Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Cambodge
- Author: Organisation mondiale contre la torture; Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme
- Document source:
-
Date:
19 June 2008
Contexte politique
Si le Cambodge a connu d'impressionnantes avancées économiques au cours des dernières années, des progrès considérables restent à accomplir pour renforcer le respect des droits de l'Homme dans le pays, notamment en ce qui concerne la lutte contre l'impunité des crimes commis sous le régime des Khmers rouges. Le pouvoir exécutif n'a en outre toujours pas entrepris des réformes pourtant nécessaires, notamment en matière de lutte contre la corruption ou d'amélioration de l'administration de la justice et, au cours des dix dernières années, le système s'est de plus en plus apparenté à un régime de parti unique, qui réfute toute responsabilité concernant les sérieuses violations des droits de l'Homme commises dans un contexte d'absence totale d'État de droit.
Par ailleurs, si, en juin 2007, les Chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens (Extraordinary Chambers in the Courts of Cambodia – ECCC) ont approuvé le règlement interne du tribunal censé juger les principaux responsables du régime des Khmers rouges, qui reconnaît, pour la première fois dans l'histoire de la justice pénale internationale, la constitution de partie civile pour les victimes, l'image de ce tribunal a été ternie avant même le début des procès, prévu pour avril 2008, en raison d'allégations de corruption visant le personnel cambodgien du tribunal.
Stigmatisation des défenseurs des droits de l'Homme et remise en question de leur travail
En 2007, le Gouvernement n'a eu de cesse d'attaquer les défenseurs qui ont osé critiquer sa politique en matière de droits de l'Homme. Ainsi, en mai 2007, en réponse à un communiqué conjoint d'ONG qui exprimaient leur inquiétude face à de nombreuses violations de droits de l'Homme, dont la Ligue cambodgienne pour la promotion et la défense des droits de l'Homme (LICADHO) et l'Association de développement et des droits de l'Homme au Cambodge (ADHOC), le porte-parole du ministère de l'Intérieur, M. Khieu Sopheak, a réaffirmé que ces organisations exagéraient la situation, précisant que leur travail est de critiquer le Gouvernement et que "s'ils ne disent pas que les choses vont mal, ils ne sont pas payés".
Les défenseurs cambodgiens ne sont pas les seuls visés par les critiques du Gouvernement. Ainsi, tout au long de l'année, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies sur la situation des droits de l'Homme au Cambodge, M. Yash Ghai, tout comme ses prédécesseurs, a été la cible d'attaques virulentes de la part du Gouvernement. Le 12 décembre 2007, à la suite de sa quatrième visite officielle, le Premier ministre M. Hun Sen a indiqué qu'il ne rencontrerait jamais le Rapporteur spécial, l'accusant d'être un "touriste de longue durée". Le Ministre de l'Information a ajouté que M. Ghai "représentait les parties d'opposition plutôt que les Nations unies". M. Ghai a également fait l'objet d'actes d'intimidation : le 3 décembre 2007, dans la province de Ratanakiri, des soldats et des agents de police ont tenté d'interrompre une réunion entre M. Ghai et des villageois qui dénonçaient la confiscation de leurs terres, prétendant que le Rapporteur n'avait pas reçu d'autorisation écrite de la part des autorités locales. Cependant, ses termes de référence l'autorisent à voyager librement sur l'ensemble du territoire cambodgien, sans autorisation préalable.
Une répression accrue des défenseurs du droit à la terre, à l'environnement et aux ressources naturelles
Malgré diverses promesses faites par M. Hun Sen, de multiples atteintes portées aux libertés d'expression et de réunion ont de nouveau eu lieu en 2007, dans un contexte général d'expropriations foncières illégales et d'expulsions forcées massives. De même, les tribunaux ont continué de poursuivre en justice, d'arrêter et de condamner des personnes pour des crimes liés aux conflits agraires, dans la plupart des cas sans respecter leur droit à un procès équitable. Il est également extrêmement difficile pour les organisations de défense des droits de l'Homme de documenter d'éventuelles violations survenant lors d'expropriations forcées. Par exemple, en mars 2007, des membres de l'ADHOC et du Centre cambodgien pour les droits de l'Homme (Cambodian Center for Human Rights – CCHR) ont été arrêtés par la police afin d'être interrogés sur les raisons de leur observation d'une expulsion de plus de 100 familles au complexe du temple d'Angkor à Siem Reap, avant d'être libérés une heure plus tard. Le 27 novembre 2007, la police a empêché la tenue d'un forum public organisé par le CCHR dans la province de Ratanakiri afin de recevoir les doléances de victimes d'expropriations foncières illégales dans la région. Enfin, en 2007, des journalistes et des membres de la société civile ont été à plusieurs reprises empêchés d'observer des expulsions et maintenus éloignés des sites, à l'exemple de l'expulsion forcée de familles dans la commune de Chroy Chanva, à Phnom Penh, le 7 novembre 2007.
