Résumé
Le processus de paix en Angola instauré par le Protocole de Lusaka de novembre 1994 arrive à son terme. Les anciens ennemis s'efforcent d'éteindre les vieilles haines et de mettre sur pied un gouvernement d'union nationale et de réconciliation. Mais que se passera-t-il lorsque la Mission de vérification des Nations unies en Angola III (UNAVEM III) quittera le pays en février 1997, comme cela est prévu ? Il ne peut être question de réconciliation tant que chaque camp aura peur de voir se répéter les massacres et autres violations des droits de l'homme qu'a connus l'Angola au lendemain des élections de septembre 1992.
Les Nations unies ont patiemment tissé la trame d'un compromis politique en Angola et leurs efforts risquent d'être réduits à néant si ce compromis ne prévoit aucun mécanisme permettant de protéger et de promouvoir les droits de l'homme. Entre le gouvernement du président José Eduardo dos Santos et l'União Nacional para a Independência Total de Angola (UNITA, Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola), dirigé par Jonas Malheiro Savimbi, la confiance demeure très fragile. Chaque étape voit surgir de nouveaux retards et de nouvelles difficultés, qui risquent de faire basculer à nouveau le pays dans la guerre.
Dans le climat d'amertume et de méfiance régnant de part et d'autre, à quoi s'ajoute le refus de rendre des comptes, on ne peut sous-estimer les obstacles qui empêchent de retrouver le chemin du plein respect des droits de l'homme. Mais il faut savoir qu'une telle situation met en péril le processus de paix, ainsi que l'avenir de plus de 10 millions d'Angolais. Les mois qui viennent doivent être mis à profit pour trouver des solutions permettant de mettre un terme à l'impunité qui a coûté tant de vies humaines, et pour instaurer des garanties qui empêcheront les atrocités du passé de se reproduire.
À mesure que le processus de paix s'achemine vers son terme, il devient absolument indispensable que des mesures soient prises pour défendre les droits fondamentaux ; si cela n'est pas fait, la paix ne durera pas. Le présent document souhaite attirer l'attention sur l'étendue des problèmes relatifs aux droits de l'homme en Angola, problèmes qui n'ont cessé de s'amplifier au fil des ans à l'abri de la plus totale impunité. Amnesty International s'attache à décrire les actions entreprises actuellement pour protéger les droits fondamentaux, et propose d'autres actions à mener au cours des prochains mois en vue d'améliorer la situation de ces droits. Le gouvernement et l'UNITA se sont engagés à défendre les droits de l'homme : il est important que, pour chaque partie, les paroles se traduisent désormais en actes. Des mesures doivent être prises immédiatement pour que les membres des forces de sécurité qui ont commis des atteintes aux droits de la personne humaine soient traduits en justice. Les deux parties devraient inviter l'UNAVEM III à participer à la mise en place d'un organisme permanent, indépendant et impartial, habilité à surveiller la situation des droits de l'homme et à garantir l'adoption de mesures destinées à réparer les torts causés aux victimes. De telles mesures encourageraient la société civile c'est-à-dire les organisations non gouvernementales, les médias, les groupes religieux, les syndicats et les associations professionnelles à s'impliquer davantage dans la promotion des droits fondamentaux. La communauté internationale n'a pas ménagé ses efforts pour rétablir la paix en Angola ; à présent, il lui faut promouvoir activement tout projet visant à protéger efficacement les droits de l'homme, sans quoi la paix ne durera pas.
Introduction
Le processus de paix en Angola instauré par le Protocole de Lusaka de novembre 1994 arrive à son terme. Les anciens ennemis s'efforcent d'éteindre les vieilles haines et de mettre sur pied un gouvernement d'union nationale et de réconciliation. Mais que se passera-t-il lorsque la Mission de vérification des Nations unies en Angola III (UNAVEM III) quittera le pays en février 1997, comme cela est prévu ? Il ne peut être question de réconciliation tant que chaque camp aura peur de voir se répéter les massacres et autres violations des droits de l'homme qu'a connus l'Angola au lendemain des élections de septembre 1992.
Les Nations unies ont patiemment tissé la trame d'un compromis politique en Angola et leurs efforts risquent d'être réduits à néant si ce compromis ne prévoit aucun mécanisme permettant de protéger et de promouvoir les droits de l'homme. Entre le gouvernement du président José Eduardo dos Santos et l'União Nacional para a Independência Total de Angola (UNITA, Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola), dirigé par Jonas Malheiro Savimbi, la confiance demeure très fragile. Chaque étape voit surgir de nouveaux retards et de nouvelles difficultés, qui risquent de faire basculer de nouveau le pays dans la guerre.
Dans le climat d'amertume et de méfiance régnant de part et d'autre, à quoi s'ajoute le refus de rendre des comptes, on ne peut sous-estimer les obstacles qui empêchent de retrouver le chemin du plein respect des droits de l'homme. Mais il faut savoir qu'une telle situation met en péril le processus de paix, ainsi que l'avenir de plus de 10 millions d'Angolais. Les mois qui viennent doivent être mis à profit pour trouver des solutions permettant de mettre un terme à l'impunité qui a coûté tant de vies humaines, et pour instaurer des garanties qui empêcheront les atrocités du passé de se reproduire.
À mesure que le processus de paix s'achemine vers son terme, il devient absolument indispensable que des mesures soient prises pour défendre les droits fondamentaux ; si cela n'est pas fait, la paix ne durera pas. Le présent document souhaite attirer l'attention sur l'étendue des problèmes relatifs aux droits de l'homme en Angola, problèmes qui n'ont cessé de s'amplifier au fil des ans à l'abri de la plus totale impunité. Amnesty International s'attache à décrire les actions entreprises actuellement pour protéger les droits fondamentaux, et propose d'autres actions à mener au cours des prochains mois en vue d'améliorer la situation de ces droits. Le gouvernement et l'UNITA se sont engagés à défendre les droits de l'homme : il est important que, pour chaque partie, les paroles se traduisent désormais en actes. Des mesures doivent être prises immédiatement pour que les membres des forces de sécurité qui ont commis des atteintes aux droits de la personne humaine soient traduits en justice. Les deux parties devraient inviter l'UNAVEM III à participer à la mise en place d'un organisme permanent, indépendant et impartial, habilité à surveiller la situation des droits de l'homme et à garantir l'adoption de mesures destinées à réparer les torts causés aux victimes. De telles mesures encourageraient la société civile c'est-à-dire les organisations non gouvernementales, les médias, les groupes religieux, les syndicats et les associations professionnelles à s'impliquer davantage dans la promotion des droits fondamentaux. La communauté internationale n'a pas ménagé ses efforts pour rétablir la paix en Angola ; à présent, il lui faut promouvoir activement tout projet visant à protéger efficacement les droits de l'homme, sans quoi la paix ne durera pas.
