Des Détenus Seraient Victimes de Mauvais Traitements
- Document source:
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Date:
1 January 1996
Amnesty International continue à recevoir des informations selon lesquelles les responsables de l'application des lois en Azerbaïdjan infligeraient des mauvais traitements aux détenus. Certains prisonniers auraient été frappés au cours de la période précédant leur procès afin d'être contraints à faire des "aveux". D'autres auraient reçu des coups afin d'être forcés de donner des renseignements permettant de localiser des membres de leur famille considérés comme suspects et recherchés. Par ailleurs, il a été signalé que des détenus malades n'auraient pas reçu les soins médicaux nécessités par leur état, et que deux d'entre eux au moins en seraient morts l'année dernière. Selon certaines informations, les conditions de détention au cours de la période précédant le procès sont en général particulièrement pénibles. Dans certaines prisons, la surpopulation est telle que les codétenus d'une cellule ne peuvent s'allonger pour dormir qu'à tour de rôle.
Les observateurs indépendants n'ayant pas libre accès au pays, il est difficile de vérifier ces informations. Amnesty International n'a par ailleurs reçu aucune réponse de la part des autorités azerbaïdjanaises concernant ses préoccupations au sujet des mauvais traitements, bien qu'elle leur en ait fait part à plusieurs reprises.
Ce document expose de façon détaillée un certain nombre de cas préoccupants. Les détenus dont il est question sont des prisonniers politiques, mais l'Organisation ne néglige pas pour autant les informations plus générales qui lui ont été communiquées, selon lesquelles des prisonniers de droit commun seraient également victimes de mauvais traitements.
Introduction
Amnesty International continue à recevoir des informations selon lesquelles les responsables de l'application des lois en Azerbaïdjan infligeraient des mauvais traitements aux détenus. Certains prisonniers auraient été frappés au cours de la période précédant leur procès afin d'être contraints à faire des "aveux". D'autres auraient reçu des coups afin d'être forcés de donner des renseignements permettant de localiser des membres de leur famille considérés comme suspects et recherchés. Par ailleurs, il a été signalé que des détenus malades n'auraient pas reçu les soins médicaux nécessités par leur état, et que deux d'entre eux au moins en seraient morts l'année dernière. Selon certaines informations, les conditions de détention au cours de la période précédant le procès sont en général particulièrement pénibles. Dans certaines prisons, la surpopulation est telle que les codétenus d'une cellule ne peuvent s'allonger pour dormir qu'à tour de rôle.
Les observateurs indépendants n'ayant pas libre accès au pays, il est difficile de vérifier ces informations. Amnesty International n'a par ailleurs reçu aucune réponse de la part des autorités azerbaïdjanaises concernant ses préoccupations au sujet des mauvais traitements, bien qu'elle leur en ait fait part à plusieurs reprises.
Ce document expose de façon détaillée un certain nombre de cas préoccupants. Les détenus dont il est question sont des prisonniers politiques[1], mais l'Organisation ne néglige pas pour autant les informations plus générales qui lui ont été communiquées, selon lesquelles des prisonniers de droit commun seraient également victimes de mauvais traitements.
Décès en détention
Chamardan Mahammad oglu Djafarov
Chamardan (également connu sous le nom de Shahsultan) Djafarov est mort en détention à Bakou, capitale de l'Azerbaïdjan, dans la nuit du 29 au 30 juin 1995. Parlementaire, membre du Front populaire d'Azerbaïdjan (FPA), il avait été grièvement blessé par balle lors d'un affrontement avec la police le 17 juin 1995, près du village d'Abragunis, dans le district de Djoulfa (République autonome du Nakhitchevan). Opéré à deux reprises dans un hôpital de la ville de Nakhitchevan, il avait ensuite été transféré à la maison d'arrêt de Chouvelian (connue sous le nom officiel de centre de détention provisoire no 3), à Bakou. Il n'y aurait pas reçu les soins nécessités par son état de santé et son transfert dans un hôpital dépendant du ministère de l'Intérieur aurait été trop tardif pour le sauver.
Selon certaines informations, Chamardan Djafarov aurait dirigé, en République autonome du Nakhitchevan, un groupe armé interdit. Celui-ci avait été désarmé par les forces gouvernementales au mois d'août 1994. Plus de 20 personnes avaient alors été arrêtées, mais Chamardan Djafarov avait réussi à échapper à cette arrestation. En mai 1995, son immunité parlementaire avait été levée et, le mois suivant, il avait finalement été arrêté par la police.
