LES REPERCUSSIONS DU COUP D'ETAT D'AVRIL 1992

 

1.   INTRODUCTION

Le 5 avril 1992, le président du Pérou, Alberto Kenyo Fujimori, a suspendu la Constitution et dissous le Congrès. Le coup de force est survenu moins de deux ans après la victoire de Fujimori sur son rival Mario Vargas Llosa aux élections présidentielles. Lors d'un second tour de scrutin, il parvient à obtenir un peu plus de 50 p. 100 du vote populaire. Soutenu par les militaires, Fujimori a annoncé la formation d'un gouvernement de « reconstruction nationale » et qu'il mettait en oeuvre un programme de réformes constitutionnelles qui, à terme, serait soumis à un plébiscite (AFP 6 avr. 1992). Le lendemain, dans un discours télévisé à la nation, Fujimori a justifié ses mesures en accusant le Congrès de faire obstacle aux réformes économiques et politiques et d'entraver la campagne menée par son administration contre le terrorisme et le trafic de la drogue :

L'inefficacité de l'assemblée législative et la corruption de l'appareil judiciaire sont aggravées par l'obstructionnisme évident et les plans secrets de certains chefs de parti qui entravent les efforts du peuple et de l'Etat (Panamericana Television Network 6 avr. 1992).

Selon le quotidien officiel de Lima, El Peruano, l'un des motifs de la dissolution du Congrès était que le parti d'opposition Alianza Popular Revolucionaria Americana (APRA), qui détenait les blocs les plus nombreux de députés aux deux chambres législatives, ainsi que des postes importants dans la plupart des ministères, utilisait son pouvoir pour faire obstruction aux objectifs du gouvernement (Latinamerica Press 9 avr. 1992, 1).

2.       SITUATION GENERALE

Le Pérou, comme d'autres pays d'Amérique Latine, est aux prises avec de graves problèmes économiques et sociaux. Le pays fait face, en 1992, à des paiements de 900 millions de dollars US au titre du service de la dette. Plus de 3 millions d'enfants doivent travailler pour survivre, tandis que, tous les jours, 200 autres meurent de malnutrition (Le Monde diplomatique juin 1992, 18). Selon de récentes estimations, 13 millions de personnes, sur une population de 22 millions d'habitants, vivent dans une « misère abjecte » au Pérou (ICCHRLA 12 mai 1992, 3). Sans les revenus qu'il tire de la coca - le Pérou intervient pour plus de 60 p. 100 de la production mondiale - le pays ne pourrait survivre (Le Monde diplomatique juin 1992, 18). La piètre situation économique a créé un terrain propice à l'instabilité politique ainsi qu'à l'expansion de mouvements insurgés.

Selon d'importants organismes de défense des droits de la personne, il se commet au Pérou des violations généralisées des droits de la personne depuis près de 10 ans (Americas Watch août 1990; Amnesty International nov. 1991). En 1980, le mouvement rebelle Sendero Luminoso (Sentier lumineux) a déclaré la guerre à l'Etat péruvien. Depuis lors, ce groupe est responsable d'un grand nombre des atrocités commises sur le territoire national, et il constitue la principale cible de la campagne anti-insurrectionnelle du gouvernement (ibid.).

En 1988, le sénateur Enrique Bernales a créé la Commission spéciale sur la violence et les moyens de pacification afin surveiller la violence politique et les abus des droits de la personne dans le pays (Documentation-Réfugiés 20-29 juin 1992, 21). Cette Commission, que préside le sénateur Bernales, rapporte que sur les 22 443 assassinats recensés entre 1980 et 1991, 11 143 des victimes appartenaient censément à des groupes insurgés; 9 257 étaient des civils non combattants provenant principalement de communautés paysannes; 1 789 appartenaient aux forces de sécurité; et 254 étaient des trafiquants de drogue (Amnesty International mai 1992, 28). La Commission rapporte aussi que, sur les 3 180 meurtres commis en 1991 (contre 3 452 en 1990), 1 395 peuvent être attribués aux forces de sécurité, tandis que 1 314 seraient imputables au Sendero Luminoso (ibid., 28-29).

Les « disparitions » sont monnaie courante. Selon Amnesty International, entre le 28 juillet 1990 et le 30 avril 1992, 80 des 495 personnes portées « disparues » ont été relâchées, quatre, a-t-on reconnu, sont gardées en détention, 19 ont été trouvées sans vie et l'on est sans nouvelles des 392 autres (mai 1992, 33).

Selon de récentes estimations, 200 000 personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays en tentant de fuir la violence qu'exercent les forces de sécurité et l'opposition armée (Amnesty International nov. 1991, 7). Fuyant leurs foyers, surtout dans le sud des Andes, ces desplazados (personnes deplacées à l'intérieur) vivent aujourd'hui dans un dénuement extrême dans des villes comme Huamanga, Huancayo, Ica et Lima, souffrant de malnutrition, de maladies et de traumatismes psychiques (U.S. Committee for Refugees mai 1991, 3). Un grand nombre d'entre eux n'ont pas de pièces d'identité, ce qui pose un problème particulièrement aigu, car, sans ces documents, il leur est impossible d'entrer dans des bâtiments publics ou d'obtenir des offres d'emploi officielles; ce fait « aggrave manifestement l'isolement et la pauvreté » (Schiappa-Pietra 25-28 mai 1991, 21).