1. Rappel historique
Depuis le début de la guerre contre le gouvernement colonial portugais, en 1961, l'Angola n'a jamais connu de paix totale. Après la proclamation de l'indépendance, en novembre 1975, des combats ont éclaté entre le Movimento para a Libertação de Angola (MPLA, Mouvement populaire de libération de l'Angola, alors au pouvoir) et l'UNITA. Parallèlement, le Frente Nacional para a Libertação de Angola (FNLA, Front national de libération de l'Angola) et différentes factions armées issues du mouvement séparatiste Frente para a Libertação do Enclave de Cabinda (FLEC, Front de libération de l'enclave de Cabinda) étaient également actifs. À toutes ces forces sont imputées de flagrantes violations des droits de l'homme.
L'UNAVEM est venue pour la première fois en Angola en 1989 afin de contrôler le retrait des troupes cubaines et préparer l'accession de la Namibie à l'indépendance. En 1991, des accords de paix dits accords de Bicesse ont été signés entre le gouvernement et l'UNITA. La troïka de gouvernements qui a parrainé ces accords à savoir le Portugal, l'URSS d'alors, ainsi que les États-Unis donne une idée des causes profondes du conflit : le colonialisme et la guerre froide. Les accords de Bicesse, conclus sous l'égide de l'UNAVEM II, ne contenaient guère de garanties en matière de droits de l'homme, et des assassinats politiques, imputables aux deux camps, ont été perpétrés en toute impunité[1] Les premiers combats qui ont éclaté au lendemain des élections de septembre 1992 élections truquées au dire de l'UNITA se sont soldés par de très nombreuses victimes. D'autres massacres ont été commis tout au long de cette guerre. L'UNAVEM III contrôle l'application du Protocole de Lusaka[2], destiné à compléter et renforcer les accords de Bicesse.
Plus de trente années de guerre ont conduit l'Angola, qui est potentiellement l'un des plus riches pays d'Afrique, au bord de l'effondrement. Les combats qui se sont déroulés entre octobre 1992, date de la reprise des hostilités, et février 1995, qui marque l'entrée en vigueur du cessez-le-feu négocié à Lusaka, ont connu une intensité sans précédent. Pratiquement toutes les capitales provinciales qui, avant 1991, avaient en grande partie échappé aux attaques directes, ont été assiégées et bombardées. Les conséquences en ont été des situations de famine à grande échelle et de nombreuses victimes parmi la population.
L'Angola demeure divisé. La plupart des villes du pays, où s'entassent de nombreuses personnes déplacées en raison du conflit, sont sous contrôle du gouvernement. L'UNITA occupe toute la campagne environnante, à l'exception de la bande côtière. Les deux camps s'accusent mutuellement de détenir secrètement des armes. Les millions de mines enfouies dans les champs sont autant de pièges mortels. Les barrages installés tant par les soldats du gouvernement que par ceux de l'UNITA empêchent les déplacements. Absence de liberté de circulation, mauvaise gestion, corruption, taux élevés de chômage et d'inflation ne font qu'aggraver la crise économique que traverse l'Angola.
Aux termes du Protocole de Lusaka, les troupes gouvernementales devaient être démobilisées et plus de 62 000 soldats de l'UNITA cantonnés dans des zones de rassemblement, puis désarmés. Les armes détenues par ce mouvement et celles aux mains des civils devaient être collectées pour être stockées. Vingt-six mille partisans de l'UNITA n'ont toujours pas été intégrés aux Forças Armadas de Angola (FAA, Forces armées angolaises), qui compteront au total 90 000 membres. Les soldats n'ayant pas été incorporés dans les FAA environ 100 000 personnes devaient être démobilisés. Les 5 500 agents de la Polícia de Intervenção Rápida (PIR, Police d'intervention rapide) ont été cantonnés dans leurs casernes, mais peuvent le cas échéant être déployés. Cinq mille soldats de l'UNITA doivent rejoindre la police nationale et la PIR. Les policiers recevront une formation professionnelle et seront tenus de défendre les droits de l'homme. Tous les prisonniers détenus en raison du conflit doivent être libérés.[3] Les controverses et la méfiance ont considérablement freiné la mise en uvre de toutes ces mesures.
En vertu du Protocole de Lusaka, il était prévu que les représentants de l'UNITA se voient confier des postes gouvernementaux à tous les échelons, que l'administration soit décentralisée, que les 70 députés de l'UNITA élus à l'Assemblée nationale en 1992 retrouvent leur siège, et que Jonas Savimbi bénéficie d'un "statut spécial". Le gouvernement a offert au chef de l'UNITA l'un des deux postes de vice-président, mais ce dernier a décliné la proposition. Le gouvernement d'union nationale et de réconciliation n'a toujours pas été formé.
Le Protocole de Lusaka exige de façon précise que soient respectés les droits de l'homme inscrits tant dans la Constitution angolaise que dans les textes du droit international relatifs aux libertés fondamentales. L'UNAVEM III est chargée de vérifier que ces droits sont respectés, tandis que la Commission conjointe[4], qui met en uvre les accords de paix, a pour tâche de veiller à ce qu'ils soient appliqués. En février 1995, le secrétaire général des Nations unies a recommandé que des spécialistes des droits de l'homme fassent partie du personnel politique de la mission de l'ONU, lequel aurait pour mandat d' « observer la mise en uvre des dispositions liées à la réconciliation nationale et d'offrir ses bons offices si nécessaire ». Le Conseil de sécurité de l'ONU, dans le cadre de la résolution 976 du 8 février 1995 portant création de l'UNAVEM III, a accueilli favorablement cette proposition. L'UNAVEM III comprend une Unité des droits de l'homme (UDH) qui comprend 12 personnes, dont 10 observateurs répartis sur autant de provinces parmi les 18 que compte le pays.
La Constitution angolaise contient plusieurs dispositions touchant à la protection des droits de l'homme. En outre, l'Angola est partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi qu'à d'autres traités relatifs aux droits fondamentaux. Il n'en demeure pas moins que la volonté politique a manqué pour que les dispositions énoncées tant dans la Constitution que dans les différents traités soient incorporées à la législation nationale et appliquées dans la réalité.
Très peu de responsables des forces de sécurité ayant commis des violations des droits de l'homme ont été arrêtés, et encore moins ont été poursuivis. L'appareil judiciaire manque de moyens, mais la principale raison tient à l'absence d'indépendance du système pénal. La corruption généralisée constitue une autre raison : il est possible d'échapper à l'arrestation et aux poursuites en distribuant des pots-de-vin ou en faisant intervenir des amis bien placés.
Les institutions publiques qui ont été remises sur pied ne jouent pas encore pleinement leur rôle dans la défense des droits civils et politiques. Les partis d'opposition, à l'exception de l'UNITA, ne disposent que de peu de ressources, et ils se plaignent de ne pas être associés au processus de paix. La commission parlementaire des droits de l'homme a mené des enquêtes sur les violations des droits fondamentaux, sans aboutir à des résultats significatifs. Il existe en Angola un certain nombre d'organisations non gouvernementales, d'associations professionnelles et communautaires, de syndicats et de groupes religieux, mais la plupart, terrorisés, n'osent pas dénoncer les violations. L'UNITA regroupe en son sein différents groupes communautaires, mais ceux-ci ne se risquent pas à critiquer ouvertement les exactions commises par ce mouvement.
