Expulsion de Réfugiés Non Européens, Laissés Sans Protection

Introduction

Amnesty International est vivement préoccupée par la situation qui prévaut actuellement en Turquie en matière de protection des demandeurs d'asile non européens. En vertu de la réglementation turque relative aux réfugiés, toute personne désirant solliciter l'asile doit se présenter aux autorités dans les cinq jours qui suivent son arrivée dans le pays. Ceux qui entrent illégalement en Turquie et qui, pour quelque motif que ce soit, ne satisfont pas à cette exigence, s'exposent à une expulsion immédiate, sans le moindre examen de leur demande d'asile. Même les personnes reconnues comme réfugiés par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ne sont pas en sécurité en Turquie. Amnesty International connaît de nombreux cas de non-Européens auxquels le bureau du HCR d'Ankara avait accordé le statut de réfugié et qui ont été arrêtés par les autorités turques et renvoyés dans leur pays d'origine, malgré les interventions et les protestations du HCR. D'après les informations recueillies par l'Organisation, les personnes renvoyées dans des pays voisins sont normalement remises directement aux autorités concernées, de l'autre coté de la frontière. Il est extrêmement difficile de savoir ce qu'elles deviennent ; néanmoins, étant donné que le besoin de protection de ces personnes avait été reconnu, Amnesty International ne peut s'empêcher de craindre le pire. Ce document décrit le cas d'un certain nombre de ces personnes. L'Organisation a maintes fois fait part de ses inquiétudes au gouvernement turc en soulevant des cas précis d'expulsion ou en évoquant la situation générale qui prévaut dans le pays en matière de protection des réfugiés. Néanmoins, Amnesty International s'était jusqu'ici abstenue de décrire des cas individuels pour illustrer ses motifs de préoccupation ; en effet, les demandeurs d'asile dont le cas est ainsi mis en exergue courent des dangers encore plus grands en cas de renvoi dans leur pays d'origine. À ce jour, le gouvernement turc n'a jamais répondu aux demandes de renseignements de l'Organisation et n'a pris aucune mesure qui aurait apaisé ses inquiétudes. En fait, de récentes informations indiquent que, loin de s'améliorer, la situation des réfugiés et des demandeurs d'asile non européens devient de plus en plus précaire en Turquie. Amnesty International a donc pris la décision d'exposer publiquement ses préoccupations, dans l'espoir que les pressions de l'opinion publique internationale inciteront les autorités turques à assumer leurs responsabilités vis-à-vis des réfugiés. Il convient cependant de noter que dans la quasi-totalité des cas mentionnés dans ce document, le véritable nom du demandeur d'asile, de même que tout autre élément susceptible de permettre son identification, a été volontairement omis. La majorité des demandeurs d'asile cités dans les pages qui suivent sont iraniens ; il faut néanmoins savoir que les Irakiens, qui constituent l'autre principal groupe de demandeurs d'asile en Turquie, sont tout aussi menacés. D'après les chiffres dont dispose Amnesty International, en 1996, 72 réfugiés irakiens ont été renvoyés contre leur gré dans leur pays, soit davantage que les 66 Iraniens ayant connu le même sort cette année-là. L'Organisation estime cependant que la situation des demandeurs d'asile iraniens illustre les risques encourus par l'ensemble des demandeurs d'asile non européens en Turquie. De fait, certaines informations indiquent que la situation des demandeurs d'asile originaires de pays autres que l'Iran risque même de devenir encore plus précaire, du fait de l'absence de toute organisation pouvant leur apporter un soutien efficace, tant à l'intérieur du pays qu'à l'étranger. D'ailleurs, Amnesty International a éprouvé des difficultés à obtenir des renseignements fiables sur les demandeurs d'asile d'autres nationalités.

Le contexte général

Bien que la Turquie ait ratifié la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ainsi que son Protocole de 1967, elle a assorti ce texte d'une restriction géographique et n'en applique les dispositions qu'aux réfugiés originaires d'Europe. De ce fait, il a été demandé à la délégation du HCR à Ankara de se charger de la procédure de détermination du statut de réfugié des demandeurs d'asile non européens. Néanmoins, en novembre 1994, le gouvernement turc a publié une nouvelle réglementation relative aux réfugiés, dite Réglementation concernant les procédures et les principes relatifs aux afflux massifs et aux étrangers arrivant en Turquie seuls ou en groupes souhaitant soit demander asile à la Turquie, soit obtenir des permis de séjour dans l'intention de demander asile à un pays tiers. En vertu de ce nouveau texte, les non-Européens sont tenus de soumettre leur demande aux autorités turques, au même titre que les Européens. Si un Européen est reconnu comme réfugié, le gouvernement turc lui accorde sa protection aux termes de la Convention relative au statut des réfugiés. Si les autorités turques considèrent comme fondée la demande de protection émanant d'un non-Européen, cette personne acquiert le statut de « demandeur d'asile » (et non de réfugié) et son dossier est confié au HCR en vue de sa réinstallation dans un pays tiers. Il convient de noter que même si les autorités admettent son besoin de protection, le « demandeur d'asile » ne peut en aucun cas demeurer en Turquie ; la réinstallation dans un pays tiers est son unique choix. Les pouvoirs publics turcs permettent généralement aux « demandeurs d'asile » reconnus de séjourner sur leur territoire dans l'attente de leur réinstallation. Partie à la Convention relative au statut des réfugiés, la Turquie est également membre du Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire[1]1, qui, lors de sa session annuelle à Genève, aborde divers problèmes relatifs aux réfugiés et adopte des Conclusions. Le Comité exécutif est le seul forum international où les questions liées aux réfugiés font l'objet de débats approfondis et ses Conclusions ont une autorité certaine en tant que normes internationalement reconnues en matière de protection des réfugiés. Cependant, malgré sa position influente en tant que membre du Comité exécutif et son engagement en faveur de la protection des réfugiés en tant qu'État signataire de la Convention relative au statut des réfugiés, la Turquie n'honore pas ses obligations internationales vis-à-vis des demandeurs d'asile d'origine non européenne. La Turquie persiste à ne pas respecter le principe de non-refoulement, pourtant essentiel en matière de protection des réfugiés. Il interdit le renvoi d'une personne vers un pays où elle risque d'être victime de graves violations de ses droits fondamentaux et représente un élément fondamental du droit coutumier international, qui s'impose à tous les États. Ce principe doit être appliqué sans discrimination ; la Turquie est donc tenue de s'y conformer et d'accorder sa protection à tous les demandeurs d'asile – qu'ils soient d'origine européenne ou non – risquant d'être victimes d'atteintes à leurs droits fondamentaux en cas d'expulsion ou de refoulement. Par ailleurs, il convient de souligner que la Turquie est également partie à la Convention des Nations unies contre la torture, dont l'article 3 interdit aux États parties d'expulser, de refouler ou d'extrader une personne vers un autre État où il y a « des motifs sérieux de croire » qu'elle risque d'être soumise à la torture. Là encore, ces dispositions s'appliquent sans discrimination à tout individu, qu'il soit européen ou non. Comme le montre ce document, Amnesty International a appris que dans de nombreux cas, au mépris de ces dispositions, la Turquie avait renvoyé des demandeurs d'asile dans leur pays alors qu'ils risquaient d'y être torturés.

