président Moubarak de commuer toutes les sentences capitales. Le gouvernement n'en continue pas moins d'affirmer que le fait de juger des civils devant des tribunaux militaires est conforme à l'équité, et que le président est habilité à décider le renvoi de dossiers pénaux devant des instances judiciaires militaires.
Par ailleurs, la peine de mort est très souvent prononcée pour des infractions de droit commun telles que le trafic ou la consommation de stupéfiants et l'homicide. Les condamnations à mort prononcées par des tribunaux pénaux sont soumises à l'approbation du Mufti, la plus haute autorité religieuse du pays, puis à la ratification du président de la République ou de son représentant. Selon le Code égyptien de procédure pénale (article 381), le Mufti doit faire connaître son avis dans les dix jours suivant la réception du dossier ; s'il ne répond pas dans le délai imparti, le verdict est définitif et le dossier transmis au président de la République, via le ministre de la Justice, pour ratification. La sentence sera exécutée si, dans les deux semaines à partir de la réception du dossier, aucune grâce n'a été accordée ni aucune modification apportée à la sentence, ainsi que le prévoit l'article 470 du Code de procédure pénale. Il ne peut être fait appel devant la Cour de cassation d'un jugement définitif prononcé par un tribunal pénal que s'il a été prouvé que la procédure durant le procès avait été entachée d'irrégularités.
Amnesty International est opposée à la peine de mort dans tous les cas, estimant qu'il s'agit du châtiment le plus cruel, le plus inhumain et le plus dégradant qui soit, ainsi qu'une violation du droit à la vie. L'Organisation ne cautionne d'aucune façon les infractions présumées commises par ceux qui ont été condamnés à mort, et elle reconnaît aux États le droit de déférer à la justice les auteurs de ces infractions. Il n'existe cependant aucune preuve que la peine de mort dissuade efficacement de commettre de telles infractions. Amnesty International s'inquiète de ce que la plupart des sentences capitales qui ont été prononcées, notamment par des tribunaux militaires, l'ont été à l'issue de procès iniques. Les normes internationales relatives aux droits de l'homme insistent sur la nécessité, dans les affaires où l'accusé est passible de la peine capitale, d'instituer des procédures judiciaires reposant sur la plus grande rigueur ainsi que des garanties extrêmement sûres. Le Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC) a souligné la nécessité de respecter ces droits chaque fois qu'une personne risque la peine de mort [11]
4. Assassinats et autres exactions imputés aux groupes armés d'opposition
Amnesty International est vivement préoccupée par le nombre croissant de civils qui sont pris pour cible par les groupe armés d'opposition. Au cours des dix-huit derniers mois, un grand nombre de civils, dont des membres de la communauté copte et des touristes, ont été délibérément assassinés, apparemment par ces groupes armés, et notamment par Al Gamaa al Islamiya. La plupart de ces homicides ont eu lieu en Haute-Égypte. Entre janvier et avril 1996, au moins 46 civils ont été tués de façon délibérée par des membres de groupes d'opposition armés.
Le 19 février 1996, à la veille de l'Id al Fitr (fin du ramadan), cinq civils ont été abattus dans un café du village d'al Aqal al Bahri, non loin de la ville d'al Badari, au sud d'Assiout, par trois tueurs soupçonnés d'appartenir au groupe Al Gamaa al Islamiya.Le 20 février 1996, trois hommes armés, soupçonnés d'être membres du groupe Al Gamaa al Islamiya, auraient attaqué une maison du village de Sahel Salim et tué deux frères appartenant à la communauté copte, Nabil Wasat Bashta, âgé de vingt-neuf ans, et Girgis, âgé de treize ans.
