Introduction

« En Algérie, les gens sont massacrés sans aucune raison [...] Certains sont tués parce que leur nom figure sur une liste, d'autres parce qu'ils ont été omis sur une autre liste [...] Le gouvernement et les islamistes tuent des innocents [...] Les Algériens souffrent et meurent en silence [...] La communauté internationale est jusqu'à présent restée indifférente à ce qui se passe en Algérie[1] [...] »

Plus de 50 000 personnes auraient été tuées au cours des cinq dernières années. Nombre d'entre elles ont trouvé la mort à la suite d'affrontements armés entre les forces de sécurité et les groupes armés d'opposition. Plusieurs milliers de victimes sont toutefois des civils qui ne participaient pas au conflit armé.

À mesure que le cercle de la violence s'est élargi, la population civile a été de plus en plus durement touchée par le conflit. Les forces de sécurité et les groupes armés d'opposition qui se définissent comme des « groupes islamiques » tuent des civils et commettent d'autres atteintes graves aux droits de l'homme. Les forces de sécurité exécutent sommairement des prisonniers ; d'autres victimes sont tuées dans leur maison, en présence de leurs proches. Les exécutions extrajudiciaires servent à éliminer des membres ou des sympathisants avérés ou présumés des groupes armés d'opposition au lieu de les arrêter. Ces groupes se sont, eux, rendus coupables d'homicides délibérés et arbitraires de civils tant lors d'attaques ciblées que d'attentats aveugles à l'explosif ; ils ont en outre tué plusieurs milliers de membres des forces de sécurité.

Il est de plus en plus difficile d'établir l'identité et les motivations des responsables de tueries et d'enlèvements, les forces de sécurité et les groupes armés d'opposition adoptant fréquemment le même type de comportement. Les membres de l'armée et des forces de sécurité opèrent souvent en civil, ils utilisent des véhicules banalisés, ne déclinent pas leur qualité et ne présentent pas de mandats d'arrêt. Les membres des groupes armés d'opposition sont parfois en uniforme et se font passer pour des membres des forces de sécurité. Les milices récemment créées, armées par le gouvernement et qui se définissent comme des « groupes d'auto-défense » ou des « patriotes », participent de plus en plus aux opérations anti-insurrectionnelles ; elles utilisent les uniformes et le matériel de l'armée et des forces de sécurité.

Les homicides et les menaces de mort sont quotidiens. La violence n'épargne personne ; beaucoup de gens craignent d'être pris pour cible sans savoir par quel camp ni pourquoi. Les uns justifient les homicides et les violations des droits fondamentaux au nom de la « lutte antiterroriste » et les autres de la « guerre sainte », chaque camp utilisant des mots destinés à diaboliser son rival. La presse algérienne ne signale et ne condamne qu'une partie des crimes et atrocités commis dans le pays ; agir autrement pourrait être interprété comme une « prise de position favorable à l'ennemi ».

Chaque jour apporte son lot de nouvelles victimes ; la plupart des homicides ne sont même pas signalés ou sont simplement mentionnés brièvement. Des informations comme « Dix personnes trouvent la mort à la suite d'une attaque "terroriste" » ou « Dix "terroristes" éliminés par les forces de sécurité » sont devenues banales. La majorité des victimes n'ont ni nom ni visage : les statistiques cachent la souffrance de chaque victime et de chaque famille.

Amnesty International continue, dans la mesure du possible, à envoyer des missions d'enquête en Algérie. Constamment attentive à la situation des droits de l'homme, elle recueille quotidiennement des informations auprès de sources très diverses et notamment des victimes et de leurs proches, de témoins oculaires, d'avocats, de militants des droits de l'homme, de médecins, d'infirmières, de journalistes et de membres de l'armée et des forces de sécurité. Aucune autre organisation de défense des droits de l'homme n'a effectué de recherches en Algérie depuis 1992.

En cas de conflit armé, les forces gouvernementales et celles qui leur sont opposées doivent respecter les normes relatives aux droits fondamentaux. Amnesty International dénonce, entre autres, les homicides délibérés de civils perpétrés par des individus ou des groupes d'individus qui affirment agir pour des motifs politiques et elle condamne de tels agissements. En utilisant des termes neutres comme « groupes armés d'opposition », l'Organisation n'accorde ni reconnaissance ni légitimité à ces groupes. Elle ne cherche pas à comparer les diverses atteintes aux droits de l'homme ni leurs auteurs ; elle se préoccupe des victimes et son objectif est de rapporter des faits relatifs à la situation des droits de l'homme dans un pays donné.

Tout en faisant connaître à l'opinion publique, par les rapports qu'elle publie régulièrement, les préoccupations que lui inspire la situation des droits de l'homme en Algérie, Amnesty International ne cesse d'exprimer son inquiétude au gouvernement algérien tant lors de rencontres avec des responsables que dans des correspondances. Les autorités se sont souvent contentées de nier les accusations relatives à des atteintes aux droits de l'homme contenues dans les rapports d'Amnesty International. Elles n'ont pas répondu à la plupart des lettres confidentielles et des mémorandums dans lesquels l'Organisation sollicitait des renseignements et des éclaircissements sur des cas particuliers. Elles n'ont pas non plus apporté de réponse aux préoccupations plus générales d'Amnesty International en Algérie.

Le présent rapport expose la détérioration constante de la situation des droits de l'homme au cours des deux dernières années[2] Il contient de nouvelles recommandations aux autorités algériennes[3] afin qu'elles ordonnent des enquêtes sur les homicides et les autres violations des droits fondamentaux imputables aux forces de sécurité et aux milices armées par le gouvernement. Amnesty International demande aux autorités de déférer à la justice les responsables de tels agissements et de prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme aux violations et en empêcher le renouvellement, conformément aux obligations découlant des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels l'Algérie est partie. L'Orga-nisation appelle également les groupes armés d'opposition à mettre un terme aux homicides et aux autres exactions visant les civils et les personnes qui ne participent pas directement aux affrontements.

Dans le souci de ne pas exposer les victimes et leurs proches à des représailles, les noms ainsi que certains détails qui pourraient permettre de les identifier ont parfois été volontairement omis.

Le contexte

En juin 1994, Youcef Fathallah, président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH), a été assassiné dans l'entrée de son bureau à Alger. Trois semaines auparavant, il avait exposé la situation des droits de l'homme en Algérie dans une réunion organisée par Amnesty International à Berlin (Allemagne). Youcef Fathallah avait décrit les exécutions extrajudiciaires quotidiennes, les homicides et autres atteintes aux droits de l'homme perpétrés par les forces de sécurité et les groupes armés. Il avait aussi parlé de la terreur dans laquelle vivait la population civile ainsi que du renforcement de la censure et des informations de plus en plus sélectives sur la violence en Algérie.

Ce que Youcef Fathallah a dit à propos de la situation des droits de l'homme est toujours d'actualité : le climat de terreur qu'il avait décrit est devenu de plus en plus omniprésent et des dizaines de milliers de personnes ont été tuées depuis 1994.

Il est devenu impossible aux médias, notamment, d'enquêter sur les homicides et les autres atteintes aux droits fondamentaux et de fournir des informations objectives, étant donné les restrictions de plus en plus importantes que les autorités faisaient peser sur l'accès aux informations à caractère sécuritaire[4] et sur leur diffusion.

La censure des informations à caractère sécuritaire est de plus en plus stricte : les médias algériens ne peuvent publier que les informations diffusées par les forces de sécurité ou par l'agence de presse officielle[5] Les journalistes, qui risquent d'être menacés de mort et tués par les groupes armés d'opposition, peuvent être emprisonnés s'ils diffusent des informations non autorisées à caractère sécuritaire. Plusieurs ont été arrêtés et poursuivis pour ce motif, Amnesty International considère qu'ils étaient des prisonniers d'opinion. Plusieurs journaux ont été saisis et suspendus pour la même raison.

La censure gouvernementale sur les informations liées à la violence concernait surtout, dans un premier temps, les violations commises par les forces de sécurité. Les homicides, les enlèvements et les autres exactions imputables aux groupes armés d'opposition étaient largement commentés ; en revanche, les crimes perpétrés par les forces de sécurité – exécutions extrajudiciaires, actes de torture, "disparitions", entre autres – étaient passés sous silence. La peur, la censure et les opinions politiques de certains médias expliquaient le caractère sélectif de l'information.

Certains cas d'homicides de membres des forces de sécurité par des groupes armés d'opposition sont annoncés mais beaucoup d'autres, notamment ceux résultant d'affrontements armés, d'attaques, ou d'embuscades tendues par ces groupes aux militaires et aux forces de sécurité, ne sont pas signalés. Les attentats à la bombe et autres attaques visant des civils, perpétrés surtout dans les régions rurales par les groupes armés d'opposition, sont également passés sous silence. Les bombardements, les destructions de maisons et les attaques, notamment à l'artillerie lourde, lancées par l'armée et les forces de sécurité contre des villages ou dans des régions où des membres des groupes armés d'opposition sont censés se cacher, ne sont généralement pas signalés. Ces deux dernières années, les informations à propos des meurtres, des attentats à la bombe et des autres attaques imputables aux groupes armés d'opposition ont été de plus en plus censurées, les autorités affirmant que la situation s'était améliorée et que les violences n'étaient que « résiduelles ».

Non seulement certains médias ne font pas état des violations des droits de l'homme commises par les forces de sécurité mais ils critiquent ceux qui signalent et condamnent ces agissements, entre autres les organisations de défense des droits de l'homme. Laisser entendre que les violations perpétrées par les forces de sécurité sont des crimes qui doivent faire l'objet d'enquêtes et auxquels il faut mettre un terme, cela passe bien souvent pour un soutien aux groupes armés d'opposition ou une justification des crimes commis par ces derniers.

Les médias étrangers sont eux aussi soumis à des restrictions de plus en plus importantes : plusieurs journalistes étrangers ont été expulsés ou se sont vu interdire l'accès au pays et la plupart de ceux qui se rendent en Algérie sont constamment escortés par des membres des forces de sécurité[6] Il existe peu de récits indépendants du conflit qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes. L'extrême détérioration de la situation des droits de l'homme en Algérie reste mal connue parce que dissimulée.

Les médias signalent régulièrement la mort de groupes d'individus présentés comme des "terroristes" sans préciser, dans la plupart des cas, l'identité des victimes ni les circonstances dans lesquelles elles ont été tuées. Les informations faisant état d'homicides commis par les groupes armés d'opposition sont le plus souvent tout aussi imprécises. Ce sont surtout les assassinats d'étrangers ou de personnalités algériennes qui font la une des journaux, alors que les noms de la majorité des victimes sont passés sous silence. L'indifférence de la communauté internationale face à la situation critique des droits de l'homme en Algérie donne à ceux qui vivent dans la terreur le sentiment d'avoir été oubliés.

Les autorités algériennes réfutent régulièrement les informations fournies par Amnesty International, entre autres, et qui imputent aux forces de sécurité des violations des droits de l'homme et notamment des actes de torture, des exécutions extrajudiciaires et des "disparitions". Elles ne mettent toutefois pas en doute la véracité des informations publiées par ces mêmes organisations à propos des homicides et autres exactions imputables aux groupes armés d'opposition. Les groupes islamistes, eux, rejettent les accusations selon lesquelles les groupes armés d'opposition tueraient des civils et violeraient des femmes, entre autres exactions, mais ils ne réfutent pas les informations relatives aux violations commises par les forces de sécurité. Le caractère systématique des atteintes aux droits de l'homme démontre cependant que celles-ci font partie intégrante de la stratégie des deux camps.

Les autorités ont parfois admis que des membres des forces de sécurité avaient pu commettre des « bavures » ou des « dépassements » dans des cas isolés. L'ampleur des violations des droits de l'homme est toutefois telle qu'elles ne peuvent être considérées comme des cas isolés d'abus d'autorité ni des « dépassements » individuels.

Le gouvernement algérien a affirmé, dans certains cas, que des enquêtes avaient été ouvertes à la suite de plaintes pour des violations commises par des membres des forces de sécurité. À la connaissance d'Amnesty International, cependant, aucun cas d'exécution extrajudiciaire, de torture, de "disparition" ou d'autres violations perpétrées par les forces de sécurité n'a fait l'objet d'une enquête indépendante et approfondie. Les membres des forces de sécurité responsables de tels agissements ne sont pas déférés à la justice et ils peuvent continuer à violer les droits fondamentaux en toute impunité.

Les homicides de civils : une campagne de terreur

Parmi les dizaines de milliers de personnes qui ont été tuées en Algérie depuis le début de 1992, on compte de nombreux civils. Les victimes ont souvent été tuées chez elles, en présence de leurs proches, ou après avoir été enlevées, ou dans des circonstances qui n'ont jamais été éclaircies ; d'autres ont trouvé la mort à la suite d'attaques aveugles. Les exécutions extrajudiciaires imputables aux forces de sécurité et les homicides délibérés et arbitraires perpétrés par les groupes armés d'opposition sont une pratique bien établie depuis 1993. Les victimes appartiennent à toutes les catégories de la population : beaucoup sont des jeunes gens, mais on compte aussi des femmes, des enfants, des fonctionnaires, des enseignants, des journalistes, des dignitaires religieux et des militants politiques.

Les groupes armés qui se définissent comme des groupes « islamiques », et dont la structure et la direction restent peu claires, prolifèrent et se fragmentent de plus en plus. Il semble par ailleurs que les groupes armés d'opposition et les criminels de droit commun ont profité du climat de terreur et du désordre pour se livrer au racket, à l'extorsion et au pillage. Les médias algériens rangent généralement ces crimes dans la catégorie du "terrorisme".

Les civils paient le prix d'une situation complexe de violence politique et de représailles dans laquelle les deux camps font preuve d'un mépris total pour le plus fondamental des droits de la population civile, le droit à la vie.

Les statistiques officielles sur les homicides sont souvent discordantes et ne reflètent pas la réalité. À la fin de 1994, le ministère de l'Intérieur a indiqué que 20 000 "terroristes" avaient été tués au cours des deux années précédentes. Selon un rapport publié au début de 1996 par l'Observatoire national des droits de l'homme (ONDH)[7]7, organisme officiel, 5 029 personnes présentées comme des "terroristes" auraient été tuées par les forces de sécurité en 1994 et en 1995 ; les groupes armés d'opposition auraient tué 1 400 civils pendant la même période. L'ONDH précise toutefois que ces chiffres sont sous-estimés étant donné qu'ils résultent d'une compilation des communiqués des forces de sécurité publiés dans la presse[8] Les autorités et les forces de sécurité affirment souvent que les "terroristes" ne sont qu'une poignée et que la plupart d'entre eux ont été « neutralisés ». C'est ainsi qu'en août 1996, le quotidien algérien Liberté, citant des chiffres fournis par les forces de sécurité, fixait à 2 000 le nombre des "terroristes" contre 1 100 en 1993. Il est difficile de faire concorder ces chiffres avec les autres statistiques officielles faisant état de la mort de plusieurs milliers de "terroristes".

La population civile prise entre deux feux

Alors que les atrocités imputables aux forces gouvernementales et aux groupes armés d'opposition se multiplient, un nombre croissant de civils pris pour cibles par l'un et l'autre des deux camps sont entraînés dans l'engrenage de la violence. Les jeunes gens vivant dans les quartiers, souvent pauvres, qui avaient largement soutenu le Front islamique du salut (FIS) au moment des élections de 1991, sont particulièrement menacés. Des milliers de personnes ont été arrêtées arbitrairement au début de 1992 après l'annulation du second tour de scrutin. Plus de 10 000 d'entre elles, dont beaucoup de jeunes gens, ont été placées en détention administrative dans des camps d'internement situés dans le désert, au sud du pays. La plupart de ces détenus ont recouvré la liberté quelques mois plus tard mais plus de 640 ont été maintenus en détention sans inculpation ni jugement jusqu'à la fin de novembre 1995, date à laquelle le camp d'Aïn M'Guel a été fermé et les derniers détenus élargis.

À la suite de l'apparition des groupes armés et plus particulièrement après l'intensification de leurs attaques en 1993, des milliers de personnes ont été arrêtées, torturées et tuées par les forces de sécurité. Certaines victimes étaient soupçonnées d'être liées à ces groupes, de les soutenir ou de ne pas les avoir dénoncés, d'autres ont été interpellées en représailles à la suite d'attaques menées par les groupes armés. Ces derniers tuaient ou menaçaient de mort les jeunes gens qui refusaient de les rejoindre, de les aider, d'obéir à l'ordre de quitter leur emploi ou d'adopter un certain comportement[9] Les forces de sécurité prenaient également pour cibles les proches des membres des groupes armés et ceux-ci s'en prenaient aux familles des membres des forces de sécurité.

