Pierre Devinat c. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et le commissaire aux langues officielles
- Author: Federal Court of Canada
- Document source:
-
Date:
1 May 1998
Répertorié: Devinat c. Canada (Commission de l'immigration et du statut de réfugié) (1re inst.)
Section de première instance, juge Nadon-Ottawa, 26 novembre 1997 et 1er mai 1998.
Langues officielles - La politique de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) de ne pas traduire la plupart de ses décisions dans l'autre langue officielle et de n'en fournir la traduction que sur demande ne remplit pas l'obligation qui lui incombe en vertu de l'art. 20 de la Loi sur les langues officielles - Les contraintes budgétaires ne constituent pas des raisons valables pour ne pas remplir une obligation statutaire - Cependant, l'art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale ne peut être invoqué pour contester la politique.
Compétence de la Cour fédérale - Section de première instance - La politique de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) de ne pas traduire la plupart de ses décisions dans l'autre langue officielle et de n'en fournir la traduction que sur demande ne constitue pas une «décision» au sens de l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale - En outre, l'«office fédéral», dans le contexte de la Loi sur les langues officielles, est le Commissaire aux langues officielles et non la CISR - La Section de première instance n'a donc pas la compétence pour connaître de la demande de contrôle judiciaire, fondée sur l'art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, contestant la politique de la CISR en matière de «langues officielles».
Droit administratif - Contrôle judiciaire - Mandamus - La politique de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) de ne pas traduire la plupart de ses décisions dans l'autre langue officielle et de n'en fournir la traduction que sur demande ne constitue pas une «décision» au sens de l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale - En outre, l'«office fédéral», dans le contexte de la Loi sur les langues officielles, est le Commissaire aux langues officielles et non la CISR - La Section de première instance n'a donc pas la compétence pour connaître de la demande de contrôle judiciaire, fondée sur l'art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, contestant la politique de la CISR en matière de «langues officielles».
La politique fondamentale de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) en matière de «langues officielles», qui vise à minimiser les coûts de traduction, consiste à fournir la traduction de ses décisions sur demande seulement. L'intimée ne publie pas de recueil de ses décisions en texte intégral, mais met à la disposition des membres du public qui en font la demande les décisions et les motifs épurés des décisions rendues à la suite des audiences à huis clos. Sur demande, une traduction des décisions dans l'autre langue officielle est disponible à l'intérieur d'un délai de 72 heures. L'intimée publie également les condensés de certaines de ses décisions dans sa publication RéfLex. Ces condensés sont en format bilingue, et les décisions sont disponibles dans tous les centres de documentation régionaux de la CISR dans la langue officielle d'origine. Les traductions sont aussi disponibles dans un délai de 72 heures. Enfin, l'intimée fournit à la base de données Quicklaw le texte intégral des décisions de la section du statut de réfugié mentionnées dans RéfLex et toutes les décisions motivées de la section d'appel de l'immigration.
Le requérant a déposé une plainte auprès du Commissaire aux langues officielles portant sur le non-respect par l'intimée de l'article 20 de la Loi sur les langues officielles (la LLO), qui exige que les décisions définitives des tribunaux fédéraux soient simultanément mises à la disposition du public dans les deux langues officielles ou, lorsqu'elles sont rendues d'abord dans l'une des langues officielles, qu'elles soient mises à la disposition du public dans les meilleurs délais dans l'autre langue officielle.
Le Commissaire a recommandé que les décisions de la CISR choisies à des fins de publication (sous forme de condensés bilingues dans sa publication RéfLex) comprennent une mention concernant la possibilité d'obtenir une traduction sur demande, et que toutes les décisions liées à une question de jurisprudence présentant de l'intérêt ou de l'importance pour le grand public et qui ont été choisies afin d'être versées dans la base de données Quicklaw soient disponibles simultanément dans les deux langues. Le requérant a quand même présenté une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale, visant à obtenir un bref de mandamus obligeant la CISR à traduire dans l'autre langue officielle toutes ses décisions passées et à venir, au motif que la CISR viole les obligations que lui imposent l'article 20 de la LLO. Le Commissaire aux langues officielles a obtenu la permission d'intervenir.
La première question litigieuse en l'espèce concernait le caractère approprié du mandamus. La Cour devait déterminer si elle avait la compétence pour connaître des questions concernant la conformité avec l'article 20 de la LLO, et si le requérant avait la qualité pour agir. La seconde question litigieuse concernait l'interprétation et l'application de l'article 20: l'étendue de l'obligation qui y est prévue, et la question de savoir si la CISR s'était acquittée de son obligation.
Jugement: la demande est rejetée.
Les parties ont reconnu que le paragraphe 77(1) de la LLO, qui confère compétence à la Cour, n'est d'aucun secours pour le requérant puisque la plainte a été portée en vertu de l'article 20 de la LLO. Le requérant a donc choisi de procéder par le recours prévu à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale (la LCF). Cependant, le requérant ne pouvait se prévaloir du recours prévu à l'article 18.1 pour obtenir un bref de mandamus à l'encontre de la CISR. Le paragraphe 77(5) de la LLO ne conférait au requérant aucun nouveau droit d'action. Il permettait seulement au requérant de conserver ou d'exercer tout droit d'action ou recours lorsque ce droit d'action ou ce recours était invoqué dans des procédures autres que celles découlant de l'application de la LLO. Si le requérant peut exercer un recours sous l'article 18.1 de la LCF, ce doit être un recours relatif à l'exercice, par l'office fédéral (en l'instance la CISR), d'une compétence ou de pouvoirs qui lui sont attribués par une loi fédérale. Cependant, la décision de la CISR de ne pas traduire toutes ses décisions, à moins qu'il n'y ait une demande spécifique, n'est pas une décision qui est assujettie au pouvoir de révision de la Cour sous l'article 18.1. Les décisions de la CISR qui peuvent être le sujet d'une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale sous l'article 18.1 sont celles qu'elle rend en matière d'immigration et du statut de réfugié. En outre, la LLO ne confère aucune compétence ni aucun pouvoir à la CISR. L'office fédéral au sens du paragraphe 2(1) de la LCF, dans le contexte de la LLO, est le Commissaire aux langues officielles. Il ne peut faire de doute que le requérant pouvait attaquer, sous l'article 18.1, la décision rendue par le Commissaire concernant sa plainte portant sur le non-respect par la CISR de l'article 20 de la LLO. Vu cette conclusion, il ne sera pas nécessaire de déterminer si le requérant avait la qualité requise pour déposer une demande de contrôle judiciaire sous l'article 18.1.
