Utilisation de Ceintures Electriques Neutralisantes
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Date:
12 June 1996
Introduction
Amnesty International est extrêmement préoccupée par l'introduction par l'administration pénitentiaire des État-Unis d'Amérique, tant au niveau fédéral qu'à celui des États, d'une ceinture télécommandée neutralisante permettant d'envoyer des décharges électriques. Ce dispositif est utilisé sur les détenus ou les prisonniers lors des audiences de justice et des transfèrements, ainsi que lorsque les condamnés travaillent entravés. La ceinture neutralisante permet aux responsables de l'application des lois d'infliger une souffrance violente à un prisonnier, tout en l'immobilisant, par la simple pression d'un bouton. Elle peut facilement être utilisée pour terroriser un prisonnier et semble avoir été conçue pour humilier et avilir celui à qui elle est imposée. À ce jour, ni les fournisseurs ni les utilisateurs de la ceinture neutralisante n'ont signalé qu'une enquête médicale totalement indépendante ait été menée sur les effets d'une telle arme. Pourtant, celle-ci a été introduite dans les prisons des États-Unis. Il convient de noter que les données relatives à l'utilisation d'autres armes envoyant des décharges électriques indiquent qu'une décharge de 50 000 volts durant huit secondes peut provoquer des lésions physiques et mentales durables.
Amnesty International estime que l'utilisation de la ceinture neutralisante peut constituer une violation des normes internationales relatives aux droits de l'homme qui interdisent les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L'Organisation craint aussi que ce type de technologie ne soit transféré dans d'autres pays où des armes envoyant des décharges électriques sont déjà utilisées pour torturer les prisonniers.
En mai 1996, le Sénat de l'État du Wisconsin a avalisé le vote de l'Assemblée de l'État visant à introduire des équipes de travail de prisonniers entravés formées de douze personnes pour les individus nécessitant la mise en oeuvre de mesures de moyenne sécurité. Cette décision a été prise après que le Sénat eut été informé par le Department of Corrections (service chargé de l'administration des prisons) du Wisconsin des conditions suivantes : « Les prisonniers ne seront pas enchaînés les uns aux autres, mais seront entravés à titre individuel par le port de ceintures neutralisantes et de fers aux pieds. Au moins l'un des deux responsables péniten tiaires chargés de la surveillance de l'équipe de douze prisonniers sera armé afin d'offrir un degré supérieur de sécurité. » [1] Les prisonniers des équipes de travail qui pourraient se voir imposer le port d'une ceinture neutralisante à partir de janvier 1997 ne comprendraient pas les individus considérés comme étant les plus dangereux pour la société. Il s'agirait de criminels non violents ayant enfreint le règlement pénitentiaire.
Stun Tech Inc., société américaine basée à Cleveland (État de l'Ohio), compte fournir les ceintures neutralisantes si le gouverneur du Wisconsin confirme la décision. La société a déclaré qu'elle espérait que ses ceintures seraient utilisées dans les programmes prévoyant des équipes de travail de prisonniers entravés en Alabama, Floride et Louisiane. Amnesty International a condamné le rétablissement en 1995, après une interruption de trente années, des équipes de travail de prisonniers entravés dans ces trois États, entre autres. L'Organisation estime que cette pratique constitue une violation du droit international ainsi que des normes spécifiques relatives au traitement des prisonniers.
En 1994, le Bureau fédéral des prisons des États-Unis a décidé d'utiliser des ceintures télécommandées neutralisantes afin d'empêcher les détenus ou prisonniers jugés dangereux de s'évader pendant les transfèrements et lors des audiences de justice. En 1996, le service chargé d'exécuter les ordres des tribunaux fédéraux et l'administration de plus de 100 comtés se seraient déjà procurés de telles ceintures, de même que l'administration pénitentiaire de seize États, dont l'Alaska, la Californie, le Colorado, le Delaware, la Floride, la Géorgie, le Kansas, l'Ohio et l'État de Washington. Le Bureau fédéral des prisons a déclaré qu'il utilise la ceinture neutralisante pour les prisonniers à haut risque, qui doivent être soumis à une « contrainte maximum ». L'administration pénitentiaire justifie en outre l'utilisation de cette ceinture en expliquant qu'elle permet de réduire les coûts de personnel des organes chargés de l'application des lois, étant donné le nombre croissant de prisonniers aux États-Unis.