Les organisations et défenseurs qui dénoncent l'exploitation illégale et abusive des ressources naturelles, et notamment forestières, sont également la cible d'actes d'intimidation et de représailles. A titre d'exemple, le 3 juin 2007, le Ministre de l'Information, M. Khieu Kanharith, a déclaré que le Gouvernement interdisait à l'organisation environnementale Global Witness de publier son dernier rapport, et que toutes les copies trouvées dans le pays seraient confisquées.1 Le 4 juin 2007, M. Hun Neng, gouverneur de la province de Kompong Cham et frère du Premier ministre, a déclaré que si des membres de Global Witness venaient au Cambodge, il les "frapperait jusqu'à ce que leurs têtes éclatent". Par ailleurs, le 16 juin 2007, après qu'il eut publié des articles sur la déforestation dans la province de Kompong Thom, M. Lem Piseth, journaliste à Radio Free Asia, a reçu des menaces de mort par téléphone. M. Piseth a dû quitter le pays par crainte pour sa sécurité. Ces actes de représailles vont parfois jusqu'à l'assassinat : le 4 juillet 2007, M. Seng Sarorn, membre de l'Association pour la préservation de la culture et de l'environnement (Culture and Environment Preservation Association – CEPA), a été assassiné à son domicile.
Par ailleurs, en juillet 2007, le barreau du Royaume de Cambodge a cherché à restreindre l'indépendance des avocats cambodgiens, en particulier ceux collaborant avec des ONG qui prennent la défense de victimes d'expropriations foncières. En effet, le barreau, dont le président est proche du Gouvernement, a déclaré que les avocats ne pouvaient pas être engagés par des ONG ou leur fournir des aides juridiques si les ONG n'avaient pas signé un protocole d'accord (memorandum of understanding) avec le barreau.2 D'autre part, le secrétaire général du barreau, M. Ly Tayseng, a déclaré publiquement le 24 juin 2007 que le Centre communautaire d'éducation juridique (Community Legal Education Center – CLEC), une ONG qui fournit des aides juridiques aux communautés menacées d'expulsion, violait la "Loi du barreau" pour ne pas avoir signé un tel accord. Il a également ajouté que deux autres ONG – l'Aide juridique du Cambodge (Legal Aid of Cambodia – LAC) et le Projet des défenseurs cambodgiens (Cambodian Defenders Project – CDP) – seraient également à même de violer cette loi. Ces prises de position du barreau ont eu un impact particulièrement néfaste, plusieurs avocats ayant préféré démissionner de leurs positions au sein d'ONG. Elles ont également affecté la disponibilité du pro bono pour les Cambodgiens les plus démunis, de moins en moins d'avocats étant disponibles pour ces services.
