Introduction

Les droits de l'homme sont violés de manière persistante au Cameroun, la loi étant souvent délibérément ignorée ou enfreinte par les autorités. Les auteurs de telles violations sont rarement tenus de répondre de leurs actes et ils agissent généralement en toute impunité.

Des centaines de personnes opposées au gouvernement ou critiques à son égard, en particulier des membres ou des sympathisants de partis politiques d'opposition, des journalistes, des militants des droits de l'homme et des étudiants, ont été victimes de harcèlement et d'agressions, arrêtés et emprisonnés. Les forces de sécurité ont systématiquement recours à la torture et aux mauvais traitements à l'encontre des détenus politiques et ceux de droit commun. Des personnes sont décédées à la suite de sévices subis alors qu'elles se trouvaient en garde à vue. Un emploi abusif de la force par les agents de l'État a provoqué d'autres morts. Enfin les conditions de détention dans les prisons camerounaises, assimilables à un traitement cruel, inhumain et dégradant, sont à l'origine d'un taux de mortalité élevé. Il y aurait dans le pays plus d'une centaine de condamnés à la peine capitale. La première exécution depuis 1988 aurait eu lieu en janvier 1997.

Les détenus sont souvent maintenus en détention au delà de la limite fixée par la loi avant d'être présentés à un magistrat habilité à les inculper ou à ordonner leur remise en liberté. Par ailleurs la législation autorisant la détention administrative a été utilisée pour emprisonner sans inculpation ni procès ceux qui s'opposent au gouvernement ou le critiquent; ces personnes ne disposent d'aucun recours judiciaire pour contester la régularité de leur détention. Il arrive que les autorités administratives refusent de se conformer à une décision judiciaire ordonnant la mise en liberté de détenus politiques. Les graves irrégularités de procédure sont fréquentes dans les affaires concernant des opposants. La Constitution, dont les modifications ont pris force de loi en janvier 1996, n'a que faiblement contribué à renforcer l'indépendance de la justice.

En plus des violations de la loi imputables aux autorités gouvernementales, il y a celles qui sont commises à une grande échelle par des chefs traditionnels agissant avec l'approbation tacite du gouvernement. Certains de ces chefs traditionnels, en particulier dans le nord du pays, continuent de détenir illégalement des opposants politiques et de les soumettre à des mauvais traitements .

Amnesty International recommande la mise en oeuvre urgente de mesures efficaces propres à mettre un terme aux violations systématiques des droits de l'homme au Cameroun. L'Organisation demande au gouvernement camerounais de cesser de harceler et de mettre en détention les personnes qui sont dans l'opposition ou qui le critiquent et qui ne font qu'exercer pacifiquement leur droit à la liberté d'expression et d'association. Elle le prie également d'instituer des garanties destinées à protéger toutes les personnes détenues contre la torture et les mauvais traitements, d'exercer un contrôle strict sur le comportement des membres des services de sécurité afin d'empêcher tout recours aveugle et injustifié à la force, notamment à la force meurtrière, d'améliorer les conditions de détention dans les prisons et d'abolir la peine de mort.

Par ailleurs, Amnesty International demande à la communauté internationale, en particulier aux Nations unies, à l'Organisation de l'unité africaine, au Commonwealth et à l'Union européenne, de porter la plus grande attention aux violations des droits de l'homme commises au Cameroun et de prendre des mesures efficaces pour amener ce pays à respecter pleinement ses obligations en matière de sauvegarde des droits de l'homme.

La situation politique au Cameroun

Il était prévu initialement que des élections législatives et présidentielles auraient lieu en 1997 (respectivement en mai et en octobre). À l'approche de ces scrutins, le climat politique est devenu de plus en plus tendu et le gouvernement a multiplié ses efforts pour réduire au silence l'opposition et ceux qui le critiquaient. Les dernières élections avaient eu lieu en 1992: le président Paul Biya avait été réélu en octobre de la même année, devançant de justesse son principal adversaire John Fru Ndi, chef du premier parti d'opposition le Social Democratic Front (SDF, Front social démocratique). On dénonça une fraude électorale généralisée. En mars 1992, le SDF avait boycotté les élections législatives, le premier scrutin pluraliste depuis 1964. Les partis d'opposition avaient demandé qu'une commission indépendante supervise les élections de 1997. Cette demande a été rejetée par le gouvernement.

D'abord prévues pour mars 1997, les élections législatives ont été reportées au 17mai 1997. À la fin du mois de mars, sept semaines avant le scrutin, des violences se sont produites dans la province anglophone du Nord-Ouest, bastion de l'opposition. À la suite de ces incidents, deux ou trois cents arrestations ont été effectuées parmi les sympathisants de l'opposition, principalement du SDF, dans les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest où les aspirations à une plus grande autonomie sont une source de fortes tensions politiques. Toutes les personnes arrêtées ont été mises en détention sans inculpation ni procès. Parmi elles se trouvaient des membres du Southern Cameroons National Council (SCNC Conseil national du Cameroun méridional), groupement revendiquant l'indépendance des deux provinces anglophones, et de la Southern Cameroons Youth League (SCYL, Ligue des jeunes du Cameroun méridional), organisation affiliée au SCNC.

Le 6 juin 1997, la Cour suprême a annoncé que le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) avaient obtenu la majorité absolue avec 109sièges. Les principaux partis d'opposition, le SDF et l'Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) avaient obtenu respectivement 43 et 13sièges.

Le SDF et l'UNDP ont demandé l'annulation des élections pour cause de fraudes et d'irrégularités. La Cour suprême n'a annulé le scrutin que dans six circonscriptions du département de Mayo-Banyo, province d'Adamawa, du département de Mayo-Rey, province du Nord, et du département de Ndé, province de l'Ouest. Lors des nouvelles élections qui se sont déroulées le 3août 1997, les candidats du RDPC ont gagné des sièges. Les élections du 17mai 1997 ont été supervisées par des observateurs internationaux qui ont relevé des irrégularités et constaté que des manœuvres d'intimidation avaient eu lieu. Ces observateurs ont recommandé la mise en place d'une institution impartiale et indépendante, comme par exemple, une commission électorale indépendante, chargée de superviser les futurs scrutins.

Les élections présidentielles étaient prévues pour octobre 1997, mais en août aucune date n'avait encore été fixée. Un ministre qui avait démissionné en avril 1997 et annoncé son intention de se présenter contre le président Biya, a été, par la suite, emprisonné en même temps que son directeur de campagne, sous l'accusation de malversation,. Il semble qu'ils aient, en réalité, été arrêtés et emprisonnés pour des raisons politiques.

On craint que la répression contre les opposants ne s'aggrave pendant la période qui précède et qui suit l'élection présidentielle et qu'elle ne s'accompagne d'un accroissement du nombre des violations des droits de l'homme.

Le Comité national des droits de l'homme et des libertés, créé par un décret de novembre 1990 et inauguré par le président Biya en février 1992, n'a pas été en mesure de travailler d'une manière efficace et indépendante. Ses membres, qui représentent des organisations gouvernementales et non gouvernementales, sont désignés par le président Biya, à qui le Comité présente ses rapports. Ce Comité est placé sous l'autorité du premier ministre et peut présenter ses rapports à d'autres autorités compétentes comme celles qui dirigent l'administration pénitentiaire, la police et la gendarmerie, mais ne peut rendre publiques ses constatations. Il peut visiter les prisons et le siège de la police ou de la gendarmerie mais en diverses occasions les autorités l'ont empêché d'accomplir sa tâche. Le Comité a pris plusieurs initiatives pour la promotion des droits de l'homme. Il a par exemple organisé des séminaires de formation pour les fonctionnaires chargés de l'application de la loi, en particulier les membres des forces armées, de la police et de la gendarmerie (police paramilitaire) et le personnel des prisons. Toutefois sa composition, les limites imposées à ses activités, notamment l'interdiction qui lui est faite de rendre publics ses rapports, l'insuffisance des moyens dont il dispose, font qu'il a peu d'influence sur la situation des droits de l'homme au Cameroun[1]

Les obligations du Cameroun au regard de la législation internationale relative aux droits de l'homme

Le Cameroun ne cesse de violer les obligations qui sont les siennes au regard des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, en particulier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)[2] et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[3] Le Comité des droits de l'homme des Nations unies a examiné en mars 1994 le deuxième rapport périodique présenté par le Cameroun en exécution du PIDCP et il a déploré le grand nombre de cas de détention illégale, de torture, de sentences de mort et d'exécutions extrajudiciaires signalés dans ce pays. Il a formulé un certain nombre de recommandations en vue de porter remède à ce problème. Cependant la situation des droits de l'homme a continué à se détériorer. C'est en 1998 que le Comité des droits de l'homme devrait prendre connaissance du troisième rapport périodique du Cameroun.

Le Cameroun est également partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.[4] Son gouvernement devait soumettre son premier rapport à la Commission africaine des droits de l'homme en 1991. Il ne l'a pas encore fait. Le président Biya a présidé l'OUA de juillet 1996 à juin 1997. À un moment où le gouvernement camerounais avait l'occasion de promouvoir la protection et le respect des droits de l'homme et de donner l'exemple de l'observation des dispositions de la Charte africaine, de graves violations des droits de l'homme continuaient d'être perpétrées au Cameroun.

Recommandations

Le gouvernement camerounais doit assumer pleinement l'obligation de respecter et de protéger les droits de l'homme qu'il a contractée en ratifiant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants, ainsi que la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.

Arrestation et mise en détention d'opposants et de détracteurs du gouvernement

Des opposants et des personnes ayant formulé des critiques à l'égard du gouvernement ont été arrêtés par centaines et mis en détention. Ce sont pour la plupart des prisonniers d'opinion. On compte parmi eux des membres et des sympathisants des partis politiques d'opposition, en particulier du SDF et de l'UNDP. Des journalistes ont également été victimes de harcèlement, arrêtés, mis en détention, inculpés et emprisonnés. Au cours des années 1996 et 1997 (surtout pendant les mois qui ont précédé les élections législatives et présidentielles et pendant ces élections) la répression de la liberté d'expression s'est intensifiée.

Restrictions juridiques au droit à la liberté d'expression

Le droit à la liberté d'expression est, au Cameroun, à la fois garanti par le droit international et par la loi nationale. La Constitution modifiée en décembre 1995 et qui a pris force de loi en janvier 1996 contient des dispositions relatives à la liberté d'expression et à la liberté de la presse.[5] Par ailleurs le Cameroun est lié par l'article19 du PIDCP aux termes duquel nul ne peut être inquiété pour ses opinions, et qui garantit à chacun le droit à la liberté d'expression.

Dans son commentaire concernant les modifications apportées à la Constitution en décembre 1995, Amnesty International a fait remarquer que, selon le nouveau texte, la liberté d'expression et la liberté de la presse sont garanties dans les conditions définies par la loi et que nul ne peut être poursuivi, arrêté ou mis en détention, sauf dans les cas et dans les conditions prévus par la loi. Le PIDCP limite strictement les restrictions qui peuvent être apportées à ces droits. Ainsi le droit à la liberté d'expression peut être soumis à certaines limitations «qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d'autrui, b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé et de la moralité publiques» (Article19 du PIDCP). Amnesty International est préoccupée du fait que les modifications apportées à la Constitution autorisent des dérogations qui vont au delà des limites permises par le droit international. Pour Amnesty International, la Constitution doit prévoir expressément que ni la loi, ni les règlements, ni les décisions des organes gouvernementaux ne peuvent abolir ou restreindre les droits et libertés qu'elle reconnaît aux citoyens.

Alors qu'habituellement, dans le passé, des opposants et des détracteurs du gouvernement étaient détenus sans inculpation ni procès pendant de brèves périodes, depuis 1995 des journalistes sont inculpés d'infractions pénales, jugés et condamnés. On s'est servi de dispositions relatives au délit de diffamation pour engager des poursuites contre des journalistes qui n'avaient fait que marquer leur opposition au gouvernement et exercer leur droit à la liberté d'expression.

Selon le code pénal camerounais, la diffamation, l'injure, l'outrage et la propagation de fausses nouvelles sont des délits punis de peines de prison et de lourdes amendes. Amnesty International ne conteste pas que des hommes politiques élus, y compris le président, soient en droit d'exercer des actions civiles en vue d'obtenir réparation s'ils estiment qu'ils ont été victimes de propos oraux ou écrits à caractère diffamatoire. Cependant il est de plus en plus à craindre que la multiplication des inculpations de journalistes n'ait pour effet de limiter leur liberté d'expression et que l'appareil juridique ne devienne un instrument destiné à poursuivre et à mettre en prison les journalistes qui critiquent les membres du gouvernement et ceux qui en sont proches. Amnesty International considère comme des prisonniers d'opinion la plupart des journalistes qui ont été condamnés et emprisonnés.

