Marwan Youssef Thabet c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

Répertorié: Thabet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Noël—Toronto, 29 novembre; Ottawa, 20 décembre 1995.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Contrôle judiciaire d'une décision de la CISR refusant le statut de réfugié au sens de la Convention parce que le requérant n'avait pas raison de craindre d'être persécuté s'il retournait dans l'un des deux pays dans lequel il avait sa résidence habituelle — Le requérant, apatride, a vécu au Koweït pendant les 18 premières années de sa vie, et ensuite aux États-Unis pendant 11 ans — Pendant la guerre du Golfe, il a fait l'objet de harcèlement en Louisiane à cause de ses origines palestiniennes — La notion de «pays de résidence habituelle» utilisée dans la définition de «réfugié au sens de la Convention» à l'art. 2(1) de la Loi sur l'immigration fait référence au dernier pays de résidence habituelle, et non à tous les pays antérieurs de résidence habituelle — Comparaison des dispositions de la Loi avec celles de la Convention au sujet de la nationalité multiple — Le requérant avait sa résidence habituelle aux États-Unis — Il n'avait pas raison de craindre d'être persécuté ailleurs qu'en Louisiane — La question de savoir si les apatrides ayant leur résidence habituelle dans plus d'un pays avant de revendiquer le statut de réfugié doivent prouver le bien-fondé de cette revendication au regard de tous ces pays ou de certains d'entre eux seulement et, dans l'affirmative, lesquels, a été certifiée.

Interprétation des lois — La notion de «pays de résidence habituelle» utilisée dans la définition de «réfugié au sens de la Convention» à l'art. 2(1) de la Loi sur l'immigration désigne le dernier pays de résidence habituelle et non tous les pays antérieurs de résidence habituelle — L'intention dégagée de l'art. 14(3) des Règles de la section du statut de réfugié suppose que la nationalité doit être interprétée comme se rapportant au dernier pays de résidence habituelle — Le texte français fait référence à l'expression «son dernier pays de résidence habituelle» — Cette version doit être préférée à la version anglaise parce qu'elle est plus précise et s'harmonise avec le sens du texte anglais.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant une décision de la CISR statuant que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'il n'avait pas de raison de craindre d'être persécuté s'il retournait dans l'un des deux pays dans lequel il avait sa résidence habituelle. Le requérant est apatride. Il est né au Koweït et y a vécu aux termes d'un permis de résidence parrainé par son père, réfugié palestinien muni d'un permis de travail, pendant 18 ans. Il est parti faire ses études universitaires aux États-Unis et y est demeuré pendant 11 ans. Pendant la guerre du Golfe, alors qu'il vivait en Louisiane, le requérant a fait l'objet de harcèlement en raison de ses origines palestiniennes. Le requérant est arrivé au Canada en 1994 et y a réclamé le statut de réfugié. Selon la définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration un «réfugié au sens de la Convention» est «toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée . . . , si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner». Dans sa formule de renseignements personnels, le requérant a indiqué que le Koweït était son seul pays de résidence habituelle, mais qu'il craignait d'être persécuté à la fois au Koweït et aux États-Unis. La Commission a conclu que le requérant avait sa résidence habituelle aux États-Unis et au Koweït. Elle a aussi conclu que le requérant n'avait pas raison de craindre d'être persécuté aux États-Unis ailleurs qu'en Louisiane et donc qu'il n'avait pas réussi à démontrer qu'il avait raison de craindre d'être persécuté aux États-Unis. Elle a conclu qu'il n'avait pas non plus raison de craindre d'être persécuté au Koweït parce que les membres de sa famille y résidaient et y menaient un train de vie semblable à celui qu'ils avaient avant l'invasion du Koweït par l'Irak. La Commission a reconnu qu'à l'époque pertinente le Koweït refusait l'admission aux Palestiniens apatrides.

Les questions consistent à savoir si les États-Unis étaient un pays de résidence habituelle et si le requérant devait établir sa crainte d'être persécuté à l'égard des deux pays dans lesquels il avait sa résidence habituelle.

Jugement: la requête doit être rejetée.

Les dispositions de la Loi sur l'immigration et de la Convention qui traitent des cas de nationalité multiple indiquent que chaque pays dont l'intéressé a la nationalité doit être pris en compte dans l'évaluation de la revendication du statut de réfugié. Il n'y a pas de dispositions semblables pour ce qui a trait à de multiples pays de résidence habituelle. Le fait qu'aucune tentative n'a été faite pour résoudre l'ambiguïté laisse entendre qu'il n'y a pas d'ambiguïté à dissiper. C'est le cas si l'on considère que le pays de «résidence habituelle» d'un apatride s'entend du dernier pays dans lequel il avait sa résidence habituelle. Cette interprétation est compatible avec l'un des deux principaux sens attribué au mot «former» et c'est celui qui doit être retenu. Si l'expression «résidence habituelle» faisait référence à tous les pays de résidence habituelle passés, elle serait l'expression d'un désir conscient des auteurs de la Convention d'établir la symétrie avec la notion de nationalité, et l'ambiguïté qui en résulterait ne pourrait logiquement leur avoir échappé.

