Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - République Démocratique du Congo

Contexte politique

La période de transition politique initiée par l'Accord global et inclusif de Pretoria de 2002 s'est achevée par la réalisation de l'un de ses objectifs : la tenue d'élections présidentielles. Le 6 décembre 2006, le Président élu Joseph Kabila prêtait ainsi serment. Le 5 février 2007, le nouveau Gouvernement dirigé par M. Antoine Gizenga a été officiellement annoncé et, le 24 février 2007, son programme a été adopté par l'Assemblée nationale. Ces élections ont été soutenues à bout de bras par la communauté internationale, particulièrement l'Union européenne, au mépris de la réalisation des autres engagements inscrits dans l'Accord nécessaires pour la paix et la sécurité dans le pays, à savoir le renforcement de l'État de droit, la lutte contre l'impunité des crimes les plus graves et la réunification des groupes armés au sein d'une armée nationale. Les "élections à tout prix" ont ainsi marqué l'arrêt d'une transition qui n'en a finalement porté que le nom sans en avoir les vertus.

Ainsi, l'insécurité est toujours présente à Kinshasa et, dans l'est du pays, dans le district de l'Ituri, le sud Kivu et le nord Katanga. De plus, depuis 2007, un conflit violent oppose dans le nord Kivu les troupes dissidentes du Général Laurent Nkunda aux Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). L'ingérence des pays voisins et le contrôle des ressources naturelles continuent en outre de nourrir la guerre dans cette partie du pays.

Les populations sont les premières victimes de ces violences, dans la mesure où elles sont exposées à des exécutions, des disparitions forcées, des tortures et autres mauvais traitements, des arrestations arbitraires, des pillages, etc.1 Par ailleurs, les viols et violences sexuelles, pratiques banalisées par plusieurs années de guerre, sont perpétrés de manière massive et systématique, particulièrement dans les zones de conflit. Ces violations sont commises en toute impunité tant par les agents de l'État, principalement les membres des FARDC et de la police nationale congolaise, que par les milices et groupes armés, notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda, les Mai-Mais et les troupes du Général Nkunda.2

Par ailleurs, le système judiciaire souffre d'une absence totale d'indépendance et d'impartialité, constamment dénoncée par les ONG locales qui soulignent la nécessité de reconstruire l'appareil judiciaire, de garantir son indépendance, et de réformer le droit interne afin de s'assurer que les auteurs des crimes notamment les plus graves soient effectivement poursuivis et jugés. A cet égard, il convient de noter qu'une enquête de la Cour pénale internationale (CPI) a abouti à la délivrance, le 19 octobre 2007, d'un mandat d'arrêt contre M. Germain Katanga, chef de troupes rebelles ayant perpétré de graves violations des droits de l'Homme en Ituri en 2002 et 2003.

Dans ce contexte, la tâche des défenseurs des droits de l'Homme est particulièrement difficile. Les autorités congolaises sont en effet extrêmement sensibles aux activités qui pourraient porter atteinte à leur crédibilité et à leur image à l'étranger, et la dénonciation des violations des droits de l'Homme se fait dans un climat à hauts risques pour les défenseurs qui, cette année encore, ont payé un lourd tribut : assassinats, clandestinité, exil et persécutions. En 2007, la Rapporteure spéciale de la CADHP sur les défenseurs des droits de l'Homme en Afrique a ainsi publié quatre communiqués de presse sur la situation des défenseurs en République démocratique du Congo (RDC) sur un total de sept pour l'année 2007, ce qui illustre la grande précarité de leur situation.

Assimilation des défenseurs à des opposants politiques et accusations de ternir l'image du pays

Les défenseurs des droits de l'Homme qui dénoncent les violations des libertés fondamentales et du droit international humanitaire sont souvent considérés comme des sympathisants de l'une des forces en présence et font de façon récurrente l'objet de menaces, de harcèlement et d'intimidations de la part des autorités nationales et des éléments des groupes armés. Ceci a par exemple été le cas de M. Dismas Kitenge Senga, président du Groupe Lotus basé à Kisangani, qui a été attaqué le 18 octobre 2007 par un groupe d'étudiants suite à ses déclarations aux médias appelant à des négociations de paix entre le Gouvernement et les rebelles du Général Laurent Nkunda. Les étudiants, poussés par les thèses militaristes du chef de l'État, l'accusaient de soutenir le Général Nkunda et d'être ainsi un "traitre à la nation". Par ailleurs, le 5 octobre 2007, plusieurs membres de Solidarité katangaise, une organisation présidée par le Ministre des Affaires humanitaires, se sont rendus devant le siège de la section du Katanga de l'Association africaine de défense des droits de l'Homme (ASADHO), en scandant des chansons hostiles.