Le 24 février 1996, deux hommes armés, membres présumés d'Al Gamaa al Islamiya, ont ouvert le feu sur des civils qui se tenaient sur le pas de leur porte dans le village d'al Uthmaniya, près d'al Badari, dans le gouvernorat d'Assiout. Les tueurs ont fait huit victimes dont six chrétiens coptes : Magdi Sadeq Bakhit, vingt-deux ans, Zaki Tawfik Mounir, quarante-cinq ans, Boutros Nasif Rizq, trente-cinq ans, Kamil Fathi Bakhit, trente-huit ans, Aziz Boutros Sulayman, cinquante ans, Makin Saad Salem, quarante-cinq ans, Gami Shukri Nasir Abd al Rahman, quarante trois ans, et Khalaf Shukri Nasir Abd al Rahman, vingt-deux ans. Les deux assassins ont réussi à s'enfuir. Ces faits se sont produits dans une région connue sous le nom d'Izbat al Aqbat, où les chrétiens coptes sont majoritaires, et il semble bien que les victimes aient été visées en raison de leur religion.
Tôt dans la matinée du jeudi 18 avril 1996, 18 touristes grecs, dont 14 femmes, ont été délibérément tués devant un hotel du Caire par quatre hommes armés. Quinze autres personnes, dont neuf femmes et un ressortissant égyptien, auraient été blessés. Le groupe Al Gamma al Islamiya a revendiqué la responsabilité de ces assassinats, en précisant qu'il pensait que les touristes étaient des Israéliens, et qu'il avait agi à titre de représailles à la suite des attaques d'Israël au Sud-Liban. Les 18 touristes tués faisaient partie d'un groupe de quelque 150 vacanciers grecs qui, au moment de la fusillade, attendaient à l'intérieur et à l'extérieur de l'hotel Europa, à Giza, les cars qui devaient les emmener à Alexandrie. Le groupe, en vacances de Pâques, projetait de visiter certaines églises moyen-orientales et différents autres sites. Les quatre tueurs auraient surgi d'une fourgonnette et commencé à tirer sur les touristes.
Au bout de quelques minutes, ils seraient remontés à bord du véhicule avant de s'enfuir. Le jour même, Amnesty International a publié une déclaration condamnant avec force ces assassinats. Au cours de ces dernières années, les groupes armés d'opposition ont également eu recours aux menaces de mort. L'écrivain bien connu Nasr Hamed Abou Zeid continue d'être menacé de mort, menaces qui auraient été proférées le 21 juin 1995 par le groupe armé Djihad (Guerre sainte). Ces menaces ont fait suite à la décision d'une cour d'appel du Caire qui, le 14 juin 1995, a jugé que Nasr Hamed Abou Zeid devait se séparer de son épouse parce qu'il avait insulté la religion islamique à travers ses écrits, et parce qu'en tant que musulmane, sa femme ne pouvait continuer de vivre avec un "apostat". Le 29 juin 1995, Amnesty International a rendu publique une déclaration demandant que soient retirées les menaces de mort visant l'écrivain. Des membres d'Al Gamaa al Islamiya avait déjà revendiqué l'assassinat, en juin 1992, de Farag Foda, écrivain laïque renommé, un acte condamné par l'Organisation, ainsi que la tentative d'assassinat perpétrée en octobre 1994 sur la personne du plus connu des romanciers égyptiens, le prix Nobel Naguib Mahfouz, pris pour cible en raison de ses écrits.Amnesty International n'a cessé de dénoncer les homicides délibérés commis sur la personne de civils par les groupes armés d'opposition, et elle continue à demander qu'il y soit mis un terme. Il s'agit là d'exactions qu'aucune circonstance ne saurait justifier.
5. La réponse du gouvernement
Amnesty International a régulièrement fait part au gouvernement égyptien de ses préoccupations concernant la situation des droits de l'homme dans ce pays, que ce soit à l'occasion d'entretiens directs avec des représentants officiels ou par le biais de communications écrites ; pourtant, aucune mesure pratique n'a été prise pour améliorer cette situation. Au cours des deux dernières années, de nombreuses communications ont été adressées au gouvernement concernant certains cas spécifiques de violations des droits fondamentaux, mais la plupart de ces communications sont restées sans réponse. Les autorités égyptiennes ont toutefois répondu aux rapports d'Amnesty International qui ont été publiés et portés à la connaissance du grand public. Ainsi, en octobre 1995, dans une réponse à un rapport intitulé Égypte: Morts en détention (index AI : MDE 12/18/95) et publié le même mois, le gouvernement mettait en cause la véracité des renseignements de l'Organisation, concernant en particulier le nom des détenus morts dans la prison d'al Wadi al Gadid, précisant que certains des détenus mentionnés par Amnesty International étaient toujours en vie, tandis que d'autres n'avaient en fait jamais été incarcérés.