Le matériel publicitaire diffusé par Stun Tech Inc. affirme que la ceinture électrique neutralisante à haute tension fabriquée par la société peut être activée depuis un point situé à une distance allant jusqu'à une centaine de mètres. Après un signal d'avertissement, la ceinture REACT (Remote Electronically Activated Control Technology, technologie de commande électronique à distance) envoie une décharge de 50 000 volts utilisant trois à quatre milliampères pendant huit secondes. Ce courant à haute tension pénètre dans la région du rein gauche du prisonnier, puis se propage dans son corps, notamment par les vaisseaux sanguins et le système nerveux. Chaque impulsion électrique est susceptible de provoquer un choc violent qui s'étend au corps entier, y compris au cerveau et au sytème nerveux central. Le choc électrique occasionne une douleur intense, qui s'accroît pendant les huit secondes que dure la décharge, et fait perdre tout contrôle à la victime lors des premières secondes. Selon la notice explicative, « l'efficacité de la ceinture neutralisante dépend de la durée pendant laquelle on appuie sur le bouton ». Dans son matériel publicitaire, la société Stun Tech Inc. préconise l'utilisation de sa ceinture par les responsables de l'application des lois, affirmant que, grâce à elle, ils peuvent avoir « une suprématie psychologique totale [ ] sur des prisonniers potentiellement dangereux ». On peut notamment lire dans la notice :
« Après tout, si vous portiez autour de la taille un dispositif qui, par la simple pression d'un bouton à distance par un tiers, peut vous faire déféquer ou uriner, quel serait à votre avis, son impact sur vous au niveau psychologique ? » Le matériel publicitaire de la société avertit toutefois les responsables de l'appli cation des lois qu'ils ne doivent pas utiliser la ceinture neutralisante pour « menacer, contraindre, harceler, railler, humilier ou maltraiter une personne de manière illégale ».
Afin de dégager sa responsabilité, le Bureau fédéral des prisons des États-Unis « demande » à chaque prisonnier à qui le port de cette ceinture est imposé de signer un formulaire intitulé "Avis aux prisonniers relatif au fonctionnement de la ceinture télécommandée de surveillance". Ce formulaire est pratiquement identique à celui diffusé par Stun Tech Inc. auprès de tous les organes chargés de l'application des lois. Les deux formulaires avertissent les prisonniers que l'activation de la ceinture neutralisante « immobilise [celui qui la porte] en le faisant tomber à terre, et peut l'amener à déféquer et uriner ». En outre, les formulaires informent les prisonniers que l'activation peut se produire s'ils se livrent « à certaines actions », par exemple s'ils font « un éclat ou un geste brusque », « tentent de trafiquer leur ceinture », « n'obtempèrent pas à l'ordre de se déplacer » ou « si leur gardien les perd de vue ». Stun Tech Inc. insiste sur le fait que seul les responsables de l'application des lois entraînés et « habilités » devraient utiliser cette ceinture neutralisante pour les prisonniers et leur offre jusqu'à six heures de formation.
Stun Tech Inc. a reconnu que, depuis 1993, les ceintures neutralisantes avaient été accidentellement activées par des responsables de l'application des lois à neuf reprises. L'activation délibérée de la ceinture se serait également produite neuf fois. Le porte-parole de la société a également confirmé le fait que la ceinture peut être activée de manière répétée avec seulement une seconde d'intervalle [2] Le matériel publicitaire de la société affirme que « dans la mesure où la ceinture n'est pas utilisée pour la gratification de son utilisateur ou afin de sanctionner [les prisonniers], la responsabilité [de l'utilisateur] est inexistante ».
