Introduction

À la fin de 1995, un nombre sans précédent de prisonniers (plus de 3 000) se trouvaient sous le coup d'une condamnation à mort dans 34 États, ainsi qu'en application du code de justice militaire fédéral ou du code fédéral de justice civile. Cinquante-six exécutions ont eu lieu dans le courant de l'année. Un tel chiffre n'avait jamais été atteint au cours des années écoulées depuis la révision par les États de leur législation en matière de peine capitale, au milieu des années 70. Le nombre total d'exécutions aux États-Unis depuis 1977 se trouve ainsi porté à 313. En mars 1995, l'État de New-York a été le trente-huitième à rétablir la peine capitale.

La Pennsylvanie et le Montana ont procédé à leurs premières exécutions depuis le rétablissement de la peine de mort en 1977. Les deux prisonniers exécutés en Pennsylvanie avaient toutefois décidé de renoncer à leurs recours et demandé à être exécutés. Un autre condamné, non consentant celui-là, est en attente d'exécution dans le même État. Plus d'un tiers des exécutions de l'année (soit 19) ont eu lieu au Texas. Six ont eu lieu dans le Missouri, cinq en Illinois, cinq en Virginie, trois en Floride, trois en Oklahoma, deux en Alabama, en Arkansas, en Géorgie et en Caroline du Nord, et une en Arizona, au Delaware, en Louisiane et en Caroline du Sud. Aucune mesure de grâce n'a été accordée en 1995.

La discrimination raciale dans l'application de la peine de mort demeure un des plus importants sujets de préoccupation. Trente-neuf des cinquante-six prisonniers exécutés en 1995, c'est-à-dire 69 p. cent, ont été condamnés pour le meurtre de victimes blanches. Vingt-six (soit 46 p. cent) appartenaient à des minorités ethniques. Depuis 1977, 100 des condamnés exécutés (soit 31 p. cent du total) étaient des Noirs meurtriers de Blancs et cinq (soit 1,5 p. cent) étaient des Blancs meurtriers de Noirs. Quatre-vingt-deux pour cent des condamnés exécutés avaient été déclarés coupables de meurtres dont la victime était blanche.

À la fin de 1995, au moins 44 mineurs délinquants se trouvaient sous le coup d'une condamnation à mort dans 13 États. Tous avaient seize ou dix-sept ans au moment du meurtre pour lequel ils avaient été condamnés. Leur nombre a augmenté de sept par rapport à la fin de 1994. Aucun mineur n'a été exécuté au cours de l'année.

Au moins 11 des prisonniers exécutés en 1995 étaient, semble-t-il, des malades ou des arriérés mentaux. Il est arrivé fréquemment que la défense ne fasse pas état des déficiences mentales de l'accusé au cours du procès et que celles-ci restent ignorées du jury appelé à se prononcer sur la peine. Dans l'affaire Anthony Joe LaRette, exécuté en novembre dans le Missouri, les jurés n'avaient pas été informés de la longue série de traitements psychiatriques auxquels il avait été soumis et des crises d'épilepsie temporale auxquelles il était sujet. Un bilan psychologique effectué à la demande de la défense n'avait pas permis de découvrir que LaRette avait des antécédents de traitement psychiatrique et avait abouti à la conclusion qu'il ne souffrait d'aucun trouble mental. Sept prisonniers ont été exécutés après avoir renoncé aux recours qui leur étaient ouverts et accepté que la peine de mort leur soit appliquée. Au moins trois d'entre eux souffraient de troubles mentaux.

Amnesty International est toujours préoccupée par la médiocre qualité de l'aide juridictionnelle dont disposent les personnes accusées de crimes passibles de la peine de mort pour leur défense. Des éléments tendent à prouver que beaucoup des prisonniers exécutés en 1995 n'ont pas bénéficié d'une défense adéquate, leurs avocats commis d'office ayant, par exemple, omis de faire état d'importantes circonstances atténuantes lors de l'audience sur la détermination de la peine. Dans l'affaire Calvin Burdine, l'avocat de la défense s'est endormi à plusieurs reprises au cours du procès. En rejetant l'appel fondé sur ce fait, la cour d'appel pénale du Texas a décidé qu'il n'avait pas été établi que ledit fait avait eu une influence négative sur l'issue du procès. Toutefois, une juridiction supérieure a ordonné une suspension de l'exécution pour permettre dun réouverture des débats.

Il existait des doutes sur la culpabilité de plusieurs des condamnés exécutés en 1995. Jesse DeWayne Jacobs a été exécuté au Texas en janvier. Le jury qui l'a condamné à mort a estimé que c'était lui qui avait tué par balle la victime. Toutefois, dans un procès ultérieur, la soeur de Jacobs a été déclarée coupable d'homicide involontaire sur la même personne. Dennis Stockton, exécuté en Virginie en septembre, avait été condamné sur la foi des déclarations d'un délinquant qui cherchait à obtenir l'indulgence de la justice en échange de son témoignage. Selon les termes employés par la Cour suprême des États-Unis dans son arrêt rendu dans l'affaire Leonel Herrera[1], « la grâce… est le moyen historique d'éviter les erreurs judiciaires lorsque tous les recours ont été épuisés ». En 1995, la grâce a été refusée dans toutes les affaires où un doute existait sur la culpabilité du condamné en attente d'exécution.

Deux dispositions législatives adoptées par le Congrès visent à abréger le temps que les condamnés du "couloir de la mort" passent en procédures d'appel. Le financement des Post Conviction Defender Organisations (PCDO, Organisations pour la défense des condamnés à mort) a été supprimé. Les avocats fournis par ces organisations ont assisté, jusqu'ici, près de la moitié des prisonniers en attente dans le "couloir de la mort". Le Congrès a par ailleurs cherché à imposer des délais de forclusion à la présentation des recours en habeas corpus en faveur des condamnés à mort. L'exercice de l'ensemble des recours ouverts à un condamné à mort peut actuellement prendre jusqu'à une vingtaine d'années. Amnesty International est opposée de manière inconditionnelle à la peine de mort, qu'elle considère comme une forme extrême de châtiment cruel, inhumain et dégradant. Des témoins de l'exécution par électrocution de Jerry White, en Floride, au mois de décembre ont dit qu'il avait crié. Les cris de douleur poussés par White pouvaient être entendus de son voisin de cellule, Philip Atkins, qui devait lui-même être exécuté le jour suivant.

Les États-Unis continuent de résister à la tendance de la communauté internationale, qui va vers un abandon du recours à la peine capitale. En 1995, l'Afrique du Sud a aboli la peine de mort pour les crimes de droit commun cependant que l'île Maurice et l'Espagne l'abolissaient pour tous les crimes. L'Albanie, la Moldavie et l'Ukraine ont adopté un moratoire sur les exécutions. À la fin de l'année, plus de la moitié des pays avaient aboli cette peine, dans la loi ou dans la pratique.

Exécution d'arriérés mentaux

Varnall Weeks, qui a été exécuté en Alabama le 12 mai, avait fait l'objet d'un diagnostic de graves troubles mentaux et de « psychose hallucinatoire chronique ancienne ». Les psychologues cités à la fois par l'accusation et par la défense étaient d'accord pour dire qu'il était sujet à des délires à thème mystique bizarres et envahissants. Weeks croyait être Dieu, que son exécution devait être un épisode dans un vaste projet millénariste de destruction du genre humain et qu'elle n'entraînerait pas sa mort, puisqu'il devait être métamorphosé en tortue pour régner sur l'univers.

Aucun élément de preuve attestant l'état mental de Varnall Weeks n'a été fourni lors de son procès initial, en 1982. Après avoir été convaincu du meurtre de Mark Batts, il a renoncé à son droit d'être condamné par le jury et a demandé au juge de le condamner à mort.

Dans une décision rendue le 25 avril 1995, un juge d'Alabama a reconnu que Weeks croyait être Dieu sous diverses manifestations telles que Dieu le Père, Jésus-Christ et Allah, et qu'il souffrait de psychose hallucinatoire chronique accompagnée de délires. Il a précisé que, si Weeks était « aliéné » au sens que « le dictionnaire donne dans la définition générique de l'aliénation » et correspondait à la notion que « l'homme de la rue a de ce qu'est un aliéné » son électrocution pouvait néanmoins avoir lieu parce que sa capacité à répondre à quelques questions concernant son exécution prouvait qu'il était juridiquement « apte ». Anthony Joe LaRette a été exécuté dans le Missouri le 29 novembre. Condamné à mort en 1982 pour le meurtre de Mary Flemming, il était le plus ancien détenu du "couloir de la mort" du Missouri.

LaRette avait des antécédents psychiatriques qui remontaient à son enfance. Pendant sa scolarité, on avait constaté qu'il avait des difficultés à apprendre et, à la suite de deux accidents, son comportement est devenu anormal. Il était notamment sujet à des hallucinations auditives. Deux semaines après son second accident (lors duquel il avait reçu un coup de batte de baseball à la tête), LaRette, qui avait alors neuf ans, commença à manifester une certaine aggressivité et attaqua une amie de la famille. On diagnostiqua une épilepsie psychomotrice et on lui administra un traitement médicamenteux. Il continua cependant d'avoir des accès d'agressivité, qui présentaient souvent un caractère sexuel. Il lui arrivait de se retrouver à 20 ou 25 milles de chez lui et, selon ses dires, de se « réveiller en prenant conscience [qu'il] était perdu, effrayé et affolé ». LaRette continua d'être traité pour sa maladie mentale. D'après son médecin, il pouvait avoir commis les délits sexuels qu'on lui reprochait, tels que des agressions contre des femmes plus âgées qu'il avait tenté d'étouffer, des attentats publics à la pudeur et des viols, pendant ses moments de perte de conscience. À une certaine époque, il passa au moins deux ans dans un hôpital psychiatrique.

