Une democratie respectueuse des lois ou au-dessus des lois

 

1. DROITS DE LA PERSONNE

1.0 Introduction
                1.1 Droit de quitter le pays
                1.2 Droits constitutionnels
                1.3 Droit à un procès équitable
                1.4 Droit à la grève
                1.5 Opérations antiterroristes

2. LES PRINCIPAUX ACTEURS EN ARGENTINE AUJOURD'HUI

        2.0 Introduction
                2.1 L'armée
                2.2 Les péronistes
                2.3 Les Carapintadas et Mohamed Ali Seineldin
                2.4 Les Montoneros
                2.5 Les partis politiques de la gauche
                2.6 L'Ejército Revolucionario del Pueblo (ERP)

3. CONSIDERATIONS FUTURES

4. ADDENDUM : RENSEIGNEMENTS GENERAUX

5. BIBLIOGRAPHIE

1.       DROITS DE LA PERSONNE

1.0   Introduction

Presque huit années de dictature militaire brutale, puis un retour à la démocratie dans une atmosphère troublée, ont entraîné une baisse de l'économie argentine. Ce déclin de l'économie a amené le niveau de vie des Argentins, jadis comparable à celui d'un pays développé, au niveau de pauvreté générale des pays latino-américains.

Les principales questions qui préoccupent actuellement les organismes de défense des droits de la personne en Argentine ont été avivées par la situation critique de l'économie ou en découlent (WOLA 11 déc. 1990; Frund 11 déc. 1990). A la faim et à la hausse du taux de mortalité infantile, principalement dans les villas miseria (les bidonvilles qui entourent les villes), est venu s'ajouter un taux de criminalité élevé. On enregistre aussi une recrudescence de brutalité policière et des actes commis par des civils que certains considèrent comme l'indice d'un recours plus fréquent à l'« autodéfense ». Les policiers qui utilisent des moyens illégaux, et les citoyens qui recourent aux armes et abattent des voleurs ont reçu des appuis de tous les niveaux (y compris le consentement tacite de certains des plus hauts responsables du gouvernement) (The Sunday Times 14 oct. 1990, 8 juill. 1990). On sent apparemment le besoin d'une meilleure protection. Par exemple, on a rapporté récemment qu'une arrestation sur 100 aboutissait à une condamnation. Il a aussi été signalé que des personnes ayant reconnu leurs agresseurs au cours d'une séance d'identification policière avaient été poursuivies et assassinées par leur assaillant qu'on avait remis en liberté (The Los Angeles Times 9 sept. 1990, 18).

La criminalité ne se limite pas aux rues. On a rapporté que des policiers ont eu recours au chantage et à l'enlèvement pour soutirer de l'argent, et que des juges ont fabriqué des accusations contre des citoyens (Ibid.). Des membres du Congrès et des gouvernements provinciaux ont aussi subi un examen minutieux relativement à des scandales liés à des détournements de fonds, des adjudications frauduleuses de contrats et même des vols de bons de nourriture destinés aux pauvres (Inter Press Service 9 févr. 1990). Au moins un juge et un journaliste ont été menacés pour avoir fait éclater des scandales (Committee for the Protection of Journalists nov. 1990; The Sunday Times 14 oct. 1990). Par ailleurs, un membre du Congrès du parti d'opposition, l'Unión Cívica Radical (UCR), aurait reçu des menaces de mort pour avoir découvert une escroquerie de plusieurs millions de dollars impliquant un péroniste, proche partisan de Menem (Latinamerica Press 24 mai 1990, 5).

1.1           Droit de quitter le pays

Depuis la fin des années quatre-vingt, des dizaines de milliers de personnes issues principalement de la classe moyenne quittent le pays, y compris les enfants et les petits-enfants des immigrants espagnols et italiens qui exercent, paraît-il, leur droit à la citoyenneté de leurs ancêtres (The Los Angeles Times 20 nov. 1990, 1). En vertu de traités bilatéraux, les Argentins n'ont pas besoin d'un passeport pour visiter les pays voisins, mais les pays d'accueil peuvent exiger l'obtention de permis ou de visas spécifiques pour la résidence (Consulat de l'Argentine 21 déc. 1990). Normalement, les autorités de l'Argentine vérifient l'identité des personnes qui quittent le pays. En effet, on interdit habituellement le départ aux personnes contre qui des accusations sont pendantes; à celles qui sont en liberté conditionnelle; à celles qui ne détiennent pas de preuves de leur service militaire accompli ou de leur exemption officielle (Ibid.).