La ceinture électrique neutralisante a été promue aux États-Unis comme une alter native aux chaînes ou aux fers lors du transfèrement de prisonniers potentiellement violents. Cependant, d'après le matériel publicitaire de Stun Tech Inc., la « ceinture de trsanfèrement de haute sécurité » est destinée à être utilisée conjointement avec « des menottes enserrant les poignets [du prisonnier] et un jeu supplémentaire de menottes comportant une chaîne les reliant aux fers [entravant les pieds] ». La Règle 33 de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus dispose que « les instruments de contrainte tels que menottes, chaînes, fers et camisoles de force ne doivent jamais être appliqués en tant que sanctions. Les chaînes et les fers ne doivent pas non plus être utilisés en tant que moyens de contrainte ». Le Bureau fédéral des prisons des États-Unis continue pourtant d'avoir recours aux fers et aux chaînes et impose à présent la ceinture neutralisante à des prisonniers, contrevenant ainsi à cette disposition. Le bureau affirme cependant qu'il « n'utilise aucun instrument de contrainte afin de sanctionner un prisonnier ». L'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus prévoit en outre que les instruments de contrainte doivent être utilisés dans certains cas seulement, d'une manière qui encourage le respect de soi-même et développe le sens de la responsabilité du prisonnier, et ce uniquement « si les autres moyens de maîtriser un détenu ont échoué, afin de l'empêcher de porter préjudice à lui- même ou à autrui » ou pour des raisons médicales. L'application de ces instruments de contrainte ne doit alors pas être prolongée au-delà du temps strictement nécessaire et ne doit jamais se faire d'une manière susceptible d'humilier ou d'avilir le détenu. Enfin, aux termes de l'Ensemble de règles minima, « le transport des détenus [ ] par tout moyen leur imposant une souffrance physique, doit être interdit » (cf. Règle 45).
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel les États-Unis sont parties dispose que « nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traite ments cruels, inhumains ou dégradants » (article 7), tout comme la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
L'utilisation de ceintures électriques neutralisantes lors des audiences de justice
L'ensemble de règles minima pour le traitement des détenus interdit expressément l'application d'instruments de contrainte à des prisonniers qui comparaissent devant une autorité judiciaire. Pourtant, l'administration pénitentiaire des États- Unis a commencé à utiliser la ceinture neutralisante lors des audiences de justice. En novembre 1993, Edward Valdéz, inculpé de coups et blessures à San Diego (État de Californie), aurait choisi de porter une ceinture neutralisante sous ses vêtements « plutôt que de comparaître devant le tribunal avec des menottes et des chaînes ». Après avoir quitté la salle d'audience, cet homme aurait reçu une décharge violente devant les jurés qui attendaient dans le couloir. « Il a hurlé et s'est jeté contre le mur avant de tomber par terre, où il est resté inconscient pendant environ une minute [ ] L'effet a été très puissant », a déclaré le procureur. Le procès d'Edward Valdéz avait apparemment été différé afin d'effectuer des tests psychologiques sur ce dernier pour déterminer son aptitude à être jugé.
En mars 1994, Richard Davis comparaissait pour meurtre devant un tribunal de Santa Rosa (État de Californie) ; il portait une « volumineuse ceinture électrique » sous sa chemise, parce que ses avocats avaient fait part de leur crainte que des photos ne soient publiées dans la presse montrant l'accusé portant un uniforme de prison et des chaînes dans la salle d'audience. Pourtant, on peut lire dans le matériel publicitaire de Stun Tech Inc. : « Nous conseillons fortement de placer la ceinture de sécurité minimum sur les vêtements. Le fait que la ceinture soit exposée à la vue de tous ne constitue pas une "agression" aux yeux du jury. » En novembre 1994, en Floride, un juge de circuit aurait annulé sa décision de faire porter une ceinture électrique neutralisante à un accusé inculpé de meurtre, après qu'il eut appris qu'un policier se trouvant à l'extérieur de la salle d'audience avait activé la ceinture.
En Californie, le 16 décembre 1994, un accusé, Bruce Sons, qui portait une ceinture neutralisante, aurait reçu accidentellement une décharge alors qu'il parlait avec son avocat au cours d'une pause, lors d'une audience préalable à la procédure de jugement. Bruce Sons a refusé l'assistance médicale qu'on lui offrait, mais, sur les conseils de son avocat, il a ensuite été examiné par des médecins. Une photo graphie montrant des zébrures sur le dos de Bruce Sons, apparemment causées par la décharge électrique, a été présentée à la juridiction supérieure. Le juge aurait admis qu'il n'y avait rien à reprocher au comportement de Bruce Sons lors des audiences préalables. Néanmoins, il a ordonné que l'accusé continue de porter la ceinture. On ne la lui a ôtée que lorsqu'il a été entendu en ses déclarations. Stun Tech Inc. semble envisager un rôle plus actif pour les juges dans l'utilisation de la ceinture REACT. Son matériel publicitaire affirme en effet : « Cinquante pour cent des ventes de ce produit concernent deux canaux de diffusion : les auxiliaires de justice et les juges. »
En avril 1995, un accusé du Wisconsin inculpé de meurtre, James Oswald, a dû porter une ceinture neutralisante devant le tribunal durant tout son procès, bien qu'il fût assis dans un fauteuil roulant. Le juge n'était pas convaincu de l'infirmité de cet homme et l'a donc contraint à porter une ceinture électrique en plus des chaînes. L'accusé a affirmé qu'il avait reçu deux décharges. Selon son avocat, les amis du policier décédé, eux-mêmes policiers, auraient cherché « par plusieurs moyens à torturer cet homme ». Le juge a reconnu que James Oswald avait accidentellement reçu une décharge électrique.