Des témoins oculaires ont raconté à Amnesty International les raids des forces de sécurité au cours desquels des personnes sont rassemblées, battues, enfermées dans les coffres des voitures puis emmenées ou abattues sur place. D'autres ont été témoins d'attaques dues aux groupes armés : ceux-ci rassemblent des gens, tuent certains d'entre eux, le plus souvent en les égorgeant ou en les décapitant, et menacent les autres de mort avant de repartir. Dans bien des cas, ces attaques menées tant par les forces de sécurité que par les groupes armés semblent des actes de représailles. D'autres fois, il s'agit simplement de terroriser la population et de l'intimider.

Amnesty International a recueilli le témoignage d'un jeune homme qui a quitté l'Algérie. Les informations qu'il a fournies ont été vérifiées en Algérie auprès de sa famille, d'avocats et de voisins, entre autres. Son récit correspond à beaucoup d'autres témoignages recueillis par l'Organisation en Algérie et à l'étranger. Voici ce qu'il relate :

« J'ai été arrêté au début de 1992. Ils m'ont torturé puis ils m'ont envoyé pendant plus de trois mois dans un camp situé dans le désert ; j'ai ensuite été relâché sans avoir jamais été présenté à un juge. J'étais content d'être libre mais ma vie est devenue un cauchemar. Dans mon quartier, certains de mes amis d'enfance étaient devenus des "terroristes" ou les soutenaient, ils faisaient pression sur moi pour que je les rejoigne. Je ne voulais pas me mêler de ce genre de choses mais j'avais peur, ils tuent des gens comme cela, sans raison. J'ai de nouveau été arrêté en 1993 et torturé mais ce que j'ai subi n'était rien par rapport à ce qu'ils ont fait à d'autres. Yassine Simozrag, arrêté en même temps que moi, a été sauvagement torturé ; ils lui ont brûlé le visage avec un chalumeau et ils lui ont fait des choses horribles. Plus tard, il a été tué en prison[10]. D'autres personnes qui étaient détenues avec moi à Châteauneuf ont "disparu". Des jeunes de mon quartier ont été tués par l'armée ou par des "terroristes", mais pas à la suite d'affrontements armés : ils ont été assassinés par l'un ou l'autre camp. Un groupe "terroriste" tue un policier, tend une embuscade ou lance une attaque et quitte les lieux ; les forces de sécurité arrivent, elles rassemblent les gens au hasard puis les emmènent ou les tuent parce qu'elles les soupçonnent d'être complices des "terroristes" ou peut-être tout simplement pour les punir de ne pas avoir résisté aux "terroristes". Ces derniers viennent tuer les gens ou les menacent de se venger après des raids lancés par les forces de sécurité parce qu'ils soupçonnent la population de renseigner celles-ci. Les gens qui réussissent à échapper à l'un des camps sont ensuite menacés par l'autre. »

Des personnes ont quitté leur quartier car elles se sentaient menacées par les groupes armés d'opposition ou par les forces de sécurité, voire par les deux camps. Mais il est bien souvent difficile de déménager vu le taux de chômage très élevé et la pénurie de logements. Certains se sont installés chez des parents et quelques-uns ont réussi à quitter l'Algérie ; la majorité de la population continue toutefois à vivre dans la terreur.

Des médecins ont été accusés de collaborer avec les groupes armés d'opposition pour n'avoir pas dit aux forces de sécurité qu'ils avaient été contraints de soigner des membres de ces groupes qui avaient été blessés. Dans le climat de peur et d'insécurité qui règne dans le pays, certains médecins s'abstiennent de signaler de tels faits aux forces de sécurité, craignant les représailles que les groupes armés pourraient exercer contre eux-mêmes et leurs proches. De surcroît, ils supposent que les forces de sécurité ne pourront leur apporter une protection efficace.

De nombreuses personnes que les groupes armés d'opposition avaient menacées de mort pour les contraindre à quitter leur emploi ne voulaient pas céder aux menaces ou ne pouvaient se permettre de perdre leur salaire : elles n'ont pourtant obtenu aucune protection. Amnesty International a recueilli les témoignages de fonctionnaires, de juges, de responsables communaux désignés pour remplacer les maires élus du FIS, entre autres : tous ont déclaré que lorsqu'ils avaient sollicité la protection des autorités, on leur avait simplement proposé une arme pour se défendre. Beaucoup de gens refusent de porter une arme, craignant d'accroître le risque d'être pris pour cible par les groupes armés ; d'autres pensent qu'une arme ne les protègerait pas vraiment, la plupart des personnes assassinées étant victimes d'attaques-surprises. Certains ont affirmé avoir tenté de démissionner par peur d'être tués par les groupes armés, mais que leur démission n'avait pas été acceptée ; d'autres craignent qu'une démission ne soit interprétée par les autorités comme une manifestation de soutien aux groupes armés, ce qui ferait d'eux une cible pour les forces de sécurité.

Un fonctionnaire qui a fui l'Algérie a déclaré à l'Organisation :

« Ma femme et moi étions fonctionnaires. Nous habitions un quartier pauvre où nous connaissions beaucoup de monde, parce que c'est là que nous avons grandi tous les deux. J'étais membre du Syndicat islamique du travail (SIT) [proche du FIS et interdit en 1992] et sympathisant du FIS mais depuis le début des troubles en 1992, je me suis tenu à l'écart de la politique. À la fin de 1994, des gars du quartier sont venus me voir et ils m'ont dit que ma femme et moi, nous devions obéir aux ordres des moudjahidin[11] et quitter notre emploi. J'ai essayé de leur expliquer que nous nourrissions nos familles avec nos salaires ; ils ont répondu que Dieu pourvoirait à nos besoins et à ceux de nos familles, et ils nous ont donné un délai de trois mois pour démissionner. Je ne savais que faire. Ils sont revenus quelque temps après me donner le même avertissement. Je savais qu'ils étaient sérieux et qu'ils pouvaient nous tuer. Nous ne pouvions pas quitter nos emplois parce j'avais peur que les forces de sécurité interprètent [une démission] comme une déclaration de soutien aux "terroristes", ce qui m'aurait aussi mis en danger de mort. J'ai été arrêté une fois, mon frère est en prison et mon cousin a "disparu" après son interpellation. Son frère était un "terroriste" ; mais lui, il n'avait aucun lien avec les "terroristes". Deux de mes voisins ont été tués par les forces de sécurité qui les ont arrêtés à leur domicile. On a retrouvé leurs corps et la presse a annoncé que deux "terroristes" avaient été tués ; le frère de l'un d'eux était un "terroriste" mais eux ne l'étaient pas. Qui que vous soyez et quoi que vous fassiez, vous n'êtes jamais en sécurité. Nous nous sentions pris au piège et nous sommes partis. La sœur de ma femme, qui travaillait pour une société étrangère, a été menacée de mort par les "terroristes". Elle a trouvé une lettre sous sa porte lui annonçant qu'elle allait être tuée parce qu'elle travaillait pour des étrangers. On ne lui a même pas demandé de démissionner. Ils lui ont simplement dit qu'ils allaient la tuer et ils ont essayé de pénétrer chez elle ; alors elle est partie, elle aussi. »

Les exécutions sommaires et extrajudiciaires imputables aux forces gouvernementales

Outre les homicides résultant des affrontements avec les groupes armés, les informations détaillées recueillies auprès de témoins oculaires, de proches des victimes, de membres des forces de sécurité et de l'armée, de médecins et de journalistes, entre autres, indiquent que les exécutions extrajudiciaires sont nombreuses.

Les membres des forces de sécurité procèdent apparemment à des exécutions extrajudiciaires au lieu d'arrêter des suspects. Ils ont aussi recours à cette méthode pour éliminer des individus soupçonnés de liens ou d'entente avec les groupes armés d'opposition, ou encore en représailles à des homicides ou autres actes de violence perpétrés par ces groupes. Les victimes sont tuées à leur domicile, dans la rue, en détention ou après avoir été capturées dans les endroits où elles se cachaient.

Des communiqués officiels annoncent la mort de milliers de personnes présentées comme des "terroristes" ou des "criminels" et tuées lors de l'assaut des forces de sécurité contre les repaires des groupes armés. Selon ces comptes rendus officiels, certaines des victimes n'étaient pas armées. Dans la grande majorité des cas, aucun membre du groupe n'est blessé ni capturé ; tous sont tués, alors que les forces de sécurité ne comptent aucune perte dans leurs rangs. Très souvent, les forces de sécurité tuent des groupes entiers de personnes lorsqu'elles prennent d'assaut des maisons ou les cachettes de groupes armés d'opposition : il pourrait s'agir, en de telles circonstances, d'exécutions extrajudiciaires délibérées, résultant notamment d'une utilisation abusive de la force meurtrière dans des cas où les victimes ne représentaient aucune menace pour les forces de sécurité.

Des témoins oculaires, des proches des victimes, des membres de l'armée et des forces de sécurité, des responsables gouvernementaux, entre autres sources d'information, ont apporté à l'Organisation des témoignages qui indiquent que les forces de sécurité pratiquent de façon de plus en plus systématique l'élimination physique délibérée des personnes, soit individuellement, soit en groupe. Il arrive fréquemment que ces exécutions ne soient même pas signalées ; dans d'autres cas, les autorités affirment que les victimes ont été tuées par les forces de sécurité lors d'affrontements armés, ou qu'elles ont été abattues par des "terroristes". Des familles ont raconté qu'elles avaient été contraintes de signer des déclarations selon lesquelles leurs proches avaient été tués par des "terroristes". Certaines des familles savaient à coup sûr que les homicides étaient le fait des forces de sécurité ; d'autres, qui ignoraient l'identité des tueurs, ne disposaient cependant d'aucun élément permettant d'incriminer les groupes armés. D'autres familles ont affirmé qu'elles avaient dû signer des déclarations indiquant que leurs fils étaient des "terroristes" tués à la suite d'affrontements armés, alors que ceux-ci avaient été sommairement exécutés par les forces de sécurité ou tués dans des circonstances dont elles ignoraient tout. Les familles, souvent terrorisées, n'osent se plaindre par crainte de représailles. Dans la mesure où aucune enquête n'a été menée sur ces cas et où aucun membre des forces de sécurité n'a été traduit en justice pour des exécutions extrajudiciaires, les familles des victimes ont le sentiment qu'elles n'ont aucun moyen d'obtenir justice.

Dans la nuit du 10 au 11 mai 1996, un homme de quatre-vingt-quatre ans et quatre de ses fils, âgés de vingt-trois à quarante-six ans, ont été tués dans leur maison en présence de leurs proches. La mère des quatre hommes a fait le récit suivant :

« Il était 23 h 30 environ et nous étions en train de regarder la télévision, moi, mon mari, trois de mes fils, ma fille et deux de mes belles-filles ; mon plus jeune fils, convalescent, était couché et mes autres fils étaient absents. Quatre hommes armés en civil sont arrivés ; certains étaient en jeans, tous portaient des vestes bleues et des passe-montagnes. Mon fils aîné est allé ouvrir, ils sont montés puis ils ont fait descendre mes trois fils au rez-de-chaussée et ils les ont fait allonger à plat ventre. Ils ont tiré du lit mon plus jeune fils, l'ont aussi fait descendre et s'allonger à plat ventre. Ils les ont tués tous les quatre d'une balle dans la nuque ; mon mari a paniqué et s'est mis à crier, ils l'ont abattu d'une balle au visage. Leurs armes étaient munies de silencieux ; au moment de partir, l'un d'entre eux a tiré trois fois sur le chien avec une arme sans silencieux, mais il ne l'a pas tué. En partant, ils ont dit : « œil pour œil ». Ils n'ont pas posé de questions, ils n'ont rien dit d'autre. Une voiture attendait dehors, le chauffeur ne portait pas de cagoule et nous l'avons reconnu : c'est un membre des services de sécurité, il est originaire de notre quartier mais n'y habite plus. Quatre ou cinq membres de sa famille avaient été tués quinze jours plus tôt par les "terroristes". L'un de mes fils était un "terroriste" ; il a été tué il y a plus d'un an. Il avait pris les armes et il a été tué, nous ne nous sommes pas plaints. Mais mes autres enfants et mon mari n'avaient rien à voir avec ça, ils n'avaient rien fait, eux. En 1994, quand les forces de sécurité recherchaient mon fils qui était "terroriste", un autre de mes fils a été arrêté et détenu pendant quinze jours. Après la mort de mon fils en 1995, les forces de sécurité ont emmené un autre de mes fils qu'elles ont gardé quelques jours avant de le relâcher. Elles [les forces de sécurité] savaient qu'aucun de mes enfants n'était en contact avec leur frère, qui avait quitté la maison depuis longtemps. Après avoir tué mon mari et mes quatre fils, ils nous ont fait signer un papier sur lequel il était écrit qu'ils avaient été tués par des "terroristes". Nous avons signé ; que pouvions-nous faire ? Nous ne voulons pas qu'ils reviennent tuer mes autres enfants. »

La fille et les belles-filles de cette femme, témoins des homicides, ont confirmé son témoignage.

Le 30 janvier 1996, un adolescent de dix-sept ans a "disparu" après avoir été interpellé par des membres des forces de sécurité dans son lycée, à Alger. Toutes les tentatives de sa famille pour le retrouver ont été vaines jusqu'au 14 février 1996, date à laquelle son père a identifié le cadavre à la morgue. Le corps du jeune homme était à la morgue depuis le 31 janvier. Il présentait plusieurs blessures par balles à la poitrine. La famille n'a pas été autorisée à prendre le corps pour l'inhumer et n'a pas été informée des circonstances de la mort. Les forces de sécurité, qui avaient transporté le corps à la morgue, n'ont publié aucun communiqué faisant état de la mort d'un adolescent. Cinq jours avant l'enlèvement de ce jeune homme, des membres des forces de sécurité s'étaient présentés le soir à son domicile et avaient posé des questions à ses parents à propos de leurs enfants ; ces derniers, pourtant présents, n'avaient pas été interrogés. Le 27 janvier 1996, soit deux jours plus tard, des membres des forces de sécurité s'étaient rendus à l'établissement fréquenté par le jeune homme et avaient interrogé le personnel à son sujet ; l'adolescent, qui était là, n'avait pas été interrogé. Ils sont revenus le 30 janvier et l'ont enlevé dans sa salle de classe. Le personnel de l'école, qui a confirmé cette information, a refusé de témoigner par peur des conséquences. La famille du jeune homme a sollicité à plusieurs reprises l'ouverture d'une enquête sur les circonstances de sa mort mais ses demandes n'ont pas abouti.

Les homicides de prisonniers

Amnesty International a reçu de nombreuses informations faisant état de l'exécution extrajudiciaire de prisonniers qui avaient été maintenus en détention secrète pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Les autorités ou les médias, reprenant les communiqués des forces de sécurité, présentent parfois ces victimes comme des "terroristes" tués dans le cadre d'affrontements armés. Leurs familles ne sont pas informées officiellement de la mort de leurs proches qu'elles apprennent par la presse ou par d'autres sources. Les réponses fournies par les autorités à propos de certains de ces cas donnent à penser qu'elles tentent délibérément de dissimuler les éléments prouvant que les prisonniers ont été exécutés de façon extrajudiciaire.

Fouad Bouchelaghem, maître de conférences en physique à l'université de Blida, a été arrêté le 3 juin 1994 à 1 h 15 du matin à son domicile d'Alger par des membres des forces de sécurité. Cet homme de trente ans était marié et père d'un enfant de dix mois. Les membres des forces de sécurité, qui n'ont pas présenté de mandat d'arrêt ni de perquisition, ont fouillé l'appartement. Ils auraient saisi un ordinateur portable ainsi que la voiture de Fouad Bouchelaghem. Celui-ci a "disparu" après son arrestation et sa famille n'a pas réussi à connaître son lieu de détention. Il a été vu pour la dernière fois le 20 juillet 1994, en mauvaise condition physique et la tête recouverte d'une cagoule, alors qu'il sortait du centre de sécurité de Châteauneuf où les détenus sont couramment torturés. Ayant continué à le rechercher, sa famille a découvert le 8 septembre 1994 à la morgue un rapport selon lequel le corps y aurait été apporté le 21 juillet 1994 et enterré le 15 août 1994. Aucun renseignement n'a pu être obtenu, ni à la morgue ni au cimetière, quant aux causes ou aux circonstances du décès.