Le gouvernement faisait valoir que les noms cités par l'Organisation étaient incomplets, et qu'il aurait fallu les lui soumettre pour vérification. Dans sa réponse, il complétait donc ces noms qualifiés d'incomplets en affirmant que les personnes n'étaient pas mortes mais en ne fournissant aucune autre information. La prison d'al Wadi al Gadid abrite au moins deux mille prisonniers, et nombreux sont ceux dont le premier nom et le nom du milieu sont semblables ou similaires. En fait, certains ont les mêmes noms et prénoms. Pour l'instant, le gouvernement n'a toujours pas fourni aux organisations de défense des droits de l'homme, dont Amnesty International, de statistiques concernant les morts en détention. Dans sa réponse, il donnait quelques renseignements sur 14 détenus morts en détention, et qui étaient cités dans le rapport, mais se gardait de préciser les circonstances de leur décès ou le type de soins médicaux dont ces hommes avaient pu bénéficier. Il déclarait notamment : « Les soins médicaux sont prodigués par des médecins attachés à la prison d'al Wadi al Gadid, comme c'est le cas dans toutes les autres prisons égyptiennes. La prison est en outre dotée d'un hôpital parfaitement équipé. Conformément aux règlements relatifs aux prisons, la prison d'al Wadi al Gadid est sous le contrôle constant du pouvoir judiciaire. Le ministère public est chargé d'effectuer des inspections périodiques de la prison [ ]. » Ces propos sont en contradiction avec les conclusions d'Amnesty International et d'autres organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme, nationales ou internationales, qui dénoncent la torture et les mauvais traitements systématiquement infligés aux détenus et la médiocrité des conditions carcérales. L'Organisation reconnaît que le Règlement relatif aux prisons prévoie de nombreuses garanties pour les détenus, mais la réalité est tout autre : ainsi, des milliers de prisonniers et de détenus incarcérés dans les trois prisons citées précédemment continuent de se voir refuser tout contact avec leur avocat ou leur famille.Des délégués d'Amnesty International ont rencontré le directeur de l'Unité de défense des droits de l'homme au sein des Services du procureur général en juillet 1995, et le directeur de l'Unité de défense des droits de l'homme relevant du ministère des Affaires Étrangères en novembre 1995. Les discussions ont naturellement porté sur la question des droits de l'homme. Les délégués ont évoqué le cas des personnes mortes en détention. Il leur a été répondu que tous les cas de torture et de morts en détention faisaient l'objet d'une enquête, mais ils n'ont pu obtenir de détails quant aux méthodes employées et aux procédures suivies. Lors de la réunion de novembre, les délégués se sont une nouvelle fois entendu dire qu'Amnesty International aurait dû vérifier auprès des autorités le nom des personnes décédées. Leur demande de pouvoir visiter la prison dans un proche avenir s'est heurtée à une réponse négative. Les délégués de l'Organisation ont une fois encore soulevé le cas d'Abd al Harith Mohammad Madani, mais il leur a été déclaré que l'enquête était toujours en cours.
6. Recommandations
Amnesty International n'a cessé d'exhorter le gouvernement égyptien à agir de façon décisive pour mettre un terme aux violations des droits de l'homme, en adoptant les mesures nécessaires, législatives autant que concrètes, qui permettront une mise en uvre efficace de toutes les dispositions inscrites dans les divers traités internationaux relatifs aux droits de l'homme, notamment ceux déjà ratifiés par l'Égypte. Jusqu'à présent, toutefois, aucune mesure concrète n'a été prise pour faire cesser les violations.