2.1             Sendero Luminoso

Le Parti communiste du Pérou, mieux connu sous le nom de Sendero Luminoso (Sentier lumineux), est un mouvement de guérilla qui recourt souvent au terrorisme pour atteindre son but ultime : la destruction de l'Etat péruvien actuel et la création d'un Etat ouvrier-paysan, ou la « Nouvelle république démocratique » (Rubin 1989, 130). Un groupe d'intellectuels menés par Abimael Guzm n (aussi surnommé « Presidente Gonzalo » par les Senderistas ou guérilleros du Sendero), un professeur de philosophie à l'Université de San Cristóbal de Huamanga, en Ayacucho, a fondé le mouvement en 1970 à la suite d'une scission au sein du Parti communiste. Le Sendero Luminoso (ou Sendero) a adapté l'idéologie et la stratégie maoïstes de la révolution paysanne, qui passe par une guerre prolongée dans les campagnes et, à terme, par l'encerclement progressif des villes, en plusieurs étapes. Au lieu d'encercler les villes, le mouvement projette de recruter autant d'adhérents en milieu urbain qu'il en faudra pour isoler le gouvernement ainsi que les classes supérieures et moyennes afin de provoquer leur effondrement (Tarazona-Sevillano et Reuter 1990, 53). Le Sendero a entamé sa guerre contre l'Etat en mai 1980, dans le département d'Ayacucho, où il est toujours actif. Le début de la guerre a coïncidé avec le retour à la démocratie au Pérou, après 12 années de dictature militaire. Le mouvement a connu depuis un essor rapide, pour devenir ce qu'une source décrit comme « l'insurrection terroriste la plus brutale, vindicative et insaisissable qui soit dans l'hémisphère occidental » (Tarazona-Sevillano 11 mars 1992, 4). Il est difficile d'évaluer l'étendue de la présence du Sendero au Pérou; selon de récentes estimations, le mouvement contrôle entre 25 p. 100 et 40 p. 100 du territoire national (McCormick 11 mars 1992, 5), et l'on estime que ses effectifs varient de 5 000 à 20 000 membres (Wilde 11 mars 1992, 2).

Pour mener sa guerre dans les régions rurales qu'il a infiltrées, le Sendero recrute généralement des paysans pauvres et des étudiants, des deux sexes, qu'il soumet à un profond endoctrinement. Dans les régions urbaines, le recrutement et l'instruction par l'endoctrinement se font, paraît-il, dans des escuealas populares (écoles populaires) secrètes (Tarazona-Sevillano et Reuter 1990, 32). Selon Documentation-Réfugiés, on a aussi accusé le Sendero d'avoir recruté de force des paysans (20-29 juin 1992, 22), et la revue Caretas a publié un article sur un adolescent de 15 ans que le Sendero aurait enlevé, entraîné de force et fait participer à des attaques (24 juill. 1989, 37).

On croit généralement que les privations économiques et sociales dont souffrent depuis longtemps les Indiens de langue quechu vivant dans les hautes terres en Ayacucho constituent le principal facteur qui a facilité l'apparition du mouvement, qui se présente comme un sauveur aux yeux d'un peuple affaibli par la pauvreté et l'exploitation (NACLA déc.-janv. 1990/1991, 12). Le département d'Ayacucho est celui où la part du produit national brut (PNB) du pays est la plus faible, et c'est là aussi que l'on trouve le plus grand nombre d'habitants sans électricité (82,86 %), sans eau potable (66,96 %) ou sans services d'enlèvement des ordures (90,67 %) au Pérou (Tarazona-Sevillano et Reuter 1990, 4).

La participation du Sendero au commerce de la drogue et les activités terroristes ont plus tard facilité l'expansion du groupe dans la vallée de la haute Huallaga, dans les départements de San Martín et Hu nuco. Dans cette région, le Sendero agit comme intermédiaire entre les trafiquants de drogue et les paysans. Le mouvement procure de l'argent en frappant d'une taxe chaque chargement de pâte de coca destiné à la Colombie, et en échange d'armes, assure aux trafiquants un approvisionnement régulier de pâte de coca et la protection contre l'armée et la police. Le Sendero obtient l'appui des paysans en fixant un « juste » prix pour les feuilles de coca et en protégeant ces derniers contre les trafiquants de drogue intransigeants et le gouvernement, qui tente de les empêcher de produire la coca. Fait intéressant, le Sendero interdit la consommation de drogues dans la région (Hertoghe et Labrousse 1989, 17). Le mouvement vole aussi des armes des forces de sécurité et de la dynamite dans les mines (Libération 7 mai 1991, 43) et il bénéficie d'un appui international--ses principaux alliés sont le Parti communiste turc (TKP/ML) et le Parti communiste révolutionnaire des E.-U., lesquels font partie de l'Internationale révolutionnaire. Ces dernières années, par ailleurs, des organisations clandestines du Sendero, appelées « mouvements du peuple péruvien », dont l'objectif consiste à établir des partis révolutionnaires maoïstes à l'extérieur du Pérou, ont fait leur apparition en Suède, en France, en Allemagne, en Suisse et au Mexique (The New York Times Magazine 24 mai 1992).

