Des réfugiés rapatriés de force au péril de leur vie

Résumé

Les réfugiés burundais qui rentrent dans leur pays sont menacés d'atteintes aux droits de l'homme semblables à celles qui les avaient, à l'origine, poussés à fuir. La guerre civile et les violences ethniques au Burundi ne se sont pas apaisées depuis octobre 1993. Des massacres de civils non armés, parmi lesquels des personnes âgées et des enfants, sont signalés quasiment toutes les semaines. Au moins 10 000 victimes sont à déplorer depuis la prise du pouvoir par le major Pierre Buyoya, le 25 juillet 1996, à la faveur d'un coup d'État militaire.

Au Zaïre, des groupes armés dirigés par des Tutsi forcent les réfugiés à quitter le Zaïre et les remettent aux forces gouvernementales burundaises à la frontière. Le gouvernement zaïrois a déclaré que tous les réfugiés burundais et rwandais devaient quitter le pays. Toutefois, la sécurité des réfugiés de retour au Burundi n'est nullement garantie. Amnesty International continue de recevoir des informations faisant état d'atteintes aux droits de l'homme commises dans ce pays, aussi bien par les forces armées burundaises à majorité tutsi que par des groupes armés menés par des Hutu. Au moins 500 personnes revenues au Burundi au cours des dernières semaines auraient été tuées par les forces gouvernementales burundaises ; d'autres ont "disparu".

Les réfugiés burundais qui rentrent dans leur pays sont menacés d'atteintes aux droits de l'homme semblables à celles qui les avaient, à l'origine, poussés à fuir. La guerre civile et les violences ethniques au Burundi ne se sont pas apaisées depuis octobre 1993. Des massacres de civils non armés, parmi lesquels des personnes âgées et des enfants, sont signalés quasiment toutes les semaines. Au moins 10 000 victimes sont à déplorer depuis la prise du pouvoir par le major Pierre Buyoya, le 25 juillet 1996, à la faveur d'un coup d'État militaire.

Au Zaïre, des groupes armés dirigés par des Tutsi forcent les réfugiés à quitter le Zaïre et les remettent aux forces gouvernementales burundaises à la frontière. Le gouvernement zaïrois a déclaré que tous les réfugiés burundais et rwandais devaient quitter le pays. Toutefois, la sécurité des réfugiés de retour au Burundi n'est nullement garantie. Amnesty International continue de recevoir des informations faisant état d'atteintes aux droits de l'homme commises dans ce pays, aussi bien par les forces armées burundaises à majorité tutsi que par des groupes armés menés par des Hutu. Au moins 500 personnes revenues au Burundi au cours des dernières semaines auraient été tuées par les forces gouvernementales burundaises ; d'autres ont "disparu".

La communauté internationale n'a pris aucune mesure pour protéger les droits fondamentaux des réfugiés burundais. Il semble qu'elle souhaite leur retour au Burundi, même s'ils sont menacés de violences dans leur pays. Alors que la situation se détériore au Burundi, la communauté internationale reste silencieuse et n'entreprend rien pour protéger cette population vulnérable.

La guerre civile : une politique délibérée d'élimination

Les dizaines de milliers de Burundais qui ont cherché refuge au Zaïre fuyaient les massacres visant le groupe ethnique hutu. L'élite tutsi du Burundi, majoritaire au sein des forces de sécurité, met délibérément en Ïuvre une stratégie politique visant à éliminer ou à exclure toute opposition hutu potentielle. Cette stratégie a mené à l'assassinat en octobre 1993 du premier président burundais élu, au coup d'État qui a porté au pouvoir le major Pierre Buyoya en juillet 1996, ainsi qu'à une généralisation des massacres qui ont coûté la vie, en trois ans, à plus de 150 000 hommes, femmes et enfants.

Des milliers de Hutu ont fui vers l'est du Zaïre en novembre 1993, après l'assassinat du président Melchior Ndadaye durant un coup d'État. Des dizaines de milliers de personnes, aussi bien hutu que tutsi, ont trouvé la mort dans les massacres intercommunautaires qui ont suivi cet attentat et des milliers de Hutu ont passé la frontière pour rejoindre les villes de Bukavu et d'Uvira, dans la partie orientale du Zaïre.