L'exemple de la migration d'un espion argentin est un cas inhabituel : ce dernier, qui travaillait à l'étranger, a perdu son emploi à la suite de compressions budgétaires; ne voulant pas rentrer sans travail dans une Argentine appauvrie, il a demandé l'asile aux états-Unis (The Sunday Times 28 janv. 1990).

Ce cas, toutefois, n'est pas nécessairement représentatif des demandeurs d'asile ni des agents des services secrets argentins. En fait, divers services de renseignements argentins fonctionnent toujours, malgré les rivalités, les compressions budgétaires, la réduction du personnel et les missions redéfinies (Ibid.). A la suite de la découverte, qui a fait grand bruit, d'appareils d'écoute dans la résidence du président, on a mis en doute la capacité du gouvernement de contrôler ces services.

1.2        Droits constitutionnels

Le président Menem, faisant face à des contestations partout dans le pays, y compris dans son propre foyer où son épouse aurait pris le parti de ses ennemis politiques jurés, a eu recours à un certain nombre de mesures dont la légalité est discutable. Par exemple, une « loi d'urgence », adoptée au cours des premiers jours de son gouvernement pour faciliter la privatisation des entreprises publiques, serait en violation du droit constitutionnel des particuliers de poursuivre l'état en justice. De plus, le droit de grève a été limité par un décret qui serait en violation de lois antérieures et des dispositions constitutionnelles portant sur cette question (The Economist 27 oct. 1990, 46).

Du jour au lendemain, le gouvernement Menem a transformé des milliards de dollars d'épargnes privées en obligations à terme de dix ans; cette mesure a réduit presqu'à zéro les épargnes d'un bon nombre de sociétés et de centaines de milliers d'Argentins (The Washington Post 23 févr. 1990, A18). Une autre mesure, adoptée apparemment en vue d'apaiser des mutins éventuels, a été d'amnistier les officiers dont les procès étaient toujours en cours, malgré une disposition constitutionnelle restreignant l'amnistie aux personnes déjà reconnues coupables (The Economist 27 oct. 1990, 50). Depuis que le nombre de juges siégeant à la Cour suprême est passé de cinq à neuf, on a peu d'espoir de voir ces nouvelles mesures renversées. Menem a personnellement nommé les quatre nouveaux juges (Ibid.).

1.3           Droit à un procès équitable

La grâce présidentielle accordée aux officiers inculpés et reconnus coupables de mutinerie durant l'administration Alfonsín, et d'atrocités commises durant la « sale guerre », de même que la purge des juges et des procureurs qui avaient participé à leurs procès, préoccupent au plus haut point les organismes de défense des droits de la personne (Human Rights Watch 1990; WOLA 11 déc. 1990; Frund 11 déc. 1990). La période de 1976 à 1980, qu'on appelle la « sale guerre », c'est l'histoire de l'arrestation de milliers de personnes par les militaires et les forces de sécurité relativement à de présumées activités subversives et terroristes, et la disparition de ces personnes par la suite. Les amnisties accordées par le président, de même que sa promesse de libérer de prison les derniers des membres de la junte ont entraîné de dures critiques au pays et à l'étranger. Le sentiment d'impunité qui en résulte pourrait favoriser un retour aux atrocités de la « sale guerre » (The Los Angeles Times 2 nov. 1990, 5; Latin American Regional Reports 18 oct. 1990).

1.4    Droit à la grève

La privatisation des entreprises publiques tombe sous les attaques de Seineldín et la question suscite un débat passionné en Argentine; plusieurs grèves successives opposant la privatisation ont été organisées, ce qui a entraîné la baisse de l'économie. On a fait exploser des bombes à divers endroits en signe d'opposition à la privatisation de la société de télécommunication internationale. Bien que la « Brigade Ché Guevara » ait revendiqué la responsabilité des attentats à la bombe, on n'a pas déterminé l'identité des terroristes (FBIS-LAT-90-084 1er mai 1990, 38). Le même groupe (ou du moins un groupe se réclamant du même nom) a revendiqué la responsabilité d'autres attentats à la bombe et d'actions diverses n'ayant aucun but politique précis, dont l'enlèvement du fils d'un dirigeant syndicaliste (FBIS-LAT-90-122 25 juin 1990, 36; FBIS-LAT-90-132 10 juill. 1990, 34).