En 1996, les autorités algériennes, répondant à des demandes d'éclaircissements sur le cas de Fouad Bouchelaghem, ont affirmé que celui-ci avait été arrêté en juillet 1994 et qu'il avait été abattu par les forces de sécurité alors qu'il tentait de s'évader. Selon la version officielle, il aurait avoué pendant son interrogatoire connaître le lieu où se dissimulait un groupe armé. Les forces de sécurité l'auraient emmené à cet endroit, où une fusillade aurait éclaté. Fouad Bouchelaghem en aurait profité pour tenter de s'évader et aurait été abattu. Les autorités algériennes n'ont précisé ni la date de son arrestation ni celle à laquelle il aurait été tué ; elles n'ont en outre pas expliqué pourquoi ses proches, qui le recherchaient, n'avaient pas été informés de sa mort.

Amnesty International a examiné un certain nombre de procès-verbaux de police concernant cette affaire, lesquels contiennent des informations contradictoires. Un procès-verbal d'interrogatoire daté du 25 juin 1994 comporte la signature de Fouad Bouchelaghem et d'un membre des forces de sécurité. Un autre document daté du 28 juin 1994 indique que cet homme est mort. Un procès-verbal du 3 juillet 1994 précise qu'il est en fuite et recherché par les autorités. Un quatrième procès-verbal du 20 juillet 1994 indique que Fouad Bouchelaghem avait accepté de montrer aux forces de sécurité un appartement du quartier de Bab el Oued à Alger utilisé comme cachette par Mokhtar Djilali et Smaïn Kouissi. Une fois sur place, une fusillade aurait éclaté entre les forces de sécurité et les deux hommes, qui auraient été tués, ainsi que Fouad Bouchelaghem qui avait tenté de s'évader. Mais en fait, Mokhtar Djilali et Smaïn Kouissi avaient été arrêtés en mai 1994 ; Amnesty International a examiné des procès-verbaux de police dont il ressort que les deux hommes étaient détenus et avaient été interrogés en juin 1994. D'autres détenus ont affirmé les avoir vus en détention à cette date.

L'Organisation, qui avait été immédiatement informée de l'arrestation de Fouad Bouchelaghem, a écrit le 19 juin 1994 à l'ONDH, organisme officiel de défense des droits de l'homme. La famille de Fouad Bouchelaghem a également pris contact avec l'ONDH le 25 juin. Cette organisation a écrit le 9 juillet 1994 au ministre de l'Intérieur et aux responsables de la police et de la gendarmerie. Elle n'avait reçu aucune réponse le 17 septembre 1994, soit près de deux mois après la mort de cet homme. Aucune enquête ne semble avoir été effectuée plus de deux ans après les faits, bien qu'une enquête sur le maintien illégal en détention secrète de Fouad Bouchelaghem ait été demandée à plusieurs reprises et en dépit des accusations selon lesquelles il aurait été torturé et sommairement exécuté. Par ailleurs, bien que des éléments démontrent qu'il a été arrêté le 3 juin 1994, les autorités, qui tentent apparemment de dissimuler le maintien prolongé et illégal en détention secrète de cet homme ainsi que les tortures qui lui ont été infligées et les circonstances de sa mort, continuent à prétendre qu'il a été interpellé en juillet 1994 ce qui est en contradiction avec les procès-verbaux d'interrogatoire.

Saghir Bouhadida, journaliste et chargé de cours à l'Institut de communication et d'information et à l'Institut des sciences sociales d'Alger, a été arrêté le 11 juin 1995 vers dix-neuf heures alors qu'il sortait de l'Institut des sciences sociales avec deux étudiants. Ces derniers ont été libérés trois jours plus tard ; Saghir Bouhadida, lui, a "disparu" et les démarches entreprises par sa famille auprès des autorités locales n'ont pas abouti. Des codétenus l'ont vu au centre de détention de La Montagne, dans la banlieue d'Alger, dans les semaines suivant son arrestation. Amnesty International a demandé à plusieurs reprises aux autorités algériennes des renseignements sur le lieu de détention de cet homme et sur les motifs de son incarcération ; elle n'a pas reçu de réponse. En 1996, les autorités ont soutenu que cet homme n'avait jamais été arrêté et qu'il avait été tué au cours d'une opération des forces de sécurité destinée à arrêter les membres d'un groupe armé. Elles n'ont pas expliqué pourquoi sa famille, qui le recherchait, n'avait pas été informée de sa mort et n'avait pas été autorisée à voir le corps avant l'inhumation.

Abdelhamid Kechouane a "disparu" après avoir été arrêté à son domicile de Bougara, le 7 avril 1993. Ouvrier dans une entreprise nationale, il est marié et père de 10 enfants âgés de un à dix-huit ans. Lorsqu'elle avait abordé le cas de cet homme auprès des autorités, l'Organisation avait par erreur indiqué le 7 février 1993 comme date d'arrestation au lieu du 7 avril. Elle n'avait reçu aucune réponse. En 1996, les autorités algériennes ont toutefois affirmé qu'Abdelhamid Kechouane avait rejoint les groupes "terroristes" en 1993 et qu'il avait trouvé la mort le 8 février 1993 dans un affrontement armé avec les forces de sécurité à Bougara. La date fournie par les autorités correspond au lendemain de la date d'arrestation indiquée par erreur par Amnesty International. Abdelhamid Kechouane n'a été arrêté que le 7 avril 1993, c'est-à-dire deux mois plus tard, et jusqu'à la date de son arrestation il vivait à son domicile et se rendait à son travail ; ces informations ont été confirmées par sa famille, ses voisins et ses collègues.

Le massacre de la prison de Serkadji

Quatre-vingt-seize prisonniers au moins ont été tués les 21 et 22 février 1995 à la suite de la répression d'une mutinerie par les forces de sécurité[12] Cinq gardiens avaient été tués avant le déclenchement de la mutinerie. Les familles des détenus de la prison de Serkadji n'ont obtenu aucune information pendant les deux jours d'émeutes et ceux qui ont suivi ; elles ignoraient si leurs proches étaient toujours en vie. Les familles des victimes n'ont été informées de la mort de leurs proches qu'après l'inhumation des cadavres. La plupart des corps ont été enterrés dans des tombes anonymes portant la seule mention « X Algérien ». Aucune autopsie et aucune expertise balistique n'ont été pratiquées. Ces examens auraient pu avoir une importance capitale pour établir les circonstances dans lesquelles les détenus avaient été tués. Selon certaines sources, de nombreux détenus ont été délibérément abattus alors que la mutinerie avait pris fin et qu'ils étaient rentrés dans leurs cellules. Les témoignages recueillis auprès de survivants et d'avocats, entre autres, renforcent ces assertions.

L'ONDH, qui avait annoncé la désignation d'une commission d'enquête à la fin de mars 1995, a rendu publiques ses conclusions en mai 1995. L'enquête n'a toutefois pas réellement cherché à établir la vérité sur la mort d'une centaine de personnes. La commission désignée par l'ONDH n'a pas examiné la question essentielle, à savoir les circonstances dans lesquelles les détenus ont été tués. Son récit des faits est presque identique à celui fourni par les autorités juste après la mutinerie. La commission d'enquête n'a pas examiné les corps des victimes ni les armes utilisées ; aucune autopsie et aucune expertise balistique n'ont été pratiquées. Le rapport de la commission d'enquête désignée par l'ONDH indique que les forces de sécurité ont décidé de ne pas utiliser de gaz lacrymogène pour réprimer cette émeute, afin de ne pas provoquer un effet d'asphyxie dans un lieu fermé[13] Il ne précise toutefois pas pourquoi les forces de sécurité ont choisi d'utiliser des grenades et des armes à feu, ce qui a entraîné un nombre considérable de victimes parmi les détenus. La membres de la commission d'enquête ne se sont entretenus qu'avec 10 prisonniers alors que 1 500 personnes environ étaient détenues dans la prison de Serkadji au moment des faits. La plupart de ces 10 prisonniers, présentés à la télévision nationale quelques jours après la mutinerie, avaient donné une version des faits identique à celle des autorités. Bien que le rapport de l'ONDH rapporte les déclarations faites par certains détenus, il ne signale pas les affirmations d'autres prisonniers selon lesquels des codétenus ont été délibérément abattus et il passe sous silence d'autres informations.

Non seulement aucune véritable enquête n'a été menée à ce jour, près de deux ans après le massacre, mais d'autres éléments qui mettent en cause l'impartialité des investigations de l'ONDH sont apparus. Le rapport précise que tous les corps ont été photographiés et numérotés, que les empreintes digitales ont été relevées afin de permettre leur identification ultérieure et que des certificats médicaux décrivant les lésions ont été établis pour chacune des victimes[14] Lors de sa visite à Londres en avril 1995, le président de l'ONDH a également déclaré à Amnesty International que tous les corps avaient été photographiés avant leur inhumation et que les empreintes digitales avaient été relevées.

L'Organisation a envoyé à deux reprises en Algérie une délégation chargée d'enquêter sur le massacre de la prison de Serkadji. Parmi les représentants d'Amnesty International qui se sont rendus dans le pays en mars et en mai 1995 figurait un médecin ayant une grande expérience en matière d'enquêtes sur les violations des droits de l'homme. Les délégués de l'Organisation n'ont pas été autorisés à visiter la prison de Serkadji et n'ont eu accès à aucun élément du dossier. En juin 1995, ils ont rencontré des membres de la commission d'enquête de l'ONDH auxquels ils ont demandé des copies des photographies des corps et des certificats médicaux. Ceux-ci ont répondu qu'ils n'étaient pas en possession de ces documents mais qu'ils les avaient vus au cours de leur enquête.

Des représentants d'Amnesty International qui se sont de nouveau rendus en Algérie en mai 1996 ont demandé au président de l'ONDH de leur remettre des copies des photographies. Celui-ci a répondu qu'il n'avait pas connaissance de l'existence de tels documents. Les délégués de l'Organisation lui ayant fait remarquer que les photographies étaient mentionnées dans le rapport de l'ONDH qu'il avait lui-même signé en qualité de rapporteur de la commission d'enquête, il a répondu qu'il ne se rappelait pas ces photographies. Un autre membre de la commission d'enquête qui, en juin 1995, avait déclaré aux représentants d'Amnesty International qu'il avait vu les photographies et qui avait fait des observations[15] à leur sujet, a affirmé en mai 1996 ne les avoir jamais vues. Les demandes adressées au ministère de la Justice pour obtenir ces photographies n'ont pas abouti.

Les autorités algériennes ne semblent pas prêtes à fournir certaines informations, en particulier les photographies des corps et les certificats médicaux. Pourtant, selon elles, ces documents existent ; ils pourraient permettre d'éclaircir les circonstances dans lesquelles le massacre a eu lieu ainsi que les incohérences de plus en plus flagrantes de l'enquête de l'ONDH. Une mauvaise volonté aussi évidente ne peut que renforcer la préoccupation de l'Organisation. Soit ces photographies n'existent pas, soit elles prouvent que des violations graves des droits fondamentaux et notamment des exécutions extrajudiciaires ont été commises par les forces de sécurité. Les autorités algériennes sont tenues, tant aux termes de leur législation nationale que des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme que l'Algérie a ratifiés, de veiller à ce que des faits aussi graves fassent l'objet d'une enquête approfondie, indépendante et impartiale[16] Or, aucune enquête digne de ce nom n'a été effectuée jusqu'à présent. Il est donc à craindre qu'en haut lieu, nul ne veuille contraindre les auteurs d'exécutions extrajudiciaires et d'autres violations à rendre compte de leurs actes.

Les homicides délibérés et arbitraires imputables aux milices armées par le gouvernement

Un nombre croissant de milices armées par le gouvernement et qui se définissent comme « groupes d'auto-défense » ou « patriotes » sont apparues ces deux dernières années, notamment dans les régions rurales, où l'absence des forces de sécurité met la population civile à la merci des attaques des groupes armés d'opposition. Ces milices, qui ne sont apparemment soumises à aucun contrôle et qui n'ont pas à répondre de leurs actes, participent de plus en plus souvent aux opérations « antiterroristes » et commettent des homicides délibérés et arbitraires. Elles sont formées de volontaires civils munis d'armes, notamment de kalachnikovs, de pistolets automatiques, de carabines et de fusils de chasse, et de munitions qui leur sont fournies par les forces de sécurité. Certains miliciens utilisent des véhicules militaires et des émetteurs-récepteurs de radio ; ils portent parfois l'uniforme des forces de sécurité. Ils mettent en place des barrages routiers pour vérifier l'identité des personnes qui viennent dans leur région ou qui la quittent et ils fouillent les véhicules.

Les milices semblent avoir été créées dans un esprit défensif, afin de lutter contre les groupes armés d'opposition qui lançaient des attaques, pillaient les villages et tuaient les habitants ou les menaçaient de mort s'ils refusaient de leur obéir ou s'ils n'adoptaient pas un certain code de conduite. Les forces de sécurité sont absentes dans bien des régions rurales ; en outre, selon les miliciens et les villageois, elles sont souvent incapables d'intervenir pour protéger la population ou hésitent à le faire, ne connaissant pas bien ces régions. Les activités des milices, défensives à l'origine, semblent avoir évolué vers une participation active aux opérations anti-insurrectionnelles, se traduisant par des homicides délibérés et arbitraires de personnes ou de groupes considérés comme "terroristes". Les embuscades ou les attaques dirigées contre les groupes armés sont menées par les miliciens soit en collaboration avec les forces de sécurité soit à leur propre initiative, sur la base de renseignements fournis, entre autres, par les forces de sécurité en ce qui concerne les lieux où se cachent les membres de ces groupes.

Jusqu'à la fin de 1995, les autorités ont nié l'existence des milices ou en ont minimisé le rôle. Toutefois, depuis un an, le gouvernement encourage ouvertement la création de ces milices qu'il considère comme la preuve que la population civile participe aux côtés des forces de sécurité à la « lutte antiterroriste ». Les médias, tant la télévision que les journaux, rapportent les activités des milices présentées comme un facteur clé de la « lutte antiterroriste ». C'est ainsi qu'un documentaire intitulé Rijal khuliqu lil Watan (Des hommes nés pour la patrie) diffusé en décembre 1995 par la télévision nationale montre les membres d'une milice dans l'est du pays préparant des opérations et discutant de la stratégie à adopter pour tendre des embuscades aux groupes armés. Les miliciens ont des armes et des munitions et l'un d'entre eux, désignant sa kalachnikov, indique qu'elle lui a été donnée par un ami membre des forces de sécurité, lequel l'a prise à un "terroriste" qu'il avait tué. Le film montre des miliciens à un barrage routier, interrogeant et fouillant les passants. Certains évoquent des souvenirs, parlant notamment des personnes qu'ils ont tuées. Un homme raconte qu'un jour où il s'était caché avec un autre milicien derrière des rochers, ils ont vu passer deux hommes dont l'un était armé et qui semblaient être des "terroristes". Il déclare :

« J'ai regardé vers le ciel et j'ai prié : « Mon Dieu, si j'ai tort faites que la balle ne l'atteigne pas et s'il est coupable, aidez-moi à l'égorger comme il a égorgé ses frères. » J'ai ensuite tiré : une balle lui a transpercé la nuque et est ressortie par devant, l'autre lui a ouvert la gorge sur le côté. J'ai tiré sur le deuxième homme et je l'ai blessé à la jambe droite, il est tombé et mon ami l'a achevé alors que je rechargeais mon arme. »

Plusieurs miliciens interrogés par Amnesty International en Kabylie et à proximité d'Alger se sont dit déterminés à rechercher tous les "terroristes" et à les « éliminer » de leur région. À la question de savoir comment ils pouvaient identifier les "terroristes", ils ont répondu qu'il n'en restait pas beaucoup et qu'ils étaient connus. Ils ont ajouté que si les forces de sécurité l'avaient voulu, elles auraient pu venir à bout des "terroristes" depuis longtemps mais qu'elles ne voulaient pas les pourchasser, soit pour ne pas risquer leur vie dans des régions rurales qui ne leur étaient pas familières soit pour d'autres raisons inconnues. Des miliciens auxquels on demandait si leurs embuscades leur avaient permis de capturer et de remettre aux forces de sécurité des membres de groupes armés ont répondu qu'ils tuaient tous les "terroristes" qu'ils rencontraient, car s'ils les livraient aux forces de sécurité, ils pouvaient être libérés en vertu de la Qanun al Rahma (loi portant mesure de clémence)[17] Les membres d'une milice interrogés sur le nombre de pertes résultant des embuscades et des affrontements avec les groupes armés ont répondu qu'ils avaient tué environ 40 "terroristes" et que deux de leurs camarades avaient trouvé la mort. De nombreux miliciens ont décidé de faire justice eux-mêmes pour venger des parents ou des amis tués par les groupes armés. L'un d'eux a déclaré aux représentants de l'Organisation :

« Ils peuvent me tuer mais s'ils tuent l'un de mes proches, je tuerai leur famille toute entière. C'est le seul langage que les "terroristes" comprennent. Il leur était facile de terroriser des gens sans défense, mais ils commencent à comprendre que c'est à eux d'avoir peur. Ils n'osent plus venir dans nos villages et ils restent dans leurs cachettes, mais nous les trouverons et nous continuerons à les traquer jusqu'au dernier. »

Les griefs et la crainte exprimés par les villageois dans les régions où les groupes armés ont tué des civils et terrorisé la population sont légitimes, de même que leur désir d'être durablement protégés contre ces attaques. Mais c'est à l'État qu'il incombe d'assurer cette protection : cette tâche doit être confiée aux seuls responsables de l'application des lois qui ont reçu la formation nécessaire et qui doivent répondre de leurs actes. Par ailleurs, des miliciens ont précisé à Amnesty International que les membres des groupes armés qui étaient tués dans des embuscades étaient généralement enterrés par d'autres membres de leur groupe. À la question de savoir si les forces de sécurité menaient une enquête pour établir l'identité des victimes, un milicien a répondu :

« Nous informons la gendarmerie après nos embuscades, nous leur disons combien [de personnes] nous avons tuées et, si nous le savons, où elles sont enterrées, mais ils ne viennent pas souvent vérifier. Ils nous font confiance parce que nous connaissons bien la région et les gens. »

L'Algérie étant plongée depuis cinq ans dans un cycle de violences et de représailles, la population a de plus en plus tendance à se faire justice elle-même. La création des milices a entraîné la population civile encore plus avant dans le conflit. Des membres des milices ont déclaré à Amnesty International que les groupes armés avaient réagi à la mise en place de celles-ci en tuant des proches de miliciens et des civils originaires de villages où existent des milices, punissant ainsi la population pour le soutien qu'elle leur apportait.

