Sous Contrôle Médical Constant - Les Professionnels de la Santé Face à la Torture et aux Mauvais Traitements en Israël et dans les Territoires Occupés

Les professionnels de la santé travaillant avec le Shin Bet (Service de sécurité intérieure), qui assure les interrogatoires des détenus palestiniens, font partie d'un système dans lequel les détenus sont torturés, maltraités, humiliés d'une façon telle que la pratique médicale en milieu carcéral entre en conflit avec l'éthique médicale. D'après Amnesty International, ce système ne pourrait pas fonctionner sans l'accord des professionnels de la santé chargés des soins à apporter aux détenus.

Les autorités israéliennes reconnaissent utiliser les méthodes d'interrogatoire qui sont décrites dans ce rapport : longues périodes de privation de sommeil alors que le détenu porte une cagoule et se trouve dans une position pénible et douloureuse, violentes secousses, menaces. Mais elles réfutent l'idée, à tort selon Amnesty International, que de tels traitements constituent une torture.

Amnesty International n'a eu connaissance d'aucun élément laissant penser que des médecins israéliens ou d'autres membres des professions de santé participent activement à des actes de torture ou à des mauvais traitements. Mais médecins et personnel soignant sont des témoins silencieux qui prennent part à un système qui prive l'être humain du droit à l'intégrité physique et mentale, intégrité que les professionnels de la santé sont tenus de respecter. Amnesty International estime que les membres des professions médicales doivent exposer et dénoncer les violations des droits de l'homme ; l'Organisation demande au gouvernement israélien et à l'Association médicale israélienne de faire en sorte que cessent la torture et les mauvais traitements, et que les membres des professions de santé ne soient pas amenés à se rendre complices d'un système qui a recours à la torture et aux mauvais traitements.

Ce texte résume un document intitulé : "Sous contrôle médical constant". Les professionnels de la Santé face à la torture et aux mauvais traitements en Israël et dans les Territoires occupés, diffusé par Amnesty International en août 1996. Pour de plus amples renseignements ou pour entreprendre une action, veuillez consulter le document intégral.Les professionnels de la santé travaillant avec le Shin Bet (Service de sécurité intérieure)[1], qui assure les interrogatoires des détenus palestiniens, font partie d'un système dans lequel les détenus sont torturés, maltraités, humiliés d'une façon telle que la pratique médicale en milieu carcéral entre en conflit avec l'éthique médicale. D'après Amnesty International, ce système ne pourrait pas fonctionner sans l'accord des professionnels de la santé chargés des soins à apporter aux détenus.

Les autorités israéliennes reconnaissent utiliser les méthodes d'interrogatoire qui sont décrites dans ce rapport : longues périodes de privation de sommeil alors que le détenu porte une cagoule et se trouve dans une position pénible et douloureuse, violentes secousses, menaces. Mais elles réfutent l'idée, à tort selon Amnesty International, que de tels traitements constituent une torture. Une telle position est intenable. En avril 1995, un détenu est mort d'une hémorragie sous-durale après que sa tête et son corps eurent été violemment secoués à douze reprises sur une période de douze heures. Un comité ministériel israélien a néanmoins décidé, en août 1995, que la pratique des secousses violentes pouvait se poursuivre pendant les interrogatoires.

Amnesty International n'a eu connaissance d'aucun élément laissant penser que des médecins israéliens ou d'autres membres des professions de santé participent activement à des actes de torture ou à des mauvais traitements. Mais médecins et auxiliaires médicaux sont des témoins silencieux qui prennent part à un système qui prive l'être humain du droit à l'intégrité physique et mentale, intégrité que les professionnels de la santé sont tenus de respecter.

Introduction : Le fondement légal de la torture

Depuis 1987, le recours à des pressions physiques et psychologiques contre les détenus palestiniens est accepté par le gouvernement israélien pour lequel il s'agit d'une arme nécessaire dans la lutte d'Israël contre la violence des groupes armés d'opposition.

La Commission Landau

Au cours des années 70 et 80, les Forces de défense d'Israël (Tsahal) et le Service de sécurité intérieure (Shin Bet) avaient largement recours à la torture des détenus palestiniens, mais ces organes, tout comme le gouvernement israélien, niaient ce fait. En 1987, deux scandales donnaient à penser que le Shin Bet faisait une déclaration mensongère en niant que les détenus étaient maltraités, ce qui conduisit à l'instauration d'une Commission d'enquête sur les méthodes du Shin Bet. La Commission, dirigée par Moshe Landau, ancien président de la Cour suprême, arriva à la conclusion que des pressions physiques étaient exercées contre les détenus et qu'il s'agissait d'une pratique acceptée par les membres du Shin Bet responsables des interrogatoires. La Commission accepta les arguments du personnel des services de sécurité et utilisa l'argument légal de "nécessité" pour permettre le recours à des pressions physiques et psychologiques contre les personnes accusées d'« activités terroristes hostiles »[2] Elle cita l'argument de la « bombe à retardement » : le recours à la véritable torture, disait le rapport de la Commission « pourrait être justifié pour découvrir une bombe sur le point d'exploser dans un bâtiment rempli de monde » (paragr. 3-15); le recours à la pression était considéré comme un « moindre mal ». Pour la Commission Landau toutefois, « les pressions ne doivent jamais atteindre le niveau des tortures ou des mauvais traitements ni porter gravement atteinte à l'honneur du suspect en le privant de sa dignité » (paragr. 3-16).

« Les moyens de pression devraient principalement prendre la forme de pressions psychologiques non violentes exercées lors d'un interrogatoire vigoureux et exhaustif, à l'aide de stratagèmes, y compris de tromperies. Toutefois, lorsque ces moyens n'atteignent pas leur but, des pressions physiques modérées ne peuvent être évitées. Les membres du Service de sécurité intérieure qui procèdent aux interrogatoires doivent être guidés par des limites claires en la matière, afin que soit prévenu l'usage excessif de pressions physiques exercées arbitrairement par la personne qui mène l'interrogatoire. » (paragr. 4-7)

Dans les faits, ces directives se sont traduites par une légalisation de certaines méthodes de torture. Les moyens de pression que la Commission estime acceptables sont décrits dans un « Code de directives pour les membres du Service de sécurité intérieure chargés des interrogatoires, qui définit, à la lumière des expériences passées, et de façon aussi précise que possible, les limites de ce qui est autorisé et les grandes lignes de ce qui est interdit. » (paragr. 4-8) Ces directives, secrètes, figurent dans la Partie II du rapport de la Commission Landau, qui n'a jamais été publiée. Lors d'une visite[3] en Israël et dans les Territoires occupés, en août 1995, le directeur du Service de médecine pénitentiaire a expliqué à la délégation médicale d'Amnesty International que les membres de la commission avaient demandé des conseils aux médecins lorsqu'ils établissaient les directives destinées à la partie du rapport gardée secrète. La participation de médecins à l'élaboration de directives autorisant des secousses violentes potentiellement mortelles, des privations de sommeil pendant des périodes prolongées, des positions assises ou debout dans des positions douloureuses pendant des périodes prolongées, l'isolement cellulaire, le port d'une cagoule, des privations sensorielles, toutes ces directives violeraient l'article 1 de la Déclaration de Tokyo (1975), dans lequel l'Association médicale mondiale stipule que :