1.5   Opérations antiterroristes

Depuis la fin de 1986, des attentats à la bombe sont dirigés contre des locaux de partis politiques et des édifices commerciaux. Ces attentats ne font pas de victimes et leurs auteurs ne sont pas identifiés; le recours à ces tactiques a atteint son point culminant le 25 juin 1987 lorsque 16 attentats à la bombe ont été perpétrés contre les locaux de l'UCR en moins de quatre heures. Le ministre de l'Intérieur du gouvernement Alfonsín semble indiquer que cette campagne d'intimidation était l'oeuvre de personnes qui avaient participé à la répression militaire du milieu des années 1970 (Latin American Weekly Report 9 juill. 1987, 4-5). On précise dans un rapport que, tout au long de l'année 1987, la police a supprimé « un certain nombre de groupes terroristes très sophistiqués, composés principalement de membres de l'extrême droite associés aux détachements spéciaux de la « sale guerre », de même qu'un petit nombre de groupes terroristes de gauche (Latin America Weekly Report 1er déc. 1988, 3). Effectuées par la police au cours des dernières années du gouvernement Alfonsín, ces opérations antiterroristes ont abouti, entre autres, à la saisie d'importants arsenaux d'armes, de munitions et d'explosifs appartenant à l'armée. Ces arsenaux ont été découverts dans des entrepôts appartenant à un civil connu pour être membre d'escadrons de la mort paramilitaires établis par l'armée dans le cadre de la répression du milieu des années 1970 (Ibid.).

2. LES PRINCIPAUX ACTEURS EN ARGENTINE AUJOURD'HUI

2.0         Introduction

L'attaque perpétrée en janvier 1989 contre l'école et les casernes militaires de La Tablada par le groupe marxiste Frente Popular de Resistencia (FPR) [Front de résistance populaire] a attiré l'attention du monde entier. Le FPR était lié au Movimiento Todos por la Patría (MTP) [Mouvement Tous pour la patrie], décrit comme une organisation de façade (Latin American Weekly Report 20 avr. 1989, 6-7). Un certain nombre de Latino-américains non argentins auraient pris part à l'attaque violemment réprimée. Par la suite, il y aurait eu des abus perpétrés par les forces de sécurité contre les agresseurs survivants (Human Rights Watch 1990, 50).

Le FPR aurait été une faction secondaire du trotskisme argentin. Le cerveau du groupe serait un des anciens dirigeants de l'Ejército Revolucionario del Pueblo (ERP) [Armée révolutionnaire du peuple], le bras armé du Parti révolutionnaire des travailleurs (PRT) [Partido Revolucionario de los Trabajadores] de tendance marxiste-léniniste. Les activités rebelles menées par l'ERP et d'autres groupes ont entraîné des opérations de contre-insurrection menant à la « sale guerre » du milieu des années soixante-dix au cours de laquelle l'ERP et le PRT ont tous deux été pratiquement éliminés. Parmi ceux qui ont survécu à la « sale guerre », plusieurs ont par la suite adhéré à de nouvelles organisations (Latin American Weekly Report 20 avr. 1989, 6-7, 2 févr. 1989, 2).

D'autres groupes trotskistes optent maintenant pour des méthodes plus conventionnelles. Le Movimiento al Socialismo (MAS) [Mouvement vers le socialisme] forme, avec le Frente Amplio de Liberación (FRAL) prosoviétique [Vaste front de libération] et d'autres groupes, la Izquierda Unida (IU) [Gauche unie], une coalition électorale dont la popularité n'a cessé de croître depuis les quelques dernières années (Latin American Weekly Report 2 févr. 1989, 2). La direction du MAS a aussi participé aux poursuites judiciaires contre des officiers accusés de violation des droits de la personne durant le régime militaire de la fin des années soixante-dix et du début des années 1980. Parmi les autres groupes trotskistes actuellement actifs en Argentine, figurent le Partido Obrero (PO) [Parti des travailleurs], le Partido Obrero Revolucionario (POR) [Parti révolutionnaire des travailleurs] et le Partido de los Trabajadores por el Socialismo (PTS) [Parti des travailleurs pour le socialisme] (Ibid.).