Une loi de janvier 1996[6] a supprimé la censure avant publication qui avait été instituée en décembre 1990. Toutefois les autorités conservent de larges pouvoirs leur permettant de saisir et d'interdire les journaux. En vertu de la nouvelle législation elles peuvent saisir tout journal qui, selon elles, constitue une menace pour l'ordre public ou les bonnes moeurs. C'est le ministère de l'Administration territoriale qui est habilité à ordonner les interdictions pour de tels motifs.

Il est à craindre que les modifications apportées à la Constitution et les dispositions restrictives introduites par la loi de janvier 1996 ne souffrent, dans leur application, d'excès qui iraient au-delà des restrictions acceptées en vertu de la législation internationale

Détention arbitraire

En vertu de la législation camerounaise, nul ne peut être maintenu en détention au delà de soixante-douze heures sans être présenté à une autorité judiciaire qui procèdera à son inculpation ou ordonnera sa mise en liberté. Or il est fréquent que des opposants ou des gens ayant exprimé des critiques à l'égard du gouvernement soient détenus sans inculpation bien au-delà de cette période. Dans certains cas des détenus politiques sont restés incarcérés pendant des mois, voire des années, sans être inculpés ni jugés. Cela a été le cas d'une cinquantaine de personnes arrêtées lors des violents incidents qui se sont produits fin mars 1997 dans la province du Nord-Ouest. On peut également citer le cas de quatre membres du SCNC qui sont détenus depuis 1995 et 1996.

Des dispositions législatives adoptées en décembre 1990 permettent une mise en détention administrative pour une durée indéterminée sans contrôle judiciaire. C'est la loi relative au maintien de l'ordre n°90/054 du 19décembre 1990 qui donne aux autorités le pouvoir discrétionnaire d'user de cette mesure dépourvue de toute garantie légale à l'encontre des personnes soupçonnées d'actes de "banditisme". Les agents de l'État sans spécification de fonction, disposent en permanence de larges pouvoirs d'incarcération, sans inculpation ni procès.[7] Les personnes détenues n'ont aucune possibilité de contester la régularité de leur détention car la loi ne prévoit aucun recours contre les mesures de cette nature.

Cette loi continue d'être fréquemment utilisée pour détenir sans inculpation ni procès des opposants politiques. Cette pratique des arrestations et des détentions arbitraires contrevient aux obligations que le Cameroun a volontairement contractées en ratifiant le PIDCP et la Charte africaine. L'article9(1) du PIDCP et l'article6 de la Charte africaine interdisent formellement les arrestations et les détentions arbitraires.

Selon certaines informations des poursuites auraient été engagées contre des responsables de détentions arbitraires. Ainsi en 1996 un tribunal de la capitale, Yaoundé, a déclaré six policiers coupables d'avoir, en octobre 1994, arrêté et détenu arbitrairement un avocat attaché au bureau du procureur général, qu'ils avaient en outre roué de coups. Des longues peines d'emprisonnement et des amendes ont été prononcées à l'encontre de ces policiers, quatre d'entre eux ayant été jugés par contumace.

Des opposants politiques sont également détenus illégalement pendant de longues périodes par des chefs traditionnels qui agissent avec l'accord tacite du gouvernement.

Opposants politiques

Les membres et les sympathisants des partis politiques d'opposition, en particulier le SDF et l'UNDP n'ont cessé d'être pris pour cibles par le pouvoir. Ils sont victimes de harcèlement et d'arrestations. Dans la plupart des cas, il s'agit de prisonniers d'opinion qui sont détenus uniquement pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d'expression.

Le Social Democratic Front (SDF)

Les nombreuses arrestations de membres et de sympathisants du SDF, en 1997 à l'époque des élections législatives, étaient dans la droite ligne des anciennes pratiques de harcèlement, d'arrestations et de détention.

Six membres du SDF arrêtés à Mbanga (province du Littoral) en janvier 1996 à l'époque des élections locales ont été détenus sous l'accusation de troubles de l'ordre public, puis mis en liberté provisoire en août 1996. Bien que le parti du président Biya, le RDPC, ait pris le contrôle de la majorité des municipalités, les partis politiques d'opposition avaient cependant enregistré des gains importants, en particulier dans les villes principales. Or un décret a par la suite nommé des représentants du gouvernement en remplacement des maires élus à la tête de l'exécutif au niveau local dans 20municipalités importantes. En mars 1996 plus de 40membres et sympathisants du SDF ont été arrêtés après avoir manifesté contre ces nominations. Trente-deux sont restés à la prison centrale de Buea, dans la province du Sud-Ouest, pendant six semaines bien qu'un tribunal est ordonné leur élargissement. Au nombre des personnes arrêtées se trouvaient Lawrence Chimasa, responsable du SDF, appréhendé à Bamenda, dans la province du Nord-Ouest, à la suite d'une manifestation et Charles Nkwanyuo, responsable du SDF à Limbe, dans la province du Sud-Ouest, arrêté le 1eravril 1996 et détenu pendant 48heures.

L'avocat Joseph Lavoisier Tsapy, maire SDF de Bafoussam, dans la province de l'Ouest, a été enlevé au début de juin 1996 par des individus non identifiés qu'on suppose être des membres des forces de sécurité. Il a été détenu pendant sept jours. Au cours du même mois, Ndang George Achu, responsable du SDF à Santa, dans la province du Nord-Ouest, a été détenu pendant deux semaines en vertu de la loi relative au maintien de l'ordre du 19décembre 1990 (Loi n°90/054). Toujours en juin 1996, des coups de feu ont été tirés sur le domicile de John Fru Ndi, président national du SDF, à Bamenda. Le 20juillet 1996, Paul Kameroun, secrétaire adjoint à l'organisation du SDF pour la province du littoral, a été arrêté à Manengolé, département de Mungo, puis transféré à la prison centrale de New Bell, à Douala, avant d'être libéré sans inculpation.

En 1997, les arrestations de membres du SDF se sont poursuivies. Saïdou Yaya Maïdadi, membre éminent du SDF pour le nord du Cameroun, a été arrêté le 24janvier 1997 et détenu à Maroua, dans la province de l'Extrême-Nord jusqu'au 5février 1997. Inculpé d'outrage au chef de l'État, il n'a pas été jugé.

De nombreuses arrestations (entre deux et trois cents suivant les estimations) ont été opérées dans la province du Nord-Ouest à la suite des attaques de groupes armés contre l'armée, la police et des établissements civils, qui ont fait plusieurs morts fin mars 1997. Des membres et des sympathisants des partis politiques d'opposition, en particulier du SDF, ont été appréhendés alors qu'il n'existait, semble-t-il, aucune preuve de leur participation personnelle aux attaques. La province du Nord-Ouest est un bastion du SDF, et les faits se sont déroulés sept semaines avant les élections législatives. Le SDF a accusé les autorités d'exploiter la situation d'insécurité et d'en profiter pour intimider les membres et les sympathisants des partis d'opposition afin d'empêcher toute activité politique au cours des semaines précédant les élections. À la suite de ces mêmes événements, une centaine de personnes auraient également été arrêtées début avril 1997, dans la province du Sud-Ouest; elles auraient ensuite été libérées.

Les attaques menées par les groupes armés ont eu pour théâtre les villes de Kumbo, Oku, Jakiri, Bamenda, Mbengwi, Bafut et Bambui. Elles ont eu lieu entre le 27et le 31mars 1997 et les attaquants avaient apparemment pour objectif de se procurer des armes et des munitions. Dix personnes dont un commandant de gendarmerie et deux autres gendarmes, auraient péri au cours de ces affrontements. Aucun groupe n'ayant revendiqué la responsabilité de ces attaques, les autorités les ont attribuées aux membres d'un groupe qui milite pour l'indépendance des provinces anglophones. La présence des forces de sécurité a été renforcée dans les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et le couvre-feu a été imposé à la province du Nord-Ouest. Il ne devait être levé que trois mois plus tard le 3juillet 1997. Dans la province du Nord-Ouest les forces de sécurité ont perpétré de nombreux abus: viols, passages à tabac, humiliations publiques, pillage, destruction de biens, extorsion de fonds. Nombre de personnes victimes d'arrestations arbitraires n'ont été remises en liberté qu'après avoir versé de l'argent aux forces de sécurité.

Parmi les responsables du SDF arrêtés dans la province du Nord-Ouest se trouvaient les conseillers municipaux Joseph Abonwi et Gregory Afenji, les présidents de circonscriptions électorales locales Simon Achu et Edet Che Ndingsah, ainsi que Paulinus Jua, candidat SDF dans le département de Boyo. Ce dernier a été détenu par la Brigade mixte mobile (BMM) à Bamenda avant d'être libéré sans inculpation. George Yimbu, président du SDF pour le département de Bui, a été arrêté à Kumbo le 30mars 1997, relâché puis arrêté de nouveau le 1erjuin 1997, date à laquelle les gendarmes ont empêché la tenue d'une assemblée du SDF à Kumbo.

La plupart des personnes arrêtées ont été transférées au siège de la Légion de gendarmerie et de la BMM à Bamenda après avoir été détenues aux sièges de la police et de la gendarmerie de la ville où elles avaient été appréhendées. Celles qui ont été incarcérées à la Légion de gendarmerie ont été gardées au secret. À maintes reprises le gouverneur de la province du Nord-Ouest, Francis Fai Yengo, a refusé d'autoriser les visites. Nombre de personnes qui se trouvaient à la Légion de gendarmerie ont été rouées de coups. Il y avait également une insuffisance grave de nourriture, d'eau et de soins médicaux et les installations sanitaires y étaient très déficientes. Cinq détenus sont décédés, apparemment des suites de tortures et par manque de soins.

Parmi les personnes arrêtées dans la province du Nord-Ouest, se trouvaient plusieurs jeunes garçons qui ont été gardés en détention pendant plusieurs semaines. Huit collégiens arrêtés à Oku, dans le département de Bui, ont été transférés à la Légion de gendarmerie de Bamenda. Il y avait parmi eux Nshon Godlove, quatorze ans, Eric Sa'a, quinze ans et Kedzem Zoah, treize ans.

D'autres arrestations ont eu lieu au cours des semaines suivantes. Quelques détenus ont été libérés. Quarante neuf d'entre eux ont été relâchés par la Légion de gendarmerie et la BMM le 16mai 1997, à la veille des élections législatives et 21autres plus tard.

Plus d'une centaine des personnes arrêtées dans la province du Nord-Ouest ont cependant été transférées à Yaoundé. Il y a eu quelques libérations. Seize de celles qui étaient détenues au siège de la gendarmerie ont commencé une grève de la faim le 4mai 1997. Elles demandaient à être soit libérées soit inculpées. Au moins deux de ces grévistes de la faim auraient été libérés le 2juin 1997. Les autres ont été transférés de la Prison centrale à Yaoundé connue sous le nom de prison Nkondengui. D'autres, notamment une femme, Pisca Fonyam, une infirmière, ont été transférés de Bamenda à Yaoundé en juin 1997. À la prison Nkondengui, le détenu Ngwa Richard Formasoh est décédé le 5juillet 1997, apparemment des suites d'une diarrhée non soignée ayant causé une déshydratation. Un autre détenu, Pa Chakara, cinquante-huit ans, agriculteur, aurait été hospitalisé. Onze détenus, toujours retenus à la Légion de gendarmerie, ont finalement été transférés à la prison Nkondengui à la fin de juillet 1997. Il s'agit de John Geh Anye et de Anoh Ndum Robinson, tous deux originaires du département de Momo, Geh Sama Atambun, du département de Mezam, de Lawrence Fai, d'Edwin Jumven, de Thomas Kidze, de Frederick Kiven, d'Iderieu Bika, d'A. Jumban Lukong, de Muhamadou Nso Seka et de Patrick Yimbu, tous du département de Bui.

À la mi-août 1997, c'est-à-dire plus de quatre mois après leur arrestation, près de 50 des personnes arrêtées dans la province du Nord-Ouest étaient encore détenues à la prison Nkondengui. Ni elles ni aucune des autres personnes arrêtées à la suite des événements qui ont eu lieu dans cette province n'ont été inculpées d'un quelconque délit. Amnesty International ne conteste pas que le gouvernement ait la responsabilité de déférer à la justice les responsables des attaques armées dans la province du Nord-Ouest. Elle déplore cependant que, dans de nombreux cas, les personnes concernées semblent avoir été arrêtées en raison de leurs liens avec le SDF, le SCNC ou le SCYL.