« Le médecin ne devra jamais assister, participer ou admettre les actes de torture ou autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants quelles que soient la faute commise, l'accusation, les croyances ou motifs de la victime, dans toutes situations, ainsi qu'en cas de conflit civil ou armé. »

La Commission Landau recommandait ou avalisait différentes mesures destinées à assurer la surveillance extérieure du Shin Bet, notamment la création d'un Comité ministériel relevant du Premier ministre, qui se réunit normalement tous les trois mois. Il avait entre autres pour tâche de « revoir le code de mesures autorisées pour appliquer des pressions ». Depuis octobre 1994, date à laquelle 22 personnes ont été tuées dans un bus de Tel-Aviv lors d'un attentat-suicide perpétré par le Hamas[4] (groupe d'opposition armé palestinien), le Comité ministériel a donné aux responsables des interrogatoires du Shin Bet une « dispense exceptionnelle » pour utiliser une pression physique accrue.

Les lois

En 1995 et 1996, deux projets de lois ont été présentés qui auraient pu légaliser la torture en autorisant le recours à la pression pendant les interrogatoires et en accordant l'impunité aux membres du Shin Bet chargés des interrogatoires qui utilisent la force. Des protestations, tant nationales qu'internationales, ont sans doute contribué à persuader le gouvernement israélien de revenir sur sa position. La définition de la torture, dans le projet d'amendement ("Interdiction de la torture") à l'article 277 du Code pénal, reprend la définition qui figure dans la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

La proposition de Loi sur le Service de sécurité intérieure (1996) présentée en janvier, devait être la première loi à régir le Shin Bet. Ce projet de loi autorisait, à l'article 9-a, le recours à des pressions contre les personnes interrogées, dans certaines circonstances bien définies, « afin de prévenir tout danger pour la sûreté de l'État » et lorsqu'« il n'existe aucun autre moyen raisonnable de prévenir ledit danger ». L'article 9-b précisait que les méthodes qui pouvaient être utilisées par les membres du Service de sécurité intérieure chargés des interrogatoires ne devaient pas entraîner de « graves souffrances » ni être « cruelles ou inhumaines ». Une partie de l'article stipulant que les méthodes utilisées « ne doivent pas porter atteinte à la santé des personnes interrogées » introduit dans la loi le rôle que jouent les professionnels de la santé lorsqu'ils fournissent une supervision médicale qui permet au système de la torture de fonctionner en Israël et dans les Territoires occupés.

Parce qu'elle faisait l'objet de protestations, cette loi est restée dans les tiroirs jusqu'après les élections du 29 mai 1996. En février 1996, David Libaï, alors ministre de la Justice, déclarait aux délégués d'Amnesty International, et notamment au secrétaire général de l'Organisation, Pierre Sané, qu'il soumettrait le projet de loi à des facultés de droit ainsi qu'à des organisations de défense des droits de l'homme.

Professionnels de la santé et interrogatoires

« Les gens du Shabak [le Service de sécurité intérieure] sont maintenant très sensibilisés à la question de la santé des prisonniers et ils essaient de faire en sorte que chaque prisonnier soit bien traité. » [5]

Le système des interrogatoires de détenus en Israël semble conçu pour obtenir des informations ou des aveux sans causer de blessures visibles ou sans laisser de traces qui pourraient être attribuées à ces techniques.

Les médecins qui examinent les prisonniers avant et pendant les interrogatoires du Shin Bet sont habituellement membres du Service de médecine pénitentiaire. Les quartiers réservés à la détention et ceux destinés aux interrogatoires sont dans des bâtiments séparés, le quartier de détention relevant d'un service séparé (le service de la prison, Tsahal ou la police). Le médecin qui examine le détenu dans le quartier réservé à la détention peut par conséquent affirmer qu'il ne connaît pas les conditions d'interrogatoire de ce même détenu. Les détenus palestiniens se plaignent de ce que même lorsqu'ils présentent des ecchymoses, les médecins transmettent rarement, pour ne pas dire jamais, leur plainte aux autorités pénitentiaires, au Service de médecine pénitentiaire ou au Service des enquêtes de la police, qui relève du ministère de la Justice. Des membres du Service de médecine pénitentiaire ont déclaré aux délégués d'Amnesty International qu'ils avaient fait suivre des plaintes de torture et de mauvais traitements. Les cas qu'ils ont mentionnés ne portaient sur aucun détenu palestinien.

L'examen médical préliminaire

Dans les 24 heures qui suivent l'arrestation (ou au plus tard dans les 48 heures), le détenu est emmené à la visite médicale, qui est habituellement effectuée par un auxiliaire médical (hovesh en hébreu). En mai 1993, un « formulaire d'aptitude médicale » à l'usage des centres d'interrogatoires était rendu public par le journal Davar. Dans ce formulaire, il était demandé aux médecins de dire si un détenu serait à même de supporter l'isolement cellulaire, d'être attaché, de porter une cagoule et de rester debout pendant une période prolongée. De nombreuses personnes ayant protesté, notamment des professionnels de la santé et des groupes locaux de défense des droits de l'homme, l'Association médicale israélienne a donné l'ordre aux médecins de ne pas utiliser ce formulaire. Les autorités israéliennes ont alors laissé entendre que ce formulaire avait été une erreur[6]

Cela étant, le retrait de ce formulaire ne change en rien le fait que, dans la pratique, l'examen médical préliminaire sert à évaluer la capacité du détenu à supporter la torture. Des membres du Service de médecine pénitentiaire qui répondaient à des délégués d'Amnesty International en 1995 ont insisté sur le fait qu'ils ne donnaient jamais de conseils aux responsables des interrogatoires. L'un d'eux a précisé à Amnesty International :

« Le médecin doit examiner le patient, diagnostiquer sa maladie et faire des recommandations concernant le traitement. Nous ne nous occupons pas de l'enquête, nous n'en savons rien, ce n'est pas dans notre intérêt de savoir. Nous sommes extrêmement sensibilisés à cette question. Il est important que les services médicaux conservent un haut degré de moralité. »

Mais l'utilisation qui est faite de l'évaluation médicale de la santé du détenu apparaît de façon manifeste dans le traitement spécial réservé, pendant l'interrogatoire, aux détenus ayant des problèmes de santé. Ils sont quand même torturés, mais la torture est modifiée en fonction de l'état du suspect.

