Résumé

Le 7 février 1996, René Préval succédera à Jean-Bertrand Aristide à la présidence d'Haïti. On s'attend à ce qu'il continue le train de réformes institutionnelles engagées par le président Aristide depuis qu'il a été ramené au pouvoir au mois d'octobre 94. Le présent document expose les grandes lignes des initiatives qui ont été prises par ce dernier afin de consolider la protection des droits de l'homme et fait état de problèmes persistants auxquels il est nécessaire de s'attaquer de toute urgence.

Dès le retour en Haïti du président Aristide au mois d'octobre 1994, à la suite de l'arrivée dans le pays d'une Force multinationale (FMN) sous commandement des États-Unis, le type de violations flagrantes des droits de l'homme qui caractérisait le gouvernement militaire de facto du général Raoul Cédras a considérablement diminué. Le nouveau gouvernement a immédiatement pris un certain nombre de mesures visant à démanteler les forces armées, mettre hors la loi les organisations paramilitaires et, en attendant la constitution d'une nouvelle force de police, à établir une force de police intérimaire – comprenant essentiellement d'anciens militaires – chargée d'assurer l'ordre public en liaison avec des "moniteurs internationaux de police". Des réformes du système pénitentiaire et, dans une moindre mesure, du système judiciaire ont également été engagées. La Commission nationale de Vérité et de Justice a été créée pour « établir globalement la vérité sur les plus graves violations des droits de l'homme commises entre le 29 septembre 1991 et le 15 octobre 1994 [période pendant laquelle la junte militaire a détenu le pouvoir de facto] ».

En dépit de ces initiatives positives, bon nombre de problèmes et de contradictions subsistent. Plusieurs membres de la nouvelle force de police et de la force de police intérimaire font actuellement l'objet d'une enquête de la part des nouveaux services d'inspection de la police. Ils auraient à plusieurs reprises fait un usage abusif de leur arme à feu, ce qui a entraîné la mort de la victime dans certains cas. Les conditions carcérales se sont nettement améliorées, mais, selon certaines informations récentes, des détenus auraient été frappés par des gardiens. Amnesty International a conscience des nombreuses difficultés que rencontrent les autorités haïtiennes dans le processus de réforme d'un système judiciaire entravé par la corruption et l'immobilisme, mais elle est préoccupée par la lenteur avec laquelle s'exerce la justice en ce qui concerne les violations des droits de l'homme perpétrées avant et après le retour du président Aristide. Depuis environ un an, une série d'homicides dont les mobiles demeurent obscurs ont été commis. Au nombre des victimes figurent des personnes provenant de l'ensemble de l'éventail politique. La plupart de ces affaires feraient actuellement l'objet d'une enquête. Amnesty International n'a recueilli aucun élément de poids tendant à prouver que le gouvernement est impliqué dans ces homicides, mais le fait que jusqu'à présent les responsables ont été si peu nombreux à être arrêtés et traduits en justice donne à penser que l'impunité sévit toujours – en dépit des déclarations d'intention répétées des autorités. De plus, le non-exercice de la justice par le système judiciaire a semble-t-il fait naître un sentiment de frustration parmi la population, et il est arrivé que des foules déchaînées laissent libre cours à leur esprit de vengeance et fassent justice elles-mêmes en perpétrant des homicides. Les autorités ne semblent guère se préoccuper de traduire les responsables en justice ni d'empêcher de tels meurtres.

En dépit des déclarations d'intention du président Aristide, rares ont été les affaires d'atteintes aux droits de l'homme perpétrées par le passé à être jugées. Lors du retour du président en Haïti, les autorités haïtiennes et la FMN n'ont pas outre mesure cherché à s'assurer que les membres des forces armées et des groupes paramilitaires responsables de violations des droits de l'homme sous la junte faisaient l'objet d'une action en justice appropriée, ni à les désarmer de façon systématique. Quelques affaires d'une grande gravité font actuellement l'objet d'une enquête, mais, jusqu'à présent, rares sont les procédures de jugement qui ont eu lieu. Deux de ces affaires – particulièrement importantes – sont arrivées jusqu'au procès, mais les 20 accusés à l'exception d'un seul ont été jugés et condamnés par contumace.

Amnesty International exhorte le président Préval à prendre de toute urgence un certain nombre de mesures pour accélérer la réforme judiciaire, de façon à ce que la justice soit rendue dans toutes les affaires – antérieures et postérieures au retour du président Aristide en Haïti –, en conformité avec la législation haïtienne et le droit international ; à veiller à ce que l'ensemble des membres des forces de sécurité soient convenablement formés et connaissent bien, afin de s'y conformer, les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme – dont le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois et les Principes de base sur le recours à la force et à l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois adoptés par les Nations unies –, ainsi que les textes de loi haïtiens relatifs aux procédures de perquisition et de détention ; à immédiatement suspendre de ses fonctions, en attendant qu'une enquête soit menée par une instance indépendante appropriée, tout membre des forces de sécurité ou de l'administation judiciaire ou pénitentiaire soupçonné d'avoir violé les droits de l'homme ; enfin, à ratifier la Convention de l'ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L'Organisation appelle la communauté internationale à ne pas relâcher son soutien aux efforts que déploie le gouvernement haïtien pour mettre sur pied des institutions qui veilleront au respect des droits de l'homme, pour privilégier les projets visant à consolider le système judiciaire et pour faire en sorte que les responsables de violations des droits de l'homme commises par le passé soient traduits en justice. Compte tenu de la nature encore fragile des institutions haïtiennes et de la permanence d'un potentiel de violences de toutes sortes, Amnesty International considère que les Nations unies et l'Organisation des États américains (OEA) devraient maintenir leur Mission civile internationale en Haïti (MICIVIH). Amnesty International estime que cette mission, déployée en Haïti pendant la majeure partie du temps depuis 1993, devrait continuer le plus longtemps possible à surveiller la situation des droits de l'homme sur le terrain. Au moment de la rédaction du présent document, il était prévu que la mission quitterait Haïti au mois de février 1996.IntroductionLe président Jean-Bertrand Aristide, renversé par un coup d'État militaire au mois de septembre 1991, est rentré en Haïti au mois d'octobre 1994 pour y terminer son mandat présidentiel, après que les responsables du coup d'État eurent accepté de quitter le pouvoir suite à l'arrivée dans le pays, le 18 septembre 1994, d'une Force multinationale (FMN) sous commandement des États-Unis. Entre le mois de septembre 1991 et le mois d'octobre 1994, le pays avait été gouverné de facto par le général Raoul Cédras, alors commandant en chef des Forces armées d'Haïti (FADH), et par le chef de la police de Port-au-Prince, Michel François. Les partisans du président Aristide et les autres opposants au régime militaire avaient été victimes de violations des droits de l'homme flagrantes et systématiques, dont des "disparitions", des exécutions extrajudiciaires et des actes de torture. Des informations ont également fait état de nombreux cas de viols, commis pour des motifs politiques, dont auraient été victimes des femmes et des mineurs. Aux termes d'un accord de dernière minute entre le gouvernement des États-Unis et les autorités haïtiennes de facto, celles-ci avaient accepté de ne s'opposer ni à la venue en Haïti de la FMN ni au retour du président Aristide le 15 octobre 1994 et d'abandonner le pouvoir dès qu'une amnistie serait prononcée. Avant la fin du mois d'octobre, un décret d'amnistie couvrant les « infractions politiques » commises sous la junte était promulgué et les principaux responsables du coup d'État avaient pris le chemin de l'exil.