En autorisant les milices qu'elles ont armées à commettre en toute impunité des homicides délibérés et arbitraires, les autorités algériennes ont encouragé ces exactions et contribué à la déliquescence de l'autorité de la loi. Les forces nécessaires à l'application de la loi dans les régions rurales devraient être placées sous le commandement hiérarchique des forces de sécurité. Les unités paramilitaires et les milices non soumises à cette hiérarchie devraient être démantelées.

Les homicides et exactions imputables aux groupes armés d'opposition

Les groupes armés d'opposition qui se définissent comme des « groupes islamiques » continuent à terroriser la population civile en se rendant coupables de l'homicide de civils ainsi que d'enlèvements, d'actes de torture et de menaces de mort. Ces groupes, qui jusqu'en 1993 concentraient leurs attaques sur les membres des forces de sécurité, prennent de plus en plus souvent les civils pour cible. Ils se livrent à des attaques délibérées ou aveugles, notamment des attentats à l'explosif perpétrés dans des circonstances susceptibles d'entraîner la mort de nombreux civils. Ces groupes ont également tué plusieurs milliers de membres des forces de sécurité tant dans le cadre d'affrontements armés qu'à la suite d'attaques ciblées.

L'existence et les activités de divers groupes désignés dans la plupart des cas sous leur sigle français ont été signalées ces dernières années. Le plus connu d'entre eux, le Groupe islamique armé (GIA), est responsable d'une grande part des pires atrocités subies par des civils. Des informations diverses et souvent impossibles à vérifier circulent à propos de la direction, du recrutement et des motivations de ces différents groupes. Leur prolifération et leur fragmentation auraient entraîné des affrontements armés entre eux ainsi que des homicides. Il est de plus en plus difficile d'établir les responsabilités dans les tueries et les autres attaques en raison du désordre ambiant. Il est toutefois indéniable que ces groupes armés d'opposition ont tué des milliers de civils et qu'ils ont commis d'autres atrocités.

Des homicides et d'autres attaques visant des civils sont également imputés à l'Armée islamique du salut (AIS), considérée comme la branche armée du FIS interdit. Certaines sources ont affirmé par le passé que le GIA et l'AIS collaboraient au moins dans certaines régions et dans des cas particuliers. Cependant, depuis 1995, des affrontements armés opposant le GIA et l'AIS ont été signalés ; le GIA a menacé de mort des membres de l'AIS ainsi que des personnalités du FIS, dont certains auraient été abattus[18] L'AIS s'est ouvertement distanciée du GIA depuis 1995 et elle a publié des communiqués condamnant les actions visant des civils – femmes, étrangers et journalistes, entre autres – qui « ne participent pas à la répression ».

Les groupes armés d'opposition profèrent des menaces de mort qui peuvent être individuelles, notamment par courrier ou téléphone, ou collectives, par des tracts ou des communiqués affichés sur les murs ou adressés aux médias. Ces menaces sont destinées, entre autres, à différentes catégories sociales et professionnelles, aux épouses et proches de membres des forces de sécurité, aux jeunes en âge d'accomplir leur service militaire ainsi qu'aux femmes et aux étrangers. Des centaines, voire des milliers, de personnes ont dû quitter leur domicile. Certaines ont pu être hébergées dans des logements protégés par les services de sécurité, mais ces mesures s'appliquent essentiellement aux responsables gouvernementaux et à certains journalistes, intellectuels et hommes d'affaires connus. La plupart des gens doivent trouver d'autres solutions, par exemple s'installer chez des parents ou des amis ou vivre sur leur lieu de travail ; beaucoup sont contraints de s'éloigner de leurs proches.

Amnesty International ne cesse d'exhorter tous les groupes armés d'opposition à mettre un terme aux homicides de civils et de personnes qui ne participent pas aux combats ainsi qu'aux autres exactions comme les viols, les enlèvements et les menaces de mort. L'Organisation exhorte également la direction du FIS, qui a affirmé à plusieurs reprises exercer une influence sur les groupes armés, à condamner clairement et sans ambiguïté tous les homicides de civils et à appeler ces groupes à ne plus les prendre pour cible. Au cours des deux dernières années, des porte-parole du FIS à l'étranger, y compris ceux qui avaient par le passé justifié certains homicides imputables aux groupes armés, ont condamné les meurtres et les autres attaques contre des civils et se sont progressivement désolidarisés de ces agissements ainsi que des autres crimes perpétrés par les groupes armés en Algérie. Toutefois, les porte-parole du FIS condamnent souvent le meurtre de « civils innocents » ou de « ceux qui ne participent pas à la répression » au lieu de dénoncer clairement et sans ambiguïté tous les homicides de civils.

Les homicides délibérés et arbitraires de civils et de personnes qui ne participent pas aux combats

Les homicides de civils imputables à des membres de groupes armés se sont multipliés depuis 1994. Dans la capitale et d'autres grandes villes, des civils ont trouvé la mort à la suite d'attaques qui les visaient individuellement ou d'attentats à l'explosif. Dans les régions rurales, des membres de groupes armés ont massacré des groupes de personnes à l'intérieur de leurs maisons, dans des villages ou à des barrages routiers où ils arrêtaient les voitures et les autocars en se faisant passer pour des membres des forces de sécurité.

Les victimes d'attaques ciblées sont abattues par balles ou sont égorgées ; certaines ont été décapitées ou mutilées, et l'on retrouve parfois la tête de la victime dans un endroit différent de celui où a été trouvé le corps. Des personnes ont été égorgées en présence de leurs proches et notamment de jeunes enfants. Une jeune femme a déclaré aux représentants d'Amnesty International :

« Dans la nuit du 21 juillet 1994, un groupe de "terroristes" est venu chez nous. Ils ont fait sortir mon frère, âgé de dix-sept ans, lui ont mis du ruban adhésif sur la bouche et lui ont attaché les mains dans le dos. Il a essayé en vain de se débattre. L'un d'entre eux l'a égorgé, j'ai vu son corps se tordre et ses bras et jambes qui tremblaient puis il s'est effondré par terre. Au cours de la même nuit, les "terroristes" ont tué sept autres jeunes gens dont trois conscrits. Ils sont revenus le 18 mai 1995 au milieu de la nuit et ils ont abattu ma mère. Mon autre frère s'est enfui, mais il a été lui aussi abattu, dans la rue, le 31 juillet 1995. »

Cette femme a été contrainte, pour des raisons de sécurité, de quitter son domicile après le meurtre de sa mère et de ses deux frères. Elle a été relogée et les autorités lui ont donné un pistolet pour qu'elle puisse se protéger.

Ces atrocités ont créé un climat de terreur dans lequel les gens ne craignent pas simplement d'être tués mais redoutent ces méthodes particulièrement sauvages. Un maître de conférences à l'université, exprimant la même crainte que beaucoup d'autres personnes, a déclaré : « Si je dois être tué, je prie pour que ce soit par balle plutôt que d'être égorgé. »

Les médias algériens font une large place aux meurtres d'étrangers, de personnalités et de personnes appartenant à certaines catégories sociales et professionnelles ; mais des milliers de citoyens ordinaires ont également perdu la vie. Les motifs des homicides restent souvent obscurs. Cependant, certaines caractéristiques qui tendent à réapparaître régulièrement indiquent que des victimes ont été prises pour cible du fait de leur profession, de leurs opinions politiques, de leur comportement ou de leurs attaches familiales. D'autres ont été tuées parce qu'elles avaient refusé de soutenir les groupes armés, de collaborer avec eux ou d'obtempérer à leurs ordres et à leurs menaces. Parmi les personnes prises pour cible en raison de leur profession figurent des fonctionnaires, notamment ceux désignés pour remplacer les maires élus du FIS[19]19, des percepteurs, des imams (fonctionnaires qui dirigent la prière)[20] attachés aux mosquées contrôlées par le gouvernement, des ouvriers d'entreprises nationales, des enseignants, des journalistes et des jeunes gens qui venaient de terminer leur service militaire obligatoire. Les groupes armés considèrent apparemment que, du fait de leur profession, toutes ces personnes soutiennent le gouvernement. Le même argument a été invoqué dans les menaces de mort adressées par les groupes armés à certaines personnes pour les contraindre de démissionner de leur emploi.

Les homicides de journalistes sont parmi les plus commentés tant en Algérie qu'à l'étranger. Plus de 60 journalistes ont trouvé la mort depuis la mi-93 dans des attaques généralement imputées aux groupes armés. Ces derniers les accusent de soutenir le gouvernement ; en effet, les médias publient des informations sélectives. Ils font une large place aux meurtres de civils et aux autres actes de violence perpétrés par les groupes armés, mais passent sous silence les homicides et autres violations imputables aux forces de sécurité ainsi que les pertes subies par l'armée et les forces de sécurité à la suite d'affrontements avec les groupes armés ou d'embuscades tendues par ces derniers. La censure, très stricte, ne permet pas aux médias de diffuser ces informations, que les groupes armés souhaiteraient voir publiées et qu'ils font connaître par des tracts et des bulletins d'information. La multiplication des meurtres de leurs confrères ont amené un grand nombre de journalistes à quitter l'Algérie ; d'autres sont entrés dans la clandestinité. Certains ont exprimé la crainte que la censure imposée par les autorités sur les informations liées à la sécurité ne leur fasse courir des risques accrus, car elle les obligeait à opérer une sélection dans les événements rapportés. D'autres ont affirmé que certains journalistes avaient été tués par les forces de sécurité et non par des groupes armés. Omar Belhouchet, rédacteur en chef d'El Watan (la patrie), et Malika Boussouf, journaliste au quotidien Le soir d'Algérie, ont été poursuivis pour avoir porté ces accusations[21]

Malika Boussouf a été condamnée en avril 1996 à trois mois d'emprisonnement avec sursis pour avoir affirmé dans une interview au journal italien Il Manifesto qu'Aboubakr Belkaïd, personnalité politique connue, n'avait peut-être pas été tué par des membres de groupes armés.

Citons parmi les journalistes tués ces deux dernières années Khadidja Dahmani, collaboratrice du journal de langue arabe El Chourouk el Arabi (Le lever du soleil arabe). Cette femme de vingt-huit ans a été abattue le 5 décembre 1995 à Baraki, dans la banlieue d'Alger. Malika Sabour, journaliste travaillant pour la même publication, avait elle aussi été abattue chez elle, le 21 mai 1995, en présence de sa mère et de ses proches. Le corps de Belkacem Sâadi, journaliste à la station régionale de Constantine de la télévision nationale (ENTV), a été retrouvé le 2 mars 1996 dans une forêt à Skikda, au nord de Constantine. Cet homme de quarante ans avait apparemment été enlevé quelques jours plus tôt. Khaled Merioud, également journaliste à l'ENTV, avait été tué par balle deux mois auparavant : son corps a été retrouvé le 23 décembre 1995 à Baraki, dans la banlieue d'Alger. Il avait été enlevé la veille à son domicile dans le quartier de La Montagne. Allaoua Aït M'Barek, Djamel Derraz et Mohamed Dorbane, respectivement rédacteur en chef et journalistes au quotidien de langue française Le soir d'Algérie, ont été tués le 11 février 1996 par l'explosion d'une bombe devant la Maison de la presse, au centre d'Alger.

Les communiqués du GIA et des autres groupes armés menacent de mort les fonctionnaires et les employés des entreprises publiques ainsi que les professeurs de français, les épouses et les proches de membres des forces de sécurité, les vendeurs de journaux et de cigarettes, les coiffeurs, les esthéticiennes, les femmes qui ne portent pas le hidjab (voile islamique) ou qui fréquentent des écoles mixtes, les lycéennes et les étudiantes, les conscrits de l'armée et les musiciens, entre autres. Les menaces changent parfois d'une région à l'autre, apparemment du fait de la présence de groupes différents selon les endroits. Certains des civils tués par des membres de groupes armés avaient reçu des menaces de mort individualisées, alors que d'autres appartenaient à la fois à plusieurs catégories de personnes visées. C'est ainsi qu'en juin 1995, Fatima Godhbane, lycéenne de dix-sept ans, a été enlevée dans une salle de classe à Oued Djer par un groupe d'hommes armés. Ceux-ci l'ont entraînée à l'extérieur et l'ont égorgée en présence des autres élèves ; avant de partir, ils ont écrit « GIA » sur la main de la jeune fille. Certains pensent qu'elle a été tuée parce qu'elle continuait à aller à l'école ou qu'elle n'avait commencé à porter le hidjab que peu de temps avant sa mort. D'autres affirment qu'elle a été prise pour cible car elle était parente d'un membre des forces de sécurité ou simplement pour intimider et terroriser ses camarades. On ne connaîtra probablement jamais les motivations des auteurs de ce crime.

Les groupes armés d'opposition ont également tué des soldats et des membres des forces de sécurité qu'ils avaient enlevés ou capturés. Certaines des victimes auraient été torturées avant leur mort.

Le 6 février 1995, un groupe de huit hommes, le visage recouvert d'une cagoule et armés de fusils de chasse à canon scié et de kalachnikovs, se sont présentés au domicile de Mohamed Ben Arbia à Halamiya (wilaya de Boumerdès). Ce gendarme de cinquante-cinq ans a réussi à s'enfuir mais sa femme, Zahra, trente-sept ans, a été blessée par balles en présence de sa fille de douze ans et de ses deux jeunes fils. Trois semaines plus tard, le groupe armé – les enfants n'ont pas été en mesure de dire s'il s'agissait des mêmes hommes – est revenu pour tuer Mohamed Ben Arbia. Ils ont ensuite attaché les mains de Zahra Ben Arbia et l'ont abattue, puis ils ont tué une voisine qui l'avait emmenée à l'hôpital trois semaines plus tôt, quand elle avait été blessée par balles. Ces trois homicides ont été commis en présence des enfants.

Pour atteindre indirectement les membres des forces de sécurité, les groupes armés s'en prennent à leur famille, s'attaquant aussi bien aux hommes qu'aux femmes. Citons parmi les victimes de ce type d'attaques Bakhta Moudjani, Fayza Kouadit, Meriem Chabra, Bakhta Metteur et Fadia Neggaz. Ces jeunes filles âgées de quinze à vingt-deux ans, enlevées le 18 juin 1995 à leur domicile d'Oued Foda, ont été égorgées ; leurs corps ont été retrouvés le lendemain en dehors de la ville.

Les homicides de civils commis par des groupes armés d'opposition qui installent des barrages sur les routes en se faisant passer pour des membres des forces de sécurité n'ont jamais cessé d'être signalés. Le 21 juillet 1996, plus de 10 passagers d'un autocar transportant des ouvriers de la Société nationale des véhicules industriels (SNVI) ont été tués par les membres d'un groupe armé après que l'autobus eut été stoppé à l'un de ces « barrages routiers ». L'autocar aurait encore essuyé des coups de feu avant le départ du groupe armé, et d'autres passagers auraient été blessés.