Musa Masharqeh, vingt-six ans, diplômé d'économie, a été examiné par un médecin de la prison de Ramallah trois heures après son arrestation, le 7 mars 1995. Cet homme étant asthmatique, on lui a donné de la Ventoline. Musa Masharqeh n'a pas eu la tête recouverte de sacs sales, en guise de cagoule, comme la plupart des détenus, mais on lui a mis des lunettes sombres de soudeur qui, comme une cagoule, désorientent le détenu. Ses mains ont été menottées devant plutôt que dans son dos, comme c'est habituellement le cas, pour qu'il puisse se servir de l'inhalateur de Ventoline. Dans son témoignage, il déclare avoir été soumis à une privation de sommeil prolongée : on lui permettait de dormir une ou deux heures toutes les 48 heures et pendant les week-ends ; on l'a maintenu de force dans des positions douloureuses (la "shabeh")[7], en général assis sur une petite chaise de jardin d'enfants ; il a été placé à l'isolement cellulaire et exposé au froid ; on lui a plusieurs fois fait subir de violentes secousses ; et il a été menacé de mort ou du viol de membres de sa famille. Pourtant, contrairement à la plupart des détenus, il déclare qu'on lui a donné de l'eau chaque fois qu'il en demandait.

Les visites médicales des prisonniers

« Farraj était sous contrôle médical constant...» Ministère de la Justice, dossier no 842.

Le détenu qui subit des interrogatoires reste détenu par le service de la prison, par Tsahal ou par la police, dans une aile séparée de la prison ou du centre de détention. C'est là, loin de des salles où il est torturé, que des médecins lui rendent visite. [8]

Les détenus que l'on a maintenus dans la position de la shabeh ont racontés qu'ils s'étaient sentis « paralysés », « comme si mon sang s'était glacé dans mes veines », « j'avais l'impression d'avoir les mains coupées ». La torture comporte une part de pression psychologique : on menace le détenu en lui disant qu'il sortira de l'interrogatoire paralysé, fou ou même mort (et lorsqu'on lui présente cette dernière possibilité, on lui donne le nom de ceux qui sont morts en détention). D'après les détenus, les visites des médecins ou des auxiliaires médicaux sont habituellement hâtives. Médecins et auxiliaires médicaux portent l'uniforme des officiels de la prison, et les médecins parlent rarement arabe. Toutes ces circonstances ne font qu'amplifier le sentiment d'isolement des détenus. [9]

Abd al Rahman Abd al Ahmar, arrêté le 15 février 1996 et interrogé pendant 40 jours au centre de détention de Moscobiyyeh, à Jérusalem, (également connu sous le nom d'"enclos russe") a déclaré sous serment avoir été soumis à de violentes secousses, les mains menottées dans le dos, puis avoir été forcé de s'asseoir sur une très petite chaise.

« Vous avez l'impression que votre estomac se déchire et que votre dos va craquer...Je me suis mis à vomir sur mes vêtements.

« Une fois, ils m'ont envoyé un médecin qui ne m'a jamais examiné. Il s'est contenté de me donner deux comprimés...Ceux qui m'interrogeaient me menaçaient constamment en me disant que j'aurais différentes maladies : « Tu t'en sortiras paralysé. Comme tu peux voir, on a commencé à faire ce qu'il faut pour ça. »

Khaled Farraj, étudiant à l'Université de Bir Zeit, a été arrêté le 12 mars 1995. il a déclaré qu'on l'avait privé de sommeil pendant une période prolongée alors qu'il subissait la shabeh, qu'on l'avait forcé à s'asseoir sur une chaise sans dossier alors qu'on le poussait constamment vers l'arrière (la "banane"), et qu'on l'avait obligé à s'accroupir sur ses orteils alors que des équipes qui se relayaient toutes les six heures l'interrogeaient.

« Je me suis mis à vomir à ce moment-là [après dix jours d'interrogatoire], mais ils ne m'ont pas emmené chez le médecin.

« J'ai perdu connaissance trois fois à Moscobiyyeh. Ils m'ont ranimé mais n'ont pas appelé le médecin. Une fois, je me suis évanoui et un policier [...] m'a jeté de l'eau et m'a pratiquement noyé. Ils m'ont emmené à la clinique et l'auxiliaire médical m'a aussi jeté de l'eau. Après, ils m'ont mis quelque chose sur le nez, pour me réveiller, et m'ont remis en position de shabeh. Je suis resté comme ça, j'étais mouillé, j'avais froid, jusqu'à dimanche [trois jours plus tard]. »

Dans sa réponse à des membres d'Amnesty International concernant l'interrogatoire de Khaled Farraj, le ministre de la Justice israélien a déclaré que, d'après les enquêteurs :

« Farraj était sous contrôle médical constant et sa santé a été jugée satisfaisante. » [10]

Pendant leur visite de 1995, les membres du groupe médical d'Amnesty International ont insisté auprès du Service de médecine pénitentiaire pour savoir si des auxiliaires médicaux allaient voir les détenus quand leur tête était recouverte de sacs. Ils ont refusé de répondre, même quand les délégués ont ajouté que ce fait – le port de sacs en guise de cagoule – était reconnu par le ministre de la Justice. Le chef du Service de médecine pénitentiaire, le docteur Ziegelbaum, a déclaré :

« Pour un médecin, le traitement du patient commence avec sa plainte. Lorsqu'un patient voit un médecin, il demande une aide médicale. Si les détenus se plaignent, le médecin l'inscrit dans le registre et fait un diagnostic. Le médecin est là pour l'aider et traiter sa maladie. Les médecins des prisons n'acceptent pas les directives de la Commission Landau. Les directives qui leur sont transmises viennent du ministère de la santé. Il n'y a pas deux façons de traiter les patients, il n'y en a qu'une. »

Les délégués d'Amnesty International ont insisté auprès des membres du Service de médecine pénitentiaire sur le fait qu'ils ne se soucient pas du traitement des détenus pendant les interrogatoires et qu'ils ne déposent pas de plainte pas en cas de mauvais traitements et de torture. Un médecin du service a alors répondu :

« Ce n'est pas son boulot [au médecin de la prison] d'enquêter sur ce que font les enquêteurs. Parfois, d'anciens prisonniers racontent leurs souvenirs.