2.1      L'armée

Bien que Menem ait recueilli des appuis d'une importante partie de l'armée avec ses amnisties, il a perdu de sa popularité au sein de l'électorat en général. De plus, il y a des personnes qui mettent en doute le contrôle qu'il exerce sur les forces de sécurité.

Au milieu de 1990, le chef de la Police fédérale a démissionné à la suite d'accusations publiques portant sur l'existence, au sein de la police, d'un groupe qui serait responsable d'une « campagne d'intimidation contre des juges et des députés » (FBIS-LAT-90-109 6 juin 1990, 34).

Au cours du soulèvement, au début de décembre 1990, les soldats rebelles ont été assujetti sans équivoque par les soldats restés fidèles à Menem. Ce dernier serait actuellement en bons termes avec un secteur de l'armée (The Christian Science Monitor 5 déc. 1990, 1-2). Les Argentins se demandent combien de temps pourront durer ces bons rapports.

2.2       Les péronistes

Le Parti péroniste au pouvoir ne forme pas un front uni; il rencontre actuellement à des difficultés. Diverses factions ont émergé du parti au cours des décennies. Une récente scission au sein du principal parti péroniste (connu officiellement sous le nom de Justicialista) a semé la division au sein du Central General de Trabajadores (CGT), son principal allié dans le milieu ouvrier. De plus, il a été amplement rapporté que Saúl Ubaldini, dirigeant de la faction dissidente de la CGT (aussi connue comme la « CGT rebelle ») a formé une alliance, en opposition avec le gouvernement, avec l'épouse de Menem et le dirigeant des carapintadas, Seineldín. Au moins trois rassemblements péronistes rivaux ont eu lieu à Buenos Aires, à la même heure, au cours de la « Journée de loyauté » péroniste, le 17 octobre 1990, ce qui n'a fait qu'accentuer les divisions au sein du parti au pouvoir (Latin American Weekly Report 8 nov. 1990, 4).

Le vice-président Eduardo Duhalde a donné des avertissements publics semblables à ceux qu'avait donnés Alfonsín il y a quelques années, déclarant que des « personnages louches », arrêtés dans le passé pour de présumés liens avec des conspirations de l'extrême droite, appuyaient et finançaient actuellement Seineldín (Ibid.). Des observateurs indépendants ont signalé que le récent comportement des mutins graciés prouvait que Menem avait peut-être commis une grave erreur en les amnistiant (The Christian Science Monitor 5 déc. 1990, 1-2).

2.3            Les Carapintadas et Mohamed Ali Seineldin

Les officiers des carapintadas qui se sont mutinés contre Raúl Alfonsín et qui ont été décrits comme des néo-nazis se font de plus en plus loquaces et exigeants depuis que Menem les a amnistiés. Une fois graciés, ils auraient mené une campagne de diffamation contre Alfonsín et son parti (FBIS-LAT-90-076 19 avr. 1990, 17) pour ensuite se retourner contre Menem et ses politiques.

On a rapporté que le dirigeant des carapintadas, Mohamed Alí Seineldín, aurait été l'officier de liaison avec l'escadron de la mort « Triple-A » au début des années 1970 et une figure importante de la « sale guerre » (Latin America Weekly Report 15 déc. 1988, 3). Il a rallié des appuis partout dans le pays en visitant les bidonvilles, en rencontrant les dirigeants de groupes d'intérêt, de syndicats et les leaders communautaires, et en prêchant une idéologie qui associe catholicisme et militarisme (FBIS-LAT-90-061 29 mars 1990, 45). Se présentant dans les quartiers pauvres, sans chemise sous la pluie, il aurait fait des mises en garde contre le libéralisme et «la gauche». Il a déclaré qu'il fallait sauver la patrie et défendre les institutions, et que la solution qu'il propose à la situation économique et politique actuelle devait être adoptée (Ibid.). Seineldín a reçu des appuis non seulement de divers secteurs de la population civile, mais aussi des officiers qui avaient organisé un soulèvement en décembre 1990 (The Christian Science Monitor 5 déc. 1990, 1-2). Les revendications des rebelles portant sur la réorganisation de l'armée non seulement rappelaient certaines prêches de Seineldín, mais constituaient aussi une attaque contre l'autorité de Menem en tant que chef des forces armées (Ibid.).