La question doit reposer sur l'importance des liens qui rattachent un apatride à un pays donné au moment où la revendication est présentée. La proximité de ces liens dans le temps est l'élément qui, invariablement, unit plus étroitement un apatride à son dernier pays de résidence habituelle qu'à tout autre pays et c'est ce que les auteurs de la Convention avaient à l'esprit quand ils ont formulé la définition.

Cette conclusion coïncide également avec l'intention du législateur canadien qui peut être dégagée des Règlements établis en application de la Loi sur l'immigration. Le paragraphe 14(3) des Règles de la section du statut de réfugié prescrit que la mention de la nationalité d'une personne vaut mention de son dernier pays de résidence habituelle. La version française précise «son dernier pays de résidence habituelle». Bien qu'elle appelle un sens qui s'harmonise avec celui de la version anglaise, la version française est plus précise et devrait être préférée au texte anglais.

Le requérant avait sa résidence habituelle aux États-Unis où il s'est marié deux fois, a produit ses déclarations d'impôt sur le revenu et était titulaire d'une carte de sécurité sociale. Comme le requérant a reconnu qu'il n'avait aucune raison de craindre d'être persécuté ailleurs aux États-Unis, sa revendication a été à bon droit rejetée pour ce qui a trait à ce pays.

La question suivante a été certifiée: Un apatride qui avait sa résidence habituelle dans plus d'un pays avant de revendiquer le statut de réfugié doit-il prouver le bien-fondé de sa revendication au regard de tous ces pays ou de certains d'entre eux seulement et, si la revendication doit être établie uniquement par rapport à certains pays, de quels pays s'agit-il?

lois et règlements

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. n° 6, art. 1A(2).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) «réfugié au sens de la Convention» (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), (1.1) (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 1).

Règles de la section du statut de réfugié, DORS-93-45, art. 14(3).

jurisprudence

décisions appliquées:

Maarouf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 723; (1993), 72 F.T.R. 6; 23 Imm. L.R. (2d) 163 (1re inst.); Abdel-Khalik c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 73 F.T.R. 211; 23 Imm. L.R. (2d) 262 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

Deltonic Trading Corp. c. Ministre du Revenu national (Douanes et Accise) (1990), 113 N.R. 7; 3 TCT 5173 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Jouan (1995), 122 D.L.R. (4th) 347; 179 N.R. 127 (C.A.F.).

doctrine

Country Reports on Human Rights Practices for 1993: Report submitted to the Committee on Foreign Relations U.S. Senate and the Committee on Foreign Affairs House of Representatives by the Department of State. Washington: U.S. Government Printing Office, 1994.

Grahl-Madsen, Atle. The Status of Refugees in International Law. Leyden: A. W. Sijthoff, 1966.

Hathaway, James C. The Law of Refugee Status. Toronto: Butterworths, 1991.

Shorter Oxford English Dictionary, 3rd ed., Oxford: Clarendon Press, 1990, "former".

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, septembre 1979.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision de la CISR statuant que le requérant, apatride, n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'il n'avait pas raison de craindre d'être persécuté s'il retournait dans l'un des deux pays dans lequel il avait sa résidence habituelle. Demande rejetée.

avocats:

Ghina Al-Sewaidi, pour le requérant.

David Tyndale, pour l'intimé.

procureurs:

Loebach, Corrigan & Al-Sewaidi, London (Ontario), pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Noël:

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant la décision, en date du 11 mai 1995, de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans laquelle celle-ci a déterminé que le requérant, Marwan Youssef Thabet, n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'il n'avait pas raison de craindre d'être persécuté s'il retournait dans l'un des deux pays où il avait sa résidence habituelle.

1.         Les faits

Le requérant est apatride. Il est né le 31 juillet 1965 au Koweït. Son père, un réfugié palestinien, a quitté le territoire de Gaza pour le Koweït à la recherche d'un emploi et il travaille maintenant comme médecin pour le gouvernement koweïtien aux termes d'un permis de travail. Le requérant a vécu au Koweït en vertu d'un permis de résidence parrainé par son père. En 1983, après avoir résidé au Koweït pendant 18 ans, le requérant est parti faire ses études aux États-Unis pour devenir ingénieur. En 1986, le statut de résident du requérant au Koweït, parrainé par son père, a expiré. Le requérant a dû retourner au Koweït pour présenter une demande indépendante afin de renouveler son permis de résidence. Il est ensuite revenu aux États-Unis muni d'un visa de visiteur. En 1989, le requérant a été appréhendé par les autorités américaines de l'immigration pour avoir travaillé illégalement. Il a demandé l'asile politique, mais sa demande a été refusée, et une ordonnance d'expulsion a été rendue contre lui, l'obligeant à quitter le pays le 31 janvier 1991. Il a interjeté appel, dont l'issue n'est toujours pas connue. Pendant qu'il se trouvait aux États-Unis, le requérant s'est marié deux fois. Le premier mariage, en 1989, était un mariage de convenance. Le requérant a divorcé après un an. Le deuxième mariage semble être authentique, mais il s'est également soldé par un divorce.