Il arrive que des médecins donnent un traitement ou prescrivent une période de repos pour les détenus, avant la reprise de l'interrogatoire. Hani Muzher, étudiant à l'Université de Bir Zeit, a été arrêté le 13 juillet 1994 et conduit pour interrogatoire à la prison de Ramallah. Il déclare avoir été interrogé pendant une semaine et qu'il a été privé de sommeil tout en restant enchaîné dans des positions douloureuses. On lui a dit, en guise de menace, qu'il serait paralysé ou deviendrait fou. Après avoir trouvé un rasoir dans les toilettes, il s'est coupé le poignet pour ne plus aller aux interrogatoires. Son dossier médical confirme que, le 20 juillet, il a vu un médecin et lui a dit s'être coupé le poignet parce qu'il était fatigué. D'après son dossier médical, le médecin a déclaré que l'état physique de Hani Muzher était satisfaisant. Il recommandait que cet homme ne soit pas laissé seul dans sa cellule et qu'on l'autorise à se reposer une nuit. D'après Hani Muzher, on l'a reconduit à l'interrogatoire après lui avoir fait des points de suture.

Dans sa réponse aux membres d'Amnesty International, le ministère de la Justice ne reconnaît ni ne dément que cet homme a été privé de sommeil et placé dans des positions douloureuses, mais il déclare que d'après l'acte d'accusation « Muzher a été recruté début 1994 par la branche militaire du FPLP et a convenu de se livrer à des actes de terrorisme contre des cibles israéliennes [...] ; il est resté sous contrôle médical constant depuis le jour de son arrestation ». Le 22 février 1995, un tribunal militaire a déclaré Hani Muzher coupable d'appartenance au FPLP, de possession illégale d'armes à feu et de projet d'homicide. Il a été condamné à une peine de vingt-huit mois d'emprisonnement.

Un autre homme, Daher Muhammad Salah Abu Mayaleh, arrêté le 15 février 1996, a été détenu à la prison d'Ashkelon où, d'après ce qu'il a déclaré lors d'une audience de demande de mise en liberté, le 22 avril 1996, il a été violemment secoué et a perdu connaissance pendant cinq heures. Le personnel médical de la prison a fourni un dossier médical qui comprend un "certificat d'aptitude à la détention" daté du jour de son arrestation. Rien dans le dossier fourni par la prison ne montre que cet homme a perdu connaissance pendant cinq heures ; d'après les éléments transmis par le responsable de la clinique de la prison :

« Le 18 mars 1996, j'ai transmis aux responsables des interrogatoires du Service de sécurité intérieure un rapport médical disant que le détenu était dans un état normal. Recommandation : une heure de repos.

« Je suis allé dans l'aile où il se trouvait, je l'ai examiné. Il n'avait pas perdu connaissance, il était par terre, les yeux fermés et ne présentait aucun signe de blessure. Il était 15 h 15. Je lui ai fait respirer de l'ammoniaque. »

Daher Muhammad Salah Abu Mayaleh a ensuite été reconduit à l'interrogatoire. D'après son témoignage, les tortures ont continué pendant les 30 jours suivants : il a notamment été violemment secoué et privé de sommeil alors qu'il était assis sur un banc très bas.

Les détenus hospitalisés

Bien que le personnel médical des prisons déclare demander que les menottes soient retirées lorsque des détenus malades sont hospitalisés, des témoignages cohérents affirment que des détenus dans un état critique ont été menottés à leur lit d'hôpital, sans qu'aucune raison de sécurité ne justifie ce geste, et que des enquêteurs ont été autorisés à venir les interroger à l'hôpital.

La famille de Abd al Samad Harizat (voir plus loin) n'a été autorisée à voir cet homme qu'un jour avant sa mort ; il était dans le coma depuis plus de quarante heures et, d'après le dossier médical datant de la nuit de son admission, était déjà en état de mort cérébrale. Selon sa famille, il était attaché au lit par des menottes, à l'hôpital Hadassah de Jérusalem.

Dans un autre cas de coma résultant de secousses violentes pendant l'interrogatoire, Bassem Tamimi, né en 1967, arrêté le 9 novembre 1993, a reçu la visite d'un membre du Shin Bet deux jours après avoir repris connaissance à l'hôpital Hadassah.

« Le lendemain de mon réveil [...], l'avocat, Jawad Boulos, est venu me voir [...]. J'ai su par lui qu'on m'avait opéré pendant neuf heures et que j'avais perdu connaissance pendant cinq jours [...]. Le jour suivant, 17 novembre 1993, un capitaine est venu me voir. Je savais que c'était un capitaine à cause des trois feuilles de vigne [sur son uniforme]. Il a commencé à négocier avec moi. Il a dit que si je lui donnais des renseignements [...], il me libérerait immédiatement en respectant les conditions que j'avais posées. »

Ce même jour, Bassem Tamimi a été reconduit au centre de détention de Moscobiyyeh, où on a refusé de l'admettre à cause de son mauvais état de santé, et il a été transféré à l'hôpital de la prison de Ramleh. Il a été libéré sans inculpation le 6 décembre 1993.

Les faux rapports

Nader Qumsieh [11], arrêté le 3-4 mai 1993, déclare avoir été soumis à plusieurs séances de torture au centre de détention de Dhahiriyyah, entre les 7 et 11 mai. Il a dû rester agenouillé pendant de longues périodes, les mains attachées derrière le dos, et a été frappé au visage, au ventre et sur les testicules. Le 10 mai, ses testicules étaient très enflés et le 11, il a été conduit chez un médecin qui l'a examiné. Au cours du même après-midi, il a été envoyé à l'hôpital Soroka où son compte rendu d'hospitalisation indique un œdème du scrotum. Le dossier indique également que Nader Qumsieh « a été frappé au scrotum il y a deux jours ».

Une lettre manuscrite datée du 17 mai, adressée au commandant militaire de Dhahiriyyah, et peut-être envoyée à la demande du commandant, a été écrite par le même médecin qui avait fourni le dossier précédent :

« D'après les dires du patient, il est tombé dans un escalier deux jours avant de se rendre à la salle d'urgence. L'examen médical a montré un hématome dans la région du scrotum, qui correspond au traumatisme local subi deux à cinq jours avant l'examen à l'urgence. »

Nader Qumsieh a nié avoir jamais dit au médecin qu'il était tombé dans un escalier, et a déclaré n'avoir jamais emprunté aucun escalier au centre de détention de Dhahiriyyah. En outre, il est peu probable qu'une telle chute ait pu entraîner ce genre de blessure.

Surveillance humanitaire de l'extérieur

Le fait que les détenus palestiniens des Territoires occupés reçoivent des visites de représentants du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) devrait représenter une importante garantie contre les mauvais traitements. Aux termes de l'accord entre le gouvernement israélien et le CICR, ce dernier doit être immédiatement informé de la détention et doit rendre visite au détenu à partir du quatorzième jour suivant son arrestation. Le représentant du CICR peut faire traiter le détenu par un médecin du CICR, mais ne peut faire cesser un interrogatoire en cours.

