CONSEIL D'ETAT

25 mai 1994

(Xiè ch.)

X c/CGRA

Siég.:

M. Leroy, prés. f.f.

Rapp.:

 M. Nihoul, audit. (avis conforme)

Plaid.:

Me J. Berten et M. F. Bernard.

 

Considérant que les faits utiles à l'examen de la demande de la suspension se présentent comme suit:

1.         Le requérant s'est déclaré candidat réfugié le 1er février 1994. Il a fait le récit suivant:

«Je suis membre du PDR (Parti démocratique renouveau) depuis 1993. Le 5 janvier 1994, des terroristes ont voulu attaquer le président actuel, les militaires sont intervenus pour défendre le président, il y a eu une émeute et beaucoup de personnes arrêtées. Pour ma part, je n'étais pas présent lors de cette émeute. Cependant, le lendemain les militaires sont venus à la maison pour m'arrêter. Une amie m'a prévenue, je ne suis donc pas rentré chez moi et je suis parti directement au Bénin. Je me suis réfugié chez un ami, il a contacté un de ses amis nigérian qui m'a obtenu un passeport italien (avec la photo d'un noir), afin que je puisse venir me réfugier en Belgique».

2.         Un ordre de quitter le territoire lui a été délivré le 3 février 1994.

3.         A la suite du recours urgent que le requérant a introduit le 4 février 1994, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides a pris le 6 mai 1994 une décision confirmant le refus de séjour motivée, comme suit:

«L'intéressé a été entendu le 9 mars 1994 au siège du Commissariat général.

A ses dires, membre du PDR (Parti Démocratique pour le Renouveau) depuis septembre 1993, les militaires l'auraient recherché après le coup de force du 5 janvier 1994 à Lomé. Averti qu'il était recherché, il se serait réfugié au Bénin. Le 30 janvier 1994, il aurait pris l'avion à destination de l'Europe au Nigeria, muni d'un passeport d'emprunt.

Force est de constater que les récits invoqués par le requérant sont approximatifs, peu conséquents et manquent de crédibilité. Ils contiennent effectivement des contradictions et des incohérences.

Ainsi, il situe la date des recherches des militaires tantôt le 6 janvier 1994 (version donnée à l'office des étrangers) tantôt le 7 janvier 1994 (version produite au Commissariat général).

De plus, il se contredit sur le sexe de la personne l'ayant averti, il cite à l'office des étrangers une amie, alors que lors de son audition de ce jour il parle d'un ami chauffeur de taxi.

Il ne saurait dès lors être accordé foi à ses dires.

De ce qui précède, il ressort que la demande de l'intéressé est manifestement non fondée, parce que l'étranger n'a pas fourni d'élément de nature à établir qu'il existe, en ce qui le concerne, de sérieuses indications d'une crainte fondée de persécution au sens de la convention de Genève. Par conséquent, le Commissaire général confirme le refus de séjour décidé par le délégué du Ministre de l'Intérieur le 3 février 1994.

Le Commissaire général est d'avis que, dans les circonstances actuelles, l'étranger concerné peut être reconduit à la frontière du pays qu'il a fui et où, selon sa déclaration, sa vie, son intégrité physique ou sa liberté serait menacée. Pour tous les motifs qui précèdent, le Commissaire général mentionne, en outre, formellement que la décision contestée en recours urgent et la mesure d'éloignement sont exécutoires nonobstant tout recours, conformément à l'article 63/5, dernier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980"

Il s'agit de l'acte attaqué;

Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat de vérifier sa compétence, au besoin d'office;

Considérant qu'aux termes de l'article 70, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers: «Le Conseil (d'Etat) n'est pas compétent pour ordonner la suspension des mesures qui sont exécutoires nonobstant tout recours, conformément à l'article 63/5»; que selon l'alinéa 5 de ce dernier article: «Lorsque le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides ou un de ses adjoints confirme une décision qui fait l'objet d'un recours urgent, il mentionne formellement si la décision contestée ou la mesure d'éloignement…, sont exécutoires nonobstant tout recours», que de la combinaison de ces deux dispositions, issues de la loi du 6 mai 1993, il résulte que le législateur a estimé pouvoir confier la responsabilité de l'exécution immédiate d'une mesure d'éloignement au seul Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (ou à ses délégués), en raison, d'après les travaux préparatoires de la loi du 6 mai 1993, de l'indépendance de cette autorité administrative et de sa documentation privilégiée sur la situation dans les pays que les demandeurs ont fuis; que le législateur n'a laissé au Conseil d'Etat que sa compétence ordinaire au contentieux de l'annulation, prenant ainsi délibérément le risque d'exposer l'Etat à une condamnation civile en cas d'annulation ultérieure, pour quelque motif que ce soit, de la mesure d'éloignement;