Dès que les responsables du coup d'État ont quitté Haïti, le nombre de violations des droits de l'homme a fortement diminué. Celles-ci n'ont cependant pas totalement cessé, notamment dans les campagnes, toujours contrôlées par les chefs de section (chefs de la police rurale sous le commandement de l'armée) et les membres du Front pour l'avancement et le progrès d'Haïti (FRAPH), groupe para militaire qui opérait en étroite collaboration avec l'armée. De nombreuses personnes compromises avec le régime militaire ont quitté le pays ou se sont cachées, mais beaucoup d'autres ont continué à vivre au grand jour en Haïti. Les autorités haïtiennes et la FMN n'ont pas outre mesure cherché à s'assurer que les responsables de violations des droits de l'homme sous la junte faisaient l'objet d'une action en justice appropriée, ni à les désarmer de façon systématique. Certains membres des forces armées et des groupes paramilitaires ont cependant été arrêtés par la FMN – dans le cadre d'affaires relatives à des atteintes aux droits de l'homme passées ou d'affaires pénales en cours –, mais la plupart ont été relâchés peu de temps après. Vingt-six d'entre eux – dont deux anciens gardes du corps du général Cédras et un ancien commandant militaire départemental – ont été remis aux autorités haïtiennes au mois de janvier 1995, mais tous ont également été relâchés. Les informations communiquées à leur sujet par la FMN n'auraient pas été suffisantes pour que des poursuites soient engagées. Un porte- parole de l'ambassade des États-Unis a déclaré à l'époque que la FMN ne considérait plus que ces hommes constituaient une menace. Cependant, les autorités haïtiennes ont immédiatement lancé un programme de réformes institutionnelles importantes – relatives, en particulier, aux forces de sécurité et aux prisons et, dans une moindre mesure, au système judiciaire. Ces réformes, décrites dans le présent document, ont amélioré de façon significative la situation des droits de l'homme en Haïti.

Malgré tout, de graves problèmes subsistent, notamment en ce qui concerne l'administration de la justice. On déplore notamment la timidité des efforts qui ont été faits jusqu'à présent pour traduire en justice les responsables de violations des droits de l'homme commises par le passé.

Au mois de mars 1995, la Force multinationale (FMN) sous commandement des États-Unis a été remplacée par la Mission des Nations unies en Haïti (MINUHA), constituée de 6 000 soldats et 900 policiers de 37 pays, ainsi que de techniciens. Le mandat de la MINUHA expire au mois de février 1996. C'est alors que le président Aristide cédera la place à René Préval, candidat du mouvement Lavalas[1] et vainqueur incontesté du premier tour de scrutin de l'élection présidentielle qui s'est tenue le 17 décembre 1995. Aux termes de la Constitution haïtienne, le président Aristide ne pouvait briguer un second mandat. On s'attend à ce que le nouveau président poursuive les réformes qui ont été engagées par son prédécesseur.

Au mois d'octobre 1994, la Mission civile internationale en Haïti (MICIVIH) – organisée conjointement par l'Organisation des États américains (OEA) et les Nations unies –, qui avait dû quitter Haïti à deux reprises après y avoir été déployée à l'origine en 1993, a pu retourner dans le pays. Au mois de septembre 1995, elle totalisait 134 observateurs des droits de l'homme répartis dans 12 bureaux régionaux couvrant les neuf départements haïtiens. Au moment de la rédaction du présent document, il était également prévu que cette mission se retire à la fin du mois de février 1996. Depuis son retour en Haïti, la MICIVIH a veillé au respect et au développement des droits de l'homme dans le pays. Les autorités haïtiennes ont pu en outre bénéficier de ses conseils et de ses compétences pour la mise sur pied des institutions indispensables à la défense des droits de l'homme. La MICIVIH a également contribué aux travaux de la Commission nationale de Vérité et de Justice (voir plus bas) et mené des actions de surveillance relatives aux droits de l'homme lors des élections – locales, législatives et présidentielle. La MICIVIH comme la MINUHA ne peuvent rester en Haïti que sur la demande du gouvernement haïtien. Au moment de la rédaction du présent document, aucune requête en ce sens ne semblait avoir été faite auprès des Nations unies. Le secrétaire général de l'ONU, Boutros Boutros Ghali, a affirmé dans son rapport sur la situation de la démocratie et des droits de l'homme en Haïti (A/49/926, 29 juin 1995) qu'il n'hésiterait pas à recommander le prolongement du mandat de la MICIVIH jusqu'au mois de juillet 1996. Compte tenu de la nature encore fragile des institutions haïtiennes et de la résurgence toujours possible de la violence dans le pays, Amnesty International considère que les Nations unies et l'OEA devraient chercher à maintenir le plus longtemps possible un programme effectif de surveillance des droits de l'homme sur le terrain.1. Les initiatives gouvernementales et les développements récentsLes forces de sécurité et les groupes paramilitairesL'une des premières mesures prises par le président Aristide après son retour a été de réduire les effectifs des Forces armées d'Haïti (FADH) et d'opérer une séparation entre les pouvoirs de la police et ceux de l'armée. Les chefs de section, de sinistre réputation, ont en théorie été supprimés. Avec le concours de l'International Criminal Investigations and Training Assistance Program (ICITAP) du ministère de la Justice des États-Unis, une force de police de transition, appelée Force de la police intérimaire de la sécurité (FPI), a été mise sur pied pour travailler sous le contrôle de "moniteurs internationaux de police". Cette force était essentiellement composée de quelque 3 500 anciens soldats, ex- membres précisément de cette armée qui avait perpétré des violations des droits de l'homme au cours des trois années précédentes. Bien des gens ont été préoccupés par le fait que tout n'avait pas été mis en œuvre pour que des hommes considérés comme ayant porté atteinte aux droits de l'homme ne soient pas admis dans la police intérimaire. Les effectifs de la FPI devaient être progressivement réduits, au fur et à mesure que grossissaient les rangs des nouvelles recrues fraîchement émoulues de l'Académie nationale de la police – inaugurée au mois de février 1995. Au mois de juin 1995, la première promotion de cadets de la police est sortie de l'Académie et a formé l'embryon de la nouvelle Police nationale d'Haïti (PNH), qui dépend du ministère de la Justice. Pour accélérer la formation des recrues haïtiennes, l'ICITAP a peu de temps après organisé des sessions ad hoc aux États-Unis. Au mois de décembre 1995, près de 3 000 policiers supplémentaires avaient été déployés. Le 6 décembre, le président Aristide a signé un décret présidentiel ordonnant la dissolution des derniers 750 membres de la FPI. Une centaine d'entre eux, considérés comme « the most effective members » ["les membres les plus efficaces", en anglais dans l'original], ont été transférés dans les rangs de la PNH, tandis que 225 autres étaient destinés à devenir des gardes non armés au palais national. Un code de déontologie a été établi pour la PNH et une nouvelle fonction – inspecteur général de la police – a été créée pour mener des enquêtes au sujet des infractions qui pourraient être commises par les policiers.

Au cours des derniers mois, un certain nombre d'informations relatives à des faits dans lesquels seraient impliqués des membres de la police ont été communiquées à Amnesty International. Ces fonctionnaires auraient fait un usage abusif de leur arme à feu, soit dans l'exercice de leurs fonctions, soit alors qu'ils n'étaient pas en service, provoquant parfois la mort de la victime. Sont incriminés non seulement des membres de la police intérimaire, mais aussi des membres de la nouvelle force de police dont le déploiement a débuté en juin 1995. Une enquête a eu lieu dans certains cas, durant laquelle les policiers concernés ont été suspendus de leurs fonctions. Cependant, on ne sait pas très bien jusqu'à présent quelle procédure disciplinaire ou judiciaire a été engagée à leur encontre, si tant est qu'il y en ait eu.