Vu la possibilité d'un appel de la présente ordonnance, certains commentaires concernant l'interprétation et l'application de l'article 20 de la LLO peuvent être faits. Cet article prévoit que les décisions définitives des tribunaux fédéraux, y compris celles du tribunal intimé, doivent être rendues d'abord dans l'une des langues officielles, puis dans les meilleurs délais, dans l'autre langue officielle. Le paragraphe 20(1) prévoit que lorsque le point de droit en litige présente de l'intérêt ou de l'importance pour le public ou lorsque les débats se sont déroulés, en tout ou en partie dans les deux langues officielles, ou que les actes de procédure ont été, en tout ou en partie, rédigés dans les deux langues officielles, les décisions doivent être mises à la disposition du public simultanément dans les deux langues officielles. Cependant, si le tribunal estime que l'établissement d'une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l'intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à l'une des parties au litige, la règle générale, c'est-à-dire la règle des «meilleurs délais» s'applique.
L'intimée ne respecte pas l'obligation prévue à l'article 20 de la LLO. La politique de traduction sur demande ne rencontre pas les exigences du «meilleur délai», puisqu'elle signifie que la plupart des décisions ne seront jamais rendues dans l'autre langue officielle. Si le législateur avait voulu que les tribunaux fédéraux aient une politique de traduction sur demande, il aurait pu le spécifier. Même si la preuve a établi que la CISR a dépassé l'enveloppe autorisée pour la traduction dans les langues officielles que lui a attribuée le service central de traduction du gouvernement, les contraintes budgétaires ne constituent pas des raisons valables pour ne pas rencontrer une obligation statutaire.
lois et règlements
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) «office fédéral» (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18.1 (édicté, idem, art. 5).
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 3(2), 4, 5, 6, 7, 10, 11, 12, 13, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 77, 80, 91.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 57 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 47), 67 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 69 (mod., idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 59), 70 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 65; 1995, ch. 15, art. 13), 71 (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 14), 77 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 33; L.C. 1992, ch. 49, art. 68; 1995, ch. 15, art. 15), 80 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 70).
DEMANDE de contrôle judiciaire, fondée sur l'alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur la Cour fédérale, visant à obtenir un bref de mandamus obligeant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) à traduire dans l'autre langue officielle toutes ses décisions passées et à venir, au motif que la CISR viole les obligations que lui impose l'article 20 de la Loi sur les langues officielles. Demande rejetée.
avocats:
J. François Lemieux pour l'intimée.
Daniel L. Mathieu pour l'intervenant.
comparution:
Pierre Devinat en son propre nom (en sa qualité de requérant).
avocats inscrits au dossier:
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour l'intimée.
Services juridiques, commissaire aux langues officielles, Ottawa, pour l'intervenant.
requérant en son propre nom:
Pierre Devinat, Hull (Québec) (en sa qualité de requérant).
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en français par
Le juge Nadon:
La présente demande de contrôle judiciaire est fondée sur l'alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5]. Le requérant vise à obtenir un bref de mandamus obligeant l'intimée, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), à traduire dans l'autre langue officielle toutes les décisions qui ont été prononcées depuis sa création et toutes les décisions qu'elle prononcera à l'avenir, au motif que la CISR viole les obligations que lui imposent l'article 20 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 (LLO). Le commissaire aux langues officielles (le commissaire) a obtenu la permission d'intervenir dans le présent dossier.
Les faits qui donnent lieu à la présente demande sont les suivants: au cours de l'année 1995, le requérant, Pierre Devinat, a tenté d'obtenir la version française de certaines décisions de la CISR et il a appris que la version française n'était disponible que sur demande.
Le 7 juin 1995, le requérant a déposé une plainte auprès du commissaire portant sur le non-respect par l'intimée de l'article 20 de la LLO. Le 13 juillet 1995, la présidente de la CISR a reçu une lettre du commissaire datée du 10 juillet 1995 l'informant de son intention d'enquêter la plainte du requérant.
Le 26 août 1996, le commissaire a soumis une ébauche de son rapport d'enquête aux parties pour leur considération. Cette ébauche comprenait les recommandations suivantes à l'intention de la CISR:
Je recommande ainsi que:
1) les décisions de la CISR choisies à des fins de publication comprennent une mention concernant la possibilité d'obtenir une traduction sur demande; et
2) toutes les décisions liées à une question de jurisprudence présentant de l'intérêt ou de l'importance pour le grand public et qui ont été choisies afin d'être versées dans la base de données Quicklaw soient disponibles simultanément dans les deux langues.
Afin de bien comprendre la nature et la portée des recommandations du commissaire, il est nécessaire de donner un aperçu de la politique de la CISR concernant la traduction de ses décisions au moment du dépôt de la plainte du requérant. Cette politique est décrite par Robert Desperrier, le directeur intérimaire des communications de la CISR à Ottawa aux paragraphes 16 à 28 de son affidavit daté le 13 mai 1997 déposé par l'intimée au soutien de ses prétentions:
16. La CISR publie, 22 fois par année, une publication intitulée «RéfLex.» RéfLex contient les condensés bilingues de certaines décisions récentes rendues par la CISR, ainsi que par la Cour fédérale et la Cour suprême du Canada. La pièce «D» jointe au présent affidavit est une copie de RéfLex, en date du 17 mars 1997.
