Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Guatemala

Contexte politique

L'année 2007 a été marquée par les élections présidentielle, législatives et municipales du 9 septembre 2007, puis le second tour de l'élection présidentielle, le 4 novembre 2007, qui a été remportée par M. Álvaro Colom Caballeros, de l'Union nationale de l'espérance (Unidad Nacional de la Esperanza – UNE). Ces élections ont été caractérisées par un climat d'insécurité croissante au Guatemala ; elles ont notamment été précédées d'une vague de violence contre les candidats aux élections et les membres des partis politiques.1

Plus de dix ans après la fin d'un conflit interne qui a ensanglanté le Guatemala de 1960 à 1996 et a constitué le plus grand génocide commis en Amérique latine au XXe siècle – à l'encontre des populations autochtones en majorité maya – l'enjeu principal des autorités guatémaltèques reste celui de lutter contre l'impunité des graves violations des droits de l'Homme commises par le passé et celles plus récentes. Elles doivent également lutter contre la violence liée au crime organisé, à la délinquance ainsi qu'aux groupes illégaux et clandestins de sécurité et de "nettoyage social" et aux gangs de jeunes ou "maras". De surcroît, les forces de l'ordre sont souvent elles-mêmes auteurs d'exactions et accusées de corruption et de narcotrafic. Ainsi, le 19 février 2007, trois députés salvadoriens du Parlement d'Amérique centrale (Parlamento Centroamericano – PARLACEN) ont été assassinés avec leur chauffeur à 40 kilomètres de la ville de Guatemala. Le 25 février, les quatre policiers suspectés d'avoir commis ces meurtres ont été tués à la prison de haute sécurité d'El Boquerón, où ils avaient été écroués quatre jours plus tôt.2

D'autre part, l'usage de la torture reste fréquent au Guatemala, et les conditions de détention continuent d'être déplorables, en raison notamment de la surpopulation carcérale, de la corruption des gardiens de prisons, des abus dont sont à l'origine les comités de discipline et d'ordre, le manque de budget et l'augmentation des conflits entre groupes rivaux et de "nettoyage social" au sein des prisons.

L'année 2007 a également été marquée par la décision, le 12 décembre 2007, de la Cour constitutionnelle du Guatemala, qui a refusé l'extradition de MM. Angel Anibal Guevara Rodríguez, ancien Ministre de la Défense, et Pedro García Arredondo, ex commandant de la police, poursuivis en Espagne aux côtés de cinq autres hauts responsables guatémaltèques pour "génocide", "torture", "disparitions forcées" et "exécutions extrajudiciaires" durant le conflit. Cette décision est venue renforcer l'impunité dont jouissaient déjà les anciens généraux et dirigeants de cette époque, dont le Général Efrain Ríos Montt.

Dans ce contexte, un fait majeur a été la ratification par le Congrès guatémaltèque, le 1er août 2007, de l'accord signé en décembre 2006 par le Gouvernement avec les Nations unies et instituant la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (Comisión Internacional Contra la Impunidad en Guatemala – CICIG). La CICIG a été créée afin d'enquêter et de démanteler des organisations criminelles qui seraient responsables non seulement du crime généralisé au Guatemala, mais aussi de la paralysie du système judiciaire par des infiltrations dans les institutions étatiques. La CICIG, qui dispose d'un mandat de deux ans renouvelable à la demande du Gouvernement, a également pour objectif de renforcer le système de justice pénale, et de formuler des recommandations pour l'élaboration de politiques pour combattre les organisations criminelles.3

En 2007, les défenseurs des droits de l'Homme ont à nouveau été victimes de représailles et de tentatives d'intimidation afin de les dissuader de poursuivre leurs activités. Ainsi, en 2007, l'Unité de protection des défenseurs des droits de l'Homme-Guatemala (Unidad de Protección de Defensoras y Defensores de Derechos Humanos-Guatemala – UDEFEGUA-Guatemala) a enregistré 195 cas de menaces ou d'attaques à l'encontre des défenseurs de droits de l'Homme.4

Assassinats de dirigeants syndicaux

L'année 2007 a été témoin d'une augmentation de la violence à l'encontre des dirigeants syndicaux, qui ont souvent payé de leurs vies leur combat pour les droits des travailleurs. A cet égard, l'UDEFEGUA-Guatemala a recensé en 2007 25 menaces ou attaques à l'encontre de syndicalistes. En outre, sur neuf défenseurs assassinés en 2007, deux étaient des dirigeants syndicaux. Ainsi, le 15 janvier 2007, M. Pedro Zamora, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de l'entreprise portuaire Quetzal (Sindicato de Trabajadores de la Empresa Portuaria Quetzal – STEPQ), à Puerto Quetzal, a été assassiné. M. Zamora avait été particulièrement actif lors des négociations sur le Pacte collectif des conditions de travail ainsi que dans la lutte permanente pour la réembauche d'un groupe de travailleurs licenciés abusivement.5 De même, le 23 septembre 2007, M. Marco Tulio Ramírez Portela, membre du Syndicat des travailleurs de la banane d'Izabal (Sindicato de Trabajadores Bananeros de Izabal – SITRABI), et frère du secrétaire général de SITRABI, a été assassiné à Izabal.