La réglementation relative aux réfugiés et aux demandeurs d'asile : la "règle des cinq jours"

D'après la réglementation de 1994, les ressortissants étrangers qui se rendent en Turquie pour y solliciter l'asile doivent soumettre leur demande à la police dans les cinq jours qui suivent leur arrivée dans le pays. Ceux qui s'y sont introduits illégalement (sans que leurs papiers ne soient en règle ou sans autorisation, par exemple) doivent déposer leur demande auprès des services de police de la ville frontalière la plus proche de leur point d'arrivée dans le pays. Ceux qui sont entrés légalement peuvent soumettre leur requête dans n'importe quelle ville du pays, mais toujours dans un délai de cinq jours. Leur demande est examinée par le ministère de l'Intérieur, et les requérants non européens qui reçoivent une réponse positive voient leur dossier transmis au HCR, en vue d'une éventuelle réinstallation. En cas de réponse négative, ils font l'objet d'un arrêté d'expulsion qu'ils ont quinze jours pour contester. La délégation du HCR à Ankara continue quant à elle de prendre en charge les dossiers des demandeurs d'asile non européens en Turquie, indépendamment du gouvernement turc, et s'emploie à réinstaller ceux dont elle reconnaît le besoin de protection. Amnesty International est préoccupée à plus d'un titre par les procédures de détermination du statut de réfugié en vigueur en Turquie. Elle a publié une liste des principes et garanties fondamentales qu'elle considère comme essentiels à la protection des individus qui risqueraient d'être victimes de graves violations des droits de l'homme s'ils étaient renvoyés contre leur gré dans le pays qu'ils ont fui ou dans un autre pays (cf. annexe). Le principal sujet d'inquiétude de l'Organisation concernant la situation actuelle en Turquie réside dans le délai de cinq jours imposé aux demandeurs d'asile pour déposer leur demande. Amnesty International estime que cette limite de cinq jours est nécessairement arbitraire et qu'elle devrait être supprimée. Si une échéance doit être imposée, elle ne doit pas être appliquée au mépris des normes internationales relatives à la protection des réfugiés et, en aucun cas, enfreindre le principe de non-refoulement. La Conclusion 15 du Comité exécutif dispose d'ailleurs « qu'un délai limite peut être imposé aux personnes en quête d'asile pour soumettre leur demande, mais [que] l'inobservation de cette condition ou de toute autre formalité ne doit pas avoir pour conséquence le refus d'examen de la demande ». En d'autres termes, si un gouvernement fixe une date limite pour le dépôt des demandes d'asile, les normes internationales demandent que cette condition ne soit pas appliquée de manière stricte, afin d'éviter qu'une demande ne soit rejetée sans même avoir été examinée uniquement parce que le requérant n'a pas respecté le délai prescrit. Au contraire, le fait que le demandeur d'asile ait soumis sa demande dans un délai raisonnable devrait être considéré comme un indice de sa crédibilité. Et pourtant, en Turquie, tout demandeur d'asile qui ne se présente pas aux autorités dans les cinq jours suivant son arrivée s'expose à une expulsion immédiate, sans examen de sa requête. Même les requérants qui ont déposé une demande auprès du HCR, ou qui se sont vu accorder le statut de réfugié par cet organisme et attendent leur réinstallation, ne sont pas hors de danger. Amnesty International connaît de nombreux cas de demandeurs d'asile et de réfugiés reconnus comme tels par le HCR qui ont été arrêtés par les autorités, puis renvoyés directement dans leur pays d'origine ou expulsés vers des pays tiers à risque, malgré les interventions et les protestations du HCR. D'après les informations dont dispose l'Organisation, la quasi-totalité de ces personnes étaient des demandeurs d'asile qui étaient entrés illégalement dans le pays et ne s'étaient pas signalés aux autorités compétentes dans le délai prévu de cinq jours. Par ailleurs, le nombre de réfugiés reconnus comme tels par le HCR, mais n'ayant pu régulariser leur situation en Turquie faute d'avoir respecté cette échéance, pourrait atteindre plusieurs centaines. Dans ce contexte, il convient de souligner que les dispositions relatives à cette limite de cinq jours sont souvent appliquées de manière excessivement stricte. D'après les informations recueillies par Amnesty International, si le cinquième jour consécutif à l'arrivée dans le pays est férié, les autorités refusent de prendre en compte les demandes déposées le jour ouvrable qui suit. Selon certaines sources, des demandeurs d'asile entrés en Turquie illégalement et ayant tenté, dans les cinq jours suivants, de solliciter l'asile dans des grandes villes comme Ankara se sont vu rétorquer qu'ils ne pouvaient le faire que sur leur lieu d'arrivée dans le pays. Dans de nombreux cas, les cinq jours s'étaient écoulés avant que les requérants ne retournent à leur point d'arrivée et les autorités ont refusé d'enregistrer leur demande. Certains de ces demandeurs d'asile auraient été appréhendés pour s'être introduits illégalement en Turquie et auraient été renvoyés sans autre forme de procès dans leur pays d'origine ou auraient été expulsés vers un pays tiers à risque. Pour couronner le tout, un règlement administratif du ministère de l'Intérieur (distinct de la réglementation de 1994) exige que tous les demandeurs d'asile présentent des papiers d'identité en règle lors de la soumission de leur requête. Les informations dont dispose Amnesty International indiquent que, au mépris des dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés[2]2, ce règlement est appliqué de manière tout aussi stricte que la règle des cinq jours : les demandeurs d'asile dans l'incapacité de satisfaire à cette exigence ne peuvent faire enregistrer leur demande par les autorités turques et sont expulsés. L'Organisation a appris que de nombreux demandeurs d'asile iraniens avaient