Considérant cependant que le requérant soutient que les article 69bis, alinéa 2 et 70, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers violent les articles 10 et 11 de la Constitution; qu'il a demandé expressément qu'une question préjudicielle soit posée à la Cour d'arbitrage;

Considérant qu'une telle demande de question préjudicielle concerne des dispositions législatives relatives à la compétence du Conseil d'Etat, qu'une telle question n'a d'incidence sur l'arrêt à rendre et partant, d'utilité que si par ailleurs, les conditions légales sont réunies pour que la suspension puisse être ordonnée;

Considérant que le requérant prend un moyen unique de la violation de la loi du 29 juillet 1991, sur la motivation formelle des actes administratifs, en ce que les différents récits du requérant contiendraient des contradictions et des incohérences quant à la date des recherches militaires et quant au sexe de la personne qui l'a informé;

Considérant que la différence d'un jour entre les dates mentionnées dans les deux récits n'est pas en soi un «contradiction importante»; qu'il en est de même quant à la différence de sexe de l'informateur relevée dans les deux versions; qu'en effet cette différence peut être due à une maladresse de transcription des propos que le requérant a tenus à l'Office des étrangers où il s'est exprimé en français mais avec un accent étranger; que le moyen est sérieux;

Considérant que le requérant décrit notamment le risque de préjudice grave difficilement réparable que pourrait lui causer l'exécution immédiate de l'acte attaqué comme suit:

«Qu'en effet le requérant affirme avoir dû quitter le pays, parce que sa vie était menacée, suite à l'accusation de participation à la tentative de coup d'état du 5 janvier 1994.

Que de nombreux membres du parti ont été arrêtés, et plusieurs exécutés sommairement sans jugement

Que le renvoi dans son pays aurait pour conséquence son arrestation, et ce sans jugement ni procès. Que l'exécution de la mesure aurait d'ailleurs en outre la conséquence de pointer le requérant aux yeux de l'autorité, ce qui rendra sa situation encore plus dangereuse.»

Considérant que le renvoi du requérant dans son pays d'origine risque de lui causer un préjudice grave difficilement réparable;

Considérant que les conditions sont réunies pour que la suspension de l'exécution de l'acte attaqué soit ordonnée; qu'il y a dès lors lieu de poser la question préjudicielle à la Cour d'arbitrage,

Décide

Article 1er

La question préjudicielle suivante est posée à la Cour d'arbitrage:

Les articles 69bis, alinéa 2 et 70, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1990 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'ils établissement des distinction:

-           d'une part, entre les candidats réfugiés et les autres catégories d'étrangers, en ce que les premiers peuvent, sur simple décision du Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides ou d'un de ses adjoints, se voir priver de la possibilité d'introduire une demande de suspension devant le Conseil d'Etat en application de l'article 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, alors que les seconds peuvent introduire une telle demande en toutes circonstances;

-           d'autre part, entre les candidats réfugiés entre eux, en ce que la possibilité pour les intéressés de pouvoir ou non adresser une demande de suspension au Conseil d'Etat a expressément été laissée à l'appréciation d'une autorité administrative qu'est le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, cette autorité, de par la simple circonstance qu'elle déclare ou non formellement exécutoire nonobstant tout recours la décision contestée ou la mesure d'éloignement, privant ainsi ou non, sans aucun contrôle juridictionnel, les intéressés d'un recours juridictionnel en référé, alors que le référé judiciaire est par ailleurs exclu en application de l'article 63, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980, sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers?

Article 2.

L'exécution de la décision du 6 mai 1994 par laquelle le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides a confirmé le refus de séjour, est provisoirement suspendue.

Article 3.

Si la Cour d'arbitrage répond négativement à la question préjudicielle, la suspension cessera ses effets à la date de la notification de l'arrêt de la Cour aux parties conformément à l'article 113 de la loi spéciale du 6 janvier 1989. (…)

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