Les jeunes gens qui font leur service militaire sont régulièrement menacés de mort par les groupes armés. Outre les centaines de conscrits qui ont trouvé la mort au cours d'affrontements armés avec des groupes d'opposition, dans des embuscades ou lorsqu'ils rendaient visite à leur famille, beaucoup d'autres ont été tués après avoir terminé leur service militaire. Celui-ci est obligatoire en Algérie et le droit à l'objection de conscience n'est pas reconnu. Les conscrits doivent notamment tenir des postes de contrôle et monter la garde autour des sociétés pétrolières et autres entreprises publiques. Ces tâches les exposent aux attaques des groupes armés. Les jeunes gens se trouvent ainsi dans une situation impossible : bien souvent, ils ne veulent pas faire leur service militaire parce qu'ils craignent d'être tués par les groupes armés ou qu'ils ne veulent pas participer aux homicides et autres violations commises par l'armée. N'ayant toutefois pas la possibilité de solliciter le statut d'objecteur ni d'opter pour un service civil de remplacement, ils ne peuvent échapper à l'incorporation.

Les homicides d'étrangers

Plus de 100 étrangers ont été tués en Algérie depuis 1993. La plupart de ces homicides ont été revendiqués par le GIA.

Les premières victimes ont été deux géomètres français assassinés en septembre 1993. Des communiqués du GIA avaient mis les étrangers en demeure de quitter l'Algérie sous peine de mort ; ils ont continué par la suite de menacer de mort les étrangers restés en Algérie.

Nombre des victimes ont été égorgées. Douze ouvriers croates ont été tués le 14 décembre 1993 à Tamesguida, au sud-ouest de la capitale ; tous ont eu la gorge tranchée. Sept marins italiens ont été égorgés le 7 juillet 1994 à bord de leur bateau ancré dans le port de Djendjen non loin de Jijel, à l'est du pays.

Des étrangères mariées à des Algériens ont également été prises pour cible. Citons notamment Polnya Larissa, une Russe abattue en décembre 1993 à Alger et Monique Afri, une Française employée du consulat de France à Alger, qui a été abattue en janvier 1994.

Les étrangers de religion chrétienne, et notamment les religieuses et les moines, sont particulièrement visés ; plusieurs ont été enlevés et tués en captivité. Le GIA a revendiqué l'enlèvement et le meurtre de sept moines trappistes français âgés de cinquante à quatre-vingt-deux ans, enlevés dans leur monastère de Tibéhirine, non loin de Médéa, et retrouvés morts deux mois plus tard.

Le 1er août 1996, Pierre Claverie, évêque d'Oran, a été tué par l'explosion d'une bombe posée près de son domicile, quelques heures après une rencontre avec le ministre français des Affaires étrangères, en visite à Alger. Les forces de sécurité ont annoncé quelques jours plus tard que les responsables de sa mort avaient été tués. À la connaissance d'Amnesty International, les auteurs d'homicides sur la personne d'étrangers n'ont jusqu'à présent jamais été traduits en justice. Dans bien des cas, les forces de sécurité ont annoncé que les responsables des homicides avaient été tués ; les autorités n'ont toutefois jamais fourni de détails sur la moindre investigation.

Les attaques aveugles entraînant la mort de civils

Outre les attaques ciblées contre des civils, les groupes armés posent des bombes dans des immeubles où sont logés les membres des forces de sécurité et leurs familles. Ils savent que les principales victimes de leurs agissements seront les épouses, les enfants et les autres proches des membres des forces de sécurité : bien souvent, en effet, ces derniers ont quitté leur domicile de peur d'être tués.

Les attentats à l'explosif commis à proximité de postes de police et de gendarmerie entraînent fréquemment la mort de passants. L'attaque ayant causé la mort du plus grand nombre de civils a été perpétrée dans l'après-midi du 30 janvier 1995, date à laquelle une bombe a explosé devant le commissariat central d'Alger, tuant 42 personnes et en blessant 286 autres. Un porte-parole du FIS a déclaré que l'attentat visait le commissariat, connu pour être un centre de torture. Ceux qui ont posé la bombe savaient toutefois qu'une explosion à cette heure de la journée et dans cet endroit ferait un grand nombre de tués et de blessés parmi les civils.

Plus de 20 personnes, dont de nombreux civils, auraient trouvé la mort entre la mi-juillet et la mi-août 1996 à la suite d'attentats à l'explosif perpétrés dans des lieux publics et notamment dans des cafés et des restaurants fréquentés par des membres des forces de sécurité. Deux bombes ont explosé respectivement les 29 et 30 juillet dans des cafés d'El Biar et de Bab-el-Oued. Elles ont fait chacune un mort et plusieurs blessés.

Quinze personnes au moins auraient été tuées et plus de 75 autres blessées le 27 septembre 1996 à la suite de l'explosion d'une bombe dans un marché de Boufarik vers dix heures du matin, heure de grande affluence.

Les chiffres officiels concernant les victimes de ces explosions et attentats récents sont beaucoup moins élevés que ceux fournis par d'autres sources, notamment les journalistes, le personnel hospitalier et la population locale.

Les actes de torture imputables aux groupes armés d'opposition : le viol

De nombreuses informations parvenues en 1994 et en 1995 ont fait état d'enlèvements de femmes par des membres de groupes armés suivis de viols, notamment dans des régions isolées où les forces de sécurité sont absentes. Des familles vivant dans des régions rurales isolées ont envoyé leurs filles chez des parents en ville car ils craignaient qu'elles ne soient enlevées par des membres de groupes armés. À cause de la honte attachée au viol et de l'absence d'organismes aptes à soutenir les victimes, il est très difficile de recueillir des témoignages détaillés sur de tels cas et donc de connaître la véritable ampleur de cette catégorie de crime. La télévision nationale a diffusé plusieurs témoignages de femmes qui affirmaient avoir été violées par des membres de groupes armés à leur domicile ou après avoir été enlevées. Les délégués d'Amnesty International n'ont pas été en mesure de rencontrer ces femmes, mais ils ont recueilli des informations détaillées auprès de diverses sources à propos de plusieurs dizaines de femmes violées par des membres de groupes armés. Selon les renseignements dont dispose l'Organisation, les victimes, dont certaines étaient âgées de seize ou dix-sept ans seulement, ont le plus souvent été enlevées à leur domicile en présence de leurs proches. Certaines ont réussi à s'enfuir, d'autres ont été relâchées ou abandonnées lorsque les membres des groupes armés ont quitté leur cachette, d'autres encore ont recouvré la liberté lorsque les forces de sécurité ont attaqué les repaires de groupes armés. Certaines des victimes de viol auraient en outre été battues, torturées et maltraitées pendant leur captivité et notamment brûlées avec des cigarettes et menacées de mort ; d'autres auraient été tuées.

Une femme de vingt-deux ans enlevée en août 1994 a fait le récit suivant :

« Des "terroristes" sont venus chez nous ; ils ont dit à mon père qu'ils voulaient m'épouser. Mon père et moi avons refusé, mais ils n'en ont pas tenu compte. Ils ont récité la Fatiha (première sourate du Coran récitée à l'occasion du mariage) puis deux d'entre eux m'ont attrapée, un de chaque côté, et ils m'ont fait monter avec d'autres [membres du groupe] dans une voiture qui est partie en direction de la montagne. D'autres [membres du groupe] sont restés chez moi. Ils ont menacé mon père pour qu'il ne les dénonce pas à la police. Nous sommes arrivés dans une sorte de maison en terre et l'un d'entre eux m'a dit que j'étais mariée avec lui. Il m'a dit son nom, mais j'ai remarqué que ses amis l'appelaient autrement. Il m'a frappée parce que je ne voulais pas qu'il me touche ; il a essayé de me violer mais il n'y est pas arrivé ; alors il s'est mis en colère et m'a dit que je lui avais jeté un sort. Le lendemain matin, ils m'ont ramenée chez mes parents et les ont accusés d'être des sorciers qui leur avaient jeté un sort à cause duquel il avait été impossible de me violer. Ils sont restés quelque temps dans la maison en terre voisine de la nôtre, puis ils sont partis. Les forces de sécurité ont ensuite fait sauter la maison en nous accusant d'avoir hébergé les "terroristes". Comme si nous avions le choix ! Nous vivons près d'une forêt et il n'y a rien, pas de gendarmerie, pas de voisins pour nous aider. Maintenant tout est fini pour moi : les "terroristes" ont détruit ma vie et ils nous ont déshonorés, ma famille et moi. »

Une étudiante en journalisme a déclaré aux représentants d'Amnesty International qu'elle avait été enlevée en mai 1995 dans la rue, alors qu'elle rentrait de l'université. Trois hommes armés l'avaient contrainte à monter dans une voiture et lui avaient bandé les yeux. Elle avait été emmenée dans une ferme isolée située à environ deux heures et demie de route de la capitale. À son arrivée, elle avait été interrogée par un jeune homme qui semblait responsable du groupe. Celui-ci lui avait demandé pourquoi elle ne portait pas le hidjab et il lui avait dit que Dieu avait ordonné aux femmes de rester à la maison. Il lui avait ensuite annoncé qu'elle allait être « mariée » à un membre du groupe. Elle a été violée par un autre homme, frappée et brûlée avec des cigarettes, puis elle s'est évanouie. Lorsqu'elle a repris connaissance à l'hôpital, on lui a dit qu'elle avait été retrouvée au bord d'une route, en dehors d'Alger.

Où sont les "disparus" ?

Les "disparitions" sont une pratique de plus en plus répandue. Amnesty International a recueilli des informations sur des centaines de cas de "disparitions" survenues au cours des trois dernières années ; elle sait par ailleurs que des centaines, voire des milliers, d'autres personnes ont subi le même sort. La grande majorité des "disparus" ont apparemment été arrêtés par des membres de la sécurité militaire, de la gendarmerie ou de la police[22]

Des milliers d'hommes et de femmes vivent dans l'angoisse en se demandant si leurs proches "disparus" sont toujours en vie. Ils sont à la recherche de traces et d'indices susceptibles de révéler l'endroit où ils sont retenus, espérant trouver quelqu'un qui pourra leur donner des nouvelles.

« Je veux juste savoir où il est, s'il est mort ou vivant. » Les familles des "disparus" ne cessent de répéter cette phrase, mais aucune n'a eu de réponse jusqu'à présent.

De nombreux "disparus" ont été arrêtés à leur domicile, dans la plupart des cas la nuit et en présence de leurs proches ; d'autres ont été interpellés sur leur lieu de travail ou dans la rue. Dans les jours, les semaines et les mois qui ont suivi leur arrestation, leurs familles les ont recherchés dans les postes de police et de gendarmerie. Certaines ont découvert qu'il n'y avait aucune trace de l'arrestation de leurs proches, d'autres se sont fait dire qu'ils étaient détenus et qu'ils ne pouvaient recevoir de visite, mais qu'ils seraient rapidement libérés. Des postes de police et de gendarmerie ont accepté la nourriture et les vêtements apportés par les familles, mais quelques jours plus tard, on a dit à celles-ci de ne plus rien déposer, leurs proches ayant été transférés.

Des personnes placées en détention secrète et qui avaient "disparu" ont "réapparu" des mois plus tard ; elles ont alors été transférées dans des prisons ou libérées sans inculpation ni jugement et sans qu'il y ait la moindre trace écrite de leur arrestation et de leur détention. Les personnes libérées ont fourni des informations à propos de certains "disparus" incarcérés avec eux dans des centres de détention secrets et dans des casernes de l'armée. Dans la plupart des cas, ces informations ne concernaient que les premiers mois de la détention.

Des familles ont tenté d'obtenir des nouvelles de leurs proches "disparus" par l'intermédiaire de parents et de connaissances au sein des forces de sécurité et de l'armée. Certaines ont appris que leurs proches, toujours vivants, étaient détenus et d'autres, qu'ils avaient été tués. Les membres des forces de sécurité et de l'armée qui fournissent ces informations aux familles sont souvent réticents à donner des détails, car ils craignent pour leur propre sécurité.

Un policier, dont le frère a "disparu" après son arrestation il y a trois ans, a déclaré à Amnesty International :

« Je ne peux rien faire pour retrouver mon frère parce qu'il est entre les mains de la sécurité militaire. Je connais ceux qui l'ont arrêté mais ils l'ont remis à la sécurité militaire ; même eux n'ont aucune idée de l'endroit où il est détenu et ne savent pas s'il est encore vivant. Mon frère était un membre actif du FIS et il avait été candidat de ce parti aux élections. Il m'est donc encore plus difficile de m'enquérir de son sort, parce que mes collègues eux-mêmes pourraient me soupçonner de sympathie envers les "terroristes". En tant que policier, je suis menacé de mort par les "terroristes", je ne rentre que rarement chez moi et j'ai envoyé ma femme chez des parents parce que tout le monde dans notre quartier sait quel est mon métier ; j'avais peur qu'elle soit tuée simplement parce qu'elle est ma femme. Je ne partage pas les opinions politiques de mon frère mais je sais qu'il n'était pas un "terroriste" et qu'il n'avait aucun lien avec les "terroristes". Quoi qu'il en soit, s'ils l'accusent de quelque chose, ils devraient le juger et le mettre en prison mais ce n'est pas juste de le faire "disparaître" comme cela. Mon frère n'est pas le seul dans cette situation : des centaines d'autres personnes ont "disparu". Je pense que beaucoup d'entre elles ont été tuées juste après leur arrestation. Des familles ont pris contact avec ma mère parce qu'elles savent que je suis policier ; elles lui ont dit de me demander de retrouver leurs fils. Mais que puis-je faire pour ces gens ? Même pour mon propre frère, je ne peux rien faire. Je n'oserais même pas poser des questions à leur sujet. Quand j'ai essayé de savoir où était mon frère, je l'ai fait très discrètement. J'en ai seulement parlé à des collègues auxquels je fais confiance, qui sont sûrs de moi et n'iront pas penser que j'ai de la sympathie pour les "terroristes". »

Un "disparu" a été arrêté en juillet 1994 au domicile d'un policier auquel il rendait visite. Des membres des forces de sécurité s'étaient d'abord rendus au domicile de cet homme tard dans la soirée. Les parents de celui-ci leur ayant dit qu'il était s'était rendu chez un ami policier, ils sont allés le chercher au domicile de ce dernier. La famille a reconnu certains de ces hommes, qui étaient en civil et se sont présentés comme des membres des forces de sécurité sans préciser à quel service ils appartenaient. Ils se sont ensuite rendus à l'endroit où se trouvait la personne qu'ils recherchaient, chez le policier ; celui-ci a également reconnu les membres des forces de sécurité qui ont emmené son ami. Cet homme a "disparu". Sa famille a reçu l'assurance, par l'intermédiaire de connaissances au sein des forces de sécurité, qu'il était vivant et placé en détention secrète mais elle n'a pu obtenir aucun renseignement de source officielle. Peu de temps avant l'arrestation de cet homme, l'un de ses frères avait été interpellé et maintenu en détention pendant une semaine par la sécurité militaire dans un lieu inconnu, les yeux constamment bandés. Il avait été relâché au bord de l'autoroute et avait dû rentrer chez lui par ses propres moyens.

Il arrive fréquemment, comme dans ce dernier cas, que d'autres membres de la famille soient arrêtés à peu près en même temps que le "disparu". Djamel Farsadou, un opérateur de cinéma âgé de quarante-deux ans, marié et père d'un jeune enfant, a été arrêté à son domicile le 5 juin 1995 vers quatorze heures en présence de sa famille et de ses voisins ; depuis lors, il a "disparu". Quelques jours auparavant, son père avait été arrêté par des membres des forces de sécurité qui s'étaient présentés au domicile de la famille au milieu de la nuit. Cet homme de soixante-dix ans a été emmené en pyjama dans un centre de détention où il a été torturé pendant son interrogatoire et accusé d'avoir hébergé des "terroristes" à son domicile. Il a été relâché le lendemain matin vers dix heures, toujours en pyjama, sur la grand-route menant à son quartier. Les membres des forces de sécurité lui ont donné un peu d'argent pour qu'il puisse rentrer chez lui en taxi.