Les circonstances de son arrestation, le 17 juin, sont controversées. Selon le FPA, une patrouille de police aurait tendu une embuscade à Chamardan Djafarov alors qu'il roulait en voiture, et aurait ouvert le feu la première. Le ministère de l'Intérieur a affirmé pour sa part[2] que c'était Chamardan Djafarov et les quatre personnes qui se trouvaient avec lui dans le véhicule qui avaient fait feu les premières, après avoir ignoré l'ordre qui leur avait été donné par la police de s'arrêter. Dans son édition du 23 juin, le journal Yeni Musavat a indiqué que la police avait quitté les lieux après un échange de coups de feu et que Chamardan Djafarov avait été conduit à l'hôpital de la ville de Nakhitchevan par des habitants de la région.
Amnesty International a exhorté les autorités azerbaïdjanaises à faire mener une enquête approfondie et impartiale sur les circonstances dans lesquelles Chamardan Djafarov a perdu la vie, et à rendre publiques ses conclusions.
Aypara Nasreddin oglu Aliev
Aypara Aliev est mort dans un hôpital pénitentiaire à Bakou, le 25 novembre 1995, après plus d'une année de détention. Selon des informations non officielles, il souffrait de cirrhose du foie, d'insuffisance rénale, ainsi que d'enflure des jambes et de l'abdomen. La cause officielle de son décès n'est pour le moment pas connue d'Amnesty International.
Aypara Aliev était maître assistant à l'Université de l'agriculture d'Azerbaïdjan, député au Conseil municipal de Giandja (deuxième ville du pays, située dans le nord-ouest). Il était également membre d'un parti d'opposition, le Parti social-démocrate d'Azerbaïdjan (PSDA).
Aypara Aliev avait été arrêté dans son appartement à Giandja, le 7 octobre 1994, à la suite d'une affaire de tentative de coup d'État survenue quelques jours auparavant, dans laquelle un ami personnel le Premier ministre de l'époque, Sourat Gousseinov allait être ultérieurement impliqué.[3] Il semblerait que l'arrestation d'Aypara Aliev ait eu lieu sans l'aval du ministère public et sans l'autorisation préalable du Conseil municipal indispensable à la levée de son immunité parlementaire. Il semblerait également qu'il n'ait été formellement inculpé qu'après quatorze jours de détention, soit une période excédant de quatre jours la période de détention légale avant inculpation.[4] Finalement, Aypara Aliev avait été transféré dans un centre de détention provisoire de Bakou.
Dans le cadre de cette affaire de tentative de coup d'État, Aypara Aliev aurait été inculpé de trahison (art. 57 du Code pénal), d'« activités organisationnelles visant à perpétrer des crimes contre l'État particulièrement dangereux » (art. 65) et de constitution de groupes armés illégaux (art. 70-2), toutes infractions pouvant entraîner la peine de mort. Aypara Aliev aurait également été inculpé de détournement de fonds (art. 86), ainsi que de falsification (art. 194) il aurait été accusé d'avoir falsifié des documents afin d'obtenir l'enregistrement d'une association charitable baptisée Nidjat (Salut) et d'avoir détourné d'importantes sommes d'argent de cette association. Le président de Nidjat, Nusret Qasim oglu Budaqov, avait été remis par la Russie à l'Azerbaïdjan afin d'y faire l'objet des mêmes poursuites à la fin du mois de mai 1995, mais il est mort dans le centre de détention provisoire du ministère de la Sécurité nationale le 10 juillet. Jusqu'à présent, Amnesty International n'a reçu aucune information sur les causes de sa mort.
Pendant au moins plusieurs semaines, Aypara Aliev n'aurait pas été autorisé à recevoir des colis de nourriture de ses proches, colis qui auraient permis d'améliorer le maigre ordinaire de la prison.
Selon certaines informations, Aypara Aliev n'aurait pas non plus reçu les soins médicaux que nécessitait son état de santé. Son procès, qui devait initialement s'ouvrir au mois d'août 1995, avait été remis à une date ultérieure à cause de sa mauvaise condition physique. De la maison d'arrêt de Bayilov (connue sous le nom officiel de centre de détention provisoire no 1), à Bakou, il a été transféré dans un service médical pénitentiaire après être entré dans le coma le 22 octobre. Il y est mort le 25 novembre, à l'âge de trente-six ans.