La plupart des journaux et des stations de radio sont sous le contrôle du gouvernement ; les autres, en butte à des mesures d'intimidation, s'autocensurent. Des journalistes ayant critiqué le gouvernement ont été menacés de mort, sanctionnés dans leur métier ou bien ont perdu leur emploi. La station de radio de l'UNITA Voz do Galo Negro (Vorgan, la Voix du jeune coq noir) et son hebdomadaire Terra Angolana (La Terre d'Angola) sont des organes totalement partisans. Le gouvernement n'a pas autorisé l'ONU à installer une station de radio.[5] Cette absence de liberté de la presse est contraire aux dispositions du Protocole de Lusaka.[6]
Dans ce pays ravagé par la guerre, profondément divisé et économiquement chancelant, où les dirigeants politiques ne se sont guère préoccupés des droits de l'homme et où le peuple a peur de s'exprimer, l'optimisme ne semble pas de rigueur. Il est cependant un fait encourageant : de nombreuses personnes, militant notamment au sein d'organisations non gouvernementales, ayant une profession juridique ou travaillant dans l'enseignement, appartenant à des groupes religieux ou à des partis politiques, sont extrêmement soucieuses de promouvoir les droits de l'homme, car elles savent qu'il n'est pas de réconciliation possible sans respect de ces droits.
2. Le lourd héritage des violations des droits de l'homme
Pour faire vraiment cesser les violations des droits de l'homme, il faut que le gouvernement et l'UNITA se montrent prêts à assumer la responsabilité d'y mettre fin et renoncent à utiliser la question des droits fondamentaux comme une arme dans leur guerre de propagande.
Le 12 juillet 1996, un charnier contenant les restes d'au moins 60 personnes, apparemment victimes d'homicides délibérés et arbitraires, a été découvert par une équipe de déminage travaillant à proximité des installations pétrolières de Soyo dans la province de Zaïre, dans le nord-ouest du pays (cf. carte p. 2). Ont notamment été exhumés des crânes présentant des trous pouvant correspondre à des traces de balles, un crâne d'enfant, des pièces de vêtements féminins, ainsi que des uniformes de l'armée ou de la police. Les habitants de la région ont déclaré que les victimes avaient probablement été enlevées par l'UNITA, ce mouvement ayant occupé Soyo de janvier à mars 1993, puis de nouveau de la mi-93 à novembre 1994. Aucune enquête approfondie n'a toutefois été menée pour éclaircir les circonstances de ce massacre ni pour identifier les victimes et leurs assassins.[7]
Le gouvernement, dans un communiqué de presse, a déclaré que ce charnier était « la preuve sans équivoque de l'intolérance politique des partis, laquelle s'oppose aux objectifs d'une société démocratique et fondée sur le droit », ajoutant que de tels massacres méritaient d'être immédiatement dénoncés et condamnés par la communauté internationale, et qu'ils jetaient l'opprobre sur leurs auteurs.
L'UNITA a nié toute responsabilité dans cette tuerie. Des sympathisants de ce mouvement ont affirmé, dans une lettre ouverte, que l'annonce de la découverte du charnier n'était, de la part du gouvernement, qu'un acte de propagande politique. Ils demandaient ce qu'il en était des victimes massacrées dans le passé par des responsables gouvernementaux puis jetées dans des charniers, et poursuivaient ainsi : « Rien ne peut nous obliger à obéir à des lois et à des hommes politiques qui autorisent et favorisent les atteintes à la dignité de la personne humaine. La véritable question est celle-ci : une fois les troupes de l'UNITA rentrées dans leurs casernes, devons-nous craindre pour notre vieÉ ? »
La méfiance réciproque est un obstacle important sur le chemin de la réconciliation. Le Principe général no 5 de l'annexe 6 du Protocole de Lusaka dit ceci : « Dans un esprit de réconciliation nationale, tous les Angolais doivent pardonner et oublier les drames auxquels a donné lieu le conflit angolais, et ils doivent considérer l'avenir avec tolérance et confiance ». Oublier est cependant une chose impossible, et le peuple angolais a le droit de connaître la vérité. Face à un tel problème, différentes approches ont été adoptées dans d'autres pays, avec des conséquences diverses. En ex-Yougoslavie et au Rwanda, par exemple, des tribunaux pénaux internationaux ont été créés ; en Éthiopie, les criminels présumés ont été déférés devant des tribunaux nationaux ; en Afrique du Sud, des Commissions de la vérité ont été mises en place. Quelle que soit la solution adoptée, celle-ci doit déboucher sur des recommandations qui amèneront le futur gouvernement angolais à faire la lumière sur les responsabilités des uns et des autres.
Les exemples qui suivent donnent une idée de l'ampleur des problèmes qui assombrissent l'avenir. Ils peuvent également constituer les prémisses d'un débat sur la façon de garantir que de telles atrocités ne se reproduiront plus.
2.1 Assassinats politiques en temps de paix
Des dizaines d'assassinats à caractère politique ont été perpétrés au cours des seize mois de paix qui ont suivi la signature des accords de Bicesse. Les accords de paix interdisaient toute violence contre les civils ; en dépit de cela, la commission chargée de faire appliquer ces accords ne s'est jamais résolue à prendre des mesures impartiales quand était commis un crime à caractère politique. Après le meurtre du colonel de l'UNITA Pedro Makanga en septembre 1991, un rapport de l'ONU notait que la commission avait décidé que ce meurtre « ne devait pas mettre en péril le processus de paix ». Au cours des mois qui ont suivi, au moins 20 autres assassinats à caractère politique ont été commis ; aucun n'a fait l'objet d'une enquête approfondie. Cette incapacité à agir n'a fait qu'accroître les tensions, tout en laissant croire aux assassins qu'ils pouvaient avoir recours au meurtre en toute impunité en tant qu'arme politique.
2.2 Massacres durant la guerre de 1992-1994
Au cours du conflit qui a éclaté en octobre 1992, les homicides ont atteint une ampleur jamais égalée. Dans les zones contrôlées par le gouvernement, des personnes soupçonnées d'appartenir à l'UNITA ont été regroupées puis tuées. Dans les régions aux mains de l'UNITA, des personnes occupant des fonctions officielles et liées au MPLA ont été la cible d'attaques. Durant cette période, Amnesty International a eu connaissance de nombreux témoignages faisant état d'exécutions extrajudiciaires imputables aux forces gouvernementales, et d'homicides délibérés et arbitraires[8] commis par celles de l'UNITA. Des témoins ont fourni des récits détaillés concernant l'assassinat de tel ou tel, et ils ont établi des listes d'amis ou de voisins dont ils pensaient qu'ils avaient été tués ; cependant, il est en général impossible de corroborer ces témoignages avec l'indépendance nécessaire. En effet, les estimations transmises par des personnes impliquées dans le conflit sont souvent contradictoires, et généralement grossies pour des raisons politiques. Conformément à la pratique d'Amnesty International, les estimations chiffrées du paragraphe suivant sont des estimations basses : il se pourrait que les véritables chiffres soient bien plus élevés.