Les effets sur le plan médical des armes envoyant des décharges électriques
Aux termes des Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, « la mise au point et l'utilisation d'armes non meurtrières neutralisantes devraient faire l'objet d'une évaluation attentive afin de réduire au minimum les risques à l'égard des tiers et l'utilisation de telles armes devrait être soumise à un contrôle strict » (Principe 3). En outre, ces principes demandent aux gouvernements de veiller à ce que les responsables de l'application des lois n'aient pas recours à la force de manière arbitraire ou abusive et que celle-ci ne soit utilisée « que si les autres moyens restent sans effet ».
Dans son matériel publicitaire, Stun Tech Inc. affirme que les ceintures neutrali santes ne sont pas dangereuses pour l'homme, mais un porte-parole de la société a reconnu qu'aucune enquête médicale totalement indépendante n'avait été menée sur ces ceintures. La société se contente de citer un médecin du Nebraska qui dit avoir testé le dispositif sur des cochons anesthésiés et qui en conclut que celui-ci est sans danger pour les êtres humains, « dans des conditions normales d'utilisation ». Étant donné qu'il n'est pas fait allusion à l'utilisation continue de la ceinture, il n'y aurait eu, semble-t-il, que de simples applications ponctuelles du dispositif. Selon certaines informations, les personnes ayant volontairement accepté de tester la ceinture peuvent se préparer psychologiquement et tomber sur des tapis de gymnastique ou sur du gazon. Il en va bien sûr tout à fait autrement lorsqu'un prisonnier doit porter la ceinture pendant de longues heures dans la crainte constante que le dispositif ne soit activé. En outre, le détenu frappé par la décharge peut tomber sur des surfaces aiguës ; il est également possible qu'il ait accompli auparavant un travail pénible et qu'il ait transpiré sous le soleil, facteur qui accroît la conductivité de la peau. Un porte-parole de Stun Tech Inc. aurait reconnu : « Lors des procès, on remarque que l'accusé regarde toujours la personne qui porte le moniteur [c'est-à-dire la télécommande]. »[3]
Selon le Bureau fédéral des prisons des États-Unis, le service chargé d'examiner les programmes relatifs à la santé publique a « examiné la ceinture REACT, puis a conclu que cette technologie était sans danger pour l'homme et pouvait être appli quée à la grande majorité de la population pénitentiaire du Bureau fédéral des prisons » [4] Aucun détail relatif aux tests réalisés n'a été fourni et on ignore s'il s'agissait d'une étude indépendante. Le Bureau fédéral des prisons, tout comme le matériel publicitaire diffusé par Stun Tech Inc., met en garde contre une utilisation du dispositif sur les femmes enceintes, les personnes souffrant de maladies cardiaques, de sclérose en plaques, de dystrophie musculaire et d'épilepsie. Pourtant, le bureau dit ne pas effecuter d'examen médical préalable de tous les prisonniers pour décider si certains d'entre eux doivent porter la ceinture, mais le faire seulement lorsqu'un prisonnier a été neutralisé par la décharge :
« Le personnel médical examine le dossier médical d'un détenu et les autres renseignements disponibles dans la prison, afin de vérifier si le détenu est concerné par l'une des cinq conditions [mentionnées ci-dessus] qui empêchent le port de la ceinture REACT. S'il est nécessaire d'activer la ceinture REACT d'un détenu à qui il a été décidé qu'il était possible de l'appliquer, le personnel médical examine le détenu dès que possible après l'activation [de la ceinture]. » [5]
En l'absence d'enquête médicale indépendante sur l'utilisation de la ceinture neutralisante, l'on peut se reporter aux effets signalés d'autres armes envoyant des décharges électriques, dont l'usage est relativement répandu aux États-Unis dans les milieux policier et pénitentiaire depuis la fin des années 80. La technologie développée par Stun Tech Inc. a initialement été présentée aux responsables de l'application des lois en 1973, avec l'invention du pistolet à fléchettes "incapacitant".
