La requête présentée par E.F. c. République Tchèque
- Document source:
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Date:
29 June 1994
REQUÊTE N°23548/94
E.F. c/RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
DÉCISION du 29 juin 1994 sur la recevabilité de la requête
Article 6, paragraphe 1, de la Convention: Cette disposition est-elle applicable à une procédure en restitution de terres sur le fondement de la loi No 22911991 sur les terres (République tchèque), menée devant les autorités administratives ? (Question non résolue).
Article 26 de la Convention: S'il existe des doutes sur les chances de succès d'un recours interne, ce recours doit être tenté.
S'agissant d'une demande en restitution de terres sur le fondement de la loi No 229/1991 sur les terres, le recours devant les juridictions judiciaires, après échec devant les autorités administratives, est un recours qui doit être tenté.
En République tchèque, un recours à la Cour constitutionnelle doit être préalablement exercé par le requérant qui se plaint de la durée d'une procédure administrative.
EN FAIT
La requérante, de nationalité tchèque, née en 1916, est domiciliée à Prague. Elle est maîtresse d'école à la retraite.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.
A.Circonstances particulières de l'affaire
La requérante est l'héritière d'immeubles sis à Jihlava (République tchèque).
En vertu du décret présidentiel No 12, entré en vigueur en 1945 et relatif à la confiscation et la distribution de biens agricoles des «traîtres et des ennemis des nations tchèque et slovaque» ainsi que des Allemands et des Hongrois, ces immeubles furent confisqués par l'Etat. Conformément aux dispositions des lois applicables (voir droit interne applicable), les autorités administratives et, le cas échéant, les tribunaux y compris la Cour constitutionnelle sont compétents pour traiter les demandes de restitution de biens.
Le 17 juin 1992, la requérante présenta une demande de restitution des immeubles en cause à une autorité administrative (Pozemkoý úrad) de Jihlava. Elle saisit également les entités disposant actuellement de ces biens de demandes visant à conclure, dans un délai de 60 jours, des accords de revendication.
Le 13 janvier 1993, le ministère de I'Agriculture prolongea administrativement de 18 mois le délai pour conclure les accords de revendication. Pendant ce délai, les entités n'avaient pas le droit de disposer des biens.
Par décision du 12 février 1993. l'autorité administrative de Jihlava sursit à statuer et renvoya au tribunal de district de Jihlava une question préjudicielle concernant la date du décès du père de la requérante.
Le 26 février 1993, la même autorité retira la question préjudicielle, la requérante ayant présenté un certificat de décès de son père.
Le 2 mars 1993, la requérante informa l'autorité que les accords de revendication avec les entités n'avaient pas été conclus.
Le 15 mars 1993, l'autorité demanda à la requérante de prouver la nationalité de son père à la date du Il février 1942, sa réacquisition de la nationalité tchécoslovaque et un certificat concernant une procédure de succession. Elle sursit également à statuer et renvoya à l'office de district de Jihlava et à l'office d'arrondissement de Prague 1 une question préjudicielle concernant la nationalité tchécoslovaque du père de la requérante.
La procédure en restitution est toujours pendante devant l'autorité administrative de Jihlava.
B.Droit interne applicable
Code de procédure administrative [traduction]
«Art. 29
1. U autorité administrative surseoit à statuer lorsqu'une procédure sur une question préjudicielle a été engagée ou lorsqu'il a été demandé à une partie de rectifier les erreurs de sa requête. [...]
3. Il n'y a pas de recours contre les décisions de sursis à statuer>
Loi No 229/1991 sur les terres, modifiée par la loi No 195/1993 [traduction]
«Art. 4
1. Toute personne qui sollicite la restitution de ses biens doit être un ressortissant de la République fédérative tchèque et slovaque résidant à titre permanent sur son territoire [...] dont les biens immobiliers ont été cédés à l'Etat [ ]entre les dates des 25 février 1948 et 1er janvier 1990 [ ]
2. Lorsque la personne [...] susmentionnée est décédée ou portée disparue, les autres personnes habilitées à solliciter la restitution sont :
a)l'héritier testamentaire, lorsque le testament a été prouvé au cours de la procédure de succession [ ]; [ ].
Art. 7
[ ]
2. Le Conseil national tchèque est habilité à réglementer la restitution des biens des citoyens tchécoslovaques résidant à titre permanent sur le territoire de la République tchèque dont les biens avaient été confisqués sur le fondement des décrets présidentiels No 12/1945 'sur la confiscation et la distribution de biens agricoles des traîtres et des ennemis aux nations tchèque et slovaque, ainsi que des Allemands et des Hongrois' et No 108/1945 [ ].»
Loi No 243/1992 du Conseil national tchèque, sur des questions liées avec la loi No 229/1991 [traduction]
«Art. 2
1. Toute personne qui sollicite la restitution de ses biens doit être un ressortissant de la République fédérative tchèque et slovaque résidant à titre permanent sur le territoire de la République tchèque dont les biens ont été confisqués sur le fondement des décrets présidentiels No 12/1945 [...] et 108/1945 [...] à condition qu'il n'ait pas commis d'infraction contre l'Etat tchécoslovaque et qu'il ait réacquis la nationalité tchécoslovaque [...].