En 1968, LaRette entra dans l'armée mais fut réformé du fait de sa maladie mentale. Il passa la plus grande partie des années suivantes en établissement psychiatrique pour épilepsie temporale, ou en prison.

En 1977, il quitta sans autorisation l'institution où il était soigné et cessa de prendre ses médicaments. Il se maria pour la seconde fois et devint toxicomane. En 1980, le jour de l'anniversaire de son mariage, il trouva sa femme au lit avec un autre homme. En l'espace de deux semaines, il tenta à deux reprises de la tuer. Il était en proie à une colère grandissante. C'est immédiatement après ces événements qu'il fut accusé d'avoir tué Mary Flemming. Quelques jours plus tard, à la suite d'une hallucination au cours de laquelle il s'était vu tuant sa femme, il tenta de se suicider en se donnant trois coups de poignard dans la poitrine et trois autres au cou.

Bien qu'il ait été accusé d'un crime passible de la peine de mort, sa défense a été confiée à un avocat qui n'avait aucune expérience des procès criminels. Celui-ci demanda un examen psychiatrique de LaRette en raison de sa tentative de suicide, mais, l'abondant dossier des antécédents psychiatriques de l'intéressé n'ayant pas été pris en compte, ce bilan aboutit à la conclusion qu'il ne souffrait d'aucun trouble mental. Aucune contre-expertise n'a été demandée.

Pendant le procès, aucun témoin à décharge n'a été cité, et il n'a fallu au jury que quatre-vingt-deux minutes pour rendre un verdict de culpabilité. La phase du procès relative à la détermination de la peine a duré moins d'une heure, durant laquelle l'avocat de LaRette n'a apporté, au chapitre des circonstances atténuantes, que la lecture d'une déclaration indiquant combien son client avait été bouleversé en découvrant l'adultère de sa femme. Pendant l'audience sur la peine, LaRette est resté assis, la tête entre les genoux. En l'absence de toute information sur la maladie mentale de l'accusé, le jury a recommandé une sentence de mort.

Le risque d'exécuter un innocent

Jesse DeWayne Jacobs a été exécuté au Texas le 4 janvier. Il avait été condamné à mort en 1986 pour le meurtre d'Etta Ann Urdiales. Lors de son procès, le procureur avait soutenu que « Jesse Jacobs, et Jesse Jacobs seul, a assassiné Etta Ann Urdiales ». Sept mois plus tard, la soeur de Jacobs, Bobbie Jean Hogan, était à son tour jugée pour le meurtre d'Urdiales. Lors de ce nouveau procès, le procureur de district Peter Speers, celui-là même qui avait requis au procès de Jacobs, a déclaré au jury : « Au fil du temps, j'ai été amené à changer d'idée sur ce qui s'est réellement passé. Et je suis aujourd'hui convaincu que c'est Bobbie Hogan qui a appuyé sur la détente ». Jesse Jacobs a fait figure de témoin "clé" au procès Hogan, et le procureur a lui-même insisté auprès du jury pour qu'il le croie. Bobbie Jean Hogan a été déclarée coupable d'avoir tiré sur Urdiales et condamnée à dix ans de réclusion pour homicide involontaire.

Jacobs a été maintenu dans le "couloir de la mort" en dépit du fait que sa soeur ait été condamnée pour le meurtre d'Etta Jean Urdiales. L'accusation a soutenu qu'à titre de complice, il demeurait coupable d'un crime entraînant la peine de mort. Cette argumentation négligeait le fait que le jury qui avait condamné Jacobs à mort l'avait fait en pensant que c'était lui qui avait appuyé sur la détente, et que l'accusation avait donné lors des deux procès deux versions différentes des circonstances du meurtre.

La Cour suprême fédérale a rejeté la demande de sursis à exécution déposée par Jacobs, au motif qu'elle ne pouvait pas modifier la définition des faits adoptée par le jury. Dans l'opinion divergente qu'il a exprimée à l'encontre de la décision prise par la majorité des magistrats de la cour, le juge minoritaire Stevens a écrit : « Je suis profondément troublé par le déroulement de cette affaire. Si l'argumentation soutenue par le procureur au procès de la soeur de Jacobs doit être tenue pour fondée, alors Jacobs n'a pas commis de crime passible de la peine de mort. À mon avis, il serait fondamentalement injuste d'exécuter une personne pour une raison fondée sur une définition des faits qui a ensuite été formellement désavouée par l'État ».

Dans la dernière déclaration qu'il a faite dans la salle d'exécution, Jesse DeWayne Jacobs a protesté contre l'injustice dont il était victime : « Il ne s'agit pas d'une exécution, mais d'un meurtre prémédité par le procureur de district et par l'État du Texas. Je ne suis pas coupable de ce crime ».

L'exécution de Jesse Jacobs a été largement condamnée. L'organe de presse semi- officiel du Vatican, L'Osservatore Romano, a publié un éditorial intitulé Une grave défaite pour la justice. L'article parlait de cette exécution comme d'un fait « non seulement incroyable, mais monstrueux et absurde », et poursuivait en qualifiant la décision de la Cour suprême refusant de réformer l'erreur d'un jury de « pédantesque et inhumaine alors que la vie d'un homme était en jeu ».

Girvies Davis a été exécuté dans l'Illinois le 17 mai. Il avait été condamné à mort pour le meurtre d'un homme de quatre-vingt-neuf ans, Charles Biebel, au cours d'un cambriolage en 1979.

Davis avait initialement été arrêté pour vol à main armée. La police a fait savoir que, dix jours après son arrestation, Davis lui avait remis une liste manuscrite de 11 meurtres qu'il s'accusait d'avoir commis. Les policiers l'auraient alors conduit sur les lieux des crimes, et, à l'occasion de cette tournée, il aurait avoué neuf meurtres. Davis, de son côté, affirme qu'on est venu le chercher dans sa cellule et qu'on l'a emmené en voiture sur une autoroute déserte, où on lui aurait offert le "choix" entre signer des aveux écrits préparés à l'avance ou être abattu au cours d'une "tentative de fuite". Davis affirme qu'il n'avait pas vu la note originale avant qu'elle ne soit produite comme preuve devant le tribunal par l'accusation. Il apparaît que cette note avait manifestement été rédigée par deux scripteurs différents et d'une main habile.

Le dossier de Davis indique qu'il avait abandonné rapidement sa scolarité, qu'il était illettré et qu'il aurait pas été capable d'écrire la confession qui lui était attribuée. Selon un diagnostic psychiatrique, il était mentalement arriéré et souffrait de « troubles cérébraux organiques ». Un des policiers qui étaient censés avoir enregistré ses aveux a reconnu que le texte n'en avait pas été relu à Davis. L'accusation a admis plus tard que trois des meurtres mentionnés dans les aveux avaient été commis par d'autres.

Davis a reconnu avoir participé au cambriolage à main armée qui lui a valu son arrestation, mais a constamment nié avoir tué qui que ce soit. Les aveux qui lui étaient attribués ont constitué le fondement principal de trois des quatre chefs d'inculpation de meurtre finalement retenus contre lui. Aucune preuve matérielle de sa culpabilité n'a été produite pour le meurtre de Charles Biebel, qui lui a valu d'être exécuté, et il a été déclaré coupable de ce crime sur la seule base desdits aveux.

Davis a été jugé par un jury exclusivement composé de Blancs par suite de l'utilisation de la procédure de « récusation non motivée », qui a permis à l'accusation de récuser péremptoirement tous les jurés noirs potentiels. Le jury n'a pas été informé du fait que Davis était incapable d'avoir rédigé ses aveux et qu'il n'avait pas pu lire le texte qu'il avait signé. Pour soutenir ses réquisitions en faveur de la peine capitale, le procureur a fait état de meurtres que Davis ne pouvait avoir commis.

Larry Griffin a été exécuté le 21 juin dans le Missouri. Il avait été condamné à mort en 1980 pour le meurtre de Quintin Moss, abattu de balles tirées depuis une voiture qui passait. Il semble que le crime ait eu de nombreux témoins mais un seul d'entre eux, Robert John Fitzgerald, se présenta et désigna Griffin comme un des trois hommes qui avait tiré. L'identification eut lieu d'après des photographies qu'on lui montra au commissariat. Le témoignage de Fitzgerald constitua la seule preuve à charge directe contre Griffin. Après le procès, deux autres témoins se manifestèrent pour dire que Griffin ne faisait pas partie des gens qui avaient tiré. Par ailleurs, dans d'autres déclarations, Fitzgerald fit par la suite état de graves irrégularités dans le processus d'identification. Il fit savoir qu'on lui avait montré une photo de Griffin en lui déclarant qu'il s'agissait de l'homme impliqué dans le meurtre avant que lui-même ne choisisse la même photo dans toute une série disposées devant lui. Finalement, Fitzgerald se rétracta en revenant sur les déclarations qu'il avait faites devant le tribunal et dans lesquelles il désignait positivement Griffin comme une des personnes qui avaient tiré sur Moss.