été renvoyés directement dans leur pays. Beaucoup d'autres auraient en revanche été expulsés vers le nord de l'Irak, qu'ils avaient dû traverser pour se rendre en Turquie. Or, la situation dans cette région demeure des plus instables et l'on peut s'interroger sur la capacité des autorités kurdes à y assurer la sécurité des demandeurs d'asile iraniens. Il est clair que la Turquie ne cherche en aucune manière à s'assurer que ces derniers seront protégés dans le nord de l'Irak. Quoi qu'il en soit, elle devrait respecter le mandat du HCR en matière de protection et s'abstenir d'expulser les demandeurs d'asile entrés en contact avec cet organisme, ainsi que ceux auxquels il a accordé le statut de réfugié. A cet égard, Amnesty International se réfère à l'article 35 de la Convention relative au statut des réfugiés, aux termes duquel les États parties « s'engagent à coopérer avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés [...] dans l'exercice de ses fonctions ». Bien que la nature de cette coopération ne soit pas précisée, elle implique, même dans son acception la plus restrictive, de protéger de manière continue les réfugiés reconnus comme tels par le HCR, dans l'attente de leur réinstallation. Quatre Iraniens auxquels le HCR avait accordé le statut de réfugié, "Babak", "Mohammad", "Ali Reza" et "Ali", ont été arrêtés en février 1997. D'après les informations recueillies par Amnesty International, "Mohammad", "Ali Reza" et "Ali" avaient été précédemment appréhendés en décembre 1996, pour s'être introduits illégalement dans le pays et pour n'avoir pas respecté le délai de cinq jours. Ils avaient ensuite été relâchés grâce à l'intervention du HCR, à la condition que ce dernier se charge de leur réinstallation dans les plus brefs délais. Lorsque "Ali" et "Mohammad" ont été à nouveau interpellés en février 1997, un pays tiers avait accepté de les accueillir. Malgré les interventions d'Amnesty International et du HCR, "Babak" a été renvoyé en Iran, tandis que "Mohammad" et "Ali Reza" étaient expulsés vers le nord de l'Irak, le 26 février. "Ali" a réussi à échapper à la police et vit actuellement en Turquie, où il vit dans la clandestinité. "Karim", un autre demandeur d'asile iranien, était entré illégalement en Turquie, dans l'intention de se rendre en Espagne pour y chercher asile. Il a été appréhendé à l'aéroport d'Istanbul le 24 décembre 1996, alors qu'il tentait de voyager avec de faux papiers. Il a ensuite passé un entretien avec des membres du HCR et été reconnu comme réfugié ; le gouvernement turc n'en a pas moins décidé de l'expulser. Le HCR est intervenu en sa faveur et Amnesty International a lancé des appels urgents exhortant le gouvernement turc à respecter le principe de non-refoulement. "Karim" a finalement été libéré et autorisé à poursuivre son voyage vers l'Espagne. Mehrdad Kavoussi, membre de l'Organisation iranienne des moudjahidin du peuple (OIMP), un groupe d'opposition iranien, a passé dix ans en prison en Iran, où il a été torturé. Il s'est enfui en Turquie en 1995, mais ne s'est pas présenté aux autorités turques. Mehrdad Kavoussi s'est vu accorder le statut de réfugié par le HCR en avril 1996 et a pris contact avec les autorités turques pour solliciter l'asile le 25 avril 1996, accompagné d'un avocat du HCR. Il a toutefois été interpellé séance tenante et renvoyé en Iran le jour même. À son retour dans ce pays, il a été arrêté et interrogé. Après que des appels eurent été envoyés du monde entier en sa faveur, à l'initiative d'Amnesty International et d'autres organisations, il a finalement été relâché, après avoir accepté de se rendre en Turquie et d'envoyer des courriers aux Nations unies et à des organisations de défense des droits de l'homme dans lesquels il critiquait l'OIMP. Une fois en Turquie, il est néanmoins parvenu à échapper aux responsables iraniens et a de nouveau sollicité l'asile. Cette fois, il a pu se réinstaller dans un pays tiers. "Ahmad" avait été reconnu comme réfugié par le HCR et un pays tiers avait accepté de l'accueillir. Il a cependant été appréhendé à Kayseri en avril 1996 et, malgré les interventions d'Amnesty International, a été renvoyé en Iran le 19 avril 1996. On ignore tout de son sort. "Ramin", de nationalité iranienne, et "Yassin", un ressortissant irakien, ont été interpellés avec un groupe d'autres demandeurs d'asile iraniens en octobre 1996. Tous deux s'étaient vu accorder le statut de réfugié par le HCR. En dépit des efforts déployés par Amnesty International, "Ramin" a été renvoyé en Iran le même mois. On ne dispose d'aucune information supplémentaire sur la situation des autres. "Gholamreza", également iranien, avait été reconnu comme réfugié par le HCR en août 1996, avant d'être arrêté en octobre de la même année. Malgré les interventions pressantes du HCR, il a été renvoyé en Iran le lendemain de son interpellation. Il a cependant réussi a regagner la Turquie ultérieurement et devrait partir pour un pays tiers afin de s'y réinstaller d'ici peu. "Hossein" s'était vu accorder le statut de réfugié par le HCR et un pays tiers avait accepté de l'accueillir, lorsqu'il a été interpellé en août 1996, puis relâché après avoir passé une journée en détention. Au cours du même mois, Amnesty International a écrit au gouvernement turc en invoquant le principe de non-refoulement. "Hossein" a finalement réussi à quitter la Turquie pour se réinstaller dans un autre pays. "Ali Akbar" et "Mansour" ont été arrêtés en mars 1996, alors que tous deux avaient été reconnus comme réfugiés par le HCR. Bien que ce dernier eût intercédé en leur faveur, ils ont été renvoyés en Iran deux jours plus tard. En mai 1996, "Hassan", "Mehdi", l'épouse de ce dernier et leurs deux enfants, ainsi que "Farzad", ont été appréhendés au cours d'une perquisition domiciliaire. "Farzad" s'était vu accorder le statut de réfugié par le HCR. On est sans nouvelle d'eux depuis leur interpellation.