Les arrestations de membres et de sympathisants du SDF se sont poursuivies pendant toute la période des élections législatives du 17mai 1997. Entre le 15mai 1997 et le 5juin 1997, au moins 25 de ces militants (peut-être même le double) ont été arrêtés dans la province du Sud-Ouest. Des incidents violents ont eu lieu à Kumba, dans la province du Sud-Ouest le 20mai peu de temps après les élections: des sympathisants du SDF auraient été attaqués par des inconnus que les responsables du SDF ont identifié comme étant des sympathisants du parti au pouvoir, le RDPC. La présence des forces de sécurité a été renforcée dans la province du Sud-Ouest. Les personnes arrêtées ont été détenues sans inculpation ni procès à Buea et à Kumba jusqu'à leur libération qui est intervenue entre le 19 et le 21juin 1997. On pense qu'ils ont été arrêtés sur les ordres du gouverneur de la province du Sud-Ouest, Peter Oben Ashu, et placés en détention administrative dans le cadre de la loi de décembre 1990. Leur élargissement est intervenu après que les 43députés SDF eurent annoncé leur intention de se rendre dans la province du Sud-Ouest pour exiger la libération de leurs sympathisants.

Entre le 31mai et le 2juin 1997 les forces de sécurité auraient effectué des raids nocturnes dans plusieurs districts de Douala. Plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées arbitrairement et détenues pendant plusieurs heures avant d'être relâchées sans inculpation. Il semble que les forces de sécurité se soient employées à créer délibérément un climat de crainte et d'intimidation en vue de décourager toute vélléité de manifestation pendant la période précédant l'annonce des résultats des élections, le 6juin 1997.

Le 3juin 1997 la police a effectué un raid sur l'imprimerie de Jean-Michel Nintcheu sise à Douala. Jean-Michel Nintcheu qui est membre du comité exécutif national du SDF, avait été arrêté dans le passé à plusieurs reprises, en qualité de chef d'un autre parti d'opposition, le Rassemblement pour la patrie, qui devait par la suite fusionner avec le SDF. En l'absence de Jean-Michel Nintcheu, la police a arrêté quatre employés de l'imprimerie: Paul Gwa, Emmanuel Nzie, Lucan Danjing, et Samuel Moucheu ainsi que Brice Nintcheu, frère de Jean-Michel. Inculpés d'«incitation à la révolte» et de «tentative de renversement des institutions par la force», ils ont été remis en liberté provisoire le 24juin 1997 en attendant d'être jugés.

D'autres arrestations ont été effectuées le 6juin 1997 lorsque la Cour suprême a proclamé le résultat des élections. Treize membres et sympathisants du SDF ont été arrêtés au cours d'une manifestation pacifique devant le siège de la Cour suprême à Yaoundé. Parmi eux se trouvait Alhadji Sani, coordinateur provincial du SDF pour la province du Centre. Le 5juin 1997, Prince Fesco William Mango, Coordinateur du SDF pour le département de Fako, dans la province du Sud-Ouest, a été arrêté au motif, semble-t-il, qu'il était en possession d'un document officiel signé par le secrétaire général du SDF. Du Du Wingang aurait été arrêté le 7juin 1997 alors qu'il apportait de la nourriture à Prince Fesco William Mango. Au mépris du délai légal de 72heures, ces quinze détenus n'ont pas été présentés au procureur avant le 11juin 1997, date à laquelle ils ont été inculpés de divers délits, dont ceux d'outrage au chef de l'État et d'incitation à la révolte. Ils ont été gardés à vue dans un poste de police et mis en liberté provisoire le 13juin en attendant leur procès. Ayant comparu à deux reprises devant un tribunal, ils ont finalement été relaxés le 24juillet 1997.

Le Southern Cameroons National Council (SCNC)

Le SCNC a été créé pour représenter les intérêts de la minorité anglophone du Cameroun. Des membres de cette organisation, qui n'est pas un parti politique, ont également été arrêtés et détenus en raison de leurs opinions et de leurs activités politiques, certains d'entre eux sont aussi membres ou sympathisants de partis politiques d'opposition, en particulier du SDF.

Les propositions faites en 1994 par la communauté anglophone en faveur d'un système fédéral de gouvernement n'ont pas été prises en considération lors de l'adoption de la réforme constitutionnelle de janvier 1996. La question d'un élargissement de l'autonomie des provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest demeure une source de considérables tensions politiques. Le SCNC s'est prononcé pour l'indépendance de ces deux provinces.

Quatre membres du SCNC arrêtées en 1995 et 1996 sont demeurés depuis en détention sans inculpation ni procès. En septembre 1995, le SCNC a organisé dans les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest un référendum sur la question de l'indépendance. Plusieurs personnes qui avaient collecté des signatures pour le référendum ont été arrêtées. La plupart devaient être relâchées peu après, mais trois hommes arrêtés fin septembre 1995 sont restés détenus à la prison Nkondengui de Yaoundé. Il s'agit de Abel Apong, Christus Acha Kenebie et de John Kudi. Un quatrième, Jacob Djenta, aurait été détenu jusqu'à octobre 1996, toujours pour des faits liés au référendum.

Parmi les nombreuses personnes arrêtées à la suite des incidents violents de fin mars 1997 dans la province du Nord-Ouest, un grand nombre appartenait au SCNC et parmi celles qui ont été maintenues en détention sans inculpation ni procès à la prison Nkondengui, beaucoup avaient des liens avec le SCNC et la SCYL. Toutes les personnes contre lesquelles il existe des preuves de leur participation aux violences commises doivent être inculpées et jugées dans un délai raisonnable dans le respect des normes internationales d'équité.

Union nationale pour la démocratie et le progrès

Sept membres de l'UNDP sont maintenus en détention depuis 1994. Ils comptent parmi la trentaine de membres de ce parti incarcérés à la suite d'un incident survenu à Maroua le 30juillet 1994, qui a fait un mort et plusieurs blessés. Des affrontements ont en effet eu lieu après qu'un ministre du gouvernement, Hamadou Mustapha, également membre de l'UNDP, eut été attaqué à coups de pierres à son arrivée à Maroua, apparemment par d'autres membres de l'UNDP qui lui reprochaient de rester dans le gouvernement du président Biya. On rapporte que plusieurs personnes ont été arrêtées à leur domicile plus tard dans la journée ou au cours des jours qui ont suivis. Parmi les personnes arrêtées, se trouvait Hamadou Adji, président de la section locale de l'UNDP. Vingt-huit personnes ont été inculpées pour complicité de co-action de pillage, coups mortels, obstruction de la voie publique et voies de fait ayant entraîné de légères blessures. En novembre 1994, un tribunal a ordonné la libération provisoire de 14 d'entre elles, mais le Ministère public a fait appel de cette décision.[8]

Vingt détenus ont été cependant remis en liberté provisoire entre février et avril 1995, dont Hamadou Adji, alors que huit autres étaient maintenus en détention. Leur procès, prévu initialement pour juillet 1995, a été ajourné à plusieurs reprises. Leur cas a finalement été entendu fin 1995 et une décision était attendue pour février 1996, c'est à dire dans la foulée des élections locales du 21janvier 1996. Pourtant, le 8 février 1996, le tribunal a annoncé que le jugement n'aurait lieu que le mois suivant.

Le 28mars 1996 un jugement a été rendu concernant vingt-deux des accusés; les poursuites contre les six autres inculpés avaient entre temps été abandonnées. Parmi les personnes jugées ce jour là, sept ont été condamnées à dix ans d'emprisonnement et incarcérées à la prison centrale de Maroua. Il s'agit de Djarfarou Bachirou, Abakar Bello, Alioum Oumarou Katchalla, Hamadou Mazoumai, Abdouraman Mohamadou, Ndjidda Tandai, Hamadou Mohamadou Yaro. Un huitième accusé, Ahmed Abdouraman, a été condamné par contumace à quinze ans d'emprisonnement.

Huit autres accusés, parmi lesquels Hamadou Adji et Oumarou Saïdou, qui avaient représenté l'UNDP lors des élections locales et qui venaient d'être élus, ont été condamnés à des peines de prison avec sursis de trois ans, ainsi qu'à des amendes. Six autres accusés ont été acquittés. Les personnes condamnées ont fait appel de leurs condamnations et de leurs peines. Cependant, la Cour d'appel qui n'a examiné leur recours que le 8août 1997, a ajourné sa décision au 10octobre 1997.

Apparemment, il n'existait aucune preuve que les personnes condamnées aient été personnellement responsables d'un quelconque acte criminel. Selon certaines informations, aucune d'entre elles n'a été arrêtée au moment des faits en juillet 1994. De plus, les ajournements répétés des procès et de l'annonce des verdicts laisse à penser qu'ils ont été arrêtés et détenus pour des motifs politiques: leur appartenance à l'UNDP et plus particulièrement leur opposition à la présence de deux membres de l'UNDP dans le gouvernement.

Par la suite, d'autres membres et sympathisants de l'UNDP ont été harcelés, arrêtés et placés en détention, notamment au cours de la période précédant les élections législatives de mai 1997. On rapporte que sept personnes ont été arrêtées au début du mois de mai dernier à Kolfata, département de Mayo-Sava, dans la province de l'Extrême-Nord, en raison de leur soutien à l'UNDP. Ganama Modou Abba, Modou Ali, Tounoma Fandi, Aouza Modou, Modou Sali, Mal Moh Yanoussa et Modou Zama ont été relâchés sans inculpation après soixante-douze heures.

Le 12 mai 1997, plusieurs membres et sympathisants de l'UNDP, parmi lesquels un ancien député, Nana Koulagna, auraient été attaqués par la milice privée du chef traditionnel, ou lamido, de Rey Bouba, dans le département de Mayo-Rey; l'affrontement a fait cinq morts. Ce jour-là, des membres et sympathisants de l'UNDP avaient tenté de faire campagne pour les élections à Mbang Rey, en dépit d'une interdiction illégale prononcée par le lamido, pour le département de Mayo-Rey. On rapporte que la milice privée du lamido a attaqué Nana Koulagna et plusieurs autres membres de l'UNDP, tuant deux d'entre eux. Les membres de la délégation de l'UNDP se seraient alors défendus et trois membres de la milice privée sont morts dans l'affrontement qui a suivi. La délégation de l'UNDP a signalé l'incident aux autorités administratives et à la gendarmerie de Touboro, à la suite de quoi elle a été escortée jusqu'à la ville de Tcholliré. Le lendemain, Nana Koulagna et quinze autres personnes, parmi lesquelles Baba Koulagna, Pierre Nana et Dieudonné Salaou, ont été arrêtés, et apparemment accusés de meurtre. Ils ont tout d'abord été placés en détention au siège de la gendarmerie puis transférés début juillet à la prison centrale de Garoua, dans la province du Nord. Deux d'entre eux ont été relâchés par la suite. À la mi-août 1997, les personnes restant en détention n'avaient toujours pas été inculpées.

Tout en reconnaissant que les événements survenus le 12mai dernier à Mbang Rey, qui ont entraîné la mort de cinq personnes, sont extrêmement graves et que les autorités ont la responsabilité de poursuivre en justice ceux qui se rendent coupables d'infractions pénales, Amnesty International s'inquiète de constater que Nana Koulagna et plusieurs autres membres de l'UNDP pourraient avoir été arrêtés uniquement en raison de leurs activités politiques légitimes, en l'absence de toute preuve de leur implication personnelle dans un quelconque acte criminel. Ces craintes sont renforcées par l'existence d'un ensemble de pratiques abusives à l'encontre des sympathisants de l'UNDP dans le département de Mayo-Rey: manoeuvres d'intimidation, agressions physiques et mises en détention et de plus aucun des membres de la milice privée du lamido n'a été arrêté à la suite des événements du 12mai.

Par la suite, la Cour suprême a annulé les élections dans le département de Mayo-Rey en raison de fraudes et d'irrégularités; les candidats du RDPC ont remporté les deuxièmes élections qui se sont tenues le 3août 1997.

Autres opposants politiques

Des membres d'autres formations politiques d'opposition ainsi que plusieurs autres personnes considérées comme des opposants au gouvernement ont également été arrêtés et incarcérés.

Le 20avril 1997, Titus Edzoa, membre éminent du RDPC, Ministre de la santé dans le gouvernement du président Biya et ancien Secrétaire général à la présidence, a annoncé sa démission du gouvernement et son intention de se présenter aux élections présidentielles, à la suite de quoi son domicile à Yaoundé a été encerclé par des membres du Groupement spécial d'opérations (GSO), une unité spéciale des forces de sécurité. Il a été placé en détention administrative, de fait assigné à résidence à partir du 5juin, ne pouvant ni quitter son domicile ni recevoir de visiteurs autres que les membres de sa famille; on lui a confisqué son passeport. Il a été arrêté le 3juillet sur accusation de détournement de fonds publics, et incarcéré à la prison de Nkondengui.

Le même jour, et suite à la même accusation, Michel Thierry Atangana Abega, directeur de campagne de Titus Edzoa lors des présidentielles, a également été incarcéré à la prison de Nkondengui. Il avait été arrêté le 12mai dernier et maintenu en détention par la police judiciaire (service chargé des enquêtes). Sa famille n'a pas été autorisée à lui rendre visite avant le 15mai et, à plusieurs reprises, ont lui a refusé un entretien avec son avocat. Ses avocats ont fait une demande de mise en liberté provisoire qui, le 13 juin 1997, a été rejetée par le tribunal.