Larry Griffin a été assisté à son procès par un avocat inexpérimenté, qui n'avait jamais eu à s'occuper d'affaires de meurtre, et moins encore d'accusés passibles de la peine capitale. Il n'a pas porté l'attention qui s'imposait à plusieurs aspects de l'affaire et, de son propre aveu, n'avait pas du tout préparé la phase du procès au cours de laquelle la peine est décidée. Si Griffin avait été assisté par un défenseur plus expérimenté, les incohérences dans les éléments de preuve présentés au procès et les pratiques fautives signalées au moment de l'identification à partir des photographies auraient pu être révélées en temps utile.

Dennis Stockton a été exécuté en Virginie le 27 septembre. Il avait été condamné à mort en 1983 pour le meurtre de Kenneth Arnder, commis en 1978. Le corps de Kenneth Arnder avait été retrouvé en Caroline du Nord. On a dit que la victime avait été tuée en Virginie et que son corps avait été déplacé. Des fonctionnaires de Caroline du Nord enquêtèrent sur le meurtre en 1978, mais aucune inculpation ne fut alors prononcée.

Au procès de Dennis Stockton, en 1982, l'argumentation de l'accusation s'est essentiellement fondée sur les déclarations d'un témoin, Randy Bowman, qui devait apparemment plus tard avouer avoir lui-même commis le meurtre. Selon son témoignage, il avait assisté à une réunion au cours de laquelle Stockton avait été engagé pour tuer Ardner moyennant la somme de 1 500 dollars. Au moment du procès de Stockton, Bowman purgeait une peine de prison pour vol et infractions liées à l'usage d'armes à feu, et l'on a dit qu'on l'avait poussé à témoigner contre Stockton, ce qui jetait le doute sur la crédibilité de ses déclarations.

L'accusation a, pour sa part, soutenu qu'aucune promesse n'avait été faite à Bowman en échange de son témoignage. Pourtant, dans une lettre adressée en 1990 à l'avocat de Stockton par le procureur Anthony Giomo, celui-ci écrivait : « Je ne suis au courant d'aucune promesse faite à Bowman en hormis celle par laquelle je m'engageais à m'efforcer de le faire transférer [dans une autre prison] ». À cette lettre se trouvait jointe une lettre de Bowman au ministère public écrite deux semaines avant le procès, dans laquelle il disait : « Je vous écris pour vous faire savoir que je ne comparaîtrai pas devant le tribunal à moins que vous ne me fassiez remettre les six ou sept mois qu'il me reste [à purger de ma peine], afin que je n'aie pas à revenir en prison ».

En 1994, l'avocat de Stockton a obtenu de fonctionnaires chargés de l'application des lois des déclarations écrites sous serment disant que Bowman avait manifesté de la colère après le procès de Stockton parce que « les promesses qu'il disait qu'on lui avait faites n'avaient pas été tenues ». Selon ces témoignages sous serment, Bowman affirmait qu'on lui avait promis une réduction de sa peine ou un transfert dans une autre prison. Dix-sept jours après la condamnation à mort de Stockton, l'accusation a abandonné une charge de recel qui avait été retenue contre Bowman. Quatorze mois après le procès, celui-ci a bénéficié d'une libération conditionnelle.

En 1987, un juge fédéral a annulé la condamnation à mort de Stockton et lui a donné le choix entre la réclusion à vie et une nouvelle audience sur la peine. Sa décision était motivée par le fait qu'il avait appris qu'en 1983, le jury avait été influencé par les propos d'un restaurateur chez qui ses membres déjeunaient et qui avait déclaré que Stockton « devait être exécuté ». Ce dernier, qui se déclarait formellement innocent, a choisi d'être jugé à nouveau. Mais, lors d'un renvoi de l'accusé pour une nouvelle audience sur la peine, la loi ne permet pas l'audition de témoignages sur la culpabilité ou l'innocence, et Stockton a de nouveau été condamné à mort.

Tommy McBride qui, selon Bowman, avait loué les services de Stockton pour le meurtre, a été inculpé d'association de malfaiteur en vue de commettre un meurtre passible de la peine de mort, mais n'a jamais été jugé. L'affaire McBride a été transmise pour jugement en Caroline du Nord, mais les autorités de cet État ont décidé qu'il n'existait pas de preuves « crédibles » contre l'accusé. Dans une demande aux fins d'abandon des charges retenues en Virginie contre ce dernier, il a été déclaré que l'accusation dirigée contre lui n'avait « d'autre but que de ruiner sa crédibilité » de témoin éventuel à décharge dans le procès Stockton. Le 25 septembre 1995, un juge d'une cour fédérale de district a ordonné un sursis à exécution de soixante jours après que les avocats de la défense eurent présenté des témoignages écrits sous serment émanant de l'ancienne épouse de Bowman, de son fils et d'un de ses amis déclarant que Bowman avait reconnu avoir commis le meurtre. Un journal de Virginie a par ailleurs publié une information selon laquelle Bowman avait fait le même aveu à un journaliste. Une cour fédérale a néanmoins mis fin au sursis le jour suivant, et Stockton a été exécuté.

D'abord condamné à mort en Arizona en 1981, Robert Charles Cruz a été acquitté du chef de meurtre lors de son cinquième procès, en juin. La condamnation de 1981 a été infirmée par la Cour suprême d'Arizona en 1983, et Robert Cruz a été jugé deux fois en 1987. Les jurys ne purent se mettre d'accord sur un verdict et, dans les deux occasions, le procès a par conséquent été ajourné pour défaut d'unanimité dans le jury. Cruz a été une fois de plus déclaré coupable en 1988, et alors de nouveau condamné à mort. En 1993, cette condamnation a elle aussi été annulée par la Cour suprême d'Arizona au motif que Cruz, un Hispanique, n'avait pas bénéficié d'un procès équitable, le procureur ayant récusé trois jurés hispaniques potentiels.

Après avoir été d'abord condamné à mort en Illinois en 1983, Rolando Cruz (sans rapport avec le précédent) a été acquitté du chef du meurtre d'une fillette de dix ans lors de son troisième procès en novembre. Le juge a recommandé au jury un verdict de non-culpabilité après qu'un policier eut reconnu qu'il avait précédemment menti. Alejandro Hernandez, coaccusé de Cruz, a également été libéré en décembre, l'accusation ayant abandonné les charges retenues contre lui plutôt que d'entamer un quatrième procès.

La Cour suprême des États-Unis a rendu en janvier, dans l'affaire Lloyd Schlup[2], une décision par laquelle elle réduisait les conditions exigées pour qu'un prisonnier menacé d'exécution soit autorisé à faire valoir une demande de déclaration d'innocence. Aux termes de cet arrêt, le requérant sera désormais tenu de montrer que c'est probablement en raison d'une violation de la Constitution que l'on a été amené à condamner une personne en réalité innocente. La Cour soulignait que son arrêt visait les cas « extrêmement rares » dans lesquels un prisonnier peut produire une preuve « solide » de sa « réelle innocence ». Le fait qu'il existera toujours un risque d'exécuter un innocent a amené des hommes politiques un peu partout à travers le monde à devenir abolitionnistes.

C'est ainsi qu'au Royaume-Uni, Michael Howard, secrétaire d'État à l'Intérieur (ministre chargé de l'ordre public), qui avait précédemment voté en faveur du rétablissement de la peine capitale (qu'il tenait pour dissuasive contre les crimes de sang), a voté contre cette mesure en 1994. Expliquant ce changement d'opinion par plusieurs erreurs judiciaires qui étaient survenues au Royaume-Uni, il a déclaré : « Les erreurs judiciaires sont une tache sur une société civilisée. Passer des années en prison pour un crime que l'on n'a pas commis est une chose terrible et qu'on ne saurait réparer par une remise en liberté et par le versement d'une indemnisation financière. Mais même une telle injustice ne peut être comparée avec la consolation glacée que constitue une grâce posthume. Quand nous pensons à la terrible épreuve traversée par les personnes condamnées à tort, nous ne pouvons qu'être soulagés à l'idée que la peine de mort n'était plus en vigueur. Nous ne devons jamais perdre de vue le dommage irréparable qui aurait été infligé à l'institution judiciaire pénale si des innocents avaient été exécutés »[3]

Défense inefficace

Calvin Burdine a obtenu un sursis treize heures avant le moment prévu pour son exécution, au Texas, le 11 avril. Il avait été condamné à mort en 1983 pour le meurtre de son amant.

Pendant son procès, il a été assisté par Joe Frank Cannon. La manière dont Cannon défend les accusés encourant la peine capitale a été très largement critiquée. En septembre 1994, le Wall Street Journal a publié un article qui faisait état de nombreux propos relatifs à son inefficacité professionnelle. On lui reprochait en particulier de négliger totalement la préparation des procès et d'avoir reconnu que, pour lui, ceux-ci devaient être « expédiés à toute allure ». Pendant le procès de Burdine, Cannon s'est endormi à plusieurs reprises. Le président du jury, Daniel Strickland, a déclaré dans un témoignage écrit sous serment : « Pendant la phase du procès de M. Burdine relative à la décision sur la culpabilité, j'ai observé que M. Joe Cannon a paru s'assoupir en plusieurs occasions, peut-être à cinq reprises ».

