Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Nicaragua

Contexte politique

Le 10 janvier 2007, M. Daniel José Ortega Saavedra, leader du Front sandiniste de libération nationale (Frente Sandinista de Liberación Nacional – FSLN), a pris la tête de la Présidence de la République après une élection controversée. En effet, M. Ortega a été élu le 5 novembre 2006 avec seulement 38 % des voix exprimées, après avoir passé en 2000 un pacte avec le dirigeant du Parti libéral constitutionnel (Partido Liberal Constitucionalista – PLC) qui a, entre autres, a baissé le nombre de suffrages requis au premier tour.

Une véritable concentration du pouvoir s'est alors opérée. Par exemple, l'épouse du Président, Mme Rosario Murillo, en plus de coordonner la communication de la Présidence de la République, est également secrétaire exécutive du Conseil national de planification économique et sociale (Consejo Nacional de Planificación Económica Social – CONPES) et responsable aux niveaux national, départemental et local des Conseils du pouvoir citoyen (Consejos del Poder Ciudadano – CPC), nouvellement adoptés et qui se veulent être un lien entre les institutions de l'État et les citoyens.

En 2007, le Gouvernement a par ailleurs entrepris des efforts sur le plan normatif et institutionnel dont certains visaient à une plus grande transparence de l'administration publique et une meilleure lutte contre la corruption, surtout par le biais d'un meilleur accès des citoyens à l'information liée à la gestion des institutions et des organes de l'État. Diverses mesures prises ont également visé une amélioration des conditions d'accès à l'éducation primaire, les soins médicaux et la réduction de la pauvreté.

Cependant, la pauvreté continue de frapper la population: ainsi, 10 % de la population la plus riche absorbe 30 % du revenu national, tandis que 40 % de la population la plus pauvre ne possède que 10 % de ce revenu. La criminalité reste également élevée, notamment en lien avec les réseaux de narcotrafiquants, et la police se rend coupable d'exactions, notamment lors des détentions. En outre, les familles des victimes ne bénéficient d'aucune protection, à l'exemple de Mme Villanueva Delgadillo Obando, tuée le 20 mars 2007 alors qu'elle se rendait au tribunal de Nueva Guinea afin de soutenir ses fils, victimes de torture en détention. Quant à la population carcérale, détenue dans des installations pénitentiaires vieilles et insalubres, elle a connu une augmentation de 14 % par rapport à 2006. Fin octobre 2007, le Centre nicaraguayen des droits de l'Homme (Centro Nicaragüense de Derechos Humanos – CENIDH) répertoriait ainsi 6 701 détenus, répartis dans les huit centres pénitenciers du pays, dont 1 290 en détention préventive et 5 411 purgeant leur peine.

D'autre part, le système judiciaire continue d'être entre les mains des partis politiques, en particulier ceux du FSLN et du PLC, et des secteurs économiques et religieux influents. Ce climat, qui favorise le trafic d'influence et le clientélisme, ne permet pas de garantir les droits fondamentaux, tel que le principe d'égalité devant la loi, et favorise la corruption de l'appareil judiciaire.

En ce qui concerne la liberté d'information, le 16 mai 2007, le Parlement du Nicaragua a adopté la Loi 621 relative à l'accès à l'information publique (Ley de Acceso a la Información Publica), qui est entrée en vigueur le 20 décembre 2007. Bien que cette loi représente une réelle avancée, elle ne semble pourtant pas refléter de facto une ouverture de la part du Gouvernement qui l'a plébiscitée. En effet, l'information au sein du Gouvernement semble être de plus en plus maîtrisée et centralisée, comme en témoigne la charge assumée par l'épouse du Président, responsable de la communication de tous les ministères, et les principales actions de l'exécutif, qui sont entourées d'une grande discrétion.

Campagnes de discrédit à l'encontre des défenseurs des droits de l'Homme

En 2007, les défenseurs des droits de l'Homme ont fait l'objet de nombreuses critiques de la part des agents de l'État, qui sont allés jusqu'à discréditer leur travail. Ainsi, début juillet 2007, les autorités judiciaires ont mené une véritable campagne de discrédit et de diffamation à l'encontre du CENIDH. Notamment, le procureur des droits de l'Homme, M. Omar Cabezas Lacayo, a publiquement déclaré que le travail de l'organisation "le dégoût[ait]" et a affirmé que les organisations comme le CENIDH "se sont formées dans des quartiers ou des villes dans le seul but d'attirer l'attention des journalistes". D'autre part, le 21 juillet 2007, au cours de la cérémonie de clôture du Forum de Sao Paulo, le Président Ortega a accusé les organisations de la société civile de payer les participants aux manifestations organisées afin de demander de meilleures conditions sociales et une amélioration de la situation des droits de l'Homme. Ces accusations visaient, entre autres, la "Coordination civile" (Coordinadora Civil), qui joue un rôle central dans la lutte pour la démocratisation, la juste redistribution des richesses, la participation citoyenne, la réduction de la pauvreté et contre la corruption. Ces organisations, dont le CENIDH, ont de plus été accusées de "défendre des délinquants" et de s'être "ralliés à l'opposition".

