Introduction

Le 30 juin 1989, un peu avant l'aube, des unités de l'armée soudanaise conduites par le général de brigade Omar Hassan Ahmad el Béchir ont fermé l'aéroport puis se sont emparées du palais présidentiel et du quartier général des forces armées, avant de dresser des barrages dans toute la capitale, Khartoum. En quelques heures, les unités rebelles ont arrêté un grand nombre de personnalités politiques, l'état d'urgence a été proclamé, la Constitution suspendue, les partis politiques et les syndicats dissous. La presse indépendante a en outre été muselée et toutes les associations laïques provisoirement interdites. Les nouveaux dirigeants ont alors annoncé la formation du Conseil de commandement de la révolution de salut national (CCRSN), chargé de gouverner le pays.

Ce coup d'État a mis fin à trois ans de démocratie pluraliste au Soudan – trois années marquées toutefois par de graves problèmes en matière de droits de l'homme, dans un pays profondément divisé. Les libertés politiques étaient dans l'ensemble respectées dans le Nord, tandis que les droits de l'homme étaient bafoués de façon flagrante dans le Sud et dans d'autres régions, où une guerre civile féroce opposait les forces gouvernementales à un mouvement d'opposition armée connu sous le nom d'Armée populaire de libération du Soudan (APLS). L'arrivée au pouvoir d'un gouvernement militaire a entraîné une recrudescence des violations des droits de l'homme, caractérisée par des agissements d'une gravité et d'une ampleur sans précédent dans l'histoire du Soudan.

Depuis le 30 juin 1989, pratiquement toutes les couches de la société soudanaise ont, d'un bout à l'autre du pays, été victimes de violations flagrantes et persistantes des droits de l'homme. Quasiment toutes les violations qui constituent l'objet des préoccupations d'Amnesty International ont été perpétrées par un pouvoir politique et des forces de sécurité se comportant comme s'ils n'avaient aucun compte à rendre. La plupart de ces violations sont commises hors du cadre de la législation soudanaise et du droit international.

Le pays demeure profondément divisé. La guerre se poursuit dans le Sud et les régions voisines, tels les monts Nouba. L'APLS s'est scindée en deux factions qui luttent entre elles et contre le gouvernement. À Khartoum et dans d'autres grandes villes du nord du Soudan, l'opposition politique a été contrainte à la clandestinité.

Le gouvernement s'est attelé à un programme ambitieux visant à remodeler la société soudanaise, particulièrement dans le Nord, selon des objectifs politiques tirés de son interprétation de l'islam. Il maintient son contrôle grâce à la répression. Des centaines de personnes de toutes conditions sociales ont été arrêtées et détenues sans inculpation ni jugement ; il s'agit de prisonniers d'opinion. Le recours à la torture et aux traitements dégradants, dans des centres de détention secrets connus sous le nom de "maisons fantômes", est systématique et s'est parfois soldé par des morts. Les détenus politiques inculpés et traduits en justice ont été jugés de façon inéquitable par des tribunaux militaires et, plus récemment, par des tribunaux civils dont les magistrats appartiennent à un pouvoir judiciaire corrompu et docile. Depuis 1989, des détenus reconnus coupables de crimes de droit commun ou à caractère politique à l'issue de procès militaires sommaires et iniques ont été exécutés. Des opposants politiques présumés ont perdu leur travail et ont été chassés de leur maison ; ils ont vu leurs biens confisqués et leurs droits civils restreints.

En 1991, le gouvernement a introduit un code pénal qui prévoit des peines cruelles, inhumaines et dégradantes telles que la flagellation et l'amputation, ainsi que la lapidation à mort. Depuis que le gouvernement s'est emparé du pouvoir, des milliers de peines de flagellation, bien souvent prononcées contre des femmes, ont été exécutées.

La guerre, qui oppose actuellement les rebelles principalement basés dans le Sud et le gouvernement siégeant au Nord, a débuté en 1983. Toutefois, le pays n'a connu que onze années de paix depuis 1956.

Au cours de cette guerre, les deux camps se sont montrés aussi féroces et sans pitié l'un que l'autre. Les forces de sécurité ont délibérément attaqué des civils. Ceux-ci ont été massacrés ou chassés de leurs terres ; ils ont assisté au pillage et à la destruction de leurs moyens de subsistance. Des milliers de personnes ont été victimes d'exécutions extrajudiciaires ou ont "disparu". Dans les monts Nouba, une région isolée située dans le centre du pays, le gouvernement a mis en œuvre de façon systématique une politique de déplacement forcé de communautés entières vers de prétendus « villages de la paix », placés sous le contrôle de l'armée et des Forces de défense populaire (FDP), une milice créée par les autorités soudanaises. Des femmes et des enfants ont été enlevés et vendus comme esclaves par des milices inféodées au pouvoir de Khartoum. Dans les villes sous contrôle du gouvernement situées dans les zones de conflit, la procédure légale n'a guère été respectée : des opposants présumés ont été arrêtés, ot "disparu" ou ont été victimes d'exécutions extrajudiciaires.

C'est une guerre qui fait peu de prisonniers. Il semble que tant les forces gouvernementales que l'APLS tuent délibérément et systématiquement les combattants qui tombent entre leurs mains.

Les deux factions de l'APLS – APLS-Courant principal et APLS-Unifiée – ont délibérément attaqué et tué des civils, dressant ainsi les communautés les unes contre les autres et précipitant le pays dans la spirale de la violence et des représailles. Il semble que les deux factions soient dépourvues d'un système de commandement susceptible de les aider à maintenir leurs troupes sous contrôle. Toutes deux ont un fonctionnement interne qui, dans la pratique, varie de façon arbitraire au gré des caprices des commandants locaux. Les dirigeants de la faction APLS-Courant principal se sont montrés sans pitié dans leur lutte pour acquérir et consolider leur position. Des dissidents éminents au sein de cette faction ont été détenus puis, pour certains, exécutés. Des prisonniers aux mains de l'APLS ont été torturés, parfois à mort. Les deux groupes ont sommairement exécuté des soldats ou des individus soupçonnés de soutenir la faction rivale. De nombreux rapports indiquent que des prisonniers capturés sur le champ de batille ont par la suite été mis à mort.

Le coût en vies humaines de cette guerre est catastrophique. Toutes les parties en présence bafouent de façon flagrante les droits de l'homme, ainsi que les principes du droit humanitaire régissant les conflits armés. Les attaques délibérées menées contre des civils par les forces gouvernementales et par les deux factions de l'APLS ont provoqué un désastre humanitaire dans les zones de conflit. L'Organisation des Nations unies (ONU), sous l'égide de laquelle est menée une vaste opération d'assistance appelée "Opération Lifeline Sudan" (OLS), estimait en 1994 qu'il faudrait fournir une aide alimenatire à plus de deux millions de personnes touchées par la guerre au cours de l'année et que plus de cinq millions de Soudanais auraient besoin d'assistance sous une forme ou une autre. Une telle dépendance est la conséquence directe des atteintes aux droits de l'homme commises au Soudan.

Le gouvernement militaire s'est efforcé de désamorcer les critiques dénonçant la situation des droits de l'homme en accusant ceux qui les formulaient de vouloir s'opposer à l'islam, voire d'insulter cette religion. Une telle accusation, portée par un gouvernement qui cherche à échapper aux critiques et à gagner le soutien de l'opinion publique, exploite les convictions et les valeurs qui sont celles de la majorité musulmane du Soudan et des musulmans d'autres pays. Le rapporteur spécial nommé au mois de mars 1993 par le Haut Commissaire des Nations unies pour les droits de l'homme afin d'enquêter sur la situation de ces droits au Soudan a été qualifié par le gouvernement de « fanatique antimusulman ».

Amnesty International ne prend position ni sur les objectifs politiques ni sur l'idéologie du gouvernement ou de l'opposition. L'Organisation œuvre en faveur des droits fondamentaux de tous les Soudanais, qu'ils soient musulmans ou chrétiens, opposants ou partisans du gouvernement. Sa tâche commence lorsque ceux qui détiennent le pouvoir violent les normes universellement reconnues en matière de droits de l'homme.

Le Soudan est l'un des pays les plus pauvres du monde. Les deux tiers de ses 26 millions d'habitants sont musulmans, mais la diversité ethnique et religieuse de ce pays est très grande. Quelque 400 langues s'y côtoient, bien que l'arabe soit la langue populaire commune au Nord et au Sud, et la première langue de nombreux habitants du Nord. La plupart de ces derniers sont musulmans et nombre d'entre eux revendiquent une origine arabe. Il en est toutefois qui se considèrent comme Africains non arabes, tels les Nouba du Kordofan méridional, les Four du Darfour et les habitants de la province du Nil bleu. Le Sud, qui comprend les États du Bahr el Ghazal, du Haut-Nil et de l'Équatoria, est constitué d'une mozaïque d'ethnies et de religions plus diverse encore qu'au Nord : les Dinka et les Nuer y sont majoritaires, mais il existe de nombreuses autres ethnies plus petites. Si la plupart des habitants du Sud ayant reçu une instruction embrassent le christianisme, quelques-uns sont cependant musulmans. La population rrale, quant à elle, suit en règle générale ses propres traditions religieuses.

Les qualifications d'Arabe ou d'Africain, de musulman ou de chrétien, voire d'habitant du Nord ou du Sud, ont revêtu un caractère de plus en plus politique à mesure que se poursuivait le combat visant à forger une identité nationale. L'identité ethnique et religieuse joue une rôle important dans les divisions politiques profondes qui affectent la société soudanaise.

C'est au sentiment de cette identité qu'il est fait appel pour mobiliser les soutiens politiques, souligner les différences, revendiquer une supériorité, déterminer le droit au pouvoir et identifier l'ennemi. C'est ainsi que l'origine ethnique des dirigeants de chacune des deux factions de l'APLS a pris de plus en plus d'importance.

Il est clair que les atteintes aux droits de l'homme au Soudan sont devenues systématiques, bien qu'il soit parfois difficile, dans un pays si vaste, si pauvre et si profondément déchiré, de vérifier certains cas précis. Il n'est pratiquement pas de couche de la société soudanaise qui ne risque d'être victime d'atteintes aux droits de l'homme commises par ceux qui détiennent le pouvoir, que cela soit dans les zones de conflit, dans les secteurs sous contrôle gouvernemental ou aux mains de l'opposition armée, ou même dans des régions éloignées des combats et peu touchées par la guerre. Chaque nouvelle atrocité ne fait qu'exacerber les divisions politiques et alimenter la haine. L'avenir du Soudan repose en fait sur le respect des droits de l'homme, sans lequel la confiance mutuelle nécessaire pour résoudre les multiples problèmes politiques que connaît le pays ne saurait s'instaurer.

1. L'écrasement de l'opposition

« Je jure devant vous de purger nos rangs des renégats, des mercenaires, des ennemis du peuple et des ennemis des forces armées... Quiconque trahit cette nation ne mérite pas l'honneur de vivre. » Omar Hassan Ahmad el Béchir, chef de l'État soudanais, lors d'un rassemblement public en décembre 1989 [1]

Au Soudan, la société civile est l'objet d'attaques multiples. Le gouvernement militaire renforce son contrôle et s'efforce de remodeler les institutions sociales selon une idéologie fondée sur un islam radical. Un tel processus repose en partie sur l'écrasement de toute opposition politique. Depuis juin 1989, des milliers de citoyens soudanais ont connu la prison, où nombre d'entre eux ont été torturés.

Le gouvernement s'est engagé à organiser des élections générales en mars 1995, après quoi il sera mis fin à l'état d'urgence. En attendant, la législation d'exception interdit « la manifestation par quelque moyen que ce soit de toute opposition politique au régime de la révolution de salut national ». Grèves et rassemblements politiques non autorisés au préalable sont prohibés. Les autorités sont en revanche habilitées à arrêter n'importe qui, ou à restreindre sa liberté de mouvement, sans avoir à produire de mandat. En outre, la détention sans inculpation ni jugement est prévue par la Loi relative à la sécurité nationale adoptée en 1990. Toute personne soupçonnée d'être un opposant au gouvernement ou à sa politique est susceptible d'être arrêtée.

Cela se vérifie aussi bien dans les grandes villes et les zones rurales du nord du Soudan que dans les régions en proie à la guerre. Les arrestations frappent indistinctement les habitants du Sud qui ont été déplacés, les réfugiés, les membres d'ordres religieux musulmans qui n'adhèrent pas à l'interprétation gouvernementale de l'islam, les avocats, les soldats, les femmes protestant contre le coût de la vie, les étudiants s'insurgeant contre une modification de leurs allocations, les syndicalistes, les militants politiques, les journalistes, les ressortissants étrangers, les musiciens, les artistes et bien d'autres personnes encore. Certaines ont ensuite été reconnues coupables d'infractions politiques à l'issue de procès inéquitables, mais la majorité d'entre elles ont simplement été détenues sans inculpation durant des semaines, des mois, voire des années.

Le dispositif de sécurité

L'une des premières tâches du nouveau gouvernement a été d'assurer son contrôle sur l'armée et les forces de sécurité. À la suite du coup d'État, le haut commandement a été dissous et des centaines d'officiers destitués. Les Forces de défense populaire (FDP) ont alors été créées en vue de constituer une force paramilitaire rassemblant des partisans de l'idéologie du régime. Une force de sécurité parallèle, baptisée Sécurité de la révolution, a également été mise en place. Cette organisation aux contours flous, regroupant de jeunes sympathisants du Front national islamique (FNI) – dont le radicalisme religieux inspire l'idéologie officielle –, s'est illustrée dans les arrestations massives d'opposants présumés, au moment où il était procédé à des purges au sein de l'Organisation de sécurité du Soudan. Il semble aujourd'hui que les groupes informels ayant présidé à la consolidation du nouveau gouvernement ont été intégrés aux organes de sécurité officiels, mais qu'ils continuent à entretenir des liens avec des ommes clés du régime par l'entremise des conseillers du président en matière de sécurité.

Les opposants politiques sont détenus, sans inculpation ni jugement, soit dans des prisons civiles dépendant de l'administration pénitentiaire du Soudan, soit dans des centres de détention secrets – appelés "maisons fantômes" – administrés par les services de sécurité, soit encore dans des bureaux officiels de la sécurité tel que le siège de la Sécurité à Khartoum. D'anciens prisonniers détenus dans des prisons civiles affirment que, si les conditions carcérales sont parfois pénibles, les gardiens n'ont pas fréquemment recours aux mauvais traitements physiques. Il en va tout autrement en ce qui concerne les centres de détention et les bureaux des services de sécurité, où sont retenus la grande majorité des opposants politiques présumés.

Année après année, des détenus font état des tortures qu'ils ont subies ou auxquelles ils ont assisté dans les "maisons fantômes" et les bureaux de la Sécurité. Certains prisonniers sont morts des suites de ces sévices. Les autorités affirment qu'elles adoptent une attitude ferme concernant la torture et les mauvais traitements. Toutefois, passages à tabac, brûlures, exercices physiques pénibles et brimades grotesques continuent d'être régulièrement signalés.

Les déclarations du gouvernement selon lesquelles il n'y a pas de prisonniers dans les centres des services de sécurité sont catégoriquement contredites par les témoignages d'anciens détenus. Si nombre d'entre eux ne peuvent dire exactement où ils étaient internés – les détenus et leurs familles ne sont pas avisés de l'endroit où ils se trouvent ni de l'autorité qui les détient –, ils savent, néanmoins, qu'ils n'étaient pas dans une prison civile. Toute une série de bâtiments publics et, parfois, privés, ont servi de centres de détention. Certains sont d'ailleurs devenus des centres officiels ; d'autres semblent être utilisés lorsque le nombre de détenus l'exige.

Les conditions de détention décrites par de nombreux anciens prisonniers sont assimilables à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, alors que ceux-ci sont interdits par les normes internationales. La surpopulation carcérale est bien souvent dénoncée. Des détenus ont affirmé avoir été placés à l'isolement, parfois dans des latrines ou des toilettes exiguës. Un prisonnier, détenu durant quatre mois vers la mi-92, a relaté dans une lettre écrite après sa libération l'épreuve qu'il avait subie :

« As-tu jamais essayé de t'enfermer dans des toilettes durant quatre mois ?... la température peut atteindre 40° C... il y a l'odeur infecte de ton propre corps... et cette solitude immense, cette tristesse infinie... liées au sentiment épouvantable d'être vaincu. Le silence dans une "chambre" (ha ! ha ! ha !) qui ne fait pas plus d'un mètre sur un mètre et demi. Exactement la dimension d'un tapis de prière. La plupart du temps, les séances de torture m'étaient un soulagement, parce que je pouvais enfin respirer l'air pur, parce qu'on me battait à l'extérieur. »

Les diverses formes de la répression

Certains prisonniers politiques ont passé plus de deux ans en détention, mais la plupart ont été incarcérés pendant des périodes comprises entre quelques semaines et plusieurs mois. De nombreux opposants présumés ont été détenus à diverses reprises, faisant parfois de nouveau l'objet d'une arrestation quelques jours seulement après avoir été remis en liberté. D'autres se voient appliquer un système de restriction physique les obligeant à se présenter quotidiennement, tôt le matin, aux bureaux de la Sécurité. On les laisse attendre là jusqu'au soir, en général sans les interroger et sans leur donner ni eau ni nourriture. Cette forme de restriction de la liberté de mouvement peut durer de quelques semaines à plusieurs mois.

La méthode consistant à faire se succéder arrestation et libération, l'utilisation de centres de détention secrets et les mauvaises communications existant entre les différentes régions du Soudan permettent difficilement d'établir le nombre exact de prisonniers politiques à un moment donné. De ce fait, les informations qui parviennent au monde extérieur concernent plutôt les militants politiques de la capitale ou d'autres grandes villes du pays. Depuis 1989, Amnesty International a eu connaissance des noms de quelque 1 500 prisonniers politiques qui ont été détenus à différents moments, principalement à Khartoum ; certains d'entre eux étaient des prisonniers d'opinion. Toutefois, ce chiffre ne représente qu'une partie du nombre total de personnes arrêtées dans tout le pays.

Des centaines de personnes ont été appréhendées pour des motifs politiques en 1989 et 1990. Fin mars 1990, au moins 35 membres éminents du parti Oumma (Parti de l'indépendance, la branche politique de la secte islamique des Ansar), ainsi que des officiers supérieurs des forces armées révoqués à la suite du coup d'État, ont été arrêtés avec d'autres personnes parce qu'ils étaient soupçonnés d'avoir voulu renverser le gouvernement. En mai, 23 officiers de l'armée ont été emprisonnés à l'issue de procès sommaires devant des tribunaux militaires. Toujours en mai, des cheminots se sont mis en grève à Atbara et plusieurs syndicalistes ont été appréhendés. En novembre, ce sont des centaines de syndicalistes qui ont été arrêtés pour avoir participé à des grèves et à des manifestations antigouvernementales dans plusieurs villes du nord du pays.

Bien que les autorités aient remis en liberté 299 détenus en mai et en juin 1991, les arrestations se sont poursuivies. En quelques jours, au moins six membres du Parti communiste soudanais (PCS) ou du Parti national du Soudan (PNS), qui est soutenu par les Nouba du Kordofan méridional, ont à nouveau été arrêtés. À la fin de l'année, Amnesty International avait identifié plus de 200 personnes détenues depuis mai. Toutefois, l'Organisation ignorait les noms de nombreux autres prisonniers politiques. Des dizaines de personnes, au nombre desquelles figuraient des étudiants, des syndicalistes, des journalistes, des musiciens et des artistes, ont été appréhendées à la suite de manifestations organisées en juillet à l'université de Khartoum. En septembre, des syndicalistes ont été arrêtés après de nouveaux troubles dans cette université. D'autres syndicalistes encore, soupçonnés d'avoir distribué des tracts antigouvernementaux, ont été appréhendés en novembre.

Amnesty International a répertorié les noms de plus de 250 prisonniers politiques détenus au cours de l'année 1992 dans la seule ville de Khartoum. Les membres de l'Oumma arrêtés en janvier ont été détenus jusqu'en septembre. En avril, des femmes ayant des liens de parenté avec les officiers exécutés en 1990 pour avoir, selon l'accusation, fomenté un coup d'État, ont été détenues jusqu'à trois semaines durant après avoir organisé une manifestation. En mai, des journalistes, des avocats, des artistes et un réalisateur de télévision ont été appréhendés. En juin, au moins 37 personnes, dont des Égyptiens, un Algérien et un Palestinien, étaient en détention dans une "maison fantôme" à Khartoum. En décembre, des femmes qui manifestaient à Omdourman contre les répercussions d'une situation économique déplorable ont été brièvement détenues. Au moins quatre d'entre elles ont ensuite été contraintes de se présenter quotidiennement aux bureaux de la Sécurité. Le même mois, des membres du PCS ont été arrêtés ; neuf d'enre eux n'ont été remis en liberté qu'en mars 1994, et deux autres étaient toujours en détention au mois d'octobre 1994.

En 1993, des journalistes ont été arrêtés durant les mois de janvier et de mars. Entre avril et juin, un grand nombre de personnes ont été appréhendées dans des villes du nord du pays, au cours de ce qui semble avoir été une attaque concertée contre les membres de la secte islamique des Ansar et de sa branche politique, le parti Oumma. En août, d'autres membres de ce parti ont été arrêtés. En novembre, des femmes qui voulaient remettre une pétition au rapporteur spécial des Nations unies sur le Soudan, en visite à Khartoum, ont été arrêtées sous ses yeux. Deux d'entre elles ont été traînées sur le sol avant d'être brutalement poussées dans des véhicules de police. Ces femmes ont été ultérieurement remises en liberté.

Les arrestations et les détentions de courte durée pour des motifs politiques ont continué, tout au long de 1994, d'être le sort de nombreuses personnes. À la fin du mois de septembre, Amnesty International confirmait que plus de 100 arrestations avaient eu lieu à Khartoum.

Des militants du PCS et du parti Oumma, des journalistes, des syndicalistes, des avocats et d'autres personnes ayant organisé des manifestations antigouvernementales ont été détenus pendant des périodes allant de quelques semaines à plusieurs mois. Quatre membres d'une organisation humanitaire – des chrétiens d'Égypte [coptes] travaillant auprès des personnes déplacées dans les camps de fortune situés autour de la capitale – ont été arrêtés en avril. Trois semaines plus tard ils étaient relâchés, mais trois d'entre eux ont été expulsés du Soudan. Au moins 22 officiers à la retraite ou en service actif ont été arrêtés en juin et en juillet et, semble-t-il, accusés d'avoir fomenté un coup d'État. Tous ont été placés au secret.

Le démantèlement de la société civile

Toutes ces arrestations s'inscrivent dans le cadre de la réorganisation de la société civile que les militaires et les islamistes radicaux qui les soutiennent cherchent à effectuer. L'administration, les syndicats, le pouvoir judiciaire, l'enseignement et les médias ont tous subi des purges. Des structures institutionnelles ont été mises en place pour permettre aux partisans politiques du gouvernement d'asseoir leur influence.

Les partis politiques

Le Soudan a une longue tradition de militantisme politique. Les membres et les sympathisants des différents partis ont de ce fait constitué des cibles de choix pour les services de sécurité, les autorités cherchant à bâillonner toute opposition organisée.

Jusqu'au coup d'État de 1989, la vie politique soudanaise était dominée par deux partis politiques, chacun se référant à l'islam et étant dirigé par une dynastie familiale. Il s'agissait du parti Oumma, conduit par Sadek el Mahdi, Premier ministre lors du coup d'État, et du Parti unioniste démocratique (PUD), mené par Mohamed Osman el Mirghani. Bien que numériquement beaucoup moins important, le PCS exerçait également une influence politique en raison d'une forte activité syndicale. Il existait en outre de nombreux partis laïques plus petits, dont divers groupes de gauche, comme le Parti Baas arabe socialiste, plusieurs formations présentes dans le sud du pays et le PNS.

Lorsque les militaires ont pris le pouvoir en 1989, tous les partis politiques ont été interdits et les syndicats suspendus. Depuis lors, le gouvernement a fait savoir que des élections se tiendraient en mars 1995, mais que le Soudan ne reviendrait pas à un système politique pluraliste. Les fonds et les biens des partis politiques sont toujours confisqués.

Outrepassant l'interdiction, les principaux partis politiques sont demeurés actifs bien que clandestins. En octobre 1989, partis et syndicats ont fondé l'Alliance démocratique nationale (ADN), qui regroupe les opposants au nouveau gouvernement.

Des centaines de militants politiques et de syndicalistes ont été détenus sans inculpation, remis en liberté, puis à nouveau arrêtés. Chaque mois, de nouvelles arrestations sont effectuées. Durant le premier semestre de 1994, un grand nombre de militants de l'opposition ont été appréhendés et détenus sans inculpation dans la seule ville de Khartoum. Certains ont été relâchés au bout de vingt-quatre heures, d'autres ont passé plusieurs mois en détention.

Sadek el Mahdi, dirigeant de l'Oumma, a été détenu durant vingt-quatre heures en avril 1994, puis pendant treize jours en juin et en juillet. D'autres membres de ce parti ont été arrêtés en février. Deux d'entre eux au moins, el Fadil Adam Ismail et Abdallah Barakat – respectivement secrétaire général de l'organisation de jeunesse de l'Oumma et imam de la secte islamique des Ansar –, avaient été arrêtés à plusieurs reprises auparavant. En avril, Sarah Nugdallah, membre du comité exécutif et de la commission des femmes de l'Oumma, a été détenue durant dix semaines. Également en avril, Abdel Rasoul el Nur, ancien gouverneur de l'État du Kordofan, qui avait passé de longues périodes en détention au cours des années précédentes, a été arrêté puis remis en liberté au bout de quelques jours, avant d'être à nouveau appréhendé à la fin du mois de mai. Il a été libéré fin juin après être tombé malade. D'autres membres du parti Oumma ont été arrêtés fin mai.

Des membres d'autres partis politiques ont été appréhendés au cours du premier semestre de 1994. En février, Osman Omar el Sharif, ancien ministre de la Justice et figure éminente du PUD, a été transféré dans une "maison fantôme" de Khartoum après avoir été détenu durant onze jours dans les bureaux de la Sécurité de Wad Medani, la seconde ville du pays. Amnesty International croit savoir qu'il a été remis en liberté en avril. Il avait précédemment passé deux ans en prison, de 1989 à 1991, après avoir été reconnu coupable de corruption à l'issue d'un procès militaire inéquitable. Fin 1993, soupçonné d'être à l'initiative d'une grève de marchands à Wad Medani, il avait été détenu durant un mois.

Les militants du PCS ont sans cesse été pourchassés par les services de sécurité. Depuis 1989, des dizaines d'entre eux ont été arrêtés, détenus plusieurs mois, puis remis en liberté. Parmi les membres de ce parti appréhendés en 1994 figurent Mahjoub Mohamed Sharif, connu de tous comme le "poète du peuple", Bushra Abd el Karim, secrétaire général de l'Union de la jeunesse soudanaise, et Salah el Aalim, syndicaliste. Mahjoub Mohamed Sharif aurait été libéré au mois d'août 1994. Farouq Ali Zacharia et Salah Hassan Samerait, membres du PCS arrêtés en décembre 1992, étaient toujours en détention sans inculpation ni jugement au mois d'octobre 1994, de même que Yousif Hussein, arrêté en juin 1993.

Les syndicats

Chaque année depuis 1989, un grand nombre de syndicalistes sont arrêtés, interrogés, détenus sans inculpation, remis en liberté, puis à nouveau arrêtés.

Magdi Mohamedani, membre actif de l'Union des médecins soudanais – suspendue – a été détenu de février à avril 1994. Il avait déjà été arrêté en août 1992, ainsi que fin 1989. En mars 1994, Kamal Abdelwahab Nur el Dayem, militant de l'Union des enseignants soudanais – interdite –, a été appréhendé puis détenu jusqu'en mai. Fin 1993, il avait été obligé de se présenter quotidiennement à un bureau de la Sécurité dans le nord de Khartoum. En juin 1994, Ali el Mahi el Sakhi, président de l'Union centrale des ouvriers des fonderies, figurait parmi six militants arrêtés à Khartoum. C'était au moins la troisième fois qu'il était appréhendé. En août, des syndicalistes actifs au sein de la Compagnie des télécommunications du Soudan ont été placés en détention à la suite d'une grève.

De nombreux syndicalistes ont été arrêtés lorsque le gouvernement a cherché à mettre en place des structures syndicales qu'il puisse contrôler. Avant que l'armée ne s'empare du pouvoir, il existait des syndicats dans la plupart des secteurs de l'emploi. Les deux plus importantes fédérations de syndicats, la Fédération des syndicats des travailleurs soudanais (FSTS) et la Fédération des employés et des cadres soudanais (FECS), revendiquaient à elles deux quelque trois millions d'adhérents. En septembre1989, le nouveau gouvernement a annoncé son intention de réorganiser les syndicats.

Une Conférence pour le dialogue avec les syndicats réunissant des délégués désignés par le gouvernement a été convoquée en août 1990. La conférence a proclamé son soutien au gouvernement et déclaré que les grèves étaient « une arme de destruction et de sabotage ».

Les recommandations de la conférence ont débouché en février 1992 sur une Loi relative aux syndicats des travailleurs, loi prévoyant la nomination par le chef de l'État d'un régulateur dont les pouvoirs très étendus lui permettent d'intervenir dans les affaires intérieures des syndicats. Le régulateur est habilité à autoriser la création ou la dissolution d'un syndicat, ainsi qu'à annuler ses élections au cas où les autorités le jugeraient nécessaire. Des comités de surveillance ont été mis en place au mois de septembre 1992, et les élections syndicales ont eu lieu au mois d'octobre.

Ces élections ont été marquées par une campagne d'intimidation et d'arrestations visant à ce que les seuls candidats en lice soient des partisans avérés du gouvernement. Plus de cinquante militants syndicaux ont été arrêtés pour avoir dénoncé la façon dont se déroulaient les élections.

Parmi les syndicalistes de renom qui ont été détenus dans des "maisons fantômes" figurait Mokhtar Fadul, frère du médecin Ali Fadul, mort sous la torture au mois d'avril 1990. Durant la période des élections, d'autres syndicalistes ont été obligés de se présenter quotidiennement aux bureaux de la Sécurité. Au moins 21 d'entre eux ont dû se plier à cette contrainte jusqu'au mois de décembre 1992.