Pendant la guerre du Golfe, période au cours de laquelle il vivait en Louisiane, le requérant a fait l'objet de harcèlement en raison de ses origines, de son apparence et de sa langue qui le rattachent à la Palestine. Le harcèlement s'est manifesté par des insultes, des menaces et des incidents de violence physique.

Après avoir résidé dans ce pays pendant 11 ans, le requérant a quitté les États-Unis pour le Canada en avril 1994. Il a revendiqué le statut de réfugié au tunnel Windsor-Détroit. Dans sa formule de renseignements personnels, il mentionne le Koweït comme seul pays de résidence habituelle, mais il indique qu'il craint d'être persécuté au Koweït et aux États-Unis.

2.         La décision de la Commission

Étant donné que le requérant est apatride, la Commission a dû traiter d'une question préliminaire, c'est-à-dire déterminer le pays de résidence habituelle du requérant aux termes du sous-alinéa 2(1)a)(ii) de la définition de réfugié au sens de la Convention figurant dans la Loi sur l'immigration[1]. La Commission a conclu que le requérant avait sa résidence habituelle aux États-Unis et au Koweït. Elle en est venue à cette conclusion à cause de sa longue période de résidence dans les deux pays et du fait qu'il a été admis dans ces deux pays en vue d'y établir sa résidence continue pendant un certain temps. La Commission a aussi statué que le requérant devait démontrer qu'il avait une crainte fondée d'être persécuté dans ces deux pays.

 La Commission a fait observer que le requérant avait affirmé dans sa déposition que, même s'il avait connu des problèmes dans l'État de la Louisiane en raison de ses origines palestiniennes, il ne craignait pas d'être persécuté dans d'autres parties des États-Unis. Par suite de cet aveu, la Commission a conclu que le requérant n'avait pas réussi à démontrer qu'il avait raison de craindre d'être persécuté aux États-Unis et que sa revendication du statut de réfugié devait être refusée. Toutefois, la Commission a examiné le bien-fondé de la réclamation du requérant au regard du Koweït, et elle a conclu que le requérant n'avait pas non plus démontré qu'il avait raison de craindre d'être persécuté s'il devait retourner dans ce pays. À l'appui de sa conclusion, la Commission dit ceci[2]:

[traduction] Le requérant indique dans sa déposition que les membres de sa famille, c'est-à-dire ses parents et une sœur, résident toujours au Koweït. Son père, qui est médecin, est employé par le gouvernement du Koweït et sa famille mène un train de vie semblable à celui qu'elle avait avant l'invasion du Koweït par l'Irak. Sa sœur, Arwa, est en mesure de quitter le Koweït et d'y revenir parce qu'elle est munie de documents de résidence valides, et elle l'a fait à quelques reprises. Ses parents ne sont pas en mesure de quitter le Koweït parce que ce sont des Palestiniens apatrides et qu'aucun autre pays ne les accepterait. Cependant, le Koweït ne les empêche pas de partir.

. . .

Franchement, depuis la libération du Koweït et la mise en place du processus de normalisation, les Palestiniens originaires de Gaza ont bénéficié de prolongations de leur permis de résidence et ne sont plus expulsés comme ils l'étaient à la fin de la guerre du Golfe[3].

3.         La demande de contrôle judiciaire

Le requérant reconnaît maintenant qu'il n'a pas démontré qu'il avait des raisons de craindre d'être persécuté pour ce qui a trait aux États-Unis. Toutefois, il fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit quand elle a statué qu'il avait sa résidence habituelle aux États-Unis. Il allègue de plus que, même s'il avait sa résidence habituelle aux États-Unis, la Commission a commis une erreur en statuant qu'il devait établir ses craintes d'être persécuté par rapport à deux pays de résidence habituelle. Il soutient qu'il lui suffisait d'établir une crainte fondée d'être persécuté au regard du Koweït, puisqu'il s'agit là de son premier pays de résidence habituelle.

À cet égard, le requérant prétend que la Commission a commis une erreur en statuant qu'il ne serait pas persécuté au Koweït parce qu'il est Palestinien. Il soutient que la Commission n'a pas fait de cas de la preuve documentaire décrivant les mauvais traitements réservés aux Palestiniens à cause des opinions politiques qu'on leur a attribuées après l'invasion irakienne au Koweït, et qu'elle n'a pas non plus tenu compte de son témoignage. Le requérant fait aussi valoir que la Commission a commis une erreur de droit en refusant d'examiner si la négation par le Koweït de son droit de retourner dans ce pays ne constituait pas en elle-même un acte de persécution.

L'intimé reconnaît que le requérant ne doit établir une crainte fondée de persécution que par rapport à son premier pays de résidence habituelle, et que la Commission a commis une erreur en statuant différemment. Toutefois, il soutient que la Commission a conclu à bon droit que le requérant n'avait pas établi sa crainte fondée d'être persécuté au Koweït et que cette conclusion règle définitivement les questions soulevées dans la présente demande.

4.         Analyse

Étant donné que le requérant et l'intimé sont tous deux d'avis que la revendication doit être examinée au regard du Koweït, je traiterai tout d'abord de la décision de la Commission relativement à ce pays.