17. Au cours de l'année 1996, 295 condensés de décisions de la SSR, 90 de la SAI et un de la SA ont été publié [sic] dans RéfLex.
18. La pièce «E» jointe au présent affidavit est une copie de la politique de sélection des décisions à paraître dans RéfLex. Les objectifs de RéfLex sont énoncés à l'article 2.2:
· donner de l'information sur le droit de l'immigration et des réfugiés aux décideurs et aux employés;
· informer les décideurs des décisions d'application obligatoire de la Cour fédérale et de la Cour suprême du Canada;
· renseigner les décideurs sur les décisions prises par leur [sic] collègues au pays, qui pourraient leur être utiles et qu'ils peuvent citer dans leurs propres motifs, ceci avancera l'objectif d'uniformité de la jurisprudence de la CISR;
· créer une banque de jurisprudence qui facilitera la recherche juridique;
· favoriser une meilleure compréhension de la jurisprudence de la CISR.
Bien que RéfLex soit aussi diffusée à l'extérieur de la CISR, elle vise surtout à répondre aux besoins particuliers des décideurs et des employés de la CISR. La politique susmentionnée précise que RéfLex est utilisée principalement comme outil de communication interne: «Le fait que le condensé d'une décision paraisse dans RéfLex ne signifie pas nécessairement que la décision revêt une importance nationale pour la CISR, bien que certaines décisions de la CISR publiées dans RéfLex aient une telle importance».
19. Le texte intégral des décisions de la CISR résumées dans RéfLex peut être consulté par le public dans tous les centres de documentation régionaux de la CISR, dans la langue officielle d'origine, avec une traduction disponible sur demande.
20. En outre, la CISR fournit à la base de données Quicklaw le texte intégral des décisions de la SSR mentionnées dans RéfLex, et toutes les décisions motivés [sic] de la SAI.
21. Les audiences de la CISR se déroulent en français ou en anglais, selon le choix des parties, et dans la langue d'origine du revendicateur. Les décisions et motifs, le cas échéant, sont communiquées aux parties dans la langue officielle utilisée à l'audience.
22. Le grand public peut examiner toutes les décisions de la CISR dans leur langue d'origine, sur demande et après épuration des motifs en cas de décisions rendues suite à une audience à huit clos. Également, le public peut demander la traduction de toute décision de la CISR. Si une traduction est demandée, la CISR, selon sa politique, fournit la décision au public dans les 72 heures suivant la réception de la demande et dans les cinq jours suivant les demandes internes.
23. Depuis 1990, l'année de l'adoption de la politique de traduction sur demande, la CISR n'a, à sa connaissance, reçu aucune demande de traduction du grand public.
24. Avant 1994, la CISR traduisait certaines décisions qui étaient versées dans la base de données Quicklaw. À ce moment, la CISR a dépassé l'enveloppe autorisée pour la traduction dans les langues officielles attribuée à la CISR par le service central de traduction du gouvernement. En plus du dépassement de son enveloppe autorisée, l'enveloppe de la CISR a été réduite de 12% pour les exercices 1992-93 et 1993-94. Une copie des rapports d'utilisation de l'enveloppe autorisée émise par le Bureau de traduction à la CISR pour les exercices 1993-94 et 1994-95 est la pièce «F» jointe au présent affidavit.
25. À cause du dépassement de l'enveloppe autorisée pour la traduction, la CISR a dû rembourser 373 391,19 $ au Secrétariat d'État pour 1992-93.
26. Au cours de l'année suivante, le personnel dans la section de traduction à la CISR, a dû trouver des méthodes pour éliminer ce dépassement et pour diminuer les coûts de traduction. Au cours de cet exercice, le personnel a examiné l'utilisation par le public des bases de données françaises et anglaises des décisions de la CISR versées dans Quicklaw au cours de l'exercice 1993-94. Nous avons constaté que la base de données françaises, où les décisions traduites représentaient 80% de la base de données, a été utilisée sporadiquement (48,36 heures (annualisées)). La base de données anglaises a été utilisée 536,76 heures (annualisées). L'utilisation des bases de données pour examiner les décisions traduites aurait été moins fréquente, si on considère que seulement une portion des décisions fournies à la base données [sic] sont traduites. La pièce «G» jointe au présent affidavit est une copie des rapports d'utilisation des bases de données fournis par Quicklaw pour la période du 22 août 1993 au 8 janvier 1994.
27. Pour ces raisons, la CISR a décidé d'arrêter la traduction des décisions envoyées à Quicklaw et d'adopter la politique de traduire ses décisions sur demande.
28. Comme il est mentionné ci-dessus, RéfLex publie environ 380 condensés de décisions de la CISR, en format bilingue, chaque année pour le personnel de la CISR et le grand public.
Le commissaire, par son rapport daté le 26 août 1996, informait aussi les parties qu'il avait entrepris une étude des tribunaux fédéraux et des obligations qu'ils avaient en vertu des parties III et IV de la LLO. Par conséquent, le commissaire avisait les parties qu'il avait suspendu l'aspect de son enquête qui concernait la traduction de toutes les décisions de la CISR jusqu'à ce que l'étude soit complétée.