Les étudiants

Depuis le 30 juin 1989, les universités ont régulièrement connu des troubles – manifestations contre la politique du gouvernement, licenciements d'enseignants et conditions de vie et de travail déplorables –, troubles qui ont conduit à des arrestations et des expulsions. En décembre 1989, les services de sécurité ont ouvert le feu sur une manifestation d'étudiants de l'université de Khartoum, tuant deux étudiants.

Fin novembre 1990, des étudiants de l'université de El Gezira ont organisé une grève et des manifestations à Wad Medani après que le recteur, nommé par le gouvernement, eut licencié huit assistants et temporairement supprimé le système gratuit de chambre avec pension pour les étudiants. Lors de la première manifestation, les étudiants se sont regroupés devant l'hôpital de Wad Medani. Une centaine d'entre eux ont été arrêtés. Les femmes ont été relâchées au bout de quelques heures, mais 66 hommes ont été emmenés à el Farouq, un camp d'entraînement des FDP, où chacun d'eux a reçu 30 coups de fouet avant d'être remis en liberté.

Le 28 novembre, lors d'une journée d'action dans cette même ville, 34 étudiants ont été arrêtés. Dix-sept hommes et autant de femmes ont été conduits à el Farouq. Là, chacune de ces personnes s'est vu infliger 30 coups de fouet sur ordre du gouverneur adjoint de Wad Medani. Les femmes ont de plus subi l'humiliation d'être fouettées sous les yeux de leurs collègues masculins. Après que les hommes eurent été fouettés, chacun d'eux a eu la tête en partie rasée. Deux femmes au moins ont dû être hospitalisées. Des centaines d'autres étudiants ont été arrêtés sur le campus de l'université et détenus jusqu'à six jours d'affilée.

En juillet 1991, des troubles graves ont éclaté à l'université de Khartoum après que le système de chambre avec pension pour les étudiants eut été modifié. Les services de sécurité ont, une fois encore, réprimé les manifestations par la force : deux étudiants ont été tués et une quarantaine d'autres placés en détention. Quelque 13 dirigeants étudiants ont été expulsés.

En septembre 1991, l'Union des étudiants de l'université de Khartoum a été interdite. En février 1992, des étudiants ont protesté contre cette interdiction en refusant de passer leurs examens. Au cours des semaines qui ont suivi, une trentaine d'étudiants au moins ont été arrêtés. Avant la fin mai, environ 300 étudiants avaient, semble-t-il, été renvoyés de l'université.

L'interdiction frappant le syndicat étudiant a été levée fin 1993. Des élections au bureau du syndicat se sont tenues en novembre et ont été remportées par les partisans du gouvernement, accusés de fraudes massives. Trois jours de manifestations étudiantes ont abouti à des heurts avec la police, et plus de 350 personnes ont été arrêtées. La plupart ont été relâchées quelques heures plus tard, mais au moins 33 d'entre elles ont été conduites au siège de la Sécurité, où elles ont été passées à tabac. Certaines ont été détenues sans inculpation durant plus de six semaines.

Le pouvoir judiciaire

Jusqu'au 30 juin 1989, la Constitution garantissait sans équivoque l'indépendance du pouvoir judiciaire au Soudan. Depuis le coup d'État, des amendements à la Constitution, des purges, ainsi que la création d'un système de tribunaux parallèles contrôlé par les autorités militaires, ont contribué à saper cette indépendance.

Au lendemain du coup d'État, les autorités politiques se sont arrogé des pouvoirs étendus concernant la désignation des juges, notamment celle du président de la Cour suprême et des membres du Conseil supérieur de la magistrature. Cette dernière instance, auparavant indépendante, était composée de juges chargés de veiller au bon fonctionnement du système judiciaire. Plusieurs juges soupçonnés d'être en désaccord avec la politique du nouveau gouvernement ont été destitués. En août 1989, les magistrats se sont mis en grève ; ils ont soumis au gouvernement un mémorandum dans lequel ils exigeaient la dissolution des tribunaux militaires et demandaient des garanties concernant la non-ingérence des autorités dans les affaires judiciaires. À ce moment-là, 58 juges avaient déjà été révoqués à tous les niveaux du système judiciaire. Plus d'une centaine de juges ont alors démissionné pour protester contre ces mesures. Les autorités n'ont pas tenu compte de ce mouvement de protestation et ont révoqué 200 autres juges ; lles les ont remplacés par des personnes qui leur étaient politiquement acquises afin de s'assurer un pouvoir judiciaire docile.

Entre 1989 et 1991, toute une série de tribunaux d'exception ont été mis en place afin de juger les infractions à la législation d'urgence. Les tribunaux militaires créés en juillet 1989 pour juger des civils étaient présidés par trois officiers de l'armée ; les accusés n'avaient pas le droit d'être assistés par un avocat. En septembre, les tribunaux militaires ont cédé la place à des tribunaux révolutionnaires de sécurité. En décembre 1989, de nouveaux tribunaux d'exception ont été institués, d'abord à Khartoum puis, vers le milieu de l'année 1990, dans diverses régions du pays. Selon les autorités, ces tribunaux autorisaient les accusés à être assistés par un avocat et à interjeter appel. En réalité, les avocats de la défense étaient autorisés à être présents dans la salle d'audience et à communiquer avec leurs clients, mais ils ne pouvaient s'adresser au tribunal. Bien souvent les audiences ne duraient guère plus de quelques minutes. Les recours étaient formés devant le président de la Cour suprême et non evant une juridiction supérieure. Tous ces tribunaux, qui étaient habilités à connaître d'affaires politiques aussi bien que de droit commun, se caractérisaient par une procédure sommaire et inéquitable.

En juillet 1991, les autorités ont annoncé que ces tribunaux d'exception avaient été supprimés. Cette mesure n'a pourtant pas mis fin aux procès sommaires au Soudan. Des soldats et des civils accusés en août 1991 d'avoir fomenté un coup d'État ont été sommairement jugés en octobre de la même année par des cours martiales. Les autorités affirment que sur plus de 300 soldats et civils arrêtés à Juba à la mi-92 à la suite des incursions de l'APLS dans cette ville, seuls quelques-uns ont été jugés par des cours martiales. Les prisonniers condamnés par ces tribunaux font état d'audiences expéditives de quelques minutes, devant des cadres militaires ne possédant que des connaissances rudimentaires en droit, et sans possibilité d'être assistés par un avocat ou d'interjeter appel. En fait, il ne s'agit pas là de procès, mais de séances de condamnation.

Les tribunaux de l'ordre public, une catégorie particulière de tribunaux d'exception instaurée en janvier 1990 par le président de la Cour suprême, n'ont pas été supprimés. Ils ont pour tâche de juger les infractions aux lois nationales et aux arrêtés relatifs à des délits mineurs. Ces tribunaux sont habilités à infliger des amendes et à prononcer des peines de flagellation et d'emprisonnement. Ils siègent en permanence et leurs jugements, sommaires, sont rendus immédiatement.

Les avocats

Les avocats, tout comme les magistrats, ont fait l'objet de graves attaques. À l'instar d'autres associations professionnelles et de syndicats, l'ordre des avocats soudanais, qui a une longue tradition d'indépendance et de défense des droits de l'homme, a été suspendu le 30 juin 1989. Il a été remplacé par un comité d'organisation, et ses locaux ont été utilisés durant une brève période comme centre de détention. En janvier 1993, les autorités ont fait savoir que l'ordre des avocats allait devenir une union générale des avocats soudanais soumise aux mêmes contrôles que les autres syndicats créés par le gouvernement. Des élections, boycottées par les partisans de l'ancien ordre des avocats, ont eu lieu en mars 1993.

Les avocats ont été parmi les premières personnes arrêtées après le coup d'État. Au cours des années qui ont suivi, nombre d'entre eux ont été placés en détention et, pour certains, torturés. Parmi ceux appréhendés en 1994 figure Ali Mahmud Hassanein, personnalité éminente du barreau qui a joué un rôle important dans la défense, début 1994, de douze hommes accusés d'avoir voulu se livrer à des actes de sabotage. Il a été détenu durant deux semaines, une mesure d'intimidation visant semble-t-il à le dissuader d'assurer la défense lors de procès politiques. Autre cas, celui de Yousif Attiya, qui a été arrêté à Khartoum en juillet 1994, puis détenu pendant plusieurs semaines sans inculpation ni jugement.

Une presse muselée

En 1988, 20 quotidiens, 15 hebdomadaires et plusieurs revues mensuelles étaient publiés au Soudan en arabe et en anglais. Immédiatement après le coup d'État, tous les journaux ont été interdits – à l'exception de la publication des forces armées el Quwat el Musallan (Forces armées) – et plusieurs journalistes arrêtés.

En août 1989, deux quotidiens publiés par le ministère de la Culture et de l'Information, el Inqaz el Watani (Salut national) et Sudan el Hadith (Soudan moderne), ont vu le jour. Les autorités ont déclaré que les publications sportives, professionnelles et culturelles allaient être autorisées. Le mensuel d'actualités Sudanow, revue officielle en langue anglaise, a recommencé de paraître en octobre.

De nombreux journalistes et imprimeurs ont été placés en détention pendant un certain laps de temps ; d'aucuns étaient accusés d'avoir continué clandestinement à éditer des journaux interdits. En mai 1992, des journalistes soupçonnés d'avoir imprimé sous le manteau des exemplaires de el Hedaf (La Cible), journal du Parti Baas arabe socialiste, ont été arrêtés et détenus pendant des périodes allant de quelques mois à près de deux ans, en contravention, semble-t-il, aux règlements officiels relatifs à la détention. Un journaliste, Ali Ahmad Hamdan, a été détenu jusqu'en avril 1994.

En mars 1992, puis à nouveau en avril 1993, les autorités soudanaises ont fait savoir que les journaux indépendants pourraient reparaître dès qu'une législation appropriée relative aux modalités d'autorisation aurait été approuvée. Un peu plus tard, dans le courant de l'année 1993, une Loi relative aux publications et à la presse a été adoptée ; elle autorise la publication de journaux sous réserve qu'ils aient reçu l'aval du Conseil national chargé des publications et de la presse. Ce conseil, désigné par le chef de l'État, a pour mission de veiller à ce que les entités « sectaires » ou « partisanes » (en d'autres termes, les partis politiques susceptibles de s'opposer au gouvernement) ne puissent rien publier au Soudan. La Loi relative aux publications et à la presse, comme toutes les autres lois soudanaises, ne peut toutefois prévaloir sur les dispositions de la législation d'urgence.

Le premier journal indépendant du Soudan depuis le coup d'État, el Sudani el Dawliyya (Soudanais International), a commencé de paraître en janvier 1994. Son existence n'a été que de courte durée. Bien que soutenant dans l'ensemble l'idéologie du gouvernement, el Sudani el Dawliyya n'avait pas craint de critiquer certains choix politiques. Le rédacteur travaillant au service de l'information a été arrêté en février 1994 et détenu jusqu'au 19 avril. Début avril, les autorités, invoquant la législation d'urgence, ont interdit le journal. Trois journalistes ont été placés en détention jusqu'en juin, dont Mahjoub Mohamed el Hassan Erw ; ce dernier, rédacteur en chef et propriétaire du journal, s'est en outre vu retirer son mandat de député à l'Assemblée nationale transitoire, parlement soudanais provisoire dont les membres sont désignés par le gouvernement.

Mohamed Abdulsid, journaliste à el Khartoum – publié au Caire –, a été arrêté le 23 juin 1994 dans la capitale soudanaise, peu après avoir interviewé Sadek el Mahdi, dirigeant du parti Oumma. Il aurait été frappé à coups de pied et battu dans son bureau avant d'être emmené. En septembre 1994, le gouvernement a fermé les locaux de el Khartoum dans la capitale soudanaise. Mohamed Abdulsid a été remis en liberté le mois suivant.

2. Le dispositif de la répression

« Prenez garde aux larmes des orphelins et aux prières de ceux qui sont persécutés. »

Lieutenant-colonel Mustapha Ahmad Hassan el Tai, lors de son procès à Khartoum, en janvier 1994 [2]

Les autorités soudanaises ont systématiquement eu recours à la détention sans inculpation ni jugement, souvent accompagnée de tortures et de mauvais traitements, pour réduire au silence les opposants politiques réels ou supposés. Ce sont les services de sécurité qui sont chargés d'arrêter et de placer en détention ces opposants. Certains détenus, notamment les membres des forces armées soupçonnés d'avoir voulu renverser le gouvernement, ont été déférés à la justice. La procédure appliquée lors des procès militaires est toutefois manifestement inéquitable. Depuis que le pouvoir judiciaire civil a subi des purges, il est aussi à craindre que les procès politiques qui suivent la procédure judiciaire normale aient également été inéquitables.

Un vernis de légalité

Le gouvernement s'est efforcé de recouvrir les différentes formes de répression d'un vernis de légalité. En 1990, il a adopté une Loi relative à la sécurité nationale prévoyant la création d'un Bureau et d'un Conseil national de la sécurité. Cette loi confère aux agents des services de sécurité le pouvoir d'arrêter et de détenir des suspects aux fins d'interrogatoire, ainsi que celui de perquisitionner. En juin 1991, la législation a été amendée afin qu'un contrôle judiciaire soit exercé sur toute détention sans inculpation ni jugement, détention qui, auparavant, n'était ni limitée dans le temps ni soumise à une révision périodique. Même si l'état d'urgence venait à être levé, les autorités ont, par le biais de la Loi relative à la sécurité nationale, octroyé aux services de sécurité des pouvoirs très étendus qui leur permettent de réprimer la moindre opposition.

Aux termes de la législation actuellement en vigueur, les services de sécurité sont habilités à détenir une personne aux fins d'interrogatoire pendant des périodes de soixante-douze heures renouvelables jusqu'à un mois. Le suspect n'est autorisé à communiquer ni avec sa famille ni avec ses avocats. La « détention provisoire » garantissant le « maintien de la sécurité publique », détention autorisée par un conseil de sécurité, ne peut dépasser trois mois, sauf si le Conseil de la sécurité ou son représentant autorisé se déclare favorable à une prolongation de trois autres mois. Ce type de décision doit être approuvé par un magistrat. Les détenus doivent être informés des motifs de leur arrestation « à un moment opportun » après leur arrestation. « Sévices corporels » et « traitements cruels » sont interdits.

Les détenus peuvent former un recours devant un magistrat en cas de non-respect des règlements relatifs à la détention. Ce dernier « peut, après examen rapide, prendre toute décision qu'il jugera bonne pour réparer le tort commis ». Si une personne placée en « détention provisoire » a été remise en liberté par un magistrat, ou si celle-ci a été acquittée d'un crime contre la sûreté de l'État, elle ne pourra être à nouveau détenue avant un mois « sauf autorisation d'un magistrat ».

Bien que ces règlements semblent comporter des garanties protégeant les droits des détenus, celles-ci sont en réalité illusoires et n'empêchent pas les détentions arbitraires au secret ni les tortures. Les règlements sont très loin de satisfaire aux normes internationales. Les audiences qui sont accordées sont sommaires et les détenus ne sont autorisés à contester le bien-fondé de leur détention devant un magistrat que si les autorités choisissent de prolonger la période de détention. Ils ont le droit d'introduire une requête devant le Conseil de la sécurité, l'instance dont dépend l'autorisation de placement en détention, mais cela ne constitue pas un contrôle judiciaire indépendant tel que l'exigent les normes internationales.

Les purges successives qui ont affecté les services du procureur général et la magistrature montrent que le système judiciaire soudanais n'est plus indépendant du gouvernement. Les possibilités limitées de recours devant un magistrat ne peuvent se comparer à un droit d'appel devant une instance judiciaire impartiale. À la connaissance d'Amnesty International, aucun détenu n'a formé de recours pour le non-respect des règlements relatifs à la détention ou pour mauvais traitements. Les autorités prétendent qu'il n'y a donc pas de violations des droits de l'homme. Cependant, d'anciens détenus ont affirmé qu'ils n'avaient pas été en mesure de contester le bien-fondé de leur détention ni la façon dont ils étaient traités.

Torture et mauvais traitements

Torture et mauvais traitements sont monnaie courante dans les lieux de détention des services de sécurité. Passages à tabac systématiques, exercices physiques particulièrement pénibles, exposition prolongée au soleil, telles sont apparemment les méthodes considérées comme normales pour le traitement des prisonniers.

En avril 1992, Amnesty International a publié des témoignages de prisonniers qui avaient été détenus à Khartoum en juillet 1991 et qui décrivaient les tortures et les mauvais traitements qu'ils avaient subis, soit au siège de la Sécurité, soit dans des "maisons fantômes" [3] Les détenus évoquaient notamment les passages à tabac précédant leur interrogatoire, l'application de métal extrêmement chaud sur la peau, l'obligation de se rouler sur du gravier brûlant ou de demeurer complètement immobile jusqu'à vingt-quatre heures d'affilée.

On transférait les prisonniers dans des "maisons fantômes" en faisant en sorte qu'ils ne puissent savoir où on les emmenait. Par exemple, on les poussait de force sous les sièges d'un minibus ou on les faisait s'étendre, cachés sous une couverture, à l'arrière d'une camionnette, puis on les conduisait à vive allure à travers les rues de Khartoum. À la "maison fantôme" les attendait un "comité d'accueil" qui les rouait de coups avant de les enfermer dans des cellules surpeuplées. Le régime de la "maison fantôme" comportait toute une série de mauvais traitements connus sous le nom d'idara dakhlia (administration interne) ; il étaient apparemment inspirés des méthodes disciplinaires en vigueur dans l'armée et comprenaient diverses formes de contorsions physiques ou d'exercices répétitifs.

Le gouvernement a d'emblée rejeté ces témoignages. Toutefois, les personnes placées en détention au cours des années suivantes ont fait état de mauvais traitements pratiquement identiques. Un journaliste détenu durant huit mois en 1992 a affirmé avoir été torturé après que des agents des services de sécurité eurent mis sa maison à sac et découvert une liste de noms d'hommes exécutés en avril 1990, parmi lesquels figurait son beau-frère. Le journaliste et un des ses amis arrêté en même temps que lui ont été emmenés au siège de la Sécurité. Une fois inscrits sur le registre, on leur a bandé les yeux, puis on les a forcés à monter à l'arrière d'une voiture et à se tenir le visage plaqué contre le plancher. La voiture a ensuite roulé un long moment à travers Khartoum :

« Vers quinze heures, la voiture s'est arrêtée et un portail s'est ouvert, que nous avons franchi. Mon ami et moi avons été traînés hors de la voiture, puis ordre nous a été donné de lever les mains et de les appuyer contre un mur. De nombreuses personnes se sont alors mises à nous frapper sur tout le corps à l'aide de câbles électriques, de tuyaux en plastique et de morceaux de bois. Cela a duré juqu'à vingt heures, avec une interruption à dix-huit heures pour la prière du soir [...] C'est ce que l'on appelle le "comité d'accueil".

« Vers vingt-trois heures, on m'a à nouveau bandé les yeux et conduit [...] vers une destination inconnue [...] Ils m'ont dit que je devrais faire mon testament. Ils ont déclaré qu'ils allaient me jeter dans un puits et m'ont amené au bord de quelque chose. Quand ils m'ont poussé, je m'attendais à une longue chute, mais le sol n'était qu'à environ un mètre. J'ai perdu connaissance. Ensuite j'ai été [...] contraint de gravir quelques marches, puis de m'allonger sur ce qui m'a semblé être un canapé en cuir. Au bout de quelques secondes, j'ai commencé à sentir sur tout le corps de petites mais douloureuses coupures, comme faites à coups de lame de rasoir. Cela a duré environ deux heures, avec quelques pauses. À la fin, j'étais couvert de petites blessures. On m'a ramené à la "maison fantôme" vers trois heures du matin.

« Un tel traitement, consistant à devoir rester debout toute la nuit, à être parfois emmené dans l'autre endroit pour une "séance de canapé" ou bien simplement conduit à l'extérieur pour y être frappé de toutes les façons, s'est poursuivi jusqu'au mercredi suivant, soit six jours après mon arrestation. »

Le journaliste a ensuite été transféré, les yeux bandés, vers ce qui semblait être une autre "maison fantôme". À son arrivée, il a de nouveau été frappé :

« Ils ont contraint 12 d'entre nous à s'allonger sur le sol et à s'y rouler tandis qu'ils nous battaient. Ils ont aspergé d'eau le sol, qui est alors devenu boueux. Les douze autres ont reçu l'ordre de faire des sauts accroupis, comme des lapins. Il y avait une autre torture appelée sitt el aragi. Il faut tenir son oreille droite avec sa main gauche, puis passer le bras droit par la boucle formée par le bras gauche. Ensuite, le prisonnier pose l'index de sa main droite sur le sol et, les jambes tendues, doit décrire un cercle en courant autour de son doigt. S'il marche, il est roué de coups.

« Le lendemain matin [...] ils ont amené le poète el Tijani Hussein Dafa el Sid. Ce dernier saignait abondamment. À la main droite, on lui avait arraché l'ongle du médius, et il avait également une blessure à la joue, sous l'oeil droit. On l'a poussé dans notre groupe. Il n'a pas tardé à s'évanouir. »

Morts en détention

La torture et les mauvais traitements qui constituent le régime cruel des "maisons fantômes" et des bureaux de la Sécurité ont entraîné un certain nombre de morts, dont aucune n'a donné lieu à une enquête exhaustive. Le premier décès connu a été celui, en avril 1990, d'Ali Fadul, un médecin très actif au sein de l'Union des médecins soudanais, suspendue par les autorités. D'après l'autopsie officielle, qui aurait été pratiquée en l'absence de tout médecin légiste, la cause de la mort était le paludisme. Il a été déclaré à la famille qu'Ali Fadul était décédé suite à une méningite cérébrale. La famille a alors exigé une nouvelle autopsie. Celle-ci a eu lieu le 22 avril, après intervention judiciaire ; d'après les résultats la mort aurait été consécutive à une hémorragie cérébrale provoquée par un coup violent. Les services de sécurité ont refusé de rendre le corps, préférant l'enterrer eux-mêmes à la faveur du couvre-feu.

La famille a, par trois fois, tenté de déposer une plainte contre certains membres nommément cités des services de sécurité. La première plainte a été rejetée par un juge sous prétexte qu'elle était sans fondement. La seconde, adressée aux services du procureur général, a tout simplement été ignorée. À la suite de la troisième tentative, un juge a décidé que la famille devait être autorisée à consulter certains registres policiers et médicaux. Le juge a été mis à la retraite par les autorités, et l'avocat qui défendait la famille s'est vu retirer sa carte professionnelle. Répondant, en février 1994, au rapporteur spécial des Nations unies, les autorités ont persisté à affirmer qu'Ali Fadul était mort des suites d' « une grave crise de paludisme ».

D'autres morts suspectes de détenus ont eu lieu depuis lors. En novembre 1991, Mehdi Mohamed Ahmad, travaillant pour la société Shell Petroleum à Bara, est mort après avoir, semble-t-il, été roué de coups par des agents des services de sécurité qui le soupçonnaient de détourner du carburant. En juin 1992, le corps de Mohamed Abdalla Abd el Magid aurait été retrouvé au bord d'une route, à Omdourman, trois mois après que cet homme eut été placé en détention.

En avril 1994, Nadir Abdel Hamid Khairy, détenu au secret depuis décembre 1993, est décédé à l'hôpital militaire d'Omdourman des suites, apparemment, de passages à tabac répétés. Les autorités ont refusé de rendre le corps à la famille. En septembre 1994, Abdelmoneim Rahama, syndicaliste originaire de Wad Medani, est mort en détention après s'être vu refuser tous soins médicaux pour le paludisme dont il souffrait.

Sévices sexuels

D'anciens détenus ont déclaré qu'au nombre des tortures qu'ils avaient subies figuraient les menaces de sévices sexuels, voire la mise à exécution de ces menaces. En juillet 1990, un détenu incarcéré dans la prison de Kober a adressé une lettre au ministre de l'Intérieur pour se plaindre d'avoir été, en juin 1990, menacé de sodomie, alors qu'il était en détention au siège de la Sécurité à Khartoum. D'autres détenus ont raconté comment on les avait déshabillés puis verbalement humiliés. Certains ont affirmé qu'on leur avait écrasé les testicules avec des tenailles ou donné des coups d'épingle ou de tournevis dans les parties génitales.

Il est pratiquement impossible de décrire le sentiment d'avilissement qui, au Soudan, s'attache au viol, que la victime soit une femme ou un homme. En août 1993, le général de brigade Mohamad Ahmad el Rayah el Faki, alors détenu dans la prison civile de Suakin, a écrit au ministre de la Justice ; il affirmait dans sa lettre qu'à la suite de son arrestation en août 1991, pour sa participation présumée à une tentative de coup d'État, il avait été torturé et violé par des agents des services de sécurité au siège de la Sécurité à Khartoum. Il aurait en outre subi « des sévices sexuels à l'aide d'objets solides », eu les testicules écrasés par des tenailles, reçu des décharges électriques sur les parties génitales au moyen d'un aiguillon destiné au bétail, sans parler des passages à tabac et des autres formes de torture. La lettre, sortie clandestinement du Soudan, a rencontré un large écho. Les autorités ont de ce fait annoncé, en novembre 1993, qu'une enquête judiciaire était en cours ; les conclusions n'en ont outefois pas été rendues publiques.

La torture institutionnalisée

Les autorités démentent que la torture et les mauvais traitements soient des pratiques institutionnalisées, faisant valoir qu'il s'agit là de crimes aux termes du Code pénal comme de la Loi relative à la sécurité nationale. Le Document du Soudan sur les droits de l'homme, qui expose la philosophie du gouvernement concernant les droits fondamentaux, contient une virulente dénonciation de la torture. Le gouvernement affirme que la loi autorise explicitement les détenus à déposer une plainte devant les autorités judiciaires et que les accusations de torture systématique ne sont que de la propagande émanant de l'opposition politique.

Les dénégations officielles viennent contredire les témoignages de dizaines d'anciens prisonniers détenus à différentes époques dans les "maisons fantômes" ou au siège de la Sécurité. Également accablants sont les témoignages de détenus affirmant que la torture est pratiquée au su, et parfois au vu, des plus hauts responsables des services de sécurité.

Les autorités ont parfois prétendu qu'elles avaient mené des enquêtes sur des accusations de torture. En février 1993, le ministre de la Justice, qui défendait le bilan du Soudan en matière de droits de l'homme devant la Commission des droits de l'homme des Nations unies à Genève, a annoncé que 11 agents des services de sécurité accusés d'avoir torturé des détenus avaient été jugés. Le ministre n'a toutefois pas précisé la date de ces procès ni quelles avaient été les sentences prononcées par le tribunal, à l'exception d'une condamnation à mort prononcée contre un agent des services de sécurité de Sennar.

Cependant, étant donné la fréquence et la cohérence des informations faisant état de tortures, la réaction officielle ne respecte pas les dispositions des textes internationaux, notamment la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ONU, 1975). Ces instruments font obligation au gouvernement d'enquêter sur de telles informations et de prendre des mesures efficaces afin de prévenir tout acte de torture, même si les plaintes n'empruntent que rarement la voie officielle. Deux raisons peuvent expliquer l'absence de mesures de la part du gouvernement. La première, c'est que les services de sécurité opèrent hors du contrôle des personnes qui, au sein des milieux dirigeants, souhaiteraient mettre un frein à leurs pires excès. L'ancien président du Comité des droits de l'homme de l'Assemblée nationale transitoire a déclaré que les investigations menées par ce comité sur les violations des droits de l'homme étaient sans cess entravées par les services de sécurité. La seconde raison, si l'on considère les liens étroits existant entre les services de sécurité et les éléments politiques les plus puissants du régime, c'est que les autorités politiques elles-mêmes cautionnent ces violations, ou qu'elles ne désirent pas en être informées.

Procès inéquitables

Quelques détenus politiques ont été déférés à la justice. Le système parallèle des tribunaux d'exception mis en place après le coup d'État, tandis que les autorités procédaient à des purges au sein de la magistrature, était notoirement inéquitable. L'élimination en 1991 d'une certaine catégorie de tribunaux d'exception a supprimé l'un des lieux où se commettaient des violations des droits de l'homme. Cependant, les détenus politiques soudanais ont aussi été reconnus coupables à l'issue de procès inéquitables qui se sont déroulés devant des tribunaux tant militaires que civils. L'instauration d'un pouvoir judiciaire docile signifie que les détenus politiques risquent, quel que soit le tribunal qui les juge, d'être les victimes de procès inéquitables.

Procès inéquitables devant des tribunaux militaires

Les autorités ont annoncé en avril 1990 qu'elles avaient déjoué une tentative de coup d'État. Un grand nombre de soldats ont été arrêtés ; vingt-quatre heures plus tard, soit le 24 avril, 28 officiers de l'armée étaient exécutés à l'issue d'un procès au cours duquel ils n'avaient bénéficié d'aucune assistance juridique. Il semble que deux des condamnés à mort aient été arrêtés au moins trois jours avant la prétendue tentative de coup d'État ; certaines sources indiquent même qu'ils auraient été exécutés avant l'ouverture du procès. Plusieurs informations précisent en outre qu'entre 60 et 90 sous-officiers et hommes de troupe ont également été exécutés à peu près à la même époque.

Au mois de septembre 1990, 13 civils et 28 sous-officiers originaires du sud du pays et des monts Nouba ont été appréhendés. Ils étaient soupçonnés d'avoir fomenté un coup d'État. Au mois de décembre de la même année, les 13 civils ont été jugés par un tribunal militaire ; ils n'ont pas été autorisés à être assistés par un avocat ni à faire citer des témoins à décharge. Les procès n'ont duré que quelques minutes. L'un des hommes a été acquitté, mais il est resté encore dix mois en détention. Onze des 28 sous-officiers auraient été condamnés à mort, sentence commuée ensuite en détention à perpétuité. Les autres se sont vu infliger des peines d'emprisonnement.