L'un des faits principaux sur lesquels repose la thèse du requérant et que semble avoir accepté la Commission, est le refus du Koweït d'admettre de nouveau à l'intérieur de ses frontières les Palestiniens apatrides, à l'époque en question. La déclaration suivante, tirée de l'ouvrage Country Reports on Human Rights Practices for 1993, publié par le département d'État des États-Unis, février 1994, a été déposée devant la Commission[4]:

[traduction] Le gouvernement a continué de refuser de réadmettre les Irakiens et Palestiniens apatrides qui avaient des liens très proches avec des membres de leur famille résidant au Koweït.

Dans la conclusion de ses motifs, la Commission a noté que le droit de réadmission du requérant n'était pas assuré et a fait observer ce qui suit:

[traduction] Bien que cette situation ne fasse pas d'une personne un réfugié au sens de la Convention, elle fait certainement ressortir la nécessité d'adopter une politique d'immigration visant spécifiquement les apatrides qui ne peuvent retourner dans leur pays de résidence habituelle pour des motifs non visés dans la Convention.

Dans la décision Maarouf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), la Section de première instance de la Cour fédérale a analysé le sens de la notion de pays de résidence habituelle. La Cour devait décider si, selon cette notion, le demandeur devait légalement être en mesure de retourner dans le pays en question. Le juge Cullen a conclu que l'apport d'une telle exigence dans la définition crée un obstacle important et est contraire au fondement de la protection internationale conférée aux réfugiés[5]:

En tant qu'acte final de persécution, l'État pourrait dépouiller une personne du droit de retourner dans ce pays. Ainsi, exiger que l'intéressé ait un droit de retour reconnu en droit permettrait à l'État persécuteur d'exercer un contrôle sur le recours de l'intéressé à la Convention et, en fait, de saper son but humanitaire.

La Cour reconnaît de plus[6]:

. . . l'intéressé n'a pas à être légalement capable de retourner dans un pays de résidence habituelle puisque la négation du droit de retour peut en soi constituer un acte de persécution de la part de l'État. [Non souligné dans l'original.]

Que la négation du droit de retour dans le pays de résidence habituelle puisse constituer de la persécution a également été reconnu dans la décision Abdel-Khalik c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration[7]. Dans cette affaire, le juge Reed a fait observer que la négation d'un droit de retour dans un pays de résidence habituelle pouvait constituer un acte de persécution et a annulé la décision de la Commission au motif que celle-ci n'avait pas accordé l'importance voulue à la preuve ayant trait à cette négation.

En l'espèce, la Commission, s'appuyant sur la décision Maarouf, a en fait conclu que le requérant avait sa résidence habituelle au Koweït malgré le fait que le droit d'être réadmis dans ce pays lui ait été refusé, mais elle ne s'est pas posée la question plus fondamentale, du point de vue du requérant, de savoir si cette négation constituait en elle-même un acte de persécution, et elle n'en a aucunement discuté. La question était particulièrement importante étant donné que le fondement de la crainte alléguée par le requérant était la politique d'exclusion mise en œuvre par le gouvernement koweïtien après la guerre du Golfe, politique documentée ayant pour but de modifier l'équilibre démographique en excluant, notamment, les Palestiniens apatrides[8]. Dans la mesure où la Commission a en fait accepté que le requérant s'est vu refuser le droit de retourner au Koweït, elle devait rechercher la raison de ce refus et se demander si cela constituait un acte de persécution. Étant donné que la Cour est convaincue que la Commission aurait pu en venir à une conclusion différente si elle s'était penchée sur cette question, il s'agit là d'un motif suffisant pour annuler la partie de la décision concernant la revendication ayant trait au Koweït.

Toutefois, la Commission a également refusé la revendication du requérant au regard des États-Unis. Le requérant conteste cette conclusion pour deux motifs. Tout d'abord, il allègue que la Commission a commis une erreur en statuant qu'il avait sa résidence habituelle aux États-Unis. Cependant, la Commission s'est appuyée sur des motifs très solides pour statuer ainsi[9]. Le requérant a résidé aux États-Unis pendant 11 ans. Il s'y est marié deux fois. Il a produit des déclarations d'impôt sur le revenu et était titulaire d'une carte de sécurité sociale. Il ne s'agit pas d'un cas limite. La résidence habituelle est un statut de fait, et compte tenu des faits pertinents, il ne fait aucun doute que le requérant avait sa résidence habituelle aux États-Unis.

Cela dit, la Commission pouvait-elle statuer que le requérant avait l'obligation de prouver sa revendication au regard du Koweït et des États-Unis pour être admis au Canada en qualité de réfugié? La Commission a supposé qu'il devait le faire, sans discuter davantage de la question. Le requérant conteste cette hypothèse et le ministre intimé fait une concession dans la mesure où il reconnaît que la revendication ne doit être prouvée que par rapport au Koweït. Aucune décision de la présente Cour n'a été portée à mon attention relativement à cette question précise.

Le Guide des Nations Unies [Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés] laisse entendre, au paragraphe 101, que le membre de phrase qui intéresse les réfugiés apatrides dans la définition tirée de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6]:

101.   . . . fait pendant au membre de phrase précédent, concernant les réfugiés qui ont une nationalité. Dans le cas d'une personne qui est apatride, le «pays de la nationalité» est remplacé par «le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle» et les mots «ne veut se réclamer de la protection de ce pays» sont remplacés par «ne veut y retourner». Un réfugié apatride ne peut évidemment pas «se réclamer de la protection» du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle.