Les familles gardent souvent le silence pendant des mois au sujet de la "disparition" de leurs proches, espérant que ceux-ci seront libérés ou parce qu'elles craignent que le fait de parler les mette en danger. D'autres, surtout dans les régions rurales, ne savent que faire ni à qui s'adresser. Des centaines de familles ont pris contact avec des avocats, des organisations de défense des droits de l'homme et des partis politiques ainsi qu'avec les autorités algériennes ; certaines ont écrit des centaines de lettres sans obtenir aucune réponse. Le père d'un "disparu" a déclaré aux représentants d'Amnesty International :

« J'ai pris contact avec toutes les personnes auxquelles j'ai pensé. Je ne comprends pas grand chose à la politique et à tout ça, je ne savais pas qui étaient les ministres, je ne pourrais même pas citer les présidents depuis l'indépendance. Maintenant je peux vous dire le nom de tous les ministres [il a commencé à réciter des noms de ministres] parce que je leur ai écrit tant de fois ; je suis illettré mais je dicte les lettres à mes enfants. Je n'ai eu aucune réponse, mais je continue à écrire. Dès qu'un nouveau ministre est nommé, je lui écris, j'espère que l'un d'entre eux fera quelque chose pour m'aider à retrouver mon fils. J'ai même cherché dans les morgues et dans les cimetières mais je n'ai vu son nom nulle part. Une de mes connaissances dans l'armée m'a assuré que mon fils était vivant mais qu'il ne pouvait rien me dire d'autre. Mon fils n'est pas un "terroriste". Je sais que vous risquez de dire que tous les parents pensent du bien de leurs enfants, mais qu'ils le traduisent en justice s'il a fait quelque chose ; moi, je veux simplement savoir où il est. »

Les familles de certains "disparus" n'ont pas ménagé leurs efforts pour les retrouver. Elles ont essayé de briser le mur de silence qui entoure leur sort. Dans la plupart des cas, les autorités ont ignoré les demandes d'éclaircissements concernant les "disparus". Elles se sont toutefois senties obligées de répondre à certaines familles qui avaient été particulièrement tenaces et avaient pris contact avec des organisations internationales et intergouvernementales de défense des droits de l'homme. Les informations inexactes et incohérentes qui ont été fournies dans plusieurs cas indiquent qu'au lieu de mener des enquêtes pour établir le sort des "disparus", les autorités s'efforcent de dissimuler la responsabilité des forces de sécurité dans les "disparitions".

C'est ainsi que 16 hommes arrêtés chez eux, à Ras-el-Oued, dans la nuit du 21 au 22 juillet 1994 ont "disparu". Leurs familles ont vainement tenté à maintes reprises d'obtenir de leurs nouvelles ; les autorités ont éconduit certaines d'entre elles en leur disant que leurs proches avaient probablement rejoint les groupes armés d'opposition. Aucune enquête n'a été effectuée pour retrouver ces 16 hommes dont le cas n'a pas été évoqué par les médias. Amnesty International a adressé des demandes d'éclaircissements aux autorités mais n'a pas reçu de réponse. En mars 1995, l'ONDH a affirmé à l'Organisation qu'elle ne disposait d'aucune information sur ces personnes qui avaient peut-être volontairement disparu, comme cela s'était déjà produit. En septembre 1995, après plus d'une année de vaines recherches, deux des familles qui avaient mené les recherches les plus actives et qui vivent à l'étranger ont reçu des lettres de l'ONDH. Celle-ci les informait que 15 corps avaient été retrouvés dans une forêt à quelque distance de Ras-el-Oued le 22 juillet 1994, soit le lendemain de l'arrestation des 16 hommes. L'ONDH ajoutait qu'ils avaient probablement été enlevés et tués par un « groupe terroriste » ; elle n'indiquait pas aux deux familles si les corps identifiés étaient effectivement ceux de leurs proches ou d'autres hommes arrêtés en même temps qu'eux. Toutes les tentatives de ces familles pour obtenir d'autres informations sont restées vaines. En mai 1996, les autorités ont affirmé que seuls deux des 15 corps retrouvés avaient pu être identifiés et qu'il s'agissait de deux des 16 "disparus" de Ras-el-Oued ; elles ont ajouté que tous les corps avaient été photographiés avant d'être inhumés. Le gouvernement algérien n'a pas expliqué pourquoi les familles de ces deux "disparus", qui n'avaient cessé de s'enquérir du sort de leurs proches, n'avaient pas été informées plus tôt de leur mort, pourquoi elles n'avaient pas été autorisées à voir les corps de façon à confirmer leur identité avant l'inhumation, ni à assister à celle-ci, ni même à voir les photographies des cadavres de façon à confirmer leur identité après l'inhumation.

Djamaleddine Fahassi, journaliste à la radio nationale, a "disparu" après avoir été arrêté non loin de son domicile dans le quartier d'El Harrach à Alger, dans l'après-midi du 6 mai 1995. Cet homme de quarante ans, marié et père d'une petite fille de six mois, avait laissé son enfant à la garde d'une personne de sa famille pour aller acheter de quoi manger. Les autorités, qui n'ont pas répondu aux démarches répétées de ses proches, assurent qu'il a probablement été enlevé par un « groupe terroriste ». L'arrestation et la "disparition" de Djamaleddine Fahassi n'ont toutefois pas été signalées par les médias, qui commentent largement tous les cas d'enlèvements et d'homicides de journalistes imputés aux groupes armés. Le silence autour du cas de cet homme semble indiquer qu'il était reconnu dès le début qu'il avait été enlevé par les forces de sécurité et non par un groupe armé. Djamaleddine Fahassi avait été condamné en 1991 à trois mois d'emprisonnement par le tribunal militaire de Blida pour avoir rédigé un article paru dans El Forkane (La preuve)– un journal proche du FIS qui a cessé ses activités en 1992 – dans lequel il critiquait l'armée. De nouveau arrêté au début de 1992, en même temps que plus de 10 000 autres personnes, il avait été détenu pendant six semaines dans un camp d'internement situé à Aïn Salah, dans le désert, au sud du pays. Il avait été libéré sans avoir été inculpé ni jugé.

Citons parmi les centaines de "disparus" Nacera Lazreg, mère de six jeunes enfants. Cette femme de trente-cinq ans, arrêtée à son domicile par les forces de sécurité vers une heure et demie du matin dans la nuit du 5 au 6 décembre 1994, a depuis lors "disparu". Son mari, qui vivait dans la clandestinité, venait d'être tué par les forces de sécurité. Son beau-frère, qui avait été arrêté le 17 octobre 1994, venait d'être transféré en prison après quarante-trois jours de détention secrète au cours desquels il aurait été torturé. Nacera Lazreg avait déjà été arrêtée la nuit à son domicile quelques mois auparavant ; elle avait été libérée le lendemain matin après avoir été interrogée sur les activités de son mari et l'endroit où il se trouvait. Des détenus l'auraient vue au commissariat de Bouroubaa quelques jours après sa "disparition", en décembre 1994. Toutes les démarches de la famille de cette femme et de ses avocats auprès des autorités pour obtenir des informations sont restées vaines.

Parmi les personnes "disparues" après leur arrestation figurent des membres du FIS élus maires aux élections municipales de 1990 ou députés à l'issue du premier tour des élections législatives de décembre 1991, annulées par la suite. C'est notamment le cas de Mohamed Rosli, directeur de l'Institut de sociologie de l'université de Blida, arrêté le 30 octobre 1993 dans son bureau à l'université et de Brahim Charrad, arrêté dans la nuit du 21 au 22 juillet 1994 à son domicile de Ras-el-Oued en même temps que 15 autres personnes (dont le cas est évoqué plus haut). Citons également Djilali Nouri, maire d'El Harrach jusqu'à l'interdiction du FIS et la destitution des maires élus sous l'étiquette de ce parti, arrêté le 23 avril 1994 au centre d'Alger avec Hamou Mahboub, journaliste au quotidien El Djazaïr el Youm (l'Algérie aujourd'hui) interdit à la mi-94. Djilali Nouri et Hamou Mahboub auraient été vus par d'autres détenus au commissariat central d'Alger entre le 15 et le 18 avril 1995.

Outre les "disparitions" de personnes arrêtées sans jamais être jugées et dont les autorités n'ont pas reconnu la détention, deux condamnés au moins sont maintenus en détention secrète. Ali Belhadj, vice-président du FIS, est détenu depuis près de deux ans dans un endroit tenu secret sans pouvoir rencontrer sa famille ni ses avocats. Arrêté en juillet 1991 en même temps qu'Abbassi Madani, président du FIS, il a été condamné par un tribunal militaire en juillet 1992 à douze ans d'emprisonnement. Les deux hommes ont quitté la prison en septembre 1994 dans le cadre de négociations avec la présidence algérienne, pour être placés en résidence surveillée dans un endroit tenu secret. Mais ils ont réintégré leur prison quelques mois plus tard. Au début de 1995, Ali Belhadj a été transféré dans un centre de détention secret situé dans le désert au sud du pays ; sa famille est sans nouvelles de lui depuis cette date. Un journaliste de l'agence de presse Algérie Presse Service (APS), qui avait révélé en février 1995 sur un téléscripteur interne à l'agence qu'Ali Belhadj était détenu dans la région de Tamanrasset, a été arrêté et condamné par un tribunal militaire à la peine de trois ans d'emprisonnement pour avoir diffusé des informations de nature à porter atteinte à la sûreté de l'État[23] L'épouse et les enfants d'Ali Belhadj, ainsi que ses avocats, continuent de s'enquérir de son lieu de détention mais sans obtenir de réponse. La santé de cet homme se serait dégradée et il serait privé des soins médicaux nécessités par son état. Abbassi Madani, président du FIS, est également détenu dans un lieu tenu secret. Certains de ses proches sont autorisés à lui rendre visite, à condition de ne pas révéler son lieu de détention. Amnesty International s'est adressée aux autorités algériennes et à l'ONDH pour obtenir des informations relatives au lieu de détention et à la situation judiciaire d'Ali Belhadj et d'Abbassi Madani ; celles-ci ont répondu qu'aucun renseignement ne pouvait être fourni, le cas de ces deux hommes étant de nature politique.

Les procédures d'arrestation favorisent les "disparitions"

Les autorités algériennes assurent ne disposer d'aucune information sur le sort des "disparus" et soutiennent que rien ne prouve qu'ils aient été arrêtés par les forces de sécurité. Elles insinuent souvent que les "disparus" ont probablement été enlevés par des groupes "terroristes". Les arrestations opérées par les forces de sécurité ressemblent en effet fréquemment aux enlèvements perpétrés par les groupes armés. Il s'agit dans les deux cas d'hommes armés, en uniforme ou en civil, le visage parfois recouvert d'un passe-montagne, et qui peuvent se présenter comme appartenant aux forces de sécurité. Ils sont parfois très polis avec les familles, qu'ils rassurent en leur disant que leur proche est emmené pour une vérification et qu'il sera rapidement libéré ; en d'autres occasions, ils les menacent et les insultent. Ils fouillent très souvent les maisons et emmènent les détenus dans des véhicules de la police ou de l'armée, ou parfois dans des voitures banalisées. Les familles des personnes enlevées ne parviennent généralement pas à obtenir de nouvelles de leurs proches pendant la durée de la détention secrète : les forces de sécurité et les autorités nient qu'ils les détiennent ou ne répondent pas aux demandes d'informations.

Ces pratiques des forces de sécurité sont contraires à la législation algérienne et aux normes internationales. L'article 10 de la Déclaration des Nations unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ou involontaires exige que les prisonniers soient incarcérés dans des centres de détention reconnus et que leurs proches et leurs avocats soient informés sans délai du lieu où ils se trouvent. La règle 92 de l'Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus adoptées par les Nations unies énonce des dispositions similaires[24] L'article 51 du Code de procédure pénale (CPP) prévoit que le maintien en garde à vue des personnes arrêtées ne peut excéder douze jours[25] Les familles doivent, dans ce cas, être immédiatement informées de l'arrestation de leurs proches et de leur lieu de détention. Mais la durée maximale de la garde à vue est régulièrement dépassée ; de plus, les forces de sécurité maintiennent des prisonniers en détention secrète et non reconnue pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

Rachid Mesli, un avocat défenseur des droits de l'homme, a été enlevé le 31 juillet 1996. Selon les informations dont dispose Amnesty International, il circulait en voiture avec son fils de cinq ans et son beau-frère sur une route de campagne à proximité de Rouiba, dans les environs d'Alger, lorsque, vers 19 h 30, le véhicule a été intercepté par un groupe d'hommes armés en civil et munis d'émetteurs radio. Ces hommes, qui ne se sont pas présentés, ont demandé au beau-frère et au fils de Rachid Mesli de tourner la tête et ils ont emmené ce dernier à bord d'une voiture ordinaire. La famille et les collègues de Rachid Mesli ont craint d'abord qu'il n'ait été enlevé par un groupe armé. Ils n'ont pas réussi à obtenir d'informations auprès des forces de sécurité qui niaient l'avoir arrêté. L'Organisation a immédiatement demandé aux autorités algériennes de révéler l'endroit où cet homme était détenu mais n'a pas reçu de réponse. Le 7 août, le bâtonnier de l'Ordre des avocats algériens a informé Amnesty International qu'il avait interrogé en vain les autorités au sujet du sort de Rachid Mesli. Cela laisse à penser que la détention secrète de cet avocat n'avait pas été approuvée par les autorités judiciaires et était de ce fait illégale ou que celles-ci avaient autorisé les forces de sécurité à le maintenir en détention secrète et non reconnue en violation de la législation algérienne et des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme.

Dans la soirée du 7 août, le domicile et le cabinet de Rachid Mesli ont fait l'objet d'une perquisition par des membres des forces de sécurité : c'était donc bien ces dernières qui l'avaient appréhendé, et non un groupe armé. Il a finalement comparu le 10 août devant un juge d'instruction qui l'a inculpé de complicité avec un groupe armé, après quoi il a été transféré à la prison d'El Harrach à Alger. Rachid Mesli aurait été battu et maltraité pendant sa détention secrète ; des avocats qui l'ont rencontré ont confirmé qu'il présentait des ecchymoses à l'œil droit et à la main et qu'il semblait en mauvaise condition physique.

L'ONDH a confirmé le 11 août à Amnesty International que Rachid Mesli avait été arrêté par les forces de sécurité le 31 juillet 1996 et que sa détention au secret avait été autorisée par la justice. L'ONDH n'a toutefois pas expliqué pourquoi, pendant plus de dix jours, ni les forces de sécurité qui détenaient cet homme ni les autorités judiciaires n'avaient informé sa famille de son arrestation ; qui plus est, elles avaient même refusé de reconnaître qu'il était détenu.

Les familles reconnaissent parfois certains des membres des forces de sécurité qui procèdent aux arrestations. Mais lorsqu'elles demandent à ces personnes connues quel est le lieu de détention de leurs proches, elles n'obtiennent généralement aucun renseignement. Les forces de sécurité disent souvent aux familles des "disparus" que leurs proches ont probablement été enlevés par des "terroristes", ou qu'ils sont eux-mêmes des "terroristes" et qu'ils ont simulé un enlèvement pour rejoindre un groupe armé. Dans certains cas, des parents se sont vu répondre par un service de sécurité que leur fils avait été enlevé par des "terroristes", tandis qu'un autre service affirmait qu'il était lui-même un "terroriste" et qu'il avait rejoint les groupes armés. Il est arrivé assez souvent que les détenus au sujet desquels ce genre d'explications avaient été fournies soient par la suite libérés ou transférés dans des prisons officielles : ils avaient donc bien été arrêtés et n'avaient ni rejoint les groupes armés ni été enlevés par l'un de ces derniers.

Les forces de sécurité et les autorités utilisent le mur de silence et de secret qui entoure les arrestations et la détention secrète pour nier l'existence des "disparus" en affirmant qu'il n'y a aucune preuve qu'ils aient été arrêtés. De telles pratiques contribuent à créer un climat de terreur et aggravent une situation déjà confuse dans laquelle les victimes et leurs familles ne comprennent pas pourquoi, ni même par qui, elles sont prises pour cible. Dans la plupart des cas portés à la connaissance de l'Organisation au cours des cinq dernières années, et notamment ceux de personnes arrêtées dans le cadre de procédures qui ne relevaient pas de la législation « antiterroriste », les forces de sécurité n'ont pas présenté de mandat d'arrêt ni de perquisition aux personnes arrêtées ni à leurs proches.

C'est ainsi qu'en mars 1996, deux journalistes travaillant pour le journal satirique Mesmar (Clou) de Constantine ont été arrêtés à cause d'articles et de caricatures publiés par ce journal. Ils ont été interpellés le soir, à proximité des bureaux du journal, par des hommes en civil qui ne leur ont présenté ni mandat d'arrêt ni aucun autre document prouvant qu'ils appartenaient vraiment aux forces de sécurité. Les journalistes ont pensé qu'ils étaient enlevés par un groupe armé, étant donné les menaces de mort régulièrement proférées par ces groupes à l'encontre des journalistes et bien souvent mises à exécution. Ce n'est qu'en arrivant au commissariat qu'ils ont compris qu'ils avaient réellement été interpellés par des membres des forces de sécurité.