En août 1991, les autorités ont annoncé qu'elles avaient déjoué une nouvelle tentative de coup d'État. Plus de 80 civils et officiers de l'armée à la retraite ou en service actif ont été arrêtés. Nombre d'entre eux ont été détenus et torturés au siège de la Sécurité ou dans des "maisons fantômes" de Khartoum. Le 11 octobre, 53 détenus ont été jugés par trois tribunaux militaires spécialement réunis à cette occasion. Les procès se sont déroulés durant la nuit, alors que le couvre-feu était en vigueur, et se sont donc tenus à huis clos. Les condamnations n'ont été révélées qu'au début du mois de décembre, lorsque la télévision soudanaise a diffusé un film sur les procès. Il a alors été annoncé que 11 détenus avaient été condamnés à mort, sentences commuées par la suite en détention à perpétuité. Trente-cinq autres détenus se sont vu infliger des peines allant jusqu'à vingt ans d'emprisonnement.

En juillet 1992, le gouvernement a proclamé une amnistie s'appliquant à tous les prisonniers condamnés jusqu'à quinze ans d'emprisonnement pour des crimes relatifs à la sûreté de l'État. Un porte-parole de l'armée a fait savoir par la suite que 60 officiers et plus de cinquante civils avaient été libérés. Toutefois, le nombre exact de prisonniers remis en liberté demeure sujet à caution. La liste officielle donne les noms de 59 personnes.

Dix-neuf détenus condamnés à plus de vingt ans d'emprisonnement ont vu leur peine ramenée à dix ans. Parmi les personnes maintenues en détention figuraient El Hajj Abd el Rahman Abdallah Nugdalla, personnalité marquante du parti Oumma, et le général de brigade Mohamad Ahmad el Rayah el Faki. Lors d'une conférence de presse qu'il a tenue le 27 juillet 1992 pour rendre public le décret d'amnistie, le ministre de la Justice aurait déclaré que cet acte « claquait la porte au nez de ceux qui prétendaient que les procès n'avaient pas été conformes à la justice ».

Réagissant à un rapport présenté devant la Commission des droits de l'homme par le rapporteur spécial des Nations unies, les autorités ont déclaré en février 1994 que les officiers de l'armée « qui avaient tenté de renverser par la force le gouvernement légitime [en 1990 et en 1991] » avaient été inculpés et jugés par des cours martiales convoquées selon les règles. Le gouvernement a précisé que, devant ces tribunaux, l'accusé a le droit d'être « assisté par un avocat ou par toute autre personne de son choix ». Cependant, d'après les témoignages de maints accusés jugés lors de différents procès militaires, aucun d'eux n'a pu bénéficier d'une véritable assistance juridique ni faire citer des témoins à décharge. Selon le gouvernement, une sentence prononcée par un tribunal militaire peut faire l'objet d'un « appel ou d'une révision devant des instances supérieures habilitées à l'infirmer, à la réformer ou à la confirmer ». Une disposition de la Loi relative aux forces armées du peuple prévoit la constitution, sr approbation du chef de l'État, d'une cour d'appel militaire. Il s'agit toutefois d'un tribunal ad hoc ne comportant aucune garantie en matière d'impartialité et d'indépendance judiciaires. De fait, aucun tribunal de ce type n'a eu à examiner quelque appel que ce soit émanant des 28 officiers exécutés en avril 1990, et rien ne laisse à penser que les dossiers d'autres accusés jugés lors d'autres procès militaires aient jamais été renvoyés devant une cour d'appel.

Procès inéquitables devant des tribunaux civils

Il peut sembler que le système des tribunaux civils comporte un certain nombre de garanties permettant le déroulement de procès équitables. En réalité, l'équité de ces tribunaux a été sévèrement mise à mal par l'instauration d'un pouvoir judiciaire docile aux désirs du gouvernement.

Au début de l'année 1994, le procès de 29 hommes, dont 17 par contumace, inculpés de différents chefs relatifs à la préparation d'attentats à l'explosif, a été l'un des premiers grands procès politiques après le coup d'État. (Les 17 personnes jugées par contumace, dont des hauts responsables de l'opposition politique, étaient toutes en exil.) Il s'est déroulé à Khartoum devant un tribunal d'exception réuni selon les règles régissant la procédure normale d'une haute cour. Les 12 hommes présents dans le box des accusés avaient été arrêtés en avril et en mai 1993. Parmi les avocats de la défense figuraient plusieurs membres éminents du barreau qui, pour beaucoup, avaient connu la prison. L'un d'eux, Ali Mahmud Hassanein, a été détenu durant deux semaines à l'issue du procès.

En avril 1994, cinq des accusés présents ont été condamnés à des peines allant de deux à sept ans d'emprisonnement. Les autres ont été remis en liberté. Au cours du procès, il est apparu, grâce à certains éléments précis étayés par des rapports médicaux officiels établis à la demande du tribunal, qu'au moins cinq des accusés avaient été contraints, sous la torture, à passer des aveux. C'est sur eux que reposait entièrement la thèse de l'accusation.

El Hassan Ahmad Saleh, un inspecteur des impôts de Khartoum condamné à deux ans d'emprisonnement, a témoigné de façon poignante devant le tribunal. Il a décrit la façon dont il avait été interrogé par deux des plus hauts responsables de la Sécurité, tandis que des agents le frappaient à coups redoublés avec des fouets et des bâtons :

« Ils m'ont fait entrer dans un bureau et m'ont montré des choses qu'ils avaient soi-disant trouvées chez moi. Je leur ai dit que j'ignorais tout à ce sujet [...] Ils m'ont alors fait sortir et obligé à rester longtemps debout en plein soleil, tandis qu'ils me rouaient de coups. Puis trois agents des services de sécurité m'ont ordonné de m'allonger par terre. Devant mon refus, ils se sont mis à me frapper à coups de bâton et de tuyau jusqu'à ce que je leur obéisse. Tout le temps que cela a duré j'avais les mains liées. Ensuite, ils m'ont dit de me relever et de demeurer à nouveau debout en plein soleil, pieds nus et le corps presque entièrement dévêtu. Ils m'ont battu de la tête aux pieds, et c'est alors que j'ai été grièvement blessé à l'œil gauche. Je suis devenu complètement aveugle de cet œil [...] Je pensais que j'allais mourir [...] d'autant qu'ils menaçaient [de me tuer].

« Ils ont continué à me battre jusque dans l'après-midi, puis m'ont emmené voir l'adjoint du chef de la Sécurité. Ce dernier m'a déclaré qu'il était au courant de ma blessure à l'œil, mais qu'il ne me ferait donner aucuns soins, même si je devais perdre cet œil, tant que je n'aurais pas reconnu ce qu'ils voulaient m'entendre reconnaître. Ensuite, ils m'ont enfermé dans une pièce où ils m'ont laissé, attaché debout à la porte, jusqu'au lendemain matin.

« ... Ils ont continué à me torturer malgré ma blessure à l'œil [...] Ils nous ont emmenés en voiture vers une autre maison, puis nous ont alignés contre un mur tandis que des soldats, s'adressant tour à tour à chacun de nous, nous demandaient si nous avions entendu parler des "maisons fantômes". Ils ont alors déclarés que nous nous trouvions bien dans une "maison fantôme", une maison de torture. On nous a ensuite emmenés dans des cellules et attachés à la porte. Nous sommes restés ainsi durant quinze jours, de dix heures du soir jusqu'aux prières du matin.

« Le 8 mai, ils m'ont dit que le soir même ils allaient me montrer ce qu'était l'enfer. Ils m'ont fait sortir de la cellule et l'un des gardiens [m'a torturé] jusqu'à ce que je m'évanouisse. C'est alors que quelqu'un est entré avec un fer à repasser brûlant et m'a menacé, si je n'avouais pas, [de m'appliquer le fer sur le corps...], si bien que j'ai fini par répondre à leurs questions et leur dire tout ce qu'ils voulaient. »

Le juge, tout en reconnaissant qu'au moins cinq des hommes avaient été torturés, n'en a pas moins décidé que cela n'invalidait pas leurs aveux. Une telle position est contraire aux normes internationales comme aux principes de la doctrine islamique. Des doutes sérieux subsistent quant à l'équité des condamnations.

3. Le "Salut National"

« Une révolution de salut national a eu lieu afin d'en finir avec l'image d'un Soudan incarnant l'échec, la corruption et l'instabilité, d'un pays dont la réputation est liée aux idées de pauvreté, de famine, de déplacement forcé, d'expatriation, d'humiliation et de mendicité. »

Général Omar Hassan Ahmad el Béchir, dans un discours prononcé à l'occasion du premier anniversaire du coup d'État du 30 juin 1989.[4]

L'évacuation des personnes déplacées qui ont échoué dans des camps de fortune à l'intérieur et à la périphérie de la capitale, ainsi que le regroupement forcé des enfants des rues, telles sont quelques-unes des mesures prises en vue de restaurer l'image du Soudan. Plus d'un million de Soudanais souvent recensés parmi les plus pauvres ont été directement affectés par ces mesures.

Les nouvelles orientations morales de la société soudanaise, dérivées d'une interprétation de l'islam imposée par les autorités, ont eu des répercussions sur pratiquement toute la population du nord du Soudan.

Au cœur de ces nouvelles orientations réside l'introduction d'un code pénal reposant sur une lecture gouvernementale de la charia (loi islamique). L'existence d'un code pénal fondé sur la charia est fortement contestée par nombre de Soudanais, non seulement par les non-musulmans – pour la plupart originaires du Sud et représentant environ un tiers de la population totale –, mais aussi par beaucoup de musulmans du Nord.

Les autorités ont fait savoir que le système prévoyant, dans certains cas, un châtiment ou une réparation équivalente à l'infraction (qisas), ainsi que les dispositions du Code pénal relatives aux houdoud (peines islamiques), ne s'appliquaient pas, pour l'instant, dans le sud du Soudan. [Les dispositions relatives aux houdoud reprennent de la loi islamique l'interdiction, par exemple, de boire et de vendre de l'alcool, ainsi que d'autres dispositions définissant des infractions telles que l'apostasie (riddah), le vol important [voir plus bas l'étalon utilisé] punissable par l'amputation (sariqah hadiyah), les rapports sexuels en dehors du mariage (zina) et l'accusation mensongère de débauche (qazf).] Toutefois, de nombreux non-musulmans du Sud résidant dans le Nord sont contraints de respecter le Code pénal islamique et ont, de ce fait, le sentiment d'être l'objet d'une discrimination culturelle.

Amnesty International ne prend pas position concernant l'idéologie ou les orientations politiques du gouvernement. L'Organisation ne se prononce pas non plus sur la source de droit la plus appropriée pour le Soudan, ou pour tout autre pays.

En revanche, la mission d'Amnesty International commence lorsque la mise en œuvre du programme gouvernemental entraîne des violations des droits de l'homme. Certaines peines inscrites dans le Code pénal, tout particulièrement la flagellation et l'amputation, constituent des châtiments cruels, inhumains ou dégradants aux termes des normes internationales.

Le traitement des personnes déplacées

À l'époque où le gouvernement s'est emparé du pouvoir, en 1989, Khartoum et d'autres grandes villes du Nord accueillaient plus d'un million de Soudanais venus du sud et de l'ouest du pays qui, pour beaucoup, n'étaient pas musulmans et qui avaient été chassés de chez eux par la guerre ou la famine. Les femmes, les enfants et les personnes âgées constituaient la grande majorité d'entre eux. Des camps de personnes déplacées entouraient la capitale ; les gens y vivaient dans des abris précaires, faits de toile à sac et de carton et édifiés sur des terrains vagues, voire des décharges publiques. Certains avaient amélioré leur habitat au fil du temps, élevant des constructions d'adobes aux abords de la ville.

La plupart de ces habitations avaient été construites sans permis ; elles étaient donc en principe illégales. D'origine essentiellement rurale et n'ayant reçu aucune instruction, bon nombre de personnes déplacées ont eu du mal à trouver un emploi régulier à Khartoum. Beaucoup de femmes subsistaient en se livrant à de petits trafics ou en distillant de l'alcool ; certaines en étaient réduites à mendier ou à se prostituer. Cela a valu à nombre d'entre elles d'être arrêtées et fouettées en public.

Les personnes déplacées connaissent un sort peu enviable. Le gouvernement, pour qui elles représentent un problème économique et social, a tenté de les réinstaller hors de Khartoum. En août 1989, tout en mettant publiquement l'accent sur le fait que toute réinstallation était librement consentie, le gouvernement a mis en œuvre une politique de réinstallation forcée, qui s'est accompagnée de la destruction des habitations situées dans les camps de fortune entourant la capitale. L'action gouvernementale s'est encore amplifiée en 1990. L'année suivante, des dizaines de milliers de personnes ont été réinstallées. Des camps de "transit" ont été ouverts à Djebel Aulia, à 40 kilomètres au sud de Khartoum, ainsi qu'à 12 kilomètres à l'ouest d'Omdourman dans un lieu battu par les vents, où sévit la sécheresse. Selon les témoignages d'organisations non gouvernementales, ces camps manquaient d'équipements et étaient manifestement inadéquats. À la fin de 1992, plus de 700 000 personnes avaient été chassées de la capitale Les maisons de 160 000 autres personnes ont été rasées entre août 1993 et juillet 1994 ; durant le seul mois de juillet, 60 000 personnes auraient été contraintes de partir.

Ces réinstallations s'accompagnent souvent de l'usage de la force, ou de menaces d'y recourir. Plus de vingt personnes ont été tuées alors que des bulldozers, encadrés par la police et les forces de sécurité, brûlaient et détruisaient maisons et abris de fortune. Des émeutes ont parfois éclaté après que les habitants de ces bidonvilles eurent tenté de défendre leurs lieux d'habitation. Il est arrivé que la brutalité inattendue des opérations de démolition conduites, parfois de nuit, par les autorités provoque le chaos et la perte de vies humaines.

Le regroupement forcé des enfants des rues

Le nombre croissant de personnes déplacées au Soudan a eu pour parallèle l'augmentation, à Khartoum, du nombre d'enfants des rues. Les chiffres officiels font état de plus de 25 000 enfants qui errent dans et autour de la capitale. En septembre 1992, les autorités de Khartoum ont lancé un programme destiné à retirer des rues les enfants livrés à eux-mêmes. Depuis cette date, une série d'écoles et de camps spéciaux ont été créés.

Les autorités affirment que le regroupement des enfants des rues est une mesure d'assistance publique visant à protéger ces enfants contre « les risques et les dangers multiples auxquels [ils] sont exposés, notamment la drogue, la pornographie, la prostitution et la vente d'organes » [5] Quelles que soient les intentions motivant une telle mesure, Amnesty International est préoccupée par le fait que des enfants sont arbitrairement détenus.

Selon la plupart des sources indépendantes, les enfants sont regroupés par la police de manière arbitraire, puis souvent détenus durant quelques jours dans des postes de police avant d'être envoyés dans des camps spéciaux. Le gouvernement prétend que les enfants capables de fournir des renseignements concernant leurs parents sont ramenés à ces derniers. En réalité, une fois ces renseignements fournis, aucune mesure n'est prise en ce sens. C'est pourquoi de nombreux Soudanais du Sud vivant à Khartoum accompagnent désormais leurs enfants lorsque ceux-ci se rendent dans des lieux publics, pour veiller à ce que les autorités ne s'en emparent pas.

Certaines informations font état de violences policières à l'encontre des enfants au moment des regroupements, ainsi que de châtiments cruels, inhumains ou dégradants – notamment la flagellation et la mise aux fers – lorsqu'ils tentent de s'échapper des camps. En avril 1993, 19 garçons âgés de trois à onze ans ont été regroupés dans un marché de Kalakala, un des faubourgs de Khartoum, puis emmenés vers un poste de police de Soba, dans le sud de la capitale. À leur arrivée, ils ont été accusés d'être des voleurs et roués de coups. Après quoi, ils ont été acheminés vers un camp spécial, à Soba, une sorte de "centre de sélection" semble-t-il, où les enfants sont questionnés avant d'être dirigés vers d'autres camps ou écoles. L'un des enfants a réussi à s'échapper. Les autres ont alors été battus. Quatre garçons qui avaient tenté de s'enfuir d'un camp en juin 1993 ont raconté qu'après avoir été repris ils avaient tous été fouettés, puis contraints de rester debout, les bras levés au-dessus de la tête, avec une brque dans chaque main.

Châtiments cruels, inhumains ou dégradants

Le Code pénal de 1991 comprend des dispositions concernant des peines qui violent le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Soudan a adhéré, et qui ne sont pas conformes au droit international se rapportant aux droits de l'homme. Parmi ces dispositions figurent des peines telles que la flagellation et l'amputation ; il en est également qui prévoient la mutilation ou la mort à titre de réparation. De telles peines ayant déjà été inscrites dans le Code pénal de 1983, Amnesty International n'avait pas manqué de faire connaître sa préoccupation à ce sujet à tous les gouvernements qui s'étaient succédé au Soudan depuis cette date. L'Organisation est en outre préoccupée par le recours persistant à la peine de mort.

La flagellation

La flagellation constitue un châtiment cruel, inhumain ou dégradant. À ce titre, elle est expressément interdite par le droit international relatif aux droits de l'homme. Les châtiments corporels figurent de longue date dans les codes pénaux soudanais. Le Code pénal adopté en mars 1991 comprend 18 sections consacrées à la définition d'un grand nombre d'infractions punies du fouet : quiconque se prostitue encourt une peine pouvant aller jusqu'à 100 coups de fouet, le fait de porter des vêtements contraires à la décence publique, jusqu'à 40 coups, et l'atteinte à l'ordre public, jusqu'à vingt.

Des milliers de condamnations au supplice du fouet ont été prononcées depuis juin 1989, aussi bien par des juridictions répressives inférieures ordinaires que par des tribunaux de l'ordre public. Certaines des victimes étaient des Soudanais issus de la classe moyenne, soupçonnés d'être des opposants politiques. Mohamed Mahjoub, éminent avocat d'el Fasher (une ville de l'ouest du pays) qui avait défendu des personnes arrêtées pour motifs politiques dans le Darfour, s'est vu infliger 99 coups de fouet en septembre 1992 ; appréhendé lors d'une réception à son domicile, il avait été reconnu coupable d'avoir consommé de l'alcool, joué à des jeux d'argent et fréquenté des prostituées. Il semble qu'aucune preuve de sa culpabilité n'ait pu être produite. En novembre 1993, huit hommes, dont les trois frères d'un défenseur des droits de l'homme bien connu et vivant en exil, ont reçu 40 coups de fouet à Wad Medani, après avoir été reconnus coupables de consommation d'alcool. D'autres personnalités ont subi le supplice d fouet, notamment Peter el Birish, un évêque anglican, qui a reçu 80 coups de fouet en juillet 1993, à Khartoum, après avoir été condamné pour rapports sexuels en dehors du mariage.

Parmi les personnes fouettées figuraient des centaines de femmes. Nombre d'entre elles étaient pauvres, issues de cette population de personnes déplacées installées dans les grandes villes ou à leur périphérie. Dans les camps de fortune, de nombreuses femmes originaires du Sud distillent et vendent de l'alcool pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Si l'on s'en tient à la lettre de la loi, les non-musulmans fabriquant ou vendant de l'alcool ne sont pas passibles de flagellation ; pourtant, de nombreuses informations font état de femmes fouettées pour des infractions liées à l'alcool. Début 1993, sur une courte période de trois jours, sept femmes non musulmanes, dont deux étaient enceintes, se sont vu infliger 40 coups de fouet chacune pour avoir fabriqué de l'alcool dans le camp d'el Mayo, à Khartoum. De nouvelles peines de flagellation auraient été exécutées vers la mi-94, après que les autorités de l'État de Khartoum eurent lancé une campagne visant à mettre un terme à toute fabrication t consommation d'alcool. Au cours des seize premiers jours de juin 1994, 657 personnes ont été inculpées d'infractions liées à l'alcool.

Cela n'est pas tout. Plusieurs infractions particulières inscrites dans le Code pénal, ainsi que des dispositions de certains arrêtés, comme celles définissant les normes vestimentaires, ont été interprétées de telle façon que les femmes sont tout particulièrement visées et, en conséquence, condamnées à des peines de flagellation. Le Code pénal de 1991 ne définit pas un type particulier de vêtement, mais sa section 152 qualifie d'infraction le fait de porter une tenue obscène ou contraire aux bonnes mœurs, une définition ouverte à toutes les interprétations. En décembre 1991, le gouverneur de Khartoum a présenté une série de directives générales concernant les femmes : ces dernières doivent notamment couvrir leurs cheveux et leur corps et veiller à ce que leurs habits soient suffisamment amples et opaques pour dissimuler leur formes. Des pantalons, une chemise boutonnée qui ne serait pas recouverte d'un vêtement long et ample, sont considérés comme inconvenants. En outre, les femmes devraient renoncer aux pafums, aux bijoux et aux cosmétiques. La section 152 demeurant ambiguë quant au fait de savoir si elle s'applique aux non-musulmans, quelques-uns d'entre eux ont été condamnés en vertu de cette section. Celle-ci a cependant surtout été appliquée aux femmes musulmanes.

Différents moyens sont utilisés pour faire respecter les règles vestimentaires en vigueur. C'est ainsi que les citoyens sont incités à venir dénoncer les femmes dont la tenue est contraire aux usages et que les femmes sont tenues de s'habiller "correctement" si elles veulent avoir accès à la fonction publique. En janvier 1991, des femmes travaillant dans des ministères se sont vu intimer l'ordre de porter des vêtements « convenables ». En février 1994, le ministère de l'Éducation a fait savoir que les étudiantes musulmanes devaient avoir toutes les parties du corps dissimulées à l'exception du visage et des mains.

Des femmes qui ne se conformaient pas au code vestimentaire ont été fouettées. Un femme non musulmane vivant à Omdourman a été condamnée à payer une amende et à recevoir 35 coups de fouet. Arrêtée fin 1991 pour avoir porté un pantalon, elle avait comparu devant un tribunal de l'ordre public. Voici son témoignage :

« J'ai payé l'amende, mais j'ai refusé de subir le fouet. Le juge a immédiatement fait venir un policier. Celui-ci a pris son fouet et, sans prévenir, m'a frappée dans le dos. Je bouillais de rage, et j'ai donc réagi violemment : j'ai saisi le fouet et je l'ai tordu. Deux ou trois policiers se sont alors emparés de moi et m'ont ligoté les mains dans le dos [...] puis ils m'ont fouettée tandis que j'avais les mains toujours liées.

« Ils n'avaient pas encore fini que je pleurais, et je me mis à crier le nom de Jésus. Le juge a immédiament fait interrompre la flagellation et m'a demandé : « Pourquoi as-tu dit Jésus ? Est-on ici dans une église, pour que tu invoques Jésus ? Les chrétiens n'ont rien à faire ici. Je t'interdis de prononcer à nouveau le nom de Jésus. » Puis il a dit : « Donnez-lui cinq autres coups. »

« J'étais en colère après avoir reçu mes 40 coups de fouet, et je lui ai lancé un regard haineux. Il l'a remarqué et m'a fait donner encore cinq autres coups. »

Des étudiantes ont également été arrêtées et fouettées. En décembre 1992, une étudiante de l'université pour femmes d'el Ahfad, à Omdourman, a été fouettée pour avoir été vêtue d'un pantalon. Fin décembre 1993, une étudiante de l'université de Khartoum qui portait un chemisier et une jupe s'est vu enjoindre d'aller changer de vêtements par un gardien qui se trouvait à l'extérieur de sa résidence universitaire. Devant son refus, elle a été conduite devant un tribunal de l'ordre public, où on lui a administré 25 coups de fouet.

Les femmes qui ne se plient pas au code vestimentaire s'exposent à être arrêtées sur la foi de présomptions relatives à d'autres infractions aux bonnes mœurs, également punissables de flagellation. Fin 1991, une Éthiopienne non musulmane travaillant comme domestique à Gereif a été arrêtée alors qu'elle faisait une course pour ses employeurs : on la soupçonnait d'être une prostituée. Comme l'agent était seul et en civil, la femme a résisté, croyant qu'il cherchait à l'enlever pour la violer. Elle a déclaré avoir été détenue toute la nuit dans un poste de police avec 15 autres femmes qui avaient été arrêtées alors qu'elles tentaient de trouver un moyen de transport pour rentrer chez elles. Toutes ont été injuriées et humiliées par les policiers. Le lendemain, le tribunal de l'ordre public les a accusées d'être des prostituées :

« Le juge est arrivé et s'est contenté de relever nos noms, un par un. Après quoi, il a condamné chacune d'entre nous à 40 coups de fouet. Il ne nous a donné aucun conseil, ne nous a même pas demandé les raisons de notre présence. Il est simplement resté assis un moment, a pris nos noms, puis nous a condamnées à 40 coups de fouet chacune. Derrière les portes et les fenêtres, nous apercevions les policiers qui se moquaient de nous. »

L'amputation et les autres formes de mutilation

Au Soudan, le premier code pénal à inclure l'amputation à titre de châtiment judiciaire a été introduit par le gouvernement de Gaafar Nemeiry en septembre 1983, d'où son appellation : "lois de septembre". Entre octobre 1983 et avril 1985, date à laquelle le gouvernement a été renversé par un coup d'État militaire, plus de 140 amputations ont été opérées. Les "lois de septembre" sont demeurées en vigueur jusqu'au nouveau code pénal introduit en 1991. Bien que les tribunaux aient continué, après avril 1985, à prononcer des peines d'amputation en vertu des "lois de septembre", il ne semble pas que les condamnations aient été exécutées.

Dans le Code pénal de 1991, certaines sections prévoient toujours des peines d'amputation. Les sections 167 et 168 définissent l'infraction de banditisme (haraba) et les peines qui s'y rapportent, notamment l'exécution du condamné ou l'exécution suivie soit d'un crucifiement public s'il y a eu meurtre ou viol, soit de l'amputation de la main droite et du pied gauche si la victime a été grièvement blessée ou si le vol atteignait un montant suffisant. Les sections 170 et 171 définissent le vol important (sariqah hadiyah) et la peine qui s'y rapporte, à savoir l'amputation de la main droite. L'étalon utilisé pour qualifier un vol d'important est la valeur d'une unité d'or pesant 4,25 grammes.

En septembre 1993, le porte-parole officiel de la magistrature a annoncé que les tribunaux avaient appliqué des houdoud (peines islamiques) sans rendre publiques les sentences. Il est difficile de savoir si cela se réfère au prononcé des peines d'amputation ou à leur exécution. Amnesty International a appris que deux peines d'amputation de la main droite avaient été prononcées à Sennar le 5 septembre 1991 et qu'une condamnation à une amputation croisée (main droite et pied gauche) avait été prononcée à el Fasher le 19 septembre 1991 ; l'Organisation ignore, cependant, si ces peines ont été exécutées. Il semble cependant que quelques sentences l'aient été. Le directeur de l'administration pénitentiaire du Soudan a confirmé en mai 1994, dans une interview, qu'il avait été procédé à des amputations dans la prison de Kober, à Khartoum.

Le Code pénal de 1991 prévoit également le droit de qisas, c'est-à-dire le droit donné à la famille d'une victime de choisir, dans certains cas de meurtre ou de lésions corporelles graves, que l'auteur délibéré de ces infractions se voie infliger le même traitement que celui qu'il a fait subir.

En 1986, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture déclarait en conclusion : « Les peines corporelles considérées comme des « sanctions légitimes » dans la législation nationale peuvent constituer, aux termes du droit international, « une douleur ou des souffrances aiguës ». Il faut donc que ce type de châtiment soit révisé de manière à éviter la torture, notamment les amputations, la canne ou le fouet. » [6]

Dans son rapport présenté au début de 1994 à la cinquantième session de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, le rapporteur spécial sur le Soudan a attiré l'attention sur ces éléments de la législation soudanaise qui, a-t-il déclaré, sont « absolument incompatibles avec les dispositions des conventions internationales auxquelles le Soudan est partie » [7] Le gouvernement a répondu en accusant le rapporteur d'attaquer l'islam.

La peine de mort

Il existe toute une série d'infractions pour lesquelles la peine de mort peut être prononcée, notamment les actes de guerre contre l'État, l'apostasie, le meurtre et le viol commis par une personne mariée [8] La pendaison est en général le mode d'exécution utilisé pour les personnes reconnues coupables aux termes du Code pénal. Quelques exceptions toutefois : les personnes déclarées coupables de banditisme accompagné de meurtre ou de viol sont crucifiées après avoir été pendues jusqu'à ce que mort s'ensuive ; les personnes condamnées pour adultère sont exécutées par lapidation ; dans les cas de meurtre, il peut être fait appel au droit de qisas (châtiment ou réparation équivalents) ; enfin, les personnes reconnues coupables de crimes tombant sous le coup de la Loi de 1986 relative aux forces armées, comme la mutinerie, sont ordinairement passées par les armes.

Jusqu'à leur suppression en 1991, les divers tribunaux d'exception prononçaient des sentences capitales contre des personnes reconnues coupables de différents crimes de droit commun, tels le détournement de fonds, la contrebande de devises et le trafic de drogue. Quatre hommes au moins ont été exécutés après avoir été condamnés par des tribunaux d'exception. C'est le cas du pilote Giorgis Yustus, condamné à mort en décembre 1989 pour contrebande de devises, et exécuté en février 1990. Tout comme d'autres personnes déclarées coupables par des tribunaux d'exception, il a été condamné à l'issue d'une audience sommaire et n'a pas eu le droit d'interjeter appel. Les soldats et les civils condamnés à la peine capitale par des tribunaux militaires n'ont pas non plus le droit de former un recours.

Les hautes cours ont également prononcé des condamnations à mort, dont certaines ont été exécutées. En 1991, au moins 14 personnes reconnues coupables d'infractions de droit commun ont été pendues. L'une d'elles, Ibrahim Dubara Mongho, a été exécutée puis crucifiée à el Fasher, dans l'ouest du Soudan : cette personne avait été reconnue coupable du meurtre de 20 personnes et du vol de plusieurs chameaux, chevaux et têtes de bétail lors de l'attaque d'un village. En septembre 1994, un ressortissant libyen qui avait attaqué une mosquée à la mitrailleuse en février a été condamné pour le meurtre de 16 personnes et pendu à Khartoum.