Le paragraphe 104 précise:

104.   Pour un apatride, il peut y avoir plusieurs pays dans lesquels il a eu sa résidence habituelle et il peut craindre des persécutions sur le territoire de plusieurs d'entre eux. La définition n'exige pas que le réfugié satisfasse aux conditions qu'elle pose vis-à-vis de tous ces pays. [Non souligné dans l'original.]

Selon le Guide, par conséquent, le statut de réfugié peut être reconnu à une personne qui avait sa résidence habituelle dans plus d'un pays si elle peut démontrer qu'elle a une crainte raisonnable d'être persécutée dans l'un de ces pays. Mais lequel faut-il choisir? Doit-il s'agir du premier pays ou du dernier, ou cette question est-elle laissée à la discrétion du demandeur?

Deux opinions divergentes ont été exprimées par les auteurs sur cette question. Atle Grahl-Madsen exprime l'opinion suivante[10]:

[traduction] Il semble que la meilleure façon de respecter l'intention des auteurs serait d'appliquer, dans le plus grand nombre possible de cas, l'expression «pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle» de façon à obtenir les mêmes résultats pratiques que lors de l'application de l'expression «pays de nationalité» . . .

Le critère que nous recherchons peut être illustré par le cas d'une personne qui, avant de devenir réfugiée, a résidé dans le pays dont elle a la nationalité. Dans son cas, le «pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle» serait identique au «pays dont elle a la nationalité». Cette identité des deux notions ne devrait pas être modifiée si l'intéressé se rend tout d'abord dans un pays étranger, puis dans un second, et enfin dans un troisième, un quatrième et un cinquième. De toute façon, l'expression «pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle» devrait désigner le même pays que l'expression «pays dont elle a la nationalité», c'est-à-dire son «pays d'origine».

Cette opinion est partagée par Robinson. . . Il se demande si «le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle» désigne uniquement le pays dans lequel un apatride non persécuté résidait et où la persécution a initialement eu lieu, ou dans lequel il a craint d'être persécuté (le pays de la «persécution initiale»), ou si cette expression peut aussi s'appliquer à un pays dans lequel l'intéressé a trouvé refuge et a établi sa résidence, mais où il a plus tard été victime de persécution (le pays de la «persécution secondaire»). Un apatride qui a résidé dans le pays A s'enfuit de ce pays et trouve refuge dans le pays B et y établit sa résidence. Au bout d'un moment, il doit quitter ce pays, par crainte d'être persécuté. Après quelque temps, il a la possibilité de revenir dans le pays B. Si ce pays peut être considéré comme le «pays dans lequel il avait sa résidence habituelle», le retour de l'apatride dans ce pays le priverait de son statut de «réfugié», bien que la crainte d'être persécuté dans le pays A, dont il s'est enfui en tout premier lieu, puisse toujours être fondée.

Il est manifeste que si l'expression doit être interprétée dans ce sens, l'apatride en question se trouvera dans une situation moins favorable que celle d'une personne, se trouvant dans des circonstances semblables, qui a la nationalité du pays A, ou que celle d'un apatride qui a dû quitter le pays A, mais qui n'a pas souffert de persécution dans le pays B et qui, par conséquent, n'a jamais quitté ce pays. . .

On semble généralement reconnaître que si un apatride a trouvé refuge dans un autre pays, il ne perd pas son statut de réfugié s'il se rend dans un autre pays qui lui offre la possibilité de s'établir de nouveau. . .

Cette notion [«pays de résidence habituelle»] est liée à la notion de «pays de nationalité» en ce sens qu'elles sont toutes deux stables par nature. Comme il a été mentionné ci-dessus, elles peuvent être réunies sous le terme de «pays d'origine» (ou «pays de la persécution initiale»). Nous avons vu . . . que si une personne a une nationalité au moment où elle devient un réfugié, elle doit être considérée comme une personne ayant une nationalité pour les fins de la section (A)(2) de l'article premier. Il s'ensuit que le pays dont elle avait la nationalité à la date pertinente est le «pays dont elle a la nationalité» au sens de cette disposition et qu'il le reste, peu importe qu'un jour ou l'autre elle perde sa nationalité. De même, le pays que l'apatride devait fuir en premier lieu demeure le «pays de résidence habituelle» pendant toute sa vie de réfugié, indépendamment des changements subséquents de sa résidence de fait.

Ainsi, de l'avis de Grahl-Madsen, le pays de résidence habituelle au regard duquel le statut de réfugié doit être déterminé est le pays que l'apatride a dû fuir en premier lieu, ou le pays de la persécution initiale. Grahl-Madsen reconnaît également qu'un demandeur peut exceptionnellement avoir à établir son statut de réfugié au regard de plus d'un pays de résidence habituelle s'il résidait simultanément dans plusieurs pays au moment où le statut de réfugié lui est reconnu[11].