L'Organisation appelle une nouvelle fois le gouvernement à :
ne plus recourir à la détention admnistrative ;
examiner et réviser les disposition de la Loi relative à l'état d'urgence concernant le contrôle juridictionnel de la détention, de manière que toute personne détenue sur ordre du ministre de l'Intérieur puisse être présentée devant un tribunal peu de temps après son arrestation, au cours des premières heures ou des premiers jours de sa détention. Aucun représentant de l'Exécutif ne devrait pouvoir passer outre à une décision du tribunal ordonnant la relaxe d'une personne illégalement détenue ;
libérer immédiatement toutes les personnes actuellement détenues au titre de Loi relative à l'état d'urgence, et qui ont fait l'objet d'une ordonnance de remise en liberté ;
ouvrir rapidement des enquêtes approfondies et impartiales sur tous les cas de torture qui ont été signalés ;
rendre publiques dans un délai raisonnable les méthodes et les conclusions de ces enquêtes ;
indemniser de manière équitable et appropriée les victimes de tortures, et favoriser leur réinsertion ;
veiller à ce que tous les membres des forces de sécurité et autres forces ayant torturé ou maltraité des détenus ou des prisonniers soient déférés à la justice ;
veiller à ce que les détenus soient traités avec humanité conformément aux normes internationales, et notamment à ce qu'ils aient accès à leur avocat et à leur famille ;
commuer toutes les condamnations à mort ;
faire en sorte que législation et pratique soient mises en pleine conformité avec les obligations internationales de l'Égypte vis-à-vis du PIDCP et de la Convention contre la torture.
Annexe
Voici la réponse que le gouvernement égyptien a adressée à Amnesty International, en octobre 1994, concernant l'avocat Abd al Harith Mohammad Madani, mort en avril 1994, apparemment après avoir été torturé.
Le 24 avril 1994, le Service des enquêtes pénales de la sûreté de l'État a rédigé un rapport d'enquête sur l'affaire n° 235/1994-Sûreté suprême de l'État, qui concerne une organisation terroriste dirigée par Talat Yassin Humam ; le rapport faisait apparaître qu'Abd al Harith Mohammad Ibrahim Madani, ainsi que 27 autres personnes, était membre de ladite organisation. Le rapport indiquait en outre, sur la base de renseignements détaillés et d'éléments précis de l'enquête, que la personne en question en était l'un des membres les plus importants, puisqu'elle était chargée de la coordination entre les militants et la direction, de la transmission des instructions et du contrôle de leur application. Le Service des enquêtes pénales de la sûreté de l'État a demandé l'autorisation d'arrêter les 28 membres de l'organisation et de perquisitionner leur domicile.
Le même jour, le Bureau du procureur de la sûreté de l'État a autorisé l'adoption de mesures judiciaires permettant l'arrestation et la fouille des 28 suspects, ainsi que la perquisition de leur domicile en vue de saisir tous explosifs, armes à feu détenues sans permis, munitions, documents imprimés ou écrits favorables à l'opposition ou tracts hostiles au gouvernement éventuellement en leur possession.
Conformément à la décision du Bureau du procureur, les policiers ayant reçu l'ordre d'arrêter l'avocat susmentionné se sont rendus à son cabinet, dans le quartier des Pyramides, vers vingt-trois heures le 26 avril 1994. Ils ont informé ce dernier de la décision du Parquet puis l'ont aussitôt accompagné à son premier domicile, dans le quartier des Pyramides de Talibiya (gouvernorat de Guizeh). La perquisition du domicile du suspect, conduite en la présence de ce dernier, a permis la découverte de papiers et documents relatifs à l'organisation, de tracts hostiles au gouvernement et de lettres échangées avec des membres emprisonnés de l'organisation.
À l'issue de la perquisition, l'avocat a accompagné les policiers vers son second domicile situé dans le quartier de Warra al Arab, à Guizeh, pour une deuxième perquisition ; en chemin, il a soudain éprouvé des difficultés à respirer. Il a immédiatement été transporté à l'hôpital Qasr al Aini ( Al Manyal al Jamii) ; la direction de l'hôpital a décidé de le garder pour lui administrer des soins.
Le 27 avril 1994, le Bureau du procureur de la sûreté de l'État a reçu un rapport l'informant de toutes les mesures mentionnées ci-dessus.