Parce que les forces de sécurité sont autorisées à procéder à des arrestations dans de telles conditions et à maintenir des prisonniers en détention secrète dans des lieux qui ne sont pas sous le contrôle des autorités judiciaires, les détenus sont exposés à être victimes de violations de leurs droits fondamentaux et notamment d'exécutions extrajudiciaires, de "disparitions" et d'actes de torture.

Amnesty International a demandé à maintes reprises aux autorités algériennes des renseignements à propos de personnes maintenues en détention secrète prolongée. Il lui a été impossible, dans tous les cas évoqués, d'obtenir la moindre information pendant la détention secrète. Les familles des personnes arrêtées et leurs avocats ainsi que les organisations algériennes et internationales de défense des droits de l'homme et l'ONDH, organisme officiel, sont confrontés au même problème.

La torture et les mauvais traitements : une pratique bien établie

Les événements des cinq dernières années ont démontré comment la la torture, qui avait pratiquement disparu en Algérie de 1989 à 1991[26]26, a pu redevenir une pratique bien établie, les autorités n'ayant pris aucune mesure pour y mettre un terme. Amnesty International a exprimé depuis 1992 sa préoccupation devant la recrudescence du recours à la torture en Algérie. Elle a appelé les autorités à ordonner une enquête sur toutes les plaintes pour torture et à traduire en justice les responsables de tels agissements. L'Organisation a également réclamé la mise en place de mécanismes destinés à garantir le placement de tous les lieux de détention sous le contrôle d'une autorité judiciaire et l'application des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme ainsi que des garanties dans ce domaine prévues par la législation algérienne. Amnesty International estime que de telles mesures auraient pu enrayer la recrudescence des actes de torture. Toutefois, aucune mesure concrète n'a été prise jusqu'à présent[27] pour mettre un terme à la torture et empêcher le recours à cette pratique. Aucune enquête ne semble avoir été effectuée sur des plaintes pour torture et les membres des forces de sécurité continuent à torturer les détenus en toute impunité.

Les détenus seraient torturés et maltraités pendant leur garde à vue dans les postes de police et les gendarmeries ainsi que dans les centres de la sécurité militaire, entre autres lieux de détention secrète. Les forces de sécurité infligent des tortures aux membres avérés ou présumés de groupes armés d'opposition pour obtenir des informations, pour les contraindre à dénoncer des tiers, pour leur faire signer des procès-verbaux dans lesquels ils avouent leur participation à des homicides ou à d'autres crimes. Des tortures et des mauvais traitements seraient également infligés à titre de sanction en dehors des interrogatoires.

Le recours à la torture est contraire à la Constitution algérienne et aux traités internationaux auxquels l'Algérie est partie. L'article 33 de la Constitution dispose : « L'État garantit l'inviolabilité de la personne humaine. Toute forme de violence morale ou physique est proscrite. »

L'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) dispose : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »

Selon l'article 4 de ce pacte, ce droit ne peut faire l'objet d'aucune dérogation quelles que soient les circonstances, même « dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation ».

En outre, l'article 2 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dispose : « Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse de l'état de guerre ou de menace de guerre, d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état d'exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture. »

L'article 5 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples contient des dispositions similaires.

L'Algérie a ratifié en 1989 le PIDCP et la Convention contre la torture mais à ce jour, aucun de ces traités n'a été publié au Journal officiel algérien. Une décision rendue le 20 août 1989 par le Conseil constitutionnel prévoit que les conventions et traités internationaux, une fois ratifiés, ne font partie intégrante du droit algérien qu'après leur publication au Journal officiel. Cette disposition – qui est contraire aux traités, puisqu'un État est tenu de les respecter dès qu'il les a ratifiés – remet en cause les engagements des autorités algériennes, qui disent vouloir se conformer à ces traités internationaux.

La législation algérienne renferme un certain nombre de dispositions qui pourraient, si elles étaient appliquées, protéger les personnes placées en garde à vue contre les violations de leurs droits fondamentaux. L'article 51 du CPP et l'article 45 de la Constitution prévoient que les détenus ont droit à un examen médical pratiqué par le médecin de leur choix à la fin de la garde à vue. Cet examen peut être sollicité par le détenu lui-même, par sa famille ou par son avocat. La règle 91 de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus contient des dispositions similaires. L'article 52 du CPP prévoit en outre que le procureur de la République peut désigner, d'office ou à la requête d'un membre de la famille de la personne arrêtée, un médecin qui examinera cette dernière pendant sa garde à vue. Il est important de rappeler que la durée maximale de la garde à vue était de quarante-huit heures (renouvelables une seule fois dans les cas exceptionnels) lorsque ces articles ont été promulgués. La durée de la garde à vue ayant été portée à douze jours, il est essentiel que les détenus soient examinés par un médecin indépendant pendant la garde à vue et à la fin de celle-ci.

Dans la plupart des cas portés à la connaissance d'Amnesty International, les détenus ont été privés de ce droit et n'ont pas non plus été examinés par un médecin indépendant après leur transfert en prison. Certains des prisonniers morts pendant la période de détention secrète auraient été sommairement exécutés et d'autres seraient morts des suites de torture. Certains détenus qui avaient été blessés ont été emmenés à l'hôpital pour y recevoir des soins en urgence ; toutefois, dans la plupart des cas connus de l'Organisation, les détenus n'ont pas été examinés par un médecin et ils ont été privés de soins médicaux même rudimentaires. Dans les rares cas où un magistrat a ordonné un examen médical, celui-ci a été effectué par un médecin désigné par les autorités et, le plus souvent, plusieurs semaines après les actes de torture dénoncés.

Lors de leur visite en Algérie en août 1994, les représentants d'Amnesty International ont demandé à rencontrer des détenus de la prison d'El Harrach qui s'étaient plaints d'avoir été torturés pendant leur détention secrète. Parmi eux figuraient Noureddine Lamdjadani, un médecin arrêté le 17 mai 1994 après s'être présenté au commissariat en réponse à une convocation, puis maintenu en détention secrète pendant soixante jours, et Saïd Moulay, professeur de mathématiques, arrêté le 19 juin 1994 et maintenu en détention secrète pendant vingt-neuf jours. Ces deux hommes auraient subi la torture dite du « chiffon » (voir ci-après) ; ils auraient été sauvagement battus notamment à coups de tuyau en caoutchouc et de bâton et l'un d'entre eux aurait été menacé de mort. Saïd Moulay, grièvement blessé, a été transféré à l'hôpital où ses plaies à la tête et à la main ont été suturées. L'examen médical réclamé à maintes reprises par ses avocats a finalement été ordonné à la fin du mois de juillet mais n'a pas été effectué dans les mois qui ont suivi. Les deux hommes sont toujours détenus sans jugement. Les délégués de l'Organisation n'ont rencontré aucun prisonnier car les autorités pénitentiaires et le juge d'instruction avaient refusé qu'ils s'entretiennent avec les détenus en privé, mesure pourtant nécessaire pour garantir la confidentialité.

Aucune organisation indépendante de défense des droits de l'homme, algérienne ou internationale, et aucune organisation humanitaire n'ont pu à ce jour rencontrer de prisonniers. Le gouvernement algérien a affirmé, notamment dans les rapports addressés à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples et au Comité des Nations unies contre la torture, qu'il avait autorisé le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à visiter les prisons algériennes. Le CICR a toutefois affirmé qu'aucune disposition n'avait été prise jusqu'à présent pour permettre à ses représentants d'avoir accès aux prisons. Si les représentants de ces organisations avaient la possibilité de rencontrer les détenus, de s'entretenir avec eux en privé et de les soumettre à un examen médical, cela constituerait une mesure importante permettant d'enquêter sur les plaintes pour torture et mauvais traitements infligés pendant la garde à vue, d'en évaluer le bien-fondé et d'empêcher le recours à la torture et aux mauvais traitements à l'encontre des détenus.

Les méthodes de torture

Les témoignages émanant de détenus, y compris d'anciens prisonniers ayant été examinés par des médecins en Algérie et à l'étranger, ainsi que les informations concordantes et détaillées recueillies auprès d'autres sources (anciens magistrats, membres de l'armée et des forces de sécurité, avocats, médecins, infirmières, journalistes, proches de détenus…) indiquent que la torture est en quelque sorte devenue institutionnelle. Ces pratiques sont en effet devenues systématiques ; de plus, certaines des méthodes utilisées exigent un matériel qui ne se trouve pas normalement dans les centres de détention.

La méthode de torture la plus fréquemment utilisée est celle du « chiffon » : la victime est attachée à un banc, un morceau de tissu enfoncé dans la bouche, puis on lui pince le nez et on verse à travers le tissu une grande quantité d'eau sale mélangée à des produits chimiques, ce qui entraîne une suffocation et un gonflement de l'estomac. Parmi les autres méthodes figurent le « chalumeau », utilisé pour brûler le visage ou d'autres parties du corps, les décharges électriques sur les oreilles, les parties génitales, l'anus et les autres parties sensibles du corps, les sévices consistant à attacher autour du pénis et/ou des testicules un fil que l'on resserre ou à coincer violemment le pénis dans un tiroir, les coups sur les parties sensibles du corps. Citons encore les brûlures de cigarettes, l'introduction de bouteilles, de bâtons, d'autres objets notamment des armes à feu, voire de colle, dans l'anus, et la suspension dans des positions contorsionnées.

Dans la plupart des cas portés à la connaissance de l'Organisation, les détenus avaient les yeux bandés pendant les transferts et, dans certains cas, pendant les interrogatoires, voire à d'autres moments pendant la garde à vue.

Les plaintes de plus en plus nombreuses pour torture et mauvais traitements infligés par les forces de sécurité doivent faire l'objet d'enquêtes indépendantes et impartiales, dont les résultats doivent être rendus publics et qui doivent déboucher sur la comparution en justice des responsables, ainsi que les autorités algériennes y sont tenues par leur propre législation. Dans le cas contraire, Amnesty International craint que les membres des forces de sécurité ne considèrent la torture comme un moyen acceptable d'extorquer des aveux aux détenus ou de les contraindre à signer des procès-verbaux, ce qui ne peut que les encourager à recourir encore plus à de telles pratiques.

L'absence d'enquêtes sur la torture et la détention illégale

Amnesty International a déploré à plusieurs reprises que les juges et les magistrats du Parquet n'ordonnent pas d'enquêtes sur les violations systématiques commises à tous les stades des investigations précédant le procès. L'Organisation a notamment exprimé la préoccupation que lui inspirent le maintien illégal en garde à vue prolongée et en détention secrète ainsi que les actes de torture et les mauvais traitements infligés aux détenus par les membres des forces de sécurité responsables de la détention.

Aux termes de l'article 51 du CPP algérien, les membres des forces de sécurité qui violent les dispositions relatives aux délais de garde à vue sont passibles des peines encourues en cas de détention arbitraire. Selon l'article 52, la date, l'heure et la durée de chaque interrogatoire ainsi que la date et l'heure de la remise en liberté du détenu ou de sa présentation au magistrat compétent doivent figurer sur le procès-verbal d'audition dressé par la police. Ces renseignements doivent également être portés sur un registre spécial paraphé par le procureur de la République et qui doit être tenu dans tous les lieux susceptibles de recevoir des personnes gardées à vue.

Les articles 13[28] et 15[29] de la Convention contre la torture prévoient l'ouverture d'enquêtes sur les plaintes pour torture et disposent que les aveux obtenus sous la torture sont nuls et non avenus. L'article 12 de cette convention exige l'ouverture sans délai d'une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture a été commis, même en l'absence de plainte formelle.

Les juges continuent pourtant de retenir à titre de preuve des aveux sur lesquels les détenus sont revenus à l'audience, en affirmant qu'ils avaient dû signer des procès-verbaux sous la contrainte ou sans être autorisés à en lire le contenu. Parfois, de tels aveux sont pris en compte par les magistrats alors que de nombreux éléments démontrent que les membres des forces de sécurité qui ont mené les interrogatoires et recueilli les aveux ont violé les dispositions de la législation algérienne et du droit international. L'article 54 du CPP dispose que les procès-verbaux doivent être paraphés sur chaque feuillet par l'officier de police qui les rédige : Amnesty International a pourtant examiné de nombreux procès-verbaux qui ne portaient pas la signature du responsable, ni la date, l'heure et la durée de chaque interrogatoire. Ces documents avaient toutefois été acceptés par des juges qui n'en avaient pas mis en doute la validité et qui n'avaient pas enquêté sur les conditions dans lesquelles les détenus les avaient signés, alors que dans certains cas, ces derniers disaient avoir été contraints sous la torture de signer les procès-verbaux.

Des juges et des responsables du ministère de la Justice et de l'ONDH ont déclaré aux représentants de l'Organisation que les détenus, pour assurer leur défense, se plaignaient systématiquement d'avoir été torturés et qu'ils exagéraient. Lorsque ceux qui ont la responsabilité d'enquêter sur les plaintes pour torture rejettent d'emblée les déclarations des détenus qui affirment avoir subi des sévices, il est à craindre qu'ils ne soient pas prêts à agir pour empêcher le recours à la torture et pour mettre un terme à cette pratique.

Amnesty International a eu connaissance de cas où des détenus présentaient des lésions et des traces de torture au moment de leur comparution à l'audience. Elle a reçu copie de très nombreuses demandes d'examen médical et de plaintes pour torture accompagnées d'une demande d'enquête, qui ont été rejetées ou ignorées par les tribunaux. L'Organisation a soumis des centaines de cas aux autorités algériennes en leur demandant de veiller à l'ouverture d'enquêtes indépendantes et impartiales. La plupart du temps, celles-ci n'ont pas répondu ou ont affirmé que ces plaintes pour torture étaient sans fondement. Les autorités ont annoncé dans certains cas l'ouverture d'une enquête ; aucune information judiciaire ne semblait toutefois avoir abouti au moment de la rédaction du présent rapport.

Nadir Hammoudi, maintenu en détention sans jugement depuis son arrestation en octobre 1992, a été placé en détention secrète pendant quarante jours, soit vingt-huit jours au-delà de la durée maximale de garde à vue autorisée par la législation algérienne. Il s'est plaint d'avoir été torturé et battu pendant sa détention secrète au commissariat de Bab-el-Oued et dans un autre centre de détention. La famille de cet homme, ses avocats et Amnesty International ont soumis à maintes reprises son cas aux autorités algériennes. En 1993, l'ONDH a formulé publiquement[30] une plainte contre un membre du personnel de l'Organisation qui lui avait écrit pour solliciter des investigations à propos du cas de Nadir Hammoudi, entre autres. En 1996, des responsables du ministère de la Justice ont déclaré à Amnesty International que l'enquête sur cette affaire n'était pas terminée. Par ailleurs, la plainte pour torture portée par Abdelkrim Mammeri, arrêté en novembre 1993 et maintenu en détention secrète pendant un mois, n'a fait l'objet d'aucune enquête. Pourtant, des membres de l'ONDH qui lui ont rendu visite en prison ont confirmé qu'il présentait des traces de torture et ils ont recommandé l'ouverture d'une enquête.

Certains détenus qui s'étaient plaints, au cours de ces dernières années, d'avoir été torturés pendant leur détention secrète ont été tués dans la prison de Serkadji en février 1995 ; leurs plaintes n'avaient été suivies d'aucune enquête. Parmi eux figuraient Yassine Simozrag, arrêté en juillet 1993 et incarcéré sans jugement, qui s'était plaint d'avoir été torturé au chalumeau pendant sa détention secrète, et Mohamed Aït Bellouk, arrêté en novembre 1993 et condamné à mort en janvier 1995, qui était apparemment devenu impuissant à la suite de sévices.

Les juges et les magistrats du Parquet sont tenus d'ordonner des enquêtes sur les transgressions de la loi qui sont portées à leur connaissance de façon à garantir tant le droit des prévenus à un procès équitable que le bon fonctionnement de la justice. L'indépendance, l'impartialité et l'engagement des magistrats en faveur du respect des droits de l'homme sont sujets à caution, puisqu'ils n'enquêtent pas sur les plaintes pour torture et sur le non-respect des procédures par les forces de sécurité et qu'ils retiennent à titre de preuve des aveux qui auraient été obtenus sous la contrainte et des procès-verbaux entachés d'irrégularités. Les autorités algériennes ne veillent pas à ce que des enquêtes soient effectuées et ne prennent aucune mesure pour empêcher le recours à la détention secrète et pour mettre un terme à cette pratique qui favorise la torture, les "disparitions" et les exécutions extrajudiciaires, entre autres violations. Une telle attitude ne peut qu'encourager ces violations et porter atteinte à l'autorité de la loi.