Ce qui est paradoxal dans l'opinion exprimée par Grahl-Madsen, c'est qu'il insiste sur l'importance d'interpréter symétriquement la notion de nationalité et celle de résidence, et qu'ensuite il brise cette symétrie puisque, selon son approche, le résident habituel de plusieurs États n'aurait qu'à établir sa revendication vis-à-vis du premier pays, alors qu'une personne ayant plusieurs nationalités doit prouver sa revendication du statut de réfugié au regard de tous les pays dont elle a la nationalité.

James C. Hathaway critique cette opinion précisément à cause de son manque de symétrie. Il déclare ceci[12]:

[traduction] À ce chapitre, l'argument de Atle Grahl-Madsen selon lequel le pays de résidence habituelle devrait normalement être l'État dans lequel le demandeur apatride a initialement subi la persécution n'est pas entièrement défendable. Le pays que le demandeur a fui en premier lieu est souvent l'État avec lequel le demandeur conserve ses principaux liens juridiques officiels, simplement parce que les pays dans lesquels il a résidé subséquemment en raison de sa crainte d'être persécuté peuvent ne pas lui avoir accordé un droit de retour inconditionnel. Par ailleurs, le demandeur du statut de réfugié peut avoir des liens officiels aussi forts, sinon plus, avec un ou plusieurs autres pays, auquel cas, sa demande de protection doit être évaluée au regard de tous les pays dans lesquels il peut légalement être renvoyé. Cette position rétablit la symétrie nécessaire dans le traitement des personnes avec et sans nationalité, étant donné que la Convention exige, pour le premier groupe, la preuve que tous les États dont la personne a la nationalité ne peuvent lui assurer une protection.

Pour Hathaway, donc, la question repose sur l'importance des liens juridiques qui unissent un demandeur du statut de réfugié à ses pays de résidence habituelle. Selon lui, l'importance de ces liens doit être évaluée en fonction de ceux qui rattachent un demandeur du statut de réfugié au pays dans lequel la persécution a initialement eu lieu. Si les liens qui rattachent le demandeur à un pays où il a subséquemment eu sa résidence habituelle sont aussi forts, sinon plus, que ceux qui l'unissent à son premier pays de résidence habituelle, alors la revendication devrait aussi être évaluée au regard de ce pays[13].

Avant d'examiner ces opinions divergentes, je crois qu'il faut répondre à une question préliminaire, savoir si l'expression [traduction] «se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle» renvoie à tous les pays, s'il y en a eu plus d'un, ou seulement au dernier. Le mot «former» (NDLT: non rendu dans la version française) a deux sens principaux. Le premier sens est celui-ci: «qui appartient au passé ou à une période antérieure à celle dont il est question», et le deuxième est celui-là: «qui précède immédiatement»[14]. De toute évidence, si le deuxième sens est retenu, aucune controverse n'oppose les auteurs.

D'après le premier sens, tous les pays de résidence habituelle doivent être examinés. Il en résulte donc un degré élevé de symétrie entre les concepts de nationalité et de résidence habituelle aux fins de la Convention.

Cependant, si elles sont analysées en dehors du contexte de la Convention, ces notions présentent des différences importantes. Pour les fins de l'espèce, l'aspect important est le fait que la nationalité confère un statut de droit qui s'acquiert habituellement à la naissance, mais parfois autrement, statut qui demeure acquis à un être humain pendant toute sa vie et qu'il ne perd habituellement pas, même si d'autres nationalités lui sont reconnues par la suite. Par conséquent, une personne peut avoir simultanément plusieurs nationalités. Par contraste, la résidence habituelle est un statut temporaire dans la mesure où il repose entièrement sur une relation de fait entre une personne et un pays donné et qu'il cesse immédiatement dès que cette relation prend fin. Par conséquent, une personne a sa résidence habituelle dans un pays à un certain moment de sa vie, mais elle perd ce statut aussitôt qu'elle cesse de résider de facto dans ce pays. Les deux notions sont donc fondamentalement différentes en ce sens que l'une confère un statut de droit permanent, et l'autre un statut de fait qui n'existe que tant et aussi longtemps que la situation de fait qui lui a donné naissance continue d'exister. Cette différence a pour conséquence, entre autres choses, que même si une personne peut avoir plus d'une nationalité, à un certain moment donné, elle ne réside jamais dans plus d'un pays à la fois[15].

Si, malgré ces différences, l'expression «résidence habituelle» suppose que tous les pays dans lesquels une personne a résidé par le passé doivent être pris en compte dans l'évaluation d'une revendication du statut de réfugié, ce ne peut être que parce que les auteurs ont voulu, pour les fins de la Convention, conférer à la notion de résidence habituelle un effet continu semblable à celui qui découle de la notion de nationalité. Toutefois, si telle avait été leur intention, ils auraient tout de suite vu l'ambiguïté qu'elle crée relativement au pays qui doit être pris en considération aux fins d'évaluer la revendication du statut de réfugié. Cette revendication doit-elle être établie au regard de tous les pays de résidence habituelle, ou au regard de certains pays seulement, et, dans ce dernier cas, lesquels faut-il retenir?