Actes de représailles à l'encontre des défenseurs qui luttent contre l'impunité

En 2007, celles et ceux qui ont cherché à défendre le droit à la justice des victimes d'exactions et à lutter contre l'impunité ont continué de faire l'objet d'agressions et de menaces. Ainsi, le 25 mai 2007, MM. Freddy Peccerely, José Suasnavar, Omar Bertoni et Mme Bianka Peccerely, membres de la Fondation d'anthropologie médico-légale de Guatemala (Fundación de Antropología Forense de Guatemala – FAFG), une ONG qui documente et dénonce des violations de droits de l'Homme et des meurtres non élucidés, ont reçu un message électronique les menaçant de mort. Le 28 mai 2007, M. Peccerely a de nouveau reçu un message électronique d'insultes et de menaces. De même, le 13 août 2007, M. Sergio Fernando Morales, procureur des droits de l'Homme, se déplaçait à bord d'un véhicule officiel lorsque ses agents de sécurité l'ont informé que sa voiture était en feu. A l'arrivée à son domicile, M. Morales a reçu un message sur son téléphone portable, en lien avec ces faits, qui ont eu lieu en plein débat national sur l'adoption par le Congrès de la CICIG.

Actes d'intimidation à l'encontre des défenseurs des droits environnementaux et des populations autochtones

Les défenseurs des droits environnementaux et des droits des populations autochtones ne sont pas non plus épargnés par les menaces et les actes de harcèlement, en particulier lorsque ces hommes et ces femmes luttent contre les conséquences de l'exploitation massive des sources énergétiques par les entreprises du pays. De surcroît, les autorités ont également contribué à encourager ces actes d'intimidation. Ainsi, lors d'une conférence de presse, le 10 janvier 2007, le Vice-président Eduardo Stein a indiqué que le Gouvernement voyait dans le crime organisé et le mouvement environnemental les "principales sources de l'ingouvernabilité". Il a notamment pointé du doigt les organisations opposées à la construction des barrages hydro-électriques de Xalala et Serchil (départements de Quiché et Alta Verapaz).

Par ailleurs, en janvier 2007, M. Flaviano Bianchini, volontaire du Collectif "Madre Selva" et défenseur des droits environnementaux, a reçu à plusieurs reprises des menaces de mort par téléphone. En outre, après la publication du rapport du Collectif, le Vice-ministre de l'Energie et des mines, M. Jorge García, a affirmé que "le rapport [du Collectif] n'[était] pas conforme aux protocoles de recueil et d'analyses nationalement et internationalement reconnus". Il a ajouté qu'il allait porter une copie de ce rapport à l'attention du ministère Public, afin de savoir si M. Bianchini pouvait être poursuivi pour avoir réalisé "un rapport invalide". De même, le 2 février 2007, M. José Roberto Morales, coordinateur du bureau des droits des peuples indigènes du Centre d'action légale des droits de l'Homme (Centro de Acción Legal en Derechos Humanos – CALDH), a été enlevé alors qu'il rentrait chez lui dans un véhicule du CALDH. Ses ravisseurs l'ont menacé de mort et l'ont abandonné peu après dans un quartier proche.

Harcèlement à l'encontre des femmes défenseures

Les femmes qui cherchent à promouvoir et à défendre les droits des femmes et des victimes de violences sexuelles ont également fait l'objet de multiples actes de harcèlement et de violence, leurs agresseurs n'hésitant pas parfois à s'en prendre à leurs proches. Ainsi, en mars et en avril 2007, les membres de l'Institut d'études comparées en sciences criminelles (Instituto de Estudios Comparados en Ciencia Penales – ICCPG) ont reçu à plusieurs reprises des menaces de mort, à l'instar de Mme Paola Barrios, enquêtrice de l'ICCPG sur les conditions de détention des femmes et des violences de genre, et de Mme Mónica Teleguario Xitay, avocate de l'Institut, qui ont travaillé toutes deux sur le viol d'une femme par des membres de la police nationale civile. Par ailleurs, le 3 juin 2007, M. José Corrado Gómez, fils de Mme Edith Corrado Gómez, membre de l'Equipe de sensibilisation de l'Association des femmes Ixqik (Asociación de Mujeres Ixqik) de Péten, et petit-fils de Mme María Cristina Gómez, chargée de la Pastorale de la femme pour les communautés de Santa Ana et de Chal, a été assassiné par deux hommes armés à Chal (département de Petén). L'un des meurtriers a ensuite pris pour cible Mme Edith Corrado, la blessant au bras. Mme María Cristina Gómez, voulant protéger sa fille, a reçu les autres tirs, et est décédée sur le coup. Ces faits ont eu lieu la veille d'une réunion de l'Association Ixqik avec le bureau du procureur des droits de l'Homme, visant notamment à dénoncer les actes de harcèlement perpétrés à l'encontre de ses membres.