Amnesty International avait écrit aux autorités azerbaïdjanaises à deux reprises avant la mort d'Aypara Aliev, afin de les exhorter à faire en sorte qu'il recoive les soins médicaux nécessités par son état de santé. Après sa mort, l'Organisation s'est de nouveau manifestée auprès des autorités, afin d'obtenir des renseignements sur les circonstances de son décès et de savoir s'il avait été autorisé ou non à recevoir régulièrement des colis de nourriture de ses proches. Amnesty International a par ailleurs invité les autorités à commenter les accusations selon lesquelles Aypara Aliev avait été arrêté sans l'aval du ministère public ou l'autorisation préalable du Conseil municipal de Giandja. Elle leur a aussi demandé de donner leur avis sur les assertions selon lesquelles il n'avait été formellement inculpé qu'après quatorze jours de détention soit une période excédant de quatre jours la période de détention avant inculpation telle que prévue, semble-t-il, par la loi azerbaïdjanaise.
Accusations de mauvais traitements
Raguim Hasan oglu Gassiev
Plusieurs membres de la famille de Raguim Gassiev, ancien membre du Parlement et ancien ministre de la Défense vivant actuellement dans la clandestinité, auraient été battus après avoir été arrêtés par des responsables de l'application des lois au mois d'août 1995. Trois d'entre eux au moins seraient encore détenus, dont l'un en très mauvaise condition physique. Selon certaines informations, un quatrième membre de la famille aurait été ultérieurement arrêté.
Raguim Gassiev a été appréhendé à Bakou au mois de novembre 1993 et inculpé de détournement de biens de l'État sur une grande échelle (art. 88-1), de détention illégale d'arme (art. 220, point 2) et de manquement au devoir militaire en situation de combat (art. 255). Le dernier chef d'inculpation renvoie à la chute des villes de Choucha et de Latchine au mois de mai 1992 alors que Raguim Gassiev était ministre de la Défense , après un assaut des forces de souche arménienne dans le cadre du conflit dans le Haut-Karabakh.[5] Le procès de cet homme s'est ouvert au mois de juillet 1994.
Cependant, au mois de septembre 1994, Raguim Gassiev et trois codétenus se sont évadés du centre de détention provisoire du ministère de la Sécurité nationale de Bakou. Depuis lors, Raguim Gassiev vit dans la clandestinité. Son procès a néanmoins continué à se dérouler et cet homme a été condamné à mort par contumace au mois de mai 1995.
Selon des sources non officielles, certains membres de sa famille auraient été passés à tabac par des responsables de l'application des lois après avoir été interpellés au mois d'août 1995, au cours de plusieurs opérations de police menées à Bakou ainsi qu'à Sheki, la ville natale de Raguim Gassiev. Le frère de cet homme, Rahab, ainsi que ses cousins Mamed et Farid (également appelé Farda) Gassiev étaient au nombre des victimes de ces sévices. Ils sont toujours en détention provisoire à Bakou Mamed et Farid sont incarcérés dans la même cellule au centre de détention provisoire du ministère de la Sécurité nationale, tandis que Rahab est détenu dans la maison d'arrêt de Chouvelian. Amnesty International ne possède aucun renseignement sur la nature des blessures qui leur auraient été infligées lorsqu'ils ont été mis en état d'arrestation. Toutefois, selon des informations non officielles qui ont été communiquées à l'Organisation au mois de décembre 1995, l'état de santé de Mamed Gassiev serait très préoccupant. Atteint d'un cancer, il ne recevrait pas les soins médicaux que nécessite sa maladie. Les trois hommes seraient entre autres inculpés de détention illégale d'armes. Selon des sources non officielles, les inculpations prononcées contre eux auraient été fabriquées de toutes pièces, afin de faire pression sur Raguim Gassiev pour obtenir sa reddition.
Un autre membre de la famille de Raguim Gassiev, son oncle Sabir Gassiev, aurait été arrêté au mois d'octobre 1995 à Sheki : quatre grenades auraient été trouvées chez lui lors d'une perquisition menée par des fonctionnaires du ministère de la Sécurité nationale. Sabir Gassiev, le père de Mamed et de Farid, aurait affirmé avoir vu les fonctionnaires cacher les grenades en sa présence.