Dans une lettre datée du 16 octobre 1996, la CISR a répondu au commissaire pour l'informer des mesures prises à la suite de ses recommandations:
[traduction] La CISR est d'avis que les deux recommandations sont raisonnables et elle établira des procédures en vue d'assurer leur application. La publication RéfLex sera modifié afin d'inclure une mention concernant la possibilité de demander la traduction d'une décision de la CISR, la procédure à suivre pour obtenir la traduction et le nom de la personne-ressource. En outre, la CISR est en train d'élaborer des critères qui veilleront à ce que les décisions relatives à des questions de jurisprudence présentant de l'intérêt ou de l'importance pour le grand public soient disponibles dans les deux langues officielles dans la base de données Quicklaw.
Une seconde ébauche du rapport du commissaire, tenant compte des commentaires des parties, a été soumise le 16 janvier 1997, et comprenait les recommandations modifiées suivantes:
Je recommande ainsi que la CISR:
1) s'assure que toutes les décisions liées à une question de droit présentant de l'intérêt ou de l'importance pour le grand public, y compris celles qui ont été choisies pour fins de publication et notamment celles qui seront versées dans la base de données Quicklaw, soient disponibles simultanément dans les deux langues officielles,
2) s'assure que toutes ses décisions comprennent une mention concernant leur disponibilité dans les deux langues officielles.
Entre temps, le 17 septembre 1996, le requérant a déposé sa requête introductive d'instance devant la Cour fédérale. Le 5 mai 1997, une ordonnance a accordé au commissaire la permission d'intervenir dans le présent litige.
Le requérant cherche à obtenir l'émission d'un bref de mandamus fondé sur l'alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur la Cour fédérale. La première question en litige concerne la validité de ce recours et comporte plusieurs éléments, soit la compétence de la Cour fédérale pour connaître des questions concernant la conformité avec l'article 20 de la LLO, la qualité pour agir du requérant, et le caractère approprié du mandamus.
La seconde question concerne l'interprétation et l'application de l'article 20 de la Loi sur les langues officielles. On doit d'abord se demander quelle est l'étendue de l'obligation prévue à l'article 20 de la Loi sur les langues officielles, puis décider si la CISR s'est acquittée de son obligation.
La validité du recours utilisé par le requérant
Pour débuter l'analyse de la première question concernant la validité du recours utilisé par le requérant, il est opportun de reproduire ici les dispositions pertinentes de la LLO.
20. (1) Les décisions définitives-exposé des motifs compris-des tribunaux fédéraux sont simultanément mises à la disposition du public dans les deux langues officielles:
a) si le point de droit en litige présente de l'intérêt ou de l'importance pour celui-ci;
b) lorsque les débats se sont déroulés, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles, ou que les actes de procédure ont été, en tout ou en partie, rédigés dans les deux langues officielles.
(2) Dans les cas non visés par le paragraphe (1) ou si le tribunal estime que l'établissement au titre de l'alinéa (1)a) d'une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l'intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige, la décision-exposé des motifs compris-est rendue d'abord dans l'une des langues officielles, puis dans les meilleurs délais dans l'autre langue officielle. Elle est exécutoire à la date de prise d'effet de la première version.
(3) Les paragraphes (1) et (2) n'ont pas pour effet d'interdire le prononcé, dans une seule langue officielle, d'une décision de justice ou de l'exposé des motifs.
(4) Les décisions de justice rendues dans une seule des langues officielles ne sont pas invalides pour autant.
. . .
77. (1) Quiconque a saisi le commissaire d'une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV ou V, ou fondée sur l'article 91 peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.
(2) Sauf délai supérieur accordé par le tribunal sur demande présentée ou non avant l'expiration du délai normal, le recours est formé dans les soixante jours qui suivent la communication au plaignant des conclusions de l'enquête, des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou de l'avis de refus d'ouverture ou de poursuite d'une enquête donné au titre du paragraphe 58(5).
(3) Si, dans les six mois suivant le dépôt d'une plainte, il n'est pas avisé des conclusions de l'enquête, des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou du refus opposé au titre du paragraphe 58(5), le plaignant peut former le recours à l'expiration de ces six mois.
(4) Le tribunal peut, s'il estime qu'une institution fédérale ne s'est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
(5) Le présent article ne porte atteinte à aucun autre droit d'action.
. . .
80. Le recours est entendu et jugé en procédure sommaire, conformément aux règles de pratique spéciales adoptées à cet égard en vertu de l'article 46 de la Loi sur la Cour fédérale.
Le requérant, l'intimée et l'intervenant reconnaissent que le paragraphe 77(1) de la LLO, qui confère compétence à cette Cour, n'est d'aucun secours pour le requérant, puisque la plainte a été portée en vertu de l'article 20, qui est inclus dans la partie III de la LLO, intitulée «Administration de la justice». La compétence conférée à la Cour fédérale au paragraphe 77(1) ne peut être invoquée que lorsque la plainte en est une relative aux articles 4 à 7, 10 à 13, les parties IV [articles 21 à 33] et V [articles 34 à 38], et l'article 91 de la LLO.
Le requérant a donc choisi de procéder par le recours prévu à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale reproduit ici:
18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.
(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous‑procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.
(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut:
a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;
b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.
(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas:
a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;
b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;
c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;
d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;
e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;
f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.
(5) La Section de première instance peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu'en l'occurrence le vice n'entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l'ordonnance entachée du vice et donner effet à celle-ci selon les modalités de temps et autres qu'elle estime indiquées.
Le requérant prétend que c'est le seul autre recours qui lui est disponible, et s'appuie sur le paragraphe 77(5) de la LLO pour dire que ce recours n'a pas été exclu. Le requérant soutient par ailleurs qu'il répond aux exigences nécessaires pour se prévaloir de ce recours.
L'intimée, quant à elle, soutient que le législateur a spécifiquement exclu certains articles de l'application de l'article 77 de la LLO et que le requérant ne peut faire indirectement ce qu'il ne peut pas faire directement.