Multiplication des fouilles et cambriolages des ONG

En 2007, de nombreuses ONG ont vu leurs bureaux fouillés et cambriolés, de tout évidence afin d'entraver et de se renseigner sur leurs activités de défense des droits de l'Homme. Par exemple, entre le 3 et le 5 février 2007, les bureaux qui abritent le Mouvement national des droits de l'Homme (Movimiento Nacional de Derechos Humanos – MNDH), l'Unité de protection des défenseures et défenseurs des droits de l'Homme (Unidad de Protección de Defensoras y Defensores de Derechos Humanos – UPD-MNDH) et l'association Communication pour l'art et la paix (Comunicación para el Arte y la Paz – COMUNICARTE) ont été cambriolés. Leurs archives ont été fouillées et plus de dix ordinateurs volés, ainsi que l'équipement vidéo et de la documentation sur le travail de ces organisations. De même, le 5 avril 2007, les sièges de l'organisation irlandaise TRÓCAIRE, de l'Association espagnole pour la coopération avec le sud (Asociación para la Cooperación con el Sur – ACSUR Las Segovias), du Collectif guatémaltèque pour le pouvoir et le développement local (Colectivo Poder y Desarrollo Local – CPDL) et de CARE International, dans la ville de Guatemala, ont été cambriolés. Du matériel informatique et des vidéos ont été dérobés, contenant d'importantes informations sur le travail de ces quatre organisations, qui ont porté plainte. Aucun autre objet de valeur n'a disparu.

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 A cet égard, la Commission interaméricaine des droits de l'Homme (CIDH) a exprimé "sa profonde inquiétude suite aux actes de violence qui ont eu lieu dans le contexte de la campagne électorale au Guatemala [...] plus de 50 meurtres politiques de candidats, d'activistes politiques et de membres de leurs familles ayant eu lieu" (Cf. communiqué n° 47/07, 31 août 2007. Traduction non officielle).

2 En relation avec ces événements, le Parlement européen, "considérant que [...] plusieurs milliers d'homicides sont perpétrés chaque année au Guatemala et qu'il n'est procédé à des arrestations que dans 2 % des cas; que des syndicalistes (tels que Pedro Zamora à Puerto Quetzal), des leaders paysans et des membres de leurs familles ont également été assassinés plus tôt en 2007, et que les témoins des cas de génocide faisant l'objet d'une enquête ont été victimes de menaces, d'effractions, de violations de domicile et de cambriolages, de même que les représentants légaux des victimes de génocide ou diverses organisations des droits de l'homme", s'est dit "attend[re] du gouvernement guatémaltèque qu'il garantisse l'entière indépendance, la liberté et la sécurité aux autorités judiciaires guatémaltèques chargées d'enquêter sur ces crimes" et lui a "demand[é] [...] d'adopter des mesures visant à protéger les représentants de la justice, les victimes de crimes contre l'humanité demandant que justice soit faite, les défenseurs des droits de l'homme et les témoins susceptibles de contribuer à l'avancement des procès" (Cf. résolution P6_TA(2007)0084 du Parlement européen, 15 mars 2007).

3 A cet égard, la présidence de l'Union européenne a tenu à "salue[r] la décision prise le 1er août par le Congrès du Guatemala approuvant la création, avec caractère d'urgence, d'une Commission internationale contre l'impunité au Guatemala et [à] féliciter le Parlement, le Gouvernement et le peuple guatémaltèques de cette action. [...] [L]'UE reconnaît également le rôle important des défenseurs des droits de l'Homme dans le combat contre l'impunité et les violations des droits de l'Homme et des libertés fondamentales" (Cf. déclaration de la présidence de l'UE, 3 août 2007).

4 Cf. UDEFEGUA-Guatemala, Vencendio barreras, Informe sobre Situación de Defensoras y Defensores de Derechos Humanos. Enero a Diciembre del 2007, janvier 2008. En 2006, l'Unité avait enregistré 277 cas de menaces ou attaques à l'encontre des défenseurs.

5 Le 19 janvier 2007, la CIDH a "condamné le meurtre de M. Pedro Zamora, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de l'entreprise portuaire Quetzal [...]" et a "appelé l'État guatémaltèque à enquêter sur ce grave incident et à faire tout son possible pour sanctionner les responsables" (Cf. communiqué de presse de la CIDH n° 3/07, 19 janvier 2007. Traduction non officielle).

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