Ces dernières années, de nombreux détenus accusés de crimes politiques, et condamnés à mort, ont vu leur sentence commuée en une peine d'emprisonnement. Cela a notamment été le cas en décembre 1991 pour 11 hommes déclarés coupables de tentative de coup d'État. Le général de brigade Nasr Hassan Nasr, ancien diplomate à l'ambassade du Soudan en Arabie saoudite, a également bénéficié d'une commutation de peine. Arrêté en décembre 1991, il avait été reconnu coupable d'espionnage par un tribunal militaire en mai 1992. Sa sentence a été commuée en détention à perpétuité en février 1993. Un autre homme, reconnu coupable d'avoir participé à l'attaque de la mosquée en février 1994, et condamné à mort, a vu sa peine commuée en dix ans d'emprisonnement.

Amnesty International est, en toutes circonstances, opposée à la peine de mort, qu'elle considère comme une violation du droit à la vie et du droit de ne pas être soumis à un traitement ou un châtiment cruel, inhumain ou dégradant. L'Organisation accueille donc avec satisfaction toutes les commutations dont celles évoquées ci-dessus. Elle demeure toutefois préoccupée par le fait que la peine de mort est toujours inscrite dans la législation, que les tribunaux continuent à prononcer des sentences capitales et que des exécutions ont encore lieu au Soudan.

4. La destruction du sud

Dans le sud du Soudan, près de trois millions de personnes ont été chassées de chez elles. Elles sont regroupées autour des villes, grandes ou moyennes, à proximité des centres d'aide alimentaire mis en place par les Nations unies et les organisations humanitaires, ainsi que dans des camps de réfugiés installés dans les pays limitrophes. Des communautés entières ont dû gagner des terres appartenant à leurs voisins, ce qui a entraîné un accroissement des conflits sociaux.

La guerre a pour théâtre le sud du Soudan et des régions adjacentes situées plus au nord, comme les monts Nouba, le sud de la province du Nil bleu et le Darfour méridional. Toutes les parties impliquées dans le conflit ont fait preuve d'une même cruauté dans leurs attaques contre les civils. Ces actions ne sont pas simplement les conséquences indirectes de la guerre, mais le résultat de tactiques délibérées visant à tuer les non-combattants, à les chasser de leurs terres, à piller et détruire leurs moyens de subsistance. Il en est résulté un véritable désastre humanitaire.

Les forces gouvernementales, cherchant à déstabiliser ou à reprendre le contrôle des régions tenues par l'opposition armée, ont délibérément pris pour cible la population rurale et les camps de personnes déplacées. L'armée de terre et des milices, notamment les Forces de défense populaire (FDP) et des groupes paramilitaires constitués sur la base de critères ethniques, ont participé aux attaques. Dans les monts Nouba, des communautés entières ont été déplacées de force vers de prétendus « villages de la paix » situés hors de la zone de conflit et placés sous le contrôle de l'armée et des FDP.

Les deux principales factions rebelles – l'APLS-Courant principal dirigée par John Garang de Mabior et l'APLS-Unifiée conduite par Riek Machar Teny-Dhurgon – s'en sont également prises aux civils, dans le cadre des luttes sanglantes sévissant au sein du mouvement. La statégie de ces factions consistant à dresser les communautés les unes contre les autres, l'engrenage des représailles en est l'inéluctable conséquence.

Le nombre de morts au sein de la population civile et de communautés entièrement détruites à cause de la guerre est difficile à évaluer en l'absence de toutes statistiques fiables. L'étude la plus exhaustive des données disponibles avançait le chiffre de plus de 1,3 million de personnes ayant trouvé la mort entre le mois de mai 1983, date où la guerre a éclaté, et mai 1994 [9] Les Nations unies estimaient en 1994 qu'il faudrait fournir au cours de l'année une aide alimentaire d'urgence à 2,4 millions de personnes touchées par la guerre et que 5,2 millions de personnes auraient besoin d'une forme ou d'une autre d'assistance [10]

Le mépris des droits de l'homme a non seulement entraîné un grand nombre de morts parmi les civils, mais aussi parmi les combattants capturés sur le champ de bataille que chaque partie au conflit exécute systématiquement. La faction APLS-Courant principal a arrêté au sein de ses propres rangs des dissidents connus, dont bon nombre ont été torturés et certains délibérément tués. Pratiquement aucune mesure n'a été prise à l'encontre des auteurs d'atteintes aux droits de l'homme, pas plus du côté du gouvernement que de celui des deux factions de l'APLS.

Le fait que les atteintes massives aux droits fondamentaux se perpétuent ne doit pas amener à considérer que la page est tournée pour les atrocités passées. Quatre gouvernements successifs ont décidé de poursuivre la guerre et se sont rendus coupables de violations des droits de l'homme. Nombre de fonctionnaires, hommes politiques et responsables militaires aujourd'hui aux postes de commande avaient de hautes responsabilités au sein des administrations précédentes. D'autres forment la principale opposition démocratique au régime militaire. Si le Soudan doit enfin connaître une paix juste et durable, il est nécessaire que tous les hommes politiques soudanais se penchent sérieusement sur la question des atteintes aux droits fondamentaux.

Les origines du conflit

La guerre actuelle a éclaté en 1983, mais ses racines plongent profondément dans l'histoire soudanaise. Avant même que le Soudan ne devienne indépendant, en 1956, la crainte de voir le Nord étendre sa domination politique, économique et culturelle sur le Sud était très largement répandue. À l'indépendance succéda rapidement une guerre civile opposant les forces gouvernementales à des rebelles séparatistes connus sous le nom d'Anyanya. Environ 500 000 personnes, pour la plupart des civils, trouvèrent la mort dans cette guerre. En 1972, un accord de paix fut conclu accordant l'autonomie régionale au sud du Soudan. Les monts Nouba demeuraient administrativement dans le Nord.

Cet accord a été suivi de onze années d'une paix instable. Le Nord comme le Sud ont été touchés par le déclin économique, tandis que les effets conjugués de la récession mondiale, les hausses spectaculaires du prix du pétrole et l'importante réduction de l'aide et des investissements en provenance du Moyen-Orient mettaient en évidence la faiblesse de l'économie soudanaise. Au début des années 80, le Soudan s'est retrouvé prisonnier d'une dette qui ne faisait que croître, les principaux créanciers étant les pays occidentaux et le Fonds monétaire international. Le gouvernement était balloté d'une crise politique à l'autre, situation à laquelle il répondait par une répression accrue.

Pendant ce temps, diverses factions du sud du Soudan représentant des intérêts antagonistes se disputaient le contrôle du gouvernement régional du Sud, paralysant progressivement tout pouvoir de décision au niveau de la région. En 1980, des voix s'élevèrent pour exiger que le sud du pays soit redivisé en trois régions autonomes, provoquant une crise politique qui amena les autorités centrales à imposer dans cette partie du territoire un gouvernement militaire provisoire. Les partisans d'une redivision voyaient dans celle-ci un moyen de réduire le pouvoir d'hommes politiques issus des ethnies dinka et nuer – les plus importantes communautés du Sud –, qu'ils accusaient d'incompétence et de corruption. Les opposants dénonçaient cette redivision comme une violation de l'accord ayant mis fin à la guerre contre les Anyanya.

En 1978, la découverte de champs de pétrole dans la région marécageuse du Haut-Nil et alentour a transformé le potentiel économique du sud du Soudan. En raison de l'effervescence politique qui régnait alors, cette découverte a immédiatement suscité des soupçons parmi les habitants du Sud, qui craignaient de ne pas bénéficier équitablement des retombées d'une telle manne. Tout au long de l'année 1981, la tension politique n'a cessé de croître au Nord comme au Sud, conduisant à l'arrestation de plusieurs centaines d'opposants au gouvernement. En mai 1982, une coalition politique représentant les intérêts d'habitants du Sud favorables à la redivision a remporté les élections régionales. En mai 1993, le président, confronté à une opposition politique grandissante dans le Nord, annonçait la redivision du sud du pays en trois régions autonomes. Au même moment, des unités de l'armée à Bor et à Pibor se mutinaient et allaient se réfugier dans la brousse. En juillet 1983, quelque 3 000 soldats avaient déserté. Deux mos plus tard, les "lois de septembre" étaient promulguées, ce qui, au yeux de nombreux habitants du Sud, venait confirmer leurs pires craintes au sujet de la domination culturelle du Nord. À la fin de l'année, l'APLS avait été constituée sous la direction de John Garang de Mabior, ancien officier de l'armée régulière, et la guerre éclatait pour de bon.

La place de la religion dans la guerre

De nombreux commentateurs tendent à définir la guerre au Soudan comme un affrontement opposant Arabes et Africains, habitants du Nord et habitants du Sud, musulmans et chrétiens. De telles simplifications ne permettent pas vraiment de comprendre la complexité des clivages politiques qui sous-tendent ce conflit. La guerre en cours n'est pas cantonnée dans le Sud. Certaines des pires violations des droits de l'homme ont été commises dans les monts Nouba ; cette zone, qui ne dépend pas du Sud sur le plan administratif, est peuplée d'environ un million d'habitants, dont beaucoup se considèrent comme Africains. Tandis que le sentiment aigu d'une discrimination raciale de la part des autorités centrales vient alimenter les griefs d'un grand nombre d'habitants du Sud et de personnes qui, dans d'autres régions du Soudan, revendiquent leur origine africaine, il est des Soudanais qui se considèrent comme Arabes mais luttent aux côtés de l'APLS ; il est également de nombreux Soudanais du Sud et de Nouba qui combattent dns les rangs des troupes gouvernementales.

La religion est une question sensible. Les intégristes de tous bords, musulmans ou chrétiens, ont exploité cet aspect religieux, auquel ils accordent une importance déterminante dans la poursuite du conflit. Les autorités centrales, pour leur part, s'efforcent d'imprimer à la société soudanaise une nouvelle orientation morale. Parmi les mesures mises en œuvre à cet effet figurent l'imposition, dans le nord du pays, du Code pénal de 1991 – qui est fondé sur une interprétation gouvernementale de la charia (loi islamique) – et la mise en application de codes stricts concernant la moralité publique. Bien que les peines et les infractions émanant spécifiquement de la doctrine islamique ne soient pas applicables dans le Sud, de nombreux Soudanais du Sud, surtout ceux vivant dans le Nord, considèrent la mise en œuvre du Code pénal de 1991 comme la confirmation, aux yeux du pouvoir, de leur statut de citoyens de seconde classe. Le gouvernement fait d'ailleurs expressément appel au sentiment religieux en qualifiant laguerre en cours de djihad, c'est-à-dire de guerre sainte menée contre ceux qui ne croient pas à l'islam. Les partisans des factions de l'APLS, quant à eux, définissent parfois leur rébellion comme une résistance chrétienne face à la propagation de l'islam. L'on trouve, néanmoins, des musulmans et des chrétiens dans les deux camps.

Si le conflit ne peut être ramené à des questions de race ou de religion, il n'en demeure pas moins que, dans les régions touchées par la guerre, les attitudes racistes et le fanatisme religieux influent de façon caractéristique sur le comportement de certains individus, notamment ceux détenant quelque pouvoir et exerçant leur ascendant sur d'autres personnes. Les antagonismes ethniques et l'intolérance sont à l'origine de certaines des plus flagrantes atteintes aux droits de l'homme dans le pays.

Les violations des droits de l'homme dans les régions en guerre

Le gouvernement militaire qui s'est emparé du pouvoir en 1985 et le régime civil qui, en 1986, lui a succédé ont tous deux poursuivi la même politique consistant à lutter contre l'APLS en ayant recours à des milices. Cette stratégie a vu le jour en 1984, lorsque le gouvernement du président Gaafar Nemeyri a noué des liens avec des rebelles dénommés Anyanya Deux, essentiellement composés de Nuer du Haut-Nil. En 1985, des milices ont été recrutées au sein des ethnies du Haut-Nil et de l'Équatoria. Ces milices n'étaient guère plus que des hordes d'hommes indisciplinés, armés par le gouvernement et ne subsistant que grâce au pillage, auquel ils se livraient en toute impunité. Les miliciens se sont rendus coupables d'attaques sanglantes contre des civils d'autres ethnies, ainsi que du meurtre de membres de leurs propres communautés soupçonnés de soutenir l'APLS ou d'être hostiles aux activités des milices.

Malgré l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement civil en 1986, on a assisté à une dramatique recrudescence des violations des droits de l'homme. Le recours aux milices a pris encore de l'ampleur. De nouvelles forces ont été constituées, qui se sont rendues coupables d'atteintes flagrantes aux droits fondamentaux. Tout au long de l'année 1987 à Wau, la plus grande ville du Bahr el Ghazal, les troupes régulières et les milices issues de la communauté fertit ont enlevé et assassiné des centaines de civils dinka. Ces atrocités ont connu un point culminant avec le massacre de plus d'un millier de civils, en août et en septembre, commis à titre de représailles semble-t-il, suite à une attaque au missile contre un avion militaire.

Jusqu'en 1987, une activité militaire particulièrement intense s'est développée dans le Haut-Nil où l'APLS, qui disposait d'importantes bases arrière en Éthiopie et du soutien du régime d'Addis-Abeba, s'est opposée aux Anyanya Deux dans un affrontement sanglant. Fin 1987, toutefois, une proportion importante d'Anyanya Deux se sont ralliés à l'APLS, qui a alors consolidé sa position en Équatoria oriental et acheminé de nouvelles forces vers les monts Nouba et le Bahr el Ghazal.

Entre 1985 et 1988, le nord du Bahr el Ghazal a été dévasté par une série d'offensives menées par les Murahaleen, une milice recrutée parmi les Rizeiqat et les Misseriya, des tribus nomades du Darfour méridional et du Kordofan méridional. Les Murahaleen, qui ne disposaient au départ que de leurs propres armes, ont peu à peu noué des liens étroits avec les forces armées et le parti Oumma, qui est historiquement le plus puissant parti dans l'ouest du Soudan. Leurs attaques se sont soldées par le massacre de milliers de civils dinka, des viols, l'enlèvement de femmes et d'enfants, le vol de bétail et la destruction de fermes ; les conséquences en ont été une grave famine dans le nord du Bahr el Ghazal et le déplacement de centaines de milliers de civils, dont bon nombre ont échoué dans les bidonvilles de Khartoum et alentour.

Plus que par des considérations politiques, les Murahaleen étaient mus par le désir de se ménager un accès aux pâturages de saison sèche le long du fleuve Bahr el Arab – traditionnellement partagés avec les Dinka – et par la perspective de s'emparer de têtes de bétail. Leurs raids ont néanmoins été lancés au moment où l'armée cherchait à déstabiliser une population considérée comme soutenant l'APLS. De très nombreuses accusations ont dénoncé la collusion des unités de l'armée avec les milices. Les autorités politiques ne sont intervenues à aucun moment.

Dans le même temps, les force armées se sont rendues coupables de tortures et de meurtres à l'encontre de civils et de combattants faits prisonniers sur le champ de bataille, dans les zones en proie à la guerre. En décembre 1986, 22 soldats de l'APLS capturés par les forces gouvernementales dans le Haut-Nil ont été exécutés. En 1987 et 1988, dans les monts Nouba, des soldats ont effectué de nombreuses exécutions extrajudiciaires. Des ouvriers agricoles issus des communautés dinka, meban, uduk et shilluk ont été arrêtés fin 1987 et début 1988, après la prise de la ville de Kurmuk, dans le Nil Bleu, par l'APLS. Nombre d'entre eux auraient été torturés et victimes d'exécutions extrajudiciaires. Tous ces faits se sont produits alors qu'un gouvernement démocratiquement élu était au pouvoir, et que relativement peu de violations des droits de l'homme étaient signalées dans les régions épargnées par la guerre.

Lorsque les militaires ont accédé au pouvoir, en 1989, l'APLS contrôlait presque tout le sud du Soudan. Au cours des deux années qui ont suivi, le mouvement armé a encore conquis des territoires dans l'Équatoria occidental, le Bahr el Ghazal, ainsi que le long de la frontière éthiopienne. Les forces gouvernementales, peu à peu encerclées, détenaient les trois grandes villes de Juba, Wau et Malakal, plus une poignée de garnisons de moindre importance éparpillées dans le Sud. Même dans les monts Nouba, où le contrôle de l'APLS était le plus faible, les forces gouvernementales demeuraient généralement cantonnées dans Kadugli et quelques autres petites villes.

Le gouvernement actuel a poursuivi la stratégie consistant à se servir de milices. Les Murahaleen sont allés renforcer les rangs des Forces de défense populaire (FDP), directement placées sous le contrôle des autorités militaires. Les troupes des FDP se sont à maintes reprises rendues coupables de flagrantes violations des droits de l'homme dans les monts Nouba. Elles ont lancé des attaques dans le nord du Bahr el Ghazal et ont été utilisées pour chasser des civils de leurs terres situées des deux côtés de la voie ferrée reliant le Nord au Sud, un axe de ravitaillement militaire vital pour le gouvernement. Il semble que dans le nord du Bahr el Ghazal et les monts Nouba, les FDP soient autorisées à tuer en toute impunité.

À la mi-91, avec la chute du gouvernement éthiopien, l'APLS perdait son principal fournisseur d'armes et toute possibilité d'utiliser l'Éthiopie comme refuge. Les troupes de l'APLS et des centaines de milliers de réfugiés ont alors fui ce pays et gagné la province du Haut-Nil.

Des milliers d'enfants ayant vécu dans des camps figuraient parmi les fuyards. Nombre d'entre eux étaient orphelins ; d'autres avaient été séparés de leurs parents par l'APLS, sous prétexte de leur donner une éducation. Ces "mineurs non accompagnés" ont fini par rejoindre les camps de réfugiés installés au Kénya. L'APLS a été accusée d'avoir enrôlé de force des "mineurs non accompagnés", ainsi que d'autres enfants. La crise a aggravé les divergences internes de l'APLS et, en août 1991, les commandants de l'APLS du Haut-Nil ont fait scission, quittant le mouvement principal pour former la faction Nasir, laquelle a par la suite fusionné avec d'autres groupes dissidents de l'APLS pour constituer la faction APLS-Unifiée. La guerre entre les deux factions de l'APLS (APLS-Courant principal et APLS-Nasir) a éclaté presque immédiatement. Cette division politique a placé le mouvement dans une position défensive, particulièrement dans la région reculée des monts Nouba, laissant la voie libre vers le Sud aux troupes gouernementales.

Depuis la fin de 1991, le gouvernement a remporté de grands succès militaires en concentrant tous ses efforts contre la faction APLS-Courant principal. Début 1992, les troupes régulières ont repris les villes de Bor, Pochala et Pibor dans le Haut-Nil, de Yirol dans le Bahr el Ghazal et de Torit dans l'Équatoria oriental, cette dernière ville revêtant une importance stratégique. La faction APLS-Courant principal a riposté en renforçant son siège devant Juba, principale ville du Sud, dont elle s'est presque rendue maître la même année. À la suite d'incursions de l'APLS dans Juba vers la mi-92, des civils et des déserteurs présumés de l'armée régulière ont été victimes d'exécutions extrajudiciaires imputables aux forces gouvernementales. En outre, des centaines de personnes ont "disparu".

En juillet 1993, le gouvernement a lancé une offensive sur la rive occidentale du Nil blanc, dans l'Équatoria oriental, bombardant des cibles civiles entre Morobo et Yei et déplaçant quelque 75 000 personnes. En 1994, il a déclenché une attaque massive sur la rive orientale dans le but de verrouiller la frontière ougandaise. En février, plus de 100 000 personnes vivant dans des camps au nord de la ville frontalière de Nimule ont été contraintes de fuir devant l'avancée des forces gouvernementales. En juin, la ville de Kajo-Kaji, sur la rive occidentale du Nil, a été reprise après être restée plusieurs années sous le contrôle de l'APLS. Dans le même temps, les forces gouvernementales étaient actives dans le Bahr el Ghazal, entre Tonj et Thiet. Il est à nouveau apparu que les civils étaient pris pour cibles principales : les troupes régulières incendiaient chaque village qu'elles rencontraient sur leur route.

Dans les monts Nouba, le gouvernement militaire a mis en œuvre une politique consistant à évacuer de force les villages, puis à réinstaller les civils dans de prétendus « villages de la paix » placés sous le contrôle de l'armée et des FDP. Au cours de ces attaques, les milices se sont rendues coupables d'exécutions extrajudiciaires, de viols et d'enlèvements de femmes et d'enfants.

La création d'une dépendance humanitaire

Depuis 1983, des millions de ruraux se sont réfugiés dans les pays limitrophes ou ont été déplacés dans leur propre pays. Les violations flagrantes des droits de l'homme commises ont, au même titre que les catastrophes naturelles, poussé ces personnes à fuir, les réduisant à survivre d'une maigre nourriture glanée dans la brousse, ou grâce à l'aide alimentaire dispensée principalement par les Nations unies et des organisations humanitaires non gouvernementales.

Les épreuves subies par l'ethnie uduk sont une terrible illustration de ce processus.

En décembre 1986, l'APLS a entrepris des opérations dans le sud de la province du Nil bleu. Au cours de l'année qui a suivi, les offensives lancées tant par les forces gouvernementales que par les milices rufaa contre la population non arabe du sud du Nil bleu, soupçonnée par les autorités de soutenir l'APLS, ont conduit à un exode massif des Uduk. Environ 25 000 d'entre eux ont fui vers l'Éthiopie ; nombre de ceux qui n'ont pas fui ont été tués.

En décembre 1989, le camp de réfugiés uduk en Éthiopie est tombé aux mains du Front de libération oromo (FLO), un groupe rebelle en lutte contre le gouvernement éthiopien et qui bénéficierait de l'appui des troupes soudanaises. Les Uduk ont alors à nouveau fui pour retourner au Soudan. En chemin, ils ont non seulement essuyé le feu des partisans du FLO, mais ont été bombardés par l'aviation soudanaise ainsi que par l'armée, qui soupçonnait la présence de soldats de l'APLS parmi eux. Des centaines d'autres sont morts de faim ou de maladie au cours d'un périple de 250 kilomètres à travers le Soudan. Ils tentaient de rejoindre les centaines de milliers de réfugiés des camps situés dans la région de Gambéla, en Éthiopie.

Ils ne sont guère restés longtemps dans ces camps. En juin 1990, comme la situation se détériorait dans la région de Gambéla, quelque 400 000 réfugiés, dont les Uduk, sont retournés au Soudan. Ils ont alors été bombardés par l'aviation soudanaise. Les Uduk se sont dirigés vers les territoires aux mains de l'APLS et ont été installés sur des terres appartenant à l'ethnie nuer. Là, ils ont été harcelés par les soldats de l'APLS.

En mai 1992, la faction APLS-Nasir a accepté de réinstaller les Uduk aux alentours de Kigille, à l'est de Nasir. Une fois encore, ils ont été la cible de harcèlements de la part des soldats de l'APLS, qui se sont emparés du peu de biens qui leur restaient. Des Uduk et d'autres réfugiés du Nil bleu ont tenté de quitter Kigille pour retourner chez eux. À la mi-92, deux groupes de plusieurs dizaines de personnes se sont mis en route. L'un d'eux est tombé dans une embuscade tendue par les troupes de l'APLS ; les hommes ont été tués, les femmes et les enfants enlevés. Plusieurs milliers de Uduk ont ensuite quitté Kigille et marché vers Itang, en Éthiopie.

En juillet 1992, un grand nombre de Nuer, parmi lesquels figuraient des soldats de l'APLS, ont attaqué Itang, tuant plus de 200 Éthiopiens des montagnes. Les Uduk ont alors dû s'enfoncer à l'intérieur de l'Éthiopie. Ceux qui ont survécu se trouvent à l'heure actuelle dans un camp de réfugiés situé dans la région de Gambéla. Au cours des huit dernières années, ils ont parcouru plus de 1 000 kilomètres, la plupart du temps à pied, pour tenter d'échapper à la guerre. Ceux qui ne sont pas morts doivent leur survie à l'aide alimentaire.

Meurtres et "disparitions" à Juba

En juin et en juillet 1992, la faction APLS-Courant principal a lancé sur Juba, la plus grande ville du Sud, deux importantes offensives, qui ont été suivies d'exécutions extrajudiciaires et de "disparitions" imputables aux forces gouvernementales. Du point de vue des droits de l'homme, ces événements prennent un sens particulier. La plupart des violations imputables aux forces régulières sont commises dans des villes de garnison inaccessibles ou des zones rurales reculées. Or les événements de Juba ont eu lieu dans une grande ville, sous les yeux de nombreux témoins. Comment ne pas craindre le pire de la part des militaires dans des endroits où il y a fort peu de chances que les auteurs de violations des droits de l'homme aient à répondre de leurs actes.

Lors des attaques de l'APLS, un certain nombre de soldats de l'armée régulière ont changé de camp. En reprenant le contrôle de la ville, les forces gouvernementales ont répliqué en exécutant de façon extrajudiciaire des civils et des soldats de l'APLS capturés au cours de perquisitions systématiques dans toutes les maisons. Plus de 290 soldats, policiers, gardiens de prison, membres des forces paramilitaires rattachées au service de la Faune, et des personnalités de la ville ont en outre été arrêtés [11] Parmi toutes ces personnes, environ 80 seraient encore en prison ou auraient été remises en liberté. La plupart d'entre elles ont "disparu", et tout porte à croire que la majorité d'entre elles ont été sommairement abattues. Le gouvernement n'a toujours pas rendu compte du sort des personnes "disparues".

Parmi les faits parvenus à la connaissance d'Amnesty International figure le meurtre d'un certain nombre de civils, tués alors que les forces gouvernementales progressaient de maison en maison dans les faubourgs évacués par l'APLS, à la recherche des rebelles qui pouvaient encore s'y trouver. Tous ceux qui opposaient une résistance, ainsi que les hommes jeunes soupçonnés d'avoir combattu dans les rangs de l'APLS, étaient emmenés et abattus. D'autres personnes ont été froidement exécutées par des soldats qui les avaient arrêtées dans la rue. On sait aussi qu'au lendemain du premier assaut de l'APLS quarante soldats chargés de la défense anti-aérienne de l'aéroport de Juba ont été victimes d'exécutions extrajudiciaires.

Le gouvernement affirme qu'un certain nombre des personnes arrêtées à Juba ont comparu devant des tribunaux militaires. Neuf détenus auraient été condamnés à des peines d'emprisonnement. En septembre 1992, des représentants du gouvernement ont reconnu qu'Andrew Tombe, employé soudanais de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), et Mark Laboke Jenner, qui travaillait pour la Commission européenne, avaient été exécutés à Juba à la mi-août 1992 après avoir été déclarés coupables de trahison.

Dans quelques cas, le gouvernement a donné des informations sur les prisonniers qui se sont avérées soit contradictoires, soit fausses, mais la plupart du temps, il n'a tout simplement fourni aucune explication sur leur sort. Parmi les personnes "disparues" figurent Kennedy Khamis, agent des douanes, arrêté en juin 1992 après s'être rendu au quartier général de l'armée à Juba pour rechercher son fils dont il était sans nouvelles, et Joseph W.D. Wai, un géologue revenu au Soudan fin 1991 après plusieurs années d'études aux Pays-Bas. Il est à craindre que les 55 prisonniers au sujet desquels le gouvernement a fourni quelques éléments d'information, ainsi que les quelque 150 autres sur le sort desquels les autorités se sont tues jusqu'à présent, aient été exécutés soit de façon extrajudiciaire, soit à l'issue d'audiences sommaires.

En novembre 1992, à la suite de protestations de la communauté internationale et devant la menace d'un blâme aux Nations unies, le gouvernement a mis sur pied une commission, placée sous la présidence d'un juge de haute cour, pour « enquêter sur les événements qui s'étaient produits dans la ville de Juba en juin et en juillet ». Le mandat de la commission d'enquête n'ayant pas été clairement défini, il est impossible de savoir avec certitude si les violations des droits de l'homme dont étaient accusés les agents de l'État devaient être au centre de cette enquête, ni même si elles entraient dans les attributions de la commission. En juin 1993, Ali el Nasri, le rapporteur, a annoncé qu'il s'était rendu à Juba et que son rapport serait remis au gouvernement avant la la fin du mois. Il a précisé que « la commission [n'avait] découvert aucun élément prouvant que les tribunaux militaires ou l'armée avaient commis des irrégularités ». Au mois de septembre 1994, le président du Comité des droits de l'homme de l'Assemlée nationale transitoire a déclaré à Amnesty International que le rapport avait été transmis au gouvernement, mais qu'il n'avait pas été rendu public.

Le rapporteur spécial de l'ONU sur le Soudan a fait part de sa vive préoccupation concernant les violations des droits de l'homme perpétrées à Juba et, à la fin de 1993, il a soumis aux autorités une liste de prisonniers "disparus". En février 1994, le gouvernement a déclaré que la commission d'enquête attribuait le retard pris dans la présentation de son rapport au « flot continuel des listes » de prisonniers, rejetant, semble-t-il, la responsabilité sur le rapporteur des Nations unies.

Le gouvernement a critiqué le rapporteur spécial pour n'avoir pas évoqué le « conflit qui faisait rage dans et autour de la ville, et [d'avoir choisi] de présenter ce conflit comme des représailles menées de sang-froid par le gouvernement ». Les termes de « représailles menées de sang-froid » ne s'en appliquent pas moins très exactement à de nombreuses "disparitions" et exécutions extrajudiciaires qui ont eu lieu à l'issue de procès sommaires. Beaucoup de violations des droits de l'homme signalées ont été commises plusieurs jours, voire plusieurs semaines, après que l'APLS eut été repoussée.

"Disparitions" à Khartoum

Les personnes arrêtées pour collaboration présumée avec l'APLS à Juba n'ont pas toutes été appréhendées dans le Sud. Des personnes originaires du Sud ont également été arrêtées à Khartoum. Camillo Odongi Loyuk, ancien soldat occupant un poste important dans la fonction publique, a ainsi été arrêté dans la capitale le 1er août 1992. Il n'était arrivé de Juba que depuis quelques jours, dans l'intention, semble-t-il, d'inscrire ses filles dans une école. Des agents des services de sécurité l'ont emmené vers une destination inconnue. Le 12 septembre, Camillo Odongi Loyuk a été conduit dans une "maison fantôme" de Khartoum. Il a été attaché par des menottes aux barreaux d'une fenêtre. Une corde avec un nœud coulant se resserrant à chaque mouvement était passée autour de ses testicules. Il a été roué de coups. Les jours suivants, il s'est vu refuser eau et nourriture. Il est mort le 15 septembre.