Le témoignage d'un étudiant arrêté en juillet 1994, qui déclare avoir été battu et violemment secoué alors qu'il était enchaîné à une chaise basse et privé de sommeil, montre que torture et mauvais traitements continuent malgré les visites de médecins et de représentants du CICR :

« J'ai passé un mois à l'isolement cellulaire. Après trois semaines, j'ai vu quelqu'un du CICR et je lui ai dit que j'avais du sang dans mes urines et une horrible douleur aux reins. J'ai raconté comment on me traitait. Avant qu'un médecin vienne me voir, ceux qui m'interrogeaient m'ont dit que j'était un menteur et m'ont encore frappé, et l'auxiliaire médical m'a frappé, me donnant des gifles parce que j'avais demandé un médecin. Le médecin est venu et ensuite il est venu tous les jours pendant une semaine et m'a donné des comprimés. Mais ils ont quand même continué à m'interroger et m'ont pendu par les bras pendant une heure et demie...».

Une visite du CICR peut changer les choses pour un détenu, au moins à court terme, comme ce fut le cas pour Musa Masharqeh (bien que, d'après son témoignage, son interrogatoire ait continué pendant encore 47 jours).

« La représentante de la Croix-Rouge est venue me voir le sixième jour. Je lui ai raconté ce qui s'était passé. Trois jours après, ils m'ont moins interrogé. »

Le CICR a le droit d'effectuer un suivi des détenus et de leur rendre visite quand il le souhaite, c'est là un aspect fondamental de sa méthode de travail. Cette organisation travaille de façon strictement confidentielle et n'envoie ses conclusions qu'au gouvernement concerné. Pourtant à deux reprises, en 1991 et 1992, le CICR a été obligé de faire une déclaration publique au sujet du traitements des détenus en Israël. En 1991, il a demandé aux autorités israéliennes de « mettre en œuvre les recommandations qu'il avait déjà faites ». Dans un communiqué de presse du 21 mai 1992, une déclaration plus pressante demandait au gouvernement israélien de « faire immédiatement cesser les mauvais traitements infligés pendant les interrogatoires de détenus des Territoires occupés ».

Cette déclaration ajoutait :

« En vertu de son mandat, le CICR conduit depuis de nombreuses années des interviews privées avec des détenus en cours d'interrogatoire. Il est arrivé à la conclusion que pour obtenir des informations et des aveux des détenus, des moyens de pression physique et psychologique sont utilisés en violation de la Convention. » [12]

« Le CICR regrette profondément que les rapports à la fois nombreux et détaillés qu'il a soumis aux autorités israéliennes ainsi que ses représentations répétées à un haut niveau gouvernemental soient restés sans résultat. »

Le Comité contre la torture

En 1991, Israël a ratifié la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (la Convention contre la torture). L'article 2 de cette convention interdit toutes les formes de torture, quelles que soient les circonstances :

« Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse de l'état de guerre ou de menace de guerre, d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état d'exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture. »

Et l'article 16 interdit « d'autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture ».

En 1994, Israël a présenté son premier rapport, conformément à ses obligations aux termes de la Convention contre la torture. Dans son propre rapport, le Comité contre la torture déclarait que le Rapport de la Commission Landau, « qui permet "une pression physique modérée", est totalement inacceptable pour ce comité » [traduction non officielle]. Il ajoutait qu'il était gravement préoccupé par le grand nombre de cas bien établis de mauvais traitements en détention qui constituent des violations de la convention, notamment par plusieurs cas de décès[13]

Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a informé le gouvernement israélien, dans une lettre datée du 29 juin 1994, qu'il avait continué à recevoir des informations indiquant que des personnes détenues pour des raisons politiques dans les Territoires occupés étaient régulièrement soumises à différentes formes de torture et de traitements inhumains et dégradants.

Les violentes secousses

Le 22 avril 1995, un détenu, Abd al Samad Harizat, est tombé dans le coma quinze heures après son arrestation et est mort à l'hôpital trois jours plus tard sans avoir repris connaissance. Physicians for Human Rights, organisation basée à Boston qui regroupe des médecins défenseurs des droits de l'homme, a demandé au professeur Derrick Pounder, qui enseigne la médecine légale à l'Université de Dundee (Écosse), de suivre l'autopsie pour le compte de la famille. Le rapport du professeur Pounder sur sa participation à l'autopsie mentionne que Abd al Samad Harizat est mort d'une hémorragie sous-durale qui a dû être causée par de violentes secousses. Le rapport concluait :

« Une hémorragie de ce type se produit sous l'effet de mouvements brusques et violents de la tête pouvant entraîner une rupture des vaisseaux sanguins qui tapissent l'espace situé entre le cerveau et la surface intérieure du crâne. [...] le type de lésions observées à la partie supérieure du thorax et la présence d'une hémorragie sous-durale donnent à penser que les lésions résultent des violentes secousses infligées à cette personne. » [14]

L'enquête effectuée par la police a montré qu'entre 4h45 du matin et 16h10, heure à laquelle « il a perdu connaissance et l'enquête s'est terminée », Abd al Samad Harizat a été violemment secoué (tiltoul en hébreu) douze fois par au moins quatre agents chargés de l'interrogatoire : dix fois alors que les agents le tenaient pas les vêtements, deux fois alors qu'ils le tenaient par les épaules.

La lecture du rapport de police laisse supposer que, si les secousses violentes données en tenant le col sont autorisées par les directives de la Commission Landau, secouer violemment en tenant les épaules est interdit.

Immédiatement après avoir perdu connaissance, Abd al Samad Harizat a été vu par un auxiliaire médical, et non pas par un médecin, et il est resté inconscient pendant plus de deux heures avant d'être emmené à l'hôpital. [15]

Après la mort de cet homme, la torture et en particulier le recours à des secousses violentes comme forme de torture ont fait l'objet d'un débat public. Le 16 août 1995, le comité ministériel qui supervise le Shin Bet a déclaré que les secousses pouvaient continuer, mais uniquement après autorisation spéciale du chef du Shin Bet.

Le 11 janvier 1996, la Cour suprême a cassé l'injonction d'arrêter d'employer la force physique contre un prisonnier, Abd al Halim Belbaysi, qui après avoir été torturé, avait avoué avoir déposé des bombes. La cour a estimé qu'il pouvait détenir des informations supplémentaires sur des attentats visant des Israéliens. L'avocat de Abd al Halim Belbaysi, André Rosenthal, a protesté contre le recours à des secousses violentes qui avaient déjà entraîné la mort d'un détenu et a demandé l'interdiction de cette pratique. Sa requête a été refusée.

Début juin 1996, lors d'une audience disciplinaire du Shin Bet, il a été décidé que l'homme qui avait effectué l'interrogatoire de Abd al Samad Harizat avant sa mort devait recevoir un "avertissement" disciplinaire et il a été décidé à l'unanimité qu'il pouvait continuer à travailler.