Depuis cette date, les pistolets incapacitants à fléchettes ou à contact direct, de même que les matraques et les boucliers électrifiés connaissent une relativement large diffusion et sont utilisés par les responsables de l'application des lois, bien que de telles armes soient interdites dans certains États américains. À la suite de quelques décès liés à l'utilisation d'armes de ce type, des médecins ont mis en garde contre des risques non détectables, affirmant notamment que certains curs présentant des risques peuvent paraître sains mais s'avérer ensuite avoir un problème congénital ou un mécanisme de conduction susceptible d'entraîner une arythmie. Ainsi, un fabricant américain de pistolets incapacitants cite un rapport publié par la Commission pour la défense des consommateurs des États-Unis, dans lequel le pistolet incapacitant est qualifié de « non meurtrier pour des adultes normaux et en bonne santé ». Cependant, un médecin légiste a déclaré que : « Certaines conditions médicales, notamment la prise de médicaments et la présence d'une maladie cardiaque, peuvent accroître les risques mortels liés à l'utilisation du pistolet incapacitant [ ]. Les 16 décès liés à cette arme à Los Angeles montrent que le pistolet incapacitant n'est pas une arme non meurtrière puisque son utilisation n'a pas empêché certaines personnes de mourir. Si nous éliminons les décès [liés à cette arme] dans lesquels des blessures par arme à feu, des traumatismes occasionnés par des objets contondants ou des instruments de contrainte ont, semble-t-il, joué un rôle important, il nous reste neuf individus qui étaient en vie et actifs et qui se sont effondrés sans vie sous la décharge. À mon avis, le pistolet incapacitant a contribué au moins à ces neuf décès [ ] Il semble tout à fait logique qu'un dispositif capable de dépolariser les muscles squelettiques puisse aussi dépolariser le muscle cardiaque et entraîner une fibrillation dans certaines circonstances. » [6]
Des recherches ont été menées et publiées en 1990 par le Service de science médico-légale du ministère de l'Intérieur britannique au sujet d'une série de pistolets neutralisants utilisant une tension inférieure qui étaient fabriqués auparavant en Corée, à Taiwan et aux États-Unis. Cette étude a montré que ces armes pouvaient infliger une douleur intense et entraîner une perte de facultés importante. Cet effet est produit par l'envoi d'une succession d'impulsions électriques de courte durée et de haute tension (très différentes du courant régulier alternatif de basse tension que l'on trouve dans les aiguillons électrifiés utilisés pour le bétail ou les matraques électrifiées, qui provoquent une douleur localisée [7]). Les victimes des pistolets incapacitants ressentent la douleur de manière différente. Dans un test réalisé en laboratoire, une jeune femme « a décrit une douleur violente dans la zone de sa jambe sur laquelle était appliqué le pistolet incapacitant. Sa jambe a été secouée par le choc électrique et a continué de trembler de manière incontrôlable ; la jeune femme a été incapable de bouger pendant un certain laps de temps. Une fois que l'effet neutralisant a disparu, sa jambe est restée raide ». L'étude a montré que le courant emprunte des canaux à basse résistance à l'intérieur du corps humain, tels que les vaisseaux sanguins et le système nerveux. L'effet du pistolet neutralisant n'est pas atténué par l'épaisseur des vêtements portés sur la peau : « À chaque impulsion électrique envoyée semble devoir correspondre un choc rapide qui s'étend à tout le corps, y compris au cerveau et au système nerveux central. »
Le rapport des scientifiques du ministère de l'Intérieur britannique a conclu qu'une décharge infligée par un pistolet neutralisant pendant une à deux secondes est susceptible d'entraîner l'évanouissement de la victime ; une décharge d'une durée comprise entre trois et cinq secondes risque, quant à elle, d'immobiliser la victime, de lui faire perdre ses facultés, de l'étourdir et de la rendre faible pendant au moins cinq minutes, voire quinze. « Les effets immédiats, localisés, sont rapidement suivis d'un effet neutralisant sur tout le corps. » Ces effets peuvent se manifester par des convulsions ou des contractures tétaniques affectant les muscles squelettiques locaux ; la victime est alors agitée de soubresauts et de tremblements. Ces effets varient en fonction de la zone de contact et des caractéristiques physiologiques de l'individu. La victime peut en outre se blesser en tombant. De plus, l'étude a montré que les pistolets neutralisants peuvent causer la mort de la victime par la fibrillation ventriculaire qu'ils provoquent « si ne serait-ce que quelques microampères sont conduits à travers le cur pendant un laps de temps prolongé ». Enfin, une arme envoyant des décharges électriques peut être employée sans discernement du fait que les personnes se trouvant en contact avec la victime de la décharge sont susceptibles de recevoir un choc secondaire important.