Un quartier pauvre de Port-au-Prince, connu sous le nom de Cité Soleil, a récemment été le théâtre d'un événement de ce genre. Le 23 novembre 1995, un policier de la PNH, qui d'après certaines informations n'était pas en service, a ouvert le feu contre un autobus au cours d'une altercation avec le chauffeur. Une fillette de six ans a été tuée. Des membres de la FPI – épaulés par des membres du personnel de l'ONU – ont dû pénétrer dans la cité pour aller à la rescousse du policier. Le poste de police du quartier, assiégé par les habitants révoltés par ce qui venait de se passer, a également dû être secouru. Au cours des heurts qui ont suivi la mort de la fillette, trois autres civils au moins ont été tués, dans des circonstances qui n'ont pas encore été élucidées. Toutefois, selon certaines informations, la FPI ne serait pas étrangère à ces décès. Selon des sources policières, trois policiers auraient été blessés. Jusqu'à présent, on ne sait pas exactement si des poursuites ont été engagées par les autorités haïtiennes à l'encontre du fonctionnaire responsable de la mort de la fillette ou à l'encontre de ceux qui auraient outrepassé leurs pouvoirs au cours des troubles qui se sont ensuivis.

Pour tenter de pallier l'absence de sécurité régnant dans beaucoup de régions, notamment au cours des premiers mois qui ont suivi le retour du président Aristide, des volontaires civils ont constitué des brigades de vigilance dans nombre de communautés. Ces brigades ont été mises sur pied avec les encouragements des autorités haïtiennes et, parfois, avec le concours de la FMN. Certaines d'entre elles sont bien organisées et travaillent de concert avec les autorités locales. Il arrive que d'autres, en revanche, préfèrent prendre les choses en main elles-mêmes et s'abstiennent de signaler les problèmes à la police. Des suspects de droit commun ont ainsi été tués. D'une étude récente de la MICIVIH consacrée aux brigades de vigilance il ressort que ces structures – qui ont vu le jour parce qu'une population sans défense a éprouvé le besoin de se protéger – continueront à exister tant que la police haïtienne sera perçue comme insuffisante.

Amnesty International considère que le gouvernement haïtien et la MINUHA devraient surveiller de près les activités des brigades de vigilance et prendre des mesures pour s'assurer qu'elles soient dûment formées, qu'elles opèrent sous le contrôle des autorités dans le strict respect de la voie hiérarchique et que des comptes leur soient demandés en cas d'atteintes aux droits de l'homme. Virtuellement, les Forces armées d'Haïti (FADH) n'existent plus. Au début de l'année 1995, une commission militaire avait été constituée afin d'étudier l'avenir de l'institution et celui des 1 500 soldats qui théoriquement en dépendaient toujours. Toutefois, au mois d'avril 1995, le président Aristide a annoncé qu'il avait l'intention de présenter à l'Assemblée nationale un amendement constitutionnel visant à dissoudre totalement l'armée. Au moment de la rédaction du présent document, le Parlement – où les députés progouvernementaux bénéficient d'une confortable majorité – doit débattre la question. On s'attend à ce que le projet soit approuvé. Entre-temps, la démobilisation officielle de ce qui restait de la FADH avait été programmée pour le 31 décembre 1995. Compte tenu de l'éventuelle menace que pouvaient représenter pour la sécurité les anciens membres de la FADH et de la FPI si un autre emploi ne leur était pas trouvé, les autorités se seraient penchées sur une proposition visant à intégrer certains d'entre eux dans des unités spéciales chargées d'assurer la sécurité dans les prisons, ainsi qu'à l'aéroport et à la frontière.

Au mois d'octobre 1994, une loi interdisant l'existence des groupes paramilitaires a été promulguée. Le plus célèbre de ces groupes était le FRAPH, mais le texte de loi n'a cité aucun nom. Financer, organiser, entretenir de quelque manière que ce soit une structure armée autre que celles autorisées par la Constitution et la législation haïtiennes est désormais prohibé. À son arrivée en Haïti, la FMN a investi à Port-au-Prince le quartier général du FRAPH – qui à l'époque prétendait être un parti politique légitime. À la fin de 1994, les autorités haïtiennes ont décerné un mandat d'arrêt à l'encontre de l'ancien dirigeant du FRAPH, Emmanuel Constant, ainsi qu'à l'encontre de son adjoint, Louis Jodel Chamblain – dans le cadre, semble-t-il, d'une enquête judiciaire relative à l'implication du FRAPH dans des atteintes aux droits fondamentaux. Les deux hommes se sont enfuis à l'étranger. Au mois de mars 1995, les autorités haïtiennes ont demandé aux États-Unis d'extrader Emmanuel Constant. Un tribunal américain a ordonné son extradition vers Haïti au mois d'août 1995, mais l'ex-responsable du FRAPH a fait appel de cette décision. Il a ensuite renoncé à présenter un recours et, au moment de la rédaction du présent document, les États-Unis seraient en train de prendre des dispositions pour le renvoyer en Haïti. Selon certaines informations, les autorités haïtiennes prépareraient son procès, mais les charges à son encontre n'ont pas été précisées.

Beaucoup de gens pensent qu'Emmanuel Constant était à la solde de la Central Intelligence Agency (CIA) des États-Unis pendant le coup d'État et sous la junte, et l'intéressé lui-même le revendique. À l'occasion d'une action en justice intentée contre Emmanuel Constant par Alerte Balance, Haïtienne vivant aux États-Unis, qui réclamait des dommages et intérêts pour une agression dont elle aurait été victime de la part du FRAPH en 1993, il est apparu que les autorités des États-Unis étaient en possession de quelque 60000 pages de documents pris dans les locaux du FRAPH par la FMN au mois d'octobre 1994. Cité à comparaître par des avocats américains, le ministère de la Défense des États-Unis a admis qu'il était en train de réexaminer la classification de ces documents. Au mois d'octobre 1995, le sénat haïtien a demandé à des organisations internationales de défense des droits de l'homme de l'aider à récupérer ces documents, considérés comme indispensables pour toutes poursuites contre les membres du FRAPH, ainsi que pour les travaux de la Commission nationale de Vérité et de Justice (voir plus bas). Au mois de décembre 1995, un porte-parole du Département d'État américain a déclaré que les documents seraient remis aux autorités haïtiennes après examen – et suppression des noms des citoyens des États-Unis. Le porte-parole n'a pas exclu que Washington conserve certains de ces documents.

Lorsque la junte a quitté le pouvoir au mois d'octobre 1994, les nouvelles autorités n'ont pas engagé de procédures appropriées à l'encontre des responsables de violations des droits de l'homme et n'ont pas non plus immédiatement mis en place un véritable programme de désarmement. Beaucoup de gens estiment que, de ce fait, elles ont contribué à l'émergence de gangs armés, notamment dans les quartiers pauvres, tels que la Cité Soleil. Un gang connu sous le nom d'Armée rouge est considéré comme largement responsable des violences qui ont eu lieu dans la Cité Soleil à la suite de la fusillade policière du mois de novembre 1995. Au mois de décembre 1995, le chef de la police locale a déclaré qu'il estimait les effectifs de ce gang dans la cité à quelque 200 membres, répartis en petites cellules, et que la plupart n'étaient mûs que par l'appât du gain. Toutefois, d'après les habitants du quartier, la majorité de ces hommes armés seraient d'anciens "attachés" (auxiliaires civils armés des forces de sécurité sous la junte) et d'anciens membres du FRAPH qui auraient mis à profit l'impopularité de la police pour provoquer des troubles. Des jeunes du quartier, progouvernementaux, qui ont protesté contre la fusillade policière du mois de novembre, ont déclaré qu'ils n'étaient pas contre la police en tant que telle, mais qu'elle ne leur inspirerait confiance que lorsqu'elle cesserait de compter d'anciens soldats dans ses rangs. Le système pénitentiaireAvec le concours de la MINUHA, du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), ainsi que d'organisations pour le développement étrangères, le gouvernement haïtien a lancé un projet de réforme du système pénitentiaire. Au mois de mai 1995, il a établi, dans les locaux du ministère de la Justice, l'Administration pénitentiaire nationale (APENA), un organe civil chargé de surveiller le fonctionnement des prisons haïtiennes. Quoique toujours médiocres par rapport aux normes internationales, les conditions carcérales dans le pays se sont peu à peu sensiblement améliorées. Toutefois, la surpopulation – essentiellement due à la lenteur de la procédure judiciaire – est toujours préoccupante et a provoqué des tensions dans certaines prisons. En revanche, des progrès auraient été globalement enregistrés en ce qui concerne les conditions sanitaires, l'alimentation et les soins médicaux. Cependant, le 14 décembre 1995, la MICIVIH a signalé que 10 détenus du Pénitencier national étaient morts entre le 22 octobre et le 25 novembre d'une maladie provoquée par la malnutritution et l'insuffisance de lumière. À présent, toutes les prisons tiendraient à jour la liste des détenus, ce qui était rarement le cas auparavant. En dépit de ces améliorations, Amnesty International est préoccupée par des informations récentes faisant état de mauvais traitements dont auraient été victimes des prisonniers.