Amnesty International a exhorté les autorités azerbaïdjanaises à faire mener une enquête approfondie et impartiale sur les accusations selon lesquelles Rahab, Mamed et Farid Gassiev auraient été battus en détention ; à rendre publiques les conclusions de cette enquête ; et à traduire en justice toute personne tenue pour responsable de tels agissements. De plus, l'Organisation a instamment demandé que Mamed Gassiev recoive tous les soins que nécessite son état de santé. Elle cherche en outre à obtenir de plus amples renseignements sur la (les) charge(s) pesant sur les membres de la famille de Raguim Gassiev actuellement détenus. Dans le cadre de son combat contre la peine de mort[6], Amnesty International exhorte les autorités du pays à commuer la sentence capitale prononcée à l'encontre de Raguim Gassiev.
Alakram Alakbar oglu Hummatov (connu également sous le nom de Aliakram Humbatov)
Alakram Hummatov, ancien directeur de cabinet au ministère de la Défense, est actuellement détenu à Bakou. Il aurait été victime de mauvais traitements en détention, et son fils âgé de quatorze ans aurait également été frappé et brûlé avec des cigarettes par des fonctionnaires de police qui cherchaient à localiser la femme d'Alakram, actuellement dans la clandestinité.
Au mois de juin 1993, dans un climat général de troubles politiques en Azerbaïdjan, Alakram Hummatov a annoncé la création de la "république autonome autoproclamée des Talych-Mugan", avec pour centre d'opération la ville de Lenkoran (située dans le sud du pays) et englobant sept districts administratifs de la région.[7] Il a été déclaré président de cette république, mais les autorités ont finalement repris le contrôle de la région au mois d'août, et Alakram Hummatov a été contraint d'entrer dans la clandestinité.
Arrêté le 9 décembre 1993, Alakram Hummatov a été transféré à Bakou. Neuf mois plus tard, il s'est évadé du centre de détention provisoire du ministère de la Sécurité nationale avec trois autres prisonniers dont Raguim Gassiev, dont il a été question plus haut. Alakram Hummatov s'est à nouveau caché, ce qui, selon certaines informations, a valu à sa famille d'être harcelée par la police qui cherchait à le localiser. Sa femme, Sudaba Rasulova, aurait par exemple été détenue sans inculpation à Lenkoran au début du mois de juillet 1995. En la prenant de fait en otage, les autorités entendaient contraindre son mari à se rendre. Alakram Hummatov a réintégré son domicile le 3 août, où il a été à nouveau arrêté. Sa femme a été relâchée, mais s'est à son tour cachée : les autorités auraient semble-t-il encore cherché à l'arrêter trois jours plus tard.
Alakram Hummatov aurait été battu après avoir été transféré à Bakou après sa seconde arrestation, mais Amnesty International ne possède pour le moment aucune information détaillée sur les blessures qui lui auraient été infligées. Les forces de police, à la recherche de sa femme, auraient également brutalisé à plusieurs reprises l'aîné des enfants du couple Ramal Hummatov, âgé de quatorze ans , afin de lui faire dire où se trouvait sa mère. L'adolescent aurait ainsi subi des coups le 5 septembre 1995, dans les locaux de la police de Lenkoran, sous les yeux de sa grand-mère. Lors d'une autre séance, dont la date n'est pas connue, les fonctionnaires de police auraient appliqué des cigarettes allumées sur le corps de l'adolescent.
Alakram Hummatov comparaît actuellement devant la chambre militaire de la Cour suprême d'Azerbaïdjan. Les charges retenues contre lui sont en rapport avec les événements qui ont entouré la proclamation de la république autonome.[8] S'il est déclaré coupable, il risque la peine de mort.
Plusieurs membres de sa famille ont également été arrêtés au mois d'août, peut-être pour l'avoir hébergé alors qu'il se cachait. Il s'agit de ses frères, Nariman et Farman, du frère de sa femme, Azad Rasulov, et des maris de ses surs, Bahadur Asadov, Saffail Mammedov et Meri Dadachev.
Amnesty International demande instamment aux autorités azerbaïdjanaises de faire mener une enquête approfondie et impartiale sur les accusations de mauvais traitements mentionnées ci-dessus ; de rendre publiques les conclusions de cette enquête ; et de traduire en justice toute personne tenue pour responsable de tels agissements. L'Organisation cherche en outre à obtenir de plus amples renseignements sur la(les) charge(s) pesant sur les membres de la famille d'Alakram Hummatov actuellement détenus.