Évolution récente de la situation : des vagues d'expulsions

Amnesty International est préoccupée par le sort des réfugiés et des demandeurs d'asile en Turquie depuis de nombreuses années. Or, les renseignements dont elle dispose indiquent que leur situation s'est considérablement détériorée au cours de ces derniers mois. Le ministère de l'Intérieur aurait diffusé une circulaire interne selon laquelle tous les ressortissants étrangers séjournant illégalement sur le territoire turc devaient être expulsés immédiatement. Par ailleurs, plus de 600 personnes auraient simultanément fait l'objet d'un arrêté d'expulsion. Amnesty International ne conteste en aucun cas le droit des gouvernements de réglementer les conditions de séjour des ressortissants étrangers sur leur territoire. Toutefois, l'Organisation estime que ce droit doit être exercé sans que les gouvernements n'enfreignent leurs obligations internationales à l'égard des réfugiés et des demandeurs d'asile, tout particulièrement celles qui découlent du principe de non-refoulement. Or, il est manifeste que nombre des personnes qui ont fait l'objet d'un arrêté d'expulsion avaient été reconnues comme réfugiés par le HCR et que leur statut de réfugié n'empêchera pas leur expulsion. Plusieurs vagues de rafles et d'expulsions ont récemment eu lieu en Turquie, au cours desquelles des dizaines de demandeurs d'asile non européens ont été appréhendés et renvoyés dans leur pays d'origine ou expulsés vers un pays qu'on ne saurait qualifier de "sûr". Nombre de ces demandeurs d'asile s'étaient vu accorder le statut de réfugié par le HCR ; des pays tiers avaient accepté d'accueillir certains d'entre eux, qui attendaient d'être autorisés à partir par les autorités turques. Début mars 1997, 23 demandeurs d'asile iraniens auraient été interpellés au cours d'une vaste opération de ratissage, à Nevsehir et à Kayseri. Au moins 16 d'entre eux avaient été reconnus comme réfugiés par le HCR et plusieurs étaient en instance de réinstallation dans des pays tiers. D'après les informations recueillies par Amnesty International, ces 16 personnes ont été expulsées vers l'Irak le lendemain de leur arrestation. En outre, un autre groupe de demandeurs d'asile et de réfugiés reconnus comme tels par le HCR, qui avaient été appréhendés à Kayseri, auraient été également expulsés vers le nord de l'Irak, sept jours plus tard. Selon certaines sources, au cours de cette même semaine, les autorités turques ont arrêté et expulsé vers le nord de l'Irak un total de 66 Iraniens ; tous s'étaient vu accorder le statut de réfugié par le HCR et nombre d'entre eux étaient en instance de réinstallation dans un pays tiers. Mi-mars 1997, "Abdullah", un réfugié irakien qu'un pays tiers avait accepté d'accueillir, aurait été interpellé à Istanbul. Les autorités turques ont ultérieurement informé le HCR que cet homme serait renvoyé en Irak. Au moment de la rédaction de ce document, on ignorait si "Abdullah" avait effectivement été renvoyé de force. Fin mars 1997, cinq demandeurs d'asile iraniens ont apparemment été arrêtés au cours d'une nouvelle opération de ratissage à Kayseri. Les informations reçues par Amnesty International indiquent que trois d'entre eux étaient des réfugiés reconnus en tant que tels par le HCR et qu'un pays tiers avait déjà accepté d'en accueillir deux. Fin mars également, trois autres Iraniens auxquels le HCR avait accordé le statut de réfugié auraient également été interpellés et expulsés vers l'Irak. Deux d'entre eux étaient, semble-t-il, en attente de réinstallation dans un pays tiers ayant accepté de les accueillir. D'après les chiffres dont dispose Amnesty International, du 1er janvier au 30 avril 1997, au moins quatre réfugiés iraniens ont été renvoyés de force en Iran, tandis que 106 autres étaient expulsés vers l'Irak. Au cours de la même période, au moins sept réfugiés irakiens auraient été renvoyés dans leur pays. Amnesty International est alarmée par ces expulsions systématiques et exhorte les autorités turques à honorer leurs obligations internationales ainsi qu'à cesser immédiatement de renvoyer des personnes vers des pays où elles risquent d'être victimes de graves violations des droits de l'homme.