Les deux hommes ont été transférés au siège de la gendarmerie de Yaoundé le 22juillet, les informations indiquant que l'enquête les concernant, initialement menée par la police, allait être reprise par la gendarmerie. À la mi-août, aucun des deux hommes n'avait encore été officiellement inculpé. Il semble qu'ils aient été arrêtés et incarcérés pour des motifs purement politiques (Titus Edzoa pour son attitude critique envers le président Biya et le gouvernement et son intention de se présenter aux élections présidentielles, et Michel Thierry Atangana Abega pour son étroite collaboration avec lui) et pour empêcher Titus Edzoa de participer à l'élection présidentielle.

Le 3juin 1997, Mboua Massok, Secrétaire général par interim d'un autre parti d'opposition, le Programme social pour la liberté et la démocratie (PSLD), a été arrêté et placé en détention administrative sur ordre du préfet, en vertu des dispositions introduites dans la législation en décembre 1990. Il a été maintenu en détention à la prison de New Bell, à Douala, pendant quinze jours, avant d'être libéré.

Journalistes

Depuis 1995, de plus en plus de journalistes font l'objet de poursuites judiciaires, sont déclarés coupables et condamnés à des peines d'emprisonnement pour avoir formulé des critiques à l'encontre des autorités gouvernementales. La plupart d'entre eux sont des prisonniers d'opinion. Dans certains cas, les actions judiciaires présentaient de graves irrégularités et les poursuites intentées semblaient bien n'être que des manœuvres visant à faire taire des critiques dirigées contre des membres importants du gouvernement et leurs proches collaborateurs, ou mettant en cause la politique du gouvernement.

Les atteintes à la liberté d'expression se sont poursuivies et se sont même intensifiées au cours de l'année 1996 et en 1997, à l'approche des élections législatives et présidentielles. Pas moins de neuf journalistes ont été déclarés coupables de diffamation et condamnés à de fortes amendes et à des peines d'emprisonnement en 1996. Plusieurs d'entre eux avaient déjà été incarcérés auparavant. D'autres ont été arrêtés et détenus avant d'être relâchés sans inculpation. Des journalistes ont été harcelés et agressés, la publication de journaux a été suspendue et des exemplaires ont été saisis. Les manœuvres de harcèlement et d'intimidation et les poursuites engagées à l'encontre des journalistes critiquant le gouvernement sont en violation du droit à la liberté d'expression garanti par l'article19 du PIDCP et l'article9 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.

Arrestation et emprisonnement

Le 22janvier 1997, Alain Christian Eyoum Ngangué, journaliste travaillant pour le journal indépendant Le Messager, et son supplément satirique, Le Messager Popoli, a été arrêté et incarcéré à la prison de New Bell, à Douala. Le 3octobre 1996, il avait été condamné par la Cour d'appel de Douala à une peine d'emprisonnement d'un an assortie d'une amende.

En février 1996, Alain Christian Eyoum Ngangué et le directeur du Messager, Pius Njawe, avaient été condamnés à payer des amendes après avoir été reconnus coupables d'«outrage par injure fait au président de la République ainsi qu'aux membres de l'Assemblée nationale» et d'avoir propagé de fausses nouvelles. Ces deux personnes ont été inculpées par le bureau du Procureur général en application d'un article paru le 1erdécembre 1995; personne n'avait porté plainte à titre individuel. À la fois les accusés et le ministère public ont fait appel de la condamnation et de la peine. Seul l'un des deux chefs d'inculpation –outrage par injure fait au président de la République ainsi qu'aux membres de l'Assemblée nationale– a été confirmé en appel. Cependant, les peines ont été alourdies d'amendes et de peines d'emprisonnement: un an pour Alain Christian Eyoum Ngangué et six mois pour Pius Njawe. Les deux hommes ont fait appel de la condamnation et de la peine auprès de la Cour suprême. Bien qu'ayant reçu la peine la plus légère, Pius Njawe a été arrêté dès le 29octobre 1996. Incarcéré à la prison de New Bell, il a été libéré le 15novembre 1996, la Cour suprême ayant ordonné sa libération provisoire.

Alain Christian Eyoum Ngangué a été arrêté le 22janvier 1997. Le 15mars, plusieurs journalistes ainsi que son épouse ont été retenus pendant deux heures dans un poste de police après une réunion organisée dans les locaux du Messager pour discuter de son emprisonnement. Le 27mars 1997, plus de deux mois après son arrestation, la Cour suprême a ordonné sa mise en liberté provisoire; il a été relâché quatre jours plus tard.

Plusieurs autres journalistes, jugés et condamnés à des peines de prison au cours de l'année 1996, n'ont pas encore été incarcérés mais demeurent à chaque instant sous la menace d'une arrestation. Parmi eux citons Patrice Ndedi Penda, directeur du journal Galaxie, qui a été condamné le 11juin 1996 à deux ans d'emprisonnement après avoir été reconnu coupable de diffamation, outrage aux corps constitués et propagation de fausses nouvelles, après une action intentée par le ministre d'État chargé de l'Agriculture, Frédéric Augustin Kodock. Bien qu'un mandat d'arrêt ait été délivré après sa condamnation, il n'a pas été écroué.

Le directeur de la publication du Cameroon Post, Paddy Mbawa, a été libéré de la prison de New Bell en août 1996, après un an d'incarcération. Il avait été condamné en juillet 1995 à une peine de six mois d'emprisonnement après avoir été reconnu coupable de diffamation; en août 1995, il avait reçu une peine supplémentaire de six mois pour propagation de fausses nouvelles. Alors qu'il se trouvait déjà en prison, en novembre 1995, il avait été condamné à deux autres peine de trois et six mois avec sursis. Plusieurs procédures similaires engagées contre lui étaient toujours en cours, et, le 7avril 1997, il aurait de nouveau été condamné à trois mois d'emprisonnement pour diffamation et propagation de fausses nouvelles.

Outre Alain Christian Eyoum Ngangué, citons parmi les journalistes emprisonnés depuis le début de l'année 1997 Evariste Menounga et Bosco Tchoubet. Le 17mars dernier, Evariste Menounga, rédacteur en chef du journal L'Indépendant Hebdo (anciennement Le Nouvel Indépendant), qui avait déjà été détenu sans inculpation pendant trois semaines à la fin 1996, a été arrêté et incarcéré à la prison de Nkondengui. Il a été appréhendé à la suite de la parution d'un article traitant du mécontentement au sein des forces armées camerounaises. On rapporte qu'il a été arrêté sur ordre du ministre de la Défense, et non après une action intentée par le Procureur. Deux inculpations ont été retenues contre lui: incitation à la révolte et propagation de fausses nouvelles; il n'a été reconnu coupable que de la seconde et, le 16mai, a été condamné à six mois de prison avec sursis. Toutefois, il n'a été relâché que quatre jours plus tard. Le directeur du journal indépendant La Révélation, Bosco Tchoubet, a été arrêté à Yaoundé le 30avril 1997, à la suite de la parution d'un article accusant le ministre d'État chargé de l'Économie et des Finances, Edouard Akame Mfoumou, d'avoir créé des milices privées. Après une semaine de détention, au cours de laquelle sa famille n'a pas été informée de l'endroit où il se trouvait, il a été inculpé d'outrage et de diffamation et transféré à la prison de Nkondengui. Le 15juillet dernier, il a été reconnu coupable et condamné à six mois de prison avec sursis; il a été relâché le lendemain.

De graves irrégularités ont été signalées dans bon nombre de procédure engagées à l'encontre de journalistes. Par exemple dans le cas de Paddy Mbawa, directeur de la publication du Cameroon Post, les transcriptions des jugements des différentes affaires le concernant ayant été retenues, il ne lui a pas été possible de faire appel des verdicts et des sentences. En août 1995, Pius Njawe et Hiréné Atenga, respectivement directeur et journaliste du Messager, ont été condamnés à une peine de deux mois avec sursis assortie d'amendes après avoir été déclarés coupables de diffamation et outrage envers le secrétaire d'État à la Sécurité intérieure d'alors, Jean Fochivé. Les inculpations faisaient suite à la parution d'un article accusant la police de détournement de sommes d'argent importantes. Selon certaines informations, la Cour n'aurait pas autorisé les deux journalistes à présenter pour leur défense certaines informations à l'appui de leurs déclarations.

Outre le jugement et la condamnation de plusieurs journalistes au cours de l'année 1996, plusieurs autres ont été appréhendés et incarcérés sans inculpation ni jugement. Parmi eux, citons le cas de journalistes du Nouvel Indépendant et du Front Indépendant (créé à la suite de la fermeture temporaire du Nouvel Indépendant). En octobre 1996, le ministre de l'Intérieur a déclaré que Le Nouvel Indépendant fonctionnait dans l'illégalité, son directeur étant absent depuis plusieurs mois et la Loi relative à la liberté de la communication de masse, n°90/052, du 19décembre 1990, disposant que dans chaque journal la responsabilité juridique du contenu rédactionnel de chaque article publié devait être assumée par un directeur. En fait, le directeur du journal, Ndzana Seme, avait été condamné en octobre 1995 à un an d'emprisonnement assorti d'une amende, après avoir été déclaré coupable d'outrage au chef de l'État, non respect des exigences de la censure avant publication et incitation à la révolte; il s'est enfui du Cameroun en février 1996.

Evariste Menounga, du Nouvel Indépendant, a été arrêté le 27novembre 1996 à Yaoundé et relâché le 19décembre 1996. Son collègue Peter William Mandio a été appréhendé de 4 décembre 1996 et maintenu en détention pendant douze jours suite à un article paru le 3octobre 1996, qui critiquait le ministre des Travaux publics, Jean-Baptiste Bokam. Daniel Atangana, journaliste au Front Indépendant, a été arrêté le 10décembre 1996 et relâché près de trois semaines plus tard. Son arrestation a suivi la parution, le 2décembre, d'un article critique à l'égard du commandant de la Garde présidentielle, le Lieutenant Colonel Titus Ebogo. Ces trois hommes ont été maintenus en détention, sans inculpation, au delà du délai légal de soixante-douze heures. Evariste Menouga n'a pas été autorisé à recevoir de visite de sa famille avant le 5décembre 1996 et Peter William Mandio a été placé à l'isolement pendant cinq jours. Josué Banga Kack, rédacteur en chef du Front Indépendant, a été arrêté le 4décembre 1996 et maintenu en détention pendant 48heures avant d'être libéré, sans inculpation.

Pierre Essama Essomba, directeur de la rédaction du journal gouvernemental Cameroon Tribune, a été détenu pendant six heures pour interrogatoire le 14août 1996, après la publication d'une lettre au courrier des lecteurs critiquant le ministre de la Justice du moment, Douala Moutomé.

Harcèlement et agressions physiques

Outre les jugements et condamnations à des peines de prison, les journalistes sont également victimes de manœuvres de harcèlement et d'intimidation de la part des forces de sécurité, manifestement destinées à les décourager de poursuivre leurs activités professionnelles en toute liberté. À la connaissance d'Amnesty International, aucune mesure n'a été prise par les autorités pour identifier les responsables de ces actes et pour les traduire en justice.

Le 3mai 1996, Vianney Ombe Ndzana, directeur de publication du journal Génération, a été condamné pour injures et diffamation à une peine de cinq mois d'emprisonnement assortie d'une amende, pour avoir publié un article accusant un chef d'entreprise de faute professionnelle; le tribunal a également ordonné la suspension de la publication de Génération. Vianney Ombe Ndzana n'a pas été incarcéré, mais le 20août 1996, à Yaoundé, il a été agressé et grièvement blessé par plusieurs hommes armés, qui ont tiré sur sa voiture. Il a dû être transporté à l'hôpital. Il avait déjà échappé à une agression dans la nuit du 29 au 30juillet 1996, lorsque des inconnus avaient fait irruption dans les locaux de Génération.

Le 10septembre 1996, Nicolas Tejoumessie, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Challenge Nouveau, aurait été enlevé à Douala par quatre hommes en civil affirmant appartenir aux services de sécurité. Il l'ont accusé de faire paraître des articles hostiles au président Biya et à son épouse, en mettant notamment en cause les dépenses engagées dans l'organisation du sommet de l'OUA à Yaoundé en juillet 1996. Les quatre hommes l'ont emmené dans une forêt située à environ 30kilomètres de Douala, où ils l'ont frappé sur tout le corps, et en particulier les pieds, avec un câble électriques avant de l'abandonner sur les lieux. Le directeur général de Challenge Hebdo, Etienne Tasse avait subi un traitement semblable, après avoir été enlevé le 1erdécembre 1995, par des agresseurs qu'il n'avait pu identifier. Ces hommes lui ont passé des menottes et l'ont emmené dans cette même forêt en dehors de Douala. îls l'ont accusé de ne pas respecter les exigences de la censure et de faire paraître des articles critiquant le gouvernement. Après l'avoir interrogé au sujet des finances du journal, de ses sources d'informations et de son appartenance politique, ils l'ont déshabillé, lui ont lié les mains dans le dos, puis l'ont passé à tabac avant de l'abandonner sur place.