Selon ses propres déclarations, Cannon ne s'est entretenu avec aucun témoin éventuel pendant la préparation de la défense de Burdine. L'exécution de ce dernier avait initialement été fixée au 17 janvier 1995. Elle a été ajournée par un juge de district qui a ordonné la tenue d'une audience consacrée à l'examen des preuves afin d'établir si Cannon avait dormi pendant l'audience.

La cour d'appel pénale du Texas a décidé que le résultat du procès n'avait pas été affecté par le fait que Cannon n'était pas resté éveillé durant les débats.La cour fédérale a toutefois ajourné l'exécution et décidé qu'une nouvelle audience était nécessaire afin d'établir si le procès de Burdine avait été entaché de parti pris. Au moins un autre condamné en attente d'exécution, Carl Johnson (exécuté au Texas le 19 septembre 1995), avait accusé Cannon d'avoir dormi pendant son procès. Un autre condamné à mort du Texas, George McFarland, a affirmé que son avocat, un homme de soixante-douze ans, avait lui aussi dormi pendant son procès. Le juge Doug Shaver, qui présidait les débats, avait, à cette occasion, fait la réponse suivante : « La Constitution dit que chacun a droit à l'avocat de son choix. Elle ne dit pas que l'avocat doit rester éveillé ».

Certains ont, par ailleurs, soutenu que l'attitude de Cannon à l'égard des homosexuels le rendait inapte à assurer la défense de Burdine, qui est lui-même notoirement homosexuel. Lors d'une audience qui a eu lieu en 1988 et dans une déclaration sous serment portée au dossier du tribunal de première instance, il les traitait de « pédés » et de « tapettes ». Cannon s'est abstenu de protester contre une déclaration faite par le procureur au cours de l'audience sur la peine : « Envoyer un homosexuel dans un pénitencier, avait dit celui-ci, n'est certainement pas pour lui un châtiment très dur ». Il lui est aussi reproché d'avoir accepté dans le jury trois personnes qui reconnaissaient nourrir des préjugés à l'égard des homosexuels. Un de ces trois jurés a déclaré : « Je ne peux vraiment pas dire que [mon opinion sur les homosexuels] ne saurait influencer mon jugement à leur sujet ». Ces jurés auraient pu être écartés par l'effet de l'exception péremptoire (le droit de récusation non motivée).

Les procureurs n'ont pas requis la peine de mort contre le coacusé de Burdine, Douglas McCrieght, qui aurait aidé à poignarder et à étrangler la victime. Douglas McCrieght a depuis lors bénéficié d'une libération conditionnelle.

Burdine avait déjà échappé à une première exécution, qui avait été prévue pour le 4 août 1987. Jay Burnett, juge de district de Houston, avait, en juillet 1987, ordonné sa suspension. Immédiatement après avoir pris cette décision, il en avait avisé par fax les fonctionnaires du personnel pénitentiaire du quartier des condamnés à mort et leur avait adressé par courrier une copie certifiée conforme de son ordre de sursis à exécution. Il avait en outre téléphoné à la prison pour informer les responsables du sursis.

Tout ceci n'empêcha pas les gardes du "couloir de la mort" de se présenter à l'aube du 3 août 1987 dans la cellule de Burdine pour l'inviter à se tenir prêt pour l'exécution. Celui-ci tenta d'arrêter les préparatifs en exhibant une copie certifiée conforme de l'ordonnance du juge. En vain. Il dut se soumettre aux formalités préparatoires : rédiger ses dernières volontés, prendre sa "dernière" douche et commander son "dernier" repas. Tout au long de ce processus, les gardes ne l'autorisèrent pas à téléphoner à son avocat.

Dans la soirée du 3 août (quelques heures avant le moment prévu pour l'exécution), les fonctionnaires de la prison « trouvèrent » l'ordonnance du juge, et Burdine fut ramené dans sa cellule ordinaire.

En juillet, le Centre d'information sur la peine capitale, organisation non gouvernementale de recherche, a publié un rapport sur la médiocrité de l'assistance dont de nombreux condamnés du "couloir de la mort" avaient disposé pour assurer leur défense pendant leur procès.

Le rapport, intitulé With Justice for the Few. The growing Crisis in Death Penalty Representation (Justice pour le petit nombre. Aggravation de la crise de l'aide juridictionnelle dans les affaires passibles de la peine de mort)[4], concluait dans les termes suivants :« Il est établi de manière irréfutable qu'un grand nombre des 3 000 condamnés [du couloir de la mort] ne se trouvent pas là parce qu'ils ont commis les crimes les plus graves mais parce qu'on leur a donné les pires avocats ».

Suppression du financement des centres juridiques spécialisés dans l'aide aux condamnés à mort

Les Organisations pour la défense des condamnés à mort (PCDO), plus communément connues sous le nom de Centres spécialisés dans l'aide juridictionnelle aux condamnés à mort, ont été créées par le Congrès en 1988 pour procurer une assistance satisfaisante aux condamnés lors des procédures de réexamen de leur peine au niveau de l'État et au niveau fédéral au moyen des requêtes d'habeas corpus. Cette initiative avait été prise à la suite de la promulgation d'une loi qui obligeait les cours fédérales à fournir des avocats aux accusés condamnés à mort.

Au cours de l'été 1995, le Congrès a décidé de supprimer la subvention de 20 millions de dollars attribuée aux PCDO, laissant, de ce fait, la majorité des centres sans ressources suffisantes et les obligeant à fermer leurs portes. Un des plus importants promoteurs du projet de loi qui visait à supprimer ce financement, le député Bob Inglis, a déclaré que ces institutions allaient au-delà de leurs attributions légales et s'opposaient à la peine de mort. Selon le New York Times, ce député aurait tenu les propos suivants : « Nous ne devrions pas dépenser les dollars fédéraux pour subventionner une cellule de réflexion dirigée par des gens dont l'unique objectif est d'élaborer des théories juridiques propres à contrecarrer la mise en oeuvre de la peine capitale ». Selon Inglis, la supression des centres permettrait au gouvernement fédéral d'économiser 20 millions de dollars.

Ce calcul est contesté par de nombreux membres des professions judiciaires, qui rappellent que, dans la plupart des cas, il faudra néanmoins continuer de fournir des avocats aux condamnés. Suivant les estimations du juge fédéral Richard Arnold, les honoraires d'un avocat, dans sa pratique privée, se situent entre 75 dollars et 100 dollars l'heure. Or, les avocats fournis par les PCDO ne perçoivent en moyenne que 55 dollars à l'heure. Pour le juge Arnold, les PCDO « offrent le service le meilleur et le moins cher ». D'autres juristes se déclarent inquiets à l'idée que la fermeture de ces centres aura pour conséquence de contraindre les condamnés en attente dans le "couloir de la mort" à être assistés par des avocats non familiarisés avec le système très compliqué des recours en matière de peine capitale.

L'adoption du projet de loi a été retardée en raison du conflit qui a opposé le Congrès au président Clinton au sujet du budget fédéral. Il se peut donc que certains centres puissent continuer à recevoir un financement limité jusqu'au 1er avril 1996. À la fin de 1995, bon nombre des centres avaient déjà cessé leur activité, et ceux qui les poursuivaient fonctionnaient avec un personnel très réduit. Dans un éditorial intitulé Les condamnés du "couloir de la mort" floués, le New York Times[5] faisait le commentaire suivant : « La loi [qui supprime le financement] va aggraver, pour les accusés innocents et ceux dont le procès a été entaché d'un vice portant atteinte à leurs droits constitutionnels, le risque d'être exécutés… Le programme des défenseurs mérite de vivre. Un Congrès adepte de la peine de port ne peut, en conscience, refuser aux condamnés des défenseurs compétents ».

Tentatives du Congrès en vue de limiter les recours ouverts aux condamnés à mort

Il paraît maintenant probable que le Congrès apportera des modifications importantes à la procédure de réexamen des condamnations au niveau fédéral au moyen des requêtes en habeas corpus. En vertu de la Constitution, le recours en demande d'habeas corpus permet au prisonnier de contester le bien-fondé de sa condamnation initiale.

La Chambre des représentants et le Sénat ont l'un et l'autre adopté diférentes versions d'un projet de réforme qui devrait limiter l'étendue du réexamen au niveau fédéral, et par ailleurs imposer pour la première fois un délai à l'exercice du recours en habeas corpus. Ces propositions faisaient l'objet d'annexes à plusieurs projets de lois relatifs à des matières allant des mesures anti-terroristes aux règlements relatifs au budget fédéral. Jusqu'à présent, ces projets n'ont pas été transformés en lois, soit qu'ils aient été abandonnés lors de leur examen par les commissions, soit qu'ils aient été rejetés au moment du scrutin. Néanmoins, comme ils demeurent fortement soutenus au sein du Congrès, on peut penser que la procédure d'habeas corpus subira d'importantes modifications en 1996 par le biais d'une forme de législation ou d'une autre.