Fidèle à son objectif de détruire tous les représentants et symboles de l'établissement péruvien, le Sendero a pour cibles principales les collectivités paysannes qui résistent au mouvement, les autorités publiques, les dirigeants d'organisations paysannes et syndicales, les défenseurs des droits de la personne, les journalistes, les enseignants, les ingénieurs, les personnes actives au sein de partis politiques et les candidats aux élections (Documentation-Réfugiés 20-29 juin 1992, 22). Quelque 575 responsables municipaux ont été tués et beaucoup, sous l'effet de la peur, ont donné leur démission (Latin American Newsletters 23 juill. 1992, 4). Depuis 1991, les membres de la profession sanitaire et des ordres religieux sont maintenant visés eux aussi; en 1991, la liste des victimes comprenait une religieuse australienne travaillant dans le département de Junín, deux franciscains polonais tués à Chimbote pendant qu'ils s'adressaient à un groupe de jeunes, et un médecin et trois techniciens sanitaires qui participaient à une campagne de vaccination (Amnesty International mai 1992, 30). Selon Amnesty International, les membres du Sendero « torturent souvent leurs prisonniers et les soumettent, dans une parodie de la justice, à des simulacres de procès avant de les tuer » (Amnesty International nov. 1991, 1). Depuis la mi-février 1992, des organisations non gouvernementales (ONG) de diverses régions du pays sont également visées. El Diario, le journal clandestin du Sendero, a qualifié les ONG de « filet de sécurité contre la décomposition sociale » (Andean Commission of Jurists 9 mars 1992, 5). Sont aussi victimes d'attaques les services publics et les équipements d'infrastructure, les postes de police, les centres de recherche et les institutions (Hertoghe et Labrousse 1989, 78).

Depuis 1988, le Sendero Luminoso a axé ses efforts sur Lima dans le but d'établir des bases de soutien au sein des pueblos jóvenes (bidonvilles) où se sont installés un grand nombre de paysans issus des campagnes (Quehacer mars-avr. 1992b, 36). Selon la Commission Bernales, depuis janvier 1992 près de 40 p. 100 des attaques terroristes sont survenues à Lima (Latin American Newsletters 25 juin 1992b, 2). Selon Bernales, le Sendero a réussi à pénétrer « en profondeur, mais pas totalement, dans les pueblos jóvenes de Lima, notamment à San Juan de Lurigancho » (Latin American Newsletters 30 janv. 1992, 6-7). Par ailleurs, le Sendero s'en est pris à des dirigeants de la communauté et à des projets d'aide bénévole, comme les soupes populaires, à Lima, afin d'affaiblir davantage la population pauvre, dont la survie dépend de ceux qui les aident et qui, en désespoir de cause, seront peut-être plus susceptibles de se tourner vers le terrorisme (Andean Commission of Jurists 9 mars 1992, 5). Deux exemples notables sont les assassinats, par le Sendero Luminoso, de Juana López de León, à Callao, en août 1991 (Caretas 9 sept. 1991, 30) et de María Elena Moyano, surnommée la « Mère courage » de Lima, le 15 février 1992, à Villa El Salvador, l'un des bidonvilles les plus structurés de la capitale (Amnesty International mai 1992, 31). López était la coordonnatrice du programme « verre de lait » gratuit, et Moyano, maire adjointe de Villa El Salvador, était l'une des anciennes présidentes du programme.

Les attentats à la bombe survenus récemment à Lima sont peut-être le signe d'une nouvelle étape dans la campagne du Sendero Luminoso. Des voitures piégées ont explosé dans des zones résidentielles, tuant et blessant de nombreux civils (Andean Commission of Jurists 17 juill. 1992; Inter Press Service 17 juill. 1992). Selon une dépêche, le chef du Sendero, Abimael Guzm n, a récemment ordonné que le combat s'intensifie au sein de la capitale (Reuter 21 juill. 1992).

2.2           Movimiento Revolucionario Túpac Amaru (MRTA)

Le Movimiento Revolucionario Túpac Amaru (Mouvement révolutionnaire Tupac-Amaru, ou MRTA), dont l'envergure est bien inférieure à celle du Sendero Luminoso, aurait été fondé au milieu des années 1970; sa première attaque armée n'a cependant eu lieu qu'en juin 1984 (Amnesty International nov. 1991, 24). La doctrine et les tactiques du MRTA diffèrent nettement de celles du Sendero; le mouvement obtient l'appui des secteurs les plus démunis grâce à des « méthodes militaro-populistes », et, bien que ses activités urbaines soient terroristes, il recourt au combat ouvert dans les campagnes (Schiappa-Pietra 25-28 mai 1991, 14). Au début, le mouvement a concentré ses actions dans les centres urbains, à Lima plus particulièrement, mais, à la fin des années 1980, le MRTA opérait également dans les régions rurales, notamment dans les départements de Junín, Pasco, Húanuco, San Martín et le département occidental de Lima. On croit aujourd'hui qu'il est actif dans 14 des 24 départements péruviens (Amnesty International nov. 1991, 24-25). Le MRTA contrôle la région centrale de la Huallaga, où, à l'instar du Sendero dans d'autres régions, il « taxe » les trafiquants de drogue pour financer ses activités (Americas Watch sept. 1991, 29). Une source d'information signale l'apparition de certains liens entre le Sendero et le MRTA (Nef et Vanderkop 1988, 68), encore que d'autres aient fait remarquer que les deux groupes se font souvent concurrence pour ce qui est de trouver des partisans et ont parfois des accrochages, d'où le MRTA sort généralement perdant (Americas Watch sept. 1991, 29; Caretas 6 févr. 1989, 38-41; Staar 1989, 142).