Le principal argument de l'intimée est que la LLO comprend un «code complet» de recours, et que chaque article doit être examiné par rapport aux autres. Selon l'intimée, si le paragraphe 77(1) prévoit un recours devant la Cour fédérale relativement à certains articles de la LLO, c'est qu'il exclut ce même recours pour les autres articles.
L'intimée explique que la LLO prévoit d'autres moyens pour faire appliquer les dispositions qui sont exclues de l'application du paragraphe 77(1), notamment au moyen d'enquêtes effectuées par le commissaire et de rapports que celui-ci peut déposer au Parlement. Voici les dispositions pertinentes de la LLO qui traitent du mécanisme de plaintes, d'enquêtes, et du pouvoir de recommandation du commissaire:
56. (1) Il incombe au commissaire de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l'esprit de la présente loi et l'intention du législateur en ce qui touche l'administration des affaires des institutions fédérales, et notamment la promotion du français et de l'anglais dans la société canadienne.
(2) Pour s'acquitter de cette mission, le commissaire procède à des enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite des plaintes qu'il reçoit, et présente ses rapports et recommandations conformément à la présente loi.
57. Le commissaire peut d'office examiner les règlements ou instructions d'application de la présente loi ainsi que tout autre règlement ou instruction visant ou susceptible de viser le statut ou l'emploi des langues officielles et établir à cet égard un rapport circonstancié au titre des articles 66 ou 67.
58. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire instruit toute plainte reçue-sur un acte ou une omission-et faisant état, dans l'administration d'une institution fédérale, d'un cas précis de non-reconnaissance du statut d'une langue officielle, de manquement à une loi ou un règlement fédéraux sur le statut ou l'usage des deux langues officielles ou encore à l'esprit de la présente loi et à l'intention du législateur.
(2) Tout individu ou groupe a le droit de porter plainte devant le commissaire, indépendamment de la langue officielle parlée par le ou les plaignants.
(3) Le commissaire peut, à son appréciation, interrompre toute enquête qu'il estime, compte tenu des circonstances, inutile de poursuivre.
(4) Le commissaire peut, à son appréciation, refuser ou cesser d'instruire une plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants:
a) elle est sans importance;
b) elle est futile ou vexatoire ou n'est pas faite de bonne foi;
c) son objet ne constitue pas une contravention à la présente loi ou une violation de son esprit et de l'intention du législateur ou, pour toute autre raison, ne relève pas de la compétence du commissaire.
(5) En cas de refus d'ouvrir une enquête ou de la poursuivre, le commissaire donne au plaignant un avis motivé.
59. Le commissaire donne un préavis de son intention d'enquêter à l'administrateur général ou à tout autre responsable administratif de l'institution fédérale concernée.
60. (1) Les enquêtes menées par le commissaire sont secrètes.
(2) Le commissaire n'est pas obligé de tenir d'audience, et nul n'est en droit d'exiger d'être entendu par lui. Toutefois, si au cours de l'enquête, il estime qu'il peut y avoir des motifs suffisants pour faire un rapport ou une recommandation susceptibles de nuire à un particulier ou à une institution fédérale, il prend, avant de clore l'enquête, les mesures indiquées pour leur donner toute possibilité de répondre aux critiques dont ils font l'objet et, à cette fin, de se faire représenter par un avocat.
61. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire peut établir la procédure à suivre pour ses enquêtes.
(2) Le commissaire peut, dans les limites qu'il fixe, déléguer en tout ou en partie à un cadre du commissariat nommé au titre de l'article 51 les attributions que lui confère la présente loi en ce qui concerne la collecte des renseignements utiles àl'enquête.
62. (1) Pour les enquêtes, à l'exclusion de celles relatives à la partie III, qu'il mène en vertu de la présente loi, le commissaire a le pouvoir:
a) de la même manière et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives, d'assigner des témoins et de les contraindre à comparaître devant lui et à déposer sous serment, verbalement ou par écrit, ainsi qu'à produire les documents et autres pièces qu'il estime indispensables pour instruire à fond toute question relevant de sa compétence aux termes de la présente loi;
b) de faire prêter serment;
c) de recevoir et d'accepter, notamment par voie de déposition ou d'affidavit, les éléments de preuve et autres renseignements qu'il juge indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux;
d) sous réserve des restrictions que peut prescrire, par règlement, le gouverneur en conseil pour des raisons de défense ou de sécurité, de pénétrer dans les locaux d'une institution fédérale et d'y procéder, dans le cadre de la compétence que lui confère la présente loi, aux enquêtes qu'il juge à propos.
(2) Le commissaire peut transmettre un rapport motivé au président du Conseil du Trésor ainsi qu'à l'administrateur général ou à tout autre responsable administratif de l'institution fédérale concernée lorsqu'il estime, pour des motifs raisonnables:
a) qu'une personne a fait l'objet de menaces, d'intimidation ou de discrimination parce qu'elle a déposé une plainte, a témoigné ou participé à une enquête tenue sous le régime de la présente loi, ou se propose de le faire;
b) que son action, ou celle d'une personne agissant en son nom dans l'exercice des attributions du commissaire, a été entravée.
63. (1) Au terme de l'enquête, le commissaire transmet un rapport motivé au président du Conseil du Trésor ainsi qu'à l'administrateur général ou à tout autre responsable administratif de l'institution fédérale concernée, s'il est d'avis:
a) soit que le cas en question doit être renvoyé à celle-ci pour examen et suite à donner si nécessaire;
b) soit que des lois ou règlements ou des instructions du gouverneur en conseil ou du Conseil du Trésor devraient être reconsidérés, ou encore qu'un usage aboutissant à la violation de la présente loi ou risquant d'y aboutir devrait être modifié ou abandonné;
c) soit que d'autres mesures devraient être prises.