Pour la première fois, le Congrès semble prêt à imposer des limitations à l'exercice du recours en habeas corpus. Dans les lois qui sont proposées, il est envisagé de fixer un délai de forclusion d'un an pour présenter ce type de requête. Le délai débuterait au moment où la condamnation est devenue définitive (le caractère définitif est acquis lors de la décision rendue par les cours de l'État à l'issue de la procédure d'"appel direct"). Le prisonnier aurait alors un an pour présenter son recours. Une fois cette formalité accomplie, le délai serait interrompu jusqu'à l'évocation de l'affaire. En cas de rejet de la requête, le délai recommencerait à courir. Tout le temps pendant lequel le condamné n'aurait exercé aucun recours courrait contre lui.

L'ancien directeur de la prison d'État du Mississipi prend position contre la peine de mort

Don Cabana, ancien directeur de la prison d'État du Mississipi, où sont détenus les condamnés en attente d'exécution, est devenu un opposant à la peine de mort. Dans plusieurs interviews accordées à la presse, il a fait part de l'expérience qu'il a acquise en participant à six exécutions, dont deux en qualité de bourrreau. On a cité de lui les commentaires suivants : « Je n'étais qu'un instrument de l'institution judiciaire… Dieu voulait que je le fasse… Il voulait un tueur qui ait de l'humanité…. J'étais humain. J'étais compatissant ». Don Cabana a expliqué comment il mettait désormais à profit l'expérience qui est la sienne pour faire campagne contre la peine capitale et dénoncer, en particulier, l'horreur des exécutions par gaz létal : « Un public composé de vingt [témoins] était assis sur des sièges pliants en matière plastique d'où l'on ne pouvait voir le prisonnier que de dos, de sorte que les spectateurs ne voyaient pas les crispations, les roulements d'yeux, les grincements de dents, les émissions de salive, les spasmes, les poings serrés. Le médecin et le personnel de la prison voyaient, eux, le prisonnier de face. Mes yeux étaient rivés sur son visage. « Je le connais, pensais-je. Cet homme était sous ma garde ». Il y a quelques minutes seulement, c'était un être vivant. Maintenant, c'était une personne que j'étais en train de tuer… Quand bien même je vivrais jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans, je me rappelerai chaque ride, chaque pli de son visage, la coupe de ses cheveux et chacune de ses réactions dans la chambre d'exécution ». Cabana poursuivait en qualifiant le système législatif d'« imparfait » et en disant combien il était hanté par l'idée qu'Edward Earl Johnson, un des hommes qu'il avait exécuté (le 20 mai 1987), était innocent.[6] Il est d'avis que le personnel des prisons ne devrait pas avoir à prendre part aux exécutions, mais que cette tâche devrait être confiée au président du jury ou au procureur.

Un trente-huitième État rétablit la peine de mort

Le 7 mars 1995, le gouverneur George Pataki a signé un projet de loi rétablissant la peine de mort dans l'État de New York. Le projet avait été adopté par les deux chambres du corps législatif de l'État de New York, le Sénat et l'Assemblée, par 38 voix contre 19 et 94 contre 52 respectivement. L'État de New York est le trente-huitième des États-Unis à rétablir la peine capitale. Le projet est devenu loi le 1er septembre 1995.

Le gouverneur Pataki avait fait de son soutien au projet de rétablissement de la peine de mort un des principaux thèmes de sa campagne électorale en 1994, et le projet a été le premier texte législatif d'importance auquel il ait apporté sa signature pour en faire une loi. Depuis 1977, 18 tentatives avaient déjà été faites, au Sénat et à l'Assemblée, pour rétablir la peine capitale. Toutes avaient avorté devant les vétos des précédents gouverneurs Cassey et Cuomo.

La nouvelle loi rend passibles de la peine capitale une douzaine d'infractions. La liste de ces infractions comporte le meurtre intentionnel à l'occasion d'un viol, d'un vol qualifié ou d'un enlèvement, le meurtre sur contrat, le meurtre de surveillants de prison, de policiers ou d'autres fonctionnaires chargés de l'application des lois, et le meurtre accompagné de torture. Le mode d'exécution sera l'injection létale. On avait précédemment recours à l'électrocution. La dernière exécution à New York remonte à 1963. Le condamné était Eddie Lee Mays.

La loi ne s'applique ni aux individus âgés de moins de dix-huit ans au moment du crime, ni aux femmes enceintes ni aux arriérés mentaux (la détermination de l'état mental sera de la compétence du tribunal de première instance).

La nouvelle loi prévoit que le procès d'un accusé passible de la peine de mort se déroulera en deux phases. Au cours de la première phase, on établit si l'accusé est coupable ou innocent. S'il est déclaré coupable d'un meurtre du premier degré (assassinat), le tribunal tient une seconde audience, dite "phase de détermination de la peine", à l'issue de laquelle il est décidé si la sanction appliquée doit être la peine de mort ou la réclusion à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Cette décision revient au jury du premier procès, auquel il appartient également de décider si les circonstances atténuantes l'emportent sur les circonstances aggravantes.

L'unanimité est requise pour chaque décision du jury sur la peine. Dans le cas où celui-ci ne peut parvenir à une décision unanime, l'accusé est condamné à la prison à vie, avec période incompressible de vingt ans.

Une autre disposition législative a été adoptée, qui prévoit l'attribution de 11 millions de dollars « ou de telle somme qui pourra être nécessaire » pour couvrir les frais suppplémentaires afférents à la poursuite et à la défense des accusés dans le cadre de l'application de la loi relative à la peine de mort. Pour justifier le rétablissement de la peine capitale, le gouverneur Pataki a essentiellement invoqué la nécessité de prévenir les crimes de sang. Lors de la cérémonie de signature de la loi, il était entouré de parents de victimes d'homicides et a utilisé deux stylos qui avaient appartenu à deux policiers assassinés. Il aurait déclaré : « Désormais, justice sera faite… Nous vivons un moment solennel car ce que nous faisons ici vise à empêcher des tragédies, et nous avons vu trop de tragédies dans le passé ».

En 1993, dernière année pour laquelle on dispose de statistiques, on a enregistré dans l'État de New York un total de 2 285 meurtres. On estime que 15 à 20 p. cent de ces meurtres répondent à la définition de crimes sanctionnés par la peine de mort aux termes de la nouvelle loi. Toutefois, à la lumière de l'expérience des autres États, il est improbable que celui de New York ait à juger un nombre aussi élevé d'affaires capitales. Plusieurs procureurs de districts ont exprimé des réserves quant à l'opportunité de requérir la peine de mort. L'un d'entre eux a déclaré qu'il n'était pas disposé, pour sa part, à la requérir, « quelles que soient les circonstances ».

À la suite de la signature de la loi rétablissant la peine capitale, l'ancien gouverneur Mario Cuomo a déclaré : « Ceci constitue un pas en arrière dans un parcours qui, constamment, devrait être orienté vers un plus haut degré de civilité et d'intelligence. L'argument selon lequel la peine de mort est dissuasive et freine la criminalité a été abandonné presque partout ».

Aucune peine capitale n'avait été prononcée dans l'État de New York à la fin de l'année, mais deux personnes étaient inculpées de meurtres passibles de la peine de mort, et leurs procès étaient en instance.

Le Massachusetts, l'Iowa et le Wisconsin refusent le rétablissement de la peine de mort

En mars, le gouverneur du Massachusetts, William Weld, a, pour la cinquième année de suite, tenté de faire rétablir la peine de mort. Dans une déclaration destinée au corps législatif, il a écrit : « Il existe un consensus moral - qui a été contrarié au Massachusetts - tendant à admettre que celui qui fait preuve d'un total mépris pour la vie humaine en tuant avec le plus grand sang-froid perd, de ce fait, le droit de vivre ». Le gouverneur Weld a également fait référence au rétablissement de la peine capitale dans l'État de New York en disant : « New York a changé, le Massachusetts lui aussi peut changer ».

Le projet de loi a été rejeté au mois de juin par 83 voix contre 73, soit six voix de moins que l'année précédente en faveur du rejet. À la suite de ce vote, les services du gouverneur ont indiqué leur intention de faire, dans l'avenir, une nouvelle tentative auprès du corps législatif pour obtenir le rétablissement de la peine de mort.

En Iowa, le gouverneur Terry Branstad a également présenté un projet de loi visant au rétablissement de la peine capitale. Le projet a été adopté par la Chambre des représentants, mais rejeté par le Sénat par 39 voix contre 11. Dans le Wisconsin, le vote d'un projet de loi visant à instaurer la peine de mort pour les personnes reconnues coupable de meurtre sur la personne de mineurs âgés de moins de seize ans a été ajourné, faute de soutien. Un projet du même ordre qui avait été présenté en 1993 avait déjà été rejeté par le Sénat du Wisconsin par 21 voix contre 12.

Premières exécutions dans le Montana depuis cinquante ans et en Pennsylvanie depuis trente ans

Duncan McKenzie a été exécuté dans le Montana le 10 mai. Il s'agissait de la première exécution à avoir lieu dans cet État depuis 1943. Condamné en 1974, il était un des plus anciens occupants du "couloir de la mort" de tous les États-Unis. Son exécution avait été programmée à huit reprises, et chaque fois ajournée par décision de la cour d'appel.