Jusqu'à présent, aucun élément probant ne permet d'affirmer que la torture est utilisée, comme c'était le cas auparavant, pour arracher des aveux, mais, selon certaines informations, il arriverait que des gardiens passent à tabac des détenus pour des raisons de discipline. Selon la MICIVIH, plusieurs affaires de mauvais traitements survenues au mois d'août et au mois de septembre 1995 auraient fait l'objet d'une enquête de la part des autorités compétentes et, dans certains cas, des mesures disciplinaires auraient été prises à l'encontre des responsables. La MICIVIH a également signalé que 20 mineurs – âgés de douze à dix-sept ans – détenus dans la prison de Fort national, à Port-au-Prince, auraient été passés à tabac le 28 novembre après qu'une bagarre eut éclaté entre eux. À la suite d'une enquête et d'un examen médical des victimes, la MICIVIH a conclu que le personnel pénitentiaire avait eu recours à des moyens disproportionnés, non justifiés par les circonstances, pour rétablir l'ordre. La MICIVIH a en effet établi qu'outre les coups qu'ils avaient distribués les gardiens avaient dégoupillé des grenades lacrymogènes dans une cellule surpeuplée et qu'ils avaient tiré un coup de semonce en l'air. Quelques jours plus tard, le 8 décembre, deux autres mineurs auraient été passés à tabac dans la même prison, après avoir été rattrapés à l'issue d'une tentative d'évasion. On ne sait quelles mesures ont été prises à l'encontre des gardiens qui auraient pratiqué ces passages à tabac, si tant est que des mesures aient été prises. La MICIVIH a recommandé au gouvernement haïtien de doter l'APENA d'un code de déontologie et d'édicter un règlement relatif au maintien de l'ordre dans les prisons. La MICIVIH a également vivement recommandé aux bailleurs de fonds internationaux, la question étant urgente, de continuer de soutenir les efforts fournis par les autorités haïtiennes pour trouver des solutions à court et à moyen terme aux graves problèmes qui subsistent dans les prisons du pays. La réforme du système judiciaireLes progrès dans ce domaine sont plus lents que dans d'autres, l'un des principaux problèmes en Haïti étant la pénurie de personnel judiciaire expérimenté et convenablement formé. Certes, quelques juges et commissaires du gouvernement (procureurs) ont été remplacés et les traitements ont été améliorés. Cependant, il semblerait que le système soit toujours gangrené par la corruption et l'inefficacité. Les ressources font tellement défaut que certaines zones rurales sont pour ainsi dire dépourvues de toute structure judiciaire. Là où il y a des juges et du personnel, le travail pâtit souvent du manque de matériel, y compris le plus élémentaire. Pour remédier à cette situation, des institutions de l'ONU et des gouvernements étrangers apportent leur concours. Le gouvernement des États-Unis a promis de verser 18 millions de dollars sur cinq ans pour financer la réforme du système judiciaire. Au mois de juillet 1995, les autorités haïtiennes ont créé l'École nationale de la magistrature. De plus, quelques juges et commissaires du gouvernement ont été envoyés en France pour y être formés et, au mois de décembre, un accord a été signé avec le gouvernement canadien, ce dernier s'engageant à fournir une aide supplémentaire, notamment en matière de formation. D'autres initiatives ont été prises dans le domaine de la justice. Une nouvelle fonction a ainsi été créée, celle de Protecteur des citoyens et citoyennes. Il s'agit d'une sorte de médiateur chargé de mener des enquêtes en cas de violations des droits de l'homme commises par les fonctionnaires de l'État. Par ailleurs, il a été annoncé que 20 p. cent du budget du ministère de la Justice alimenterait un fonds d'indemnisation destiné aux victimes d'atteintes aux droits de l'homme sous la junte. Toutefois, en dépit de ces mesures positives, de graves problèmes continuent d'entraver l'administration de la justice en Haïti.

Dans l'ensemble, des progrès très nets ont cependant été enregistrés en ce qui concerne les procédures de détention. Aux termes de la législation haïtienne, les cas de flagrant délit mis à part, il ne peut être procédé à une arrestation ou à une perquisition au domicile sans un mandat décerné par un juge de paix, et ce seulement entre 6 h 00 et 18 h 00. Tous les détenus doivent comparaître devant un magistrat dans les quarante-huit heures qui suivent leur arrestation. Selon des informations récentes, il semblerait qu'à la fin de l'année 1995 ces dispositions étaient généralement respectées. Amnesty International a cependant continué à recevoir de temps à autre des informations faisant état d'arrestations et de perquisitions nocturnes, parfois opérées sans mandat. Ce fut notamment le cas de certaines perquisitions et arrestations menées dans le cadre de l'opération de désarmement ordonnée par le président Aristide au mois de novembre 1995, à la suite du meurtre, par des tueurs non identifiés, de son cousin, député à l'Assemblée nationale, Jean Hubert Feuillé. Au mois de décembre 1995, l'Organisation a également commencé à recevoir des informations préoccupantes : en dépit des ordres reçus, certains fonctionnaires de police exerceraient leurs fonctions en civil, sans uniforme ni badge permettant à la population de les identifier, et utiliseraient parfois des véhicules banalisés. Amnesty International considère que la police haïtienne ne pourra gagner la confiance de l'ensemble de la population qu'en respectant la loi en tout temps et en tout lieu, et en adoptant la plus grande transparence possible.

Si, en général, les procédures de détention semblent être mieux respectées au moment de l'arrestation, bien des détenus croupissent ensuite en prison pendant des semaines, voire des mois, parce que le système judiciaire ne procède pas à l'instruction de leur affaire. La MICIVIH a signalé au mois de décembre 1995 qu'une enquête avait révélé que les dossiers de plusieurs femmes et de plusieurs mineurs détenus dans la prison de Fort national étaient vides et que, par conséquent, rien ne justifiait leur maintien en détention. La MICIVIH a demandé au ministère de la Justice de donner l'ordre aux autorités compétentes de mettre immédiatement un terme à toutes les détentions illégales ou arbitraires. Il a aussi recommandé que les commissaires du gouvernement et les juges d'instruction se rendent au moins une fois par mois dans les prisons pour réexaminer la situation de chacun des détenus.

La frustration et le manque de confiance dans le cours de la justice sont tels qu'à plusieurs reprises des personnes ont fait justice elles-mêmes. Des dizaines de cas de ce genre ont été signalés, notamment au début de l'année 1995, et de nouveau plus récemment. C'est ainsi que des citoyens ordinaires ont tué ou tenté de tuer, souvent spontanément, des gens qu'ils pensaient coupables de graves infractions, dont des atteintes aux droits de l'homme commises sous les gouvernements précédents. Les autorités du pays ont publiquement condamné ces agissements, connus sous le nom de "déchoukage"[2], mais, la plupart du temps, peu d'efforts sont faits pour arrêter et traduire en justice ceux qui s'y livrent. Afin de prévenir d'autres actes de "déchoukage", Amnesty international considère que les autorités, à tous les niveaux, doivent faire concrètement savoir que ces actes ne sauraient être tolérés – en s'assurant que des mesures appropriées, en conformité avec la législation haïtienne, sont prises à l'encontre des responsables et en proclamant publiquement au préalable leur intention de le faire.