Le 26février 1997, Christian Mbipgo Ngah, journaliste au journal indépendant The Herald, aurait été arrêté à Santa, département de Mezam, dans la province du Nord-Ouest. Accusé, semble-t-il, d'avoir écrit des articles critiques à l'égard des autorités gouvernementales et des forces de sécurité, il a été emmené au siège de la gendarmerie de Santa, où on l'a roué de coups pendant plusieurs heures avant de le relâcher sans inculpation. Il a dû par la suite être hospitalisé.

Des vendeurs de journaux ont également été harcelés et détenus par les forces de sécurité. Fin août 1995, ceux qui vendaient La Messagère (créé après que la publication de son prédécesseur, Le Messager, eut été suspendu), sur Douala et Yaoundé ont été arrêtés et maintenus en détention pendant deux ou trois jours. Pius Njawe, directeur du Messager et Séverin Tchounkou, directeur de La Nouvelle Expression, ont été appréhendés et interrogés après qu'ils eurent manifesté leur inquiétude concernant l'arrestation des vendeurs de journaux.

Les exemples d'interdiction et de saisie de journaux ne manquent pas. Citons le cas de l'hebdomadaire L'Expression, dont des numéros ont été saisis chez des distributeurs de Yaoundé le 5mai dernier parce qu'il contenait une interview de Titus Edzoa, ancien ministre de la Santé et Secrétaire général à la présidence, qui a démissionné du gouvernement le 20avril 1997 et annoncé qu'il serait candidat aux élections présidentielles. Le lendemain un autre journal, l'Anecdote, a été saisi, apparemment parce qu'il contenait un article faisant référence à une rencontre entre Titus Edzoa et le dirigeant du SDF, John Fru Ndi. Le 24juin 1996 le vice-premier ministre chargé de l'Intérieur, Gilbert Andzé Tsoungui, a ordonné l'interdiction de l'hebdomadaire indépendant Mutations au motif que celui-ci constituait une menace à l'ordre public, après que le journal se soit interrogé sur les conditions dans lesquelles s'étaient déroulées les élections législatives. Un tribunal de Yaoundé a ordonné la levée de l'interdiction le 4juillet 1997.

Le 7 juillet 1997, le ministre d'État chargé de la Communication, Augustin Kontchou Kouomegni, a retiré son autorisation à David Ndachi Tagne, correspondant pour Radio France Internationale. Il était accusé de «déformation grossière des faits, volonté permanente de ternir l'image du Cameroun et intention claire de susciter des troubles à l'ordre public». Toutefois, aucune information particulière transmise par David Ndachi Tagne n'a été citée pour fonder ces accusations.

Des exemplaires de cinq journaux indépendants, L'Expression, Le Messager, Mutations, Dikalo et La Plume du Jour, ont été saisis par la gendarmerie de Yaoundé le 18août 1997, suite, semble-t-il, à la publication la semaine précédente du contenu d'une conversation téléphonique entre le ministre d'État chargé de l'Économie et des finances, Edouard Akame Mfoumou, et le Secrétaire général à la présidence, Amadou Ali.

Militants en faveur des droits de l'homme

Des membres d'organisations de défense des droits de l'homme sont harcelés, arrêtés et maintenus en détention en raison de leur action en faveur de ces droits.

Abdoulaye Math, président national du Mouvement pour la défense des droits de l'homme et des libertés (MDDHL), organisation non gouvernementale dont le siège est à Maroua, a été arrêté le 27février 1997. Il a été appréhendé alors qu'il embarquait dans un avion à destination de Yaoundé, pour de là se rendre à un séminaire sur les droits de l'homme aux États-Unis. Il venait de rentrer de Garoua où il avait organisé une conférence sur les atteintes aux droits de l'homme dans le nord du Cameroun. Bien qu'au moment de son arrestation, aucun mandat n'ait été émis, il a par la suite été inculpé d'escroquerie et de vente de produits pharmaceutiques sans autorisation. Il a comparu devant un tribunal le 5mars 1997; il a été libéré en attendant son procès, mais le Procureur général, Bouba Wanie, a fait appel de cette décision. Toutefois, la Cour d'appel a confirmé la décision et Abdoulaye Math a été relaxé le 7mars 1997. Le procès devait avoir lieu le 7mai 1997, mais aux dires des autorités judiciaires, le dossier aurait disparu.

Par le passé, plusieurs membres du MDDHL ont été victimes de manœuvres de harcèlement et d'arrestations. En avril 1995, Abdoulaye Math a reçu un avertissement du Procureur ainsi qu'une lettre du ministère de la Justice lui signifiant qu'il lui était désormais interdit d'exercer ses activités de juriste au Cameroun. Il a fait appel de cette interdiction et continue à exercer.

Mahamat Djibril, membre du MDDHL, a été arrêté en juin 1995. Il a été interpellé avec violence puis arrêté à Maga, province de l'Extrême-Nord, où il s'était rendu pour enquêter sur des atteintes aux droits de l'homme dont serait responsable la police. L'agent de police qui l'a agressé avait été la cible de critiques de la part du MDDHL pour arrestations arbitraires et mauvais traitements de détenus. Par la suite, Mahamat Djibril a été frappé par trois autres policiers. Trois jours plus tard, le Procureur l'a inculpé d'agression sur un agent de police et de trouble à l'ordre public; il a été transféré à la prison de Yagoua. Son procès a été ajourné à plusieurs reprises, et ce n'est qu'en novembre 1995 qu'il a bénéficié d'une libération provisoire. Son procès a finalement eu lieu en mars 1997; il a été déclaré coupable d'usurpation d'un titre et condamné à une peine de trois mois avec sursis. L'examen de la condamnation et de la peine par la Cour d'appel a été reporté au mois de septembre 1997.

Étudiants de l'Université de Yaoundé

En mai 1996, une série de grèves et de mouvements de protestation ont eu lieu à l'Université de Yaoundé pour réclamer la rénovation des équipements et contester l'introduction de nouveaux droits décidé par les autorités, notamment pour l'accès à la bibliothèque universitaire. Les autorités ont fait quelques concessions mais les grèves ont continué. Plus de 200étudiants auraient été arrêtés au cours du mois de juin 1996. Bon nombre d'entre eux auraient été arrêtés uniquement parce qu'ils étaient considérés comme des dirigeants au sein du mouvement étudiant et comme des opposants au gouvernement.

On rapporte que le 14juin 1996, les forces de sécurité ont effectué une descente dans la cité universitaire, traînant les étudiants hors de leurs chambres. Ces arrestations ont été opérées à la suite de violents affrontements opposant des étudiants aux forces de sécurité et à une milice connue sous le nom d'"auto-défense", opérant avec le consentement de la direction de l'université et des services de sécurité. Des bâtiments de l'université ont été incendiés et un maître assistant a été victime d'une agression.

La milice d'"auto-défense" a été créée en 1996 par le professeur Jean Messi, président de l'Université de Yaoundé, pour réprimer le mouvement de protestation étudiant. Elle compte quelques étudiants parmi ses membres et travaille en étroite collaboration avec les forces de sécurité. De nombreux étudiants ont été attaqués et livrés aux mains des forces de sécurité par l'"auto-défense". Des membres de cette milice sont impliqués dans la mort d'un étudiant.

La plupart des étudiants arrêtés en juin 1996 ont été rapidement relâchés, mais au moins 12 d'entre eux sont restés en détention sans inculpation pendant plus d'un mois. Parmi eux Christophe Ebanga Onguene, Alexandre Lebeau Mbaye, Patrice Kennedy Ikoe Natoa, Patrick Asanga Nde, Jeremiah Mudah, Victor Che Tangawah et un professeur de philosophie, Israël Kuenmoé, ont été détenus dans différents lieux d'incarcération de la police, des services de sécurité (le Centre national d'études et de recherches (CENER)) et des unités spéciales des forces de sécurité. Certains d'entre eux étaient des membres importants d'une organisation étudiante, le Comité pour la protection des droits des étudiants. Ils ont été maintenus en détention jusqu'au 17juillet 1996 avant d'être déférés à la justice; ils ont été inculpés d'infractions en relation avec les troubles survenus à l'université et placés en liberté provisoire. Quand ils se sont présentés au tribunal le 4septembre 1996, on leur a annoncé que le dossier les concernant avait disparu. Les autorités judiciaires n'ont pas engagé d'autre action à leur encontre.

Bien que de violents incidents soient survenus à l'université, au cours desquels des bâtiments ont été détruits et un assistant agressé physiquement, il n'existait apparemment aucune preuve que les inculpés aient personnellement commis une quelconque infraction criminelle.

Le 27octobre 1996, cinq autres étudiants on été arrêtés à l'Université de Yaoundé: Roger-Alexis Wamba, Jules Armand Mbe, Blaise Ngoune Temgoua et deux autres personnes ont été accusés d'entretenir l'agitation à l'université. Ils ont été détenus illégalement jusqu'au lendemain, dans les locaux de l'université, par des membres de l'"auto-défense". Ils ont ensuite été transférés en garde à vue auprès des services de sécurité et placés en détention au Secrétariat d'État à la défense. Deux étudiants ont été relâchés peu après, alors que Roger-Alexis Wamba, Jules Armand Mbe et Blaise Ngoune Temgoua ont été détenus plus de deux semaines avant d'être déférés à la justice, soit bien au delà du délai légal de 72 heures. Ils ont été inculpés d'incitation à la révolte contre le gouvernement et les institutions de la République et laissés en liberté dans l'attente de leur procès. Cependant, le procès a été reporté à plusieurs reprises. Apparemment, aucun des trois n'est accusé d'être personnellement impliqué dans un quelconque acte de violence.

Plusieurs étudiants, engagés selon les autorités dans les mouvements de protestation, ont été temporairement exclus de l'université. La situation à l'Université de Yaoundé et dans d'autres universités du pays reste tendue.

A la suite des arrestations d'octobre 1996, l'"auto-défense" a continué d'opérer à l'Université de Yaoundé et des informations ont signalé que d'autres étudiants avaient été victimes d'arrestations et de manoeuvres de harcèlement.

Recommandations

Le gouvernement camerounais doit mettre un terme aux manœuvres de harcèlement, aux arrestations et mises en détention dont sont victimes les opposants et les détracteurs du gouvernement, notamment les membres des partis d'opposition, les journalistes, les défenseurs des droits de l'homme et les étudiants, au seul motif de l'exercice pacifique de leur droit à la liberté d'expression, d'association et de réunion, droit garanti par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.

Tous les prisonniers d'opinion doivent être libérés de façon immédiate et inconditionnelle.

Tous les détenus politiques incarcérés sans inculpation ni jugement doivent être soit inculpés d'infractions dûment reconnues par la loi et jugés rapidement, conformément aux normes internationales en matière des procès d'équité soit relâchés.

Les allégations de violences, manœuvres d'intimidation et de harcèlement perpétrées par les forces de sécurité contre des critiques et des opposants du gouvernement doivent faire l'objet d'enquêtes impartiales et approfondies, et les responsables doivent être traduits en justice.

Détentions illégales et mauvais traitements imputables à des chefs traditionnels

Au nord du Cameroun, des chefs traditionnels, appelés lamibe, sont responsables de manœuvres de harcèlement, de détentions illégales et de mauvais traitements, voire dans certains cas de la mort d'opposants politiques. Ils disposent certes d'un certain nombre de pouvoirs administratifs mais ne sont pas habilités à procéder à des arrestations et mises en détention. Pourtant, dans de nombreuses régions du nord du Cameroun, ils ont arrêté des membres et des sympathisants de partis d'opposition et autres critiques du gouvernement. Ils agissent avec le consentement tacite du gouvernement et aucune mesure n'a été prise pour enquêter sur les graves atteintes aux droits de l'homme commises par ces chefs et leurs milices privées.

En mai 1993, Abdoulaye Ahmadou, lamido de Rey Bouba, dans le département de Mayo-Rey, province du Nord, et partisan influent du RDPC, le parti au pouvoir, aurait donné l'ordre à 300hommes armés placés sous son autorité d'ouvrir le feu sur les habitants de Mbang Rey, alors que ceux-ci manifestaient leur mécontentement après qu'un chef local eut été démis de ses fonctions par le lamido; une dizaine de personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées. Des députés de l'opposition représentant le département de Mayo-Rey, ont eu beau se plaindre de ces arrestations et de ces assassinats auprès du gouvernement, aucune enquête officielle n'a été ouverte.