Le MRTA, qui tend à agir de façon plus modérée que le Sendero Luminoso, se livre quand même à des assassinats, des enlèvements (Schiappa-Pietra 25-28 mai 1991, 14) et des extorsions. Selon le Dircote, le service anti-terrorisme de la police péruvienne, environ 2 000 entreprises ont payé des « fonds de protection » au MRTA (Andean Report 15 juin 1992). D'après Amnesty International, le mouvement se livre aussi à du « sabotage, à l'occupation de villes, de villages et de bâtiments publics, ainsi qu'à des attaques armées contre la police et des patrouilles de l'armée » (nov. 1991, 25). En 1991, le MRTA a posé des bombes à proximité de bâtiments de l'Etat et de casernes de la police, à des endroits où circulaient de nombreux civils (Americas Watch sept. 1991, 30). La même année, en signe de protestation contre la guerre dans le Golfe persique, le MRTA a dynamité plusieurs églises des Mormons, des établissements de restauration rapide américains à Lima et l'ambassade d'Italie, et il a lancé des grenades contre l'ambassade des Etats-Unis (ibid.). Selon la Commission Bernales, le MRTA a été responsable de 139 assassinats, soit 4 p. 100 du nombre total de décès dus à la violence en 1991; par comparaison, environ 40 p. 100 des assassinats ont été attribués au Sendero Luminoso (Andean Commission of Jurists 10 févr. 1992, 6). Cependant, on croit en général que des difficultés d'ordre interne ont récemment affaibli le MRTA et terni son image en tant que mouvement (ibid.).

2.3    Les forces de sécurité, les groupes paramilitaires et les patrouilles d'autodéfense civile

Dans la campagne lancée par les militaires contre l'insurrection, les forces de sécurité ont elles aussi perpétré de nombreuses violations des droits de la personne, notamment contre les paysans vivant dans les régions montagneuses éloignées. Des cas de détention, de « disparition » et d'exécution extrajudiciaire de paysans, attribués aux forces de sécurité, ont été périodiquement signalés à la suite d'attaques de la part de groupes d'opposition armés, comme le Sendero Luminoso (Amnesty International nov. 1991, 7). Avant 1988, c'était presque exclusivement dans les zones d'urgence que l'on signalait les cas de « disparitions » et d'exécutions extrajudiciaires. En 1988, on a aussi rapporté de telles violations dans des régions non soumises à des règlements d'urgence, et leurs auteurs étaient, paraît-il, des unités de la police et des groupes paramilitaires (ibid., 13). Dans la majorité des cas, les violations des droits de la personne que commettent les forces de sécurité depuis 1983 n'ont pas été suivies de la condamnation des responsables (ibid., 44).

Les attaques armées de groupes paramilitaires ont commencé en juillet 1988, avec l'apparition du Comando Rodrigo Franco (CRF), qui, comme l'a découvert une commission parlementaire, entretenait des liens avec des membres de haut rang de l'APRA d'Alan García Perez, qui était au pouvoir à l'époque (ICCHRLA janv. 1992, 7). Les activités paramilitaires ont pris plus d'ampleur en 1991 quand un certain nombre d'autres groupes, comme le Commando de libération anti-terroriste et l'Alliance anti-terroriste du Pérou, se sont lancés dans des activités caractéristiques de celles d'escadrons de la mort (ibid.). Les cibles que visent les groupes paramilitaires comprennent les défenseurs des droits de la personne, les avocats, les journalistes et d'autres critiques des politiques du gouvernement (Amnesty International nov. 1991, 19-20). Selon des sources diverses, les forces de sécurité tolèrent au moins quelques-uns de ces groupes, qui entretiennent même des liens avec ces dernières (Americas Watch sept. 1991, 17; Amnesty International nov. 1991, 20).

Désireux de mettre un frein à la violence politique, l'Etat a entrepris d'armer des rondas campesinas (patrouilles d'autodéfense civile). Ces dernières, qu'il ne faut pas confondre avec les patrouilles paysannes autonomes et souvent efficaces, mises sur pied pour protéger le bétail et les biens dans les collectivités rurales des hauts plateaux andins (Americas Watch 1987, 8), ont parfois lutté avec succès contre le Sendero Luminoso, mais ont aussi provoqué des confrontations armées entre des communautés paysannes rivales (Andean Commission of Jurists 13 janv. 1992, 5). Selon Americas Watch, ces patrouilles ont contribué à l'escalade de la violence plutôt qu'à son enraiement, et « leurs membres eux-mêmes ont souvent été responsables d'abus » (Americas Watch sept. 1991, 15).

2.4             L'appareil judiciaire

Au Pérou, l'appareil judiciaire, le principal moyen d'assurer la protection des droits de la personne, est insuffisamment financé. Les procureurs et les juges ont été chassés des zones de conflit par le Sendero Luminoso et, quand ils menaient des enquêtes relatives aux droits de la personne, par les pressions des militaires (Americas Watch sept. 1991, 32).

