Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Syrie

Contexte politique

L'état d'urgence imposé en 1962 est resté en vigueur en 2007, officiellement pour assurer la stabilité politique et la sécurité nationale. Ce contexte sécuritaire justifie les contrôles quotidiens et les restrictions envers les citoyens syriens, en particulier envers la société civile. Par ailleurs, la réélection du Président Bachar Al-Assad pour un second mandat en mai 2007 avec 97 % des voix ainsi que les élections législatives qui se sont tenues en avril 2007 ont confirmé l'absence de vie électorale pluraliste.

D'autre part, bien que l'interventionnisme étatique ait mené à la dissolution de partis politiques et d'associations indépendantes, ainsi qu'au contrôle de toutes leurs activités par le biais de politiques coercitives, la vitalité de la société civile a malgré tout connu un renouveau, avec la multiplication du nombre de ces organisations entre 2004 et 2007. Dans ce contexte, le 16 octobre 2005, une large coalition de militants pour une réforme politique a rendu publique la "Déclaration de Damas pour un changement démocratique et national", appelant à la mise en place d'un système politique qui respecte les droits des citoyens, qui assure les libertés d'expression et d'association, et qui mette fin à la discrimination basée sur des critères religieux ou politiques. En outre, en mai 2006, la Déclaration de Beyrouth-Damas a été signée par plus de 300 intellectuels et défenseurs des droits de l'Homme de Syrie et du Liban, appelant à l'amélioration des relations entre les deux pays.

En dépit de ce dynamisme, les libertés d'expression et d'association continuent d'être strictement limitées. Un certain nombre de journalistes et de correspondants, y compris des bloggueurs et des cyberdissidents, ont ainsi fait l'objet d'arrestations et d'actes de harcèlement en 2007, dans un contexte où le régime a continué de monopoliser tous les médias et Internet. De surcroît, les autorités syriennes usent du prétexte de la sécurité nationale pour justifier leur mainmise sur le système judiciaire et recourir à des lois et des pratiques discriminatoires contre différents acteurs de la société, comme les femmes, les islamistes, ou encore la minorité kurde. Au nom de la sécurité nationale, les autorités justifient également le recours à la torture et aux mauvais traitements infligés en toute impunité aux prisonniers.

Refus d'enregistrement des organisations de défense des droits de l'Homme

De nombreuses organisations de défense des droits de l'Homme ont continué en 2007 de ne pas être enregistrées à cause du refus systématique du ministère des Affaires sociales et du travail alors que, dans un contexte où l'application continue des lois sur l'état d'urgence signifie que toute organisation non enregistrée peut être poursuivie pour violation des différentes dispositions restreignant les libertés, l'enregistrement renforce la protection juridique des militants des droits de l'Homme. Par conséquent, les membres de ces organisations opèrent toujours de façon illégale, sous la menace constante d'être poursuivis et emprisonnés sur la base de l'article 71 de la Loi n° 93 sur les associations, adoptée en 1958, et au terme duquel toute activité menée dans le cadre d'une association non déclarée est passible d'une peine de trois mois d'emprisonnement ainsi qu'une amende. En outre, l'article 288 du Code pénal syrien prévoit une condamnation allant jusqu'à trois ans d'emprisonnement contre toute personne qui, "sans autorisation gouvernementale, devient membre d'une organisation politique ou sociale de caractère international". Ainsi, l'Organisation nationale pour les droits de l'Homme en Syrie (National Organisation for Human Rights in Syria – NOHR-S), qui avait soumis une demande d'enregistrement au ministère des Affaires sociales et du travail le 4 avril 2006 et s'était vu notifier un décret portant refus d'enregistrement, non motivé, le 30 août 2006,1 a introduit un recours auprès de la justice administrative le 27 décembre 2006 contre ce décret. L'année 2007 n'aura pas pu voir aboutir cette affaire, dans la mesure où le ministère a demandé cinq reports consécutifs à la juridiction aux fins de conclure.

Condamnations à de lourdes peines de prison de défenseurs des droits de l'Homme par la Cour criminelle de Damas

En 2007, de nombreux défenseurs des droits de l'Homme ont été condamnés par la Cour criminelle de Damas.2 Ainsi, MM. Anwar Al-Bunni, directeur du Centre de Damas pour les études juridiques et président des Comités pour la défense des prisonniers politiques, et Michel Kilo, président de l'Organisation pour la défense de la liberté d'expression et de la presse, arrêtés mi-mai 2006 par les forces de sécurité et de renseignement après qu'ils eurent signé la Déclaration de Beyrouth-Damas, ont été condamnés le 13 mai 2007 respectivement pour "diffusion d'informations erronées ou exagérées visant à affaiblir l'esprit de la nation" et "affaiblissement de l'éthique nationale" à des peines de cinq et trois ans d'emprisonnement ferme. D'autre part, M. Kamal Labwani, arrêté en avril 2005,3 a été condamné en mai 2007 par la Cour criminelle de Damas à 12 ans d'emprisonnement pour avoir "communiqué avec un pays étranger et l'avoir incité à entreprendre une agression contre la Syrie" suite à une visite d'officiels américains en 2005.

