Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Soudan

Contexte politique

Au Soudan, la situation politique a continué d'être marquée en 2007 par le conflit au Darfour, et même si la communauté internationale a multiplié les initiatives tout au long de l'année (mandats d'arrêt émis par la Cour pénale internationale – CPI, suivi du Groupe d'experts du Conseil des droits de l'Homme des Nations unies, autorisation de l'opération hybride Nations unies-Union africaine de maintien de la paix1), en l'absence de coopération du Gouvernement d'Omar El Bashir et de moyens véritables, les violations des droits de l'Homme ont continué à large échelle.

Les Nations unies estiment que depuis le début des affrontements, en février 2003, entre les forces gouvernementales alliées aux milices "janjawids" d'une part et les mouvements armés d'autre part, le conflit a fait plus de 200 000 victimes et au moins deux millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays ou dans les pays voisins (principalement au Tchad).2 Les personnes déplacées vivent dans des camps où elles sont exposées aux attaques des milices, tout comme les organisations des droits de l'Homme ou humanitaires sur place.

Ces camps ont été la cible d'une surveillance particulièrement violente et répressive cette année. De nombreux représentants et dirigeants tribaux ont ainsi été arrêtés par les forces du Gouvernement soudanais. Plusieurs incidents ont eu lieu par exemple dans le camp de Kalma.

Pour le procureur de la CPI, le démantèlement des camps, les meurtres et les arrestations arbitraires de dirigeants civils locaux constituent "des efforts coordonnés visant à nourrir l'instabilité dans les camps les plus importants et à affaiblir le soutien apporté aux dirigeants des camps pour personnes déplacées à l'intérieur du pays".3 En novembre 2007, le Groupe d'experts du Conseil des droits de l'Homme, présidé par le Rapporteur spécial sur le Soudan, a également rendu son rapport final, faisant état d'un "désarmement des milices insuffisant" et de "nombreuses attaques de villages et de camps".4

En décembre 2007, le procureur de la CPI a par ailleurs dénoncé l'absence totale de coopération du Soudan dans son enquête sur les crimes commis au Darfour.5 Au contraire, sur les deux mandats d'arrêt émis par la CPI, l'un des suspects a été libéré et l'autre, M. Ahmed Harun, actuel Ministre des Affaires humanitaires, a été nommé vice président du Comité chargé d'examiner les plaintes pour violations des droits de l'Homme au Darfour, et responsable du suivi du déploiement des forces de maintien de la paix.

Enfin, le Gouvernement a continué d'entraver l'accès et la diffusion d'information sur la situation au Darfour. En plus des législations restrictives en matière de liberté d'expression, les autorités tentent en effet d'empêcher toute publication sur la situation des droits de l'Homme dans le pays, et tout particulièrement sur les violations des droits de l'Homme au Darfour et sur le besoin de lutter contre l'impunité des auteurs des crimes les plus graves. Plusieurs actes de censure ont ainsi été exercés par les services secrets contre des quotidiens en langue arabe, dont Ray al Shaab, Al Sudani, Al Sahafa, Al Ayaam et Al Meidan.

Attaques contre les travailleurs humanitaires en toute impunité

A la mi-novembre 2007, on dénombrait entre 12 500 et 15 800 travailleurs humanitaires au Darfour6 qui continuaient de travailler dans des conditions d'insécurité extrême. Les attaques ciblées de la part des forces de sécurité ou des milices sont en effet quotidiennes et se traduisent par des braquages de véhicules, le pillage des convois de nourriture, des attaques contre les bureaux, des enlèvements, des tirs, des agressions sexuelles. D'après les chiffres du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), en 2007, 77 convois humanitaires ont été attaqués, les locaux des ONG et des bureaux de la MUAS ont été cambriolés ou attaqués 93 fois, 147 travailleurs humanitaires ont été enlevés, 10 ont reçu des menaces et 13 d'entre eux ont été tués.7 Par ailleurs, le Groupe d'experts du Conseil des droits de l'Homme a dénoncé l'expulsion, en août 2007, du directeur de l'organisation CARE. Au total, 11 travailleurs humanitaires auraient été expulsés depuis le début de 2007 sans qu'aucune justification ne soit apportée par le Gouvernement.

Malgré la signature le 28 mars 2007 du communiqué conjoint de l'ONU et du Gouvernement Soudanais relatif à la facilitation de l'aide humanitaire, l'attitude des autorités à l'égard de ces travailleurs – et notamment les refus de visas, les expulsions sans justification, ou l'interdiction d'accès aux victimes dans certains lieux – envoie en outre un signal fort d'impunité à l'égard des auteurs de ces attaques et expose davantage les travailleurs.