Bien que la majorité des Péruviens croient que le système judiciaire est corrompu et que les juges ne sont pas dignes de confiance (Americas Watch 1988, 33), Guillermo Cabala, un juge de la Cour suprême qui ne voit aucun signe de corruption chez les juges, soutient que ce sont les menaces proférées par les groupes insurgés qui présentent le plus grand danger pour le système judiciaire (Andean Commission of Jurists 9 mars 1992, 6). Ainsi, Arturo Zapata Carvajal, l'un des juges qui s'occupent des personnes détenues à la prison de Castro, à Lima, a affirmé que l'on avait tiré à la mitraillette sur sa maison et qu'il avait reçu des menaces. Zapata Carvajal a acquis plus tard la notoriété pour avoir libéré plus d'une centaine de détenus accusés d'actes de terrorisme ou d'implication dans le trafic de la drogue (ibid.). Un analyste rapporte que la capitulation de l'appareil judiciaire devant l'intimidation et la corruption a engendré une perception d'inefficacité de la part de la justice dans la lutte contre l'insurrection, ainsi qu'une attitude, chez les militaires, de ne pas avoir à « faire de prisonniers » (Cameron 13 juill. 1992).

Les militaires menacent eux aussi le système judiciaire. Le 4 juin 1991, 30 soldats sont entrés par effraction au domicile du juge Moisés Ochoa Girón, et ont perquisitionné les lieux; le juge s'occupait du cas d'officiers de l'armée accusés d'avoir trempé dans l'assassinat du journaliste Hugo Bustíos Saavedra en 1988. Les soldats ont dit qu'ils étaient à la recherche d'« agents subversifs », et qu'ils agissaient sous les ordres d'officiers de haut rang (Amnesty International nov. 1991, 62). Ce type d'intimidation a engendré un climat dans lequel « les tribunaux civils négligent en général d'intervenir pour protéger les droits des personnes que la police ou les militaires gardent en détention ou d'imputer la responsabilité des violations des droits de la personne aux militaires et à la police » (ibid., 59).

2.5              Fujimori au pouvoir

Axant sa campagne électorale sur l'aide aux populations pauvres du Pérou et la situation critique dans laquelle se trouve la population indigène, Alberto Fujimori a été élu en juin 1990 et a pris ses fonctions le 28 juillet suivant (Le Monde diplomatique juin 1992, 15). Une fois au pouvoir, il a rapidement adopté les politiques fort néo-libérales auxquelles il s'était opposé durant sa campagne, en mettant à exécution l'un des programmes de stabilisation économique les plus sévères au monde (ibid.). Ce programme, imposé par le Fonds monétaire international (FMI), se voulait un effort pour combattre l'inflation, ramener le Pérou dans le giron financier international et attirer des investissements étrangers (Le Monde diplomatique juin 1992, 18).

Privé d'une majorité aux deux chambres du Congrès, Fujimori gouverne principalement par décrets présidentiels (The Globe and Mail 7 avr. 1992, A11). Depuis son investiture, la tension règne entre le pouvoir exécutif qu'il dirige et le pouvoir législatif et le système judiciaire. Ses franches critiques à l'endroit de ces deux derniers secteurs de même que son style de direction (« Agir d'abord, parler après », comme il le dit lui-même) le met en brouille avec le Congrès, qui a fait de plus en plus obstacle à ses réformes (Quehacer mars-avr. 1992a, 10).

Le 3 juin 1991, la Loi no 25327 a conféré au président Fujimori le pouvoir législatif d'émettre des décrets spéciaux, valables pour une période de 150 jours, sur des sujets tels que la pacification nationale, la création de possibilités d'emploi et les investissements privés (Andean Commission of Jurists 10 déc. 1991, 5). Dans les jours qui ont précédé le 17 novembre 1991, date d'expiration de cette loi, Fujimori a émis de nombreux décrets, dont certains ont accordé aux militaires des pouvoirs plus étendus et a institutionnalisé la participation des civils à la lutte contre l'insurrection en permettant à des patrouilles paysannes de porter les armes et, dans les zones soumises à une réglementation d'urgence, en les subordonnant au commandement des militaires. Ceux qui ont critiqué certains des décrets ont indiqué que ces derniers pouvaient servir à restreindre les droits fondamentaux en dehors de situations d'urgence et qu'ils menaçaient manifestement la liberté d'expression et le droit à la vie privée (ibid., 5-6). Le Congrès n'avait que 30 jours pour accepter, modifier ou rejeter les décrets avant qu'ils aient automatiquement force de loi. Le 29 novembre 1991, anticipant une réaction négative de la part du Congrès, le président Fujimori a déclaré : « J'espère que le Congrès fera montre de conscience, de responsabilité et de maturité. Nous ne pouvons attendre 10, 20 ou 40 années pour changer le pays » (ibid., 6). Le 4 décembre 1991, le Congrès avait adopté un projet de loi qui abrogeait ou modifiait un certain nombre de décrets présidentiels; cependant, il fallait que le président analyse à son tour ce projet de loi (ibid.).

3.   LE COUP D'ETAT DU 5 AVRIL 1992

Face à cette montée des tensions, le président Fujimori a suspendu la Constitution et dissous le Congrès péruvien. Son annonce a été suivie de l'arrestation d'un certain nombre de dirigeants parlementaires, de personnalités politiques de l'opposition, de chefs syndicaux et d'anciens chefs de police. Le président du Sénat, Felipe Osterling Parodi, qui avait appelé à la désobéissance civile (AFP 6 avr. 1992), et le président de la Chambre des représentants, Roberto Ramírez del Villar, ont été assigné à résidence pendant 15 jours. L'ordre a été donné d'assigner à résidence l'ancien président et membre du parti d'opposition APRA, Alan García Perez; cependant, même si sa maison est étroitement gardée, nul ne sait où il se trouve (Latinamerica Press 9 avr. 1992, 1). Les militaires ont aussi occupé, provisoirement, les agences de presse et les postes de radio. Le poste de radio Antena 1, par exemple, a été fermé après avoir diffusé un appel à la désobéissance civile, et les bureaux de Caretas, la revue d'affaires politiques ayant le plus fort tirage au pays, ont été occupés brièvement (Index on Censorship mai 1992, 12).