Actes d'intimidation à l'encontre des défenseurs des droits des femmes

En 2007, les défenseurs des droits des femmes, et plus particulièrement du droit à l'avortement thérapeutique, ont fait l'objet d'actes d'intimidation afin de les dissuader de poursuivre leurs actions. En effet, suite à l'adoption, en 2006, par l'Assemblée nationale de la Loi 603, pénalisant l'avortement thérapeutique, en dérogation à un article du Code pénal en vigueur, diverses organisations de la société civile luttant contre cette pénalisation ont introduit un recours, le 8 janvier 2007, invoquant l'inconstitutionnalité de cette loi. En outre, de nombreuses organisations, dont le Réseau des femmes contre la violence, le Mouvement autonome des femmes, le Mouvement féministe et le CENIDH ont mené une campagne en 2007 contre cette loi par l'intermédiaire de manifestations, de sit-in et d'annonces télévisées. Ce qui n'a pas empêché la ratification de cette loi, le 13 septembre 2007, désormais inscrite dans le nouveau Code pénal.

En conséquence, les membres de ces organisations ont fait l'objet d'actes de représailles, notamment de poursuites judiciaires, à l'exemple de neuf dirigeantes d'organisations de défense des femmes et de l'enfance,1 contre lesquelles deux plaintes ont été déposées en octobre 2007 auprès du ministère Public par le directeur exécutif de l'Association nicaraguayenne pour les droits de l'Homme (Asociación Nicaragüense Pro Derechos Humanos – ANPDH)2 pour "délits contre l'administration de la justice", "dissimulation de délit de viol", "association illicite de malfaiteurs" et "apologie de délit".

Les défenseurs luttant contre la corruption et les exactions commises par les forces de l'ordre et les autorités victimes de représailles

En 2007, les défenseurs qui ont cherché à dénoncer la prégnance de la corruption au sein des institutions étatiques ont fait l'objet d'actes d'intimidation et de harcèlement. Ainsi, M. Gerardo Miranda, ancien député du FSLN, a porté plainte pour "diffamation" et le procureur général de la République a menacé de poursuivre en justice le journaliste Carlos Fernando Chamorro, après que ce dernier eut diffusé, le 27 mai 2007, dans le cadre de son programme télévisé Esta Semana, un reportage dénonçant des actes de corruption dont se seraient rendus coupables M. Miranda et d'autres cadres du FSLN. En outre, les médias officiels ont mené une campagne de diffamation à l'encontre du journaliste, qui a par exemple été traité de "mafieux voleur de terres".

Par ailleurs, celles et ceux qui ont lutté contre l'impunité et ont dénoncé les exactions commises par les forces de l'ordre et les autorités ont eux aussi été la cible de représailles. Par exemple, M. Marcos Carmona, secrétaire exécutif de la Commission permanente des droits de l'Homme (Comisión Permanente de Derechos Humanos – CPDH), ne cesse de recevoir des menaces de mort depuis juin 2006, date à laquelle la CPDH a porté plainte auprès du procureur général de la République contre les dirigeants du Gouvernement sandiniste des années 1980, les accusant d'être les auteurs présumés de crimes contre l'humanité à l'encontre des communautés mískitas. Ainsi, en février et mars 2007, M. Carmona a reçu plusieurs menaces de mort par téléphone et par courrier électronique.

Actes de harcèlement à l'encontre des défenseurs du droit à l'environnement

En 2007, la répression a également visé les défenseurs du droit à l'environnement. Ainsi, M. Pablo Antonio Centeno Madrigal, membre du Réseau de promoteurs des droits de l'Homme du CENIDH "Padre César Jérez" (Red de Promotores de Derechos Humanos del CENIDH "Padre Cesar Jerez"), ainsi que du Mouvement environnementaliste "Oui à la vie" (Movimiento Ambientalista "Si a la Vida") dans la ville de León, et dirigeant de la communauté indigène de Sutiava, a été arrêté par deux fois, en janvier et en juillet 2007, et poursuivi en justice pour "incendie de l'entreprise de canne à sucre San Antonio", en lien avec des faits datant du 23 janvier 2007. M. Centeno est connu pour ses activités en faveur du droit à l'environnement, et notamment pour avoir dénoncéles dommages causés à l'environnement et la santé par l'entreprise San Antonio. M. Centeno a finalement été acquitté le 13 août 2007.

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 Mmes Ana María Pizarro, Juana Antonia Jiménez, Lorna Norori Gutiérrez, Martha María Blandón, Luisa Molina Arguello, Martha Munguía Alvarado, Mayra Sirias, Yamileth Mejía Palma et Violeta Delgado Sarmiento.

2 L'ANPDH est une organisation présidée par l'évêque Abelardo Matta, chef de l'Église catholique et leader du mouvement anti-avortement au Nicaragua.

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