Les conditions de détention
Les contacts entre les détenus et le monde extérieur est des plus restreints en Azerbaïdjan. (Il est rare, par exemple, que les proches des prisonniers en détention provisoire soient autorisés à leur rendre visite avant que l'enquête ne soit officiellement close.) De ce fait, il est difficile d'obtenir des informations détaillées sur la situation des détenus placés dans des maisons d'arrêt et des colonies de « rééducation par le travail », comme de vérifier les accusations de mauvais traitements et de conditions de détention particulièrement pénibles.
La surpopulation constituerait un important problème en détention provisoire. Movsum Aliev[9] détenu pendant plusieurs mois au centre de détention provisoire no 1 de Bakou avant d'être libéré le 18 février 1995 a rapporté que la cellule dans laquelle il se trouvait, prévue pour 14 personnes, en contenait 35, et que les prisonniers ne pouvaient s'allonger pour dormir qu'à tour de rôle. Le Centre des droits de l'homme de l'Azerbaïdjan, organisation non gouvernementale, a lui aussi dénoncé la surpopulation carcérale, au mois de juillet, en se fondant sur des sources proches du ministère de l'Intérieur. Selon ces sources, la maison d'arrêt de Bayilov, construite pour 900 personnes, en contenait alors 2 500, tandis que la maison d'arrêt de Chouvelian et le centre de détention provisoire no 2 de Giandja, tous deux prévus pour 500 personnes, en contenaient chacun trois fois plus.
Les cellules du quartier des condamnés à mort de la maison d'arrêt de Bayilov seraient également surpeuplées. Bien que des condamnations à mort soient régulièrement prononcées en Azerbaïdjan[10], il n'y aurait pas eu d'exécution judiciaire dans le pays depuis 1990. De ce fait, et compte tenu de l'absence de commutations, la population des quartiers de condamnés à mort n'a cessé de croître. Au mois de décembre 1995, elle était évaluée à une centaine de personnes. Selon un avocat[11], les cellules des condamnés à mort initialement prévues pour une seule personne contiennent 5 à 6 prisonniers, qui ne sont jamais conduits au promenoir.
La surpopulation serait préjudiciable aux conditions d'hygiène et les épidémies difficiles à enrayer dans de telles circonstances. Au mois d'octobre 1995, un journal de Bakou a cité un responsable du ministère de la Santé[12]13, qui aurait fait état de 244 décès par tuberculose en 1994 (sur 320 détenus souffrant de cette maladie) et qui aurait affirmé que le nombre des tuberculeux serait entre-temps passé à 1 200. Il semblerait que l'ensemble de la population carcérale du pays ait été prise en compte pour l'établissement de ces chiffres, et pas uniquement les personnes en détention provisoire.
Une fois jugés, la plupart des détenus sont transférés dans une colonie de « rééducation par le travail » pour y purger leur peine. Les informations sur les conditions de vie dans ces colonies sont encore plus rares que celles concernant les maisons d'arrêt. La presse a néanmoins publié un certain nombre d'articles sur une rébellion survenue le 29 septembre 1995 dans la colonie no 2, située près du village de Bina. Les détenus auraient fait la grève de la faim, et 120 d'entre eux se seraient massés sur le toit d'un bâtiment. Ils auraient ainsi voulu appuyer leurs plaintes relatives aux agissements du personnel de la colonie. Selon certaines informations, ils s'étaient auparavant plaints d'être victimes, entre autres mauvais traitements, d'humiliations physiques, et de ne pouvoir le plus souvent obtenir vêtements, nourriture et médicaments que moyennant finances.
Les préoccupations d'Amnesty International
Amnesty International est préoccupée par la persistance des informations faisant état des mauvais traitements dont seraient victimes les détenus en Azerbaïdjan. Elle demande instamment aux autorités :
de faire mener des enquêtes approfondies et impartiales sur les circonstances dans lesquelles sont morts en détention Chamardan Djafarov et Aypara Aliev, et de rendre publiques les conclusions de ces enquêtes ;
de faire mener des enquêtes approfondies et impartiales sur toutes les accusations de passages à tabac et de mauvais traitements dont seraient victimes les détenus, de rendre publiques les conclusions de ces enquêtes et de traduire en justice les auteurs de tels sévices ;
de veiller à ce que tous les prisonniers puissent dans les meilleurs délais recevoir les soins médicaux que nécessite leur état de santé.