Les Hutu ont ensuite été systématiquement chassés de la capitale burundaise, Bujumbura, par les forces de sécurité et des groupes armés tutsi. Entre décembre 1993 et janvier 1994, ils ont été expulsés du quartier de Musuga. Après une courte accalmie au début de 1994, ils ont de nouveau été pourchassés par les forces armées gouvernementales, ainsi que par des civils tutsi armés, dans le quartier de Nyakabiga, puis dans ceux de Ngagara et de Cibitoke. En mars 1994, au moins 300 personnes ont été massacrées dans le quartier de Kamenge. Beaucoup de cadavres ont été jetés dans la rivière Ruzizi.

Entre septembre 1994 et août 1995, les forces gouvernementales et les milices tutsi ont chassé la quasi-totalité des Hutu des quartiers de Nyakabiga, Bwiza et Buyenzi, dans la capitale. De nombreux fonctionnaires et députés se sont vus contraints de résider à Uvira la nuit et d'aller travailler à Bujumbura dans la journée. Suite à de multiples attaques commises contre des Hutu dans des établissements d'enseignement, parmi lesquels l'université nationale, à Bujumbura, la plupart des enseignants et des intellectuels hutu ont fui vers les pays voisins, le Zaïre et la Tanzanie.

Des groupes armés dirigés par des Hutu ont aussi tué des civils de manière délibérée et arbitraire. En particulier, le Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD), le Parti pour la libération du peuple hutu (PALIPEHUTU) et le Front de libération nationale (FROLINA) ont lancé des attaques contre des camps de Tutsi déplacés.

Depuis le premier trimestre de 1996, les groupes armés hutu ont étendu leurs attaques à la quasi-totalité des provinces, plongeant pratiquement tout le pays dans la guerre civile. Les atteintes aux droits de l'homme se sont encore intensifiées, car les attaques commises par les groupes armés hutu sont suivies de massacres perpétrés en représailles par les forces de sécurité et les groupes armés tutsi. Les hommes politiques tutsi ont répondu à l'escalade de la violence en incitant la population à mettre en place des « unités d'autodéfense » et à « repérer les ennemis » – sous-entendu les Hutu.

Depuis août 1996, les autorités ont introduit le service militaire pour les jeunes tutsi, y compris les étudiants. Des milliers de membres de groupes armés tutsi responsables de nombreuses atteintes aux droits de l'homme ont été incorporés dans les forces gouvernementales. Quasiment aucune mesure n'a été prise contre les Tutsi s'étant livrés à des atrocités, ce qui a donné à beaucoup d'entre eux le sentiment de pouvoir continuer à bénéficier de l'impunité. En revanche, des milliers de Hutu ont été arrêtés, officiellement en rapport avec les violences commises, mais, au lieu d'être traduits en justice, ils ont, pour la plupart, été placés en détention sans jugement.

La violence dans la partie orientale du Zaïre

En octobre 1996, des groupes armés dirigés par des Tutsi ont attaqué des camps de réfugiés situés dans la partie orientale du Zaïre, obligeant un grand nombre de réfugiés à fuir plus à l'intérieur du pays sans aucune protection, nourriture ni abri (cf. le document d'Amnesty International intitulé Zaïre. Anarchie et insécurité au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, index AI : AFR 62/14/96).

Amnesty International a été informée que les groupes armés, qui compteraient dans leurs rangs des soldats rwandais et des Zaïrois, avaient traversé le Rwanda et le Burundi pour rejoindre la partie orientale du Zaïre. Entre le 21 et le 23 octobre, des membres des groupes armés auraient franchi la frontière avec le Zaïre dans la région frontalière de Rukoko. Plus tard, des incursions semblables sur le territoire zaïrois ont été signalées à Kabiza. Ces incursions ont précédé les attaques menées par des groupes armés tutsi contre le camp de réfugiés de Runingo. Les groupes ont ensuite attaqué deux hôpitaux tenus par des missionnaires, provoquant la mort de 37 patients à Lemera et 26 à Kabiza.

À Uvira, des groupes armés dirigés par des Tutsi auraient attaqué des réfugiés burundais pour les forcer à rentrer chez eux. Ils auraient tué un député burundais, Thomas Bukuru, et toute sa famille. Les mêmes groupes armés seraient responsables de la mort d'un autre député, Isidore Bapfeguhita, le 14 novembre 1996, à Uvira.