2.2.1 Homicides et autres atrocités imputables au gouvernement
De violents combats ont éclaté le 31 octobre 1992. Les forces gouvernementales ont attaqué les bureaux et les domiciles des membres de l'UNITA. La PIR et les forces de la police ordinaire, assistées de civils auxquels elles avaient distribué des armes durant les semaines précédentes, ont fouillé chaque maison pour débusquer des sympathisants de l'UNITA. Prises entre deux feux, plusieurs centaines de personnes sont mortes, quand elles n'ont pas été délibérément tuées. Des centaines d'autres ont été gardées à vue par la police ou détenues par l'armée. Des prisonniers ont été emmenés par camions entiers jusqu'au cimetière de Camana, à la sortie de la ville, où ils ont été abattus puis ensevelis sous une mince couche de terre. Un autre charnier se trouverait à Morro da Luz (Luanda), un grand ravin dans lequel des membres présumés de l'UNITA auraient été jetés. Des charniers auraient également été localisés dans d'autres villes.
En janvier 1993, des homicides et d'autres atteintes aux droits de l'homme ont été perpétrés à Luanda et dans diverses zones habitées par des membres de l'ethnie bakongo, qui occupe un territoire situé dans le nord de l'Angola et dans le sud du Zaïre. Ces homicides ont fait suite à certaines informations accusant des mercenaires zaïrois d'avoir participé à l'attaque de l'UNITA contre Soyo, et dénonçant la présence à Luanda d'un commando bakongo venu assassiner le président dos Santos. Les sources officielles ont fait état de 12 victimes ; d'après des sources non officielles, toutefois, 60 personnes auraient été tuées et de nombreuses autres blessées. En janvier 1994, le ministre de l'Intérieur a annoncé que les tribunaux avaient été saisis des cas de 17 soldats et de sept civils soupçonnés d'avoir joué un rôle dans ces événements, et que neuf autres dossiers demeuraient pendants jusqu'à ce les témoins aient été retrouvés. Il semble cependant que les personnes placées en détention aient été relâchées sans avoir été jugées.
Les villes de Benguela, de Lubango et de Lobito ont été le théâtre des mêmes atrocités que celles commises à Luanda. En novembre 1992, les locaux et les domiciles des membres de l'UNITA ont été la cible d'attaques ; des responsables et des partisans de ce mouvement ont été arrêtés ou tués. Le mois de janvier 1993 a été marqué par une nouvelle vague d'homicides. L'une des victimes s'appelait Constantino Chitwe : cet enseignant, qui se consacrait aussi à des activités de nature religieuse, a été traîné hors de chez lui avant d'être abattu. Il avait été libéré de prison en 1991 à la faveur d'une loi d'amnistie. Soupçonné de soutenir l'UNITA et arrêté en 1981, Constantino Chitwe avait été condamné en 1983 à seize ans d'emprisonnement, à l'issue d'un procès qui n'avaient pas satisfait aux normes internationales. À Lobito, ce sont environ 400 victimes d'exécutions extrajudiciaires qui auraient été jetées dans une fosse commune. Des centaines d'autres personnes ont été tuées dans les villages environnants. Aucune de ces morts n'a donné lieu à une enquête officielle, et les assassins sont désormais à l'abri de toutes poursuites grâce à la loi d'amnistie du 8 mai 1996.
2.2.2 Homicides et autres exactions imputables à l'UNITA
Lorsque la guerre a repris fin octobre 1992, l'UNITA a rassemblé ses troupes et s'est immédiatement emparée de Caxito, capitale de la province de Bengo.
Augusto Gomes et sa famille ont fui Nambuangongo (province de Bengo) en avril 1993 après avoir vu des habitants de leur village regroupés puis abattus. L'un des cousins de Gomes a été tué, et son corps découpé en morceaux. Aujourd'hui, la famille Gomez et quelque 300 personnes de leur voisinage vivent dans un camp de PortoQuipire. Un grand nombre de personnes ont été tuées à Gombe en avril 1993. Parmi elles figurerait Matias Inácio da Silva Neto, membre du Comité provincial du MPLA, enterré jusqu'au cou et abandonné à son sort.
Dans la province de Benguela, des personnes fuyant les villes occupées par l'UNITA ont fait les mêmes récits de meurtres et de "disparitions". Ganda, une ville située entre Lobito et Huambo, est demeurée aux mains de l'UNITA d'octobre 1992 à août 1993. Les habitants qui ont pu gagner la ville de Benguela ont déclaré que l'UNITA avait organisé des "chasses à l'homme" (caçao ao homem), traquant essentiellement les représentants du gouvernement, les responsables du MPLA et les membres de la police. Au nombre des victimes figurerait Lourenço Teixeira, enseignant, tué le 24 octobre 1992.
En mars 1993, l'UNITA s'est emparée de Huambo la deuxième ville du pays à l'issue d'un siège de cinquante-cinq jours au cours duquel 10 000 personnes (il s'agit là d'une simple estimation) ont trouvé la mort. Les soldats gouvernementaux, les policiers et les civils soupçonnés de soutenir le MPLA ont été arrêtés, et nombre d'entre eux ont été tués. D'autres ont "disparu", dont Joaquim Tavares, juge de son état, et Valdemar Peres da Silva, un dessinateur portugais installé en Angola. Lorsque les forces gouvernementales ont repris Huambo en novembre 1994, les habitants ont fait le terrible récit des exactions qu'ils avaient subies. Des femmes ont accusé les soldats de l'UNITA de les avoir violées. Certains ont évoqué l'existence de camps de travail, les emprisonnements, les assassinats. En février 1996, l'UNITA a relâché plusieurs personnes qu'elle avait capturées à Huambo, mais parmi elles ne figuraient ni Joaquim Tavares ni Valdemar Peres da Silva.
Par ailleurs, des habitants ont déclaré à des journalistes qu'après avoir repris Huambo, les troupes gouvernementales s'étaient rendues responsables de violations des droits de l'homme, notamment en exécutant des pillards de façon extrajudiciaire et en perpétrant, pour se venger, un certain nombre d'assassinats.
2.3 Assassinats de membres dissidents
Le gouvernement et l'UNITA ont délibérément tué des civils soupçonnés d'aider d'une façon ou d'une autre le camp adverse. En outre, des massacres ont également été commis contre des dissidents de l'intérieur, c'est-à-dire des personnes hostiles, ou soupçonnées d'être hostiles, à la politique de leurs dirigeants respectifs.
Au lendemain du coup d'État du 27 mai 1977, des milliers de personnes ont été emprisonnées et soumises à des interrogatoires, qui s'accompagnaient souvent de tortures. Certaines de ces personnes ont été exécutées à l'issue de procès manifestement inéquitables, qui se sont déroulés secrètement devant un tribunal spécialement constitué pour l'occasion. Plusieurs centaines d'autres personnes ont été exécutées sans le moindre semblant de procès, avant d'être jetées dans des fosses communes situées autour de Luanda et dans divers autres endroits.