George Oketch, lieutenant-colonel dans les forces paramilitaires rattachées au service de la Faune, a été arrêté à Khartoum le 30 juillet 1992. Personne ne l'a revu depuis, malgré une rumeur persistante selon laquelle il aurait été ramené à Juba. Les capitaines Abalang et Lako, également attachés au service de la Faune, auraient été arrêtés en septembre. On ignore ce qu'ils sont devenus.

Le traitement des soldats de l'APLS capturés

« Un soldat de l'APLS avait été blessé à Muniki, un faubourg de Juba. Il est entré dans une maison où il y avait une femme. Celle-ci lui a demandé de partir, elle l'a supplié. Elle avait des enfants. Il a promis de partir à la nuit tombée. Elle a fait venir un ami pour qu'il aille chercher de l'aide afin de soigner le blessé. Cet ami est allé tout droit chez les militaires [de l'armée régulière]. Ils ont encerclé la maison et ont appelé la femme, qui est apparue sur le seuil. Ils l'ont alors frappée, sont entrés dans la maison et ont traîné le soldat dehors. Puis ils l'ont abattu. Le cadavre est resté là deux ou trois jours avant que des gens n'osent venir l'enterrer. » Le témoin du meurtre d'un soldat de l'APLS, en juillet 1992.

Il n'existe pratiquement aucune information précise concernant le sort des combattants capturés dans les zones de conflit. Il est toutefois notoire qu'il y a peu de prisonniers maintenus en détention dans ce conflit. Il semble qu'il en soit ainsi parce que le gouvernement exécute régulièrement tout combattant capturé si celui-ci ne peut être utilisé aux fins de renseignements. Les soldats de l'APLS qui se rendent volontairement aux forces gouvernementales sont apparemment moins souvent exécutés.

En juin 1992, sept soldats blessés appartenant à l'APLS, et capturés à Juba, ont été torturés dans un bâtiment proche du quartier général de l'armée, appelé la "Maison Blanche". Les militaires leur ont lié les bras et les jambes derrière le dos, puis les ont suspendus au plafond durant plusieurs heures. Ils ont ensuite frotté leurs blessures avec du piment rouge et les ont sauvagement battus, avant de les achever d'une balle.

La torture dans le sud du Soudan

Les personnes arrêtées et détenues par les services de renseignements de l'armée, les FDP ou d'autres services de sécurité dans le sud du Soudan risquent fort d'être torturées. Cela est particulièrement vrai pour les combattants de l'APLS capturés. Les rapports les plus complets faisant état de tortures dans les zones de conflit sont parvenus de Juba ; mais le recours à de telles pratiques n'est pas, tant s'en faut, l'apanage de cette seule ville. En mars 1993, 32 hommes originaires de régions aux mains de l'APLS auraient été arrêtés et torturés après s'être rendus à Aweil, une ville sous contrôle gouvernemental, pour y chercher de la nourriture. On leur a coupé les testicules et tranché les oreilles. Vingt-deux seraient morts.

À Juba, plusieurs lieux sont tristement célèbres comme centres de torture : il y a la "Maison Blanche", mais aussi une caserne située près du pont sur le Nil Blanc, connue sous le nom de "Bataillon motorisé", ainsi que le siège des services de la Sécurité intérieure. Une personne arrêtée au début de 1992 pour avoir été trouvée en possession de tracts antigouvernementaux a décrit comment elle avait été torturée à la "Maison Blanche", puis enfermée dans une pièce en compagnie de 25 autres hommes et femmes : « Tous portaient des traces de torture. L'un d'eux avait des brûlures sur tout le corps. Sa peau avait été marquée au fer rouge. »

En 1993, les autorités de Juba, conscientes des répercussions au niveau international suscitées par l'existence de la "Maison Blanche", avaient cessé de l'utiliser comme centre de détention.

Bien que les forces gouvernementales soient parvenues avant la fin de 1992 à repousser l'APLS à un certain nombre de kilomètres de Juba, plusieurs rapports continuaient à faire état de tortures. Au mois de mai 1993, un haut fonctionnaire originaire de Kapoeta a été arrêté et torturé par des volontaires des FDP du nord du Soudan, après que quelqu'un eut déchargé son arme à proximité de leur caserne. En cette occasion, des responsables des forces armées sont intervenus pour faire libérer cet homme.

Selon de nombreux rapports, des membres des services de renseignements de l'armée et des FDP, ainsi que des soldats, torturent les personnes qu'ils arrêtent dans les monts Nouba. Outre les coups, les méthodes de torture utilisées dans cette région consistent, entre autres, à enfiler la tête du prisonnier dans un sac contenant de la poudre de piment et à l'attacher.

Un ancien détenu a décrit une autre méthode appelée « l'avion qui décolle » : « Les coudes du prisonnier sont liés à ses genoux et une perche en bois est glissée dans l'interstice. On le laisse ainsi suspendu pendant des jours. Les gardiens lui donnent très peu à boire et le fouettent sans cesse. »

Parmi les prisonniers morts sous la torture figurent Mohamed Hamad et Ramadan Jaksa, tous deux originaires de Dilling. Khalifa Naway, un mineur de cinquante et un ans, et Shaib Sabreya, paysan de vingt-sept ans d'el Maryam, auraient été torturés dans la région de Tima par des soldats qui les auraient ensuite accusés d'être membres de l'APLS. En avril 1992, Ismael Sultan et Sheikh Hamdin, un chef traditionnel de Katla, au sud de Dilling, seraient morts sous la torture à el Obeid. Ahmad Nasser aurait été arrêté à Dilling en mai 1992, puis délibérément rendu aveugle avant d'être relâché.

5. L'exploitation de l'ethnicité

Les forces en présence, que ce soit le gouvernement ou l'APLS, ont exploité les différences ethniques et les rivalités concernant l'accès aux ressources, dressant ainsi les communautés les unes contre les autres et provoquant des atteintes massives aux droits de l'homme. Cette exploitation de l'ethnicité a été un trait dominant de la guerre à travers tout le sud du Soudan, mais ce chapitre portera essentiellement sur deux zones géographiques particulières : la région du nord du Bahr el Ghazal, principalement peuplée de Dinka et de Lwo, et les monts Nouba dans le Kordofan méridional.

La guerre cachée dans le nord du Bahr el Ghazal

Une guerre en grande partie ignorée se livre dans le nord du Bahr el Ghazal depuis 1992. L'armée régulière et les Forces de défense populaire (FDP) ont utilisé la tactique de la terre brûlée pour chasser les civils installés au voisinage de la voie ferrée reliant le Nord au sud du Soudan. Cette ligne, importante stratégiquement, est utilisée par le gouvernement pour le transport de troupes, d'équipements militaires et de nourriture à destination des garnisons. L'armée et les FDP se sont rendues coupables d'un très grand nombre d'exécutions extrajudiciaires, de prises d'otages civils, de viols, d'enlèvements de femmes et d'enfants, de destructions de villages et de vols de bétail. D'après de nombreux rapports, les femmes et les enfants enlevés seraient emmenés vers l'ouest du pays et réduits en esclavage. Tant les forces gouvernementales que les soldats de l'APLS ont pillé des trains transportant l'aide alimentaire des Nations unies qui utilisent la même ligne de chemin de fer.

Cette ligne représente autant un espoir de salut qu'une menace pour les civils dinka et lwo. Depuis le milieu jusqu'à la fin des années 80, des dizaines de milliers de civils ont fui le long de la voie ferrée pour échapper à la famine et aux ravages causés par les Murahaleen. En 1992, les forces gouvernementales ont ouvert la ligne aux trains transportant des armes et de la nourriture. À la mi-93, le Programme alimentaire mondial (PAM) a commencé à utiliser la voie ferrée pour acheminer de l'aide alimentaire vers Wau et Aweil, les principales villes du nord du Bahr el Ghazal sous contrôle gouvernemental, et vers les régions rurales aux mains de la faction APLS-Courant principal.

Si les trains du PAM voyagent sans escorte militaire, les trains gouvernementaux, eux, sont particulièrement bien défendus. Chaque train est accompagné par des soldats à pied qui le précèdent et d'autres qui marchent à sa hauteur, ainsi que par des membres des FDP à cheval. Ils se déploient de façon à ratisser une large bande de territoire de part et d'autre de la voie ferrée, pourchassant civils et soldats de l'APLS. De nombreux civils ont ainsi été tués aveuglément, des femmes et des enfants enlevés, des biens et des troupeaux pillés, des récoltes sur pied et des habitations détruites.

Toute cette zone est ravagée par la famine, provoquée non seulement par la guerre, mais aussi par plusieurs années de sécheresse et d'inondations successives. Des parachutages de nourriture sont effectués, dans le cadre de l'opération Lifeline Sudan (OLS) des Nations unies, sur plusieurs points situés à l'écart de la voie ferrée, et un certain nombre d'organisations non gouvernementales gèrent des centres fournissant une aide alimentaire. Cette assistance n'est toutefois pas suffisante en regard des besoins. Des civils sous-alimentés et désespérés se retrouvent face à un choix impossible : soit ils restent à proximité de la voie ferrée dans l'espoir d'obtenir un peu de nourriture des trains qui passent, mais au risque de se faire tuer par les FDP, soit ils s'éloignent de la ligne pour tenter de glaner une maigre nourriture sur des terres qui ne leur appartiennent pas.

L'APLS prétend informer les civils sur la nature des trains, à savoir s'il s'agit de convois alimentaires de l'ONU ou de trains gouvernementaux. L'information ne s'est cependant pas toujours avérée exacte, et des villageois du sud d'Aweil, interrogés par Amnesty International en juin 1994, ont fait part de leur défiance à l'égard de l'APLS – qui, d'ailleurs, a elle-même pillé des trains de nourriture non escortés.

Lorsque les forces régulières ont ouvert la voie ferrée en 1992, les combats faisaient rage entre le gouvernement et l'APLS au nord d'Aweil. Des unités des FDP ont été envoyées pour attaquer les villages et les campements d'éleveurs dinka. Des représentants du gouvernement ont déclaré qu'environ 85 000 personnes avaient été déplacées. Les Dinka ont affirmé que des combattants des FDP avaient enlevé 46 garçons, et 150 jeunes femmes « qu'ils s'étaient partagées pour s'en faire des épouses ». Trente enfants au moins auraient été kidnappés par des miliciens qui s'étaient placés à l'affût le long de la voie ferrée tandis que la population fuyait vers le Nord.

Tout cela n'était que l'avant-goût de méthodes devenues par la suite familières. En février et en mars 1993, un autre train, qui aux dires du gouvernement transportait de la nourriture, a pris la direction du Sud escorté par quelque 3 000 miliciens des FDP et soldats des forces régulières.

Tout au long de la voie ferrée, ces hommes se sont rendus coupables d'exécutions extrajudiciaires, de viols et d'enlèvements ; lorsque le train est retourné vers le nord en avril, de nouvelles violations des droits de l'homme ont été commises. Les FDP auraient tué des civils entre les villes de Malual et d'Aweil, et violé un grand nombre de femmes déplacées à Meiram. Sur le trajet du retour, les FDP auraient capturé et sommairement exécuté des villageois lwo originaires d'Akongdair et de Pankuel. Plus de 300 femmes et enfants ont été enlevés en différents endroits le long de la ligne de chemin de fer. Des Soudanais du Sud occupant des fonctions officielles à Aweil sont apparemment parvenus à libérer beaucoup de captifs. Il semble toutefois qu'aucune mesure n'ait été prise à l'encontre des membres des FDP responsables de meurtres, de viols ou d'enlèvements.

Un autre train militaire a emprunté la ligne en juin et en juillet 1993. À mesure que le convoi progressait vers le Sud, les troupes des FDP se déployaient, tuant les adultes, enlevant les enfants, détruisant les récoltes et pillant le bétail. Un témoin a décrit des exécutions extrajudiciaires qui ont eu lieu à la gare de Panjap, au sud d'Aweil : « Les cavaliers [FDP] nous ont fait danser. Nous sommes allés à la gare et ils nous ont donné des cacahouètes, puis ils nous ont fait danser. Ensuite, ils nous ont dit de partir. Nous avons parcouru une courte distance et ils sont arrivés par derrière, venant du train. Ils nous ont tiré dessus. Nous avons couru dans les hautes herbes. Garang Akol, un jeune homme, a été tué. De même que Acuor et Geng Can. »

Quatre homme âgés auraient été victimes d'une exécution extrajudiciaire à la gare de Kanji, à environ 65 kilomètres plus au Sud.

En février 1994, le rapporteur spécial des Nations unies sur le Soudan a déclaré qu'en arrivant à Wau le train avait à son bord 217 enfants enlevés. Ils ont été détenus dix-sept jours à la gare de Wau, les autorités ne faisant pratiquement rien pendant que le train et les FDP se trouvaient là. Le train est ensuite reparti vers le Nord. Les autorités locales d'Aweil seraient alors intervenues pour faire libérer quelque 150 enfants, sans toutefois prendre aucune mesure à l'encontre des FDP. Quand le train est arrivé dans la région de Korrok, 19 enfants ont encore été capturés. Il semble qu'on soit toujours sans nouvelles de quelque 80 enfants.

En janvier 1994, un autre convoi militaire a emprunté la ligne de chemin de fer, se heurtant à une forte résistance de l'APLS au sud de Malual. Des victimes sont à déplorer dans les deux camps. Des informations ont en outre fait état de graves violations des droits de l'homme. À Wedweil, les troupes gouvernementales auraient capturé trois hommes et leur auraient coupé la main droite. À Magai, à 25 kilomètres à l'est de la gare de Kanji, sept personnes auraient été exécutées de façon extrajudiciaire et le village incendié par les troupes des FDP. Quelque 30 000 personnes ont été déplacées.

En mai 1994, un train de l'ONU transportant de la nourriture est parti de l'ouest du pays. Le convoi a été pillé tant par les soldats du gouvernement que par les combattants de l'APLS : il est arrivé vide en gare d'Aweil. Ce fut alors un engrenage d'événements tragiques : des civils lwo du sud de la ville, ignorant que le train de l'ONU avait été pillé et se trouvait encore à Aweil, ont marché vers la voie ferrée et sont tombés sur un convoi militaire qui, flanqué d'une puissante escorte, se dirigeait vers le Sud. Des meurtres et des enlèvements ont eu lieu dans chaque gare des régions qui n'étaient pas sous contrôle gouvernemental, et des milliers de civils ont été chassés de chez eux par les cavaliers des FDP.

Un homme de la région d'Akongdair, à 25 kilomètres à l'est de la voie ferrée, a décrit ce qui s'est produit à la gare de Panjap, après que la population eut été encerclée par les FDP : « L'un d'eux a alors dit : "Tirez-leur dessus". Tout le monde s'est mis à courir et la fusillade a commencé. Ako Lual a été tué. Il était marié et père d'un petit enfant. D'autres ont été emmenés, dont on est sans nouvelles. Akol Bol manque à l'appel. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé. »

Environ 50 personnes seraient mortes à Mondit, la gare suivante, dans une zone échappant au contrôle du gouvernement. Par ailleurs, plusieurs hommes et femmes ont été enlevés et contraints d'accompagner le convoi vers le Sud, à l'évidence pour servir d'otages afin de prévenir toute attaque de l'APLS. Les hommes et les femmes étaient répartis en deux groupes. Un certain nombre de femmes auraient été violées, et tant les hommes que les femmes ont été frappés par des soldats exigeant des renseignements sur l'APLS dans cette zone. Les captifs ont ensuite reçu l'ordre de courir, les soldats ouvrant le feu sur eux. Durant trois jours, toute la région alentour a subi les raids des FDP.

Deng Dut, un vieillard originaire de Bahr Mayen, a déclaré avoir été emmené à la suite du train qui continuait sa route vers le Sud :

« Les soldats nous ont alignés, puis se sont mis à nous interroger : "Où est l'APLS ?" Nous ne savions pas. Ils ont commencé à frapper. Je ne pouvais pas courir, j'étais trop faible. Je suis tombé. Les soldats tiraient sur les personnes qui couraient. J'ai vu les soldats abattre deux personnes qu'ils avaient blessées. Makuei Geng a été frappé à la tête par un bâton. Madut Maan a été frappé avec une hache. Certains blessés ont réussi péniblement à s'enfuir et sont allés se faire soigner dans les dispensaires des villages. »

Des événements similaires se sont produits plus loin sur la ligne, à Gana et à Kanji. Quelque 30 civils ont été abattus par les troupes gouvernementales.

Les violations flagrantes et répétées des droits de l'homme perpétrées le long de la voie ferrée montrent clairement que les forces régulières ont pris délibérément pour cible la population civile. Les autorités n'ont engagé aucunes poursuites contre les auteurs d'exécutions extrajudiciaires, de viols et autres atteintes aux droits de l'homme.

Le gouvernement n'a pas nié que les soldats et les FDP se soient rendus coupables de violations flagrantes des droits fondamentaux. En novembre 1993, le gouvernement a répondu au rapport provisoire du rapporteur spécial des Nations unies sur le Soudan en affirmant que les trains empruntant cette ligne étaient puissamment armés parce que les autorités s'étaient engagées à défendre les convois d'assistance contre les attaques de l'APLS. Dans leur réponse, les autorités accusent le rapporteur spécial de laisser entendre que « le gouvernement [devrait] laisser la population civile mourir de faim plutôt que de combattre les rebelles qui bloquent les convois d'approvisionnement ». Le gouvernement a certes parfaitement le droit de défendre ses trains, mais il ne peut aucun cas le faire dans le cadre d'opérations militaires comportant des meurtres et des mauvais traitements délibérés à l'encontre de la population civile, comme c'est le cas dans le nord du Bahr el Ghazal.

Le caractère systématique des violations flagrantes des droits de l'homme le long de la voie ferrée suscite par ailleurs un certain nombre de questions concernant le programme d'assistance des Nations unies au Soudan. Ces questions ont trait à la surveillance et à la mise en œuvre de garanties de sécurité tant par le gouvernement que par l'APLS.

Il est en outre important de veiller à ce que les populations locales soient bien informées du passage des trains spécialement affectés au transport de la nourriture destinée à une distribution publique.

L'utilisation du chemin de fer pour faire parvenir l'aide alimentaire a compliqué une situation déjà difficile pour la population de la région. On ne peut tenir l'organisation des Nations unies pour responsables de la manière d'agir du gouvernement ou de l'APLS.

Il est évident qu'en juin 1994, en tout cas, les garanties de passage sans risque négociées par l'ONU n'ont pas permis d'assurer la sécurité de la population civile, et que l'information à destination de la population civile n'a pas correctement circulé.

Le sort des femmes et des enfants enlevés dans le nord du Bahr el Ghazal

Il a été signalé à maintes reprises que des femmes et des enfants avaient été capturés et détenus par les FDP dans l'État du Bahr el Ghazal. Comme les enfants enlevés dans les monts Nouba par les FDP, ces personnes, dont la détention est arbitraire et motivée, semble-t-il, par leur origine ethnique, seraient emmenées dans le Darfour et le Kordofan pour y être réduites en esclavage.

Cette pratique de l'esclavage, bien établie au Soudan au siècle dernier, a été pratiquement abolie au XXe siècle. Cependant, la politique gouvernementale consistant à armer des communautés locales afin qu'elles s'en prennent à leurs voisines a fait renaître le commerce d'esclaves. Il semble que les FDP de l'ouest du pays considèrent comme butin de guerre légitime les enfants qu'ils capturent. Les enfants qui se sont échappés ont parlé des nouveaux noms qui leur avaient été donnés, de leur conversion forcée à l'islam ainsi que des travaux agricoles et domestiques auxquels ils avaient été astreints. Les femmes et les adolescentes qui sont kidnappées courent le risque d'être violées ; nombre d'entre elles ont été contraintes de devenir des concubines.

Le gouvernement dément vigoureusement les accusations selon lesquelles les enlèvements de femmes et d'enfants, et les sévices consécutifs, se feraient avec l'approbation officielle. Le Code pénal contient d'ailleurs des dispositions interdisant l'enlèvement, le kidnapping et le travail forcé. Dans le nord du Bahr el Ghazal, des fonctionnaires locaux ont libéré des enfants tombés aux mains des FDP. Il semble cependant qu'une fois les enfants emmenés loin du sud du pays ou des monts Nouba, leurs chances d'être libérés grâce à des interventions officielles soient considérablement réduites.

Les parents qui tentent de localiser leurs enfants doivent le faire par leurs propres moyens, une entreprise difficile et potentiellement dangereuse dans la mesure où les propriétaires d'esclaves, dans le contexte de la guerre civile, les considèrent comme des ennemis. Si, comme cela arrive parfois, les enfants sont retrouvés, les parents peuvent tenter d'acheter leur libération. Certains parents ont fait traduire des propriétaires d'esclaves en justice et, dans quelques cas, ont pu récupérer leurs enfants.

En août 1993, répondant aux préoccupations formulées par le Comité des droits de l'enfant des Nations unies, le gouvernement s'est contenté de nier l'existence de l'esclavage :

« Des situations qui n'ont rien à voir avec l'esclavage ont été, à tort, assimilées à de l'esclavage. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a des conflits tribaux, des querelles concernant les pâturages et les points d'eau dans certaines régions où les territoires de différentes tribus se chevauchent. Il en résulte que la tribu impliquée dans un conflit capture des membres de l'autre tribu ou des autres tribus, en attendant le réglement du différend selon les conditions et les coutumes tribales. » [12]

En définitive, la question de savoir si le fait d'enlever des femmes et des enfants et de les maintenir en servitude domestique porte le nom d'esclavage ou s'apparente à quelque autre pratique sociale est un débat sans objet. Le gouvernement admet, dans sa réponse au Comité des droits de l'enfant, que des personnes sont victimes d'enlèvement. Les auteurs de ces actes sont des membres des forces armées et des milices des FDP, à la solde du gouvernement. En conséquence, la question est de savoir quelles mesures prennent les autorités afin de garder le contrôle sur leurs forces, d'empêcher de telles pratiques et d'y remédier lorsqu'elles se manifestent. Les témoignages indiquent que le gouvernement, dans le meilleur des cas, ferme les yeux sur l'enlèvement et la détention arbitraire de femmes et d'enfants dont se rendent responsables des personnes agissant en son nom.

Une politique de dévastation dans les monts Nouba

Les Nouba du Kordofan méridional occupent une place à part dans la guerre que connaît le Soudan. Leur identité politique est celle d'une minorité africaine au sein de ce que nombre d'entre eux estiment être une société dominée par les Arabes. Beaucoup de Nouba affirment que, de tous ceux qui, au Soudan, se considèrent comme Africains, ils sont les plus exposés au risque d'une éventuelle domination politique et culturelle du Nord arabe.

Les Nouba constituent une mosaïque d'ethnies parlant plus d'une cinquantaine de langues de la même famille et partageant une culture et une identité communes. Du point de vue économique, ce sont de petits cultivateurs sédentaires qui exploitent la terre des nombreuses collines dominant les plaines du Kordofan méridional. Le christianisme et l'islam sont tous deux bien représentés parmi ces populations.

Durant une décennie, le gouvernement a lancé des offensives contre les Nouba. Il a eu recours aux Murahaleen et aux FDP recrutés parmi les Hawazma et les Misseriya (deux ethnies qui font paître leurs troupeaux dans les plaines s'étendant entre les collines) pour attaquer les villages nouba soupçonnés de sympathies à l'égard de l'APLS et massacrer des civils en toute impunité. Parallèlement, les troupes régulières tuaient des villageois, arrêtaient et assassinaient des Nouba appartenant aux classes instruites.

Les opérations militaires anti-insurrectionnelles se sont soldées par la mort de milliers de civils nouba et le déplacement forcé de dizaine de milliers d'autres vers de prétendus « villages de la paix », situés dans des zones sous contrôle gouvernemental. Des femmes ont été violées, d'autres, ainsi que des enfants, enlevés. La destruction des maisons, des réserves de grain, du bétail et des récoltes a provoqué une famine dans les zones rurales, situation aggravée à dessein par des actions militaires destinées à couper du monde extérieur les régions échappant au contrôle du gouvernement. L'approvisionnement en denrées alimentaires et l'aide humanitaire ont en revanche afflué dans les villes contrôlées par le gouvernement, afin d'inciter les populations à quitter les zones tenues par l'APLS. Les autorités ont cependant empêché les organisations non gouvernementales internationales et les instances de l'ONU de mettre en place des programmes d'assistance dans la région.

Des centaines de dirigeants et de militants politiques nouba ont été arrêtés, notamment d'anciens membres du Parti national du Soudan (PNS), essentiellement composé de Nouba. Un grand nombre d'entre eux ont "disparu", le gouvernement n'ayant pas révélé leur sort. La plupart des arrestations ont été opérées dans le Kordofan méridional, mais des Nouba ont également été appréhendés à Khartoum et dans d'autres grandes villes du Nord.

Le djihad (guerre sainte) contre les Nouba

La tactique consistant à s'attaquer directement aux civils a pris de l'ampleur après que les autorités militaires régionales eurent déclaré la guerre sainte à la faction APLS-Courant principal en janvier 1992. Au même moment, le gouvernement commençait à mettre en place les « villages de la paix », où les personnes déplacées en raison du conflit ont été réinstallées de force.

En janvier 1992, Omar Suleiman Adam, gouverneur adjoint chargé des affaires relatives à la pacification et la réinsertion dans l'État du Kordofan, annonçait que les autorités avaient créé 22 « villages de la paix » destinés à accueillir 90 000 « réintégrés » qui avaient abandonné l'APLS. Le gouvernement désigne sous le terme « réintégré » toute personne ayant quitté une région contrôlée par l'APLS. Omar Suleiman Adam a déclaré que ces villages faisaient partie d'un plan plus vaste visant à absorber 500 000 personnes. Le gouvernement a présenté cette initiative comme un projet de développement pour le Kordofan méridional. Les « villages de la paix » étaient en fait essentiellement des camps de personnes déplacées situés dans le Kordofan septentrional, très loin des localités dont sont originaires les Nouba, ou des camps installés à proximité d'exploitations agricoles mécanisées aux abords des montagnes. En septembre 1992, le gouvernement a révisé à la baisse sa politique de réinstallation des Nouba. Omar Suleian Adam a annoncé qu'il n'était plus question que de créer 89 « villages de la paix », destinés à recevoir 143 000 « réintégrés ».

En 1992, les montagnes s'étendant à l'Ouest, entre Lagowa et Dilling, d'où sont originaires les tribus kamda, tuleishi, katla et tabaq – qui appartiennent toutes à la communauté nouba –, ont été le théâtre d'intenses opérations militaires gouvernementales. C'est ainsi qu'en février 1992 les troupes des FDP ont massacré 25 villageois dans la région d'el Faus. En mars et en avril, plus de 40 civils ont subi le même sort dans les environs du djebel Tabaq.

Le gouvernement et l'APLS ont conclu un accord de cessez-le-feu en juin 1992. Toutefois, les homicides délibérés et arbitraires perpétrés par l'armée et les FDP se sont poursuivis à el Faus. Au mois de juin, 11 civils y ont été massacrés et, en juillet, une unité des FDP attaquait le village d'Oma, tuant cinq hommes et une femme.

Un ancien agent des services de sécurité du Kordofan qui a assisté, en juillet et en août 1992, aux attaques lancées contre les villages nouba dans la région de Tuleishi, a décrit la tactique employée par les forces gouvernementales. Selon son récit, les tanks encerclaient d'abord la zone-cible et bombardaient les collines afin d'éliminer toute résistance de l'APLS :

« Ensuite, l'infanterie entrait dans les villages, tirant au hasard et tuant des centaines de civils. Les hommes jeunes qui se trouvaient encore dans les villages étaient souvent exécutés sur place. Les personnes qui avaient été laissées en arrière, essentiellement des femmes, des enfants et des personnes âgées, étaient regroupées et emmenées en camion jusqu'à Kadugli [...] L'objectif des militaires est d'évacuer toute la région, de crainte que les villageois ne rejoignent les rangs de l'APLS.

« De nombreuses femmes ont été violées par les soldats. Pendant le bombardement, la plupart des maisons prenaient feu. Celles qui n'avaient pas été détruites étaient incendiées plus tard. Les troupeaux étaient emmenés à Kadugli.

« Les villageois étaient entassés dans des camions, chaque camion pouvant transporter quelque 80 passagers. De nombreuses personnes ont dû aller à pied jusqu'à Kadugli sous escorte armée. Les cadavres étaient abandonnés en pâture aux animaux mais, lorsqu'il y avait suffisamment de temps, les corps étaient enterrés dans des fosses communes creusées au bulldozer. »

L'ancien agent des services de sécurité avait accès aux messages radio transmis par l'armée. Selon lui, ils indiquaient qu'entre 50 et 60 villages nouba avaient été détruits de cette façon entre mai 1992 et mars 1993.

Des informations font état de viols de femmes détenues par les militaires. Une femme originaire de la région des collines Moro qui s'était rendue à Kadugli en octobre 1992 a ainsi été violée par des soldats dans leur caserne :

« Quand je suis arrivée, j'ai découvert qu'on traitait les gens comme du bétail. Alors, j'ai décidé de rentrer [chez moi]. Mais les soldats m'ont rattrapée et m'ont ligotée. Ils m'ont [...] emmenée dans leur caserne. J'ai tenté de les repousser [...] Ils m'ont fait toutes sortes de choses. »

En novembre 1992, il n'y avait déjà plus trace de cessez-le-feu. Fin 1992 et début 1993, des centaines de villageois auraient été tués au cours d'attaques lancées contre leurs villages dans les collines de l'Ouest et du Sud. En décembre 1992, un contingent composé de membres des FDP et de soldats de l'armée régulière basés à Lagowa ont attaqué des localités des environs de Tima, à 35 kilomètres au Sud. Un grand nombre de civils non armés auraient été victimes d'exécutions extrajudiciaires à el Maryam. De là, les troupes ont effectué des raids dans des villages situés plus à l'Ouest et au Nord. Trente-trois femmes et enfants auraient été enlevés à Wali par des miliciens.