Bakari Madi, détenu et torturé pendant plus de six mois en 1993 et 1994 parce qu'il avait critiqué le lamido de Mindif, département de Kaélé, dans la province d'Extrême-Nord, a engagé une action en justice contre ce dernier. Après plusieurs reports, l'affaire devait être entendue en février 1995, mais le lamido et six de ses coaccusés ne se sont pas présentés au tribunal et l'audience a dû être ajournée. Selon certaines informations, le procureur, cédant aux pressions exercées par certains responsables du ministère de l'Intérieur, aurait annoncé que cette affaire ne pouvait être examinée sans l'autorisation du ministre de la Justice. En août 1997, l'affaire n'avait toujours pas été jugée. Dans les rares cas où des actions en justice contre des lamibe ont abouti, les décisions judiciaires ont souvent été ignorées.

Le lamido de Rey Bouba n'a cessé de se livrer à des manœuvres d'intimidation et de commettre des exactions à l'encontre de membres et de sympathisants de l'opposition. Malgré cela, l'UNDP a remporté les élections législatives de mars 1992 dans le département de Mayo-Rey. Ceux qui refusent de payer l'impôt levé par le lamido ont subi le même sort que les opposants politiques: ils ont été arrêtés et passés à tabac par la milice privée de ce dernier.

Les chefs traditionnels disposent de prisons privées qui se trouvent dans leurs résidences ou celles de dignitaires locaux. Ainsi, un certain nombre de personnes seraient actuellement incarcérées dans des lieux de détention privés contrôlés par le lamido de Rey Bouba et situés dans des palais à Rey Bouba et à Tcholliré.

Parmi les membres et sympathisants de l'UNDP qui seraient détenus illégalement dans ces prisons privées sur ordre du lamido de Rey Bouba, on peut citer notamment: Issa Dalil, Alhadji Djama'a Sadou Bouba, Djamhoura, Oumar Mal Goni, Alim Hayatou, Modibo Mal Halidou, Modibo Saïdou, Modibo Alkali Souïbou, Halidou Haman Adama Mal et Yerima Oumarou. Certains de ceux dont on signale qu'ils sont toujours détenus en ce milieu d'année 1997, le sont depuis plus de quatre ans. Trois chefs locaux des environs de Tcholliré, qui auraient été arrêtés sur ordre du lamido de Rey Bouba en mai 1996, seraient toujours détenus: Laoukoura Mourboulé, Djondahou et Gor Rigama ont apparemment été arrêtés parce qu'ils autorisaient des membres de l'UNDP à résider dans leurs localités. On rapporte qu'un autre membre de l'UNDP, Jean-Pierre Bekoutou, arrêté à Madingrin le 3 avril 1997 et transféré par la suite à Rey Bouba, serait, lui aussi, maintenu en détention, plusieurs mois après son arrestation.

Au moins quatre personnes –Hama Riskou, de Godi, Alhadji Mohaman Bala, de Tcholliré, Madji Yadji, de Mbang Rey et Nassourou Gou– seraient décédées au cours de l'année 1995 des suites de mauvais traitements et de manque de soins alors qu'ils étaient illégalement détenus sur les ordres du lamido de Rey Bouba.

Un membre de l'UNDP, député du département de Mayo-Rey, Haman Adama Daouda, est mort le 18février 1996 après avoir été agressé par la milice privée du lamido de Rey Bouba le 8janvier 1996. Haman Adama Daouda, se trouvait avec Ahmadou Bakary, un homme politique appartenant également à l'UNDP, et une délégation d'une quarantaine de personnes faisant campagne pour les élections locales lorsqu'ils ont été attaqués à coup de bâtons, de couteaux et de machettes. Haman Adama Daouda est décédé quelque temps après, dans un hôpital de Yaoundé, des suites de blessures à la tête. On rapporte que les forces de sécurité ne sont pas intervenues pour empêcher ces violences. Haman Adama Daouda et Ahmadou Bakary avaient déjà auparavant été victimes de manœuvres de harcèlement et placés en détention par la garde personnelle du lamido. Le dirigeant de l'UNDP, Bello Bouba Maïgari, a annoncé son intention d'intenter une action en justice à la suite du décès de Haman Adama Daouda. Cependant, les plaintes déposées auprès des services du procureur à Garoua sont restées sans suite et aucune poursuite n'a été engagée par l'autorité judiciaire contre les responsables.

Nana Koulagna, tout comme d'autres députés de l'UNDP du département de Mayo-Rey par le passé, a été à plusieurs reprises menacé, agressé et frappé de mesures de restrictionl'empêchant de se déplacer librement dans ce département. Élu à Touboro, il a été obligé de demeurer à Ngaoundéré en raison de menaces pour sa sécurité personnelle. Le lamido de Rey Bouba aurait interdit aux députés des partis d'opposition de demeurer dans la région. On rapporte qu'à la fin octobre 1996, Nana Koulagna et sa délégation qui arrivaient à Rey Bouba pour y tenir une réunion, ont été attaqués par la garde personnelle du lamido. Au cours du violent affrontement qui a suivi, deux personnes auraient trouvé la mort et une trentaine d'autres auraient été blessées, un grand nombre à coups de couteaux, de machettes et de lances.

De violents affrontements ont de nouveau opposé des membres de l'UNDP à la milice privée du lamido, à Mbang Rey, le 12mai 1997, peu de temps avant les élections législatives. Cinq personnes ont trouvé la mort - deux membres de l'UNDP et trois membres de la milice. Nana Koulagna et 15autres membres et sympathisants de l'UNDP, notamment Baba Koulagna, Pierre Nana et Dieudonné Salaou, ont par la suite été arrêtés et apparemment accusés de meurtre. Deux d'entre eux ont ensuite été relâchés mais ceux qui restent incarcérés à la prison centrale de Garoua n'avaient toujours pas été inculpés à la mi-août 1997. Compte-tenu des abus répétés dont ont été victimes des membres de l'UNDP dans le département de Mayo-Rey, il est vraisemblable qu'ils ont été arrêtés en raison de leurs activités politiques, en l'absence de toute preuve de leur implication personnelle dans quelque infraction pénale que ce soit.

Ces chefs traditionnels exercent l'autorité qui leur est conférée par le gouvernement, aussi le gouvernement camerounais est-il directement responsable des agissements des lamibe. Des violations des droits garantis par le PIDCP et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples sont commis par les chefs traditionnels avec le consentement du gouvernement.

Recommandations

Le gouvernement camerounais doit ordonner la libération immédiate de toutes les personnes détenues illégalement par les chefs traditionnels dans des prisons privées ou non officielles.

Une commission indépendante doit être créée afin d'enquêter sur les accusations d'atteintes aux droits de l'homme, notamment de détention illégale, de torture, de mauvais traitements et d'homicides illégaux, portées à l'encontre des chefs traditionnels et de leurs milices privées et afin de faire traduire en justice les responsables de ces actes.

Torture et mauvais traitements

La torture et les mauvais traitements de détenus politiques comme de personnes soupçonnées de délits de droit commun restent des pratiques courantes au Cameroun. Certaines victimes sont mortes des suites de leurs blessures. Policiers et gendarmes maltraitent systématiquement les détenus. Les mauvais traitements sont également très répandus dans les prisons camerounaises.

En mars 1994, le Comité des droits de l'homme des Nations unies signalait dans ses conclusions que les forces de sécurité avaient systématiquement recours à la torture et aux mauvais traitements causant la mort de plusieurs personnes. Le Comité a fermement recommandé au gouvernement camerounais de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir la torture et les mauvais traitements, enquêter sur tous les cas recensés de torture et mauvais traitements afin de traduire les responsables en justice, de punir les coupables et d'indemniser les victimes.

Lors d'un séminaire de formation organisé en juillet 1994 par le Comité national des droits de l'homme et des libertés à l'intention des responsables de l'application des lois, rassemblant policiers, gendarmes et membres du personnel pénitentiaire, il a été reconnu publiquement que le passage à tabac, notamment les coups administrés sur la plante des pieds, était une pratique très répandue.

Une nouvelle loi, d'une importance considérable, relative à l'interdiction de la torture, a été adoptée par l'Assemblée nationale en novembre 1996 et promulguée par le président Biya en janvier 1997.[9] Cet amendement du Code pénal spécifie qu'aucune circonstance ne peut être invoquée pour justifier la torture[10] et que quiconque est déclaré coupable d'avoir blessé ou tué en pratiquant la torture est passible de peines d'emprisonnement pouvant aller de deux ans à l'emprisonnement à vie.

Il est rare que des enquêtes aient été menées sur des informations faisant état de tortures et de mauvais traitements et que les auteurs de ces actes aient été mis en accusation. Toutefois, les autorités ont engagé des actions dans quelques cas. Alors que Hubert Olama, avocat attaché au bureau du procureur, se rendait à Yaoundé, en octobre 1994, pour une visite d'inspection dans un poste de police, afin d'y rencontrer des détenus, notamment le journaliste Ndzana Seme, il a lui-même été retenu pendant cinq heures, déshabillé et roué de coups. À la suite de cet incident, six agents de police ont été arrêtés et mis en accusation. Ils ont tous été condamnés en 1996, quatre d'entre eux par contumace, à de longues peines de prisons assorties d'amendes.

En juillet 1996, un inspecteur de police a été reconnu coupable d'agression et condamné à verser une amende. La victime, Matilda Banyong Swiri, avait été arrêtée à Bamenda en juin 1995 et détenue pendant environ six jours avant d'être relâchée sans inculpation. Ayant été rouée de coups, notamment de coups de poing et de pied, elle a eu plusieurs côtes fracturées et d'autres blessures graves. Cependant, on rapporte que l'inspecteur de police incriminé a été muté de Bamenda et n'a pas versé d'amende. À la connaissance d'Amnesty International, aucune mesure n'a été prise pour faire exécuter la condamnation prononcée par le tribunal.

Tout au long de l'année 1996 et depuis le début de l'année 1997, Amnesty International a continué à recevoir des informations faisant état de tortures et de mauvais traitements.

Les étudiants de l'université de Yaoundé

Durant les troubles qui ont agité l'université de Yaoundé en 1996, au cours desquels quelque 200étudiants ont été arrêtés et placés en détention, plusieurs dirigeants de mouvements étudiants ont été torturés et maltraités. Christophe Ebanga Onguene et Alexandre Lebeau Mbaye ont été arrêtés par des membres de "l'auto-défense" le 10juin 1996 et ont par la suite été victimes à plusieurs reprises de passages à tabac. Patrice Kennedy Ikoe Natoa et Patrick Asanga Nde ont été arrêtés le 26 juin 1996 par des membres de "l'auto-défense" dans le bureau du président de l'université de Yaoundé. On les a déshabillés, passés à tabac et détenus à différents endroits, notamment à la Division provinciale de la police judiciaire et aux GSO, où ils auraient subi des tortures à l'électricité ainsi que le supplice de la balançoire: le prisonnier est suspendu à une tige de fer, les mains liées derrière les jambes et ses geôliers le frappent dans cette position. On les a également amenés au CENER, où ont leur aurait projeté des films montrant des exécutions perpétrées au Cameroun en 1984, en les menaçant du même sort. Israël Kuenmoé, un professeur arrêté en même temps que des dirigeants étudiants, aurait été battu et très grièvement blessé à l'œil gauche.

Un étudiant est mort après avoir été violemment agressé par des membres de "l'auto-défense"; on peut ici parler d'homicide arbitraire. Le 13 juin 1996, des étudiants qui protestaient contre l'exclusion de l'université de six de leurs camarades ont été chargés par des membres de "l'auto-défense" et des forces de sécurité. Benjamin Mvogo, frappé et poignardé au ventre et à la poitrine, est mort sur le coup. Aucune enquête officielle n'a été ouverte sur sa mort et aucune action n'a été engagée contre les responsables.

En octobre 1996, des membres de "l'auto-défense"ont appréhendé des étudiants à l'université de Yaoundé, les ont déshabillés et frappés sur les fesses et la plante des pieds avant de les livrer aux forces de sécurité.

Détenus arrêtés dans la province du Nord-Ouest en mars et avril 1997

Lors de la vague d'arrestations qui a suivi les attaques menées contre des postes de police, des bâtiments civils et militaires, dans plusieurs villes de la province du Nord-Ouest en mars 1997, un grand nombre des personnes arrêtées ont été torturées et maltraitées par les forces de sécurité, au moment de leur arrestation et plus tard, en garde à vue, dans des postes de police et au siège de la gendarmerie. Selon les informations reçues, au moins cinq personnes sont mortes des suites d'un tel traitement et sans avoir reçu aucun soin.

Un homme arrêté à Oku, Emmanuel Konseh, tailleur, marié et père de famille, aurait été roué de coups et frappé à coups de baïonnette; il est mort le 28mars 1997 pendant son transport à Bamenda.