D'autre part, les défenseurs continuent d'être systématiquement interrogés par des agents de l'État, comme ceux de la direction générale des migrations (DGM), à la suite de déplacements à l'étranger pour des activités liées aux droits de l'Homme, et d'être accusés de ternir l'image des institutions et du pays. Ainsi, M. Kabala Mushiya, ancien directeur de cabinet à l'Observatoire national des droits de l'Homme (ONDH) et secrétaire général du Comité pour la démocratie et les droits de l'Homme (CDDH), a été interpellé le 2 septembre 2007 à son arrivée à l'aéroport à Kinshasa par six agents de la DGM, qui l'ont interrogé sur les activités en matière de droits de l'Homme qu'il venait de mener lors d'un séjour en Europe. Lors de cet interrogatoire, M. Kabala Mushiya a été accusé d'avoir détérioré l'image du pays à l'étranger et d'avoir critiqué les institutions de la RDC. De même, le Ministre de la Presse et de l'information a publiquement qualifié l'organisation Journalistes en danger (JED) d'"antipatriotique", après qu'elle eut dénoncé, lors d'une conférence de presse, les modifications de deux projets de lois restreignant la liberté de la presse.

Menaces contre les défenseurs engagés dans la lutte contre l'impunité et les dysfonctionnements du système judiciaire

Comme par le passé, les défenseurs qui collaborent aux enquêtes de la CPI ou plus généralement qui luttent contre l'impunité des seigneurs de guerre et chefs de milice ont fait en 2007 l'objet de campagnes de discrédit et de menaces. Ainsi, l'un des dirigeants de Justice Plus a quitté le pays et les autres membres de l'organisation continuent de recevoir des menaces suite à leur critique des conditions du procès à Kisangani contre les anciens seigneurs de guerre.

Par ailleurs, des ONG, dont JED, ont reçu des menaces pour avoir dénoncé les dysfonctionnements de la justice militaire, et notamment sa précipitation, les déclarations contradictoires des assassins présumés, l'absence de preuve matérielle et de mobile dans le cadre de l'enquête sur le meurtre de M. Serge Maheshe, un journaliste de la radio Okapi, parrainée par l'ONU, le 13 juin 2007. Les membres de JED ont également continué d'être harcelés à la suite de la parution, en 2006, d'une enquête sur les responsables présumés de l'assassinat, en novembre 2005, du journaliste Franck Ngyeke.

Harcèlement des défenseurs dénonçant la mauvaise gestion des ressources naturelles

A plusieurs reprises, l'Expert indépendant des Nations unies sur la RDC a demandé à l'État de mettre l'accent sur la lutte contre le trafic et l'exploitation illégale des ressources naturelles.3 Cette question demeure en effet extrêmement sensible et, comme dans le passé, les défenseurs qui ont dénoncé la mauvaise gestion des ressources naturelles par les autorités congolaises, et notamment la conclusion de contrats avec des groupes miniers étrangers, ont été inquiétés. Ainsi, M. Willy Loyombo, membre du Groupe Lotus à Opala et président de l'Organisation pour la sédentarisation, l'alphabétisation et la promotion des Pygmées (OSAPY), une ONG basée à Kisangani, et également membre du Réseau de la société civile en charge de la surveillance et de la gestion des ressources naturelles, milite en faveur de la révision des contrats léonins conclus par les entreprises locales en violation des droits des communautés locales et du droit de l'environnement. A ce titre, il est constamment harcelé et menacé par les autorités locales, qui l'accusent de soulever la population contre ces entreprises. De même, M. Georges Ningo, membre de la Coordination des associations de promotion et de défense des droits de l'Homme à Isangi, a été menacé par les autorités locales et la police à plusieurs reprises. Fin 2007, il était recherché par le parquet du Tribunal de Kisangani pour "incitation de la population locale à la rébellion", alors qu'il défendait le droit de ces communautés à bénéficier de l'exploitation du bois par la société agroforestière d'exploitation du bois (SAFBOIS) basée à Imbolo.

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 L'ampleur des violences sexuelles a été dénoncée par l'ensemble des observateurs qui se sont rendus en RDC cette année, parmi eux la Rapporteur spéciale des Nations unies sur les violences contre les femmes, ses causes et ses conséquences (cf. rapport de mission en République démocratique du Congo, document des Nations unies A/HRC/7/6/Add.4, 28 février 2008). Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a également fait état de cette situation dans ses observations finales (cf. document des Nations unies CERD/C/COD/CO/15, 17 août 2007).

2 Cf. rapports mensuels de la Mission des Nations unies en RDC, www.monuc.org.

3 Cf. rapport de l'Expert indépendant sur la situation des droits de l'Homme en RDC, document des Nations unies A/HRC/4/7, 21 février 2007.

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