L'action des professionnels de la santé contre la torture

L'Association médicale israélienne

Cette association a, par le passé, encouragé ses membres à prendre position contre la torture. En mai 1993, elle leur a demandé de ne pas utiliser le formulaire d'aptitude médicale. Toujours en 1993, à la demande du président de l'association, la Déclaration de Tokyo a été jointe au bulletin que reçoivent tous les membres de l'Association médicale israélienne. [16]

En 1996, en réponse à des lettres de membres d'Amnesty International exprimant leurs préoccupations quant au projet de loi qui semblait légaliser la torture, la présidente de l'association, qui dirige également son Comité d'éthique, écrivait :

« Notre organisation a fait tout ce qui est son pouvoir pour que les médecins israéliens ne participent pas, que ce soit directement ou indirectement, à des actes de torture ou à d'autres formes de mauvais traitements. »

Cela étant, l'action pour que les médecins chargés des détenus interrogés par le Shin Bet ne jouent aucun rôle dans la torture – que ce soit en la cautionnant ou en permettant, en toute connaissance de cause ou non, qu'elle se poursuive – cette action semble avoir été limitée. La délégation d'Amnesty International qui s'est rendue en Israël et dans les Territoires occupés en août 1995 a rencontré le président de l'Association médicale israélienne, son conseiller juridique et le président de son Comité d'éthique. Ils ont également rencontré le président de l'Association psychiatrique israélienne. Il leur a été dit que l'Association médicale israélienne n'avait aucun moyen de savoir si les médecins qui travaillent avec le Shin Bet sont membres de l'association, et que fort probablement la plupart sont de nouveaux immigrants originaires de l'ex-Union soviétique qui ne sont pas membres de l'association.

Selon le conseiller juridique, avoir un rôle actif dans cette question signifierait s'engager dans la politique ; les responsables de l'association estimaient que le meilleur moyen d'atteindre les médecins était de mener des actions d'éducation, d'écrire dans des revues médicales et de donner des cours d'éthique médicale, cours qui sont déjà donnés aux médecins des prisons. L'association déclarait ne pouvoir agir qu'en cas de plainte précise et qu'elle n'en avait reçu aucune. Les responsables ont déclaré n'avoir jamais auparavant vu la plainte soumise au Comité public contre la torture en Israël (CPTI). Les délégués d'Amnesty International ont soulevé le cas de la plainte soumise par le CPTI concernant Musa Masharqeh. Les responsables de l'association ont déclaré n'en avoir pas eu connaissance et se sont engagés à suivre ce dossier. Une lettre adressée par Amnesty International à l'Association médicale israélienne en août 1993 concernant le cas de Nader Qumsieh est restée sans réponse.

Pourquoi les médecins ne signalent-ils pas les actes de torture ?

Dans un document récent intitulé Médecine et droits de l'homme (Index AI : ACT 75/01/96), Amnesty International expliquait pourquoi les membres des professions médicales de différents pays ne recueillent pas d'informations sur les violations des droits de l'homme ni ne signalent ces actes. Parmi ces raisons : les pressions physiques et psychologiques, économiques ou juridiques, un manque de connaissance des questions d'éthique et un manque d'indépendance médicale. Pour ce qui est d'Israël, un mélange complexe de facteurs culturels, une identification avec les objectifs militaires, un sentiment d'insécurité, le fait que de nombreux médecins travaillant pour le système pénitentiaire sont des immigrés, ainsi que le message ambigu émanant à la fois des autorités et de la profession médicale, tous ces facteurs amènent les personnes concernées à penser qu'une intervention est de nature "politique" et ne relève pas des activités ou de la responsabilité légitimes du médecin de la prison.

Le travail des organisations non gouvernementales

De nombreuses ONG israéliennes et palestiniennes jouent un rôle actif dans la lutte contre la torture. Deux organisations particulièrement concernées par le rôle des médecins et autres membres des professions médicales dans les actes de torture sont Médecins pour les droits de l'homme (MDH. Anciennement Association des médecins israéliens et palestiniens pour les droits de l'homme) et le Comité public contre la torture en Israël (CPTI). La documentation sur la torture en Israël est trop vaste pour pouvoir être citée in extenso (actes de séminaires, études de cas, recherches, essentiellement attribuables à des ONG). La bibliographie figurant à la fin de ce document présente certains actes publiés à l'issue de colloques.

L'un des moyens de pression utilisés par ces organisations de défense des droits de l'homme a été d'aller jusqu'à la Cour suprême pour contester les lois relatives à la pratique de la torture et des mauvais traitements. Le CPTI, représenté par l'avocat Avigdor Feldman, a intenté des actions devant la Cour suprême contre les directives de la Commission Landau (1991) et a demandé que les directives secrètes régissant les pressions physiques et psychologiques soient rendues publiques (1993). Après le décès de Abd al Samad Harizat, Médecins pour les droits de l'homme et le Comité public contre la torture en Israël ont tenté d'obtenir une injonction contre la pratique des secousses et ont fait appel devant la Cour suprême pour que soient poursuivies les personnes censées être impliquées dans ce décès. Le CPTI a également engagé des poursuites contre les membres du Comité ministériel, pour avoir autorisé le recours à une « pression physique modérée ».

Conclusion

Jusqu'à présent, les actions de certains membres israéliens des professions médicales pour combattre la torture n'ont pas réussi à atteindre les médecins et auxiliaires médicaux chargés du soin des détenus interrogés par le Service de sécurité intérieure. Ces membres des professions médicales contreviennent aux normes internationales en fermant les yeux sur des pratiques qui constituent des actes de torture ou en les approuvant. Un système bureaucratique a été mis en place dont médecins et auxiliaires médicaux – qui préservent la santé et parfois la vie des détenus interrogés – représentent une partie indispensable. Sans la présence et le silence des médecins et auxiliaires, ce système ne pourrait continuer d'exister. Aucun médecin israélien (notamment aucun membre du Service de médecine pénitentiaire) n'a laissé entendre aux délégués d'Amnesty International rencontrés en 1995 que les pratiques décrites dans ce rapport et utilisées par les agents chargés des interrogatoires ne constituent pas des tortures. Les secousses violentes ont déjà entraîné la mort d'un détenu et on sait que d'autres détenus ont perdu connaissance à cause de ce traitement. Et pourtant, il reste autorisé.