2. Lorsque la personne susmentionnée est décédée ou portée disparue, d'autres personnes physiques peuvent être habilitées à demander la restitution de biens lorsqu'elles sont des citoyens de la République fédérative tchèque et slovaque et résident à titre permanent sur le territoire de la République tchèque. Il s'agit successivement de :
a) l'héritier testamentaire, lorsque le testament a été prouvé au cours de la procédure de succession [...].»
La Constitution de la République tchèque [traduction]
«Art. 3
La Charte des droits et libertés fondamentaux fait partie de l'ordre constitutionnel de la République tchèque.
Art. 4
Le pouvoir judiciaire est garant des droits et libertés fondamentaux. [ ]»
Charte des droits et libertés fondamentaux [traduction]
«Art. 36
[...]
2. Toute personne, qui se prétend victime d'une violation de ses droits par une décision d'un organe administratif d'Etat, peut saisir la cour d'une demande de vérification de la légalité de celle-ci, à condition que la loi ne dispose pas autrement. Toutefois, la cour est toujours compétente pour vérifier si les droits et libertés fondamentaux au sens de la présente Charte n'ont pas été violés.
3. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement, dans un délai raisonnable et en sa présence. Toute personne a également le droit de discuter toutes les preuves rapportées devant le tribunal. [...]»
Loi No 182/1993 sur la Cour constitutionnelle, entrée en vigueur le 1er juillet 1993 [traduction]
«Art. 72
1. Le recours constitutionnel peut être introduit par
a)toute personne physique qui se prétend victime d'une violation commise par ,un organe public' des droits ou libertés fondamentaux reconnus dans une loi constitutionnelle ou dans un traité international. [ ]
Art. 146
1. Le recours constitutionnel [...] au sens de l'article 72 peut être introduit également contre d'éventuelles 'ingérences' des organes publics, commises après le 1er janvier 1993 [...].
2. [...], le délai pour son introduction, qui aurait commencé à courir avant la date de l'entrée en vigueur de la présente loi, ne commence qu'à cette date.»
Code de procédure civile [traduction]
«Art. 248
1. Les juridictions civiles n'examinent pas de décisions des autorités administratives ayant caractère de décisions sur un droit ou une obligation d'une personne physique [...]
2. Les juridictions civiles n'examinent pas non plus [ ]
e)les décisions des autorités administratives ayant caractère préjudiciel, procédural [ ].»
GRIEFS
Devant la Commission, la requérante se plaint de la durée de la procédure devant les autorités administratives et de la violation du droit de succession et du droit au respect des biens ainsi que d'une discrimination à son détriment. Elle se plaint également de ne pas disposer de recours administratif en droit tchèque. Pour ce qui est d'un éventuel recours judiciaire, elle n'a pas confiance en un procès équitable devant les juridictions nationales. Elle invoque la violation des articles 6 par. 1 et 14 de la Convention ainsi que de l'article 1 du Protocole additionnel.
EN DROIT
La requérante. se plaint de la durée de la procédure d'examen de sa demande de restitution de biens engagée devant les autorités administratives tchèques et de la violation du droit de succession et du droit au respect des biens ainsi que d'une discrimination. Elle invoque à cet égard les articles 6 par. 1 et 14 de la Convention ainsi que l'article 1 du Protocole additionnel.
L'article 6 par. 1 de la Convention reconnaît à toute personne le droit d'être jugé dans «un délai raisonnable», l'article 14 de la Convention assure la jouissance des droits et libertés garantis sans aucune distinction et l'article 1 du Protocole additionnel garantit le droit au respect des biens.
A supposer même que l'article 6 par. 1 de la Convention soit applicable en l'espèce, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits présentés par la requérante révèlent l'apparence d'une violation de ces dispositions. En effet, aux termes de l'article 26 de la Convention, elle «ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus».
Dans le cas d'espèce, il est vrai qu'il n'y a ni recours administratif au sens de l'article 29 par. 3 du Code de procédure administrative ni un recours devant les juridictions civiles en vertu de l'article 248 par. 2 e) du Code de procédure civile contre les décisions de sursis rendues par les autorités administratives. Néanmoins, la Commission relève que la requérante a, en vertu de l'article 72 par. 1 de la loi No 182/1993 sur la Cour constitutionnelle, la possibilité de saisir des griefs invoqués la Cour constitutionnelle dans le cadre d'un recours constitutionnel. Dans ce recours, la requérante peut soulever à la fois les griefs tenant au fond et ceux relatifs à la durée, en invoquant la violation de l'article 36 par. 3 de la Charte des droits et libertés fondamentaux, qui garantit le droit d'être entendu dans un délai raisonnable.
La Commission estime qu'un tel recours doit être tenté pour épuiser les voies de recours internes ouvertes en droit tchèque, et que la circonstance que la requérante n'a pas confiance en un procès équitable devant les juridictions nationales n'est pas susceptible de la dispenser d'épuiser les voies de recours internes. Il en est de même en ce qui concerne la circonstance qu'il y avait doute sur l'existence ou les chances de succès d'un recours interne dès lors qu'il s'agissait d'une question sur laquelle la juridiction nationale, à savoir la Cour constitutionnelle, devait avoir eu l'occasion de statuer elle-même avant que la Commission ne fût saisie (cf. No 9559/81, déc. 9.5.83, D.R. 33 p. 158 ; Cour eur. D.H., arrêt Van Oosterwijck du 6 novembre 1980, série A n° 40, p. 19, par. 40).
Il s'ensuit que la requérante n'a pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes et que sa requête doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DÉCLARE LA REQUÉTE IRRECEVABLE.
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