En 1982 et en 1983, l'UNITA a organisé des rassemblements de masse au cours desquels des dizaines de personnes accusées de sorcellerie et dont certaines étaient des dissidents de l'intérieur ont été brûlées vives. En 1991, Fernando Wilson dos Santos et son beau-frère Pedro "Tito" Chingunji ont été tués, ainsi que des membres de leur famille. Ces deux hommes, anciens représentants de l'UNITA au Portugal et aux États-Unis respectivement, avaient été rappelés dans leur pays puis jugés en 1989 sous le chef de complot contre l'UNITA.
2.4 Une nouvelle paix, de nouveaux assassinats
Depuis novembre 1994, Amnesty International a recensé plus de 150 morts qui semblent être des assassinats à caractère politique, commis soit par des représentants du gouvernement, soit par des membres de l'UNITA. Dans la plupart des cas, l'Organisation dispose de peu de détails, et il est impossible de savoir qui est responsable. Nombre des allégations concernent des personnes qui ont été tuées après être passées d'une zone sous contrôle gouvernemental dans une zone aux mains de l'UNITA, ou vice-versa, et qui étaient soupçonnées d'espionnage ou de sympathie pour l'autre camp. La Commission conjointe chargée d'appliquer les accords de paix n'a pas été capable de prendre les mesures appropriées pour que les violations des dispositions du Protocole de Lusaka relatives aux droits de l'homme fassent l'objet d'enquêtes approfondies, et que les responsables soient traduits en justice.
« La situation [en Angola] demeure un sujet de grave préoccupation, en raison notamment des allégations concernant l'exécution extrajudiciaire, sommaire ou arbitraire de civils non armés, ainsi que de journalistes. Le rapporteur spécial souhaite qu'une attention plus soutenue soit accordée aux droits de l'homme dans le cadre du processus de paix. »
Conclusions du rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, juillet 1996. (Traduction non officielle)
Ricardo Mello, directeur d'un petit bulletin indépendant, Imparcial Fax, a été tué d'une balle dans la poitrine tirée à bout portant alors qu'il montait l'escalier de son appartement de Luanda, au matin du 18 janvier 1995. Il avait critiqué la corruption régnant au sein de la police et de l'armée, et faisait l'objet de plusieurs poursuites judiciaires pour des articles qu'il avait publiés. Il avait souvent reçu des menaces de mort anonymes. Les conclusions de l'enquête policière sur sa mort n'ont pas encore été rendues publiques.
Adão da Silva, secrétaire provincial de l'UNITA pour Luanda, a été tué le 14 juillet 1995. Ancien haut responsable de la police, cet homme avait rejoint l'UNITA en 1991, avant d'être élu à l'Assemblée nationale pour représenter le mouvement. Au soir du 14 juillet, il semble qu'Adão da Silva et un capitaine de la FAA se trouvaient ensemble en voiture non loin de l'aéroport lorsque deux hommes en uniforme de la police, parvenus à leur hauteur, leur ont tiré dessus, les tuant tous les deux. L'un des tueurs présumés aurait été capturé mais, apparemment, aucune autre mesure n'aurait été prise.
« É comme tout organe du système de justice pénale, tout service chargé de l'application des lois doit être représentatif de la collectivité dans son ensemble, répondre à ses besoins et être responsable devant elle ».
Préambule au Code de conduite de l'ONU pour les responsables de l'application des lois.
C'est quotidiennement que des membres des forces de sécurité violent les droits de l'homme, et la plupart du temps en toute impunité. Les policiers ne touchent que des salaires très bas, et nombre d'entre eux exigent des pots-de-vin ou abusent de leurs pouvoirs pour arrondir leurs fins de mois. Selon certaines informations, des policiers tirent sur des suspects au lieu de tenter de les arrêter, quand ils ne commettent pas des homicides alors qu'ils sont eux-mêmes en train de voler. Les soldats gouvernementaux, usant de leur force de façon aveugle, sont aussi responsables d'homicides ; ainsi, une femme a été tuée dans la ville de Cabinda en mai 1996 et plusieurs autres personnes, blessées. Les forces gouvernementales comme les troupes de l'UNITA sont accusées d'avoir, dans le nord-est de l'Angola, tué au hasard des prospecteurs de diamants et d'autres civils.
L'Angola a aboli la peine de mort en 1992, alors que la dernière exécution remontait à quatre ans. Mais l'UNITA a continué de prononcer des condamnations à mort pour des infractions à caractère politique ou non, conformément à ses règlements internes et à son code de justice militaire. Le 28 septembre 1995, João Lourenço Madalena (24 ans) et José Antnio Cristina (26 ans) ont été exécutés à Nkama Nsoke, un village du nord-ouest de l'Angola. Accusés d'avoir collaboré avec un commando de reconnaissance de l'armée gouvernementale, ils avaient été jugés de façon sommaire, en même temps que quatre autres hommes et trois femmes, puis condamnés à mort. Les habitants des villages voisins ont été contraints d'assister au procès et à l'exécution de la sentence. Après l'exécution des deux hommes, les villageois se sont enfuis, et les autres exécutions n'ont pas eu lieu. Les sept survivants ont été maintenus en détention jusqu'en novembre 1994, date à laquelle les forces gouvernementales ont repris le contrôle de la zone.
Début octobre 1995, l'UNITA a annoncé qu'elle avait condamné à mort 10 hommes coupables d'avoir assassiné des femmes et des enfants à Negage, dans la province d'Uige, en septembre 1995. L'UNITA a invité le personnel de l'ONU et les représentants de la "troïka" des gouvernements observateurs à assister aux exécutions. Le responsable de l'UNAVEM, Alioune Blondin Beye, ayant réclamé la grâce des condamnés, l'UNITA a ordonné un sursis à exécution.
2.5 Autres violations des droits de l'homme commises en temps de paix
Depuis la signature du Protocole de Lusaka en novembre 1994, de nombreuses informations ont fait état de nouvelles violations des droits de l'homme, venues s'ajouter aux assassinats politiques. Parmi ces violations figurent des actes de torture commis dans les zones contrôlées par l'UNITA, des arrestations arbitraires opérées par la police gouvernementale, ainsi que des atrocités perpétrées par des soldats et demeurées impunies.
Dans les régions tombées aux mains de l'UNITA, des civils et des soldats de ce mouvement seraient fréquemment roués de coups en public pour l'exemple. Divers instruments de torture sont utilisés, dont un fouet comportant de nombreuses lanières avec un caillou attaché à l'extrémité de chacune. Parmi les punitions utilisées, on relève celle consistant à ligoter à un arbre une personne la tête en bas, puis à la laisser ainsi toute la nuit.