Selon le principe 2 des Principes d'éthique médicale applicables au rôle du personnel de santé, en particulier des médecins, dans la protection des prisonniers et des détenus contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants :

« Il y a violation flagrante de l'éthique médicale et délit au regard des instruments internationaux applicables si des membres du personnel de santé, en particulier des médecins, se livrent, activement ou passivement, à des actes par lesquels ils se rendent coauteurs, complices ou instigateurs de tortures et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ou qui constituent une tentative de perpétration. »

En réponse à une question présentée à la Knesset (le Parlement) en 1992 sur la question de savoir si les médecins étaient informés du contenu de la partie secrète du Rapport Landau, le ministre de l'environnement de l'époque, Yossi Sarid, membre du Comité ministériel de surveillance du Shin Bet, avait déclaré :

« Le médecin n'est pas informé du contenu du rapport secret. L'examen est effectué conformément à la pratique médicale acceptée et ne tient pas compte des nécessités de l'interrogatoire. En principe, le médecin est habilité à limiter la durée ou les conditions de l'interrogatoire. » [17]

L'attitude du Service de médecine pénitentiaire est inacceptable. Les méthodes de torture du Service de sécurité intérieure, tout en étant officiellement confidentielles, ont fait l'objet d'un large débat public en Israël ; à ce titre, les médecins n'ont pas pu ne pas le remarquer. S'ils ne connaissent pas les conditions d'interrogatoire, les médecins ont le devoir de s'en informer puisqu'ils sont chargés des soins à apporter aux prisonniers. Sachant que les détenus sont exposés à des pratiques qui nuisent délibérément à leur bien-être physique et psychologique, les médecins ont le devoir moral de ne pas déclarer les détenus aptes à subir de nouveaux mauvais traitements ou de nouvelles tortures.

En continuant à prodiguer des soins qui permettent de renvoyer les victimes à la torture, sans rien faire pour mettre un terme à cette torture, les médecins israéliens et autres membres des professions médicales responsables des détenus palestiniens pendant les interrogatoires se sont laissés devenir – violant ainsi leur éthique professionnelle – un élément indispensable du système de torture.

Recommandations

Amnesty International fait les recommandations suivantes au gouvernement israélien et aux associations professionnelles israéliennes.

Gouvernement israélien

Les autorités israéliennes devraient immédiatement cesser d'avoir recours à la torture ou à une « pression physique modérée » lors des interrogatoires de détenus palestiniens.

Conformément à l'article 10 de la Convention contre la torture, tout le personnel médical travaillant dans des lieux de détention devrait recevoir « [un] enseignement et [une] information concernant l'interdiction de la torture ».

Tous les membres des professions médicales travaillant dans des lieux de détention devraient être informés de ce que leur premier devoir est d'assurer le bien-être des prisonniers qu'ils servent et qu'ils doivent toujours agir conformément à leur éthique professionnelle.

Associations professionnelles israéliennes

Les associations professionnelles israéliennes devraient tenter de faire en sorte que les membres des professions médicales travaillant dans des lieux de détention soient conscients de leurs responsabilités juridiques et éthiques. Les documents nécessaires devraient être fournis, le cas échéant, dans les langues étrangères concernées.

L'Association médicale israélienne devrait envisager de créer une commission d'enquête sur la situation des médecins et auxiliaires médicaux travaillant dans des lieux de détention, afin d'évaluer :

·        les pressions médicales et non médicales auxquelles ce personnel doit faire face ;

·        la qualité des installations destinées aux soins des prisonniers ;

·        le niveau d'indépendance médicale du personnel ;

·        le niveau de difficulté linguistique et autres difficultés de communication ;

·        les possibilités offertes au personnel médical pour chercher des conseils en matière d'éthique, ou pour faire part de leurs préoccupations professionnelles quant au traitement des prisonniers ;

·        tout autre facteur lié aux soins apportés aux détenus ayant des motivations politiques.

L'Association médicale israélienne devrait faire savoir à ses membres et au public que des techniques telles que la privation de sommeil pendant une période prolongée, les secousses violentes et une position douloureuse pendant une période prolongée constituent une torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, et qu'aucun membre d'une profession médicale ne devrait être placé dans une situation où il semblerait avaliser ces pratiques.

Bibliographie

Les livres, brochures et articles sur la torture en Israël étant très nombreux, cette bibliographie ne fait que survoler ce qui a été publié en anglais depuis 1987.

Les critiques d'ordre légal de la commission Landau sont parues dans Israeli Law Review [La Revue de droit israélien] (été 1989). En 1990, l'Association pour les droits civils en Israël et le CPTI ont organisé un colloque dont les actes ont été publiés sous le titre Moderate Physical Pressure: Interrogation Methodes in Israël [Pression physique modérée : méthodes d'interrogatoire en Israël] (Jérusalem, 1990). Les actes d'un colloque organisé en 1993 par le CPTI et le Personnel de la santé mentale pour l'avancement de la paix ont été publiés sous le titre Dilemmas of professional Ethics as a result of involvement of Doctors and psychologists in Interrogations andTorture [Problèmes d'éthique professionnelle dus à la participation des médecins et des psychologues à des interrogatoires et à des actes de torture]( Jérusalem, 1993). Des articles tirés de la "Conférence sur la lutte internationale contre la torture et le cas d'Israël", organisée par AIPPHR et le CPTI à Tel-Aviv en juin 1993, et qui a réuni 450 participants, ont été publiés en 1995 dans Torture: Human Rights, Medical Ethics and the Case of Israel [Torture : droits de l'homme, éthique médicale et le cas d'Israël], édité par Neve Gordon et Ruchama Marton avec l'aide de Jon Jay Neufeld, Londres, Zed Books et AIPPHR, 1995.

Parmi les documents publiés (en français) par Amnesty International sur la torture figurent Israël et Territoires occupés. Torture et mauvais traitements infligés aux prisonniers politiques (Index AI : MDE 15/03/94) et Israël et Territoires occupés. Droits de l'homme : une année d'espoirs déçus (Index AI : MDE 15/07/95). D'autres organisations de défense des droits de l'homme ont publié des documents, parmi lesquels : Torture and ill-treatment: Israel's Interrogation of Palestinians from the Occupied Territories [Torture et mauvais traitements : l'interrogatoire, par les Israéliens, des Palestiniens des Territoires occupés] Human Rights Watch/Moyen-Orient, Human Rights Watch, New York, 1994. The Interrogation of Palestinians During the Intifada: Ill-treatment, "Moderate Physical Pressure" or Torture [L'interrogatoire des Palestiniens pendant l'Intifada : mauvais traitements, "pression physique modérée" ou torture] B'Tselem, Jérusalem, 1991. The Interrogation of Palestinians During the Intifada [L'interrogatoire des Palestiniens pendant l'Intifada] B'Tselem, Jérusalem, 1992[18] Palestinians Victims of Torture Speak Out [Des Palestiniens victimes de torture racontent] Al Haq, Ramallah, 1993. Torture for Security: the Systematic Torture and ill-treatment of Palestinians in Israel [La torture pour la sécurité : torture et mauvais traitements systématiques des Palestiniens en Israël] Al Haq, Ramallah, 1995, s'appuie sur une étude de 708 personnes détenues entre 1987 et 1992, et précise quel pourcentage de détenus a subi différentes formes de tortures.