Dans la lettre par laquelle il refusait d'accorder sa grâce, M. Racicot, gouverneur du Montana, declarait : « Il n'y a pas atteinte à la dignité humaine lorsqu'un criminel est légitimement condamné et puni. Par là, nous démontrons que nous n'avons pas perdu confiance dans notre capacité à distinguer le bien du mal ».

Keith Zettlemoyer a été exécuté en Pennsylvanie le 2 mai. Il s'agissait de la première exécution en Pennsylvanie depuis 1963 (pour plus de précisions, voir ci- après : Des prisonniers renoncent à leurs recours et demandent à être exécutés). En juillet, des articles annonçant que le Service de l'administration des prisons cherchait six « citoyens adultes de bonne réputation » pour assister à des exécutions ont paru dans la presse de Pennsylvanie. Les candidats étaient priés d'écrire à l'administration pénitentiaire de l'État en expliquant quelles étaient leurs motivations et en précisant s'ils étaient intéressés par une exécution particulière.

Cruauté des exécutions

Emmitt Foster a été exécuté par injection létale dans le Missouri le 3 mai. Selon des comptes rendus parus dans la presse, une des courroies qui le maintenaient attaché à la civière, trop serrée, arrêta le liquide injecté dans son bras droit. Les employés de la prison abaissèrent les stores de la chambre d'exécution à midi dix (soit dix minutes après le début de l'exécution) et ne les relevèrent qu'à midi trente-six, trois minutes après que Foster eut été déclaré mort. La courroie ne fut desserrée qu'à midi vingt-sept.

Une fois les rideaux fermés, les témoins officiels ne pouvaient voir ce qui se passait dans la chambre. L'un d'eux, une femme, refusa de signer la déclaration de routine disant qu'elle avait assisté à l'exécution. D'autres témoins affirmèrent que Foster « haletait et était agité de légères convulsions » et qu'avant la fermeture des rideaux, il avait des « convulsions abdominales ». William Gum, l'officier de justice présent lors de l'exécution, qualifia l'incident de « petite erreur », ajoutant : « Le type n'a probablement pas souffert ».

Les 36 autres condamnés à mort du Missouri ont engagé une action au niveau fédéral, alléguant que les conditions dans lesquelles s'était déroulée la longue exécution d'Emmitt Foster démontraient que la méthode utilisée dans l'État du Missouri constituait une « peine cruelle et exceptionnelle », et violait de ce fait la Constitution. Ce recours a eu pour effet de suspendre l'exécution de Larry Griffin. Toutefois, sur appel de l'accusation, cette suspension a été annulée par une cour supérieure, et Griffin a été exécuté. Les avocats des condamnés ont alors renoncé à leur action, dès lors qu'il était devenu évident qu'elle ne pourrait aboutir.

Nicholas Ingram, qui a été exécuté en Géorgie le 7 avril, est un des nombreux condamnés à mort qui ont eu à subir la tension des sursis de dernière minute. Ingram, dont l'exécution était prévue pour le 6 avril, a été informé de son sursis soixante-cinq minutes avant l'heure où elle devait avoir lieu. Néanmoins, dans une déclaration écrite sous serment, il affirme que les préparatifs de l'exécution se sont poursuivis pendant plus de trente minutes après la signification du sursis. Voici le récit qu'il en a fait :

« Aux environs de 17 heures 30, hier, on est venu me chercher dans ma cellule à l'hôpital et on m'a transféré dans la cellule H-5, celle près de la chaise [électrique]. J'ai dû passer devant la chaise, qui était recouverte d'une housse. J'ai eu des sueurs en la voyant car c'est alors que j'ai commencé à me rendre réelllement compte.

Il devait être 17 heures 55, apparemment, quand le sursis a été décidé, mais personne ne m'en a informé. À 18 heures 20 (je sais l'heure exacte parce que les gardes me l'ont donnée), ils ont commencé à me préparer sérieusement pour l'exécution. C'était dépourvu d'humanité. Cette bande de malades étaient apparemment volontaires pour ce travail. Ils agissaient comme si j'avais été un agneau destiné à l'abattage.

Ils m'ont rasé avec une tondeuse électrique. Ils me traitaient comme un animal, en disant que ce n'était qu'un boulot. Ils m'ont mis un pantalon dont une jambe était coupée pour la mise en place des électrodes.

Ils m'ont demandé ce que je voulais pour mon dernier repas. J'ai dit que je ne voulais pas manger, mais que je souhaitais avoir une cigarette. Ils m'ont dit que les nouvelles directives interdisaient de fumer. Les aumôniers étaient presque toujours présents, même quand ils m'ont mis un doigt dans l'anus pour l'examen "physique" sans vêtements… Ils m'ont dit que tout recommençait à seize heures aujourd'hui avec, une fois de plus, la visite, et que je devais mourir cette nuit ».

Le sursis avait été accordé pour trois jours, mais l'accusation a fait appel avec succès et Ingram a été exécuté le soir suivant.

Jerry White a été exécuté par électrocution le 4 décembre en Floride. Selon plusieurs témoins, il a « crié » ou fait entendre un « très audible gémissement d'agonie » lorsque le courant électrique est passé. Deux des témoins, qui avaient assisté à 12 autres exécutions en Floride, ont déclaré qu'ils n'avaient jamais entendu une personne émettre un tel son pendant le processus.

Au moment de l'exécution de Jerry White, son ami et compagnon du "couloir de la mort" Philip Atkins attendait lui-même sa propre exécution (prévue pour le jour suivant) dans la "death house" (antichambre de la mort), à quelques mètres de la chambre d'exécution. Atkins qui, pense-t-on, avait un âge mental de quinze ans, a dit à son avocat : « J'ai tout entendu… C'était vraiment effrayant ». Il a été exécuté à la date fixée, le 5 décembre.

Le Texas permet aux familles des victimes d'assister aux exécutions

À la suite de pressions exercées par des parents des victimes de meurtres, le Comité de justice pénale du Texas a modifié la réglementation relative aux exécutions. Depuis le mois de décembre, les nouveaux règlements autorisent cinq membres de la famille de la victime de la personne condamnée à assister à son exécution.

Une semblable modification est envisagée en Oklahoma. Actuellement, les parents des victimes peuvent assister aux exécutions en Californie, en Louisiane, en Caroline du Nord, dans l'État de Washington et en Virginie.

Un sondage révèle que les chefs de la police sont peu favorables à la peine de mort

En février, le Centre d'information sur la peine capitale a publié les résultats d'une étude portant sur la position des chefs de la police à l'égard de la peine de mort. Cette étude, intitulée On the front Line : Law Enforcement Views on the Death Penalty (En première ligne. L'opinion des responsables de l'application des lois à propos de la peine de mort)[7], a été réalisée à partir d'entretiens téléphoniques avec 386 gradés de la police pris au hasard dans 48 États. Les résultats de ce sondage montrent que, si beaucoup de chefs de la police justifient philosophiquement la peine capitale, une forte majorité d'entre eux ne pensent pas qu'elle constitue, dans la pratique, un outil efficace pour imposer le respect de la loi.

À leurs yeux, la peine de mort est la méthode la moins rentable de lutte contre la criminalité, et ils la situent au dernier rang des moyens susceptibles de diminuer le nombre des crimes de sang. Un recours insuffisant à cette peine n'est pas, pour la majorité d'entre eux, un problème important. Ils sont aussi une majorité à penser que les meurtriers ne songent pas à l'éventualité du châtiment et que la peine de mort ne diminue pas de manière significative le nombre d'homicides. Enfin, cette peine n'est pas, selon eux, un des principaus outils dans la lutte contre la criminalité.

La participation de membres des professions de santé au processus d'exécution

Dans l'Illinois, une loi redéfinissant le rôle des médecins dans le processus des exécutions a été signée. Il semble que le projet qui est à l'origine de cette législation avait pour but de répondre à une opposition générale des membres de la profession à la participation des médecins praticiens aux exécutions en Illinois. L'effet (ou tout au moins l'intention) de ce projet est de soustraire les médecins qui apportent leur concours aux exécutions aux exigences de la Loi relative à la pratique médicale, et de leur permettre d'y participer sans être en infraction avec le code d'éthique médicale de l'État.

Le 22 mars, le gouverneur de l'Illinois Jim Edgar, a, par sa signature, donné force de loi au projet HB204, qui modifie la Loi relative à la pratique médicale et dispose que « le concours, la participation ou l'assistance, à titre auxiliaire ou de toute autre façon, aux actes énoncés dans le présent article, y compris, sans que cette mention soit limitative, l'administration de substances létales ou autres nécessaires dans le cadre de cet article, ne sont pas considérés comme participant de la pratique de la médecine ». La Loi relative à la pratique médicale contient un certain nombre de dispositions concernant les mesures disciplinaires destinées à sanctionner les médecins qui ont une « conduite déshonorante, contraire à l'éthique ou aux règles professionnelles ».

L'Association médicale mondiale a écrit aux autorités de l'Illinois pour leur demander instamment la suppression de la nouvelle loi, qui autorise les médecins à participer aux exécutions par injection létale. L'Association écrit : « Quoi qu'il en soit de la décision de l'État d'imposer la peine capitale… aucun médecin ne doit être encouragé à agir en tant qu'exécuteur… et tous ceux qui agissent de la sorte violent le serment d'Hippocrate ».