En décembre 1992 et en janvier 1993, plusieurs villages nouba des régions de Heiban et des collines Moro ont été attaqués par des militaires et des membres des FDP. Plus d'une centaine de civils seraient morts dans les environs de Tumbira en décembre. Selon les survivants, le village a été attaqué en pleine nuit ; des personnes ont été brûlées vives dans leur maison, ou abattues alors qu'elles s'enfuyaient. Neuf personnes ont été victimes d'une exécution extrajudiciaire lors d'un raid des FDP à el Lubi, dans les collines Moro. Fin 1992, les FDP ont attaqué Karkari el Beira, un village situé à une cinquantaine de kilomètres à l'est de Kadugli. Beaucoup de maisons ont été incendiées. Les habitants sont revenus et ont reconstruit le village, mais celui-ci a de nouveau été attaqué le 13 janvier 1993. Cette fois, un très grand nombre de personnes auraient été tuées, et l'église ainsi que 400 habitations détruites.

En décembre 1992, un accord de paix a été conclu entre le clan Awlad Omran de la tribu des Misseriya Humr et l'APLS. Cet accord autorisait le clan à faire paître ses troupeaux autour du lac Abyad et ouvrait la voie aux échanges commerciaux entre les zones des monts Nouba aux mains de l'APLS et d'autres régions situées plus à l'Ouest. En février 1993, une caravane du clan Awland Omran a été interceptée par les forces gouvernementales à Hafir el Dibeikir, entre Muglad et Buram. Quelque 70 marchands soupçonnés de collaborer avec l'APLS ont été faits prisonniers. Emmenés à la prison d'el Obeid, ils s'y trouvaient encore, sans avoir été inculpés ni jugés, en juillet 1993. Amnesty International n'a pu savoir s'ils avaient été remis en liberté.

Au mois de janvier 1994, de nouvelles opérations militaires ont eu lieu. Dans la région de Shatt, Mahmud Issa aurait été tué par un membre des FDP en voulant l'empêcher de violer sa femme. D'après certaines informations, plus de 60 civils voyageant de Lagowa à Dilling seraient tombés dans une embuscade tendue par les troupes des FDP et auraient été tués.

Toujours en janvier, un groupe de Nouba faisant le trajet qui sépare Kadugli de Dilling ont été capturés par les FDP à Kurgal. Dix-sept d'entre eux ont été abattus, dont Salah Ibrahim et Hussein Abdalla. Un certain nombre de survivants auraient été sauvagement frappés par des agents des services de sécurité au cours de leur interrogatoire.

La persécution des opposants nouba

Un autre aspect de la guerre menée par le gouvernement dans les monts Nouba a été la persécution des opposants présumés. Des Nouba instruits, d'anciens membres du PNS, des chefs traditionnels dans les zones présumées favorables à l'APLS, des fonctionnaires, des employés des services de santé et des enseignants, notamment, ont été détenus sans inculpation ni jugement et torturés. D'autres encore ont "disparu", et beaucoup ont été victimes d'exécutions extrajudiciaires.

Arrestations, meurtres et "disparitions" en série ont marqué la fin de l'année 1990 et ont encore pris de l'ampleur en 1991. En juillet 1991, Hamdan Hassan Koury, avocat originaire d'el Lagori vivant à Kadugli, a été maintenu en détention pendant un mois. Immédiatement après sa libération, il était de nouveau arrêté, en même temps que son père. Les deux hommes auraient été emmenés hors de la ville et abattus. D'autres personnes arrêtées en 1991 n'ont pas été revues depuis. C'est le cas notamment d'el Sir Abdel Nabi Malik, employé du Service de Topographie, de Kamal Kano Kafi, technicien radio, et d'Ibrahim Marmatoun, employé du Service des Eaux. Les autorités n'ont toujours pas donné de renseignements sur le sort de ces personnes.

Fin 1991, un grand nombre de chefs traditionnels ont été massacrés. Un seul d'entre eux, originaire de la région du djebel Otoro, à l'ouest de Heiban, a survécu : « Nous étions convoqués par le gouvernement à une réunion de chefs mais, quand nous sommes arrivés, nous avons constaté qu'il n'y avait pas de réunion. Nous avons tous été arrêtés et placés en détention, les mains attachées dans le dos. Nous sommes restés incarcérés pendant cinquante-neuf jours. Nous étions 68 dans la prison, tous originaires des monts Nouba. Une nuit, vers vingt et une heures, on nous a fait sortir et monter dans un camion [puis on nous a emmenés à la campagne]. Là, ils nous ont tiré dessus. J'ai reçu une balle à l'arrière de la tête. La balle est ressortie par ici et m'a fracassé la mâchoire. J'ai perdu connaissance [...] tous les autres sont morts ; moi seul ai survécu. »

Un grand nombre de Nouba ont été maintenus en détention, sans inculpation ni procès, pendant des périodes allant de quelques semaines à plusieurs années, parce qu'ils étaient soupçonnés d'être des opposants au gouvernement. Abu Bakr Hamad, qui enseignait la religion à Dilling, aurait été arrêté en février 1990 ; il semble qu'il était toujours en détention dans la prison d'el Obeid en septembre 1992. Amnesty International ignore s'il a été libéré depuis lors.

Parmi les cas d'arrestations plus récents figurent ceux d'el Khair Hussein Walkiz, greffier du tribunal de Dilling, et de Mahmud Hamid, secrétaire du préfet, appréhendés à Dilling en même temps que cinq autres hommes, en mai 1992. En juillet de la même année, six hommes, dont l'administrateur d'une mosquée, ont également été arrêtés à Dilling. Toutes ces personnes ont été transférées dans la prison d'el Obeid. Mahmud Hamid a été détenu durant un mois et aurait été torturé. En août 1992, Adil Hassan Khair el Sid, employé des postes, et six autres personnes ont été placés en détention à Kadugli, apparemment à la suite d'une brève incursion des troupes de l'APLS dans la ville.

Ismail Gibril, prêtre anglican, a été arrêté en septembre 1992, à Dilling, parce qu'il était soupçonné de complicité avec l'APLS. Remis en liberté en octobre, il a de nouveau été arrêté en novembre. Au début de l'année 1993, il était finalement libéré.

En mai 1993, Hamid Yacoub, un Nouba travaillant outre-mer, a été arrêté alors qu'il revenait de Kadugli à Khartoum. Dans un endroit isolé, situé à 75 kilomètres au nord de Kadugli, des agents des services de renseignements militaires ont arrêté le bus dans lequel il voyageait. Ils ont ensuite emmené l'homme dans la brousse et l'ont accusé d'aider l'APLS, puis lui ont bandé les yeux et ont menacé de l'exécuter. Hamid Yacoub a toutefois nié avoir aucun lien avec les rebelles et a été conduit à la caserne de Kadugli. Il a été remis en liberté après deux semaines de détention au secret.

Toujours en mai 1993, cinq hommes détenus dans la prison d'el Obeid auraient été emmenés à Salara, près de Dilling, où ils auraient été exécutés de façon extrajudiciaire. Tous étaient de la région de Tuleishi. Parmi eux figuraient les chefs Ahmad el Zairiq Larfuk, Bashir Kano et Mekki Taisir Quli.

Des Nouba résidant dans d'autres régions du Soudan ont également été soupçonnés d'activités politiques hostiles à l'État. Au mois de juin 1993, Mohamed Hamad Kowa, ancien dirigeant du PNS, et Khamis Farajallah Kortel, prêtre, ont été arrêtés avec trois autres membres éminents de la communauté nouba de Khartoum. Ils ont été détenus au secret sans inculpation ni jugement pendant quelques mois. Au mois d'octobre 1993, Guma Abdel Gadir, ancien secrétaire général du syndicat des Postes et Télécommunications du Soudan, a été arrêté et détenu plusieurs mois sans être ni inculpé ni jugé.

6. Le "Nouveau Soudan" : Les atteintes aux droits de l'homme commises par l'APLS

Les exactions de l'APLS dans les monts Nouba

L'APLS s'est rendue coupable d'atteintes aux droits de l'homme dans les monts Nouba. Ce sont notamment des personnes soupçonnées de servir d'indicateurs au gouvernement et des dirigeants locaux considérés comme étant hostiles aux rebelles qui ont fait l'objet d'homicides délibérés et arbitraires [13]

La plupart des exactions de l'APLS contre les Nouba ont été signalées pendant les premières années de la guerre, durant la période où l'APLS s'établissait et renforçait ses positions dans la région. En 1985, aux abords des monts Nouba, une unité rebelle aurait attaqué des villages misseriya près de Qardud, massacrant une centaines de personnes. En octobre 1987, des chefs de communautés nouba aux environs de Tira Lumum et de Delami auraient été tués. Certaines informations font état de meurtres commis par l'APLS dans la région de Tuleishi, au sud de Dilling, à partir d'avril 1989. Le 13 novembre 1989, six villageois auraient été tués par des unités de l'APLS qui attaquaient el Melaha.

Plus récemment, dans le but de contrer les tentatives du gouvernement pour chasser les villageois de leurs montagnes, la faction APLS-Courant principal empêchait ces mêmes villageois de quitter les zones placées sous son contrôle pour se rendre dans des régions tenues par l'armée régulière, d'où ils risquaient d'être transférés vers des « villages de la paix ». En janvier 1993, l'APLS a imposé une zone d'exclusion civile autour de Heiban. Abderahman, un administrateur de village originaire d'Abol, à quelques kilomètres de la ville de Heiban, a été surpris à l'intérieur de cette zone, sommairement jugé et exécuté en public peu après.

Scission au sein de l'APLS

En août 1991, les commandants de l'APLS dans le Haut-Nil, menés par Riek Machar Teny-Dhurgon et Lam Akol Ajawin, ont fait scission, quittant le mouvement principal pour former la faction APLS-Nasir, tout en appelant au renversement de John Garang de Mabior, qu'ils accusaient d'être un dictateur.

La guerre entre les différentes factions de l'APLS a éclaté presque immédiatement. Depuis lors ces factions, dont l'antagonisme repose de plus en plus sur des divisions à caractère ethnique (la faction APLS-Nasir étant dominée par des membres de l'ethnie nuer et la faction APLS-Courant principal par ceux de l'ethnie dinka), se sont rendues coupables de flagrantes atteintes aux droits de l'homme. Les deux groupes rebelles sont, au même titre que le gouvernement, responsables de la famine et de la dépendance des populations par rapport à l'aide alimentaire internationale. Chacune des factions a volontairement attaqué des villages, tuant de façon délibérée et arbitraire des milliers de civils. Chacune d'elles a exploité l'ethnicité au point que, dans le Haut-Nil, en particulier, la différence ethnique est devenue une raison suffisante pour tuer.

Cet état de choses a eu pour conséquence la dévastation d'une grande partie du Haut-Nil et de certaines zones de l'Équatoria oriental, ce qui a engendré une dépendance presque totale de centaines de milliers de personnes par rapport à l'aide alimentaire. Le coût de cette guerre, en termes de pertes civiles et de destruction de communautés, montre la relation directe qui existe entre le fait de porter atteinte aux droits de l'homme et celui de provoquer un véritable désastre humanitaire.

Massacres perpétrés par les deux factions dans le Haut-Nil

La faction APLS-Nasir, qui avait invoqué les atteintes aux droits de l'homme commises au sein de l'APLS comme l'une des raisons de la scission, n'en a pas moins, dès les premières semaines de son existence, massacré des civils dinka et mundari dans certaines parties du Haut-Nil contrôlées par la faction APLS-Courant principal.

La zone la plus touchée par la lutte entre les factions de l'APLS a été la levée de Duk dans le Haut-Nil, un endroit fortement peuplé. En octobre et en novembre 1991, les unités de la faction APLS-Nasir ont lancé des offensives dans des territoires contrôlés par la faction APLS-Courant principal, où vivaient des communautés dinka et mundari. Elles allaient de ferme en ferme, massacrant les civils et faisant main basse sur les biens, les vivres et le bétail. Des centaines de civils ont été tués au cours de ces attaques. Certaines informations font état d'hommes castrés ou éventrés, de nombreuses femmes violées, de femmes et d'enfants enlevés. Des dizaines de milliers de têtes de bétail, principale source de richesse de l'économie locale, ont été volées.

Tandis que les unités de la faction APLS-Nasir se repliaient, emportant leur butin constitué de bétail et de vivres, les troupes de la faction APLS-Courant principal se lançaient à leur poursuite. Les soldats de la faction Nasir capturés ont été sommairement exécutés. C'est ainsi que 19 jeunes hommes nuer auraient été ligotés dans une étable près de Bor et tués à coups de lance.

On ne connaîtra vraisemblablement jamais le nombre exact des victimes mais, selon certaines estimations, il y aurait eu au moins 2 000 tués. Environ 200 000 personnes ont fui devant les attaques des rebelles, qui ont poursuivi leurs incursions dans l'une des parties les plus peuplées du sud du Haut-Nil.

Cette guerre entre factions a également touché d'autres régions. Début 1992, les troupes nuer de la faction APLS-Nasir ont opéré des raids dans des villages dinka du Bahr el Ghazal. Quatre-vingt-douze civils sans défense auraient été tués et au moins 20 femmes et enfants enlevés. Les assaillants se sont ensuite dirigés vers Wun Riit, un grand campement d'éleveurs dinka situé sur la route conduisant au port de Shambe, sur le Nil, où 40 civils auraient été tués et plusieurs milliers de têtes de bétail volées.

Les unités de la faction APLS-Courant principal du Haut-Nil ont riposté en s'en prenant à des villages nuer. En février 1992, elles ont attaqué le village de Pagau, à une dizaine de kilomètres d'Ayod ; 33 personnes, dont deux enfants, ont été brûlés vifs.

Vers la mi-92, les forces de la faction APLS-Nasir ont à nouveau attaqué des communautés dinka le long de la frontière des territoires dinka et nuer. Poktap, un village situé à 35 kilomètres au nord-ouest de Kongor, a été attaqué et les familles de deux chefs traditionnels ont été massacrées. Plus au Sud, ce sont au moins 11 personnes, dont sept femmes, qui ont été tuées de façon délibérée et arbitraire dans le village de Wernyol.

En septembre 1992, William Nyuon Bany, l'adjoint de John Garang de Mabior, a quitté la faction APLS-Courant principal pour créer le groupe Unité. Cette scission a entraîné une intensification des combats entre factions en Équatoria oriental. Le groupe Unité a reçu le soutien d'un certain nombre de Nuer en Équatoria, ainsi que d'hommes de troupe recrutés au sein de plusieurs ethnies de la région, comme les Latuka, les Pari et les Didinga.

En mars 1993, la faction APLS-Nasir et le groupe Unité ont fusionné, pour constituer la faction APLS-Unifiée. La réunion, convoquée à Kongor, dans le Haut-Nil, pour jeter les bases de cette nouvelle alliance a été attaquée par des troupes de la faction APLS-Courant principal. Quatre personnes auraient été exécutées après avoir été capturées par cette faction. Des civils sont morts au cours de l'échange de coups de feu.

Les forces de la faction APLS-Courant principal se sont alors lancées à la poursuite des dirigeants de l'APLS-Unifiée, qui faisaient retraite vers le Nord en direction de la ville nuer d'Ayod, un important centre de distribution de vivres, où se réunissent nombre de personnes déplacées. Des civils dinka de la région ont accusé les troupes de l'APLS-Unifiée d'avoir enlevé des femmes et des enfants au cours de leur repli et d'être responsables d'un certain nombre de meurtres à Duk Faiwil.

En avril 1993, les troupes de la faction APLS-Courant principal ont bombardé d'obus la ville d'Ayod, faisant un grand nombre de victimes civiles. Elles ont ensuite pénétré dans la ville et tiré au hasard, tuant des civils. Des dizaines de milliers de Nuer rassemblés autour de centres de ravitaillement dans la région d'Ayod ont fui vers l'Est, en direction de la rivière Sobat. Au cours des trois semaines qui ont suivi, les troupes de la faction APLS-Courant principal ont à nouveau contraint des milliers de civils nuer à fuir, allant de village en village et tuant tous ceux qui s'y trouvaient. Le village de Pathai, à 35 kilomètres à l'est d'Ayod, a été totalement détruit par le feu, et plus d'une centaine d'habitants auraient été massacrés. À Pagau, les soldats se sont emparé de 32 femmes qu'ils ont alignées avant de les abattre. Ils auraient aussi enfermé dix-huit enfants dans une case, à laquelle ils auraient mis le feu. À Paiyoi, une région peu peuplée située au nord-est d'Ayod, 36 femmes auraient été brûlée vives [14]

Massacres de civils commis par la faction APLS-Courant principal en Équatoria oriental

La défection de William Nyuon Bany en septembre 1992 a entraîné en Équatoria oriental une série de meurtres apparemment motivés par des raisons ethniques. Les troupes de la faction APLS-Courant principal lancées à la poursuite de William Nyuon Bany auraient tué des civils sans défense, dont de jeunes enfants, issus d'ethnies alliées au groupe Unité. Plusieurs femmes auraient été violées.

Début 1993, la faction APLS-Courant principal a entrepris de détruire systématiquement tous les villages supposés favorables au groupe Unité. En janvier, 17 villages latuka situés dans la région des chaînes de montagnes Imatong et Dongotona ont été rasés, contraignant des dizaines de milliers de personnes à fuir. Plus au Nord, la faction APLS-Courant principal a attaqué des villages pari autour de la zone très peuplée du djebel Lafon. Un grand nombre de civils ont disparu sans laisser de traces ; on pense qu'ils ont été tués. Quelque 30 000 personnes chassées de chez elles se sont installées non loin d'exploitations agricoles, au fond de la brousse. Entre mars et mai 1993, les forces de la faction APLS-Courant principal ont pillé et brûlé un certain nombre de villages didinga aux environs de Chukudum.

Fin septembre 1992, des soldats de la faction APLS-Courant principal ont en outre abattu quatre ressortissants étrangers : Myint Maung, un médecin birman qui travaillait depuis de nombreuses années dans le sud du Soudan, Tron Helge Hummelvoll, un journaliste norvégien, Vilma Gomez, une infirmière philippine, et Francis Ngure, un chauffeur kényan. Chaque faction a rejeté sur l'autre la responsabilité des meurtres. Des enquêtes menées par la suite ont toutefois mis en cause la faction APLS-Courant principal.

Les atteintes aux droits de l'homme après la scission

En février 1992, la faction APLS-Courant principal a libéré plus de quarante prisonniers détenus depuis longtemps, dont plusieurs étaient des prisonniers d'opinion. Certains étaient incarcérés depuis 1984. Plusieurs d'entre eux étaient de hauts responsables militaires proches de John Garang de Mabior et qui, soupçonnés de déloyauté, avaient été arrêtés. Ils avaient connu la torture et des conditions de détention très dures, que ce soit en Éthiopie, où ils étaient les prisonniers de l'APLS, ou au Soudan même.

La scission intervenue au sein de l'APLS a entraîné beaucoup de nouvelles arrestations et d'homicides arbitraires dans les rangs des factions, chacune d'entre elles soupçonnant certains de ses membres d'être favorables à l'autre camp. Il semble que dans de nombreux cas l'appartenance ethnique soit à l'origine de cette suspicion.

Les partisans de la faction APLS-Nasir ont arrêté plusieurs Dinka. Les dirigeants de ce groupe ont affirmé avoir remis au Comité international de la Croix-Rouge plus de vingt prisonniers de cette ethnie. Amnesty International a toutefois eu connaissance d'informations laissant à penser que d'autres Dinka arrêtés avaient été tués par cette faction. Seize officiers dinka auraient en effet été appréhendés et ultérieurement exécutés à Ketbek par la faction APLS-Nasir. D'autres officiers ont été tués, dont le capitaine Puol, un Dinka responsable de la piste d'atterrissage de Nasir, qui a été sommairement exécuté à Kut. Au mois de novembre 1991, un autre Dinka, le capitaine Michael Manyon Anyang – un ancien magistrat qui avait vigoureusement critiqué la scission – a été arrêté à Nasir et accusé d'avoir voulu faire sauter un bâtiment utilisé par les Nations unies. Il a été sommairement exécuté à la mi-92. La faction APLS-Nasir a également tué 27 ouvriers nouba à Baliet début 1992 ; ces derniers étaient apparemment supçonnés d'avoir eu des contacts avec la faction APLS-Courant principal.

Celle-ci s'est aussi montrée sans pitié à l'égard des soldats accusés de déloyauté. Huit soldats nuer de l'APLS, dont les sergents Wic Yual Tut et Michael Cuar Biel, soupçonnés de vouloir rejoindre la faction Nasir, auraient été exécutés à Lasso, en Équatoria oriental, en novembre 1991. Le même mois, le capitaine Peter Reth Deng et le lieutenant John Jok Rambang ont été sommairement exécutés à Yirol, dans le Bahr el Ghazal. En juillet 1992, six soldats nuer ont été exécutés à Ikotos en Équatoria oriental.

À la suite de la constitution du groupe Unité en Équatoria oriental, en septembre 1992, la faction APLS-Courant principal a procédé à des purges dans ses rangs. Des soldats soupçonnés de sympathies à l'égard du groupe Unité ont été arrêtés et, début novembre, une vingtaine de soldats acholi et madi accusés de vouloir déserter auraient été exécutés par la faction APLS-Courant principal à Nimule. Trente soldats nuer auraient été tués après avoir été désarmés à Aswa. En décembre 1992, plus de 200 déserteurs ayant appartenu aux unités de la faction APLS-Courant principal postées autour de Juba ont été désarmés, puis délibérément tués près de Tonj, dans le Bahr el Ghazal.

Les soldats soupçonnés de déloyauté par la faction APLS-Courant principal n'ont pas été tous tués, ou du moins pas immédiatement. Certains ont été arrêtés et placés en détention, beaucoup ont été torturés ou maltraités. En septembre 1991, quatre soldats de l'APLS, deux Nuer – Paul Thong et William Maalia – et deux Dinka – Manyang Kiir et Mayik Macar –, ont été arrêtés à Pariang, dans le Haut-Nil, et accusés de soutenir la faction Nasir. Ils ont été emmenés à Limon, dans les monts Nouba, où Manyang Kiir serait mort sous la torture. Aucune preuve n'a pu être trouvée contre les deux prisonniers nuer, qui ont été transférés à Kauda, près de Heiban. Début 1992, ils se sont évadés après avoir eu vent d'un complot visant à les assassiner parce qu'ils étaient nuer, en représailles du meurtre de civils dinka commis à Bor par des partisans nuer de la faction APLS-Nasir.

La scission de 1991 a provoqué une crise politique au sein des dirigeants de l'APLS dans les monts Nouba. Des soldats nouba mécontents en raison d'un soutien logistique insuffisant et de la place dévolue aux Nouba dans le mouvement ont fait part de leurs doléances à la direction de la faction APLS-Courant principal. Celle-ci a répliqué en faisant arrêter les meneurs. Awad el Karim Kuku, Younis Abu Soder, ainsi que 18 sous-officiers et des hommes de troupe, ont été arrêtés en décembre 1991. Détenus à Achuran, dans les collines Limon, ils ont été sauvagement battus. En février 1992, les 20 Nouba et deux Dinka incarcérés à Achuran ont été emmenés à Pariang. En juin 1992, ils ont été transférés vers le Sud, à Karic, où se trouve le centre de commandement de la faction APLS-Courant principal pour la région sud du Bahr el Ghazal. Ils ont subi de multiples passages à tabac ; quatre hommes, Tariq Kodi, Abbas Mareq, Osman Rial et Mahmud Kodi, sont morts durant le trajet vers Karic. Les survivants ont été libérés en setembre 1992, mais ont reçu l'ordre de se rendre à Kaya.

Les arrestations de dissidents présumés

En dépit des libérations intervenues en février 1992, un certain nombre de prisonniers de l'APLS détenus depuis longtemps – parmi lesquels Kerubino Kuanyin Bol, Arok Thon Arok, John Kulang Puot, Kawac Makuei Mayar et Martin Makur Aleu – étaient toujours aux mains de la faction APLS-Courant principal. Au moins six des personnes remises en liberté ont été à nouveau arrêtées quelques jours plus tard. Treize prisonniers, après avoir connu plusieurs lieux de détention, ont été transférés à Morobo, près de Kaya, sur la rive occidentale du Nil. Thomas Kerou Tong, l'un des quelques pilotes de l'APLS, a été exécuté avant d'atteindre Morobo. En septembre 1992, cinq prisonniers se sont évadés, dont Kerubino Kuanyin Bol et Arok Thon Arok. Les autres détenus ont été libérés au cours du même mois, mais ils ont reçu l'ordre de ne pas quitter Kaya.

D'autres arrestations ont été opérées au début de l'année 1993, après que la faction APLS-Courant principal eut déclaré avoir éventé un nouveau complot contre la direction du mouvement. Parmi les personnes appréhendées figuraient neuf membres éminents de l'APLS. Ces derniers ont été placés en détention à Kaya et accusés d'avoir été les instigateurs du complot. Il y avait notamment Martin Majier Gai, juge et homme politique influent, très populaire auprès des Dinka du sud de Bor, ainsi que Martin Kajivora et Martin Makur Aleu, tous anciens prisonniers détenus pendant de longues périodes. Au nombre des personnes arrêtées figuraient également Younis Abu Soder et Awad el Karim Kuku, qui avaient déjà été appréhendés en 1991. Le 14 janvier 1993, 19 officiers du sud de Bor ont été appréhendés et conduits à la prison de Pageri, où ils ont été également accusés d'avoir participé au complot.

Au cours des mois qui ont suivi, certains des prisonniers détenus à Pageri auraient été torturés. Le colonel Majur Nhial Makol a déclaré qu'en février on lui avait cloué un pied au sol. Le président d'un comité mis en place par la faction APLS-Courant principal pour instruire le dossier des prisonniers a constaté que ceux-ci avaient été battus à maintes reprises. Le commandant Makuei Deng Majuc a été blessé à la tête et au dos. Le commandant Bullen Alier Nhial a eu deux côtes cassées. Gabriel Mathiang Aluong a souffert de troubles de l'audition. Le chef de bataillon Robert Akuak Kudum est mort en mars, après s'être vu refuser tous soins médicaux pour une maladie aggravée du fait des tortures subies. Le capitaine Gabriel Majok Nyieth est tombé malade en mars, à la suite d'un affaiblissement général dû aux passages à tabac ; il n'a pu bénéficier de soins que très peu de temps avant sa mort, en mai 1993.

En avril 1993, l'instruction a conclu qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre ces hommes. Cette conclusion n'ayant pas eu l'heurt de plaire à la direction de l'APLS, le président du comité s'est exilé. Il a déclaré qu'il avait été menacé par un haut responsable de l'APLS. Certains des prisonniers ont été libérés en septembre 1993, mais la plupart sont restés en détention jusqu'au 26 janvier 1994. D'après certaines sources, les neuf prisonniers accusés d'être les instigateurs du complot ont été exécutés. La version des dirigeants de la faction APLS-Courant principal était toutefois qu'ils avaient été abattus lors d'une tentative d'évasion. Cette faction a refusé de fournir des informations sur ces prisonniers jusqu'en juin 1994, lorsqu'il a été annoncé qu'ils avaient été tués en 1993 en tentant de s'évader. La date de cette annonce est vraisemblablement à mettre en relation avec la proclamation par la première Convention nationale de la faction APLS-Courant principal, en avril 1994, d'une amnistie générale « por tous les déserteurs et tous ceux ayant commis des crimes contre le Mouvement ». Ainsi, la direction n'avait pas à produire les prisonniers. En août 1994, Carlo Madut Deng aurait été enlevé par la faction APLS-Courant principal dans un camp de réfugiés situé dans le nord de l'Ouganda, puis placé en détention et torturé à Nimule, dans le sud du Soudan.

Des arrestations de dissidents ont également été effectuées au sein de la faction APLS-Unifiée. En juin 1994, un membre important du mouvement, John Luk, a été arrêté à Waat, dans le Haut-Nil. Il était soupçonné d'avoir tenté de persuader les Nuer Gaatluak d'abandonner Riek Machar Teny-Dhurgon pour rejoindre Lam Akol Ajawin, chassé de la faction APLS-Unifiée en février 1994. Il a été transféré fin juin et placé en détention près de Nasir.

Les mesures prises contre les auteurs d'exactions

Il ne semble pas que le commandement de la faction APLS-Courant principal ait pris des mesures à l'encontre des membres ayant porté atteinte aux droits de l'homme, ni qu'il ait cherché à réparer les torts causés aux victimes. Il est demeuré silencieux sur ces points.

Les dirigeants de la faction APLS-Unifiée ont fourni, quant à eux, des réponses contradictoires, laissant à penser qu'aucune mesure appropriée n'avait été prise, voire pas de mesure du tout. En juin 1994, Riak Machar Teny-Dhurgon a informé Amnesty International que les raids de 1991 dans Bor et Kongor ayant été le fait d'éléments incontrôlés, il était difficile d'identifier les individus responsables, mais qu'il avait arrêté le commandant Simon Guarwic Dual. En 1992, il avait cependant déclaré aux Nations unies qu'il avait destitué le commandant Vincent Kuac Kuang qui, à l'époque des raids dans Bor, était en fonction à Ayod.

Les conséquences de cette incapacité persistante à prendre les mesures adéquates ont été à nouveau illustrées, début 1994, par le déclenchement d'hostilités entre deux commandants de l'APLS-Unifiée, Gordon Kong Cuol et Gordon Kong Banypin. En avril et en mai, une série d'affrontements ont opposé des unités de l'APLS-Unifiée basées autour de Waat, et regroupant des Nuer Lau, à des forces basées à Nasir et le long de la rivière Sobat, essentiellement composées de Nuer Jikany. Il semble que les combats aient d'abord mis aux prises les Nuer Lau et Jikany pour des questions d'accès à des zones de pâturage. Les unités de l'APLS-Unifiée ont toutefois pris part aux attaques en s'alliant avec l'une ou l'autre des communautés ; elles ont lancé des offensives sur Ulang, Nasir et d'autres centres de moindre importance situés le long de la rivière Sobat ou plus au Sud, vers Akobo. Des dizaines de milliers de civils ont été chassés de chez eux et un certain nombre ont été tués. La direction de l'APLS-Unifiée a arrêté les dux commandants.

L'administration de la justice par l'APLS

Avant la guerre, le système judiciaire en vigueur dans le Sud reposait, d'une part, sur le droit coutumier – la justice étant alors rendue par les tribunaux des chefs – et, d'autre part, sur les dispositions du Code pénal soudanais, administrées par un ensemble de tribunaux de district et de hautes cours présidés par des juges dûment qualifiés. Les deux factions de l'APLS ont conservé ce système, ainsi que les différents types de tribunaux.