Les dirigeants syndicaux, une profession à risque
En 2007, les dirigeants syndicaux ont de nouveau été une cible privilégiée des autorités, notamment en raison des forts intérêts politiques et économiques auxquels ils s'opposent de par leurs activités. La plupart des actes d'intimidation à leur encontre ont eu lieu au cours de grèves ou de manifestations syndicales, à l'instar de MM. Eng Vanna, président du Syndicat libre des travailleurs (Free Trade Union of Workers – FTU) pour l'entreprise municipale de câble télévisé à Phnom Penh, Ly Seng Horn, son adjoint, et Pol Sopheak, représentant du Syndicat libre des travailleurs du Royaume du Cambodge (Free Trade Union of Workers in the Kingdom of Cambodia – FTUWKC), arrêtés à Phnom Penh en janvier 2007, lors d'une manifestation demandant la réintégration dans leurs fonctions de huit de leurs collègues, licenciésen 2006 pour avoir formé un syndicat. Les dirigeants syndicaux ont également fait l'objet de graves violences physiques, à l'instar de M. Hy Vuthy, président du FTUWKC à l'usine Suntex, assassiné en février 2007 à Phnom Penh. M. Hy est le troisième membre du FTUWKC à avoir été tué en trois ans. A cet égard, il convient de rappeler que si la Cour d'appel a confirmé en avril 2007 la condamnation de MM. Born Samnang et Sok Sam Oeun pour le meurtre, en 2004, de M. Chea Vichea, alors président du FTUWKC, cette décision est intervenue au terme d'un procès entaché de nombreuses irrégularités et malgré les nombreuses preuves de l'innocence des deux hommes.3
Répression des défenseurs de la liberté de religion
En 2007, le Gouvernement cambodgien a accentué sa répression à l'encontre des moines khmer kroms qui cherchent à défendre les droits de leur minorité religieuse et à mettre un terme à la persécution dont font l'objet leurs frères au Vietnam. Ainsi, le 27 février 2007, la police a violemment dispersé une manifestation près de l'ambassade du Vietnam à Phnom Penh, qui protestait contre la persécution religieuse au Vietnam. En outre, le 8 juin 2007, le patriarche suprême Non Nget et le Ministre des Cultes et des religions ont émis une directive, ordonnant aux moines de réfréner leur participation à des rassemblements pacifiques, car ceux-ci créeraient du "désordre". Non Nget a ajouté que les moines qui prendraient part à des manifestations seraient "responsables devant la loi".
L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).
1 Ce rapport, intitulé Cambodia's Family Trees: Illegal logging and the stripping of public assets by Cambodia's elite, a été publié le 1er juin 2007. Les membres de l'élite cambodgienne, notamment les proches et associés du Premier ministre, y sont accusés de piller les ressources naturelles.
2 Cette prise de position du barreau, dénuée de tout fondement légal, a été annoncée peu de temps après que Mme Keat Kolney, soeur du Ministre des Finances, eut porté plainte, le 19 juin 2007, contre dix avocats membres de deux ONG qui avaient déposé plainte à son encontre, dans le cadre d'expropriations foncières illégales, en janvier 2007. Ce procès a été fortement médiatisé. Suite à la plainte de Mme Keat, le barreau a ouvert une enquête sur ses dix avocats. Fin 2007, sept d'entre eux avaient démissionné de leurs ONG.
3 Le 12 avril 2007, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies sur la situation des droits de l'Homme au Cambodge a exprimé "son profond regret suite à la décision de la Cour d'appel [...] de maintenir la condamnation de Born Samnang et Sok Sam Oeun" et a appelé à une enquête impartiale dans le meurtre de Chea Vichea (Cf. communiqué de presse des Nations unies du 12 avril 2007. Traduction non officielle). Le Bureau international du travail (BIT) a lui aussi exprimé sa profonde inquiétude suite à la décision de la Cour d'appel (Cf. communiqué de presse BIT/07/11, Déclaration de l'OIT sur la sentence de la Cour d'appel du Cambodge concernant le meurtre de Chea Vichea, 12 avril 2007).
Dans son 346e rapport, paru en juin 2007, le Comité de la liberté syndicale du BIT a par ailleurs "exhort[é] le gouvernement à prendre des mesures en vue de rouvrir l'enquête sur le meurtre de Chea Vichea et de s'assurer que Born Samnang et Sok Sam Oeun pourront exercer le plus tôt possible leur droit de faire appel devant une autorité judiciaire impartiale et indépendante", ainsi qu'à "ouvrir sans tarder des enquêtes indépendantes sur [le meurtre de ... ] Hy Vuthy [...]".
De même, le Parlement européen a "condamn[é] le meurtre de M. Hy Vuthy", "demand[é] [...] aux autorités cambodgiennes de lancer une enquête urgente, impartiale et efficace concernant les meurtres de M. Hy Vuthy, M. Chea Vichea, [...] de traduire les coupables en justice" et "de rejuger M. Born Sammang et M. Sok Sam Oeum dans le cadre d'un procès rapide conforme aux normes internationales" (Cf. résolution du Parlement européen du 15 mars 2007 sur le Cambodge, P6_TA(2007)0085).
This is not a UNHCR publication. UNHCR is not responsible for, nor does it necessarily endorse, its content. Any views expressed are solely those of the author or publisher and do not necessarily reflect those of UNHCR, the United Nations or its Member States.