Dans un communiqué émis le lendemain, les militaires ont confirmé officiellement leur appui envers le président Fujimori, déclarant que c' était « impératif » de réaliser des réformes économiques, d'enrayer le trafic de la drogue et la corruption et de relever les institutions gouvernementales inefficaces (Radio Programas del Peru Network 6 avr. 1992). Certains ont toutefois signalé que les militaires avaient fort intérêt à bâillonner le Congrès parce que le bloc d'opposition majoritaire faisait obstacle à un certain nombre de décrets conçus pour donner plus de pouvoirs aux forces armées (Index on Censorship mai 1992, 12) et que les militaires voulaient se débarrasser de l'emprise des civils afin de combattre l'insurrection « à leur manière » (Le Monde diplomatique juin 1992, 18). D'autres ont parlé d'un possible « coup de force des narco-trafiquants » exécuté pour protéger les militaires. Le quotidien Expreso a déclaré que, d'après des informations non confirmées, le secrétaire d'Etat adjoint aux Affaires inter-américaines des Etats-Unis, Bernard Aronson, avait remis au président Fujimori, quelques semaines à peine avant le coup d'Etat, une liste de 170 officiers militaires mêlés au trafic de la drogue (Latinamerica Press 16 avr. 1992, 1).

4.                LES EVENEMENTS SURVENUS DEPUIS LE COUP D'ETAT

4.1           La violence

Peu après le coup d'Etat, le Sendero Luminoso a posé dans certains bidonvilles de Lima des affiches indiquant que les actions du président Fujimori illustrent l'incapacité de l'ordre existant à renforcer le capitalisme bureaucratique, de restructurer l'Etat et de mettre un terme à l'insurrection (Caretas 20 avr. 1992, 41). Selon la revue Caretas, le geste du président fait exactement le jeu du Sendero qui tentera de profiter de la fermeture des voies démocratiques pour gagner de nouveaux appuis et qui s'efforcera de faire obstacle à un retour à la démocratie. De plus, soutient la revue, le Sendero Luminoso utilisera le coup d'Etat pour montrer au monde que ses actions sont justifiées (ibid., 34). La répression exercée sans distinction peut devenir l'un des objectifs des attaques du Sendero Luminoso, qui, depuis le 5 avril 1992, ont acquis un caractère plus violent (voir aussi la section 2.1). Dans les deux semaines qui ont suivi le coup d'Etat, Lima a été le théâtre de 15 attentats, faisant 24 morts et 60 blessés (ibid., 33). Le 30 avril 1992, le jour où le président Fujimori annonçait l'introduction de dispositions législatives imposant des peines plus sévères aux auteurs d'actes de terrorisme, le Sendero Luminoso a effectué une série d'attentats à Lima, dont l'assassinat d'un directeur adjoint d'école, l'éclatement d'une bombe dans un magasin, ainsi qu'une explosion dans un parc situé face à l'ambassade des Etats-Unis (Latin American Newsletters 14 mai 1992, 2). Selon une source, les cibles premières du Sendero Luminoso sont maintenant l'Etat et les forces de sécurité, de même que les parlementaires qui, désormais, ne jouissent plus de la protection de l'Etat (Caretas 20 avr. 1992, 41-42). Le Sendero Luminoso s'est aussi efforcé d'éveiller l'attention de la communauté internationale par ses attaques violentes, tirant parti de l'arrivée de la presse étrangère au Pérou après le coup d'Etat (ibid., 41).

La violence a atteint de nouveaux sommets en mai 1992; selon la Commission Bernales, 413 personnes étaient tuées, chiffre sans précédent depuis juin 1989, et 123 attentats terroristes ont été commis, dont 112 étaient attribués au Sendero Luminoso (Latin American Newsletters 25 juin 1992b, 2).

En juin 1992, un attentat à la bombe contre un poste de télévision, Canal 2, a tué cinq personnes et amené le gouvernement à activer ses plans relatifs à la mise sur pied de patrouilles civiles anti-terroristes en milieu urbain (American Newsletters 25 juin 1992b, 2). Il y a d'abord eu quelques désaccords au sujet de l'identité des auteurs de l'attaque (Latin American Newsletters 18 juin 1992, 10), mais de récentes informations attribuent l'incident au Sendero Luminoso (Inter Press Service 17 juill. 1992; Reuter 21 juill. 1992).