La plupart du temps, les enquêtes officielles concernant les infractions graves, y compris les éventuelles atteintes aux droits de l'homme, sont très lentes. Au cours de l'année dernière, un certain nombre d'homicides ont été commis. Beaucoup d'entre eux relevaient en apparence du droit commun, mais, pour quelques-uns, un mobile politique ne peut être écarté. Des partisans du gouvernement comme des opposants ont été recensés parmi les victimes. Dans plusieurs cas, les méthodes employées donnent à penser que les tueurs étaient des professionnels. Il semblerait que la plupart de ces affaires fassent actuellement l'objet d'une enquête, mais rares sont les responsables qui ont été arrêtés et traduits en justice. Un journaliste américain, qui a déclaré tenir ses informations des services de renseignements militaires des États-Unis, a soutenu que 80 homicides à caractère politique avaient été perpétrés en Haïti par les partisans du président Aristide depuis le mois d'octobre 1994. Un porte-parole de l'ambassade des États-Unis à Port-au-Prince a répliqué que rien ne prouvait que ces crimes étaient effectivement des homicides à caractère politique commis par les partisans du président. Dans un communiqué de presse publié le 12 septembre 1995, la MICIVIH a signalé que 20 exécutions « de style commando » et ne semblant pas avoir le vol pour mobile avaient été recensées depuis le début de l'année. La MICIVIH relevait qu'au nombre des victimes figuraient d'anciens membres du FRAPH, des "attachés", ainsi que des hommes et des femmes d'affaires, mais a ajouté qu'aucun élément n'avait jusqu'alors permis d'établir un rapprochement entre ces crimes et que les tueurs n'avaient pas été identifiés. La MICIVIH a exhorté les autorités haïtiennes à renforcer les moyens de la police et de la justice en matière d'enquête, de façon à ce que de tels crimes ne restent pas impunis. Au mois d'octobre, une unité spéciale aurait été mise sur pied par le ministère de la Justice pour enquêter sur ce type d'affaires.

La seule affaire dans laquelle un représentant du gouvernement a été mis en cause de façon spécifique est un double meurtre survenu le 28 mars 1995 à Port-au- Prince : celui de Mireille Durocher Bertin – avocate, femme politique de droite et éminente opposante du président Aristide – et celui de son client Eugène Baillergeau. Le gouvernement haïtien a chargé une commission constituée de fonctionnaires de la police intérimaire et dirigée par le commandant James Jean- Baptiste de mener une enquête sur cette affaire. Il a également demandé le concours du gouvernement des États-Unis, qui a envoyé une équipe de détectives du Federal Bureau of Investigation (FBI) pour aider la police haïtienne. Des articles parus dans la presse lors des homicides indiquaient que Mireille Durocher Bertin avait été avertie par des représentants du gouvernement qu'un complot se tramait dans l'intention de la tuer, mais elle aurait refusé leur offre de protection. D'après certains articles, qui auraient eu pour source les services de renseignements militaires des États-Unis, les deux meurtres auraient été commandités par le ministre de l'Intérieur de l'époque, Mondésir Beaubrun. Ultérieurement, il a été avancé que l'affaire avait quelque chose à voir avec le trafic de drogue. Sept personnes qui avaient été arrêtées dans le cadre de l'enquête – certaines d'entre elles l'ayant été avant même que les meurtres ne soient commis – ont été mises en liberté sous caution au mois de septembre 1995. À la connaissance d'Amnesty International, l'enquête n'a pas permis d'établir si des représentants du gouvernement étaient impliqués dans cette affaire, ni d'identifier et de traduire en justice les responsables.

L'Organisation est préoccupée par le fait qu'aucun progrès n'a été enregistré en ce qui concerne la comparution devant les tribunaux des responsables de meurtres tels que celui de Mireille Durocher Bertin. Amnesty International considère que cette carence ne peut que conforter dans leur sentiment les Haïtiens, qui nombreux déjà et toutes tendances politiques confondues, estiment qu'ils ne peuvent compter sur l'État concernant l'administration de la justice.La Commission nationale de Vérité et de JusticeLa Commission nationale de Vérité et de Justice a été créée par décret présidentiel au mois de décembre 1994, puis officiellement inaugurée au mois de mars 1995. Sa mission était « d'établir globalement la vérité sur les plus graves violations des droits de l'homme commises entre le 29 septembre 1991 et le 15 octobre 1994 à l'intérieur et à l'extérieur du pays et d'aider à la réconciliation de tous les Haïtiens, et ce, sans préjudice aux recours judiciaires pouvant naître de telles violations ». Elle devait également tenter d'identifier les responsables de ces violations, recommander de justes réparations pour les victimes et proposer des réformes des institutions ainsi que des mesures visant à empêcher la résurgence d'organisations illégales. La commission est présidée par la sociologue haïtienne Françoise Boucard et composée de six autres experts – trois Haïtiens et trois étrangers. Son mandat, de six mois a l'origine, a été prolongé de trois mois, et ses conclusions devaient être publiées à la fin du mois de décembre 1995. Pour un certain nombre de raisons, la commission aurait rencontré de sérieuses difficultés dans son travail, ne serait-ce que pour obtenir de l'étranger les fonds nécessaires. La MICIVIH a procuré une assistance technique à la commission – entre autres en matière d'anthropologie légale –, mais n'a pas participé directement à ses travaux ni pris de décisions. Bien qu'au moment de la rédaction du présent document la commission n'ait pas encore publié ses conclusions, Amnesty International craint qu'elle n'ait pas eu suffisamment de temps ni de moyens pour traiter de façon satisfaisante bien des questions relevant de son mandat. 2. La question de l'impunité« Nous allons préparer le café de la réconciliation à travers le filtre de la justice », telles ont été les paroles du président Aristide à son retour en Haïti. Tout en demandant aux Haïtiens de se montrer patients, et sans nier la lenteur de la justice, il les a par la suite à plusieurs reprises exhortés à déposer des plaintes en bonne et due forme contre les personnes soupçonnées d'avoir commis des atteintes aux droits de l'homme dans le passé et il leur a demandé de dénoncer les fonctionnaires corrompus. Des bureaux spéciaux appelés "bureaux de doléances" ont été ouverts en certains endroits pour enregistrer ces plaintes. Toutefois, à la connaissance d'Amnesty International, rares sont jusqu'à présent les plaintes qui ont fait l'objet d'une enquête appropriée de la part des autorités. Le gouvernement a lui-même annoncé qu'il solliciterait le concours d'une équipe de juristes étrangers pour plusieurs affaires importantes de violations des droits de l'homme perpétrées sous le régime militaire. Cependant, à la connaissance d'Amnesty International, seuls deux procès ont été menés jusqu'à leur terme à ce jour (voir plus bas).