João André Lina est aujourd'hui estropié, après avoir subi un passage à tabac connu sous le nom de candambala. Lors d'une visite à ses parents dans le village de Kivemba-Zinga, qui est sous contrôle de l'UNITA, la nièce de cet homme a été arrêtée et détenue pendant plusieurs semaines, début 1995, car soupçonnée d'être une espionne à la solde du gouvernement. Cette femme est parvenue à s'enfuir et à gagner Soyo, mais les responsables de l'UNITA ont alors décidé qu'un membre de sa famille devait recevoir un châtiment exemplaire. João André Lina a été contraint de s'allonger face contre terre sur des bâtons, et deux hommes lui ont chacun infligé 50 coups de bâton dans le dos. Les autres membres de la famille ont été obligés d'assister à cette scène. Sous la douleur, João André Lina s'est évanoui. La peau de son dos a été déchirée, et il a eu plusieurs os brisés.
Des sympathisants présumés et des membres de l'UNITA continuent d'être arbitrairement détenus. Une soixantaine de personnes arrêtées à Uige le 29 septembre 1995 ont été accusées de sympathies à l'égard de ce mouvement. Elles ont été enfermées dans 15 conteneurs. Elles recevaient de la nourriture, et étaient autorisées à sortir un peu dehors. Ces personnes ont ainsi été détenues durant environ six semaines sans être inculpées ni jugées. L'UNITA et l'Unité des droits de l'homme de l'UNAVEM III ont évoqué le problème en séance de la Commission conjointe, mais la délégation gouvernementale n'a fourni aucune explication quant aux motifs des arrestations, ni quant aux raisons pour lesquelles les détenus ont dû, pour pouvoir être libérés, s'engager à se présenter deux fois par semaine à la police. Certains membres de ce groupe ont de nouveau été arrêtés et brièvement détenus en mai 1996.
Le 25 mai 1996, le père Konrad Liebscher, un prêtre catholique d'origine allemande, a été interpellé à Luanda alors qu'il se trouvait au volant de sa voiture sur laquelle étaient collées des affiches. À cette époque, le climat politique était particulièrement tendu. Les salaires étaient décimés par l'inflation, et les manifestations prévues n'avaient pas eu lieu en raison du déploiement des forces de la PIR. Sur les affiches de Konrad Liebscher figuraient des slogans demandant si l'absence d'eau propre, de salaires corrects et de liberté d'expression étaient les seuls bénéfices à retirer de la guerre, et appelant les Angolais à « acordar os nossos responsáveis » réveiller les responsables en manifestant pacifiquement. Le tribunal municipal de Luanda, qui avait fixé l'audience pour le 27 mai, a reporté celle-ci au lendemain. L'avocat ils étaient plusieurs à avoir été contactés, avant que l'un d'eux accepte de se charger du dossier a pu mettre ce temps à profit pour préparer la défense de son client. Durant le procès, le procureur a abandonné le chef d'« incitation à commettre des atteintes à la sûreté de l'État » pour celui d'organisation de manifestation sans autorisation préalable. Reconnu coupable, Konrad Liebscher s'est vu condamner à une peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis. Il a fait appel en arguant que le fait de présenter des affiches à la vue de tous ne constituait pas une manifestation. Le ministère public a, quant à lui, formé un recours contre le sursis dont la peine est assortie. La Cour suprême n'a pas encore examiné les deux pourvois.
2.6 Le refus de rendre des comptes
Le fait que le gouvernement et l'UNITA n'estiment pas nécessaire de rendre des comptes constitue un obstacle important sur la voie de la réconciliation. Les deux camps se sont toujours dérobés lorsqu'il était question de mener des enquêtes approfondies sur les violations des droits de l'homme, et ils n'ont jamais adopté de mesures correctives ou préventives. Dans les quelques cas, très peu nombreux, où une enquête a apparemment été ouverte, celle-ci n'a débouché sur aucun résultat concret, ce qui permet de douter du sérieux de telles enquêtes.
Certains parents des centaines de personnes exécutées de façon extrajudiciaire en 1977 ont été officiellement informés que leurs proches étaient morts. Toutefois, les autorités n'ont pas jusqu'à présent fourni de détails sur les circonstances de ces décès, ni n'ont présenté d'excuses pour ce qui est arrivé.
Une commission parlementaire composée de 13 députés et chargée d'enquêter sur le massacre de membres de l'ethnie bakongo en janvier 1993 (cf. plus haut) a rendu son rapport en janvier 1994. L'Assemblée nationale a approuvé une résolution condamnant ce massacre et les autres violations. Elle a demandé que leurs auteurs soient sévèrement punis, et que la commission parlementaire des droits de l'homme ouvre une enquête et prenne des mesures afin d'empêcher que de tels faits ne se reproduisent. L'Assemblée nationale a toutefois rejeté une motion demandant que les victimes soient indemnisées. Apparemment, aucun des 33 suspects n'a jamais été jugé.
Une Commission d'enquête de l'UNITA sur les décès des familles Chingunji et dos Santos (cf. plus haut) constituée en mars 1992 a conclu que les assassinats avaient été ordonnés en novembre 1991 par un ancien ministre de l'Intérieur, membre de l'UNITA. La commission était présidée par Jeremias Chitundas[9], vice-président de l'UNITA ; celui-ci aurait été jugé en même temps que Pedro "Tito" Chingunji, Fernando Wilson dos Santos et d'autres en février 1989, et déclaré coupable, sur la foi d'éléments de preuve très minces et sans avoir le droit de se défendre, de complicité dans le cadre d'un complot visant le dirigeant de l'UNITA Jonas Savimbi. Ces antécédents ne pouvaient que compromettre sa capacité à conduire une enquête avec impartialité. La commission d'enquête ne satisfaisant pas aux principes fondamentaux d'indépendance et d'impartialité, ses conclusions doivent être considérées, au mieux, comme peu convaincantes.
Bien que les normes des Nations unies en matière de droits de l'homme exigent que les fonctionnaires responsables de graves violations des droits fondamentaux telles que des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture ou des "disparitions" soient traduits en justice, la plupart de ceux qui ont commis ce type de violations avant le 8 mai 1996 sont désormais protégés contre toutes poursuites judiciaires à la faveur de différentes lois d'amnistie. La Loi d'amnistie du 8 mai 1996 a été précédée par les lois d'amnistie de juillet 1991 et de décembre 1994. Elle accorde l'amnistie pour toutes les atteintes à la sûreté de l'État et toutes les infractions connexes perpétrées dans le cadre du conflit armé, ainsi que pour les crimes militaires commis entre le 31 mai 1991 et le 8 mai 1996. La loi d'amnistie était prévue dans le Protocole de Lusaka.
3. L'UNAVEM III et la défense des droits de l'homme
La plupart des composantes de l'UNAVEM III sont, par l'une ou l'autre de leurs missions, amenées à défendre les droits de l'homme. Les observateurs militaires (380), les "casques bleus" (environ 6 000) et les membres de la police civile (250) organisent des patrouilles, apportent leur aide pour le cantonnement et le désarmement des troupes, et surveillent le comportement des soldats et des policiers angolais. Ils ont également pour tâche de vérifier que les dispositions relatives aux droits de l'homme inscrites dans les accords de paix sont appliquées. Toutefois, peu de pays dispensent une formation en matière de surveillance de la situation des droits de l'homme aux personnes qui doivent participer aux forces de maintien de la paix de l'ONU, et, selon diverses informations, certaines de ces personnes n'ont rien fait face à des violations commises sous leurs yeux.