(2) En établissant son rapport, le commissaire tient compte des principes applicables à l'institution fédérale concernée aux termes d'une loi ou d'un règlement fédéraux ou d'instructions émanant du gouverneur en conseil ou du Conseil du Trésor.
(3) Le commissaire peut faire les recommandations qu'il juge indiquées dans son rapport; il peut également demander aux administrateurs généraux ou aux autres responsables administratifs de l'institution fédérale concernée de lui faire savoir, dans le délai qu'il fixe, les mesures envisagées pour donner suite à ses recommandations.
64. (1) Au terme de l'enquête, le commissaire communique, dans le délai et de la manière qu'il juge indiqués, ses conclusions au plaignant ainsi qu'aux particuliers ou institutions fédérales qui ont exercé le droit de réponse prévu au paragraphe 60(2).
(2) Il peut, quand aux termes du paragraphe 63(3) il a fait des recommandations auxquelles, à son avis, il n'a pas été donné suite dans un délai raisonnable par des mesures appropriées, en informer le plaignant et faire à leur sujet les commentaires qu'il juge à propos; le cas échéant, il fait parvenir le texte de ses recommandations et commentaires aux personnes visées au paragraphe (1).
65. (1) Dans la situation décrite au paragraphe 63(3), le commissaire peut en outre, à son appréciation et après examen des réponses faites par l'institution fédérale concernée ou en son nom, transmettre au gouverneur en conseil un exemplaire du rapport et de ses recommandations.
(2) Le gouverneur en conseil peut prendre les mesures qu'il juge indiquées pour donner suite au rapport et mettre en uvre les recommandations qu'il contient.
(3) Si, dans un délai raisonnable après la transmission du rapport, il n'y a pas été donné suite, à son avis, par des mesures appropriées, le commissaire peut déposer au Parlement le rapport y afférent qu'il estime indiqué.
(4) Il est tenu de joindre au rapport le texte des réponses faites par l'institution fédérale concernée, ou en son nom.
66. Dans les meilleurs délais après la fin de chaque année, le commissaire présente au Parlement le rapport d'activité du commissariat pour l'année précédente, assorti éventuellement de ses recommandations quant aux modifications qu'il estime souhaitable d'apporter à la présente loi pour rendre son application plus conforme à son esprit et à l'intention du législateur.
67. (1) Le commissaire peut également présenter au Parlement un rapport spécial sur toute question relevant de sa compétence et dont l'urgence ou l'importance sont telles, selon lui, qu'il serait contre-indiqué d'en différer le compte rendu jusqu'au moment du rapport annuel suivant.
(2) Il est tenu de joindre à tout rapport prévu par le présent article le texte des réponses faites par l'institution fédérale concernée, ou en son nom.
68. Le commissaire peut rendre publics dans ses rapports les éléments nécessaires, selon lui, pour étayer ses conclusions et recommandations en prenant toutefois soin d'éviter toute révélation susceptible de porter préjudice à la défense ou à la sécurité du Canada ou de tout État allié ou associé.
69. (1) La présentation des rapports du commissaire au Parlement s'effectue par remise au président du Sénat et à celui de la Chambre des communes pour dépôt devant leur chambre respective.
(2) Les rapports sont, après leur dépôt, renvoyés devant le comité désigné ou constitué par le Parlement pour l'application de l'article 88.
70. Le commissaire peut, dans les limites qu'il fixe, déléguer les pouvoirs et attributions que lui confère la présente loi ou toute autre loi du Parlement, sauf:
a) le pouvoir même de délégation;
b) les pouvoirs et attributions énoncés aux articles 63, 65 à 69 et 78.
Selon l'intimée, le recours prévu à l'article 65 de la LLO est un moyen jugé efficace par le législateur pour résoudre les conflits découlant de l'application des articles de la LLO exclus du recours du paragraphe 77(1). L'article 65 habilite le commissaire à faire parvenir au gouverneur général en conseil ou même au Parlement un rapport concernant les institutions fédérales, si celles-ci ne prennent pas les mesures appropriées pour donner suite aux recommandations du commissaire.
De plus, les articles 66 à 69 de la LLO habilitent le commissaire à indiquer au Parlement, dans son rapport annuel ou un rapport spécial, toute question devant être soumise à l'examen du Comité permanent sur les langues officielles.
Enfin, l'intimée soutient que le paragraphe 77(5) de la LLO ne crée pas de nouveaux recours, mais qu'il vise plutôt à sauvegarder tout droit d'action qui découlerait d'une loi autre que la LLO.
Ni le requérant, ni l'intervenant ne sont d'accord avec les prétentions de l'intimée. Bien que tous deux admettent que le paragraphe 77(1) n'est d'aucune utilité pour le requérant, ils soutiennent qu'en insérant le paragraphe 77(5) dans la LLO le législateur a signifié son intention de ne pas exclure tout autre droit d'action ou recours.
Selon le requérant et l'intervenant, la compétence du commissaire d'examiner des questions telle la conformité avec l'article 20 n'est pas une compétence exclusive. De plus, comme le commissaire n'a qu'un pouvoir de recommandation, il ne s'agit pas ici d'un cas de dédoublement de compétence.
Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que l'intimée a raison de soutenir que le requérant ne peut se prévaloir, en l'instance, du recours prévu à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale pour obtenir un bref de mandamus à l'encontre de la CISR.
Le recours prévu au paragraphe 77(1) de la LLO est expliqué à l'article 80. Il s'agit d'une procédure sommaire, «conformément aux règles de pratique spéciales adoptées à cet égard en vertu de l'article 46 de la Loi sur la Cour fédérale». Ces règles sont les mêmes que celles applicables aux recours pris en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Comme je l'ai indiqué plus tôt, la partie III de la LLO, dont l'article 20 fait partie, ne peut être portée devant cette Cour sous le paragraphe 77(1).