La détention prolongée sans procès

Plusieurs prisonniers accusés d'activités "terroristes" sont détenus sans jugement depuis plus de quatre ans. La législation algérienne[31] fixe la durée de la détention préventive à quatre mois renouvelables trois fois dans les affaires criminelles, soit une durée maximale de seize mois. Pourtant, des prisonniers arrêtés en 1992, en 1993 et en 1994 sont toujours détenus sans avoir été jugés.

C'est ainsi qu'Abdelkader Hachani, membre éminent du FIS qui avait dirigé le parti après l'arrestation du président et du vice-président et jusqu'aux élections législatives de décembre 1991, est détenu sans jugement depuis le 22 janvier 1992. Amnesty International a sollicité du ministère de la Justice et de l'ONDH des éclaircissements à propos du maintien en détention prolongée sans jugement de cet homme ; on lui a répondu qu'aucun renseignement ne pouvait être fourni, l'affaire ayant un caractère politique.

Ali Zouita, avocat appartenant à l'équipe de défenseurs des dirigeants du FIS lors du procès de 1992, est maintenu en détention sans jugement depuis février 1993. Il avait été poursuivi dans l'affaire de l'attentat à l'explosif perpétré à l'aéroport d'Alger et accusé, par ailleurs, d'appartenance à un groupe armé. Les poursuites ont été abandonnées dans les deux procédures mais cet avocat reste incarcéré sans jugement.

Citons parmi les personnes qui se trouvent dans la même situation Nadir Hammoudi dont le cas est évoqué plus haut. Cet homme arrêté le 9 octobre 1992 est toujours détenu sans jugement. Certains des détenus qui ont trouvé la mort dans le massacre de la prison de Serkadji étaient incarcérés depuis plus de seize mois sans jugement.

À la fin de novembre 1995, plus de 640 personnes maintenues en détention administrative sans inculpation ni jugement depuis le début de 1992 dans le camp d'Aïn M'Guel, situé dans le désert du sud du pays, ont recouvré la liberté.

Tout en saluant la libération de ces détenus administratifs, Amnesty International reste préoccupée par le maintien prolongé en détention préventive d'autres prisonniers politiques. Elle demande qu'ils bénéficient d'un procès équitable dans un délai raisonnable, conformément aux normes internationales relatives aux droits de l'homme, ou soient remis en liberté.

Conclusion

Les autorités algériennes répètent depuis quatre ans que la situation s'améliore dans le domaine de la sécurité. Les homicides et les violations des droits fondamentaux n'ont toutefois pas cessé et la population civile est de plus en plus affectée par le conflit.

Amnesty International n'ignore pas les violences perpétrées par les groupes armés d'opposition. Elle condamne sans réserve les homicides de civils et les autres exactions commises par ces groupes et qui relèvent de son mandat. Elle reconnaît que les autorités algériennes ont le droit et le devoir de traduire en justice les responsables de ces crimes et actes de violence et de prendre des mesures pour empêcher les homicides de civils et de membres des forces de sécurité, ainsi que les attaques visant des biens publics. Les violences perpétrées par des individus ou des groupes armés, aussi atroces soient-elles, ne peuvent en aucun cas justifier le recours par les forces de sécurité à des pratiques comme les exécutions extrajudiciaires, les "disparitions" et la torture. L'article 4 du PIDCP dispose clairement qu'il ne peut en aucun cas être dérogé à certains droits fondamentaux garantis par le pacte, notamment le droit à la vie (art. 6) et le droit de ne pas être torturé (art. 7), même dans les cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation. En ratifiant les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme, l'Algérie a volontairement souscrit l'obligation de respecter en toutes circonstances les droits fondamentaux.

Des violations flagrantes des droits de l'homme sont commises par les forces de sécurité sous couvert de la « lutte contre le terrorisme » ; aucune enquête n'est effectuée sur ces violations dont les auteurs bénéficient de l'impunité. Les homicides de civils, les enlèvements, les viols et les autres exactions imputables aux groupes armés d'opposition doivent être fermement condamnés, mais les forces de sécurité ne peuvent continuer à les prendre pour prétexte afin de justifier des violations des droits fondamentaux. La nécessité de faire régner la sécurité et les menaces qui pèsent souvent sur la vie des membres des forces de sécurité ne doivent pas délier ces derniers de leur obligation de respecter et de protéger les droits de l'homme.

L'opposition d'Amnesty International aux violations des droits fondamentaux commises par les gouvernements dans le monde entier s'appuie sur les normes internationales relatives à la protection des droits individuels face à l'autorité gouvernementale. Ce sont les États qui ont ratifié les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme et adopté d'autres instruments internationaux dans le cadre des Nations unies ; ce sont eux qui doivent les mettre en application. C'est pourquoi, tout en dénonçant les exactions commises par les groupes armés d'opposition et en faisant campagne pour qu'il y soit mis un terme, l'Organisation continuera de concentrer ses efforts sur les violations des droits fondamentaux imputables aux gouvernements. Elle continuera de rappeler à ces derniers qu'ils sont tenus de respecter leurs obligations internationales découlant des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme, et notamment celle de protéger les droits de l'homme et d'empêcher les violations de ces droits. Il incombe aux autorités algériennes d'enquêter sur les violations des droits fondamentaux, de faire connaître le résultat des enquêtes et de traduire en justice les responsables de tels agissements.

Recommandations

Le gouvernement algérien, en sa qualité de seul responsable de l'application de la loi, doit se conformer aux obligations internationales découlant des traités relatifs aux droits de l'homme qu'il a ratifiés. Il doit prendre sans délai des mesures concrètes et efficaces pour veiller à ce que des enquêtes indépendantes, impartiales et approfondies soient menées sur les violations et exactions imputables aux forces de sécurité ainsi qu'aux milices pro-gouvernementales et aux groupes armés d'opposition. Les conclusions de ces enquêtes devraient être rendues publiques et les responsables devraient être déférés à la justice.

Les recommandations adressées précédemment par Amnesty International au gouvernement algérien restent valables[32] L'Organisation a notamment demandé l'adoption de mesures en vue de garantir un véritable contrôle judiciaire sur les procédures d'arrestation et de placement en détention ; de mettre un terme à la détention secrète ainsi qu'aux exécutions extrajudiciaires, au recours à la torture et aux autres violations des droits fondamentaux ; enfin, d'empêcher que de tels agissements ne se renouvellent.

Amnesty International réitère son appel au gouvernement algérien pour qu'il mette en œuvre les recommandations émises par le passé. En outre, elle l'exhorte à :

·        déclarer publiquement dans des termes clairs et sans ambiguïté que les exécutions extrajudiciaires, les "disparitions", la torture et la détention secrète et arbitraire sont des crimes réprimés par la loi et qu'ils ne sauraient être tolérés. Les membres des forces de sécurité coupables de tels agissements doivent être déférés à la justice ;

·        désigner une commission indépendante et impartiale[33] chargée d'enquêter sur les exécutions extrajudiciaires, la torture, les "disparitions", la détention secrète et arbitraire et les autres violations commises depuis 1992. Les méthodes et les conclusions des enquêtes doivent être rendues publiques et tout responsable de violations doit être déféré à la justice ;

·        prendre sans délai des mesures pour mettre les procédures d'arrestation et de placement en détention sous le contrôle de l'autorité judiciaire, pour qu'aucun individu ne puisse être maintenu en détention secrète. Toutes les personnes actuellement en détention secrète doivent être libérées, à moins qu'elles ne soient inculpées d'une infraction pénale prévue par la loi et jugées conformément aux normes internationales relatives aux droits de l'homme. Elles doivent dans ce cas être transférées dans un centre de détention officiellement reconnu, pouvoir entrer en contact avec leur famille et leur avocat et recevoir éventuellement les soins médicaux nécessités par leur état ;

·        faire savoir clairement à tous les membres des forces de sécurité que les aveux obtenus sous la torture ne seront pas retenus à titre de preuve par les tribunaux ; donner pour instruction aux juges et aux magistrats du Parquet de n'accepter en aucune circonstance de tels aveux à titre de preuve ;

·        démanteler toutes les milices civiles et veiller à ce que les opérations de sécurité soient menées par des responsables de l'application des lois ayant reçu la formation nécessaire et soumis à l'obligation de répondre de leurs actes ;

·        réviser le Code pénal récemment amendé et le Code de procédure pénale de façon à mettre la législation algérienne en conformité avec les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels l'Algérie est partie[34]

Amnesty International réitère également son appel à tous les groupes armés d'opposition et à tous les groupes qui prétendent agir pour des motifs politiques. Elle les exhorte à :

·        mettre immédiatement un terme aux homicides délibérés et aux enlèvements de civils et de personnes qui ne participent pas aux affrontements armés ;

·        mettre immédiatement un terme aux enlèvements de femmes suivis de viols et d'autres sévices ;

·        cesser de proférer des menaces de mort à l'encontre des civils.



[1] Extrait d'une lettre adressée récemment par un Algérien à Amnesty International.

[2] Cf. pour de plus amples informations sur les préoccupations d'Amnesty International le livre publié en octobre 1994 par l'Organisation et intitulé Algérie. Il faut mettre un terme à la répression et à la violence (index AI : MDE 28/08/94).

[3] Outre les recommandations énoncées dans les rapports précédents ainsi que dans les correspondances et mémorandums confidentiels.

[4] Un décret confidentiel du ministère de l'Intérieur en date de juin 1994 a énoncé des critères stricts limitant la diffusion par les médias d'informations à caractère sécuritaire. De nouvelles restrictions ont été imposées en février 1995, date de la création des comités de censure. Plusieurs journalistes ont été arrêtés, interrogés et poursuivis ; des journaux ont fait l'objet à plusieurs reprises de mesures de suspension et des centaines d'exemplaires de différentes publications ont été saisis car ils contenaient des informations relatives à la sécurité dont la diffusion est interdite.

[5] C'est ainsi que le numéro du 4 avril 1996 de l'hebdomadaire de langue française La Nation, qui contenait un dossier sur la situation des droits de l'homme en Algérie, décrivant les agissements imputables tant aux forces de sécurité qu'aux groupes armés d'opposition, a été saisi. Ce dossier a été publié en France dans le mensuel Le Monde diplomatique.

[6] L'escorte de sécurité est justifiée par la protection personnelle des journalistes. Toutefois, les journalistes étrangers se plaignent que cette mesure restreint leur possibilité d'enquêter sur certains sujets. Il est fréquent que les journalistes étrangers ne soient autorisés à se rendre en Algérie que s'ils acceptent cette protection.

[7] L'ONDH a été créé en 1992 pour remplacer le ministère des Droits de l'homme qui avait été mis en place pendant l'été 1991 après la proclamation de l'état de siège. L'ONDH, qui rend compte au président de la République, a notamment pour mandat d'enquêter sur les violations des droits de l'homme imputées aux forces de sécurité. Il n'a toutefois pas rempli correctement cette tâche et a essentiellement concentré ses activités sur la dénonciation des homicides et des autres violences commises par les groupes armés d'opposition.

[8] Cf. le rapport 1994-95 de l'ONDH, p. 39, paragr. 1.14.

[9] Certains groupes armés d'opposition ont publié des communiqués dans lesquels ils interdisent le tabac, la musique moderne, le camping mixte (hommes et femmes) ainsi que d'autres activités considérées comme « non islamiques ».

[10] Yassine Simozrag était au nombre des détenus tués dans le massacre de la prison de Serkadji en février 1992. Voir p. 15

[11] Ce terme, qui signifie littéralement les combattants de la guerre sainte, est utilisé par les groupes armés qui se définissent comme des « groupes islamiques » pour désigner leurs membres.

[12] Pour des informations détaillées sur ce massacre, voir le document publié par Amnesty International le 26 février 1996 et intitulé Action des professionnels de la santé. Algérie. Le massacre de la prison de Serkadji (index AI : MDE 28/01/96).

[13] Voir page 24 du rapport de l'ONDH.

[14] Voir pages 27 et 28 du rapport sur les événements de Serkadji publié en mai 1995 par l'ONDH.

[15] Voir l'Action des professionnels de la santé sur la prison de Serkadji publiée par Amnesty International le 28 février 1996 (index AI : MDE 28/01/96) p. 5 paragr. 3.

[16] L'enquête devrait être conforme aux Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions (Annexe à la résolution 1989-65 adoptée le 24 mai 1989 par le Conseil économique et social des Nations unies).

[17] La loi portant mesure de clémence promulguée le 25 février 1995 (n° 95-12) prévoit l'abandon des poursuites ou une réduction de peine pour les "terroristes" qui se livrent aux autorités et renoncent à leurs activités.

[18] Les autorités algériennes ont publié de nombreux témoignages d'hommes présentés comme d'anciens membres « repentis » du GIA. Ceux-ci ont affirmé que ce mouvement avait « condamné » à mort les dirigeants et les membres du FIS et de l'AIS.

[19] Après la dissolution du FIS en mars 1992, les maires élus sous l'étiquette de ce parti à la suite du scrutin municipal de juin 1990 ont été destitués et remplacés par des fonctionnaires nommés par les autorités et portant le titre de Présidents des Délégations exécutives communales (DEC).

[20] De nombreux imams ont également été remplacés par les autorités après la dissolution du FIS.

[21] Omar Belhouchet a été condamné à un an d'emprisonnement pour avoir affirmé, dans une interview accordée en novembre 1995 à la chaîne française de télévision Canal +, que des journalistes et des intellectuels dont le meurtre avait été attribué à des groupes armés avaient en réalité été tués par les forces de sécurité.

[22] Les groupes armés d'opposition ne contrôlent aucun territoire en Algérie et ils n'ont pas de camps de détention. Seules les forces de sécurité ont mis en place des centres de détention secrets.

[23] Abdelkader Hadj-Benaâmane, journaliste à l'APS, arrêté le 27 février 1995, a été jugé le 25 juillet 1995 à Ouargla par un tribunal militaire. Amnesty International le considère comme un prisonnier d'opinion et réclame sa libération immédiate et sans condition.

[24] « Un prévenu doit immédiatement pouvoir informer sa famille de sa détention et se voir attribuer toutes les facilités raisonnables pour pouvoir communiquer avec celle-ci [...] ».

[25] Le décret législatif n° 92-03 relatif à la lutte contre la subversion et le terrorisme, promulgué en septembre 1992, a prolongé la durée de la garde à vue de quarante-huit heures (période doublée en cas d'atteinte à la sûreté de l'État) à douze jours. Cette disposition du décret antiterroriste d'urgence, à l'instar de beaucoup d'autres, a été incorporée dans la législation permanente le 25 février 1995 : l'article 51 du CPP a été amendé et la durée maximale de la garde à vue portée à douze jours.

[26] Des informations concernant des mauvais traitements infligés par des membres des forces de sécurité sont parvenues à Amnesty International pendant l'état de siège, en 1991. Des enquêtes internes auraient été effectuées et des membres des forces de sécurité auraient été arrêtés pour violences. Les conclusions de ces enquêtes n'ont toutefois jamais été rendues publiques et l'on ignore si des membres des forces de sécurité ont été poursuivis et condamnés.

[27] À la connaissance de l'Organisation, aucune information judiciaire n'a été ouverte depuis 1992 à la suite de plaintes pour torture.

[28] « Tout État partie assure à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur tout territoire sous sa juridiction le droit de porter plainte devant les autorités compétentes dudit État qui procèderont immédiatement et impartialement à l'examen de sa cause. »

[29] « Tout État partie veille à ce que toute déclaration dont il est établi qu'elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n'est contre la personne accusée de torture pour établir qu'une déclaration a été faite. »

[30] Revue des droits de l'homme publiée par l'ONDH, n° 3, juin 1993, pp. 86 à 89.

[31] Articles 125 et 125bis du CPP.

[32] Outre les recommandations jointes aux rapports publiés ces dernières années, Amnesty International a adressé d'autres recommandations détaillées aux autorités algériennes dans un mémorandum en août 1995 et dans d'autres correspondances confidentielles.

[33] Des directives pour la mise en place d'une telle commission d'enquête ont déjà été adressées au gouvernement algérien.

[34] Les amendements du Code pénal et du Code de procédure pénale adoptés en février 1995 ont entraîné l'intégration de la plupart des dispositions du décret "antiterroriste" de septembre 1992, transformant ainsi un décret d'urgence en législation permanente.

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La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X8DJ, Royaume-Uni. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI

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