 À cet égard, il convient de noter que la Convention aussi bien que la Loi sur l'immigration dissipent cette ambiguïté, mais seulement dans le cas de la nationalité multiple. Aucune disposition ne traite de pays de résidence habituelle multiple[16]. La section A(2) de l'article premier de la Convention est rédigé dans les termes suivants:

1A(2) . . .

Dans le cas d'une personne qui a plus d'une nationalité, l'expression «du pays dont elle a la nationalité» vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité, toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s'est pas réclamée de la protection de l'un des pays dont elle a la nationalité.

Le paragraphe 2(1.1) [édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 1] de la Loi sur l'immigration prescrit en retour ce qui suit:

2. . . .

(1.1)  Pour l'application de la définition de «réfugié au sens de la Convention» au paragraphe (1), dans le cas d'une personne qui a la nationalité de plus d'un pays, l'expression «pays dont elle a la nationalité» s'entend de chacun des pays dont elle a la nationalité.

Ces dispositions indiquent clairement que, dans un cas de nationalité multiple, chaque pays dont l'intéressé a la nationalité doit être pris en compte dans l'évaluation de la revendication du statut de réfugié. Toutefois, l'absence de dispositions semblables pour ce qui a trait à de multiples pays de résidence habituelle mine sérieusement la thèse selon laquelle tous les pays précédant le dernier doivent être pris en compte pour évaluer la revendication du statut de réfugié présentée par un apatride.

Le fait qu'aucune tentative n'ait été faite pour résoudre cette ambiguïté laisse fortement entendre qu'il n'y a tout simplement pas d'ambiguïté à dissiper. C'est, bien entendu, le cas si l'on considère que le pays «de résidence habituelle» d'un apatride s'entend du dernier pays dans lequel il avait sa résidence habituelle. Comme il a été noté antérieurement, cette interprétation est compatible avec l'un des deux principaux sens attribués au mot «former» et, à mon avis, c'est celle qui doit être retenue. J'en arrive à cette conclusion avec très peu d'hésitation parce que, si, en fait, l'expression «résidence habituelle» faisait référence à tous les pays de résidence habituelle antérieure plus tôt qu'au dernier, elle serait l'expression d'un désir conscient des auteurs de la Convention d'établir la symétrie avec la notion de nationalité, et l'ambiguïté qui en résulterait ne pourrait logiquement leur avoir échappé. La notion de résidence habituelle a de toute évidence été utilisée parce qu'elle fait pendant, en termes généraux, à la notion de nationalité et qu'elle permet d'arriver à des résultats semblables[17]. Toutefois, ces notions demeurent fondamentalement différentes et aucun fondement ne permet de les interpréter comme une seule et même notion aux fins de la Convention.

Je crois que la conclusion à laquelle j'en suis arrivé est également justifiée du point de vue de l'intérêt public. Comme le professeur Hathaway le signale, aucune raison objective ne justifie que l'on préfère le premier pays de résidence habituelle à tout autre[18]. La question, si tant est qu'elle se pose, doit reposer sur l'importance des liens qui rattachent un apatride à un pays donné au moment où la revendication est présentée, et le dernier pays de résidence habituelle d'une personne sera toujours celui avec lequel elle a les liens les plus forts et les plus récents. La proximité de ces liens dans le temps est l'élément qui, invariablement, unit plus étroitement un apatride à son dernier pays de résidence habituelle qu'à tout autre pays et c'est là, à mon avis, ce que les auteurs de la Convention avaient à l'esprit quand ils ont formulé la définition.

Avant de terminer mon analyse, je note que cette conclusion coïncide également avec l'intention du législateur canadien qui peut être dégagée des règlements établis en application de la Loi sur l'immigration. Le paragraphe 14(3) des Règles de la section du statut de réfugié[19] prescrit les renseignements qui doivent accompagner une revendication du statut de réfugié présentée par un apatride en vertu de la Loi. Ce paragraphe est rédigé dans les termes suivants:

14. . . .

(3)    Dans le cas de l'intéressé apatride, la mention . . . de sa nationalité vaut mention de son dernier pays de résidence habituelle.

La version française des Règles précise que ces renseignements doivent être fournis concernant «son dernier pays de résidence habituelle» (non souligné dans l'original). La version française, bien qu'elle appelle un sens qui s'harmonise à celui de la version anglaise, est plus précise et ne permet pas d'entretenir l'ambiguïté qui se dégage de la version anglaise. De ce fait, en raison des principes applicables, cette version devrait être préférée au texte anglais[20].

J'en arrive donc à la conclusion qu'un apatride qui a eu sa résidence habituelle dans plus d'un pays avant de revendiquer le statut de réfugié doit établir sa revendication au regard de son dernier pays de résidence habituelle. En l'espèce, il s'agissait des États-Unis et, comme le demandeur a reconnu qu'il n'avait aucune crainte d'être persécuté aux États-Unis, sa revendication a été rejetée à juste titre relativement à ce pays. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

Les deux parties m'ont demandé de certifier la question suivante:

 Un apatride doit-il démontrer qu'il a une crainte fondée d'être persécuté dans tous ses pays de résidence habituelle ou simplement dans le premier pays dans lequel il avait sa résidence habituelle?

