Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Rwanda

Contexte politique

En 2007, le génocide de 1994 et les graves violations des droits de l'Homme ultérieurement commises dans la région des Grands Lacs ont continué de peser sur les relations du Rwanda avec la communauté internationale. Les tensions ont ainsi persisté entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC), le Président Paul Kagame ayant été accusé par le Gouvernement congolais de soutenir la rébellion du Général dissident Laurent Nkunda à l'est du pays. Ce dernier a en effet justifié les affrontements contre l'armée congolaise par sa volonté de créer dans les Kivus une zone de protection des Tutsis contre les attaques des Interhamwés (milices hutus présentes sur le territoire congolais depuis la fin du génocide). Au second semestre, les tensions entre les deux pays se sont un peu apaisées, le Rwanda et la RDC ayant même signé un communiqué conjoint sur la stabilité régionale le 9 novembre 2007.

La situation du pays reste par ailleurs marquée par les efforts de réconciliation nationale et les procès des personnes soupçonnées de participation au génocide de 1994, notamment devant les juridictions populaires gacaca.1 La tâche est immense et délicate puisque ces juridictions, instituées en 2001 pour accélérer le jugement de plus de 100 000 personnes détenues depuis le génocide, délivrent une justice communautaire, souvent éloignée des standards internationaux, notamment s'agissant du respect des droits de la défense, dans des localités ou coexistent des génocidaires et des rescapés. La sécurité des rescapés, des témoins et des juges n'est pas non plus garantie et plusieurs d'entre eux ont été attaqués ou assassinés, mettant à chaque fois en danger le fragile équilibre entre les ethnies. A cet égard, fin 2006, le Président Paul Kagame avait fait une déclaration à la radio pour mettre en garde les responsables de ces attaques et demander à la population d'assurer la protection des témoins à charge et des juges. En 2007, les avertissements ont continué, mais ils n'ont pas évité que de nouveaux meurtres, certes moins nombreux, aient lieu.2

Actes de harcèlement à l'encontre des défenseurs qui dénoncent les dysfonctionnements des tribunaux gacaca

Les défenseurs des droits de l'Homme qui ont suivi les procès devant les juridictions populaires gacaca et en ont dénoncé les dysfonctionnements ont fait l'objet d'actes de harcèlement constants. De manière générale, le fait de mettre en cause l'autorité expose les défenseurs à des représailles ou à des accusations d'"idéologie génocidaire".

Un réseau d'observateurs a notamment été mis en place pour examiner le respect par les juridictions gacaca des conditions d'un procès juste et équitable, et a relevé des irrégularités dans plusieurs districts. Se faisant l'écho de ces constatations, les ONG ont dénoncé le recours à une justice sommaire et précipitée pour satisfaire l'échéance initialement fixée au 31 décembre 2007 et repoussée en mars 2008 ; la corruption et l'abus de pouvoir des autorités de base (villages et cellules) dans certains districts utilisant ces tribunaux pour régler des comptes personnels et intimidant certains témoins ; de nombreuses irrégularités de procédure (non respect des droits de la défense, absence de preuves matérielles), ou encore le retard injustifié dans l'exécution des jugements. Leurs membres ont pour cela été menacés ou interrogés par les autorités ou les services de sécurité qui agissent en toute impunité. Le cas de la condamnation de M. François-Xavier Byuma, président d'une ONG travaillant sur les droits de l'enfant, est emblématique. M. Byuma a ainsi été condamné le 27 mai 2007 à 19 ans de prison pour complicité de génocide par un tribunal gacaca alors même que le président de ce tribunal était mis en cause dans une enquête que menait son organisation. Malgré ce conflit d'intérêt évident, les tentatives de récuser le président de ce tribunal ont été refusées. Son seul recours est maintenant devant le Service national des juridictions gacaca.

De même, plusieurs membres d'ONG ont été interrogés par les autorités suite à des publications sur le déroulement des juridictions. Des animateurs en droits de l'Homme qui informaient les témoins sur leurs droits et les encourageaient à ne pas recourir à de faux témoignages ont également été molestés. A cet égard, l'Observatoire tient à souligner que, par sécurité pour les défenseurs et leurs familles, toute précision quant à leur identité, leurs organisations ou même les lieux où se sont déroulés ces faits ne peut être divulguée, ce qui démontre l'intensité de la répression à leur égard.

Menaces contre les ONG accusées de mettre en cause le processus de réconciliation nationale

Plusieurs collaborateurs d'ONG ont été interrogés par le service de renseignements militaires (Directory of Military Intelligence) sur leurs publications et enquêtes concernant les abus des autorités au pouvoir. Au moins une dizaine de cas de défenseurs et de journalistes harcelés et intimidés par les autorités ont ainsi été recensés en 2007 mais, de nouveau, par sécurité pour les défenseurs et leurs familles, toute précision à leur sujet ne peut être révélée. Il convient également de rappeler que, depuis 2004, de nombreux défenseurs des droits de l'Homme et leur famille ont dû quitter le pays par peur de représailles à leur encontre. Par ailleurs, s'il n'a pas progressé cette année, le projet de loi destiné à renforcer l'encadrement par l'État des activités et des publications des ONG est toujours à l'étude devant le Parlement et représente une menace pour la liberté d'expression des organisations de la société civile.

Projet de loi régissant les activités des ONG internationales oeuvrant au Rwanda

Un projet de loi fixant les modalités d'enregistrement, de recrutement du personnel et de déroulement des activités des ONG internationales établies au Rwanda a été adopté par le Conseil des Ministres le 26 juillet 2006. Il est devenu applicable en vertu de l'arrêté ministériel du 12 octobre 2007, sans toutefois avoir été adopté par le Parlement ou promulgué par le Président.

L'objectif de cette loi est d'exiger davantage d'implication de la part des ONG internationales dans le développement des capacités nationales. Cependant, pour atteindre cet objectif, plusieurs dispositions du texte portent atteinte à l'indépendance des ONG. Celle-ci devront par exemple se conformer aux plans de développement des districts ou encore obtenir l'autorisation préalable du ministère technique chaque fois qu'elles souhaiteront élargir leur sphère d'intervention. Cela signifie qu'en cas d'un élargissement d'activité pour faire face à une situation urgente, elles pourraient se retrouver en porte à faux avec l'obligation de soumettre un rapport tous les trois mois, exigé en cas de changement d'activité. De manière générale, le projet de loi laisse trop de place à l'arbitraire et impose beaucoup d'obligations aux ONG sans concertation possible. Par exemple, en cas de cessation d'activités, l'ONG internationale devra transférer, sous forme de don, ses équipements et matériel aux organisations rwandaises menant des activités similaires et cela avec le consentement préalable du ministère technique concerné, c'est à dire sans même le choix du partenaire. Le Gouvernement pourra en outre prendre la décision de mettre fin aux activités d'une ONG internationale en lui donnant un préavis de trois mois et l'engagement du personnel expatrié se fera après que le ministère technique eut donné son approbation en tenant compte de l'expertise requise dans un secteur donné et des qualifications du personnel proposé.

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 Plus de 250 000 personnes faisant office de juges au sein de quelque 10 000 juridictions dans l'ensemble du pays.

2 Cf. communiqués de l'organisation Ibuka, www.ibuka.ch.

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