Harcèlement des ONG et entraves à la liberté d'association

En novembre 2007, les forces de sécurité ont entamé une véritable campagne de harcèlement à l'encontre du personnel du Centre pour le droits de l'Homme et le développement de l'environnement de Khartoum (Karthoum Center for Human Rights and Environmental Development – KCHRED) ainsi que d'autres défenseurs dans la capitale. Cela s'est traduit par des visites répétées du service national de sécurité aux membres du KCHRED qui travaillent dans la section sur la liberté d'expression ainsi qu'à un membre du département financier. Des interrogatoires ont eu lieu sur les financements étrangers, les transferts de fonds, etc. Les bureaux régionaux du Centre Amel pour le traitement et la réhabilitation des victimes de torture (Amel Centre for the Treatment and Rehabilitation of Victims of Torture) continuent également de recevoir les visites répétées des forces de sécurité. Cette ingérence dans les affaires des ONG pose de graves problèmes de confidentialité et de sécurité des dossiers des victimes. En outre, en application de la Loi sur l'organisation du travail humanitaire et bénévole de 2006 (Organisation of Humanitarian and Voluntary Work Act), les dirigeants du Centre Amel ont été convoqués et interrogés par la Commission d'aide humanitaire (Humanitarian Aid Commission) en mars 2007. A la suite de cet interrogatoire, le Centre a fait l'objet d'une fermeture temporaire pour des raisons de "vérifications administratives", avant de reprendre ses activités en mai 2007.8

Actes de harcèlement à l'encontre de défenseurs luttant en faveur des droits des populations affectées par la construction de deux barrages hydro-électriques

En 2007, la construction de deux grands barrages hydro-électriques à Méroé/Hamadab et à Kajbar, dans la vallée septentrionale du Nil, a été à l'origine d'une série de violents affrontements entre les populations locales et les forces de sécurité qui ont causé la mort de plusieurs civils. Les défenseurs qui sont intervenus pour défendre les droits des populations affectées ont été fortement réprimés. Ainsi, MM. Alam Aldeen Abd Alghni, Emad Merghni Seed Ahmed, Abd Allah Abd Alghume, avocats qui participaient à l'une de ces manifestations dans le village de Farraig (municipalité de Halfa) afin d'étudier les aspects juridiques liés à l'événement, et M. Mugahid Mohamed Abdalla, journaliste qui couvrait la manifestation, ont été arrêtés le 13 juin 2007, avant d'être libérés le 19 août.

De même, lors de cette même manifestation, la police et les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des manifestants opposés au barrage faisant quatre morts et treize blessés graves. Les services des renseignements intérieurs ont procédé à la détention arbitraire d'une quarantaine de dirigeants de la communauté nubienne, mais aussi d'au moins cinq journalistes, deux avocats et un professeur d'université. Ils ont été détenus pendant deux mois sans avoir accès ni à leur famille ni à un avocat et n'ont été libérés qu'en échange de l'engagement de ne plus poursuivre leur mobilisation contre le barrage. Plusieurs membres du Comité contre la construction du barrage (Committee Against the Building of the Kajbar Dam – CABKD) ont également été arrêtés et interpellés par la police à plusieurs reprises. Ils auraient fait l'objet de mauvais traitements.

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 En juillet 2007, le Conseil de sécurité des Nations unies a autorisé le déploiement de l'Opération hybride ONU-UA au Darfour (MINUAD), qui a pris officiellement la place de la Mission de l'Union africaine au Soudan (MUAS) le 31 décembre 2007. Avec 20 000 soldats et plus de 6 000 policiers et personnels civils, elle devrait être la plus grande opération mise en place par les Nations unies. Fin 2007, elle se heurtait cependant au refus du Soudan d'accueillir certains éléments non africains qui doivent intégrer la mission et à des questions de sécurité.

2 Cf. communiqué du centre de presse des Nations unies , "Deadly attacks in South Darfour, spark UN call for independant inquiry", 18 mai 2007.

3 Cf. sixième rapport du procureur de la CPI au Conseil de sécurité des Nations unies en application de la résolution 1593 (2005), qui oblige le Gouvernement soudanais à coopérer avec la Cour, 5 décembre 2007.

4 Cf. rapport final sur la situation des droits de l'Homme au Darfour du Groupe d'experts, document des Nations unies A/HRC/6/19, 27 novembre 2007. Le Groupe d'experts a été établi par le Conseil des droits de l'Homme le 30 mars 2007.

5 Cf. déclaration et sixième rapport du procureur de la CPI au Conseil de sécurité des Nations unies sur les développements de son enquête au Darfour, 5 décembre 2007.

6 Cf. rapport du Groupe d'Experts mentionné ci-dessus.

7 Ces chiffres comprennent les chauffeurs engagés par les Nations unies (Cf. OCHA Genève, rapport des incidents 2007 de la section de coordination et de monitoring géographique).

8 A cet égard le Groupe d'experts et le Comité des droits de l'Homme des Nations unies, qui a examiné le rapport du Soudan cette année, se sont inquiétés du fait que de nombreuses organisations et défenseurs des droits de l'Homme ne peuvent exercer librement leurs activités et sont souvent victimes de harcèlements, d'intimidations et de détentions arbitraires de la part des agents de l'État. Le Comité des droits de l'Homme a également dénoncé les conséquences de la Loi sur l'organisation du travail humanitaire et bénévole de 2006 (Cf. observations finales du Comité des droits de l'homme, document des Nations unies CCPR/C/SDN/CO/3, 29 août 2007, et rapport du Groupe d'experts mentionné ci-dessus).

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