Le système judiciaire et les moyens d'enquête de la police doivent manifestement être renforcés de toute urgence de façon à garantir – dans le présent et dans l'avenir – le respect des droits de l'homme en Haïti. Il est cependant tout aussi important de traduire en justice – dans les meilleurs délais possibles – les responsables de violations des droits de l'homme commises dans le passé, non seulement sous le général Cédras, mais également sous les gouvernements antérieurs. Le 15 mars 1995, le président Aristide a déclaré, lors d'une conférence de presse, que demander aux États-Unis d'extrader le dirigeant du FRAPH, Emmanuel Constant, afin qu'il soit jugé en Haïti était « une façon pour le gouvernement de montrer ce que la justice signifie [pour les Haïtiens] ». Il a ainsi poursuivi : « Nous ne voulons pas que l'impunité se répande dans l'ensemble du pays. Nous rejetons l'impunité, tout comme nous rejetons la vengeance et la violence. L'impunité, cela signifie que je peux tuer des gens sans que la justice me punisse. Nous voulons construire un système fondé sur la loi, qui soit à même d'interroger les personnes tenues pour responsables, afin qu'ensuite les tribunaux rendent leur jugement. » [3] En dépit des déclarations d'intention du président Aristide, peu de progrès ont été enregistrés à ce jour en ce qui concerne la traduction en justice des personnes ayant commis des violations des droits de l'homme. Les problèmes généraux que connaît le système judiciaire sont en partie responsables de cet état de choses, mais il semblerait que certains magistrats redoutent de juger de telles affaires par crainte de faire l'objet de représailles, en particulier lorsque les forces de l'ONU quitteront le pays. Il semblerait aussi que la volonté politique fasse en réalité défaut dans ce domaine, notamment au niveau de la magistrature et de la police. Seules deux des affaires pour lesquelles le gouvernement avait sollicité le concours de juristes étrangers ont débouché sur une procédure de jugement : l'affaire relative au décès, à la suite d'actes de torture, de Jean-Claude Museau, en 1992, et celle relative à l'exécution extrajudiciaire d'Antoine Izméry, survenue au mois de septembre 1993 (voir plus bas). Dans ces deux affaires, la plupart des personnes tenues pour responsables ont été jugées par contumace et un seul homme est actuellement en train de purger une peine d'emprisonnement. Il semblerait qu'un certain nombre d'affaires moins importantes aient été jugées dans les départements à la suite de plaintes déposées par les victimes ou leur famille, mais il est difficile d'obtenir des informations détaillées à ce sujet. Des enquêtes relatives à quelques affaires notoires – qui sont également décrites plus bas – sont en cours, mais elles ne progressent guère. Hormis dans l'affaire Emmanuel Constant – dont il a déjà été fait état plus haut –, le gouvernement haïtien n'a pas semble-t-il outre mesure cherché à obtenir l'extradition de ceux qui auraient pris le chemin de l'étranger après avoir perpétré des violations des droits de l'homme sous le général Cédras ou sous les gouvernements antérieurs.

Les exemples qui suivent illustrent quelques-uns des obstacles auxquels se heurtent les personnes qui cherchent à obtenir la traduction en justice de ceux qui auraient violé les droits de l'homme. Au mois de mars 1995, un ancien chef de section de Chenot, près de Marchand Dessalines (département de l'Artibonite), a été arrêté dans le cadre d'une affaire d'atteintes aux droits de l'homme commises dans sa circonscription sous la junte. Des soldats américains l'ont conduit de Marchand Dessalines à la prison de Saint-Marc. Une délégation d'Amnesty International, qui était alors en Haïti, se trouvait précisément à Saint-Marc. Elle a été informée de cette arrestation par des militants des droits de l'homme haïtiens, qui redoutaient que l'homme ne soit relâché ou qu'on le laisse s'échapper – comme cela est déjà arrivé plusieurs fois dans des cas similaires. Les délégués se sont rendus à la prison pour s'assurer de la présence du chef de section, puis ont cherché à obtenir des éclaircissements quant à sa situation au regard de la loi, dans le bureau du commissaire du gouvernement. Plus de quarante-huit heures s'étaient alors écoulées depuis son arrestation. Un fonctionnaire – qui savait pertinemment que l'homme était détenu – leur a répondu que la comparution devant un magistrat n'avait pas eu lieu parce que la police n'avait pas encore notifié de façon officielle l'arrestation. La délégation d'Amnesty International a demandé au fonctionnaire d'appliquer la procédure légale requise. Ce qui s'est passé immédiatement après l'intervention des délégués n'est pas clair. Quoi qu'il en soit, le 4 mai 1995, l'ancien chef de section a été libéré. Selon certaines informations, il aurait fait preuve d'une grande largesse à l'égard des fonctionnaires locaux. Ces pots-de-vin qui auraient été versés ont valu à plusieurs fonctionnaires d'être arrêtés, mais tous ont par la suite été relâchés. On ne sait quelles mesures ont été prises ultérieurement à leur encontre, si tant est qu'il y en ait eu. La libération de l'ancien chef de section a provoqué l'indignation de la population, et Amnesty International a déploré la façon dont avait été traitée l'affaire dans une lettre qu'elle a adressée au ministère de la Justice. Le 4 juillet 1995, l'ancien chef de section a de nouveau été arrêté, puis a été conduit au Pénitencier national, où il serait toujours détenu au moment de la rédaction du présent document. Selon certaines informations, il ferait l'objet d'une enquête pour plusieurs actes de torture et au moins un meurtre.

Les personnes ayant été victimes de violations des droits de l'homme – ou leur famille – qui cherchent à ce que justice soit rendue en s'adressant aux tribunaux haïtiens doivent être certaines que leurs plaintes seront rapidement et correctement instruites. Elles ont besoin d'être sûres que le système judiciaire haïtien est à même de traduire en justice ceux qui ont porté atteinte aux droits de l'homme et que les autorités prendront des mesures pour assurer la protection des plaignants contre d'éventuelles représailles. Les accusés ont, quant à eux, et il convient de ne pas l'oublier, le droit d'être jugés de façon équitable, en conformité avec les normes internationales. Procès de responsables de violations des droits de l'hommeLe 30 juin 1995, le lieutenant Jean Eméry Piram, ancien chef de la police des Cayes, a été condamné par contumace à soixante ans de travaux forcés pour la mort sous la torture d'un enseignant âgé de trente ans – Jean-Claude ("Claudy" ou "Klody") Museau –, au mois de janvier 1992, aux Cayes[4] Jean-Claude Museau avait été arrêté le 30 décembre 1991 pour avoir affiché des portraits du président Aristide. Remis en liberté le 6 janvier 1992, il est mort deux jours plus tard. Avant de mourir, il a trouvé la force de décrire les sévices qui lui avaient été infligés en détention et d'identifier ses tortionnaires. Au mois de janvier 1995, le président Aristide a déclaré qu'un certain nombre d'affaires seraient instruites en priorité par les autorités, dont celle-là. Une plainte avait été déposée par la famille de Jean- Claude Museau à l'encontre de Jean Eméry Piram et de quatre autres personnes – trois soldats et un médecin –, qui auraient été présents lors des sévices. Le juge chargé de l'enquête a considéré qu'il était justifié d'engager des poursuites judiciaires à l'encontre de Jean Émery Piram et des trois soldats, mais les efforts pour les localiser sont restés vains. Finalement, Jean Émery Piram a été le seul à être inculpé et condamné par contumace. Rares sont les éléments ayant fondé la décision de justice qui ont été portés à la connaissance du public.

La seconde affaire ayant débouché sur un procès est celle relative à l'exécution extrajudiciaire d'Antoine Izméry, homme d'affaires et éminent partisan du président Aristide, qui a été abattu le 11 septembre 1993, devant l'église du Sacré Cœur de Turgeau, à Port-au-Prince, où il assistait à une messe commémorant un massacre ayant eu lieu cinq ans auparavant[5] Les tueurs avaient fait irruption dans l'église et avaient contraint Antoine Izméry à les accompagner à l'extérieur avant de le faire s'agenouiller et de lui tirer deux balles dans la tête. Cette affaire faisait également partie de celles qui devaient être instruites en priorité, conformément à l'annonce faite par le président Aristide. Le 25 août 1995, Gérard Gustave, connu sous le nom de "Zimbabwe" et ancien "attaché", a été condamné aux travaux forcés à perpétuité pour l'assassinat d'Antoine Izméry. Le 25 septembre 1995, plusieurs autres personnes – leur nombre s'élèverait à 17 – ont été jugées par contumace dans le cadre de la même affaire. Sept d'entre elles ont été condamnées aux travaux forcés à perpétuité, dont l'ancien chef de la police, Michel François, l'ex-capitaine Jackson Joannis, qui dirigeait à l'époque le Service d'investigation et de recherches antigang de la police de Port-au-Prince, ainsi que l'ex-commandant Marc Kernizan, également en poste au siège de la police aux moments des faits. Tous trois ont été convaincus d'avoir organisé l'assassinat. Le responsable en second du FRAPH, Louis Jodel Chamblain, figurait également parmi les personnes incriminées. Il semblerait que la plupart des accusés vivent actuellement à l'étranger, principalement en République dominicaine, de l'autre côté de la frontière. Aux termes de la législation haïtienne, ils auraient un délai de cinq ans pour revenir en Haïti afin d'y demander un nouveau procès s'ils le souhaitent. En attendant, la cour a ordonné que tous leurs biens soient saisis. Au mois d'octobre 1995, un tribunal de la ville de Jérémie a condamné deux anciens membres du FRAPH – Louis Ylavois et Linus Legagneur – aux travaux forcés à perpétuité pour le meurtre, perpétré en 1993, de Jean-Claude Dimanche, un partisan du président Aristide. Il semblerait que la famille de la victime soit à l'origine de l'action en justice. Affaires faisant l'objet d'une enquête de la part des autorités haïtiennesMassacre d'au moins 200 paysans à Jean-Rabel, le 23 juillet 1987