Accords de sécurité avec d'autres pays

Le gouvernement turc a conclu plusieurs accords de sécurité avec d'autres pays qui semblent avoir gravement porté atteinte à la protection des réfugiés en Turquie. Au début des années 90, des centaines de membres et de sympathisants d'Ennahda (Renaissance), un groupe d'opposition islamiste non autorisé en Tunisie, ont quitté leur pays pour échapper à la répression et aux persécutions dont ils étaient victimes de la part des autorités tunisiennes. D'après les informations obtenues par Amnesty International, 50 à 100 demandeurs d'asile tunisiens ont fui leur pays au cours de cette période et la plupart d'entre eux ont été reconnus comme réfugiés par le HCR. Au début de l'année 1993, les ministres de l'Intérieur turc et tunisien se sont rencontrés pour aborder des questions relatives à la « sûreté de l'État ». Au cours de ces entretiens, il a été convenu que la Turquie « [informerait] la Tunisie des activités des militants d'Ennahda observées en Turquie » et qu'elle « [n'autoriserait pas] les membres connus [de ce parti] à entrer en Turquie ». Les autorités tunisiennes ont déclaré pour leur part qu'elles « [espéraient] que les éléments fondamentalistes tunisiens ne [trouveraient] pas refuge sur le sol turc ». Le texte de cet accord de sécurité a été publié au journal officiel turc le 20 avril 1993[3] Amnesty International a eu connaissance de plusieurs cas de réfugiés tunisiens, dont le dernier en date lui a été signalé en 1995, renvoyés contre leur gré dans leur pays aux termes, semble-t-il, de cet accord, au mépris des obligations qui incombent à la Turquie en vertu du principe de non-refoulement. En outre, des dizaines de demandeurs d'asile tunisiens qui se trouvaient en Turquie à cette époque ont fui à l'étranger après la signature de ce texte, craignant d'être renvoyés en Tunisie ; dans de nombreux cas, ces demandeurs d'asile sont arrivés dans des pays voisins où ils n'ont pu trouver une protection durable. De même, un grand nombre de demandeurs d'asile tunisiens ayant gagné la Turquie depuis la conclusion de cet accord ont été dissuadés d'y solliciter l'asile et se sont enfuis dans d'autres pays, où ils n'ont pu bénéficier d'une protection adéquate contre le risque d'expulsion. Dans la mesure où l'objectif même de cet accord semble être le renvoi en Tunisie des personnes qui risquent précisément d'y être victimes de graves atteintes à leurs droits fondamentaux, Amnesty International estime qu'il constitue une violation des obligations internationales du gouvernement turc à l'égard des réfugiés et des demandeurs d'asile, et exhorte celui-ci à le révoquer sans délai. Qui plus est, l'insécurité dont souffrent les demandeurs d'asile iraniens est d'autant plus grande qu'un certain nombre d'accords similaires ont été signés entre les gouvernements de la Turquie et de l'Iran. Ces protocoles portent, entre autres, sur des « mesures propres à améliorer la sécurité des frontières » ainsi que sur la « [prévention des] activités terroristes illégales menées dans le but de faire sécession et de détruire l'unité nationale et les systèmes reconnus par la loi des deux pays ». Au moins trois accords de ce type ont été signés depuis 1992. Les déclarations des gouvernements turc et iranien indiquent que l'un des principaux objectifs de ces protocoles est de limiter les activités des groupes d'opposition qui opèrent dans l'autre pays. En novembre 1993, les autorités turques ont souligné au cours d'une rencontre avec des délégués d'Amnesty International que tout accord conclu avec l'Iran (comme avec tout autre pays) en matière d'extradition ne serait pas appliqué aux personnes fuyant des persécutions religieuses ou politiques. Néanmoins, après la signature d'un accord en juin 1994, le ministre turc de l'Intérieur aurait annoncé : « Aucun élément agissant contre la République islamique d'Iran ne sera autorisé à demeurer sur le territoire turc[4] » En avril 1996, les deux gouvernements ont, semble-t-il, signé un accord prévoyant des échanges réciproques d'opposants. D'après les informations dont dispose Amnesty International, le nombre de demandeurs d'asile iraniens renvoyés en Iran a sensiblement augmenté depuis la conclusion de cet accord. En août 1996, certaines sources ont signalé que le gouvernement turc avait l'intention de soumettre aux autorités iraniennes un nouvel accord en vue de coordonner leurs efforts contre les séparatistes kurdes et les « organisations terroristes ». Ce texte contenait apparemment des dispositions prévoyant l'extradition réciproque des militants de l'opposition. Téhéran aurait demandé l'expulsion de 600 dissidents iraniens se trouvant sur le territoire turc. Bien qu'Amnesty International ne remette nullement en question le droit fondamental des gouvernements de prendre des mesures en vue d'assurer la sécurité nationale, elle estime que toute initiative prise dans ce sens devrait être conforme aux obligations des États en matière de droits de l'homme. On ne sait pas précisément jusqu'à quel point les accords de sécurité conclus par le gouvernement turc affectent la protection des demandeurs d'asile en Turquie, car le texte des accords signés avec l'Iran n'a pas été rendu public dans la plupart des cas. En fait, l'existence de l'accord d'avril 1996 précédemment mentionné n'a même pas été confirmée par les autorités turques, quoique le gouvernement iranien semble l'avoir reconnue. Malgré les assurances données par le gouvernement turc, et évoquées ci-dessus, Amnesty International demeure vivement préoccupée par les conséquences apparemment négatives de ces accords de sécurité sur la protection des demandeurs d'asile en Turquie. L'Organisation admet qu'en certaines circonstances, dans l'intérêt de la sécurité nationale, il soit impossible de rendre publics tous les détails des accords de sécurité. Toutefois, dans la mesure où leur mise en œuvre semble contraire aux obligations de la Turquie en matière de droits de l'homme, Amnesty International estime que ces accords, ou tout au moins les dispositions relatives aux extraditions, doivent être rendus publics. Elle invite donc le gouvernement turc à publier toutes les clauses ayant une incidence sur la protection des demandeurs d'asile, et à s'assurer que ces accords sont conformes au principe de non-refoulement.