À mon avis, le paragraphe 77(5) de la LLO ne confère au requérant aucun nouveau droit d'action. Plutôt, ce paragraphe permet au requérant de conserver ou d'exercer tout droit d'action ou recours, lorsque ce droit d'action ou ce recours est invoqué dans des procédures autres que celles découlant de l'application de la LLO. Autrement dit, relativement à toute violation des dispositions de la LLO, les seuls recours possibles sont ceux prévus à la LLO, à savoir le recours prévu devant la Cour fédérale sous le paragraphe 77(1) et le mécanisme de plainte devant le commissaire. Par ailleurs, le paragraphe 77(5) n'exclut aucunement le recours prévu à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale dans la mesure où ce recours est disponible.
Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que toute demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les trente jours qui suivent communication «par l'office fédéral» de sa décision aux parties. Par ailleurs, le paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1] de la Loi sur la Cour fédérale définit «office fédéral» comme suit:
2. (1) . . .
«office fédéral» Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'exclusion d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.
À mon avis, si le requérant peut exercer, en l'instance, un recours sous l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, ce recours doit en être un relatif à l'exercice par l'office fédéral, en l'instance la CISR, d'une compétence ou de pouvoirs qui lui sont attribués par une loi fédérale. À mon avis, la décision de la CISR de ne pas traduire toutes ses décisions, à moins qu'il n'y ait une demande spécifique, n'est pas une décision qui est assujettie au pouvoir de révision de cette Cour sous l'article 18.1.
L'article 57 de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 47)] établit la CISR dans les termes suivants:
57. (1) Est prorogée la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, formée de trois sections: la section du statut de réfugié, la section d'appel de l'immigration et la section d'arbitrage.
(2) La Commission se compose du président et des membres de chacune des sections.
Le mandat de la CISR est de rendre des décisions en matière d'immigration et du statut de réfugié conformément aux dispositions de la Loi sur l'immigration (voir les articles 67 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18], 69(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 59], (2) [mod., idem], (4) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18], 70 [mod. idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 65; 1995, ch. 15, art. 13], 71 [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 14], 77 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 33; L.C. 1992, ch. 49, art. 68; 1995, ch. 15, art. 15] et 80(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 70] de la Loi sur l'immigration). À mon avis, ce sont ces décisions concernant le statut d'un individu dans le contexte de l'immigration et du statut de réfugié qui peuvent être le sujet d'une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale sous l'article 18.1. Ce sont ces décisions qui résultent d'une compétence ou de pouvoirs conférés à la CISR par une loi fédérale, à savoir la Loi sur l'immigration.
La LLO crée le poste du commissaire aux langues officielles. Elle ne confère aucune compétence ou pouvoirs à la CISR. L'office fédéral, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale, dans le contexte de la LLO, est le commissaire. Il ne peut faire de doute que le requérant pouvait attaquer, sous l'article 18.1, la décision rendue par le commissaire concernant sa plainte portant sur le non-respect par la CISR de l'article 20 de la LLO.
Je suis donc d'avis que l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale ne peut être invoqué, en l'instance, par le requérant pour attaquer la décision de la CISR de ne pas traduire dans l'autre langue officielle toutes les décisions qui sont prononcées par la section du statut de réfugié, la section d'appel de l'immigration et la section d'arbitrage.
Vu la conclusion à laquelle j'en arrive, il ne sera pas nécessaire de déterminer si le requérant avait la qualité requise pour déposer une demande de contrôle judiciaire sous l'article 18.1.
Vu la possibilité d'un appel de ma décision, j'aimerais nonobstant ajouter quelques commentaires concernant l'interprétation et l'application de l'article 20 de la LLO.
D'abord, il a été admis par chacune des parties que l'article 20 de la LLO s'applique à l'intimée puisqu'elle est un «tribunal fédéral» au sens du paragraphe 3(2) de cette Loi:
3. . . .
(2) Pour l'application du présent article et des parties II et III, est un tribunal fédéral tout organisme créé sous le régime d'une loi fédérale pour rendre la justice.
Quant à l'étendue de l'obligation prévue par l'article 20 de la LLO, l'intervenant a offert un exposé fort utile, et à mon avis, bien fondé. Je reproduis à nouveau l'article 20:
20. (1) Les décisions définitives-exposé des motifs compris-des tribunaux fédéraux sont simultanément mises à la disposition du public dans les deux langues officielles:
a) si le point de droit en litige présente de l'intérêt ou de l'importance pour celui-ci;
b) lorsque les débats se sont déroulés, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles, ou que les actes de procédure ont été, en tout ou en partie, rédigés dans les deux langues officielles.
(2) Dans les cas non visés par le paragraphe (1) ou si le tribunal estime que l'établissement au titre de l'alinéa (1)a) d'une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l'intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige, la décision-exposé des motifs compris-est rendue d'abord dans l'une des langues officielles, puis dans les meilleurs délais dans l'autre langue officielle. Elle est exécutoire à la date de prise d'effet de la première version.
(3) Les paragraphes (1) et (2) n'ont pas pour effet d'interdire le prononcé, dans une seule langue officielle, d'une décision de justice ou de l'exposé des motifs.
(4) Les décisions de justice rendues dans une seule des langues officielles ne sont pas invalides pour autant.
Tout d'abord l'intervenant a expliqué que la règle générale concernant la langue des décisions est contenue dans le paragraphe 20(2) de la LLO. Cette règle veut que les décisions, exposé des motifs compris, soient rendues d'abord dans l'une des langues officielles, puis dans les meilleurs délais dans l'autre langue officielle.
Trois qualificatifs s'attachent à cette règle générale: d'abord, le paragraphe 20(2) indique également que les décisions sont exécutoires à la date de prise d'effet de la première version. Le paragraphe 20(3) établit que les décisions et l'exposé des motifs peuvent être prononcés dans une seule langue officielle. Enfin, les décisions rendues dans une seule langue officielle ne sont pas invalides pour autant, en vertu du paragraphe 20(4).