La surveillance de la situation des droits de l'homme incombe principalement à l'Unité des droits de l'homme de l'UNAVEM III (cf. plus haut). L'existence même d'une telle unité constitue un précédent très important en Angola, qui n'a pas de tradition de surveillance indépendante en ce domaine. Il est donc absolument indispensable que cette unité se montre efficace.
L'Unité des droits de l'homme (UDH) a pour mission essentielle de surveiller l'application des dispositions du Protocole de Lusaka relatives aux droits fondamentaux, et de signaler toute violation. La plupart des plaintes pour violations qu'elle a reçues émanaient du gouvernement et de l'UNITA. Dans un rapport à diffusion restreinte publié en avril 1996, elle fournissait des détails concernant 39 cas, certains de ceux-ci représentant des groupes de victimes présumées. Les cas non résolus ont été transmis à la Commission conjointe assortis de recommandations sur les mesures à prendre. Dans la plupart des cas, aucune mesure n'a été adoptée, si bien que l'UDH a envoyé les dossiers au Centre pour les droits de l'homme des Nations unies à Genève, lequel doit les adresser aux organes de l'ONU susceptibles de prendre les mesures appropriées.
Le rapport d'avril 1996 de l'Unité des droits de l'homme indique que la Commission conjointe ne prend pas au sérieux la responsabilité qui est la sienne en matière de protection des droits fondamentaux. Ainsi, le gouvernement n'a pas répondu aux allégations formulées par l'UNITA en octobre 1995, selon lesquelles le professeur Zacharias David aurait été kidnappé par les forces gouvernementales en mars 1995 à Uige, avant d'être torturé puis exécuté. Par ailleurs, l'inertie de l'UNITA est illustrée par le fait qu'elle n'a pas répondu à l'appel lancé en octobre 1995 pour la libération des deux fils de Bernardino Machado qui, semble-t-il, étaient détenus par ce mouvement dans la province de Cuanza Norte.
Le travail effectué par l'Unité des droits de l'homme est relativement peu connu en Angola, ce qui nuit fortement à son efficacité. Il est difficile de prendre contact avec l'UDH, sinon en se présentant en personne au siège de l'UNAVEM III, situé en dehors de la capitale, ou par téléphone. L'UDH n'a pas non plus fait connaître la nature de son mandat, ni ses méthodes de travail, ni les moyens dont elle dispose pour protéger les témoins : en conséquence, ceux qui connaissent l'existence de l'UDH sont peu enclins à lui soumettre des informations.
Parmi les succès obtenus par l'UDH, citons le fait qu'elle soit parvenue à faire inscrire la question des droits de l'homme à l'ordre du jour des réunions ordinaires de la Commission conjointe. Elle a également entrepris de promouvoir les droits de l'homme en organisant une série de conférences sur ces droits, et en préparant d'autres formes d'action telles que la constitution, dans chaque province, de groupes de citoyens chargés de sensibiliser la population de leur région aux droits de l'homme.
L'Unité de coordination de l'assistance humanitaire de l'ONU, qui apporte son aide aux soldats de l'UNITA dans les zones de cantonnement, a mis en place, en concertation avec l'UNITA, un cours élémentaire d'instruction civique à destination de ces soldats, qui comprend des éléments d'éducation aux droits de l'homme.
"La réconciliation nationale va de pair avec les garanties pour les droits de l'homme".
Il s'agit là du thème d'une conférence organisée par l'Unité des droits de l'homme à Negage en juin 1996. Des conférences nationales ont eu lieu en novembre 1995 et en janvier 1996, et deux conférences régionales se sont tenues à Lobito et à Lubango, respectivement en février et en avril 1996.
4. Recommandations
C'est l'avenir des droits de l'homme en Angola qui est en jeu.
Le présent document a tenté de montrer combien les violations des droits de l'homme s'étaient multipliées en l'absence de garanties suffisantes. Il est nécessaire de faire face aux atrocités commises dans le passé, et de définir des garanties de nature à empêcher que de telles atrocités ne se reproduisent. Amnesty International recommande que des mesures soient prises immédiatement afin de créer une structure minimum permettant de défendre les droits de l'homme durant la phase finale de l'opération de maintien de la paix et la période initiale du gouvernement d'union nationale et de réconciliation qui doit se mettre en place. La communauté internationale doit participer à ce processus en fournissant tout soutien nécessaire, notamment matériel.
Une structure minimum de défense des droits de l'homme exigerait la création de deux éléments essentiels, à savoir : un mécanisme efficace, indépendant et impartial de surveillance et de protection des droits fondamentaux, et un vaste programme de promotion de ces droits. Cela restaurerait la confiance qui est nécessaire à la réconciliation et au développement d'une société civile forte, capable de se charger de la surveillance et de la promotion des droits de l'homme. Les dirigeants politiques pourraient aider et accélérer un tel processus en annonçant publiquement à leurs partisans que les atteintes aux droits fondamentaux ne seront plus tolérées, et en agissant de manière à traduire leurs engagements en actes.
1. Les dirigeants politiques qui se sont engagés à respecter les dispositions des accords de paix relatives aux droits de l'homme, et qui ont publiquement fait part de leur volonté de protéger ces droits doivent faire la preuve de leur sincérité en prenant immédiatement des mesures concrètes visant à instaurer une culture de la responsabilité. Les personnes soupçonnées d'avoir commis des violations des droits de l'homme doivent être traduites en justice.
2. La plupart des Angolais n'ont pas eu l'occasion d'apprendre qu'ils jouissaient de droits fondamentaux reconnus par la législation. Il est nécessaire de leur faire connaître leurs droits, et de les informer sur la façon de déposer une plainte si ces droits sont bafoués. La société civile, notamment les médias et les organisations non gouvernementales, doivent uvrer à la promotion des droits fondamentaux. Ces groupes doivent faire pression sur les responsables officiels pour que soient respectés tous les droits constitutionnels, ainsi que ceux inscrits dans les traités internationaux auxquels l'Angola est partie. Le gouvernement doit fournir toute coopération nécessaire.
3. Le gouvernement et l'UNITA, par le biais de la Commission conjointe et avec les conseils et l'aide de l'UNAVEM III, devraient proposer la création d'une commission ou de tout autre organe susceptible de prendre en charge, au terme du processus de paix, les fonctions de protection assumées jusqu'ici par l'Unité des droits de l'homme. Cet organe devrait être composé de personnes dont l'impartialité, l'indépendance et la compétence sont unanimement reconnues. Disposant de pleins pouvoirs, il lui incomberait d'enquêter sur toutes les questions relatives à la mise en uvre des libertés et des droits fondamentaux tels que définis dans la Constitution, ainsi que dans les traités internationaux auxquels l'Angola est partie, et de veiller à ce que les mesures appropriées soient prises pour améliorer la situation. Cet organe devrait être tenu de publier régulièrement ses rapports d'enquêtes, ainsi que ses recommandations et les réponses des autorités. Il devrait disposer de fonds suffisants lui permettant d'accomplir sa tâche. Cet organe de surveillance de la situation des droits de l'homme devrait, dans un premier temps, bénéficier de l'aide d'observateurs internationaux et autres spécialistes des droits de l'homme, notamment de personnes rompues au travail d'enquête.