Selon certaines informations, des mandats d'arrêt auraient été décernés au mois d'août 1995 à l'encontre de huit personnes – dont un important propriétaire terrien –, recherchées dans le cadre de l'enquête sur le massacre de Jean-Rabel. Le 23 juillet 1987, au moins 200 paysans ont été tués dans cette localité et dans les environs, dans le nord d'Haïti, à la suite d'un litige relatif à l'exploitation des terres[6] La plupart des victimes faisaient partie des Tet Ansamn (Têtes ensemble), une association populaire de développement et de défense organisée par l'Église catholique. Un groupe de paysans soutenant les intérêts des grands propriétaires terriens leur aurait tendu une ambuscade, puis les aurait abattues par balle ou massacrées à l'arme blanche. D'après des témoins oculaires, des membres des forces de sécurité auraient assisté au massacre ou y auraient participé. Au début de l'année 1995, un propriétaire terrien impliqué dans le massacre a été arrêté sur présomption de « complot contre la sécurité intérieure de l'État », mais il a été remis en liberté au mois de septembre. On ne sait pas exactement si des charges sont toujours retenues contre lui dans l'une ou l'autre affaire. À la connaissance d'Amnesty International, personne d'autre n'a jusqu'à présent été arrêté dans le cadre du massacre de Jean-Rabel. Voici ce qu'un dirigeant paysan a récemment déclaré à ce sujet : « Nous avons le sentiment que tout le monde y met de la mauvaise volonté, le système judiciaire comme ceux qui sont chargés d'arrêter les gens. » Exécution extrajudiciaire de Guy Malary le 14 octobre 1993

Le 14 octobre 1993, le ministre de la Justice Guy Malary a été abattu à Port-au- Prince, de même que son chauffeur et son garde du corps[7] Leur véhicule, criblé de balles, s'est retourné avant de heurter un mur. Des policiers en uniforme qui sont arrivés sur les lieux ont ordonné aux journalistes de ne faire ni films ni photos alors qu'ils emportaient les cadavres. Peu de temps auparavant, Guy Malary avait été nommé ministre de la Justice par le président Aristide toujours en exil, mais dont le retour au pouvoir était alors prévu pour octobre 1993. Guy Malary avait conçu un programme visant à séparer formellement la police de l'armée dès le retour de Jean-Bertrand Aristide. Il avait de plus participé à des enquêtes relatives à des affaires de violations des droits de l'homme ayant eu un grand retentissement et avait reçu des menaces de mort. L'assassinat de Guy Malary compte parmi les affaires que le gouvernement lui-même désirait voir faire l'objet d'une instruction. Au mois de septembre 1995, un homme soupçonné d'être impliqué dans cet homicide est sorti de prison dans des circonstances controversées. Arrêté quelques mois auparavant dans le cadre d'autres infractions, cet homme avait été ultérieurement interrogé par des juristes aidant le gouvernement haïtien dans l'enquête sur l'affaire Malary.

Officiellement, l'homme a été libéré parce qu'il avait été acquitté des accusations pesant à l'origine sur lui. Le commissaire du gouvernement, Jean-Auguste Brutus, qui avait donné son aval à cet élargissement, a déclaré par la suite que c'était une erreur : il n'aurait pas su que le détenu faisait l'objet d'une enquête pour l'assassinat de Guy Malary. Selon certaines informations, l'homme a été libéré alors qu'il était censé, quelques jours plus tard, faire une déposition devant l'équipe de juristes étrangers aidant le gouvernement, et ce non seulement au sujet de l'assassinat de Guy Malary, mais aussi concernant ceux d'Antoine Izméry et du père Jean-Marie Vincent (voir plus bas). Le ministre de la Justice de l'époque, Jean-Joseph Exumé, aurait déclaré à un journaliste américain que l'homme était sous la protection des États-Unis, qui auraient selon lui payé ses frais de justice et organisé sa libération. Ultérieurement interrogé au sujet de ces affirmations, il se serait refusé à les commenter. Des fonctionnaires américains ont nié que les États- Unis aient eu un lien quelconque avec la libération de cet homme, ajoutant que ce dernier n'entretenait aucune relation avec les autorités américaines à l'époque où Guy Malary avait été assassiné. La police haïtienne chercherait à arrêter de nouveau cet homme – qui serait également recherché pour avoir violé à deux reprises une fille de quatorze ans –, mais on craint qu'il n'ait quitté le pays.

Massacre de civils non armés à Raboteau, près de Gonaïves, le 22 avril 1994

Deux anciens soldats – l'un lieutenant, l'autre capitaine – et un ancien "attaché" auraient été détenus dans le cadre de l'enquête relative au massacre perpétré le 22 avril 1994 dans le bidonville de Raboteau, situé sur la côte, près de Gonaïves[8] Depuis 1991, les habitants de Raboteau n'avaient cessé d'être harcelés par les militaires à cause de leur loyalisme bien connu envers le président Aristide. Le 18 avril 1994, des soldats qui recherchaient un militant ont mis à sac plusieurs maisons et ont passé à tabac et arrêté un certain nombre d'habitants. Ils sont revenus le 22 avril, accompagnés par des membres du FRAPH, et ont ouvert le feu avec des mitrailleuses, contraignant ce faisant les habitants à fuir dans de petites embarcations. Le nombre de morts a été difficile à établir, mais, selon les estimations, il s'inscrirait dans une fourchette allant de 20 à 50 personnes. Une enquête médico-légale a été menée récemment dans la région par la Commission nationale de Vérité et de Justice, avec le concours de la MICIVIH. Des informations récentes ont signalé que l'information judiciaire avait été suspendue pour cause de destitution du juge d'instruction chargé de l'affaire.

Exécution extrajudiciaire du père Jean-Marie Vincent le 28 août 1994

Une enquête relative à l'exécution extrajudiciaire du père Jean-Marie Vincent, perpétrée le 28 août 1994, serait en cours[9] Cette affaire compte parmi celles pour lesquelles le président Aristide avait annoncé que le gouvernement solliciterait le concours de juristes étrangers. Le père Jean-Marie Vincent, partisan et ami proche du président, avait travaillé durant de nombreuses années avec les paysans de la région de Jean-Rabel (voir plus haut). Il a été abattu par plusieurs hommes armés alors qu'il pénétrait dans la résidence des pères montfortains, à Port-au-Prince. Nombreuses sont les personnes qui ont fait observer à l'époque que la police – soupçonnée par beaucoup d'avoir tramé cet assassinat – était arrivée étonnamment vite sur les lieux. À la connaissance d'Amnesty International, aucune arrestation n'a eu lieu jusqu'à présent dans le cadre de cette affaire. 3. Conclusions et recommandationsLa situation des droits de l'homme en Haïti s'est considérablement améliorée depuis le mois d'octobre 1994. Le gouvernement haïtien a à maintes reprises mis l'accent sur son attachement à la justice et a lancé d'importantes réformes destinées à renforcer les institutions haïtiennes ainsi que le respect des droits de l'homme. Amnesty International accueille avec satisfaction les mesures qui ont été mises en oeuvre à ce jour et espère qu'elles seront consolidées. L'Organisation espère également que la communauté internationale continuera à leur apporter son total soutien. Elle ne sous-estime pas les problèmes que rencontrent les autorités haïtiennes et admet qu'il ne serait pas réaliste de demander que du jour au lendemain les choses changent de façon radicale. Ce qui a été accompli jusqu'à présent demande à être renforcé, et les nombreuses contradictions qui caractérisent la situation actuelle doivent disparaître. L'Organisation considère que le gouvernement haïtien devrait chercher à faire tout son possible pour que les responsables de violations des droits de l'homme – perpétrées avant et après le mois d'octobre 1994 – soient traduits en justice. Ce n'est qu'ainsi que les autorités prouveront au peuple haïtien qu'il peut avoir confiance dans la justice de son pays et que l'impunité a cessé d'être la norme en Haïti.