2.4            Les Montoneros

En 1990, les anciens dirigeants des Montoneros, une faction guérilla qui s'était séparée du parti péroniste il y a plus d'une décennie et qui a récemment rejoint le parti, sont rentrés de l'Uruguay où ils s'étaient exilés, après que Menem leur ait accordé l'amnistie. Ils auraient exprimé leur appui à la fois à Menem et aux carapintadas (FBIS-LAT-90-095 16 mai 1990, 36). Toutefois, Seineldín a étiqueté les Montoneros comme des marxistes et a nié avoir des liens avec eux (FBIS-LAT-90-130 6 juill. 1990, 36).

2.5          Les partis politiques de la gauche

Le marxisme, en tant qu'idéologie politique, est réapparu sur la scène et il semble que ses tenants consolident leurs appuis. Les trotskistes ont pris un siège au Congrès, bien que leurs Movimiento al Socialismo et Partido Obrero aient été liés au pillage et aux émeutes qui ont éclaté au milieu de 1989 (Latin American Weekly Report 15 juin 1989, 2). Bien que l'ancien Parti communiste de l'Argentine (PCA) ait été touché par les conflits internes (FBIS-LAT-90-097 18 mai 1990, 21), on dit que le MAS est très populaire dans les bidonvilles; il a réuni quelque 60 000 personnes à un rassemblement qui s'est tenu à Buenos Aires le 1er mai 1990 (Latin American Weekly Report 24 mai 1990, 6). Les syndicats de gauche existent depuis quelques décennies. Ils demeurent toutefois dans l'ombre de la CGT à tendance péroniste et ils pourraient se multiplier dans un proche avenir (Ibid.).

2.6       L'Ejército Revolucionario del Pueblo (ERP)

L'Ejército Revolucionario del Pueblo (ERP) [Armée révolutionnaire du peuple] constituait la plus importante guérilla de l'hémisphère au cours des années soixante-dix; il a été décimé par la répression militaire. Rien ne laissait croire à l'existence de l'ERP jusqu'en 1987 lorsqu'on l'a tenu responsable d'un attentat à la bombe contre la résidence du chef du service de renseignements du second corps d'armée à Rosario (Degenhardt 1988, 17). The Los Angeles Times (29 nov. 1990, 2) a signalé qu'un Bolivien, arrêté récemment et associé à l'Union des travailleurs révolutionnaires, une antenne de l'ERP, aurait été mêlé à un complot visant à assassiner George Bush au cours de sa récente visite en Argentine. Ce fait n'a pas été confirmé par d'autres sources.

3.          CONSIDERATIONS FUTURES

Les organismes de défense des droits de la personne et les médias internationaux n'ont pas signalé récemment l'existence de mouvements terroristes ou de guérillas importants. On ne rapporte aucune répression de groupes politiques, et les élections provinciales et municipales se sont déroulées sans incident. Toutefois, des événements récents ont jeté le doute sur l'autorité de la loi et le respect des procédures et institutions démocratiques par certains individus, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du gouvernement.

Malgré la participation accrue de divers secteurs de la population à la vie politique et les débats continus, une atmosphère d'instabilité envahit la scène sociale et politique. L'Argentine assiste à la réapparition de groupes et de personnages de plus en plus influents qui ne font pas que rappeler la brutalité de la « sale guerre », mais qui y étaient associés. Leur apparition, au moment de confusion politique et de profonde crise économique, contribue à créer des conditions semblables à celles qui ont conduit au coup d'état militaire de 1976.