Les responsables de l'application des lois des États-Unis qui ont reçu une formation pour utiliser des pistolets neutralisants ont déclaré les avoir appliqués diversement sur les assaillants, soit sur les jambes pendant une à deux secondes, soit sur le torse durant trois à cinq secondes. On pouvait lire dans un rapport publié en 1992 : « Les policiers moins agressifs peuvent aboutir à des résultats négatifs [le pistolet neutralisant ne privant pas la victime de ses moyens] [ ] parce [qu'il faut] établir un contact physique et maintenir ce contact pendant une période comprise entre six à huit secondes. » Un des modèles modernes de pistolets neutralisants est doté d'un dispositif d'arrêt automatique de la décharge au bout de quinze secondes. Le pistolet est toutefois réactivé après cinq secondes. La ceinture neutralisante, dont la décharge dure huit secondes, peut elle aussi être réactivée après un laps de temps très court. Il apparaît donc que l'utilisation prolongée ou répétée d'une ceinture neutralisante, d'un pistolet ou d'une matraque envoyant des décharges électriques constitue une torture ou de graves mauvais traitements. Pourtant, ce risque n'a pas été pris en compte par les concepteurs de cette technologie et reste donc constamment présent.
Les craintes liées aux risques de décès et de graves lésions ont conduit les autorités dans certaines régions des États-Unis à interdire les armes envoyant des décharges électriques, à l'instar des pays d'Europe occidentale dont les responsables de l'application des lois appliquent d'autres instruments de contrainte sur les prisonniers. Après que les policiers du Département de la police de Los Angeles eurent utilisé un pistolet neutralisant sur la personne de Rodney King, dont le passage à tabac par les policiers, diffusé à la télévision, avait précédé les émeutes de Los Angeles en 1992, le tribunal du comté recommanda aux services du shérif de Los Angeles de faire remplacer les pistolets envoyant des décharges électriques par des pistolets à balles de plastique. En 1995, les pistolets neutralisants auraient été déclarés illégaux dans les États d'Hawaii, de l'Illinois, du Massachusetts, du Michigan, du New Jersey, de New York et de Rhode Island, ainsi qu'à Washington DC et dans certaines grandes villes dont les arrêtés peuvent prévaloir sur les décisions prises à l'échelon de l'État. Dans le Maryland, par exemple, où il était apparemment légal de posséder et d'utiliser ce type d'armes, la ville de Baltimore les a interdites. Au Texas, les autorités chargées de l'administration des prisons ont mis un terme à l'utilisation des pistolets neutralisants, pour des raisons médicales, semble-t-il. Toutefois, elles autorisent toujours les gardiens à utiliser un bouclier antiémeutes envoyant des décharges électriques lorsqu'ils changent un prisonnier de cellule. Le 1er décembre 1995, Harry Landis, qui travaillait pour l'administration pénitentiaire du Texas, aurait perdu connaissance et serait décédé après avoir reçu deux décharges électriques de 45 000 volts tandis qu'il s'entraînait avec un bouclier antiémeutes.
L'utilisation des ceintures neutralisantes pourrait bien s'étendreà des États pratiquant la torture
Il existe un réel danger que les exportations de ceintures neutralisantes en provenance des États-Unis tombent entre les mains de tortionnaires dans des pays tels que l'Afrique du Sud, l'Arabie saoudite, la Chine, Israël, le Liban, le Mexique, la Russie, Taiwan et la République fédérale de Yougoslavie, où les armes envoyant des décharges électriques sont utilisées par les responsables de l'application des lois aux fins de torture. Des entreprises des États-Unis ont déjà commercialisé d'autres armes envoyant des décharges électriques dans certains de ces pays, et ce avec l'autorisation du gouvernement américain. Ainsi, des licences d'exportation ont été délivrées pour la vente de pistolets incapacitants à l'Arabie saoudite. Le directeur des ventes de Stun Tech Inc. aurait essayé de vendre des ceintures neutralisantes à l'administration pénitentiaire du Canada et du Royaume-Uni. Il souhaiterait en outre vendre ces ceintures à des pays tels que la Chine ou l'Arabie saoudite, où les responsables de l'application des lois pratiquent la torture avec avec des armes de poing envoyant des décharges électriques.[8]
Le ministère du Commerce des États-Unis délivre des licences pour l'exportation d'armes envoyant des décharges électriques, mais il a refusé de révéler le nombre exact d'armes de ce type exportées par les États-Unis, ainsi que les pays de destination. Pourtant, la Loi relative aux exportations dispose que de telles informations peuvent être révélées « si le ministre [du Commerce] décide qu'il y va de l'intérêt national ».