Amnesty International se félicite de ce qui a été entrepris jusqu'à présent par les autorités haïtiennes pour faire passer en jugement les responsables de violations des droits de l'homme. Cependant, l'Organisation déplore le fait que le déroulement des procès décrits plus haut ait manqué de transparence et aimerait obtenir plus de renseignements quant à la procédure suivie. De plus, elle doute de l'efficacité de jugements rendus par contumace, alors qu'apparemment tout n'a pas été mis en œuvre pour tenter de localiser les suspects ou pour tenter d'obtenir l'extradition de ceux ayant pris le chemin de l'étranger. Afin de briser le cercle vicieux de l'impunité et prévenir de nouvelles violations des droits de l'homme, il est indispensable que toutes les mesures nécessaires soient prises – en conformité avec la législation haïtienne et le droit international – pour arrêter les personnes soupçonnées d'avoir porté atteinte aux droits de l'homme, pour les juger équitablement en conformité avec les normes internationales et pour rendre publics dans leur intégralité les faits relatifs à chaque affaire.

Recommandations au gouvernement haïtien

–    Des mesures devraient être prises de toute urgence pour accélérer la réforme judiciaire, de façon à ce que la justice soit perçue comme étant rendue dans toutes les affaires de violations des droits de l'homme, en conformité avec la législation haïtienne et le droit international ;

–    Tout devrait être entrepris par les autorités compétentes pour poursuivre, en conformité avec la législation haïtienne et le droit international, les personnes soupçonnées d'avoir perpétré des violations des droits de l'homme tant avant qu'après le mois d'octobre 1994 ;

–    Les enquêtes sur les violations des droits de l'homme, notamment les "disparitions" et les exécutions extrajudiciaires, devraient être conformes aux normes énoncées par l'ONU dans les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ses exécutions, complétés par le manuel des Nations unies sur le même sujet ;

–    Tous les membres des forces de sécurité haïtiennes devraient être convenablement formés et bien connaître, afin de s'y conformer, les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme – dont le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois et les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois adoptés par les Nations unies ;

–    Le respect de la Constitution et de la législation haïtiennes par les forces de sécurité et le système judiciaire devraient être strictement contrôlé en ce qui concerne l'émission des mandats, la procédure des perquisitions au domicile et le maintien en détention des suspects ;

–    Tout membre des forces de sécurité ou du système judiciaire ne respectant pas les règlements devrait être immédiatement suspendu par les autorités compétentes, puis devrait rapidement faire l'objet d'une enquête menée par un instance indépendante afin que la suite à donner à l'affaire puisse être déterminée ;

–    Tout fonctionnaire soupçonné de violations des droits de l'homme devrait être traduit en justice, en conformité avec la législation haïtienne et les normes internationales ;

–    Les forces de sécurité comme le personnel judiciaire devraient exercer leurs fonctions dans la plus grande transparence possible ;

–    Les brigades de vigilance ne devraient opérer que sous le contrôle des autorités, dans le strict respect de la voie hiérarchique, et des comptes devraient leur être demandés pour toute atteinte aux droits de l'homme ;

–    Pour prévenir de nouveaux actes de "déchoukage", les autorités à tous les niveaux devraient faire concrètement savoir que ces actes ne sauraient être tolérés, en faisant en sorte que les responsables soient traduits en justice – en conformité avec la législation haïtienne – et en publiant des déclarations claires à cet effet ;

–    En conformité avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par Haïti en 1991, ainsi qu'avec l'article 25 de la Constitution haïtienne, il devrait être strictement interdit au personnel pénitentiaire de frapper les détenus ou de leur faire subir toute autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ;

–    Tout membre du personnel pénitentiaire soupçonné d'être responsable de mauvais traitements devrait être immédiatement suspendu de ses fonctions jusqu'à ce qu'une enquête ait été effectuée par une instance indépendante pour déterminer la suite à donner à l'affaire ;

–    Le gouvernement haïtien devrait ratifier la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de l'ONU.

Recommandations à la communauté internationale

–    Les gouvernements étrangers devraient continuer à apporter leur soutien – par tous les moyens qui sont à leur disposition, et toujours en plein accord avec les autorités haïtiennes – aux réformes entreprises par le gouvernement haïtien dans le but de garantir le respect des droits de l'homme. Les mesures visant à consolider l'administration de la justice devraient être soutenues de façon prioritaire et urgente ;

–    La communauté internationale devrait réfléchir à ce qu'elle pourrait entreprendre pour soutenir les efforts visant à traduire en justice les responsables des violations flagrantes des droits de l'homme perpétrées en Haïti – non seulement sous le régime militaire de facto du général Raoul Cédras, mais également sous les gouvernemens antérieurs, dont ceux de François et Jean-Claude Duvalier. Il appartient essentiellement au gouvernement haïtien de traduire en justice les responsables de violations des droits de l'homme, mais les autres gouvernements partagent cette responsabilité. Ce principe devrait s'appliquer à toutes ces personnes où qu'elles se trouvent, quels que soient le lieu du crime ou la nationalité des auteurs ou des victimes, et indépendamment du temps écoulé depuis que le crime a été commis.

Index AI: AMR 36/01/96



[1] Lavalas signifie littéralement "avalanche" en créole. C'est le nom du mouvement politique qui a porté Jean-Bertrand Aristide à la présidence de la République après les élections de décembre 1990.

[2] En vieux français, "déchoukage" signifie le fait d'arracher une souche d'arbre.

[3] Déclaration en créole diffusée par Radio Métropole de Haïti, reprise en anglais par la BBC (Summary of World Broadcasts), le 18 mars 1995.

[4] Pour de plus amples renseignements sur cette affaire, se reporter au document publié par Amnesty International et intitulé Haïti. La tragédie des droits de l'homme depuis le coup d'État (index AI : AMR 36/03/92, janvier 1992).

[5] Pour de plus amples renseignements, se reporter au document publié par Amnesty International et intitulé Haïti. Atteintes à la liberté d'expression : les droits de l'homme piétinés (index AI : AMR 36/25/93, octobre 1993).

[6] Cf. le document d'Amnesty International intitulé Haïti. Préoccupations actuelles (index AI : AMR 36/41/88, novembre 1988).

[7] Cf. le document d'Amnesty International intitulé Haïti. Répression militaire ou invasion étrangère : un terrible dilemme (index AI : AMR 36/33/94, 24 août 1994).

[8] Cf. le document d'Amnesty International intitulé Haïti. Répression militaire ou invasion étrangère : un terrible dilemme (index AI : AMR 36/33/94, 24 août 1994).

[9] Cf. Action urgente 52/94 (index AI : AMR 36/41/94, 30 août 1994).

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Haiti : Une question de justice (février 1996)La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre HAITI: A Question of Justice. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - janvier 1996.

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