Robert Brecheen a été exécuté par injection létale le 11 août en Oklahoma, quelques heures seulement après avoir été soumis à un traitement médical d'urgence dans un hôpital voisin, rendu nécessaire par ce qui semblait être la conséquence d'une absorption massive de substances médicamenteuses. Selon une déclaration du Service de l'administration des prisons de l'Oklahoma, Brecheen a été trouvé inconscient dans sa cellule vers vingt et une heures, dans la nuit du 10 août, soit environ trois heures avant l'heure prévue pour son exécution. Il a aussitôt été transporté à l'hôpital régional McAlester où, d'après son avocat, les médecins lui ont administré un puissant médicament pour lui faire reprendre connaissance. Il aurait en outre subi un lavage d'estomac.

Brecheen a ensuite été ramené au pénitencier d'État, où il a fait une brève déclaration avant d'être mis à mort au moyen d'une injection létale, à 1 h 55 du matin.

La loi de l'État d'Oklahoma exige que le condamné soit informé de son exécution et des motifs pour lesquels elle a été ordonnée. Amnesty International a reçu des rapports contradictoires au sujet de l'état mental dans lequel se trouvait Brecheen immédiatement avant son exécution. Selon un fonctionnaire de la prison, il « ne bégayait pas » et « articulait normalement ». Néanmoins, selon un de ses avocats, un expert envoyé à la prison pour constater l'état mental de Brecheen l'a trouvé « encore désorienté » immédiatement avant qu'il ne soit exécuté.

Des prisonniers renoncent à leurs recours et demandent à être exécutés

Sept des prisonniers dont l'exécution a eu lieu dans le courant de 1995 avaient refusé de faire appel du jugement prononçant leur condamnation et avaient obtenu d'être exécutés.

Thomas Grasso a été exécuté en Oklahoma le 20 mars. À l'origine, il purgeait à New York une peine comprise entre vingt ans de réclusion et la prison à vie. Après son emprisonnement à New York, il avait avoué un meurtre commis en Oklahoma et avait été extradé dans cet État, où il avait été jugé et condamné à mort. En 1993, il était sur le point d'être exécuté en Oklahoma quand les autorités de New York ont obtenu d'une cour fédérale un arrêt ordonnant son retour dans cet État pour y purger sa peine de prison.

La question de savoir si Grasso devrait être ramené en Oklahoma pour y être exécuté a fait, en 1994, l'objet d'un débat entre les candidats au poste de gouverneur de l'État de New York. Les élections ont été remportées par le partisan de la peine de mort George Pataki (voir ci-dessus, p. 12 : Un trente-huitième État rétablit la peine de mort,). Une des premières initiatives du nouveau gouverneur a été de renvoyer Grasso en Oklahoma. Celui-ci a renoncé à faire appel de la décision d'extradition prise contre lui, ainsi que de sa condamnation à la peine capitale, disant qu'il préférait la mort à la réclusion à vie.

Keith Zettlemoyer a été exécuté en Pennsylvanie le 2 mai après avoir renoncé aux recours qui lui étaient encore ouverts. Les avocats du Centre d'aide juridictionnelle aux condamnés à mort de Pennsylvanie ont engagé une procédure d'appel, arguant que Zettlemoyer n'était pas mentalement apte à décider lui-même de son sort.

À l'audience, Zettlemoyer a déclaré : « Je ne suis pas fou. Je ne suis pas cinglé. Je comprends parfaitement ce qui se passe avec l'exécution et tout le reste ». Il a ajouté : « Je vois dans mon exécution la fin de mes souffrances en prison. Je la vois comme une libération bénie et miséricordieuse de tous ces symptomes de maladie dont je souffre en permanence ». Keith Zettlemoyer avait été condamné à mort en 1980 et a été exécuté malgré les appels à la clémence de la mère de la victime.

Leon Moser a été exécuté en Pennsylvanie le 16 août. Sa mort a marqué la fin d'une série de péripéties juridiques étranges. À 14 h 40 le jour où Moser devait être exécuté, le juge Thomas O'Neill Jr a ordonné sa comparution devant le tribunal afin que soit examinée la question de son aptitude à renoncer à ses recours.

À 16 h 30, le juge était informé par les fonctionnaires de la prison qu'ils ne seraient pas en mesure de conduire Moser devant le tribunal avant 22 h 30. Le magistrat fit alors savoir que, dans ce cas, l'audience aurait lieu dans la matinée du lendemain et ordonna que l'exécution soit reportée de vingt-quatre heures. L'accusation fit appel de cette décision devant la Cour suprême fédérale en vue d'obtenir l'annulation du sursis. Cet appel fut rejeté par huit voix contre une. À 23 h 09, toutefois, la Cour suprême annula le sursis, et le personnel de la prison commença les derniers préparatifs en vue de l'exécution de Moser.

À 23 h 15, le gouverneur de Pennsylvanie, Tom Ridge, donna des instructions pour qu'il soit procédé à l'exécution. À peu près au même moment, les avocats de Moser avisèrent le bureau du juge O'Neill de la situation. À 23 h 30, le greffier du juge O'Neill téléphona à la prison pour s'enquérir de la situation de Moser et dire que le juge pourrait souhaiter lui parler pour se faire une idée de son aptitude mentale à renoncer à ses recours. On lui répondit que Moser était attaché sur une civière dans la chambre d'exécution. Le greffier demanda également si Moser avait avec lui un téléphone cellulaire, mais on lui répondit que, dans les prisons d'État, aucun détenu ne disposait d'un tel appareil. On ne lui mentionna pas que Moser se trouvait à quelques mètres d'un appareil téléphonique d'accès libre reliant la chambre d'exécution au bureau du directeur. À 23 h 36, une préparation létale commença à circuler dans le bras de Moser. Le greffier du juge O'Neill appela de nouveau la prison à 23 h 45 en demandant : « Moser est-il vivant ou mort ? parce que, s'il est vivant, le juge pourrait souhaiter lui parler ». On lui répondit qu'on était en train de lui administrer les drogues et qu'il était probablement mort à l'heure qu'il était. Leon Moser a été déclaré mort à 23 h 47.

Les exécutions de Zettlemoyer et de Moser ont coûté 39 390 dollars à l'État de Pennsylvanie. Un des postes de frais les plus importants correspondait au paiement des heures suplémentaires du personnel de la prison. Les autres prisonniers qui ont renoncé à leur recours et ont été exécutés en 1995 sont : Nelson Shelton, exécuté dans le Delaware le 17 mars, Phillip Ingle, exécuté en Caroline du Sud le 22 septembre, Mickey Wayne Davidson, exécuté en Virginie le 19 octobre, et Esequel Banda, exécuté au Texas le 11 décembre.

Les prisonniers exécutés en 1995

Nombre

Date

Nom

État

Méthode

Race

Victime d'exécutions[8]

1/258/86

04 Jan

Jesse JACOBS

Texas

IL

B

B

2/259/87

17 Jan

Mario MARQUEZ

Texas

IL

L

L

3/260/07

24 Jan

Kermit SMITH

Caroline du Nord

IL

B

N

4/261/25

24 Jan

Dana Ray EDMONDS

Virginie

IL

N

B

5/262/88

31 Jan

Clifton Charles RUSSELL

Texas

IL

B

B

6/263/89

31 Jan

Willie WILLIAMS

Texas

IL

N

B

7/264/90

07 Fév

Jeffrey MOTLEY

Texas

IL

B

L

8/265/91

16 Fév

Billy GARDNER

Texas

IL

B

B

9/266/92

21 Fév

Samuel HAWKINS

Texas

IL

N

B

10/267/04

17 Mars

Nelson SHELTON

Delaware

IL

B

B

11/268/04

20 Mars

Thomas GRASSO

Oklahoma

IL

B

N

12/269/03

22 Mar

James FREE

Illinois

IL

B

B

13/270/04

22 Mars

Hernando WILLIAMS

Illinois

IL

N

B

14/271/93

05 Avril

Noble MAYS

Texas

IL

B

B

15/272/19

07Avril

Nicholas INGRAM

Géorgie

E

B

B

16/173/10

19 Avril

Richard Wayne SNELL

Arkansas

IL

B

B/N

17/274/11

28 Avril

Willie CLISBY

Alabama

E

N

N

18/275/01

02 Mai

Keith ZETTLEMOYER

Pennsylvanie

IL

B

B

19/276/12

03 Mai

Emmitt FOSTER

Missouri

IL

N

N

20/277/01

10 Mai

Duncan MCKENZIE

Montana

IL

B

B

21/278/12

12 Mai

Varnall WEEKS

Alabama

E

N

B

22/279/22

16 Mai

Thomas Lee WARD

Louisiane

IL

N

N

23/280/05

17 Mai

Girvies DAVIS

Illinois

IL

B

B

24/281/20

17 Mai

Darrell DEVIER

Géorgie

E

B

B

25/282/26

25 Mai

Willie Lloyd TURNER

Virginie

IL

B

B

26/282/94

01 Juin

Fletcher Thomas MANN

Texas

IL

B

B

27/284/95

08 Juin

Ronald ALLRIDGE

Texas

IL

B

B

28/285/96

20 Juin

John FEARANCE

Texas

IL

B

B

29/286/97

21 Juin

Karl HAMMOND

Texas

IL

B

B

30/287/13

21 Juin

Larry GRIFFIN

Missouri

IL

N

N

31/288/05

01 Juillet

Roger Dale STAFFORD

Oklahoma

IL

B

4B1N1L

32/289/34

18 Juillet

Bernard BOLENDER

Floride

E

B

3L1B

33/290/14

27 Juillet

Tony MURRAY

Missouri

IL

N

2N

34/291/06

11 Août

Robert BRECHEEN

Oklahoma

IL

N

B

35/292/98

15 Août

Vernon SATTIEWHITE

Texas

IL

N

B

36/293/02

16 Août

Leon MOSER

Penn- sylvanie

IL

B

3 B

37/294/05

18 Août

Sylvester ADAMS

Caroline

IL

N

N

du Sud

 