Au cours de la nuit, le Bureau du procureur de la sûreté de l'État a reçu un autre rapport émanant de l'hôpital Al Manyal al Jamii, l'informant du décès, survenu dans la soirée, du suspect susmentionné.
Un représentant du Bureau du procureur de la sûreté de l'État s'est immédiatement rendu sur les lieux pour examiner le cadavre, et il a chargé un médecin légiste de procéder à une autopsie afin de déterminer les causes de la mort.
Le médecin légiste a procédé à l'autopsie du cadavre dans l'après-midi du 28 avril [1994].
Le Parquet a ordonné l'ouverture d'une enquête, placée sous son autorité directe, et l'affaire a été inscrite au registre des Services techniques du procureur général sous le n° 11/1994.
Le rapport final d'autopsie n'a toujours pas été rendu public. Le Bureau du procureur général continue ses investigations, dont les conclusions seront annoncées une fois que l'enquête sera close.
[1] Pour de plus amples renseignements concernant le système de la détention administrative en Égypte, se reporter aux rapports d'Amnesty International intitulés : Égypte. État d'urgence : le droit et le fait (index AI : MDE 12/01/89), et Égypte. Les arrestations opérées par la police de sécurité sapent l'État de droit (index AI : MDE 12/01/92).
[2] Cette loi est la loi d'exception prévoyant la proclamation et la mise en uvre de l'état d'urgence.
[3] Talai al Fatah est un groupe dissident de Djihad (Guerre sainte), organisation islamiste interdite. Deux délégués d'Amnesty International ont assisté en septembre 1993 à certaines phases du procès de nombreux militants présumés de ce groupe. Pour de plus amples renseignements sur cette affaire et sur le procès, consulter le rapport de l'Organisation intitulé : Egypte. Des civils devant les tribunaux militaires, un catalogue de violations des droits de l'homme (index AI : MDE 12/16/93).
[4] Cf. notamment le rapport d'Amnesty International d'octobre 1991 intitulé : Égypte. Dix années de torture (index AI : MDE 12/18/91).
[5] Pour tout renseignement complémentaire concernant la position d'Amnesty International sur les procès ayant lieu devant les cours de sûreté de l'État, consulter le rapport de l'Organisation intitulé : Égypte. État d'urgence : le droit et le fait (index AI : MDE 12/01/89).
[6] L'article 14-7 du PIDCP dispose que : « Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays.»
[7] Égypte. Des défenseurs des droits de l'homme menacés (index AI : MDE 12/15/94).
[8] Arrêté le 26 avril 1994, cet homme est mort le lendemain. Les membres de sa famille n'ont appris la nouvelle que le 6 mai 1994, lorsqu'on leur a ordonné d'aller chercher le corps dans une morgue. Pour tout renseignement complémentaire, consulter le rapport d'Amnesty International intitulé Égypte. Des défenseurs des droits de l'homme menacés (index AI : MDE 12/15/94).
[9] La réponse complète du gouvernement concernant ce dossier figure à la fin du présent rapport.
[10] Pour tout renseignement complémentaire concernant l'iniquité des procès devant les tribunaux militaires, consulter le rapport d'Amnesty International intitulé Égypte. Violations des droits de l'homme liées aux procès de civils devant les tribunaux militaires (index AI : MDE 12/16/93).
[11] ECOSOC, rés. 1984/50 du 25 mai 1984. La garantie n° 5 inscrite dans les Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort dispose que « la peine capitale ne peut être exécutée qu'en vertu d'un jugement final rendu par un tribunal compétent après une procédure juridique offrant toutes les garanties possibles pour assurer un procès équitable, garanties égales au moins à celles énoncées à l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, y compris le droit de toute personne suspectée ou accusée d'un crime passible de la peine de mort de bénéficier d'une assistance judiciaire appropriée à tous les stades de la procédure ». La garantie n° 6 précise : « Toute personne condamnée à mort a le droit de faire appel à une juridiction supérieure et des mesures devraient être prises pour que ces appels soient obligatoires. »
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