Aux Pays-Bas, dans les pays scandinaves, en Suisse et au Royaume-Uni, les armes qui envoient des décharges électriques autres que les aiguillons électrifiés utilisés pour le bétail seraient considérées comme illégales, bien que certaines sociétés aient tenté de les introduire dans ces pays. Les autorités grecques auraient interdit l'utilisation de ces armes par les organes chargés de faire respecter les lois à la suite de cas de graves mauvais traitements imputés à des policiers grecs. Ces affaires ont fait l'objet d'une enquête menée en 1994 par le Comité européen pour la prévention de la torture.
Recommandations
Amnesty International ne prend pas position sur le commerce des armes en tant que tel, pas plus que sur celui des dispositifs de sécurité. Toutefois, l'Organisation craint que l'exportation et l'utilisation des ceintures électriques neutralisantes ne contribuent plus particulièrement à des violations des droits de l'homme telles que la torture ou les mauvais traitements. Afin de prévenir de telles violations, Amnesty International demande instamment au gouvernement des États-Unis d'Amérique de :
I) faire mener une enquête rigoureuse et indépendante sur l'utilisation des ceintures neutralisantes et de tout autre type ou variante d'armes envoyant des décharges électriques, ainsi que d'évaluer leurs effets, notamment sur le plan médical, au regard des normes internationales relatives aux droits de l'homme régissant le traitement des détenus et le recours à la force ; cette enquête devrait examiner tous les cas de décès ou de blessures occasionnés par l'application de ces instruments sur des détenus et les résultats de l'enquête devraient être rendus publics sans délai ;
II) suspendre immédiatement l'utilisation des ceintures neutralisantes et des autres armes envoyant des décharges électriques jusqu'à ce qu'une enquête médicale indépendante fasse la preuve, le cas échéant, que le recours à de telles armes par les organes responsables de l'application des lois n'est pas susceptible d'entraîner des décès en détention, des tortures ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;
III) interdire l'exportation de toutes les armes neutralisantes envoyant des décharges électriques vers des pays où de telles armes risquent de contribuer à des exécutions extrajudiciaires, des tortures ou de graves mauvais traitements, notamment en refusant de délivrer une licence d'exportation pour toute technologie de ce type devant être transferée vers un pays où il est prouvé que l'on torture et maltraite à l'électricité ;
IV) mener une enquête approfondie afin de déterminer si les armes envoyant des décharges électriques déjà exportées par les États-Unis ont été utilisées pour infliger des tortures et des mauvais traitements.
[1] Cf. lettre du secrétaire du Department of Corrections (service chargé de l'administration des prisons) du Wisconsin au député Eugene Hahn, datée du 25 mars 1996.
[2] Cf. The Progressive, Stunning Technology [La technologie neutralisante], volume 60, n° 7, juillet 1996, Madison, Wisconsin, États-Unis d'Amérique.
[3] Ibid.
[4] Cf. lettre adressée le 4 avril 1996 par Peter Carlson, directeur adjoint du Département fédéral des prisons, aux Médecins pour les droits de l'homme, organisation basée à Boston (Massachusetts), en réponse à une lettre exprimant les sujets d'inquiétude de cette organisation.
[5] Ibid.
[6] Cf. Terence B. Allen, Journal of Forensic Sciences [Journal des sciences médico-légales], 1991.
[7] Cf. M. N. Robinson, C. G. Brooks et G. D. Renshaw, "Electric Shock Devices and their Effects on the Human Body" [Les dispositifs envoyant des décharges électriques et leurs effets sur le corps humain], in Medical Science and Law [Science et droit médicaux], vol. 30, n° 4, 1990.
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