Si les atrocités commises à la suite du coup d'état de 1976 sont un indice des choses à venir, les chiffres fournis dans l'ouvrage intitulé Nunca M s [Jamais plus] (CONADEP 1984) sont révélateurs : environ deux tiers des 9 000 cas documentés de personnes torturées et disparues étaient des hommes : 35 p. 100 avaient entre 21 et 25 ans, 30 p. 100 entre 26 et 30 ans, et 25 p. 100 entre 16 et 20 ans; les ouvriers constituaient environ un tiers des cas, les étudiants et les employés de bureau environ 20 p. 100 respectivement. Bien que les professions libérales (avocats, médecins, architectes, etc.) ne représentent que 11 p. 100 de l'ensemble des cas documentés, et les journalistes moins de 2 p. 100, ils constituent une partie très importante de leur profession. Environ deux tiers des rafles, des arrestations et des enlèvements ont été perpétrés pendant la nuit chez les victimes; les autres se sont produits surtout dans des lieux publics, des lieux de travail et des écoles. Les chiffres ont changé quelque peu depuis la publication de cet ouvrage parce que les enquêteurs ont découvert par la suite que de nombreux cas, surtout ceux relatifs à des personnes habitant des régions éloignées et à la campagne, n'avaient jamais été rapportés ou documentés, et que les preuves concernant plusieurs cas avaient été détruites (CONADEP 1984, 273-297). La même source documente des cas de collaboration entre les forces de sécurité de l'Argentine et celles des pays voisins, constituant ce que la commission d'enquête a qualifié de véritable « machine de répression multinationale ». Les forces de sécurité de divers pays opéraient dans des états voisins; elles ont eu recours à l'enlèvement, à la torture et à l'assassinat sans se soucier des frontières, et ont même exercé des représailles sur des personnes reconnues comme réfugiées par leur pays d'accueil et qui étaient sous la protection du Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (Ibid., 265).

Au milieu des années 1970, la plupart des victimes de la « sale guerre » n'ont apparemment pas reçu de menaces de mort. Le personnel militaire spécialisé dans l'infiltration des organismes de défense des droits de la personne et des groupes d'appui, participaient aussi aux arrestations des membres des ces groupes. A la même époque, des personnes innocentées par les tribunaux et, relâchées par la suite, étaient enlevées à la sortie même des tribunaux et des centres de détention, puis assassinées. Les policiers et les militaires ayant participé à la campagne n'étaient pas à l'abri des représailles puisqu'un certain nombre d'entre eux avaient été l'objet d'actes de violence pour avoir montré des préoccupations humanitaires envers les victimes ou leurs parents, ou pour avoir désapprouvé les profits illégaux que touchaient de nombreux collègues (Ibid., 254-256).

Récemment, certains juges et journalistes ont été étiquetés publiquement comme des gauchistes, tandis que d'autres personnes, telles les Mères de la Plaza de Mayo, ont reçu des menaces. De plus, le Secretaría de Inteligencia del Estado (SIDE) [Secrétariat des services de renseignements de l'état] a préparé un rapport, rendu public en juillet 1990 par des responsables gouvernementaux, dans lequel il signalait que les carapintadas se préparaient, à la fin de 1990, à s'emparer des installations militaires avec la participation de groupes d'officiers à la retraite et de civils. Cette opération devait inclure la saisie des stations de diffusion et l'enlèvement de journalistes, de politiciens et de gens d'affaire « considérés comme étant hostiles à leur cause » (Latin American Weekly Report 9 août 1990).

A la fin de la récente dictature militaire, de nombreux officiers des forces armées auraient tenté de conclure un accord avec la majorité des civils et de se faire accepter par eux. Au même moment, à la fin de 1989, plus de la moitié des officiers n'appuyaient pas les carapintadas rebelles (Ibid.; The Christian Science Monitor 5 déc. 1990, 1-2). Ces facteurs sont importants si l'on considère la possibilité d'un futur coup d'état ou d'un retour à la « sale guerre ». Une tentative de coup d'état provoquerait des combats au sein des forces armées et pourrait déclencher une guerre civile.

La dernière dictature militaire a causé un traumatisme qui, encore aujourd'hui, se fait toujours sentir; la haine et les préjugés ont également caractérisé cette période. Il en résulte que l'idéal d'une Argentine stable et unie qu'on souhaitait atteindre reste hors de portée. La division et la formation de factions ne sont pas limitées aux péronistes au pouvoir : on change d'avis, on se sépare, on se polarise au sein de l'armée, des partis communiste et travailliste, des institutions, de même qu'au sein des diverses couches sociales. Les racines des démocraties latino-américaines ne sont pas très profondes et il pourrait s'écouler quelque temps avant qu'elles soient solidement implantées dans le cône sud de l'Amérique.