Un grand nombre des personnes transférées à Bamenda avaient été torturées et maltraitées au moment de leur arrestation puis ont subi de nouveaux sévices au cours de leur détention à la Légion de gendarmerie de Bamenda. On n'a pas autorisé les détenus à recevoir de visites, et on leur a refusé tout soin médical alors que bon nombre d'entre eux avaient été blessés par baïonnettes et par balles. Le 1° mai 1997, un mois après son arrestation à Mbengwi, département de Momo, Samuel Tita, âgé de trente-huit ans, marié et père de cinq enfants, est décédé, apparemment faute de soins médicaux et de nourriture. Un autre décès a eu lieu au cours de ce même mois: Pa Mathias Gwei, lui aussi marié et père de famille, avait été arrêté à Oku. Bien que son état de santé ait été très critique à la suite des tortures subies, il s'est vu refuser tout traitement médical. Il a finalement été hospitalisé le 25mai 1997 et est mort quelques heures plus tard. Le mois suivant, un autre décès est survenu: Daniel Tata, du département de Bui, serait mort en garde à vue à la Légion de gendarmerie en juin 1997.

Quelques-unes des personnes qui avaient d'abord été détenues à la Légion de gendarmerie et à la BMM à Bamenda ont ensuite été transférées à Yaoundé. Certaines ont depuis été libérées, mais près de 50 personnes restaient incarcérées à la prison de Nkondengui. L'une d'entre elles, Ngwa Richard Formasoh, un mécanicien de vingt-cinq ans, originaire de Mile8, Mankon, à Bamenda, qui réparait des pneus, serait décédé le 6juillet1997 à la prison de Nkondengui, apparemment des suites de déshydratation causée par une diarrhée pour laquelle il n'a reçu aucun traitement médical. Des informations indiquent qu'il souffrait déjà de graves troubles gastriques lors de sa déention à la Légion de gendarmerie, à Bamenda.

L'une des personnes détenues à la Légion de gendarmerie de Bamenda semble avoir subi un traitement particulièrement brutal: Ndifet Zacharia Khan, un praticien de la médecine traditionnelle et père de sept enfants, a été arrêté à Bamenda et littéralement roué de coups dans un poste de police puis à la Légion de gendarmerie. Il présentait des blessures graves aux jambes et aux fesses. Il a été transféré dans un hôpital militaire de Bamenda, mais son état s'est aggravé et ses blessures ont dégénéré en nécrose étendue. Le 1° juin 1997, il a été transféré dans un autre hôpital militaire, à Yaoundé cette fois, où il a continué à recevoir des soins, en partie aux frais des autorités. On a dû l'amputer des orteils des deux pieds.

Sama Richard Ndifang, un homme d'affaires arrêté le 1° avril 1997, a été grièvement blessé au pied droit et a dû être hospitalisé. La blessure provenait d'un coup de machette reçu au siège de la gendarmerie à Bamenda.

Les informations signalant des arrestations dans la province du Nord-Ouest en mars et avril 1997 font également état de nombreux sévices infligés par les forces de sécurité. Des civils ont été frappés, notamment à coups de pied, et ont eu a subir des humiliations. De nombreux viols auraient été commis. On a obligé des personnes à rester étendues sur le sol, en plein soleil ou sous une pluie battante; on les a contraints à se coucher dans de la boue et à rester dans leurs vêtement souillés. On a fait subir à des personnes âgées des humiliations et des traitements dégradants, par exemple en les obligeant à sauter comme des enfants. Des personnes ont été fouillées, privées de leurs biens et dépouillées de leur argent.

Le 28mars 1997 à Oku, des membres de la gendarmerie et de l'armée auraient pénétré dans une église où des gens avait cherché refuge à l'arrivée de plusieurs centaines de membres des forces de sécurité. Ils ont ordonné aux femmes de quitter les lieux. Ils ont obligé les hommes à se coucher sur le sol et les ont battus et piétinés. Une des victimes a raconté avoir eu, à la suite de ces traitements, du sang dans les urines. Une femme arrêtée a Oku a été rouée de coups de pied lors de son interpellation, puis maintenue pendant cinq jours en détention au siège de la gendarmerie. Là, on l'a déshabillée et on a ensuite refusé de lui restituer ses vêtements. Très tôt dans la matinée du 23 avril, des soldats et des gendarmes ont fait irruption dans des maisons à Melim Kumbo, département de Bui. De nombreux habitants ont été battus, notamment à coups de pied; les personnes arrêtées ont été conduites au siège de la gendarmerie où les passages à tabac se sont poursuivis.

Torture et mauvais traitements dans les prisons camerounaises

En plus de conditions de détention extrêmement pénibles, le mauvais traitement des prisonniers est un phénomène très fréquent dans les prisons camerounaises. On rapporte que les prisonniers sont régulièrement battus, notamment sur la plante des pieds, et soumis au supplice de la balançoire. Ils sont parfois enchaînés et placés dans des cellules disciplinaires sans eau ni électricité ni sanitaires. Des informations ont signalé que des détenus de la Prison principale de Mbalmayo, Province du Centre, avaient été flagellés en 1995.

En 1996, à la Prison centrale de Bamenda, un prisonnier qui avait tenté de s'évader a été repris et intentionnellement blessé par balle aux jambes. On rapporte qu'il n'a reçu aucun soin médical pendant deux semaines.

Le 18mai 1997, un détenu de la Prison centrale de Maroua serait décédé après avoir été roué de coups par ses gardiens. Mikila Belede, arrêté quelque temps auparavant et accusé de vol avec circonstances aggravantes, avait cherché à s'évader mais avait été repris par la police. À son retour en prison, il aurait été victime de brutalités graves et serait mort peu après. Aucune enquête n'aurait été menée à la suite de ce décès. Un autre détenu de la Prison centrale de Maroua, Tchoupla, connu sous le nom de Petit Soko, aurait tenté de s'évader le 31juillet 1997; lorsqu'il a été repris, les gardiens lui auraient ôté ses vêtements avant de le rouer de coups. Un membre de l'organisation de défense des droits de l'homme MDDHL, Mohamadou Moustapha, qui était intervenu pour protester contre le traitement infligé à Tchoupla, aurait également été frappé.

Ces différents cas montrent que le gouvernement qui pourtant a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, n'est pas disposé pour autant à prendre des mesures concrètes afin de mettre un terme à la torture et aux mauvais traitements, qui sont des pratiques extrêmement répandues, ceci en violation flagrante des obligations qui sont les siennes en vertu du traité. Le gouvernement enfreint également l'Article7 du PIDCP et l'Article5 de la Charte africaine, qui interdisent la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le gouvernement a certes adopté des dispositions législatives faisant de la torture une infraction pénale, mais il n'a pris que très peu de mesures pour que soient jugés et condamnés les membres des forces de sécurité responsables d'actes de torture.

Recommandations[11]

Des garanties doivent être mises en place, afin d'assurer la protection de tous les détenus contre la torture et les mauvais traitements, conformément aux obligations du Cameroun en vertu des instruments internationaux, notamment de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le gouvernement camerounais doit donner publiquement la preuve de son opposition totale à toute forme de torture et faire clairement savoir à l'ensemble du personnel chargé de l'application des lois que la torture ne saurait être tolérée en aucune circonstance.

Au cours de la formation de tous les agents de l'État intervenant dans la garde à vue, l'interrogatoire ou le traitement des prisonniers, il doit être clairement signifié que la torture est un acte criminel.

Les prisonniers doivent être déférés à l'autorité judiciaire rapidement après leur mise en garde à vue, et leurs familles, avocats et médecins devront pouvoir leur rendre visite sans délai et régulièrement.

Toutes les plaintes pour actes de torture doivent faire l'objet d'enquêtes impartiales et approfondies; les méthodes et les résultats de ces enquêtes doivent être rendus publicset les auteurs de ces actes doivent être traduits en justice.

Conditions de détention pénibles dans les prisons

Dans tout le pays, et plus particulièrement dans les régions isolées, les conditions de détention sont extrêmement pénibles. Elles sont loin de répondre aux normes internationales pour le traitement des prisonniers, notamment à l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et l'Ensemble de principes pour la protection de toutes personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement. En 1995, des informations indiquaient que plus de 16000 personnes étaient détenuees dans les prisons camerounaises, qui relèvent directement du ministère de l'Intérieur. Les conditions dans lesquelles sont incarcérés, tant les prisonniers politiques que les prisonniers de droit commun, constituent une négation de leurs droits les plus fondamentaux. Elles sont une menace pour leur santé, voire pour leur vie, et peuvent être assimilées à un traitement cruel, inhumain et dégradant. Dans certaines prisons camerounaises, la situation apparaît moins comme la conséquence de pénuries d'ordre matériel que comme le résultat d'une volonté délibérée ou de négligences graves de la part des autorités.

La plupart des prisons sont considérablement surpeuplées et les installations sanitaires sont inexistantes ou insuffisantes. Les soins médicaux et l'alimentation sont eux aussi très insuffisants. De nombreux prisonniers souffrent de maladies comme la tuberculose et des affections de la peau, pour lesquelles ils ne reçoivent aucun traitement médical. En conséquence, le taux de mortalité parmi les prisonniers est élevé. On a enregistré quelque 170décès de prisonniers entre janvier et octobre 1995. En 1996, trois décès par semaine étaient signalés dans la prison de New Bell, à Douala, et deux à trois par semaine à la Prison centrale de Mantoum, province de l'Ouest. Les effectifs de la Prison centrale de Mantoum étaient alors de 580prisonniers, alors que les ressources fournies par les autorités auraient pu convenir pour 80personnes environ.

La situation des femmes et des mineurs est particulièrement préoccupante. On rapporte qu'hommes et femmes, adultes et mineurs, sont très souvent détenus ensemble. Des mineurs dont certains âgés de moins de quatorze ans –l'âge légal d'emprisonnement– auraient été victimes d'agressions sexuelles de la part de prisonniers adultes. Des informations ont également signalé que des femmes ont été agressées sexuellement par des membres du personnel pénitentiaire.

Les prisonniers sont souvent obligés de rétribuer les gardiens pour éviter d'être placés dans les parties des établissements où les conditions sont les plus pénibles. Les membres du personnel pénitentiaire ont également recours à des menaces de mauvais traitements pour extorquer de l'argent aux prisonniers.

En mars 1994, le Comité des droits de l'homme des Nations unies déplorait les brutalités qui sévissaient dans les prisons camerounaises. Il signalait que les centres de détention où hommes et femmes, condamnés et prévenus, délinquants adultes et adolescents, sont détenus ensemble dans les mêmes cellules, souvent insalubres, constituaient une violation de l'Article10 du PIDCP, qui dispose que toute personne privée de sa liberté doit être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. L'Article10 spécifie en outre que les personnes en détention préventive doivent être séparées des prisonniers condamnés, et que les jeunes doivent être isolés des adultes. Les conditions de détention dans les prisons camerounaises violent également l'Article5 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qui garantit le droit au respect de la dignité de la personne humaine et prohibe le recours à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Quand un prisonnier décède à la suite de mauvais traitements ou de conditions de détention trop pénibles, on peut assimiler cette situation à une privation arbitraire de la vie qui constitue une violation de l'Article6 du PIDCP et de l'Article4 de la Charte africaine.

Recommandations

Les autorités camerounaises doivent prendre de toute urgence des mesures efficaces pour garantir la conformité de toutes les prisons camerounaises avec les normes internationales relatives au traitement des prisonniers, notamment les Règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus.

Les autorités doivent veiller à la santé de tous les prisonniers; une alimentation suffisante, un suivi médical, des installations sanitaires doivent être fournis, et les prisonniers doivent bénéficier d'exercices physiques quotidiens en plein air.

Recours excessif à la force, notamment à la force meurtrière, par les forces de sécurité

Des personnes sont mortes, d'autres ont été grièvement blessées, du fait du recours excessif à la force, notamment à la force meurtrière, par les forces de sécurité. Quelques-uns seulement de ces homicides ont fait l'objet d'enquêtes.

En décembre 1995, Ebenezer Tamanfor a été abattu après avoir été appréhendé par les forces de sécurité. N'ayant pas obtempéré à la sommation d'arrêter son véhicule, il a été pris en chasse par deux policiers dans le département de Mezam. D'après certaines informations, il a été tué d'une balle dans la tête au moment où il déclarait ne pas avoir saisi qu'il s'agissait de policiers et pensant avoir affaire à des voleurs armés. Aucune action n'a été engagée contre les responsables de ce meurtre. En 1995, au moins deux autres personnes ont été tuées lors d'incidents violents au cours desquels les forces de sécurité ont apparemment recouru à la force meurtrière de façon excessive. En janvier 1995, une fillette de sept ans a été tuée à Yaoundé par des policiers qui faisaient feu sur un taxi qui avait refusé de s'arrêter.

Au cours de l'année 1996, on a signalé plusieurs décès résultant, semble-t-il, d'un recours excessif à la force meurtrière par les forces de sécurité. Parmi les personnes décédées, une personne soupçonnée d'avoir commis un délit de droit commun, André Tchieutcho, à été tué par balle alors qu'il se trouvait en garde à vue au siège de la gendarmerie de Douala en mars 1996, et un chauffeur de taxi, Joseph Désiré Tuete Kuipo, à été tué le 24mai 1996 à Douala par un policier, apparemment après avoir refusé de verser la somme que celui-ci lui réclamait à un barrage routier illégal.