Août 1996

 



[1] Également connu sous le nom de Shabak.

[2] State of Israel : Commission of Inquiry into the methods of investigation of the General Security Service regarding Hostile Terrorist Activity. Report, Part One [État d'Israël : Commission d'enquête sur les méthodes d'investigation du Service de sécurité intérieure concernant les activités terroristes hostiles]. (Traduction anglaise fournie par les presses gouvernementales) Jérusalem, octobre 1987. La discussion principale autour de l'argument légal de "nécessité", qui autorise un moindre mal lorsque aucun autre choix ne permet d'éviter un mal plus grand, se trouve aux paragraphes 3-8 à 3-16 du rapport.

[3] Parmi les délégués se trouvaient deux membres du groupe médical danois d'Amnesty International, le professeur Gorm Wagner, qui enseigne la physiologie à l'Université de Copenhague, et le docteur Karin Helweg-Larsen, médecin légiste.

[4] Harakat Al Muqawama Al Islamiya, Mouvement de la résistance islamique. Amnesty International a lancé un appel au Hamas et à d'autres factions armées en Israël et dans les Territoires occupés pour que cessent les attentats-suicides et autres formes d'attaques dans lesquels des civils sont tués.

[5] Déclaration faite à la délégation médicale d'Amnesty International, en août 1995, par le directeur du Service de médecine pénitentiaire.

[6] D'après une lettre d'Itzhak Rabin, alors Premier ministre, adressée à la présidente de l'Association médicale israélienne, Miriam Zangen, « les formulaires ont été établis par souci pour la santé [des prisonniers] ». Mais un formulaire a « accidentellement été distribué au directeur de la prison de Tulkarm, qui l'a utilisé ». (Cité dans Human Rights Watch/Middle East. Torture and ill-treatment : Israel's Interrogation of Palestinians from the Occupied Territories [Torture et mauvais traitements : interrogatoires, par Israël, des Palestiniens des Territoires occupés] NewYork, 1994.

[7] La shabeh, parfois traduite par "position douloureuse", est utilisée par les détenus pour décrire le maintien du prisonnier dans des positions abusivement pénibles, que ce soit assis ou debout. Les détenus peuvent être forcés de s'asseoir sur des chaises d'enfant très basses, parfois dépourvues de dossier, ou dont les pieds de devant sont plus courts que ceux de derrière. Ils ont les jambes repliées sous la chaise, et leur tête recouverte d'une cagoule tombe vers l'avant. On peut aussi les attacher à un tuyau et les forcer à rester debout, parfois sur la pointe des pieds ou les bras tirés en l'air vers l'arrière pendant des périodes prolongées. Les variantes de la shabeh sont nombreuses et comprennent la "grenouille" (le détenu est accroupi comme une grenouille) et la "banane" ( le détenu est assis, sa tête courbée vers l'arrière en direction du sol). Les détenus déclarent que pendant la shabeh, des gardiens les tiennent éveillés en les secouant ou en les poussant.

[8] Mais selon certaines sources, des auxiliaires médicaux voient les détenus pendant les interrogatoires quand, par exemple, ils subissent encore la shabeh. En août 1995, le Service de médecine pénitentiaire a expliqué à des délégués d'Amnesty International que des auxiliaires médicaux se rendaient dans le quartier des interrogatoires quatre fois par jour tous les jours.

[9] Le Service de médecine pénitentiaire a déclaré aux délégués d'Amnesty International que les auxiliaires médicaux, qui parlent habituellement un peu arabe, servent de traducteurs entre médecins et détenus palestiniens qui ne comprennent pas l'hébreu.

[10] Le dossier du ministère de la Justice indique que Khaled Farraj n'était pas allé rencontrer l'enquêteur nommé pour examiner sa plainte. Khaled Farraj a déclaré avoir été empêché à trois reprises de se rendre au Service des enquêtes de la police, au ministère de la Justice, parce qu'Israël avait fermé la frontière ; dans un tel cas, les Palestiniens de Ramallah ne sont pas autorisés à entrer dans Jérusalem, à 13 kilomètres de là.

[11] Voir Israel and the Occupied Territories. Doctors and interrogation practices : the case of Nader Qumsieh (Index AI : MDE 15/09/93) [Israël et Territoires occupés. Médecins et méthodes d'interrogatoires : le cas de Nader Qumsieh].

[12] Il s'agit de la Quatrième Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, à laquelle Israël est partie depuis 1991. Les autorités israéliennes ont toujours affirmé que cette convention ne s'applique pas à la Cisjordanie et à la bande de Gaza, bien qu'elles aient aussi toujours déclaré qu'Israël respecterait, dans les faits, ses "dispositions humanitaires", sans préciser clairement de quelles dispositions il s'agit. Le CICR et les Nations unies ont toujours affirmé que cette convention s'applique entièrement aux Territoires occupés.

[13] Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 39/46 du 10 décembre 1984. Le rapport israélien est publié dans Rapports initiaux des États parties dus en 1992 ; addendum : Israël (CAT/C/16/Add.4, 4 février 1994). Les commentaires du Comité figurent dans CAT/C/XII/CRP.1/Add.5, 28 avril 1994.

[14] Voir Israël et Territoires occupés. Décès consécutif à des secousses violentes : le cas d'Abd al Samad Harizat (Index AI : MDE 15/23/95). Israël and the Occupied territories : Shaking as a form of torture. Death in custody of Abd al-Samad Harizat, rapport médico-légal PHR, Boston, octobre 195 [Israël et Territoires occupés : les secousses violentes comme forme de torture, mort en détention d'Abd al Samad Harizat].

[15] Un autre détenu, Bassem al Tamimi, a perdu connaissance après avoir été violemment secoué plusieurs fois par le col de sa chemise. Il a repris connaissance au bout de six jours après avoir subi une opération de neuf heures destinée à évacuer un hématome sous-dural. Le gouvernement israélien a déclaré que des hématomes de ce type peuvent se produire à la suite de blessures sans gravité, que des hématomes préexistants peuvent se trouver aggravés et qu'il n'est pas toujours possible de déterminer la cause d'un tel hématome.

[16] Bulletin du comité central de l'Association médicale israélienne, Tel-Aviv, mai 1993, p. 9.

[17] La "nouvelle procédure" dans les interrogatoires du Service de sécurité intérieure : le cas de Abd a Nasser Ubeid, B'Tselem, Jérusalem, novembre 1993. Le membre du Parlement qui a posé la question était Naomi Hazan, du Meretz (alliance de partis de gauche).

[18] Ces rapports ont été complétés par un certain nombre d'articles publiés par B'Tselem.

Comments:
La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre "Under constant medical supervision": Torture, ill-treatment and health professionals in Israel and the Occupied Territories. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - août 1996.

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