[1] Amnesty International entend les termes « prisonnier politique » dans leur sens le plus large, de façon à couvrir toutes les infractions ayant un lien étroit avec la politique ñ par exemple les infractions de droit commun commises avec un mobile politique ou dans un contexte politique précis. L'Organisation n'appelle pas à la libération de tous les prisonniers politiques ainsi globalement définis ; elle ne demande pas non plus qu'ils bénéficient de conditions particulières. Cependant, les gouvernements sont tenus de traiter humainement tous les prisonniers, et Amnesty International est opposée sans réserve et quelle que soit la nature des infractions, politiques ou de droit commun, au recours à la torture et à la peine de mort.
[2] Agence de presse Touran, Bakou, 19 juin 1995.
[3] Au mois de juin 1993, une rébellion des forces acquises à Sourat Gousseinov avait contraint le président de l'Azerbaïdjan de l'époque, Aboulfaz Eltchibey ñ figure marquante du FPA ñ, à fuir la capitale. Les membres de son gouvernement qui soutenaient le FPA avaient pour la plupart démissionné, ou avaient été destitués de leurs fonctions. Certains d'entre eux avaient été arrêtés ultérieurement. Sourat Gousseinov était devenu Premier ministre, et Gueïdar Aliev, d'abord nommé président du Parlement, avait été ultérieurement élu chef de l'État. Au mois d'octobre 1994, Sourat Gousseinov a été accusé d'avoir fomenté un coup d'État visant à renverser le président Aliev, et a été contraint de fuir le pays.
[4] Article 167 du Code de procédure pénale.
[5] Les violences intercommunautaires au sujet du Haut-Karabakh ñ région située en plein cur de l'Azerbaïdjan et actuellement peuplée presque exclusivement d'Arméniens de souche ñ ont dégénéré à partir de 1988 en un conflit armé de grande ampleur entre les forces azerbaïdjanaises et les partisans de la république autoproclamée du Haut-Karabakh. Au mois de mai 1992, au cours d'un assaut déterminant, les forces de souche arménienne ont pris la ville de Choucha et ouvert un corridor reliant la république autoproclamée du Haut-Karabakh à l'Arménie via Latchine. Un cessez-le-feu est en vigueur depuis le mois de mai 1994.
[6] Amnesty International est sans réserve et dans toutes les circonstances opposée à la peine de mort. Ce chtiment, le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit, porte atteinte au plus fondamental des droits de l'homme, le droit à la vie. Bien qu'il n'y ait pas eu d'exécutions judiciaires en Azerbaïdjan ces dernières années, des sources non officielles font état d'une centaine de personnes actuellement détenues dans les quartiers des condamnés à mort.
[7] L'ethnie talych, distincte de l'ethnie azérie, est principalement concentrée dans le sud de l'Azerbaïdjan.
[8] Les charges retenues contre Alakram Hummatov seraient les suivantes : « trahison » (art. 57) ; « constitution de groupes armés illégaux » (art. 70-2) ; « appropriation abusive du titre et des pouvoirs de représentant d'État » (art. 192, partie 2) ; « privation illégale de liberté » (art. 120) ; « violation de résidence » (art. 132) ; « détention illégale d'arme » (art. 220-2) ; et enfin « évasion d'un lieu de détention » (art. 185, partie 2).
[9] Movsum Aliev, historien, a été arrêté au mois de décembre 1994, et accusé d'avoir diffamé le président Gueïdar Aliev dans un article publié au mois de septembre 1993 par le quotidien Azadlig (Liberté).
[10] Les statistiques communiquées à Amnesty International par les autorités montrent une augmentation du nombre des sentences capitales prononcées depuis 1990 (trois condamnations) : 18 en 1991, 27 en 1992, 22 en 1993 et 23 en 1994.
[11] L'avocat Teymur Ismiyev, cité dans l'édition du 1er septembre 1995 du journal de Bakou The Advocate.
[12] Un directeur adjoint du Service de la santé de la direction principale pour l'application des décisons de justice, au ministère de la Santé, cité le 7 octobre 1995, dans un journal de Bakou, Avrasiya.
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