4.2 De nouveaux décrets

Le 6 mai 1992, le gouvernement a publié le Décret-loi 25475 (Andean Commission of Jurists 11 mai 1992, 7), dont l'article 3 prescrit des peines d'emprisonnement à perpétuité pour les dirigeants de mouvements subversifs et des peines de 20 ans pour les « collaborateurs du terrorisme »; l'article 7 prévoit des peines d'emprisonnement de six à douze ans pour les individus trouvés coupables de « collaboration avec les terroristes »; et l'article 20 abroge l'article 323 du Code pénal, qui prescrivait auparavant une peine d'emprisonnement de 15 ans pour les membres des forces de sécurité qui étaient reconnus coupables de « disparitions forcées » (Latinamerica Press 14 mai 1992, 1). Le Décret permet aussi de garder des personnes au secret pendant une période pouvant atteindre quinze jours; les avocats de la défense n'ont le droit d'intervenir qu'une fois que la police a préparé l'interrogatoire (Andean Commission of Jurists 11 mai 1992, 7). De plus, le Décret institue un système par lequel on cache l'identité des juges qui siègent aux procès relatifs à des actes de subversion. Selon l'Andean Commission of Jurists, ce système de « juges anonymes » constitue une grave menace pour la protection des droits de la personne car il supprime d'une manière effective les contrôles exercés sur les personnes que Fujimori désigne comme juges et ne permet plus de savoir si ces personnes sont impartiales ou s'il s'agit même de véritables juges (Latinamerica Press 14 mai 1992, 1). Guillermo Cabala, juge à la Cour suprême, a toutefois soutenu que les juges ont besoin d'être protégés et que les audiences relatives aux actes de terrorisme devraient se tenir en privé (Andean Commission of Jurists 9 mars 1992, 6).

A première vue, la lutte du président Fujimori contre l'insurrection semble avoir obtenu quelques succès. Non seulement le chef du MRTA déjà affaibli, Victor Polay, a-t-il été capturé de nouveau durant le premier semestre du juin 1992 mais, le 14 juin de la même année, on a signalé que des fusilliers marins avaient détruit une série de camps de base du Sendero Luminoso dans la vallée de la haute Huallaga (Latin American Newsletters 25 juin 1992b, 2). Cependant, selon un représentant de l'APRA siégeant au Congrès, Alberto Valencia, certains éléments « radicalisés et politisés » de l'APRA et de l'Izquierda Unida (Gauche unie), la plus grande coalition de partis marxistes légitimes au Pérou, envisageaient de se joindre à la lutte clandestine contre le président Fujimori, un geste qui n'est manifestement pas sanctionné par l'APRA. D'après Valencia, la tendance est à une « lutte encore plus ouverte contre Fujimori » (ibid., 3).

4.3             Les garanties juridiques

Selon Amnesty International, le nouveau Gouvernement d'urgence et de reconstruction nationale a pris un certain nombre de mesures qui suspendent d'une manière effective le droit à l'habeas corpus (Amnesty International mai 1992, 11). Le 8 avril 1992, le président Fujimori a émis le Décret-loi no 25419 ordonnant la fermeture, pendant 10 jours ouvrables, de tous les bureaux de l'appareil judiciaire dans l'ensemble du pays, à l'exception des tribunaux criminels et des cabinets de procureur de district (Radio Programas del Peru 8 avr. 1992). Dans les jours qui ont suivi, plusieurs efforts pour soumettre des ordonnances d'habeas corpus devant les tribunaux ont échoué parce que les forces de sécurité bloquaient l'entrée aux bâtiments de la justice et que les fonctionnaires refusaient de recevoir les requérants. Cette pratique était contraire à une décision de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, selon laquelle le droit à l'habeas corpus ne peut être suspendu, même lorsqu'un état d'urgence est décrété (Amnesty International mai 1992, 11). La destitution subséquente d'un certain nombre de juges et de procureurs par le gouvernement, et l'inertie presque complète de l'appareil judiciaire et du ministère public à la fin d'avril 1992 ont, d'après Amnesty International, « gravement sapé les structures et les procédures par lesquelles l'Etat péruvien veille à la protection des droits de la personne » (ibid.).

Le 10 avril 1992, l'Asociación Nacional de Centros de Investigaciones, Promoción Social y Desarrollo del Perú (Association nationale des centres de recherche, de promotion sociale et de développement du Pérou) a décrit le coup d'Etat en ces termes :

Il engendre un climat d'illégalité qui favorise les forces terroristes, le Sentier lumineux surtout. Il prive de toute protection juridique les citoyens, notamment les organismes politiques, sociaux, ouvriers, paysans et de quartier, ainsi que les organisations qui sont chargées de répondre aux besoins fondamentaux (ICCHRLA 12 mai 1992, 7).