L'APLS a adopté en 1983 son propre code, qui se situe à mi-chemin entre un code de discipline militaire et un code pénal pour les civils. Depuis 1991, les deux factions de l'APLS affirment se référer à ce code. En outre, les dispositions du Code pénal soudanais en vigueur avant 1983 continuent, semble-t-il, d'être invoquées dès lors qu'elles ne sont pas en contradiction avec le code adopté par l'APLS.

Le système de justice pénale appliqué dans les zones contrôlées par l'APLS ne satisfait guère aux normes internationales les plus élémentaires en matière d'équité. Les tribunaux ne sont ni indépendants ni impartiaux ; on ne sait quelle législation est appliquée ; il n'existe aucun droit d'interjeter appel dans les affaires où l'accusé est passible de la peine de mort ; enfin, le droit de former un recours en grâce ou de demander la commutation d'une sentence capitale est, en pratique, rarement reconnu.

Le code de l'APLS est théoriquement administré par un système à trois niveaux de cours martiales qui se réunissent de manière ad hoc.

La plus haute des juridictions joue le rôle de cour d'appel par rapport aux deux juridictions inférieures, et de tribunal de première instance pour les crimes pour lesquels la peine de mort peut être prononcée. Les magistrats affectés à ces tribunaux sont nommés par les commandants locaux, à l'exception de ceux de la juridiction la plus haute, qui sont désignés par le président de l'APLS. Les sentences capitales « devraient être » confirmées par ce dernier, sauf quand « les communications avec le quartier général sont rendues difficiles en raison des actions ennemies, ou quand le moral ou la discipline des troupes exige qu'une peine capitale soit confirmée par un commandant de bataillon ». Quand une sentence est soumise pour approbation, une copie écrite du rapport d'enquête, accompagnée d'un résumé des poursuites judiciaires exercées, devraient être transmis à l'autorité ayant pouvoir de confirmation. Il s'agit là d'un droit d'appel insuffisant, car il comporte certaines dispositions importantes permettant ax autorités de ne pas le respecter. En outre, la peine de mort peut dans certaines circonstances être exécutée sans qu'il y ait eu approbation.

Il n'existe, dans le code de l'APLS, aucune directive concernant la procédure. La période pendant laquelle un suspect peut être détenu pour les besoins de l'enquête n'est pas limitée, et la durée au terme de laquelle l'inculpé doit passer en jugement n'a pas été définie. L'enquête devant mener à la mise en accusation par une cour martiale peut être conduite par tout officier qui en a reçu l'ordre du commandant en second du bataillon. Aucune directive ne réglemente non plus les systèmes d'enquête.

L'administration de la justice par les cours martiales s'est avérée arbitraire et chaotique dans les deux factions de l'APLS. L'existence d'un code qui, d'une part, énonce les règles de la discipline militaire interne applicable en temps de guerre et joue d'autre part, un rôle de régulateur de la vie civile, est source de confusion. Une séparation insuffisante des attributions de l'exécutif et du judiciaire caractérise le système judiciaire mis en place ; au sein d'un pouvoir totalement dominé par les militaires, les abus sont aisés. L'application du code s'est faite au gré des caprices des commandants locaux. Les décisions des tribunaux ont été soit ignorées soit annulées. La tâche des factions APLS-Courant principal et APLS-Unifiée n'est en outre pas facilitée en raison d'une pénurie de magistrats : elles ne comptent à elles deux que 20 juges qualifiés. En juin 1994, un ancien officier de la faction APLS-Courant principal ayant participé à l'administration de la justice a déclaré à Amnesty International :

« Le code ne sert pratiquement à rien. Il suffit de faire appel à sa propre expérience. Le système qui a été mis en place repose en fin de compte sur des principes qui relèvent davantage du droit coutumier. Cela revient à négocier le règlement d'un différend. Donc, si la partie lésée est un personne de haut rang ou si la demande d'action en justice émane d'un dirigeant, vous savez ce qu'il vous reste à faire... Pour ceux qui sont au sommet, l'administration de la justice consiste surtout à maintenir un équilibre entre différentes forces politiques. Il n'existe pas de véritable système judiciaire. »

Dans de nombreux cas, la procédure légale a tout simplement été ignorée ou annulée. Il semble qu'aucune des personnes arrêtées pour motifs politiques entre 1984 et 1993 n'ait bénéficié d'un procès. Si certaines affaires ont donné lieu à des enquêtes, celles-ci ont apparemment consisté la plupart du temps à essayer d'extorquer des renseignements plutôt qu'à instruire un dossier.

Les sentences capitales ne sont que rarement, voire jamais, soumises au président de la faction APLS-Courant principal, contrairement aux dispositions du code de l'APLS. Un commandant local de la faction APLS-Courant principal interrogé en juin 1994 a indiqué que les informations concernant les sentences capitales étaient souvent transmises par radio au quartier général situé en Équatoria oriental, soit à plusieurs centaines de kilomètres de la zone dont il avait la charge. L'état des communications dans un Soudan ravagé par la guerre, ajouté à la rapidité avec laquelle les sentences capitales sont exécutées, rendent fort improbable le fait que les documents écrits relatifs aux condamnés parviennent au président.

Au sein de l'APLS, les entorses répétées à une procédure judiciaire utilisée pour poursuivre des objectifs à court terme et, bien souvent, de pure politique locale, ont pour conséquence que peu de soldats des deux factions considèrent avec respect le système judiciaire en place. Un tel état de fait crée un climat dans lequel les soldats ont le sentiment qu'ils peuvent porter atteinte aux droits de l'homme en toute impunité.

Il semble que la faction APLS-Unifiée ait tenté, sur une petite échelle, de s'attaquer à ce problème en tenant certains officiers pour responsables des actes commis par leurs troupes. Toutefois, les peines auxquelles ils ont été condamnés étaient sans proportion avec la gravité des crimes. La faction APLS-Courant principal, à tout le moins dans le domaine des atteintes aux droits de l'homme, ne semble pas avoir adopté la même attitude concernant la responsabilité de ses officiers. La disproportion existant entre les sanctions et la gravité des crimes sape un peu plus le système judiciaire et ouvre la voie à l'impunité.

En avril 1994, la première Convention nationale convoquée par la faction APLS-Courant principal a adopté un ensemble de résolutions avec pour objectif déclaré d'instaurer un pouvoir judiciaire indépendant, apparemment pour traiter les affaires civiles. Elle a également introduit une nouvelle législation, tout en décidant de mettre en place un Comité de révision des lois chargé d'examiner la pertinence des nouveaux textes « et de proposer des amendements ou des modifications si nécessaire ». Par de telles initiatives, il semble que la faction APLS-Courant principal reconnaisse que les dispositions légales antérieures n'étaient pas appropriées. Le point essentiel, qui reste à vérifier, est toutefois de savoir si l'adoption de nouvelles lois et leur application concrète garantiront le respect des droits de l'homme.

7. Les réponses aux critiques

Au cours des cinq dernières années, la communauté internationale a condamné à maintes reprises les flagrantes atteintes aux droits de l'homme dont se sont rendus coupables tant le gouvernement soudanais que les deux factions de l'APLS. Des débats ont eu lieu lors d'assemblées nationales et régionales. La Commission des droits de l'homme et l'Assemblée générale des Nations unies ont adopté un certain nombre de résolutions. Des rapporteurs spéciaux et des envoyés spéciaux ont été nommés. Les mécanismes thématiques de l'ONU en matière de droits de l'homme, ainsi que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de l'Organisation internationale du travail (OIT), ont fait part de leurs observations. Les organisations non gouvernementales œuvrant dans le domaine des droits de l'homme ont publié de nombreux rapports. Le gouvernement du Soudan s'est retrouvé de plus en plus isolé diplomatiquement.

Les autorités soudanaises ne sont pas insensibles aux pressions exercées par la communauté internationale concernant la question des droits de l'homme. Ces pressions, ajoutées à la nécessité pour le régime de bénéficier d'un soutien populaire à l'intérieur du Soudan tout en conservant le monopole du pouvoir, ont amené le gouvernement à adopter dans le nord du pays des mesures destinées à dissimuler l'étendue réelle de la répression. Certaines de ces mesures ont eu un effet sur la nature des violations des droits de l'homme. Désormais, la plupart des prisonniers ne sont plus détenus au-delà de quelques mois, mais ils risquent d'être à nouveau arrêtés peu de temps après leur libération. Le système obligeant les opposants présumés à se présenter quotidiennement aux bureaux de la Sécurité les immobilise sans recourir à une mise en détention dans les règles. Des amnisties ont été périodiquement proclamées, qui s'appliquaient aux détenus politiques et aux prisonniers reconnus coupables d'infractions politiques. Touefois, la mesure à long terme la plus lourde de conséquences est peut-être la mise en place d'un pouvoir judiciaire docile, chargé de faire appliquer une législation qui assure au gouvernement le contrôle sur toutes les institutions civiles.

Dans les zones du sud du Soudan ravagées par la guerre, le gouvernement n'a pas fait de tels efforts pour dissimuler la répression sous un vernis de légalité. En fait, toutes les parties au conflit semblent croire qu'elles peuvent bafouer les droits de l'homme en toute impunité. La signature d'un accord de paix qui comporterait des garanties pour les droits de l'homme constituerait une initiative importante en vue d'améliorer la situation de ces droits au Soudan. La pression internationale liée à des considérations de politique intérieure ont abouti à l'ouverture de pourparlers de paix. Toutefois, les négociations ont déjà échoué plusieurs fois, et les progrès enregistrés sur des points politiques essentiels sont lents.

La communauté internationale, tant gouvernementale que non gouvernementale, a vigoureusement condamné le bilan en matière de droits de l'homme tant du gouvernement soudanais que des deux factions de l'APLS. Il semble toutefois que la diplomatie ne permette pas d'aller plus loin. Le gouvernement et les factions de l'APLS n'ont guère donné de gages de leur volonté d'améliorer de façon décisive la situation des droits de l'homme. Face au grand nombre de résolutions adoptées et à l'isolement déjà considérable du gouvernement soudanais, certains gouvernements se montrent résignés comme s'ils avaient l'impression que la communauté internationale faisait tout ce qu'elle pouvait sans obtenir de résultats. D'aucuns ont même commencé à minimiser la gravité de la situation des droits de l'homme pour s'attacher à leurs propres intérêts politiques.

De nombreux gouvernements et organisations non gouvernementales ont dénoncé les flagrantes atteintes aux droits de l'homme qui continuent d'être commises au Soudan. Cependant, l'idée selon laquelle la communauté internationale fait tout ce qu'elle peut pour changer l'attitude du gouvernement soudanais et des deux factions de l'APLS ne résiste pas à un examen attentif. La nomination par l'ONU, en 1993, d'un rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme au Soudan a certes constitué une avancée importante.

Toutefois, ni son travail ni ses recommandations, ni d'ailleurs le travail accompli par les mécanismes thématiques de l'ONU en matière de droits de l'homme, n'ont pas trouvé de réel écho dans les résolutions que l'ONU et d'autres instances internationales ont adoptées. Si ces résolutions étaient sans ambiguïté dans leur condamnation du gouvernement et des factions de l'APLS, elles n'appelaient guère à l'action pratique, ce qui est une grave lacune.

Parallèlement, le gouvernement a répliqué de façon agressive aux critiques émises par la communauté internationale, en s'efforçant de discréditer les organisations intergouvernementales qui dénoncent les violations des droits de l'homme au Soudan.

Pour la communauté internationale, décider de l'action à entreprendre face à l'effroyable situation des droits de l'homme au Soudan est une question de volonté et de vision politiques. Le travail effectué par le rapporteur spécial a besoin d'être soutenu de manière adéquate. La communauté internationale doit faire en sorte qu'il bénéficie du plus grand soutien possible afin de pouvoir remplir son mandat.

Amnesty International demande la création d'un organisme international de surveillance doté des moyens et des compétences nécessaires pour être présent dans toutes les régions du pays, afin de veiller au respect des droits de l'homme.

Les mécanismes internationaux en matière de droits de l'homme et le Soudan

Plusieurs organes et mécanismes thématiques de l'ONU en matière de droits de l'homme ont eu à examiner des plaintes formulées contre le gouvernement soudanais. Le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture a fait parvenir aux autorités de nombreux appels urgents, et il concluait dans son rapport de 1994 que le recours à la torture était systématique au Soudan. Dans un rapport publié en décembre 1993, le rapporteur spécial de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires se disait « profondément préoccupé par l'ampleur des violations du droit à la vie au Soudan qui lui [avaient] été signalées, en particulier dans le sud du pays, violations qui seraient le fait aussi bien des forces de sécurité gouvernementales que des différentes factions de l'APLS » 1. Dans une déclaration de 1993 susceptible de s'appliquer pratiquement à toutes les personnes arrêtées et détenues au Soudan, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire constatait que 10 membres du Parti communiste sodanais (PCS) appréhendés à Khartoum en décembre 1992 étaient détenus arbitrairement. Le groupe de travail demandait au gouvernement de remédier à la situation des 10 détenus. Au début de 1994, huit d'entre eux avaient été remis en liberté.

L'Assemblée générale des Nations unies a aussi fait publiquement pression sur le gouvernement pour qu'il améliore la situation des droits de l'homme. Fin 1992, le siège de Juba, au cours duquel des centaines de personnes avaient été victimes d'exécutions extrajudiciaires ou avaient "disparu", a accru l'inquiétude au niveau international. Des débats eurent alors lieu à l'Assemblée générale de l'ONU, qui décida d'exprimer sa vive préoccupation concernant les graves violations des droits de l'homme commises dans le pays et recommanda que la situation fasse l'objet d'une surveillance.

En février 1993, la Commission des droits de l'homme de l'ONU s'est prononcée pour que la question des droits de l'homme au Soudan soit inscrite à l'ordre du jour. Un rapporteur spécial sur le pays, l'avocat hongrois Gaspar Biró, a été nommé. Il a présenté un rapport provisoire qui a conduit l'Assemblée générale des Nations unies à exprimer à nouveau, fin 1993, sa préoccupation face aux violations persistantes des droits de l'homme. L'Assemblée générale a également demandé au gouvernement soudanais pourquoi il faisait obstruction aux travaux du rapporteur spécial, notamment en exerçant des représailles contre les personnes qui avaient pris contact avec ce dernier.

Le rapport complet du rapporteur spécial, soumis à la Commission des droits de l'homme en février 1994, « conclut sans hésitation que des violations graves et généralisées des droits de l'homme imputables à des agents et fonctionnaires gouvernementaux, ainsi que des violations imputables à des éléments des factions de l'APLS agissant dans les zones contrôlées par ces factions, continuent de se produire » [15] Le rapport relate les exécutions extrajudiciaires et sommaires, les disparitions forcées ou involontaires, les tortures systématiques et les arrestations arbitraires généralisées frappant les opposants. Le rapporteur spécial a également eu connaissance de graves violations et infractions commises contre des femmes et des enfants, notamment « des actes d'enlèvement, de trafic d'êtres humains, d'asservissement et de viol perpétrés par des personnes agissant en qualité d'agents du gouvernement ou liées au gouvernement » [16] En conséquence, la commission a décidé de reconduire le mandat du rapporteur spécial por une autre année.

Toutefois, mise à part la nomination du rapporteur spécial, la Commission des droits de l'homme et l'Assemblée générale se sont montrées avares en actes et prodigues en discours. Lors de sa session de 1994, la Commission des droits de l'homme en était seulement parvenue au stade d'exprimer sa vive préoccupation face aux informations faisant état de graves violations des droits de l'homme. Il lui restait à faire des propositions d'action, au lieu de se contenter d'appeler au respect tant des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme que du droit humanitaire et de se borner à prier instamment le gouvernement de faire ouvrir une information judiciaire sur le meurtre de quatre Soudanais travaillant pour des organisations humanitaires étrangères. La résolution ne va même pas jusqu'à reprendre les recommandations du rapporteur spécial, qui avait demandé que des enquêtes soient menées sur les violations des droits de l'homme qui auraient été commises dans les monts Nouba et sur « les cas signalés d'elèvement de femmes et d'enfants, d'esclavage, de servitude, de trafic d'esclaves, de travail forcé et d'autres institutions et pratiques analogues » [17]

L'Organisation de l'unité africaine (OUA) n'a pris aucune initiative efficace concernant la crise que connaît le Soudan dans le domaine des droits de l'homme. En octobre 1990, Amnesty International a soumis à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples un rapport circonstancié sur les flagrantes violations des droits de l'homme commises au Soudan. La commission a déclaré le rapport recevable et a demandé au président alors en exercice de l'OUA de faire mener une étude exhaustive sur la question. Celui-ci n'a jamais répondu. La commission a à plusieurs reprises sollicité du gouvernement soudanais une invitation à se rendre dans le pays, mais ne paraît pas avoir été au-delà. En 1994, les autorités soudanaises ont fait savoir qu'elles étaient favorables au principe d'une visite.

Il semble que la communauté internationale s'intéresse essentiellement à ce qui se passe dans les zones en guerre, en ignorant pratiquement les graves violations des droits de l'homme commises dans d'autres régions du pays. La situation de ces droits dans les zones de conflit est certes grave et appelle des actions vigoureuses. Cependant, le fait de ne pas aborder la question des atteintes aux droits de l'homme commises ailleurs dans le pays révèle une certaine complaisance de la part de la communauté internationale et montre qu'elle n'a pas pris l'exacte mesure du problème du Soudan. En conséquence, le respect des droits de l'homme devient tributaire des progrès réalisés en direction de la paix. La fin de la guerre est considérée par beaucoup comme une étape essentielle vers un avenir où les droits de l'homme seront enfin respectés partout au Soudan. Cependant, l'arrêt des hostilités ne signifiera pas la fin des violations des droits de l'homme tant que le gouvernement n'aura pas cessé de détenir arbitrairemnt, de torturer et de tuer ses citoyens comme bon lui semble.

Une réponse stratégique

En février 1994, le gouvernement soudanais a catégoriquement rejeté les conclusions du rapport rédigé par la rapporteur spécial des Nations unies. Dans sa réponse, il mettait en cause la compétence, l'impartialité et la motivation personnelle du rapporteur, en faisant savoir qu'il ne coopérerait pas avec lui. Fait plus significatif que cette attaque visant une personne représentant la volonté de la communauté internationale, le gouvernement a tenté de désamorcer les critiques des Nations unies concernant la situation des droits de l'homme au Soudan en les qualifiant de riposte à l'introduction en 1991 d'un nouveau Code pénal fondé sur une interprétation de la charia. Selon le gouvernement, l'ONU chercherait ainsi à se servir de « la noble cause des droits de l'homme [pour] déclarer la guerre à l'islam ».

Cette déclaration laisse entrevoir l'un des aspects de la stratégie qui semble avoir été adoptée par le gouvernement pour faire face aux pressions exercées par la communauté internationale, et notamment par l'ONU. Cette stratégie comporte apparemment trois volets : premièrement, le gouvernement s'efforce de faire apparaître les critiques suscitées par la situation des droits de l'homme comme étant dirigées contre l'islam ; deuxièmement, il cherche à obtenir le soutien d'États arabes et musulmans, ainsi que d'organisations non gouvernementales, pour disposer d'un appui au niveau international ; troisièmement, il a mis en place une série de structures officielles pour développer et faire passer son message sur la question des droits de l'homme.

L'exposé le plus clair de la philosophie gouvernementale en matière de droits de l'homme figure dans Le document du Soudan sur les droits de l'homme, adopté en juillet 1993 par l'Assemblée nationale transitoire (parlement provisoire dont les députés sont nommés par le gouvernement). L'accent y est notamment mis sur la place des droits de l'homme dans l'interprétation de l'islam faite par le gouvernement. Le document affirme que le Soudan se conforme aux traités internationaux relatifs aux droits de l'homme. Il s'en prend à ce qu'il décrit comme une exploitation politique des droits de l'homme par « des États et des organisations bénévoles dont toutes les actions obéissent à des considérations politiques ». De telles pratiques, poursuit le document, ont conduit à la destruction de la souveraineté nationale et entraîné une « perte de confiance dans le droit international et les institutions internationales ». Les décisions et résolutions concernant les violations des droits fondamentaux au Soudan sont rejetées omme étant contraires « à la vérité aussi bien qu'à la justice ».

Le document se termine par une charte, une déclaration de principes qui n'est pas légalement contraignante. On y trouve l'interdiction de la torture et des mauvais traitements, ainsi que la confirmation que toute personne a le droit d'être présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Toutefois, quelques-unes de ses dispositions donnent une définition de certaines libertés qui n'est pas conforme aux garanties en matière de droits de l'homme énoncées dans les instruments internationaux. En effet, si la charte affirme que « la vie humaine est sacrée et [que] nul n'est autorisé à lui porter atteinte », elle précise « hors du cadre défini par la loi ». Des clauses similaires viennent nuancer les déclarations établissant que « toute personne a droit à la liberté de pensée, d'expression et de culte, ainsi que le droit de pratiquer les rites de sa religion » ou que « personne ne peut être arrêté, gardé à vue, détenu ou expulsé, ni voir ses biens confisqués ou sa liberté restreinte ». Or la législaton en vigueur confère aux autorités soudanaises des pouvoirs très étendus en matière de détention. De plus, si la charte fait état du droit à un « procès exhaustif et équitable », elle ne dit mot d'un droit d'appel. Le document ne contient qu'un semblant de respect des normes internationales, il défend en réalité des principes qui n'offrent pas le même degré de protection.

En octobre 1992, l'ordre des avocats soudanais – progouvernemental – a annoncé qu'il organiserait une conférence internationale sur les droits de l'homme dans l'islam. Celle-ci s'est finalement tenue en janvier 1993 ; son objectif était de gagner le soutien de la communauté internationale. Différents aspects des droits de l'homme dans l'islam ont été traités au cours de cette conférence, qui a voté la création d'une Organisation islamique internationale pour les droits de l'homme. Cette instance a dès lors pris la défense du bilan gouvernemental en matière de droits de l'homme.

En octobre 1992 également, le gouvernement a annoncé la mise en place d'un nouveau comité dépendant des services du procureur général, dont la tâche serait de « superviser les affaires relatives aux droits de l'homme ». D'après un communiqué de presse officiel, ce comité devait « s'efforcer de veiller à ce que tous les organes de l'État respectent les lois garantissant les droits fondamentaux, donner suite aux plaintes concernant les violations des droits de l'homme et tenter de réparer les injustices commises ». Quelque temps plus tard, le gouvernement a déclaré que le comité avait enquêté sur des cas de violations des droits de l'homme, et même engagé des poursuites contre leurs auteurs. Rien n'indique toutefois que de telles investigations aient réellement eu lieu.

En décembre 1992, l'Assemblée nationale transitoire a créé un comité des droits de l'homme. Ce comité avait, dit-on, pour mission de garantir le respect des droits de l'homme en accord avec les dispositions des instruments régionaux et internationaux signés par le Soudan. L'une des premières initiatives du comité a été de préparer le Document du Soudan sur les droits de l'homme. En avril 1993, afin de mieux coordonner sa réponse aux critiques relatives à la situation des droits de l'homme, le gouvernement a mis en place un "Conseil supérieur de coordination" pour les droits de l'homme, avec à sa tête le président de l'Assemblée nationale transitoire.

En mai 1993, Aldo Ajou Deng, président du Comité des droits de l'homme de l'Assemblée nationale transitoire, a annoncé qu'il avait enquêté sur un grand nombre de plaintes de citoyens, mais qu'il n'avait rien trouvé « qui puisse être considéré comme une violation des droits de l'homme dans le cadre international reconnu ». Toutefois, Aldo Ajou Deng s'est exilé en janvier 1994 et a dénoncé en ces termes le bilan du gouvernement en matière de droits de l'homme : « Les violations des droits de l'homme ont affecté la vie soudanaise sous tous ses aspects. Discrimination raciale et religieuse, homicides aveugles de citoyens dans le Sud et dans les monts Nouba, arrestations arbitraires et "disparitions" d'opposants, enlèvements de jeunes enfants aux fins d'esclavage, d'orientation religieuse et de formation militaire, tout cela constitue aujourd'hui la loi non écrite de ce pays. »

Interrogé par Amnesty International, Aldo Ajou Deng a déclaré que le Comité des droits de l'homme de l'Assemblée nationale transitoire avait réellement essayé d'enquêter sur les plaintes pour violations des droits de l'homme qui lui avaient été soumises, mais que les services de sécurité avaient constamment entravé ses efforts. En août 1994, le successeur d'Aldo Ajou Deng a annoncé que le comité menait des enquêtes sur des accusations d'atteintes au droits de l'homme.

La défense des droits de l'homme est une chose trop importante pour être confiée aux autorités politiques ou militaires au sein du gouvernement ou de l'APLS. L'arrivée au pouvoir de l'actuel gouvernement a donné un coup d'arrêt au développement d'une communauté indépendante de défenseurs des droits de l'homme au Soudan. Des militants ont été arrêtés ou contraints à l'exil. Dans le sud du pays, le conflit armé et les exactions de l'APLS ont mis un frein aux activités des Soudanais qui cherchaient à promouvoir les droits de l'homme.

Il est essentiel que des réseaux et des organismes soudanais prennent des initiatives en vue de surveiller la situation des droits de l'homme, si l'on veut que se développe au Soudan une culture des droits de l'homme. Pour ceux qui se trouvent dans le pays, il peut s'avérer périlleux de mener de véritables activités en faveur des droits de l'homme ; pour ceux qui sont hors du pays, le danger est moindre, mais il leur est difficile de rassembler et de vérifier les informations. Il est donc primordial que la communauté internationale vienne en aide aux Soudanais cherchant à s'engager dans des activités de défense des droits de l'homme.

Les droits de l'homme et la paix

La question des droits de l'homme au Soudan s'étend bien au-delà de la question de la guerre. Le gouvernement s'est rendu coupable de graves violations des droits de l'homme, pour des raisons qui ne sont pas liées à la guerre, dans des régions très peu touchées par le conflit. Il est néanmoins essentiel de mettre un terme à cette guerre si l'on veut créer les conditions d'un avenir sûr favorisant le respect des droits de l'homme partout dans le pays. Une cessation des hostilités, notamment sur la base d'un accord comprenant des garanties relatives aux droits de l'homme ainsi que des mécanismes agréés pour la protection de ces droits, peut réduire la fréquence de certaines des plus graves atteintes aux droits de l'homme.

Jusqu'à présent, peu d'efforts ont été accomplis pour restaurer la paix. Des négociations réunissant toutes les parties ont débuté en mai 1992 à Abuja, la capitale du Nigéria, avec la médiation du gouvernement nigérian agissant au nom de l'OUA, mais elles ont été suspendues après quelques jours. De nouveaux pourparlers entre le gouvernement et la faction APLS-Courant principal de John Garang se sont déroulés à Abuja en avril 1993. Un cessez-le-feu a été proclamé, mais lorsque les négociations ont été interrompues en mai, la faction APLS-Courant principal a annoncé la fin du cessez-le-feu. Parallèlement, la faction APLS-Unifiée rencontrait une délégation gouvernementale à Nairobi. En mai 1993, le gouvernement des États-Unis a tenté d'obtenir des deux factions de l'APLS qu'elles observent un cessez-le-feu. Toutes deux ont alors accepté de retirer leurs troupes du "triangle de la faim" du Haut-Nil, où elles s'étaient rendues coupables de flagrantes atteintes aux droits de l'homme. Après quelques semaines, cepenant, la faction APLS-Courant principal attaquait des objectifs civils dans la zone que les soldats étaient supposés avoir évacuée.

En novembre 1993, les pays membres de l'Autorité intergouvernementale sur la sécheresse et le développement (IGADD) – Kénya, Ouganda, Érythrée et Éthiopie – ont lancé une importante initiative en faveur de la paix pour tenter de régler « le problème du sud du Soudan ». En janvier 1994, les ministres des Affaires étrangères de l'IGADD rencontraient séparément les trois parties à Nairobi. La faction APLS-Unifiée et la faction APLS-Courant principal acceptèrent d'observer un cessez-le-feu mais, pendant ce temps, le gouvernement lançait une offensive de grande envergure en Équatoria.

En mars 1994, des négociations réunissant toutes les parties au conflit ont eu lieu. Ces dernières se sont alors engagées à respecter une série de principes destinés à faciliter la distribution de l'aide humanitaire. Un nouvel accord sur l'accès à cette aide a été signé à la mi-mai. Les pourparlers de paix qui ont eu lieu quelques jours plus tard ont été interrompus sans avoir enregistré de progrès notables. Les différentes parties se sont à nouveau rencontrées en juillet 1994, à Nairobi, pour discuter notamment de deux questions clés : l'autodétermination pour le Sud et les relations entre l'État et la religion. Les discussions ont été suspendues sans que les parties soient parvenues à un accord. De nouveaux pourparlers ont eu lieu en septembre, mais ils se sont soldés par un échec ; aucune date de reprise des négociations n'a été fixée.

Que les pourparlers menés sous l'égide de l'IGADD reprennent ou non et permettent de surmonter les énormes obstacles politiques qui entravent le processus de la paix, tout accord de paix doit nécessairement contenir les plus fermes garanties en matière de droits de l'homme. Le rôle qui échoit aux médiateurs et aux observateurs internationaux est de contribuer à faire en sorte qu'il en soit ainsi. En attendant, il est d'une importance capitale de faire respecter les droits de l'homme.

Une proposition d'action

Les violations des droits de l'homme sont à l'origine du conflit et de l'établissement au Soudan d'une situation d'extrême dépendance humanitaire ; tout accord de paix doit en tenir compte. Cela étant, la prévention des atteintes aux droits de l'homme au Soudan est une question dont les implications dépassent largement le cadre du processus de paix. En conséquence, le fait de veiller au respect des droits de l'homme ne peut être mis sur le même plan que celui d'assurer le respect du cessez-le-feu. Il est nécessaire et urgent de surveiller activement la situation des droits de l'homme partout dans le pays.

Ceux qui détiennent le pouvoir, que ce soit le gouvernement ou l'une ou l'autre des factions de l'APLS, doivent montrer qu'ils remplissent leurs obligations aux termes des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme et aux principes humanitaires auxquels le Soudan est partie.