Le 9août 1996, des violences résultant d'un conflit entre les villages de Bambui et de Fungie, dans le département de Mezam, ont fait plusieurs morts et blessés graves. Le lendemain, on rapporte que des gendarmes de Bamenda sont intervenus à Bambui, tirant au hasard et lançant des grenades sur une foule importante qui s'était réunie au palais du Fon de Bambui, un chef traditionnel. Trois personnes auraient été tuées: Juliana Ngwafu Munu, âgée de soixante ans, morte sur le coup, d'une balle dans la tête; Anita Nyengweh, vingt-cinq ans, décédée peu de temps après avoir été transportée à l'hôpital; et Ache Alah, vingt-quatre ans, également mort à l'hôpital des suites de blessures par balles aux jambes et à l'abdomen.

Ces meurtres commis par les forces de sécurité sont assimilables à des exécutions extrajudiciaires ou à des homicides arbitraires, et constituent une violation du droit à la vie garanti par l'Article6 du PIDCP et l'Article4 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.

Outre les trois personnes tuées à Bambui le 10août 1996, 16personnes auraient été grièvement blessées, parmi elles, Florence Fanyeih, vingt-six ans, mère de trois enfants, qui a perdu la main droite et a été gravement brûlée à la poitrine et aux cuisses dans l'explosion d'une grenade.

Selon certaines informations, le 8janvier 1997, des gendarmes ont ouvert le feu lors de l'arrestation de Damien Ngah, le Fon de Fungom, chef traditionnel du département du Menchum, province du Nord-Ouest, à l'occasion d'un litige sur des droits de fermage et de pâture. Plusieurs personnes ont été blessées. Cinq femmes –Comfort Njang, Odilia Siy, Frida Jah, Ngie Sarah Meh, Mary Che et Anasthasia Ndum– ont dû être hospitalisées, pour des blessures par balles ou causées par des coups de crosse d'armes à feu. La Haute cour de Wum a ordonné que Damien Ngah soit remis en liberté le 30janvier 1997, mais la gendarmerie a refusé de se conformer à cette décision. Le lendemain, alors que des femmes s'étaient rassemblées devant le siège de la gendarmerie pour protester, les gendarmes ont ouvert le feu, blessant 22personnes dont trois grièvement.

Florence Fanyeih, hôpital subdivisionnaire Bambui, province du Nord-Ouest, août 1996.

Le 26mai 1997, à Guider, province du Nord, les forces de sécurité, police et gendarmerie, ont ouvert le feu pour disperser une manifestation pacifique, Youssoufa Hamidou aurait été blessé par balle au genou gauche.. Des membres et sympathisants de l'UNDP s'étaient réunis pour réclamer l'annulation des résultats des élections du 17mai 1997, la mise en place d'une commission électorale indépendante et la libération d'un ancien député UNDP, Nana Koulagna.

Les blessures causées par les forces de sécurité du fait d'un recours à la force excessive et sans discrimination sont assimilables à des mauvais traitements et constituent une violation de l'Article7 du PIDCP et de l'Article5 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qui interdisent les traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Les normes internationales, et plus particulièrement les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, disposent que les forces de sécurité doivent avoir recours autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d'armes à feu. Les responsables de l'application des lois ne doivent pas faire usage d'armes à feu contre des personnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, ou pour prévenir une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines, ou pour procéder à l'arrestation d'une personne présentant un tel risque et résistant à leur autorité, ou pour l'empêcher de s'échapper, et seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs. Quoi qu'il en soit, ils ne recourront intentionnellement à l'usage meurtrier d'armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines.

Amnesty International appelle les autorités camerounaises à donner immédiatement à tous les responsables de l'application des lois des instructions claires visant à faire respecter ces principes en toutes circonstances.

Recommandations

Un contrôle strict doit être exercé sur les membres des forces de sécurité, conformément aux normes internationales, afin de prévenir tout recours aveugle et injustifié à la force, et notamment à la force meurtrière.

Les responsables de l'application des lois ne doivent avoir recours à la force que lorsque cela s'avère absolument nécessaire, et dans une proportion minimale adaptée aux circonstances. Il ne doit être fait usage de la force meurtrière que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines.

La peine de mort

Amnesty International considère la peine de mort comme une violation du droit fondamental à la vie et du droit à ne pas être soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et s'y oppose de façon inconditionnelle. Aucune des nombreuses études menées dans différents pays n'a pu prouver de façon scientifique que la peine de mort a un effet dissuasif particulier par rapport à d'autres châtiments.

Au Cameroun, la peine de mort est prévue par le Code pénal pour un certains nombre crimes tels que: le meurtre avec préméditation; les actes de violence ou agressions physiques contre un fonctionnaire avec l'intention de le tuer; le trafic de déchets toxiques ou dangereux; le vol avec circonstances aggravantes. Depuis l'adoption de la Loi visant à amender certaines dispositions du Code pénal, loi n°90/061 du 19décembre 1990, la peine de mort pour vol avec circonstances aggravantes n'est prévue que si le recours à la violence a entraîné la mort ou des blessures graves.

Bien que des condamnations à mort continuent d'être prononcées régulièrement par les tribunaux, les dernières exécutions dont on ait eu connaissance jusqu'à cette année, remontent à 1988. Amnesty International a par la suite été informée que Antoine Vandi Tize, condamné à mort plusieurs années auparavant, après avoir été reconnu coupable de meurtre et incarcéré à la Prison centrale de Maroua, avait été passé par les armes le 9janvier 1997, à Mokolo, département de Mayo-Tsanaga, dans la province de l'Extrême-Nord. Il est possible que d'autres exécutions aient eu lieu depuis, après épuisement des voies de recours légales.

En 1995, des informations indiquaient que plus de cent prisonniers étaient sous le coup de la peine de mort et se trouvaient dans les prisons de Douala, Dschang, Garoua, Tcholliré et Yaoundé, et peut-être dans d'autres lieux de détention. Les condamnés à mort sont souvent séparés des autres prisonniers. Certains sont enchaînés en permanence, comme par exemple à la prison de Tcholliré II, département de Mayo-Rey.

En mars 1994, le Comité des droits de l'homme des Nations unies déplorait le fait que, malgré les restrictions récemment apportées, le nombre des infractions passibles de la peine capitale restait trop élevé, en particulier pour les cas de vol avec circonstances aggravantes et le trafic de déchets toxiques dangereux. Il s'est également déclaré préoccupé par le nombre de condamnations à mort prononcées par les tribunaux.

le 3avril 1997, la Commission des droits de l'homme des Nations unies a adopté la Résolution1997/12, appelant les États ayant maintenu la peine de mort à «envisager de suspendre les exécutions, en vue de l'abolition définitive de la peine de mort». La Résolution1997/12 appelle également les États qui ne l'ont pas encore abolie à réduire le nombre des infractions passibles de la peine capitale.

Recommandations

Amnesty International exhorte le gouvernement du Cameroun à abolir la peine de mort dans sa législation. En attendant l'abolition, toutes les condamnations à mort déjà prononcées doivent être commuées et aucune nouvelle condamnation à mort ne doit être prononcée.

Le gouvernement camerounais doit ratifier le Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

Le Cameroun et la communauté internationale

Parallèlement aux recommandations spécifiques d'Amnesty International au gouvernement camerounais pour qu'il prenne immédiatement des mesures visant à mettre fin aux violations des droits de l'homme, l'Organisation appelle également la communauté internationale, notamment l'ONU, l'OUA, le Commonwealth et l'Union européenne (UE) à porter la plus grande attention au problème des violations des droits de l'homme au Cameroun et à prendre des mesures efficaces afin que ce pays respecte pleinement ses engagements en matière de droits de l'homme.

Le Cameroun a été admis au sein du Commonwealth en novembre 1995 en dépit de réserves exprimées à l'intérieur comme à l'extérieur du pays quant aux progrès réalisés en matière de droits de l'homme, jugés encore insuffisants. Une délégation du Secrétariat général du Commonwealth s'est rendu au Cameroun en juillet 1995; toutefois, son rapport n'a pas été rendu public. La prochaine réunion des chefs de gouvernements du Commonwealth se tiendra en octobre 1997 à Édimbourg, Royaume-Uni. Durant ces deux premières années d'adhésion au Commonwealth, le Cameroun n'a cessé de violer les droits fondamentaux de ses citoyens. En tant que membre du Commonwealth, le Cameroun se doit de remplir ses engagements au regard de la loi et des droits fondamentaux de la personne humaine contenus dans la Déclaration du Commonwealth de Harare de 1991.

Le Cameroun et l'Union européenne sont parties à la Convention de LoméIV (1991-2001). Cette Convention constitue un instrument multilatéral de caractère global permettant la coopération dans les domaines de l'aide au développement, du commerce, de la culture et des relations sociales entre l'Union européenne et 70pays ACP (Afrique - Caraïbes - Pacifique).

L'Article5 de la Convention LoméIV fait explicitement référence aux droits de l'homme: «La coopération vise à un développement centré sur l'homme, son acteur et bénéficiaire principal, et qui postule donc le respect et la promotion de l'ensemble des droits de celui-ci». La Convention est placée sous le contrôle de trois institutions: le Conseil des ministres ACP-UE, le Comité des ambassadeurs ACP-UE, mais aussi l'Assemblée paritaire ACP-UE, organe essentiellement consultatif, qui réunit deux fois par an des représentants des 70pays ACP et 70membres du Parlement européen. La prochaine session de l'Assemblée paritaire doit se tenir au Togo à la fin du mois d'octobre 1997.

Recommandations

Le Secrétaire général de l'OUA doit être extrêmement attentif à la situation des droits de l'homme au Cameroun, notamment en cette période qui précède les élections présidentielles, prévues pour octobre 1997, et durant laquelle une recrudescence des violations des droits de l'homme est à craindre.

S'il y a lieu, le Secrétaire général de l'OUA doit faire part de ses inquiétudes au Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits, afin que des mesures soient prises pour empêcher toute évolution pouvant mener à une détérioration grave de la situation des droits de l'homme au Cameroun.

Le Commonwealth doit mettre en place un mécanisme de surveillance permanente des violations des droits de l'homme au Cameroun et prendre des mesures afin d'amener le Cameroun à se conformer aux principes de la déclaration du Commonwealth de Harare.

Le Conseil de l'Union européenne doit rappeler au Cameroun ses obligations en vertu de l'Article5 de la Convention de LoméIV, compte tenu en particulier de l'approche des élections présidentielles.

Les membres de l'Assemblée paritaire de LoméIV, qui doivent siéger en octobre prochain, doivent se saisir de cette occasion pour reéxaminer la situation des droits de l'homme au Cameroun.



[1]           Pour les lignes directrices relatives au mandat, à la composition et au fonctionnement des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme, voir Proposed Standards for National Human Rights Commissions (Propositions de normes pour les commissions nationales des droits de l'homme – Index AI : IOR 40/01/93) publié par Amnesty International en janvier 1993.

[2]           Le Cameroun a ratifié le PIDCP en 1984. Il a également ratifié le Protocole optionnel n° 1, qui permet à tout particulier victime d'une violation de l'un des droits reconnus par le Pacte d'adresser une plainte au Comité des droits de l'homme des Nations unies.

[3]           Le Cameroun a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants en 1986.

[4]           Le Cameroun a ratifié la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples en 1989.

[5]           Aux termes du préambule de la Constitution « La liberté d'expression, la liberté de la presse, la liberté de réunion, la liberté d'association, la liberté syndicale sont garanties dans des conditions fixées par la loi ».

[6]           Loi modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 90/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de communication sociale,n° 96/04 du 4 janvier 1996.

[7]           « Les autorités administratives peuvent, en tout temps et selon les cas.,.. prendre des mesures de garde à vue d'une durée de 15 (quinze) jours renouvelables dans le cadre de la lutte contre le banditisme ». (Loi relative au maintien de l'ordre n° 90/054 du 19 décembre 1990).

[8]           Pour des informations complémentaires au sujet de ces évènements, voir Cameroun. arrestation d'opposants politiques et détention sans jugement (Index AI : AFR 17/02/95), publié par Amnesty International le 16 février 1995.

[9]           Loi d'amendement du Code pénal, n° 97/009 du 10 janvier 1997, créant une nouvelle Section 132(a)) (Article 132(bis) relative à la torture.

[10]         Alinéa 5(c) de la nouvelle Section 132(a) : « Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse de l'état de guerre ou de menace de guerre, d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état d'exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture ».

[11]         Voir également le "programme en 12 points d'Amnesty International pour la prévention de la torture", octobre 1983.

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La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X8DJ, Royaume-Uni. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI

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