Meurtres de ressortissants iraniens en Turquie

Un certain nombre d'Iraniens connus pour leur appartenance à des groupes d'opposition iraniens ont été tués sur le territoire turc au cours de ces dernières années, dans des circonstances qui laissent à penser qu'ils ont peut-être été assassinés par des agents iraniens[5] En janvier 1997, un ressortissant iranien a été condamné par un tribunal turc à plus de trente-trois ans d'emprisonnement pour le double meurtre d'un membre et d'un sympathisant d'un mouvement d'opposition iranien, tués en février 1996. Il aurait indiqué que ces homicides avaient été commis sur ordre des services secrets iraniens. Les réfugiés et les demandeurs d'asile iraniens se trouvant en Turquie évoquent souvent ces meurtres pour démontrer l'insécurité dans laquelle ils vivent. Ils pensent en outre que des agents iraniens sont présents dans de nombreuses villes turques dans le but de réunir des informations sur les communautés iraniennes qui y résident. Il est difficile de prouver de telles allégations. Toutefois, étant donné les meurtres dont sont souvent victimes des personnalités de l'opposition iranienne hors d'Iran, Amnesty International pense que les demandeurs d'asile iraniens ont de bonnes raisons de craindre pour leur sécurité en Turquie. L'Organisation appelle les autorités turques à veiller à ce que tous les demandeurs d'asile se trouvant sur leur territoire soient efficacement protégés contre les agissements des autorités de leurs pays d'origine.

Les demandeurs d'asile renvoyés en Turquie en vertu de la notion de "pays tiers sûr"

Amnesty International continue de recevoir des informations selon lesquelles des demandeurs d'asile ayant traversé le territoire turc pour se rendre dans des pays d'Europe de l'Ouest et y solliciter l'asile sont renvoyés en Turquie, uniquement parce qu'ils auraient pu présenter leur requête dans ce pays. Une fois encore, l'Organisation exhorte les gouvernements européens à mettre un terme aux pratiques fondées sur la notion de "pays tiers sûr" et à assumer leur responsabilité d'examiner les demandes d'asile. Il est désormais courant dans de nombreux pays européens de renvoyer des demandeurs d'asile vers un pays qu'ils ont traversé, uniquement parce que le pays tiers en question est "sûr" et qu'ils auraient pu y chercher refuge. Les autorités des pays qui procèdent ainsi cherchent très rarement, sinon jamais, à obtenir des garanties auprès du pays tiers, afin que le demandeur d'asile concerné bénéficie d'une procédure de détermination du statut de réfugié équitable et satisfaisante. En fait, l'accession d'un pays donné à la qualité de pays "sûr" repose souvent sur des considérations de politique étrangère ou des données non pertinentes, plutôt que sur des informations impartiales relatives à la situation des droits de l'homme et à la protection dont bénéficient les réfugiés dans ce pays[6] Comme le montre le présent document, la protection accordée aux demandeurs d'asile non européens en Turquie est des plus inadéquates, et on ne peut raisonnablement qualifier ce pays de "sûr" pour la majorité des demandeurs d'asile non originaires d'Europe. Amnesty International exhorte par conséquent tous les gouvernements, et plus particulièrement ceux d'Europe de l'Ouest, à ne renvoyer aucun demandeur d'asile en Turquie en faisant valoir qu'il s'agit d'un pays "sûr".

Meurtres d'Irakiens à la frontière

Amnesty International a reçu des informations selon lesquelles des ressortissants irakiens, qui étaient apparemment des demandeurs d'asile, ont été tués à proximité de la frontière turque. En novembre 1996, l'Organisation a appris que 28 Kurdes et Assyriens de nationalité irakienne avaient été tués en octobre 1996 par des soldats et des protecteurs de village détachés auprès des services de gendarmerie de Çobanpinari, dans la région de Yüksekova, à la frontière entre la Turquie et l'Iran. Il semble que ces personnes fuyaient des combats qui se déroulaient dans le nord de l'Irak et cherchaient refuge en Turquie. D'après les témoignages fournis en Iran par deux survivants, Serbat Uthman et Firad Mohammad Soph, ces événements ont eu lieu alors que 30 Irakiens, originaires de Sulaimaniya pour la plupart, fuyaient des affrontements ayant éclaté dans le nord de l'Irak et tentaient de franchir la frontière entre la Turquie et l'Iran. Les membres de ce groupe auraient été accusés d'appartenir au Partiya Karkeren Kurdistan (PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan) et conduits dans une étable des environs, où ils ont été tués par les forces turques. Les corps des victimes, dont cinq étaient des Assyriens chrétiens originaires d'Ain Kawa et de Shaqlawa, dans le nord de l'Irak, ont été remis aux autorités iraniennes et des autopsies ont été effectuées dans la ville iranienne d'Oromieh par un médecin iranien, qui a également pris des photographies. Les morts ont finalement été acheminés jusqu'à Sulaimaniya, où ils ont été enterrés le 23 octobre 1996. Les corps de certaines des victimes étaient affreusement mutilés, ce qui a rendu difficile leur identification, mais celle-ci a finalement pu être menée à bien pour chacune des 28 personnes tuées. Il s'agissait de Samir Burhan Mohammad, de Rekewt Osman Hama Salih, d'Azad Mustafa Umar, de Hersh Abdullah Umar, de Barzan Akram, de Hawzhin Akram, de Garmian Hama Salih Mahmud, de Mahmud Ahmad, de Rizgar Ali, de Kosalan Zorab, de Namik Hussain Rashid, de Bakhtiar Karim Mahmud, de Tahir Mustafa, de Dawud Salman Sulaiman, d'Azad Mustafa, de Mustafa, de Majid Mohammad Sabir, de Nawruz Ali Kadir, d'Amin Karim Ahmad, d'Azad Kadir Kaka Abdullah, d'Amir Fatah Kadir, de Mustafa Ghafur Murad Khan, de Mustafa Salih Saïd, de Dildar Yusuf Yaqub, de Salar Salim Gharib, de Milad Ishaq Gorgis, d'Imad Gorgis et de Farhad Biya. Au moment de la rédaction de ce document, les deux survivants se trouvaient toujours en Iran et l'un d'eux avait, semble-t-il, dû être amputé d'une jambe à la suite de ces événements. Amnesty International a également reçu des informations selon lesquelles trois Assyriens vivant dans le nord de l'Irak, qui étaient peut-être des demandeurs d'asile et au nombre desquels figurait un jeune homme de dix-sept ans, Evan Oshana Kalo, ont été tués par les forces turques le 21 novembre 1996, alors qu'ils tentaient d'entrer en Turquie. Deux autres personnes, dont le frère d'Evan, Sargon Jaba Kalo, âgé de dix-neuf ans, auraient été capturées avant de "disparaître". Les corps de ceux qui ont été tués ont été renvoyés à Zakho, dans le nord de l'Irak. En janvier 1997, Amnesty International a écrit aux autorités turques pour leur faire part de son inquiétude à l'idée que toutes les personnes tuées avaient peut-être été victimes d'exécutions extrajudiciaires imputables aux forces turques. L'Organisation a appelé les autorités à faire en sorte que des enquêtes exhaustives et impartiales soient ouvertes sur les circonstances de ces meurtres et que les responsables soient traduits en justice si ces allégations d'exécutions extrajudiciaires se révélaient exactes. Amnesty International a également demandé à être informée du sort des deux hommes qui ont été faits prisonniers. Au moment de la rédaction du présent document, les autorités turques n'avaient toujours pas répondu à ce courrier et, à la connaissance de l'Organisation, aucune enquête n'avait été ouverte sur les faits évoqués ci-dessus. Amnesty International demeure vivement préoccupée par ces événements et s'inquiète à l'idée que des personnes fuyant des conflits armés et cherchant refuge en Turquie, loin de se voir accorder la protection prévue par les normes internationales, soient victimes d'exécutions sommaires. L'Organisation est naturellement consciente de l'insécurité qui règne actuellement dans le sud-est de la Turquie. Néanmoins, ces circonstances ne justifient en aucune manière l'exécution sommaire de demandeurs d'asile. Amnesty International exhorte le gouvernement turc à mener des enquêtes approfondies et impartiales sur ces événements et à s'assurer que les protecteurs de village et les militaires qui patrouillent le long de la frontière bénéficient d'une formation adéquate sur les obligations internationales de la Turquie vis-à-vis des réfugiés et des demandeurs d'asile.