Tous les discours sur le respect des droits de l'homme ne sauraient remplacer l'action concrète.

Il serait bon d'encourager les visites périodiques des organisations qui ne sont pas installées en permanence dans le pays, afin qu'elles puissent étudier la situation des droits de l'homme et prodiguer leurs conseils. De telles délégations ne sont toutefois pas en mesure d'accomplir le travail soutenu nécessaire à l'instauration du respect des droits de l'homme dans un pays aussi vaste que le Soudan.

Amnesty International appelle donc à la mise sur pied, par une organisation intergouvernementale appropriée, d'une équipe d'observateurs civils internationaux spécialisés dans le domaine des droits de l'homme et qui œuvrerait, en collaboration avec les autorités et l'ensemble des citoyens soudanais, à l'instauration du respect des droits de l'homme dans tout le pays. Amnesty International demande au gouvernement soudanais comme aux différentes factions de l'APLS de montrer leur engagement en faveur des droits de l'homme en invitant une telle équipe à s'installer dans les zones placées sous leurs contrôles respectifs et en collaborant avec elle.

Le travail des observateurs devrait comporter deux aspects principaux. Le premier serait la « vérification active » des violations des droits de l'homme. L'équipe devrait être habilitée à transmettre des informations aux autorités centrales et locales, à charge pour celles-ci de prendre les mesures nécessaires, et pouvoir organiser le suivi des cas signalés jusqu'à ce que les affaires soient considérées comme résolues. Elle devrait surveiller l'application des mesures, sanctions disciplinaires ou autres, prises par les autorités contre toute personne incriminée. Il incomberait en outre aux observateurs de rédiger des rapports sur leur travail, destinés à être rendus publics ; ils y feraient état des violations des droits de l'homme qui leur auront été signalées, ainsi que des recommandations adressées aux autorités pour lutter contre ces agissements, que ceux-ci soient systématiques ou qu'il s'agisse de cas isolés.

En second lieu, l'équipe d'observateurs devrait collaborer avec les institutions soudanaises et les aider à se doter des moyens de veiller à ce que le respect des droits de l'homme soit pleinement garanti. Elle devrait inciter les autorités à instaurer des systèmes efficaces permettant d'enquêter sur les violations des droits de l'homme et d'agir pour y mettre un terme. L'équipe devrait aussi travailler de concert avec les autorités pour veiller à l'application effective des engagements pris par le Soudan aux termes des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme et aux principes humanitaires que le Soudan a ratifiés (cf. annexe).

Des observateurs devraient être placés dans les 26 États du pays, et pas seulement dans les villes les plus importantes. Le déploiement complet d'une équipe d'observateurs des droits de l'homme exige en outre que les trois parties aux conflit en acceptent le principe. Toutefois, un déploiement partiel ou échelonné serait possible avec l'accord d'une seule des parties. Cette proposition ne concerne pas seulement les zones en guerre, mais également les territoires moins directement touchés par le conflit. Il serait en conséquence possible de procéder à un tel déploiement avant et indépendamment de tout accord de cessez-le-feu ou de paix, et cela même dans les régions situées à l'intérieur de la zone de conflit ; en effet, de vastes portions de territoires au Sud sont militairement paisibles, et il existe déjà sur place un important déploiement de personnel international travaillant dans le cadre de programmes d'aide ou de développement.

La communauté internationale a admis la nécessité d'atténuer les désastreuses conséquences humanitaires de la guerre, et accepté d'en prendre la charge. Chaque année, l'opération Lifeline Sudan transporte des dizaines de milliers de tonnes de vivres, de graines et de médicaments destinées aux régions contrôlées soit par le gouvernement, soit par l'une ou l'autre des factions de l'APLS ; elle fournit en outre un soutien logistique à un grand nombre d'organismes d'aide ou de développement. Il est temps que la communauté internationale fasse un pas de plus en se donnant les moyens de prévenir les violations des droits de l'homme qui sont, en dernière analyse, à l'origine du besoin d'une intervention humanitaire internationale. Un Soudan où les droits de l'homme seront respectés sera un Soudan bien moins exposé aux risques d'une catastrophe humanitaire.

Conclusions et recommandations

Le problème du respect des droits de l'homme au Soudan déborde largement le cadre des zones touchées par la guerre. Dans l'application de son programme politique, qui comporte le démantèlement des institutions de la société civile, le gouvernement continue d'avoir recours à la détention arbitraire et à la torture. Même les garanties, bien insuffisantes d'ailleurs, relatives aux droits des détenus sont sciemment ignorées par un dispositif de sécurité qui n'obéit qu'à ses propres lois. Il existe dans le système judiciaire un certain nombre de peines cruelles, inhumaines ou dégradantes qui, en tant que telles, sont interdites par les accords internationaux. Les mesures prises dans le domaine des droits de l'homme relèvent apparemment plus du désir d'améliorer l'image de marque du pays que de la volonté de s'attaquer aux problèmes fondamentaux.

Dans les zones où sévit la guerre, loin du regard du reste du monde, les atteintes aux droits de l'homme sont flagrantes. Les monts Nouba sont une région isolée ; des communautés entières y sont systématiquement détruites, conséquence d'une campagne anti-insurrectionnelle féroce. Les forces gouvernementales et les soldats de l'APLS ont délibérément massacré des civils qui n'avaient pas pris part au conflit, au seul motif de leur identité ethnique ou de leur appartenance politique présumée. Ni le gouvernement ni l'APLS n'ont, semble-t-il, pris de mesures sérieuses afin d'amener les personnes ayant commis des atrocités à rendre compte de leurs actes.

Une paix juste et durable, assortie de toutes les garanties nécessaires en matière de droits de l'homme et de mécanismes permettant de veiller au respect de ces garanties, constituerait un pas en avant vers un avenir où les droits de l'homme ne seraient plus bafoués. Cependant, tant que le gouvernement continuera d'agir à sa guise en détenant arbitrairement les opposants, à tenir des procès inéquitables et à recourir à la torture, les violations des droits de l'homme se poursuivront au Soudan, même si la guerre cesse.

Les gouvernements adoptent des normes internationales relatives aux droits de l'homme et des principes de droit international humanitaire qui leur imposent des obligations. Il leur incombe de veiller à ce qu'ils soient à tout moment respectés. Les exactions commises par l'APLS ne peuvent en aucun cas justifier l'abandon de ce principe fondamental. Elles ne doivent pas non plus servir à détourner l'attention des violations des droits de l'homme perpétrées par le gouvernement. Les atteintes aux droits de l'homme imputables aux deux factions de l'APLS sont également condamnables. Les homicides arbitraires perpétrés par une faction ne justifient pas les homicides commis en représailles par l'autre, et encore moins le fait de prendre pour cible des groupes sociaux ou ethniques entiers à cause des actes de quelques-uns de leurs membres. Le fait que l'un des camps torture et tue ses prisonniers de guerre n'autorise pas l'autre camp à agir de même.

I. Recommandations au gouvernement et aux deux factions de l'APLS

1. Coopérer avec la communauté internationale en vue de promouvoir le déploiement, dans toutes les régions du Soudan, d'un organisme civil international chargé de surveiller la situation des droits de l'homme

Le gouvernement et chaque faction de l'APLS devraient coopérer avec l'organisme de surveillance en : ou autorisant et facilitant l'accès régulier aux lieux d'emprisonnement et de détention, aux lieux où des atteintes aux droits de l'homme sont supposées avoir été commises, ainsi qu'aux personnes ayant besoin d'aide ou souhaitant formuler une plainte ; ou permettant aux observateurs de mener des enquêtes exhaustives et impartiales sur les accusations de torture, d'exécutions extrajudiciaires et d'homicides délibérés et arbitraires ; ou donnant aux observateurs libre accès aux médias locaux et nationaux.

Chaque partie devrait : ou veiller à ce que les personnes ou les organisations qui prennent contact avec l'organisme de surveillance ne fassent pas l'objet de représailles ; ou mettre en œuvre les recommandations de l'organisme de surveillance relatives aux droits de l'homme.

2. Placer les questions relatives aux droits de l'homme au centre de tout accord de paix ou de cessez-le-feu

La signature d'un accord de paix offrirait une excellente occasion pour jeter les bases d'une société fondée sur le respect des droits de l'homme. Tout accord de paix ou de cessez-le-feu devrait comporter un chapitre précisant les droits et les normes que le gouvernement aussi bien que les factions de l'APLS auraient obligation de respecter, tant au cours de la période de transition que durant la période postérieure à la signature de l'accord. Ce chapitre devrait notamment comprendre : ou les droits définis dans la Constitution et les lois nationales applicables (lorsque celles-ci sont conformes aux normes internationales) ; ou les droits définis dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels le Soudan est partie, ainsi que dans les autres normes et principes internationaux relatifs aux droits de l'homme et à la justice pénale.

Le gouvernement et chaque faction de l'APLS devraient accepter de rendre des comptes concernant les atteintes aux droits de l'homme commises dans le passé, et s'engager à prendre les mesures suivantes : ou veiller à ce que les plaintes pour atteintes aux droits de l'homme fassent l'objet d'enquêtes menées par des commissions indépendantes et impartiales ; ou suspendre de ses fonctions toute personne faisant l'objet d'une enquête pour atteinte aux droits de l'homme, en attendant les conclusions de l'enquête; ou appliquer le principe selon lequel toute personne reconnue coupable d'atteinte aux droits de l'homme doit être définitivement écartée de toute fonction lui permettant d'avoir la garde de prisonniers ou lui conférant le pouvoir d'user ou d'ordonner l'usage de la force meurtrière ; o publier la liste des personnes qui ont été incarcérées en raison du conflit.

Le gouvernement et chaque faction de l'APLS devraient autoriser les Nations unies à jouer pleinement leur rôle. L'ONU pourra ainsi superviser tout ce qui touche aux droits de l'homme dans tout accord de paix ou de cessez-le-feu, enquêter sur les accusations d'atteinte aux droits de l'homme et veiller à ce que des mesures soient prises en conséquence.

3. Ordonner l'ouverture d'enquêtes impartiales dans les plus brefs délais sur tous les cas d'atteinte aux droits de l'homme qui ont été signalés

Le gouvernement devrait publier le rapport d'enquête annoncé en novembre 1992 « sur les événements qui se sont produits dans la ville de Juba en juin et en juillet 1992 », rapport qui a, semble-t-il, été soumis au Conseil des Ministres. En outre, le gouvernement devrait diligenter des enquêtes indépendantes et impartiales sur les cas d'exécutions extrajudiciaires et autres violations des droits de l'homme signalés dans les monts Nouba ; les exécutions extrajudiciaires et les enlèvements de femmes et d'enfants par les Forces de défense populaire (FDP) dans le nord du Bahr el Ghazal ; enfin, toutes les informations faisant état de tortures et de mauvais traitements infligés par des organes militaires, de sécurité et autres travaillant pour le compte du gouvernement.

La faction APLS-Unifiée devrait ordonner l'ouverture d'enquêtes sur les atteintes aux droits de l'homme qui lui sont imputables, tels les homicides délibérés et arbitraires de civils commis par ses unités dans le sud du Haut-Nil et du Bahr el Ghazal en 1991 et en 1992 ; le meurtre perpétré en 1991 de membres de l'APLS présumés loyaux envers la faction APLS-Courant principal ; la mort de Nouba à Baliet en 1992.

La faction APLS-Courant principal devrait ordonner l'ouverture d'enquêtes sur les atteintes aux droits de l'homme qui lui sont reprochées, comme les homicides délibérés et arbitraires de civils commis dans le centre du Haut-Nil en 1992 et 1993 ainsi qu'en Équatoria oriental en 1992 et en 1993 ; les tortures à l'encontre des personnes accusées d'être opposées à la direction qui ont été arrêtées dans les années 80 ; les tortures sur des personnes appréhendées depuis 1991 ; et la mort, entre autres, de Martin Majier Gai en 1993.

Dès que des atteintes aux droits de l'homme sont signalées, une enquête devrait être immédiatement ouverte.

L'enquête doit s'illustrer par son exhaustivité et son impartialité. Elle devrait toujours se dérouler selon les principes élémentaires suivants : ou l'enquête devrait être ouverte rapidement ; ou les personnes chargées de l'enquête devraient être habilitées à recueillir toutes les informations nécessaires et à convoquer des témoins ainsi que des fonctionnaires soupçonnés d'avoir participé à des violations des droits de l'homme pour qu'ils viennent témoigner ; ou des poursuites devraient être engagées contre tout membre des forces armées ou des services de sécurité qui refuse de coopérer dans le cadre de l'enquête ; ou des mesures devraient être prises, dans les affaires relatives à des atteintes aux droits de l'homme, pour protéger les plaignants, les témoins et les enquêteurs contre les agressions, les menaces d'agression et toute autre forme d'intimidation ; ou l'organe chargé de l'enquête devrait, dès que possible, rédiger un rapport, qui sera immédiatement rendu public. Le rapport devrait donner des informations détaillées sur le champ de l'enquête, relater de façon circonstanciée ce qui s'est produit lors des faits incriminés, fournir les éléments sur lesquels se fondent les conclusions et décrire la procédure utilisée pour apprécier les éléments de preuve. En outre, le rapport devrait faire des recommandations concernant les mesures concrètes et efficaces à prendre en vue d'empêcher de nouvelles atteintes aux droits de l'homme. Ceux qui détiennent le pouvoir devraient indiquer quelles mesures ils comptent adopter pour donner suite au rapport ; ou les autorités ne devraient disposer que d'un laps de temps limité pour répondre au rapport, en indiquant quelles sont les mesures prises pour réparer les atteintes aux droits de l'homme et empêcher qu'elles ne se reproduisent. Elles devraient rendre leur réponse publique.

4. Déférer à la justice tous les soldats et fonctionnaires responsables d'atteintes aux droits de l'homme

L'impunité ne devrait pas exister dans les affaires d'atteintes aux droits de l'homme. Le gouvernement et les deux factions de l'APLS devraient veiller à ce que les soldats, les agents de la Sécurité et toute autre personne accusée d'avoir participé à de tels agissements soient suspendus de leurs fonctions. Ils devraient être en outre écartés de tout poste leur permettant d'influencer les plaignants, les témoins ou toute autre personne, et cela tant que dureront les enquêtes les concernant. Le gouvernement devrait veiller à ce que les soldats, les agents de la Sécurité et toute autre personne contre qui il existe des preuves de violations des droits de l'homme soient traduits en justice.

5. Prendre des mesures pour empêcher les exécutions extrajudiciaires et les homicides délibérés et arbitraires, ainsi que pour mettre un terme à la torture et aux mauvais traitements

Le gouvernement et les deux factions de l'APLS devraient veiller à ce que toutes les unités militaires et tous les fonctionnaires des services de sécurité ou d'autres organes qui ont pour tâche d'interpeller, d'arrêter, de placer en garde à vue, de détenir et d'incarcérer des personnes fassent l'objet d'un contrôle rigoureux, ce qui implique notamment le strict respect de la voie hiérarchique : ou des instructions claires devraient être données interdisant les exécutions extrajudiciaires, ainsi que les homicides délibérés et arbitraires ; ou un contrôle rigoureux devrait être exercé sur toutes les unités militaires, les unités des FDP, les milices et les services de sécurité participant à des opérations dans des zones de conflit armé ; ou toute personne placée en détention, aussi brève soit-elle, devrait être inscrite sur un registre, d'une part par l'unité militaire, de sécurité ou de police ou toute autre autorité qui a procédé à l'arrestation et, d'autre part, par l'unité militaire, de sécurité ou de police ou toute autre autorité ou établissement pénitentiaire qui reçoit le prisonnier ; ou des règles écrites régissant la procédure relative à l'usage des armes à feu devraient être distribuées à tous les soldats, à tous les membres des FDP et autres milices, ainsi qu'à tous les fonctionnaires des services de sécurité. À chaque fois qu'un coup de feu est tiré lors d'un incident, un rapport devrait être rapidement adressé aux autorités compétentes.

Le gouvernement et les hauts responsables de l'APLS devraient donner aux soldats, aux membres des milices et aux agents des services de sécurité des directives claires indiquant que, quelles que soient les circonstances, les atteintes aux droits fondamentaux des civils ou des combattants faits prisonniers ne sont pas acceptables et seront punies : ou des ordres clairs devraient être donnés interdisant toutes les formes de torture et de mauvais traitements, notamment le viol, les passages à tabac et, dans tous les cas, le meurtre de prisonniers ; ou tous les soldats, agents des services de sécurité et membres de milices devraient avoir officiellement le droit et le devoir de désobéir aux ordres qui ne seraient pas donnés en ce sens.

Le gouvernement et les deux factions de l'APLS devraient énoncer des directives visant à protéger les droits fondamentaux des détenus durant leur interrogatoire : ou le jour, l'heure et la durée de chaque séance d'interrogatoire, ainsi que les noms de toutes les personnes présentes, devraient être consignés de façon précise dans un registre ; ou les autorités judiciaires, les avocats et les proches des détenus devraient avoir accès à ces registres ; ou si un prisonnier affirme que ses aveux lui ont été arrachés sous la torture, ce sont les autorités qui le détiennent et celles qui l'interrogent qui devraient avoir la charge d'apporter la preuve que les aveux étaient volontaires et qu'il n'y a eu ni torture ni mauvais traitements ; ou le gouvernement devrait ratifier la Convention de l'ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le gouvernement et les deux factions de l'APLS devraient autoriser des inspecteurs qualifiés et indépendants, appartenant à des organisations humanitaires internationales reconnues, à avoir immédiatement et régulièrement accès à tous les lieux de détention, y compris aux bureaux des services de sécurité. Ces inspecteurs devraient être habilités à procéder à des visites inopinées et à rencontrer, sans aucune restriction, tous les prisonniers. Le gouvernement et les factions de l'APLS devraient s'engager publiquement à respecter les principes humanitaires énoncés dans les Conventions de Genève de 1949.

6. Mettre un terme à la détention arbitraire

Le gouvernement et les deux factions de l'APLS devraient libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers détenus uniquement en raison de leur origine ethnique ou parce qu'ils ont exprimé de façon non violente leurs convictions.

Le gouvernement devrait supprimer toutes les dispositions légales et constitutionnelles autorisant la détention administrative sans inculpation ni jugement. Tous les détenus devraient être promptement déférés à la justice et inculpés d'infractions prévues par la loi, ou à défaut être remis en liberté.

En attendant la suppression de la détention administrative, le gouvernement devrait introduire des garanties efficaces visant à protéger les droits des détenus. Cela implique notamment que : ou un prisonnier ne devrait pas être maintenu en détention après que l'ordre a été donné de le libérer. Il ne devrait pas non plus être réincarcéré sur la base d'une nouvelle ordonnance de mise en détention, à moins que celle-ci ne contienne des éléments précis, et jusque-là indisponibles, permettant une nouvelle détention, éléments dont n'avaient pas connaissance les autorités lors de la première remise en liberté ; ou l'expression de convictions politiques non violentes, l'organisation d'arrêts de travail et la tenue de réunions politiques non violentes devraient être écartées du champ d'application des dispositions légales et constitutionnelles autorisant la détention administrative.

Dans les régions contrôlées par le gouvernement comme dans les zones tenues par les deux factions de l'APLS, toute personne, au moment où elle est arrêtée, devrait être informée des motifs précis de son arrestation : ou tous les détenus devraient être autorisés, promptement après leur arrestation et de façon régulière tout au long de leur détention, à voir leurs proches, ainsi que des membres du corps médical et des avocats indépendants ; ou les proches de la personne appréhendée devraient être immédiatement informés de son arrestation, et ensuite être tenus au courant, à tout moment, du lieu où elle est détenue ; ou le gouvernement et les deux factions de l'APLS devraient disposer de bureaux d'enregistrement chargés de centraliser toute information relative au nom et au lieu de détention de toute personne détenue sans inculpation.

7. Veiller à l'équité des procès

Dans toute procédure judiciaire, tout aveu ou élément de preuve dont il est démontré qu'il a été obtenu sous la torture devrait être déclaré irrecevable. Le juge devrait écarter tout élément recueilli de cette façon (sauf si cet élément est utilisé contre la personne accusée de torture pour prouver qu'une déclaration a été obtenue sous la torture).

Le gouvernement devrait supprimer les cours martiales, dont la procédure est loin de satisfaire aux normes internationales en matière d'équité. Elles devraient être remplacées par des tribunaux dont la procédure comporte des garanties protégeant les droits fondamentaux.

Le gouvernement devrait faire modifier la procédure suivie par les tribunaux de l'ordre public de telle sorte que les prévenus disposent du temps et des moyens nécessaires pour préparer leur défense, des services de l'avocat de leur choix et d'un droit d'appel automatique devant une juridiction supérieure.

8. Indemniser les victimes

Le gouvernement devrait indemniser équitablement toutes les victimes de violations des droits de l'homme, ou leurs proches parents dans le cas de personnes tuées ou "disparues".

9. Le gouvernement devrait cesser de maltraiter les enfants des rues

Le gouvernement devrait donner des instructions strictes interdisant à la police et à tout autre organe officiel ou non gouvernemental s'occupant du regroupement des enfants des rues de recourir à la torture et aux mauvais traitements : o l'usage de fers, la flagellation et toutes les autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les écoles et les camps spéciaux devraient être immédiatement interdits ; o un bureau d'enregistrement central devrait être établi pour les enfants emmenés dans des écoles ou des camps spéciaux afin de faciliter les recherches des familles. Toute information fournie par les enfants sur l'identité de leurs parents devrait donner lieu à des mesures leur permettant de se retrouver.

10. Le gouvernement devrait immédiatement prendre des mesures afin que les femmes et les enfants enlevés dans le nord du Bahr el Ghazal et dans les monts Nouba puissent retrouver leurs familles

Des instructions strictes interdisant les enlèvements devraient être données à tous les soldats et membres des FDP et autres milices. Les autorités devraient enquêter sur tous les cas qui leur sont signalés concernant des personnes enlevées ou réduites en esclavage, en vue de faire libérer les victimes et d'engager des poursuites pénales contre les auteurs des enlèvements et les responsables des trafics consécutifs. Elles devraient apporter leur aide pleine et entière aux familles recherchant des parents ayant disparu.

11. Le gouvernement devrait faire abolir les peines cruelles, inhumaines ou dégradantes inscrites dans la législation

Les peines telles que la lapidation à mort, le crucifiement, la mutilation et la flagellation devraient être supprimées du Code pénal de 1991. En attendant leur abolition, les sentences de flagellation et de mutilation devraient être suspendues. Toutes les sentences d'amputation et de mort devraient être commuées. La peine capitale devrait être abolie.

II. Recommandations à la communauté internationale

La communauté internationale devrait veiller à ce que le gouvernement soudanais et les deux factions de l'APLS respectent les normes relatives aux droits de l'homme et les principes humanitaires universellement reconnus en : ou encourageant et soutenant le déploiement d'un organisme civil international de surveillance des droits de l'homme qui serait mandaté pour surveiller la situation des droits de l'homme dans tout le pays ; ou faisant en sorte que la question des droits de l'homme soit au centre de tout accord de paix ; ou apportant au rapporteur spécial de l'ONU sur le Soudan tout le soutien nécessaire, afin qu'il puisse remplir pleinement et efficacement son mandat ; ou cherchant de nouveaux moyens d'aider ceux qui, au Soudan, œuvrent en faveur des droits de l'homme.

ANNEXE - Les obligations du Soudan aux termes du droit international (à la date d'octobre 1994)

Le Soudan a adhéré à divers traités internationaux relatifs aux droits de l'homme ou les a ratifiés. Si beaucoup de ces traités ont été signés par des gouvernements antérieurs, le gouvernement actuel n'en est pas moins tenu d'en respecter les dispositions.

Les différents traités de l'ONU auxquels le Soudan est partie sont les suivants :

•                le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Soudan a adhéré le 18 mars 1986. Le Soudan n'est toutefois devenu partie ni au Premier ni au Deuxième Protocole facultatifs ;

•                le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), auquel le Soudan a adhéré le 18 mars 1986;

•                la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, à laquelle le Soudan a adhéré le 21 mars 1977 ;

•                la Convention relative à l'esclavage telle qu'amendée, à laquelle le Soudan a continué d'adhérer par notification de succession le 9 septembre 1957 ;

•                la Convention supplémentaire relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage, à laquelle le Soudan a continué d'adhérer par notification de succession le 9 septembre 1957 ;

•                la Convention relative au statut des réfugiés et le Protocole relatif au statut des réfugiés, auxquel le Soudan a respectivement adhéré le 22 février 1974 et le 23 mai 1974 ;

•                la Convention relative aux droits de l'enfant, que le Soudan a ratifiée le 3 août 1990.

Le 4 juin 1986, le Soudan a signé la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Bien qu'il ne l'ait pas encore ratifiée, le Soudan est tenu aux termes du droit international de ne commettre aucun acte qui irait à l'encontre des objectifs de cette convention.

En tant que membre de l'Organisation internationale du travail (OIT), le Soudan a ratifié les conventions suivantes :

•                la Convention (n° 29) concernant le travail forcé ;

•                la Convention (n° 98) concernant le droit d'organisation et de négociation collective, ratifiée le 18 juin 1957 ;

•                la Convention (n° 105) concernant l'abolition du travail forcé, ratifiée le 22 octobre 1970 ;

•                la Convention (n° 111) concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession, ratifiée le 22 octobre 1970 ;

•                la Convention (n° 122) concernant la politique de l'emploi.

Le 23 septembre 1957, le Soudan a adhéré aux quatre Conventions de Genève de 1949. L'article 3, commun aux quatre conventions, s'applique à toutes les parties engagées dans des conflits armés internes, aux groupes d'opposition armés comme aux gouvernements. À la date du 30 juin 1993, le Soudan n'avait ratifié aucun des deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève.

En tant que membre de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), le Soudan a ratifié :

•                la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (le 11 mars 1986) ;

•                la Convention de l'OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique (le 12 janvier 1975).

Glossaire

ADN     Alliance démocratique nationale

ANT      Assemblée nationale transitoire

APLS   Armée populaire de libération du Soudan1

CICR   Comité international de la Croix-Rouge

FDP      Forces de défense populaire

FECS   Fédération des employés et des cadres soudanais

FLO      Front de libération oromo [Éthiopie]

FMI      Fonds monétaire international

FNI        Front national islamique

FSTS    Fédération des syndicats des travailleurs soudanais

IGADD                 Autorité intergouvernementale sur la sécheresse et le développement

OIT       Organisation internationale du travail

OLS      Opération Lifeline Sudan

ONU     Organisation des Nations unies

OUA     Organisation de l'unité africaine

PAM    Programme alimentaire mondial

PCS       Parti communiste soudanais

PIDCP                  Pacte international relatif aux droits civils et politiques

PNS       Parti national du Soudan

PUD      Parti unioniste démocratique

 

London WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre, Sudan. ‘The tears of orphans': No future without human rights. Seule cette version fait foi. ISBN : 2-87666-067-9 Index AI : AFR 54/02/95 Copyright © 1994 Amnesty International Publications Copyright © 1995 Les Éditions Francophones d'Amnesty International, 17, rue du Pont-aux-choux, 75003 Paris, pour l'édition en langue française. Tous droits de reproduction réservés. Toute reproduction, même partielle, est non autorisée sans accord préalable d'Amnesty International.

 



[1] Droits de l'homme : une situation toujours préoccupante (index AI : AFR 54/03/92).

[2] Document ONU E/CN.44/1986/15, at. 48.

[3] . Droits de l'homme : une situation toujours préoccupante (index AI : AFR 54/03/92).

[4] Document ONU E/CN.4/1994/48, at. 59-61.

[5] Comments by the Government of Sudan on the report of the Special Rapporteur – Commentaires du gouvernement du Soudan sur le rapport du rapporteur spécial –, 18 février 1994,

[6] UN Doc. E/CN.44/1986/15, at. 48

[7] UN Doc. E/CN.4/1994/48, at. 59-61

[8] Quand le viol ne constitue pas un zina pour lequel la peine de mort peut être prononcée, son auteur encourt alors une peine maximale de dix ans d'emprisonnement et 100 coups de fouet.

[9] Quantifying genocide in the southern Sudan 1983-1993 – 1983-1993 : les chiffres du génocide dans le sud du Soudan – par Millard Burr, publié par le Comité des États-Unis pour les réfugiés.

[10] United Nations 1994 consolidated inter-agency appeal : Sudan – Appel unifié interorganisation (ONU, 1994) : le Soudan –, publié par le Département des affaires humanitaires                     

[11] Amnesty International avait précédemment avancé le nombre d'au moins 230 personnes arrêtées à Juba, dans un rapport intitulé Soudan. Les ravages de la guerre : assassinats politiques et tragédie humaine (index AI : AFR 54/29/93, septembre 1993). En mars 1994, l'Organisation a eu connaissance des noms de 70 prisonniers qui seraient détenus dans le nord du Soudan. Auparavant, l'Organisation ne connaissait l'existence que de quelques-uns d'entre eux.

[12] UN Doc. CRC/C/3/Add. 20

[13] Amnesty International utilise le terme « homicide délibéré et arbitraire » pour désigner un homicide commis intentionnellement et illégalement sous l'autorité d'un groupe politique armé ou avec son assentiment. Tout comme le gouvernement du Soudan, l'APLS est tenue de respecter les principes du droit international humanitaire, qui protègent les droits des civils et de quiconque ne participe pas aux hostilités

[14] Tous ces faits sont exposés en détail dans un rapport de Human Rights Watch/Africa, intitulé Civilian devastation: abuses by all parties in the war in southern Sudan, 1994.

[15] UN Doc. E/CN.4/1994/48

[16] Ibid.

[17] Ibid.

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L'édition originale en langue anglaise de ce livre a été publiée par Amnesty International Publications, 1 Easton Street, London WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre, Sudan. ?The tears of orphans': No future without human rights. Seule cette version fait foi. ISBN : 2-87666-067-9 Index AI : AFR 54/02/95 Copyright © 1994 Amnesty International Publications Copyright © 1995 Les Éditions Francophones d'Amnesty International, 17, rue du Pont-aux-choux, 75003 Paris, pour l'édition en langue française. Tous droits de reproduction réservés. Toute reproduction, même partielle, est non autorisée sans accord préalable d'Amnesty International.

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