4. Si l'Angola doit un jour connaître la paix et la réconciliation, il lui faudra assumer et régler le lourd héritage que constituent les violations des droits de l'homme. La vérité doit être révélée au grand jour, et des mesures doivent être prises à l'encontre des responsables. Différents moyens sont possibles pour parvenir à cela, mais il est indispensable que, quelle que soit la méthode employée, celle-ci reçoive le soutien massif du peuple angolais. Pour commencer, il serait peut-être bon d'organiser une conférence nationale consultative à laquelle participeraient des personnes issues de tous les secteurs de la société angolaise, pour débattre et décider de ce qu'il convient de faire. Des experts étrangers ayant eu à traiter de problèmes semblables dans leur propre pays lors de périodes de changement devraient être invités à faire part de leur expérience. Les délibérations et les recommandations de la conférence devraient être publiées et largement diffusées dans tout le pays. Le calendrier et la préparation d'une telle conférence devront faire l'objet de beaucoup de soins, car de nombreuses personnes pourraient renoncer à y participer par crainte de représailles.
5. La communauté internationale, notamment les organisations gouvernementales internationales et les pays donateurs, devrait encourager les autorités angolaises à améliorer la défense des droits fondamentaux et soutenir, y compris financièrement, les initiatives dans ce domaine, notamment celles suggérées plus haut. Elle devrait également :
· aider les médias indépendants à se développer, en fournissant entre autres du matériel et en offrant aux journalistes la possibilité de se former
· aider à mettre sur pied un système pénal efficace, qui soit capable, parallèlement à ses autres fonctions de protection des droits de l'homme, de veiller à ce que les personnes soupçonnées d'avoir commis des violations des droits de l'homme soient poursuivies et bénéficient d'un procès équitable
· en attendant qu'un appareil judiciaire indépendant et impartial soit en mesure de garantir pleinement la défense des droits fondamentaux, promouvoir la formation de "semi-juristes", c'est-à-dire de personnes disposant de connaissances suffisantes en droit pour pouvoir assumer certaines des fonctions d'un avocat, et susceptibles d'empêcher que ne se produisent des atteintes aux droits de l'homme au sein même de l'institution judiciaire
· aider à faire en sorte que le personnel des forces de sécurité dispose de moyens suffisants, conformément aux Principes directeurs de l'ONU en vue d'une application efficace du Code de conduite pour les responsables de l'application des lois. Cela signifie, entre autres, que tous les responsables de l'application des lois devraient être suffisamment rémunérés et bénéficier de conditions de travail satisfaisantes.
· promouvoir l'éducation aux droits de l'homme au sein des services de sécurité dans le cadre d'autres formations, en vue d'atteindre à un plus haut degré de professionnalisme
· veiller à ce que les accords portant sur les transferts vers l'Angola d'équipements militaire, de sécurité ou de police, de technologie, de formation ou de personnel s'attachent en priorité à évaluer les conséquences de tels transferts sur la situation des droits de l'homme, transferts qui ne devraient pas être autorisés s'ils risquent de favoriser des violations des droits de l'homme
· soutenir les efforts de l'Unité des droits de l'homme de l'UNAVEM III dans la défense et la promotion des droits de l'homme.
6.Le Conseil de sécurité des Nations unies devrait veiller à ce que le processus de paix organisé sous l'égide de l'ONU ne soit pas considéré comme achevé tant que ne sera pas mise en place une protection suffisante des droits de l'homme, sans laquelle aucune paix ne peut être durable.
Octobre 1996 Résumé
Index AI : AFR 12/06/96
[1] Amnesty International a fait état de certaines des lacunes des accords de Bicesse et décrit les violations des droits de l'homme perpétrées en 1992 et en 1993 dans les rapports suivants : Angola. Appel pour une action immédiate en faveur de la protection des droits de l'homme (index AI : AFR 12/01/92) ; Angola. Le nouveau gouvernement va-t-il protéger les droits de l'homme ? (index AI : 12/09/92) ; et Angola. Le droit à la vie bafoué (index AI : 12/04/93).
[2] Ce que le Protocole de Lusaka prévoyait en matière de protection des droits de l'homme est évoqué dans le rapport intitulé Angola. Le Protocole de Lusaka : quelles perspectives pour les droits de l'homme ? (index AI : AFR 12/02/96).
[3] À la date de juillet 1996, le gouvernement et l'UNITA avaient libéré respectivement 365 et 166 prisonniers. Des milliers de personnes capturées ou détenues lors des combats qui se sont déroulés entre 1992 et 1994, ou au cours des années précédentes, n'ont pas été remises en liberté. Nombre d'entre elles semblent avoir "disparu".
[4] Au sein de la Commission conjointe figurent des représentants du gouvernement angolais et de l'UNITA, en qualité de membres, ainsi que des représentants des gouvernements du Portugal, de la Fédération de Russie et des États-Unis d'Amérique, présents à titre d'observateurs. Cette commission est présidée par Alioune Blondin Beye, représentant spécial du secrétaire général de l'ONU.
[5] La résolution 976 de février 1995 du Conseil de sécurité des Nations unies proposait la mise en place d'une station de radio de l'ONU.
[6] Liberté d'expression et liberté de la presse sont inscrits dans le Principe spécifique II de l'annexe 6 du Protocole de Lusaka, lequel prévoit en outre que les statuts de Radio-Vorgan devront être modifiés de manière à faire de celle-ci une radio non partisane, émettant sur des fréquences autorisées.
[7] Amnesty International a demandé qu'une enquête indépendante et approfondie soit ouverte, et qu'elle soit menée en conformité avec les normes internationales minima énoncées dans les Principes régissant les enquêtes de l'ONU sur les allégations relatives à des massacres (Bureau des affaires juridiques, Nations unies, New York, 1995). Au nombre de ceux-ci figurent les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions.
[8] Les exécutions extrajudiciaires sont des exécutions extralégales, sommaires ou arbitraires perpétrées par des soldats, des policiers ou d'autres agents de l'État, ou encore par des personnes agissant à leur instigation ou avec leur assentiment explicite ou tacite. Amnesty International emploie le terme d'homicide délibéré et arbitraire lorsque l'auteur de l'homicide n'est pas connu, ou quand l'homicide est commis intentionnellement à l'instigation d'un groupe politique armé ou avec son assentiment. Le gouvernement, comme l'UNITA, est tenu de respecter les dispositions des Conventions de Genève de 1949. L'article 3 commun aux quatre conventions prohibe « les atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels et les tortures » à l'égard de toutes les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités ou qui ont cessé d'y prendre part.
[9] Jeremias Chitunda figurait parmi les responsables de l'UNITA tués à Luanda en octobre 1992.
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