Les recommandations d'Amnesty International

1. Le gouvernement turc devrait immédiatement mettre un terme aux expulsions de demandeurs d'asile qui ont été reconnus comme réfugiés par le HCR ou qui ont déposé une demande d'asile auprès de cet organisme et attendent sa décision. Le gouvernement devrait respecter scrupuleusement le principe de non-refoulement et veiller à ne pas expulser une personne vers un pays où elle risque d'être victime de graves atteintes à ses droits fondamentaux.

2. La réglementation de 1994 relative aux réfugiés, ainsi que toutes les autres règles et exigences administratives concernant les réfugiés et les demandeurs d'asile, devraient être révisées sans délai, afin que tous les non-Européens souhaitant solliciter l'asile en Turquie puissent en faire la demande auprès des autorités de ce pays et régulariser leur situation en attendant que le HCR se prononce de manière définitive sur leur statut de réfugié. Des dispositions autorisant clairement les réfugiés reconnus comme tels par le HCR à demeurer en Turquie en attendant leur réinstallation dans un pays tiers seraient également souhaitables.

3. Le gouvernement turc devrait créer dans les plus brefs délais une commission consultative indépendante, chargée de réexaminer l'ensemble du dispositif de protection des réfugiés en Turquie et de formuler des recommandations sur la manière dont le gouvernement pourrait s'acquitter au mieux de ses obligations vis-à-vis des réfugiés. Cette commission serait composée d'experts indépendants et reconnus, et comprendrait des représentants du HCR ainsi que d'ONG spécialisées dans la protection des réfugiés. Ses travaux devraient également porter sur la suppression de la restriction géographique observée par la Turquie dans l'application de la Convention relative au statut des réfugiés.

4. Le gouvernement turc devrait rendre publics tous les accords de sécurité conclus avec d'autres gouvernements, ou tout au moins l'ensemble des dispositions affectant la protection des demandeurs d'asile en Turquie. Il devrait s'assurer que ces textes sont conformes au principe de non-refoulement ainsi qu'aux autres obligations qui lui incombent en matière de droits de l'homme, et réviser ou révoquer en conséquence les accords qu'il a déjà signés.

5. Les gouvernements étrangers devraient s'abstenir de renvoyer des demandeurs d'asile en Turquie sous prétexte qu'il s'agit d'un "pays tiers sûr", tant que ce pays ne protégera pas comme il le doit les demandeurs d'asile contre l'expulsion ou le refoulement et contre les agissements d'agents de leur pays d'origine.

6. Le gouvernement turc devrait créer immédiatement une commission indépendante et impartiale, chargée d'enquêter sur les informations selon lesquelles des exécutions extrajudiciaires ont eu lieu le long de la frontière séparant la Turquie de l'Iran et de l'Irak. Les résultats de ces investigations devront être rendus publics dans leur intégralité.

7. Le gouvernement turc devrait prendre des mesures concrètes afin que tous les membres de forces militaires ou paramilitaires patrouillant dans les zones frontalières, y compris les protecteurs de villages, bénéficient d'une formation adéquate sur les obligations internationales de la Turquie vis-à-vis des réfugiés et des demandeurs d'asile. Il devrait leur donner clairement pour instruction d'orienter les personnes sollicitant l'asile vers les bureaux du HCR ainsi que vers les autorités compétentes, et d'informer les demandeurs d'asile sur les procédures en vigueur en Turquie.

Annexe Garanties recommandées par Amnesty International dans les procédures d'asile

extrait de Normes fondamentales pour la protection des réfugiés;
(index AI : POL 33/03/93/F)
Amnesty International cherche à s'assurer que les procédures d'asile des Etats, y compris les procédures et pratiques appliquées à leurs aéroports et à leurs frontières, permettent d'identifier les demandeurs d'asile qui risqueraient de graves violations des droits de l'homme s'ils étaient envoyés contre leur volonté dans un autre pays. Amnesty International fait appel à tous les gouvernements pour que leurs procédures d'asile soient conformes à certains principes fondamentaux. Ces principes sont essentiels pour contribuer à empêcher que les demandeurs d'asile risquant de graves violations des droits de l'homme soient renvoyés de force. Ils se fondent sur des normes internationales comme celles qui sont énoncées dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans les conclusions pertinentes sur la protection internationale des réfugiés adoptées par le Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), organe intergouvernemental, et dans la Recommandation nº R(81)16 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe relative à l'harmonisation des procédures nationales en matière d'asile. Ils comprennent des mesures pratiques spécifiques qui sont nécessaires à l'application effective des normes internationales. Ils comprennent les principes suivants :

1. Le principe fondamental de non-refoulement exige que les procédures nationales d'asile soient de nature à permettre d'identifier tous ceux qui ont besoin de protection.