Les réfugiés : un retour au péril de leur vie

Les réfugiés burundais qui rentrent chez eux doivent franchir des barrages dressés sur les routes du Burundi pour la vérification des papiers d'identité. Il semble que de nombreux Hutu soient arrêtés à ces barrages sous prétexte qu'un coin manque à leur carte d'identité, ce qui serait le signe de leur appartenance au CNDD. Toutefois, Amnesty International a appris que les coins avaient été coupés par les responsables du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), afin d'éviter que les rapatriés ne soient enregistrés plusieurs fois.

Certaines personnes sont aussi arrêtées à cause de la couleur du timbre collé sur leur carte d'identité. Lorsque le timbre est vert, la carte est supposée avoir été émise par le CNDD. Pourtant, Amnesty International a été informée que de nombreuses cartes établies par les autorités de Bujumbura portent ce même timbre de couleur verte.

Le 22 octobre, au moins 400 réfugiés revenant du Zaïre auraient été rassemblés par des membres des forces de sécurité burundaises dans l'église adventiste du Septième jour de Muramba (province de Cibitoke). Les hommes adultes ont alors été tués par balle ou à coups de baïonnette. Parmi les victimes se trouvaient aussi Juliette, ancienne directrice de l'école primaire de Rukana, et son fils, Abasi ; Hosana Gushima, ancienne institutrice à l'école primaire de Munyika ; et Annika, enseignante à l'école secondaire de Rugombo.

Le 27 octobre, 20 personnes revenant du Zaïre en canoë par le lac Tanganyika auraient été arrêtées à Kabezi, emmenées à Bujumbura et torturées après avoir été contraintes de donner 200 000 francs du Burundi aux soldats. Elles auraient été ramenées à Kabezi dans un bus du gouvernement, mais personne ne les a revues depuis le 27 octobre. Amnesty International pense qu'elles ont "disparu".

À cette même date, 40 réfugiés de retour du Zaïre auraient été tués avant d'atteindre le camp de transit de Gatumba. Parmi les victimes figuraient Isaias Barasengeta et ses enfants – Hakizimana, dix ans, et Viateur Bukuru, cinq ans –, ainsi que Clotilde Nizigiyimana et ses trois jeunes enfants – Spès Maninzana, deux ans, Odette Habumuremyi, quatre ans, et Vestine Bigirimana, tout juste huit mois.

Le 1er novembre, Vestine Mbudagu, ancien gouverneur de la province de Cankuzo, et son mari, Frédéric Vyungimana, rentrés le jour même au Burundi, auraient été placés en détention à la Brigade spéciale des recherches (BSR). Depuis, leurs proches n'ont pas réussi à retrouver leur trace et craignent qu'ils n'aient "disparu".

Le 5 novembre, Melchior Bigirimana, ingénieur et membre du PALIPEHUTU, a semble-t-il "disparu" après son passage dans un camp de transit du HCR.

Aux alentours du 10 novembre 1996, au moins 46 ressortissants burundais venant de rentrer du Zaïre auraient été tués par balle ou à coups de baïonnette par les forces de sécurité dans le quartier de Bwiza, à Bujumbura.

La guerre civile continue : des massacres récents de civils

Pratiquement chaque semaine, des massacres de civils commis par les forces armées à majorité tutsi, par des groupes armés tutsi agissant de connivence avec les soldats, ainsi que par des groupes hutu, continuent d'être signalés.

Entre le 28 septembre et le 16 octobre, quelque 88 personnes auraient été tuées par les forces gouvernementales dans la zone de Kabanga (commune de Giheta). Parmi les victimes se trouvaient Bernadette Mbanje, soixante-sept ans, Serge Kariyo, soixante ans, Audace Niyinteretse, tout juste deux ans, et Stéphane Nzinahora, quarante et un ans.

Le 13 octobre, au moins 50 personnes ont été arrêtées et exécutées de manière extrajudiciaire par des soldats, à Matana (province de Bururi). Les victimes étaient accusées d'appartenir à des groupes armés hutu. Le 22 octobre, sept prisonniers du centre de détention de Giheta ont fait l'objet d'exécutions extrajudiciaires de la part de membres des forces armées.

Entre le 20 octobre et le 2 novembre 1996, 49 personnes auraient été victimes d'exécutions extrajudiciaires commises par les forces armées dans la commune de Mutaho. On comptait parmi les victimes Prosper Sindayigaya, de Masango, Antoine Kibwa, Marcel Ndabashinze, Domitille Baranshamakaje, Farah Bukende, Pascal Baragwandakaja et Athanase Bangoye.