Vague d'arrestations de membres de l'initiative de la Déclaration de Damas pour un changement démocratique et national

Le 9 décembre 2007, les services de sécurité de l'État syrien ont procédé à une série d'arrestations visant plus de quarante militants dans différentes villes de Syrie, en réaction à la réunion organisée par l'initiative de la Déclaration de Damas pour le changement démocratique et national le 1er décembre 2007, qui a réuni 163 personnes à Damas et a conduit à la création du Conseil national de la Déclaration de Damas, un mouvement collectif réunissant des opposants politiques mais aussi des défenseurs des droits de l'Homme. Les arrestations ont notamment visé plusieurs membres des Comités pour la revitalisation de la société civileen Syrie, dont MM. Fayez Sara, journaliste, Mohammed Haj Darwish, également membre de l'Association des droits de l'Homme en Syrie, Jaber Al-Shoufi, M. Akram al Bunni et M. Ali Al-Abdullah. Tous ont été accusés le 28 janvier 2008 d'avoir violé plusieurs dispositions du Code pénal syrien, notamment les articles 285 et 286 (sur "l'affaiblissement du sentiment national"), 304, 306 et 327 (sur les activités illégales des associations), ainsi que 307 (relatif à la haine raciale et à l'incitation au sectarisme). Certaines de ces dispositions prévoient des peines d'emprisonnement d'au moins sept ans.

Obstacles à la liberté de mouvement

En 2007, plusieurs défenseurs des droits de l'Homme syriens ont fait face à de multiples obstacles à leur liberté de mouvement afin de les empêcher d'assister à des ateliers régionaux ou internationaux. Par exemple, le 11 janvier 2007, M. Akram Al-Bunni a été empêché de quitter la Syrie par les forces de sécurité alors qu'il devait assister à une réunion en Belgique avec de nombreux représentants de l'Union européenne, pour discuter de la situation des droits de l'Homme et des défenseurs des droits de l'Homme en Syrie. Aucune raison officiellene lui a été donnée concernant cette interdiction. De même, M. Jihad Msoti, membre du forum de discussion Al-Atassi, créé afin de promouvoir la démocratisation du pays, a été arrêté en novembre 2007, en même temps que plusieurs autres défenseurs des droits de l'Homme syriens, alors qu'ils se rendaient au Caire, en Egypte, afin d'assister à un atelier organisé par la FIDH. M. Radeef Mustafa, président du Comité kurde des droits de l'Homme, M. Mustafa Ouso, directeur de l'Organisation kurde de défense des droits de l'Homme et des libertés fondamentales en Syrie, et M. Hasan Masho, membre du bureau exécutif de l'Organisation des droits de l'Homme en Syrie, ainsi que MM. Khalil Maatouk et Muhannad Al Husni, avocats spécialisés dans la défense des droits de l'Homme, ont quant à eux été empêchés de quitter l'aéroport international de Damas et par conséquent de participer à l'atelier susmentionné. Quant à lui, le Dr. Ammar Qurabi, président de la NOHR-S, a été interdit de voyager en Jordanie, le 19 novembre 2007, afin de participer à un séminaire sur "le rôle des organisations de la société civile dans les réformes politiques dans le monde arabe", organisé par le Centre Amman pour les études relatives aux droits de l'Homme et l'Institut Aspen de Berlin, sans qu'aucune explication ne lui ait été fournie.

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 La NOHR-S avait ensuite introduit un recours en grâce auprès du ministère, qui a également fait l'objet d'un refus, le 2 novembre 2006 puis le 7 novembre 2006.

2 A cet égard, le Parlement européen, dans sa résolution P6_TA(2007)0217 adoptée le 24 mai 2007, a notamment "exprim[é] la vive préoccupation que lui inspirent les condamnations ayant frappé récemment des prisonniers politiques et des militants des droits de l'homme, qui touchent toutes les tendances politiques de l'opposition" et "demandé d'annuler les jugements rendus, de renoncer aux mises en accusation pendantes devant le Tribunal militaire de Damas et de libérer tous les prisonniers d'opinion et tous les prisonniers politiques".

De même, les 24 avril et 14 mai 2007, la présidence de l'Union européenne a "regrett[é] qu'Anwar al-Bunni, défenseur des droits de l'homme syrien réputé, ait été condamné le 24 avril 2007, à Damas, à cinq ans de prison pour diffusion d'informations sur la situation des droits de l'homme", "exprim[é] sa profonde inquiétude au sujet de la condamnation, prononcée le 13 mai 2007 par un tribunal pénal à Damas, de l'intellectuel syrien Michel Kilo et du militant politique syrien Mahmoud Issa à trois ans de détention chacun", et s'est dite "profondément inquiète des cas répétés de poursuite de défenseurs des droits de l'homme en Syrie".

3 Cf. rapport annuel 2006 de l'Observatoire.

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