 

 

 

 

 

38/295/11

31 Août

Barry FAIRCHILD

Arkansas

IL

N

B

39/296/04

13 Sept

Jimmy JEFFERS

Arizona

IL

B

B

40/297/99

19 Sept

Carl JOHNSON

Texas

IL

N

N

41/298/06

20 Sept

Charles ALBANESE

Illinois

IL

B

B

42/299/08

22 Sept

Phillip Lee INGLE

Caroline - du Nord

IL

B

4 B

43/300/27

27 Sept

Dennis STOCKTON

Virginie

IL

B

B

44/301/100

4 Octobre

Harold Joe LANE

Texas

IL

B

B

45/302/28

19 Octobre

Mickey DAVIDSON

Virginie

IL

B

3B

46/304/29

14 Nov

Herman BARNES

Virginie

IL

N

B

47/304/15

15 Nov

Robert SIDEBOTTOM

Missouri

IL

B

B

48/305/07

22 Nov

George DELVECHIO

Illinois

IL

B

B

49/306/16

29 Nov E

Anthony Joe LARETT

Missouri

IL

B

B

50/307/35

4 Déc

Jerry WHITE

Floride

E

B

L

51/308/36

5 Déc

Phillip ATKINS

Floride

E

N

B

52/309/17

6 Déc

Robert O'NEAL

Missouri

IL

B

N

53/310/101

6 Déc

Bernard AMOS

Texas

IL

N

B

54/311/102

7 Déc

Hai Hai VUONG

Texas

IL

A

A

55/312/103

11 Déc

Esequel BANDA

Texas

IL

L

B

56/313/104

12 Déc

James BRIDDLE

Texas

IL

B

B

Abréviations

Méthode d'exécution : E = Électrocution ; IL = Injection létale
Race: A = Asiatique ; N= Noir; L = Latino-américain; B= Blanc
Sexe: F = Femme; H= Homme

Statistiques

2. Source: Legal Defense and Education Fund (Fonds d'assistance et d'éducation juridique), New York, octobre 1995 2Nombre total d'exécutions depuis le rétablissement de la peine de mort en 1976 :

1976    77 78   79        80        81        82 83   84        85        86
0 1       0          2          0          1          2          5          21        18        18


1987    88        89        80        91        92        93        94        95
25        11 16   23        14        31        38        31        56

RACE DES PERSONNES EXÉCUTÉES    NOMBRE TOTAL : 313

Blancs  172 (54,92%)

Noirs    122 (39,05%)

Latino-américains         17 (5,40%)

Amérindiens     1 (0,32%)

Asiatiques         1 (0,32%)

RACE DES VICTIMES        NOMBRE TOTAL: 420

Blancs  346 (82,39%)

Noirs    53 (12,61%)

Latino-américains         14 (3,34%)

Asiatiques         7(1,66%)

EXÉCUTIONS PAR ÉTAT  NOMBRE TOTAL: 26 États

1. Texas           104 (33,01%)

2. Floride         36 (11,43%)

3. Virginie         29 (9%)

4. Louisiane      22 (6,98%)

5. Géorgie        20 (6,35%)

6. Missouri       17 (5,40%)

7. Alabama       12 (3,81%)

8. Arkansas      11 (3,49%)

9. Caroline du Nord 8 (2,54%)

10. Illinois         7 (2,22%)

11. Oklahoma  6 (1,90%)

12. Delaware    5 (1,59%)

13. Nevada      5 (1,59%)

14. Caroline du Sud      5 (1,59%)

15. Utah           4 (1,27%)

16. Mississippi  4 (1,27%)

17. Arizona      4 (1,27%)

18. Indiana       3 (0,95%)

19. Californie    2 (0,63%)

20. Washington            2 (0,63%)

21. Pennsylvanie           2 (0,63%)

22. Idaho         1 (0,32%)

23. Maryland    1 (0,32%)

24. Nebraska   1 (0,32%)

25. Wyoming    1 (0,32%)

26. Montana     1 (0,32%)

MÉTHODE D'EXÉCUTION           TOTAL: 313 exécutions

Injection létale  182

Électrocution    119

Chambre à gaz 9

Pendaison         2

Peloton d'exécution       1

NOMBRE DE CONDAMNÉS À MORT À LA FIN DE 1995:

3 046 dans 34 États et sous la responsabilité du gouvernement fédéral et de la justice militaire fédérale.


JURIDICTIONS OÙ LA PEINE DE MORT EST APPLICABLE : 38 ÉTATS ET 2 JURIDICTIONS FÉDÉRALES :

Alabama, Arizona, Arkansas, Californie, Caroline du Nord, Caroline du Sud, Colorado, Connecticut, Dakota du Sud, Delaware, Floride, Géorgie, Idaho, Illinois, Indiana, Kansas, Kentucky, Louisiane, Maryland, Mississippi, Missouri, Montana, Nebraska, Nevada, New Hampshire, New Jersey, New-York, Nouveau-Mexique, Ohio, Oklahoma, Oregon, Pennsylvanie, Tennessee, Texas, Utah, Virginie, Washington, Wyoming, Gouvernement fédéral, Justice militaire fédérale. (Les États dont le nom est souligné sont ceux où la peine de mort est inscrite dans les textes mais n'est pas appliquée)

JURIDICTIONS OÙ LA PEINE DE MORT EST ABOLIE :       12 ÉTATS ET 1 JURIDICTION FÉDÉRALE (DC) :

Alaska, Dakota du Nord, District of Columbia (Fédéral), Hawaii, Iowa, Maine, Massachusetts, Michigan, Minnesota, Rhode Island, Vermont, Virginie occidentale, Wisconsin.

DÉLINQUANTS MINEURS EXÉCUTÉS DEPUIS 1977  NOMBRE TOTAL : 9

Charles Rumbaugh (Texas) 11 septembre1985

James Terry Roach (Caroline du Sud) 10 janvier 1986

Jay Pinkerton (Texas) 15 mai 1986

Dalton Prejean (Louisiane) 18 mai 1990

Johnny Frank Garrett (Texas) 11 février 1992

Curtis Harris (Texas) 1er juillet 1993

Frederick Lashley (Missouri) 28 juillet 1993

Ruben Cantu (Texas) 24 août 1993

Christopher Burger (Géorgie) 7 décembre 1993

(Tous avaient 17 ans au moment du crime)

AU MOINS 44 MINEURS DÉLINQUANTS ATTENDENT LEUR EXÉCUTION DANS 13 ÉTATS :

Alabama (5); Arizona (2); Caroline du Sud (2); Floride (3); Géorgie (2); Kentucky (1); Mississippi

(5); Missouri (2); Nevada (1); Oklahoma (1); Pennsylvanie (2); Texas (17); Virginie (1).

RACE DES ACCUSÉS ET DES VICTIMES

ACCUSÉ BLANC ET :

Victime blanche 240 (56%)

Victime noire 5 (1,18%)

Victime asiatique           2 (0,47%)

Victime latino-américaine 5 (1,18%)

ACCUSÉ NOIR ET :

Victime blanche 100 (23%)

Victime noire 47 (11%)

Victime asiatique           2 (0,24%)

Victime latino-américaine          1 (0,24%)



[1] Pour plus de détails, voir : United States of America : Death Penalty Developments in 1992 (États-Unis d'Amérique. La peine de mort en 1992) (index AI : AMR 51/25/93).

[2] Pour de plus amples informations, voir le document : États-Unis d'Amérique. La peine de mort en 1994 (index AI : AMR 51/01/95 - ÉFAI 95 RN 030).

[3] Débats parlementaires (Hansard), Chambre des Communes. Rapport officiel. 21 février 1994, colonne 45.

[4] Publié par le Centre d'information sur la peine capitale, 1606 20th St. NW, Washington, DC 20009, États-Unis.

[5] Publié le 13 octobre 1995.

[6] Pour de plus amples informations, voir le document d'Amnesty International intitulé USA : The Risk of Executing the Innocent (États-Unis d'Amérique. Le risque d'exécuter un innocent (index AI : AMR 51/19/89)).

[7] Publié par le Centre d'information sur la peine capitale, 1606 20th St. NW, Washington, DC 20009, États-Unis.

[8] Total de l'année; total des exécutions depuis 1977; total des exécutions dans l'État concerné depuis 1977.

Comments:
La version originale en langue anglaise de ce document a été éditée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre : UNITED STATES OF AMERICA. Developments on the death penalty in 1995. Février 1996. Index AI : AMR 51/01/96. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat International par les ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - Service RAN - Avril 1996.

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