Le 2 novembre, à Giheta, quelque 47 personnes auraient été tuées par les forces armées burundaises et des Tutsi déplacés. Vital Bararusesa, quatre-vingt-dix ans, Marc Seseme et Pierre Murekambanze faisaient partie des victimes.

Entre le 8 et le 11 novembre, dans la province de Gitega, les forces armées auraient tué 75 civils non armés à Gishubi, 20 à Nyabiraba et 30 à Makebuka.

Le 12 novembre, au barrage de Mont Sion (Gihosha, quartier de Mutanga-Nord, Bujumbura), des membres des forces armées ont exécuté de façon extrajudiciaire Ngendanganya, Oscar Nikwigize, Jérémie Bampworubusa, Révérien Nzoyihaya, Salvator Ntawumenya, Adalbert Matabaro et Sylvestre après avoir déchiré leurs cartes d'identité. Les familles n'ont pas été autorisées à récupérer leurs dépouilles et auraient reçu des menaces des autorités militaires pour avoir dit que leurs proches avaient été tués par des membres des forces armées.

Le 14 novembre 1996, à Ramba (province de Bujumbura rural), 17 personnes auraient été victimes d'exécutions extrajudiciaires commises par les forces armées. Un homme d'affaires, Ruviwabo, ainsi que plusieurs femmes et enfants, figuraient au nombre des victimes.

Le même jour, des soldats stationnés à Mugongomanga, Rushubi et Nyambuye auraient tué 22 personnes à Sagara (zone de Kibuye, commune d'Isale, province de Bujumbura rural).

Le 18 novembre, des membres de la famille de Sévérin Mfatiye, ministre du gouvernement évincé lors du coup d'État de juillet, auraient été exécutés de façon extrajudiciaire par des soldats stationnés au barrage routier de Ku Giti C'Inyoni (zone de Nyambuye, province de Bujumbura rural). Parmi les victimes se trouvaient Béatrice, son bébé âgé de deux mois, Ernest et Ceusi. Deux autres personnes ont été blessées et d'autres proches de l'ancien ministre ont été passés à tabac. Les soldats auraient pris 250 000 francs du Burundi au mari de Béatrice.

Certaines informations non confirmées ont aussi fait état de massacres de civils commis par des groupes armés hutu. Ainsi, le 29 septembre, certains de ces groupes auraient tué 35 civils au cours d'une attaque contre des positions militaires à Nyeshanza, dans la province de Cibitoke.

Le 4 octobre, des rebelles hutu auraient tué cinq personnes à Midodo, dans la province de Bururi.

Le 21 octobre, des groupes armés hutu auraient attaqué un camp de Tutsi déplacés à Buraniro, dans la province de Kayanza, faisant 12 victimes.

Le lendemain, 22 octobre, des groupes hutu auraient tué 16 personnes à Busanga (commune de Burambi, province de Bururi). Sept autres personnes sont toujours portées manquantes depuis cette attaque.

Conclusion

La persistance des violences commises à l'encontre de la population civile du Burundi reflète un manque de volonté politique de la part des autorités gouvernementales du pays, qui ne font rien pour y mettre fin. Malgré les promesses du major Pierre Buyoya qui, en juillet 1996, s'était engagé à faire cesser les atteintes aux droits de l'homme, les autorités cautionnent, voire ordonnent, les violations flagrantes commises par les forces de sécurité.

La communauté internationale ne peut pas attendre des réfugiés qu'ils retournent dans un pays où les atteintes aux droits de l'homme sont encore très répandues. Elle doit condamner les groupes armés dirigés par des Tutsi dans l'est du Zaïre, qui forcent les réfugiés burundais à rentrer chez eux, ainsi que les autorités zaïroises qui déclarent que ces derniers ne peuvent pas rester au Zaïre. La communauté internationale a laissé le Burundi s'effacer peu à peu de son ordre du jour, tandis que la situation se détériorait à vue d'œil. Une population vulnérable est abandonnée sans aucune protection. Le silence et l'apathie de la communauté internationale ne sont plus tolérables.

Décembre 1996          Résumé Index AI : AFR 16/34/96

Comments:
La version originale en langue anglaise du document résumé ici a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Burundi: Refugees forced back to danger. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - décembre 1996.

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