Compte tenu des motifs indiqués ci-dessus, je crois que la question devrait être élargie et formulée de la façon suivante:

Un apatride qui avait sa résidence habituelle dans plus d'un pays avant de revendiquer le statut de réfugié doit-il prouver le bien-fondé de sa revendication au regard de tous ces pays ou de certains d'entre eux seulement et, si la revendication doit être établie uniquement par rapport à certains pays, de quels pays s'agit-il?

Une ordonnance rejetant la demande et déclarant que cette question est certifiée sera rendue.



[1] Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications (ci-après la Loi); l'art. 2 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1] définit l'expression «réfugié au sens de la Convention» comme suit:

2. (1) . . .

«réfugié au sens de la Convention» Toute personne:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

[2] Décision, à la p. 6.

[3] La Commission cite, sous la Pièce R-1, le document 9-8 Country Reports on Human Rights Practices for 1993, département d'État des É.-U.:

[traduction] En octobre, 5 000 des 8 000 Palestiniens de Gaza se trouvant toujours au Koweït et détenant des laissez-passer égyptiens ont obtenu des permis de résidence d'un an. Le gouvernement a modéré ses restrictions à l'égard des autres habitants de Gaza se trouvant sur son territoire, et une entente tacite a été établie en vertu de laquelle les habitants de Gaza ne seraient pas harcelés pour avoir enfreint les lois relatives à la résidence. De nombreux habitants de Gaza, toutefois, ont quitté volontairement le Koweït par suite des pressions économiques et sociales exercées sur eux.

[4] Dossier du tribunal, 255, à la p. 257.

[5] [1994] 1 C.F. 723 (1re inst.), aux p. 738 et 739 (ci-après Maarouf).

[6] Ibid., à la p. 739.

[7] (1994), 73 F.T.R. 211 (C.F. 1re inst.) (ci-après Abdel-Khalik).

[8] Country Reports on Human Rights Practices for 1993, département d'État des États-Unis, février 1994, dossier du tribunal, p. 255.

[9] «[la] notion de "résidence habituelle" vise à établir une relation avec un État qui est en général comparable à celui qui existe entre un citoyen et son pays de nationalité. Ainsi, on entend une situation dans laquelle un apatride a été admis dans un pays donné en vue d'y établir une résidence continue pendant un certain temps, sans exiger une période minimum de résidence.» Maarouf, précité, à la p. 739.

[10] Atle Grahl-Madsen, The Status of Refugees in International Law, 1966, vol. I, p. 161 et suivantes.

[11] Ibid., aux p. 160 et 161: «En règle générale, une personne n'a qu'un "pays de résidence habituelle", mais on ne peut exclure la possibilité qu'une personne ait partagé si également son temps et ses intérêts entre deux pays que chacun d'eux puisse être reconnu comme "son pays de résidence habituelle". En pareil cas, il semble équitable d'appliquer, en y apportant les modifications appropriées, le deuxième paragraphe de l'alinéa 1(A)(2), autrement dit, d'exiger que la personne concernée démontre qu'elle a une crainte fondée d'être persécutée dans ces deux pays pour que le statut de "réfugié" lui soit reconnu.»

[12] James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, 1991, à la p. 62.

[13] Il convient de rappeler que l'exigence supplémentaire prônée par cet auteur selon laquelle un demandeur doit, dans tous les cas, pouvoir «légalement retourner» dans ces pays, a été rejetée par la présente Cour dans Maarouf, précité.

[14] Le Shorter Oxford English Dictionary, 3e éd., Oxford, Clarendon Press, 1990, vol. I, p. 793: Former . . . [traduction] 1. Qui précède dans le temps. Principalement: qui appartient au passé ou à une période antérieure à celle dont il est question. b. Occas. = premier, primitif—1529. c. Ce que l'on possédait, occupait, etc., antérieurement ME. 2. The former (Le premier) (souvent absol.): a. Qui vient avant le deuxième, dans un ordre. Également, qui précède (immédiatement). 1588. b. Qui est mentionné en premier; s'oppose à latter 1597. 3. Qui est placé en avant, devant, dans l'espace—1678.

[15] Bien entendu, cette affirmation est assujettie au cas exceptionnel de double résidence, c'est-à-dire au cas d'une personne qui réside en fait simultanément dans deux pays et pour lequel, comme le reconnaît Grahl-Madsen, la revendication du statut de réfugié doit être évaluée au regard de ces deux pays.

[16] Le paragraphe 104 du Guide, précité, indique que la définition n'exige pas qu'un apatride qui avait sa résidence habituelle dans plus d'un pays établisse sa revendication au regard de tous ces pays, mais il ne précise absolument pas comment sera déterminé le pays de résidence habituelle.

[17] Notamment, cette notion assure à l'apatride, aussi bien qu'aux nationaux d'un État, la possibilité de vivre dans un lieu sans craindre d'être persécuté, sous réserve de la collaboration des pays signataires.

[18] Voir renvoi 12, précité.

[19] DORS/93-45.

[20] Voir Deltonic Trading Corp. c. Ministre du Revenu national (Douanes et Accise) (1990), 113 N.R. 7 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Jouan (1995), 122 D.L.R. (4th) 347 (C.A.F.), à la p. 351, par le juge d'appel Marceau.

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