4.               ADDENDUM : RENSEIGNEMENTS GENERAUX

La junte militaire qui a pris le pouvoir en 1976 et qui a été contrainte de démissionner en 1983 a laissé dans son sillage le chaos économique et une crise sociale : la défaite totale de la guerre des Falkland; l'économie mal gérée où la priorité a été accordée aux nouvelles industries nucléaires et militaires aux dépens des secteurs de l'économie établis depuis longtemps; et des années de torture et de meurtres. Dans certains cas, les parents ou les amis de personnes soupçonnées d'avoir des liens avec des associations socialistes ont fait l'objet de représailles ou ont vu leurs proches disparaître. En 1983, Raúl Alfonsín a mené l'Unión Cívica Radical (UCR) au pouvoir, appuyé par une majorité d'Argentins qui voulait que justice soit faite en ce qui concerne les militaires et que les erreurs des péronistes ne soient pas répétées. Au cours de ses premiers jours au pouvoir, Alfonsín a créé une commission qui a documenté des milliers de cas d'atrocités commises au cours de la « sale guerre » menée par les militaires et les a résumés dans un ouvrage intitulé Nunca M s [Jamais Plus]. La commission a été souvent entravée, au cours de son enquête, par les militaires et par des groupes paramilitaires liés aux services de sécurité qui avaient perpétré des attentats à la bombe contre les bureaux et les résidences de ses membres (Amnesty International 1985). Soutenu par une majorité, à la fois au Congrès et dans la rue, Alfonsín a néanmoins fait en sorte que justice soit faite dans le cas d'un certain nombre d'officiers militaires supérieurs de l'ancienne dictature qui avaient commis des violations des droits de la personne.

Au cours de la présidence d'Alfonsín, le mécontentement croissant au sein des rangs inférieurs de l'armée a donné lieu à trois mutineries qui ont été suivies par l'adoption de deux lois limitant l'obligation des officiers militaires à rendre des comptes. Ces incidents ont jeté le doute sur la capacité d'Alfonsín de contrôler l'armée (Latinamerica Press 11 mai 1989, 6) et ont donné naissance à un groupe de militaires connu sous le nom de carapintadas (« Visages peints » d'après le maquillage de camouflage utilisé pendant leurs soulèvements). Les carapintadas sont dirigés par le lieutenant-colonel Mohamed Alí Seineldín. Un organisme international de défense des droits de la personne et Alfonsín lui-même ont décrit le groupe comme des néo-nazis et des néo-fascistes (FBIS-LAT-90-076 19 avr. 1990, 17) et « encore plus totalitaires et fanatiques que la génération qui avait pris le pouvoir en 1976 » (Latinamerica Press 11 mai 1989, 6).

Malgré l'attitude négative de l'armée, les procès des officiers supérieurs accusés de violations des droits de la personne se sont poursuivis au cours de la présidence d'Alfonsín, alors que d'autres officiers, déjà condamnés, demeuraient en prison. La Cour suprême, les gouvernements provinciaux et d'autres institutions sont restés entre les mains de civils. Les conditions économiques ont toutefois continué à se détériorer. En fait, après de nombreuses décennies de prospérité, l'Argentine ressemblait davantage aux pays développés qu'à ses voisins latino-américains; mais la production et le niveau de vie n'ont cessé de baisser depuis le milieu des années 1970 (The Los Angeles Times 20 nov. 1990, 1).

Malgré la poursuite du débat portant sur les causes profondes de la baisse de l'économie, certaines personnes rejetant la responsabilité sur une attitude négative face au travail, et d'autres blâmant l'administration politique, l'importante classe moyenne de l'Argentine s'est nettement appauvrie. Bien que le revenu par habitant se soit stabilisé à 2 500 $ US au cours des dernières années, le véritable pouvoir d'achat a baissé considérablement. En 1989, l'inflation était de 3 000 p. 100, alors que les ventes avaient diminué dans certains secteurs à un dixième de celles des années précédentes. Le chômage était aussi généralisé. Les personnes ayant la chance de travailler occupaient souvent plusieurs postes pour pouvoir subvenir à leurs besoins essentiels (Ibid.); dans une ville comme Buenos Aires où le coût de la vie est très élevé, le salaire minimum se situe actuellement à moins de 50 $ US par mois. Parmi les plus démunis qui dépendent des soupes populaires, nombreux étaient ceux qui ont profité des troubles pour piller des marchés et des magasins au cours des derniers jours de l'administration Alfonsín et encore durant les premiers mois de l'actuelle administration Menem.

Le niveau de vie n'a jamais été aussi bas dans l'histoire récente de l'Argentine; la pauvreté et les frustrations qui en découlent sont considérées comme un terrain propice à la dissension et à l'opposition radicale au gouvernement (The Washington Post 23 févr. 1990, A10).

5.                BIBLIOGRAPHIE

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