2. Tous les demandeurs d'asile de quelque manière qu'ils pénètrent dans la juridiction d'un Etat doivent être référés à l'organe chargé de se prononcer sur les demandes d'asile.

3. L'organe chargé de se prononcer sur les demandes d'asile doit être un organisme indépendant et spécialisé ayant pour responsabilité unique et exclusive d'examiner les demandes d'asile et de se prononcer à leur égard.

4. Les membres de cet organe indépendant doivent être experts en matière de droit international des réfugiés et de législation internationale des droits de l'homme. Leur statut et la durée de leur mandat doivent offrir les garanties les plus solides possible de compétence, d'impartialité et d'indépendance.

5. Les membres de cet organe indépendant doivent bénéficier des services d'un bureau de documentation qui doit être chargé de rassembler de façon impartiale, pour les leur fournir, des renseignements objectifs et indépendants sur la situation des droits de l'homme dans les pays d'origine des demandeurs d'asile ou dans tout pays où ils pourraient être envoyés.

6. Tous les demandeurs d'asile, à tous les échelons de la procédure, doivent pouvoir bénéficier d'un conseil juridique et de services d'interprètes ainsi que du droit d'entrer en rapport avec le HCR.

7. Les demandes d'asile doivent être examinées en première instance au moyen d'une audience personnelle de chacun des demandeurs d'asile par les membres de l'organe indépendant chargé de se prononcer sur les demandes d'asile, au cours de laquelle les circonstances de chaque cas sont examinées à fond.

8. En cas de rejet de la demande, tous les demandeurs d'asile doivent en recevoir les raisons par écrit et ont le droit de faire appel d'une décision négative. L'appel doit normalement être de nature judiciaire et doit dans tous les cas avoir un effet suspensif sur l'expulsion.

9. Des circonstances spéciales peuvent justifier un traitement exceptionnel d'une demande d'asile ou d'un groupe de demandes émanant de personnes se trouvant dans une situation analogue. (Ces circonstances peuvent comprendre, par exemple, le jugement établi qu'une demande d'asile est "manifestement infondée" au sens qu'elle est clairement frauduleuse ou ne se rattache aucunement aux critères prévus pour l'octroi du statut de réfugié à l'Article 1.A de la Convention de 1951 ou aux critères définissant d'autres catégories de personnes protégées contre le renvoi forcé). Ce traitement exceptionnel ne peut que permettre que l'appel contre la décision prise en première instance soit accéléré, mais cet appel accéléré doit dans tous les cas avoir un effet suspensif sur l'expulsion.

En dehors de ces principes essentiels, certaines mesures pratiques sont nécessaires pour garantir le plein respect des principes dans la pratique. Les mesures qu'Amnesty International estime essentielles sont notamment les suivantes :

Les fonctionnaires postés aux frontières doivent avoir la formation voulue pour identifier toute personne qui peut être en danger si elle est refoulée, et la référer à l'organe indépendant.

Tous les demandeurs d'asile doivent recevoir, dans une langue qu'ils comprennent pleinement, les renseignements voulus sur la procédure à suivre et tous les renseignements concernant leurs droits de procédure.

Tous les demandeurs d'asile doivent pouvoir accéder aux entités non gouvernementales appropriées qui assurent des conseils et une assistance aux demandeurs d'asile.

Tous les fonctionnaires chargés de questionner les demandeurs d'asile ou de s'entretenir avec eux et de se prononcer sur leurs demandes doivent avoir pour instruction de se conformer aux conseils formulés dans les paragraphes 195 à 219 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, publié par le HCR. Tous ces fonctionnaires, y compris les préposés aux frontières, doivent tenir compte de la situation spéciale dans laquelle se trouvent les demandeurs d'asile qui peuvent éprouver des difficultés de langue ou d'autre nature pour présenter leur demande d'asile, qui peuvent avoir dû fuir sans leurs papiers d'identité et qui peuvent, en raison de leurs antécédents, craindre les autorités, craindre de s'exprimer librement, et avoir des difficultés à exposer pleinement et exactement leur situation.

[1]1. Le Comité exécutif se compose de délégués représentant plus de 50 pays. Tous ne sont cependant pas partie à la Convention relative au statut des réfugiés. Tel est le cas de la Thaïlande, du Bangladesh, de l'Inde, du Liban et du Pakistan. [2]2. L'article 31 de la Convention relative au statut des réfugiés dispose que les États parties « n'appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée [...], entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu'ils se présentent sans délai aux autorités et leurs exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou de leur présence irrégulières ». [3]3. Bien qu'il s'agisse d'un accord bilatéral, Amnesty International ne dispose d'aucune information relative à des opposants turcs sollicitant l'asile en Tunisie. [4]4. US Committee for Refugees, Barriers to Protection ; Turkey's Asylum Regulations [Les obstacles à la protection des réfugiés. La réglementation turque en matière d'asile. [5]5. Voir notamment Turquie. Protection sélective : Traitement discriminatoire à l'égard des réfugiés et demandeurs d'asile non européens (index AI : EUR 44/16/94) et Iran. Derrière la censure gouvernementale, la répression continue (index AI : MDE 13/02/95). [6]6. Amnesty International rappelle la Conclusion 15 du Comité exécutif, qui dispose : « Il convient de tenir compte du principe que l'asile ne doit pas être refusé uniquement pour le motif qu'il aurait pu être demandé à un autre État. »
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La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X8DJ, Royaume-Uni. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI

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