À cette règle générale, il y a deux exceptions, contenues au paragraphe 20(1): Lorsque le point de droit en litige présente de l'intérêt ou de l'importance pour le public (alinéa 20(1)a)) ou lorsque les débats se sont déroulés, en tout ou en partie dans les deux langues officielles, ou que les actes de procédure ont été, en tout ou en partie, rédigés dans les deux langues officielles (alinéa 20(1)b)) les décisions doivent être mises à la disposition du public simultanément dans les deux langues officielles.
La première exception comprend une sous-exception, qui veut que si le tribunal estime que l'établissement d'une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l'intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à l'une des parties au litige, la règle générale, c'est-à-dire la règle des «meilleurs délais» s'applique.
L'intervenant a également ajouté la mise en garde suivante: le paragraphe 20 parle de décisions «rendues» dans les deux langues officielles, et non pas rendues dans une langue et «traduites» dans l'autre. Cela signifie donc que les deux versions ont également force de loi.
À mon avis, les termes de l'article 20 de la LLO sont clairs, et ils obligent tous les tribunaux fédéraux, y compris l'intimée, à rendre leurs décisions dans les deux langues officielles dans les meilleurs délais dans la plupart des cas, et simultanément dans les cas prévus à l'alinéa 20(1)a) à moins d'un préjudice grave au public ou d'une injustice ou d'un inconvénient grave à l'une des parties, et dans les cas prévus à l'alinéa 20(1)b).
La question qui se pose est de déterminer si la CISR s'acquitte de son obligation en vertu de l'article 20 de la LLO?
L'intimée ne publie pas de recueil de ses décisions en texte intégral, mais met à la disposition des membres du public qui en font la demande les décisions et les motifs épurés des décisions rendues à la suite des audiences à huis clos. Sur demande, une traduction des décisions dans l'autre langue officielle est disponible à l'intérieur d'un délai de 72 heures.
L'intimée publie également les condensés de certaines de ses décisions dans sa publication RéfLex. Ces condensés sont en format bilingue, et les décisions sont disponibles dans tous les centres de documentation régionaux de la CISR dans la langue officielle d'origine. Les traductions sont aussi disponibles dans un délai de 72 heures.
Enfin, l'intimée fournit à la base de données Quicklaw le texte intégral des décisions de la section du statut de réfugié mentionnées dans RéfLex et toutes les décisions motivées de la section d'appel de l'immigration.
L'intimée prétend qu'elle s'acquittait déjà de son obligation en vertu de l'article 20 de la LLO puisque les décisions qui concernent un point de droit d'intérêt public sont simultanément mises à la disposition du public dans les deux langues officielles, et que toute personne peut demander une copie du texte intégral des décisions de la CISR dans la langue officielle rendue ou une traduction dans l'autre langue officielle. Elle soutient que la politique de traduction dans les 72 heures respecte l'exigence du «meilleur délai».
De plus, à la suite des recommandations du commissaire, l'intimée a ajouté un «avis au lecteur» dans sa publication RéfLex indiquant que la traduction des décisions est disponible sur demande et expliquant la procédure à suivre. Elle a aussi élaboré des critères pour sélectionner les décisions qui sont mises à la disposition du public simultanément dans les deux langues en raison de leur importance ou de leur intérêt pour le public.
Selon l'intimée, ces mesures sont conformes à l'article 20 de la LLO, elles respectent l'intention du Parlement en termes d'efficacité, de ressources financières et de demande du public. L'intimée ajoute que les coûts pour la CISR d'adopter une politique de traduction simultanée seraient énormes et inutiles dans les circonstances considérant le grand nombre de décisions, et le peu de demande du public.
Ni le requérant, ni l'intervenant ne sont d'accord avec les prétentions de l'intimée. Selon eux, l'article 20 n'impose pas un devoir que les tribunaux peuvent définir eux-mêmes selon leurs propres critères administratifs. Ils n'ont pas de pouvoir discrétionnaire leur permettant de définir quelles décisions doivent être traduites, ni le pouvoir discrétionnaire de décider que certaines décisions ne seront jamais rendues dans les deux langues, à moins qu'un membre du public n'en fasse la demande. De plus, la politique de traduction sur demande ne tient pas compte des membres du public qui ne parlent qu'une langue et qui ne sont pas en mesure de déterminer s'ils devraient ou non demander la traduction.
À mon avis, l'intimée ne respecte pas l'obligation prévue à l'article 20 de la LLO. La politique de traduction sur demande ne rencontre pas les exigences du «meilleur délai», puisqu'elle signifie que la plupart des décisions ne seront jamais rendues dans l'autre langue officielle. Si le législateur avait voulu que les tribunaux fédéraux aient une politique de traduction sur demande, il aurait pu le spécifier.
Les contraintes budgétaires ne constituent pas des raisons valables pour ne pas rencontrer une obligation statutaire, pas plus que le fait que la CISR soit le tribunal administratif qui rend le plus de décisions au pays. La LLO est claire, et je ne peux que constater que l'intimée ne s'y conforme pas.
En conclusion, le requérant ne peut se prévaloir, en l'instance, du recours prévu à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale pour attaquer le refus de la CISR de traduire dans l'autre langue officielle, à moins qu'il n'y ait une demande à cet effet, les décisions rendues par la section du statut de réfugié, la section d'appel d'immigration et la section d'arbitrage. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire du requérant sera rejetée.
This is not a UNHCR publication. UNHCR is not responsible for, nor does it necessarily endorse, its content. Any views expressed are solely those of the author or publisher and do not necessarily reflect those of UNHCR, the United Nations or its Member States.