4.4         Propositions relatives à un retour à la démocratie

Le 21 avril 1992, le président Fujimori a présenté un calendrier de « retour à la démocratie ». Cet instrument comprendrait des propositions de la part de son cabinet en vue de l'introduction de réformes constitutionnelles qui seraient soumises à un plébiscite national le 8 novembre 1992 (Latin American Newsletters 25 juin 1992a, 1). Lors d'une réunion avec l'Organisation des Etats américains (OEA) au Bahamas, le 18 mai 1992, Fujimori a cependant indiqué qu'il était disposé à tenir des élections parlementaires afin de remanier la Constitution péruvienne de 1979 (The Globe and Mail 19 mai 1992, A7). Après avoir rencontré les membres d'une mission de l'OEA, dirigée par le secrétaire général de cet organisme, Joao Baena Soares (AFP 2 juin 1992), Fujimori a annoncé au peuple que la réforme de la Constitution serait confiée à une assemblée constituante de 80 membres, qui seraient élus le 18 octobre 1992, et que ce groupe tiendrait lieu d'assemblée législative jusqu'à l'élection d'un nouveau congrès l'année suivante (Latin American Newsletters 25 juin 1992a, 1; Radio and Television Networks 2 juin 1992). Il a aussi déclaré que des représentants de l'OEA superviseraient l'élection de l'assemblée constituante (Radio and Television Networks 2 juin 1992). Le 25 juin 1992, le président a toutefois annoncé l'apport d'un quatrième changement au calendrier de la réforme démocratique du pays (Latin American Newsletters 9 juill. 1992, 8) : l'assemblée constituante, qui serait maintenant élue le 22 novembre 1992, ne sera remplacée par un nouveau congrès élu qu'à l'expiration du mandat de Fujimori, en 1995 (ibid.). Le 8 juillet 1992, dans une allocution prononçée au cours d'une réunion de commandants militaires régionaux, le président a suggéré qu'il faudrait retarder pendant « un an ou deux peut-être » des élections municipales, initialement prévues pour le mois de novembre de cette année. Il faudrait toutefois que l'Association des administrations municipales souscrive à cette mesure (Latin American Newsletters 23 juill. 1992).

5.             PERSPECTIVES D'AVENIR

Le président Fujimori a toujours justifié les événements du 5 avril 1992 et les mesures qu'il a prises par la suite pour débarrasser le pays de la corruption, de l'inefficacité et de la violence, en insistant sur le fait qu'il n'avait pas d'autre choix et qu'il jouissait de l'appui manifeste de la population péruvienne. Selon ses propres paroles, il essaie « de trouver une façon de transformer le Pérou en une véritable démocratie, même si cela paraît paradoxal. [...] Une phase de transition est nécessaire » (Der Spiegel 25 mai 1992). L'appui du peuple à l'égard du coup d'Etat du 5 avril 1992 a chuté de 71,7 p. 100 en avril 1992 à 40,9 p. 100 seulement en juin (Latin American Newsletters 23 juill. 1992), et la situation actuelle amène à se demander si les mesures présidentielles n'ont pas fait qu'empirer les choses.

La violence déjà marquée pourrait s'aggraver encore davantage du fait des mesures prises par le président, qui ont mené à une militarisation plus grande du pays. Les forces de sécurité ont obtenu des pouvoirs étendus pour s'attaquer aux groupes insurgés, tandis que la population civile reçoit aussi des fusils et est entraînée activement dans le conflit. En outre, selon plusieurs organismes de défense des droits de la personne, on ne s'occupe pas convenablement des violations imputées aux forces de sécurité. En fait, bien que Fujimori ait toujours dit qu'il se souciait des droits de la personne, il critique les efforts que déploient les organismes nationaux et internationaux qui mènent des recherches et décrivent la situation des droits de la personne au Pérou (Andean Commission of Jurists 10 déc. 1991, 4-5; Human Rights Internet, été 1992).

Le président Fujimori a obtenu quelques succès dans la lutte contre l'insurrection, mais ses mesures ne permettront peut-être pas de démanteler des groupes tels que le Sendero Luminoso. D'après certains sources, les mesures anti-insurrectionnelles prises dans le passé ont fini par donner plus de vigueur au Sendero Luminoso, et la combinaison de mesures politiques et économiques sévères et d'abus des droits de la personne par les forces de sécurité pourraient procurer des appuis au mouvement (Caretas 20 avr. 1992, 41; Le Monde diplomatique juin 1992, 18).

A mesure que la violence s'intensifie et que l'avenir du pays suscite de plus en plus de pessimisme, il est vraisemblable que plus de gens quitteront le pays. Lima, qui servait autrefois de refuge à ceux qui fuyaient la violence dans les campagnes, est devenue de plus en plus le point de concentration de la stratégie du Sendero Luminoso et un lieu de violence. Si Fujimori s'avère incapable de supprimer le Sendero Luminoso, et si la violence n'est pas jugulée, un plus grand nombre de Péruviens décideront de quitter la capitale pour un refuge plus sûr. Anticipant qu'un nombre considérable de personnes quitteront peut-être le pays, le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a déjà discuté avec la Bolivie d'un plan d'urgence, qui comprend, pour les réfugiés, un certain nombre de scénarios différents (HCR 13 juill. 1992). Selon un représentant du HCR à Ottawa, l'un des facteurs qui, dans le passé, a entravé le plus les mouvements de réfugiés est le fait qu'en raison de la topographie du Pérou, il est fort difficile d'accéder aux pays voisins, surtout pour les paysans qui ne conçoivent pas de quitter le pays ou pour les pauvres qui n'ont pas les moyens de se procurer un billet d'avion. Cependant, il est possible que de tels facteurs s'avèrent moins dissuasifs si la situation vient à s'aggraver (ibid.).

Au Pérou, nul n'est aujourd'hui à l'abri du harcèlement politique, et cela vaut également pour la classe supérieure ou celle des affaires, que la violence a habituellement épargnées. Des menaces et des extorsions, sous la forme de « protection », visent un nombre croissant de personnes qui ne sont ni des paysans ni des membres de la classe ouvrière du Pérou (ibid.). Vu qu'ils ne sont plus protégés contre le conflit, ceux d'entre eux qui ont les moyens de se rendre à l'étranger, au Canada par exemple, envisageront vraisemblablement de quitter le Pérou, si ce n'est déjà fait.

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