La Crise Rwandaise: Structures et Deroulement

  • Author: Gérard Prunier
  • Document source:
  • Date:
    1 July 1994

INTRODUCTION

La destruction le 6 avril 1994 vers 20h30 lors de son atterrisage à Kigali de l'appareil Falcon 50 qui ramenait d'une conférence à Dar-es-Salaam les Présidents Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira a plongé le Rwanda dans une crise sans précédent. Bien que son extraordinaire violence ait choqué l'opinion publique, celle-ci n'a pas toujours très bien compris la nature de l'événement complexe qui se déroulait sous ses yeux et c'est sans doute en partie à cette incompréhension que l'on doit la faiblesse des réactions de la communauté internationale. Nous allons tenter dans cet essai de dégager trois types d'éléments de réflexion nous permettant de mieux comprendre la nature de ce phénomène: d'abord quelques facteurs que l'on pourrait appeller structurels et qui concernent le cadre historique et bien sûr "ethnique" dans lequel s'est inscrit cette tragédie. Ensuite un examen de ce qu'il faut bien appeller la guerre civile rwandaise entre le 1er octobre 1990 et le 6 avril 1994. Et enfin une analyse de la crise génocidaire elle-même depuis cette dernière date. En guise de conclusion nous examinerons les conséquences de cette violente convulsion pour ce qui concerne les réfugiés.

1. LES CAUSES STRUCTURELLES DE LA CRISE

1.1 Le cadre historique et culturel

a) La fameuse "question ethnique": Tout comme son frère jumeau, le royaume du Burundi, le Rwanda présente la caractéristique très particulière de voir sa population répartie entre deux groupes sociaux, l'un, les Tutsis représentant environ 15% de la population et l'autre, les Hutus représentant environ 85%. Il existe en outre quelques survivants des populations pygmoïdes originelles, les Twa. Il ne s'agit pas ici des deux ethnies, les Tutsis et les Hutus n'ayant aucune des caractéristiques de micro-nation (territoire défini, langue, cultes religieux pré-chrétiens, etc) qui distinguent en Afrique les ethnies entre elles. Il s'agit de deux groupes, probablement d'origines ethniques différentes si l'on remonte au XIIIème ou au XIVème siècle, mais depuis longtemps culturellement homogénéisés (ce qui ne veut pas dire unifiés) et biologiquement partiellement mélangés (ce qui ne veut pas dire fusionnés).

Il est intéressant de noter qu'il n'existe pas au Rwanda de clans tutsis ou de clans hutus; tous les clans sont transversaux, comprenant Tutsis, Hutus et même Twa. Ces groupes entretenaient à la période précoloniale des relations complexes d'interdépendance économique, de compétition politique et de patronnage/clientélisme social très différentes du violent clivage bipolaire actuel. De plus, ces distinctions sociales étaient surdéterminées par l'existence d'un royaume unitaire et centralisé, encore en pleine expansion à la fin du XIXème siècle. La réalité n'était ni dans un système d'opposition violente entre "pasteurs aristocrates tutsis" et "serfs agriculteurs hutus"[1] ni dans l'harmonieuse intégration nationale vue par l'Abbé Alexis Kagam[2] mais plutôt dans ce que Catherine Newbury a appelé avec bonheur "The cohesion of oppression"[3] c'est à dire dans une complémentarité sociale inégale maintenue en tension dynamique par l'idée de communauté nationale. Tandis que sur le plan social les relations très complexes des contrats d'Ubuhak[4] mitigeaient l'opposition Tutsi/Hutu et que sur le plan politique le Royaume du Rwanda, entité nationale cohérente, entraînait l'ensemble des Banyarwanda (mot à mot "enfants du Rwanda") dans un mouvement dynamique de conquête et d'expansion nationale[5]

Ni enfer "féodal" ni paradis "africain", le Royaume du Rwanda était en 1894 une entité d'une puissante originalité culturelle que la colonisation affecta de manière très différente de ce qui s'est passé dans la majorité des régions de l'Afrique. En effet soucieuse de ne pas trop dépenser dans l'administration de ses possessions lointaines,[6] l'Allemagne opta pour un système d'administration indirecte qui plaçait le royaume sous son contrôle plutôt qu'il ne le remodelait politiquement. Il y eut d'une certaine manière un simple effet de substitution entre le Mwami (Roi) et le Gouverneur allemand, phénomène bien résumé par le titre amusant d'un ouvrage de Ferdinand Nahimana.[7] Un autre aspect - fondamental - de la présence allemande fut d'introduire au Rwanda l'église catholique qui allait connaître un immense succès social dans le pays, 90% des habitants étant convertis à la religion romaine dès les années 1930.

b) L'impact de la colonisation: Les autorités belges qui se substituèrent aux allemandes à la fin de la Première Guerre Mondiale[8] reprirent largement leur politique de contrôle indirect du pays.[9] Mais avec plusieurs différences: d'une part le développement économique fut accéléré, souvent avec des méthodes extrêmement brutales (travail forcé, lourds impôts) et d'autre part l'administration civile fut renforcée par la titularisation bureaucratique des chefs. Ceci eut plusieurs effets: d'une part d'amener une certaine aisance chez les indigènes (revenus des cultures de rente) tout en accélérant la transformation des valeurs traditionnelles, entraînant notamment un changement total dans le rôle de l'Ubuhake. Et d'autre part d'affaiblir l'autorité royale tout en renforçant celle des grands lignages tutsis très liés à l'autorité coloniale. On aboutit donc à une différenciation sociale bipolaire de plus en plus aigüe tandis que s'affaiblissaient les éléments intégrateurs de la société (Ubuhake, monarchie). Par ailleurs, sur le plan idéologique, les stéréotypes anthropologico-racistes qui avaient déjà eu cours pendant la période allemande connurent un renouveau de faveur.[10] Le résultat fut de donner aux grands lignages tutsis un pouvoir qu'ils n'avaient jamais connus avant la période coloniale et d'amener chez les Hutus une situation d'exploitation accrue, sans commune mesure avec leur situation traditionnelle. Le rôle de l'Eglise, fondamental mais ambigu, vint compliquer les choses. Les autorités ecclésiastiques se rangèrent d'abord dans l'ombre des autorités civiles belges en favorisant les Tutsis. Mais à partir des années 1925-1930, une nouvelle génération de prêtres Flamands d'origine plus modeste que leurs collègues francophones tendit à s'identifier aux Hutus et à créer une contre-élite hutue, notamment autour de plusieurs journaux et du séminaire de Kabgaye.

Le résultat de ces processus fut de créer une tension croissante entre Tutsis et Hutus, globalisation que le vieux Rwanda n'avait jamais connue. La politique belge de décolonisation eut pour effet de visser le détonateur sur cette bombe à retardement. En effet, l'élite tutsie, à la fois consciente des dangers que la modernité faisait courir à l'institution monarchique et capable d'assumer le pouvoir à cause des bénéfices reçus dans le domaine de l'éducation, souhaitait le départ des Belges. La Belgique se sentit trahie par "son" élite devenue anticolonialiste.[11] Le résultat fut d'amener un soudain renversement de politique entre 1955 et 1957, le pouvoir colonial décidant de favoriser désormais les Hutus plus soumis et apparemment plus malléables. L'Eglise accompagna le mouvement et l'amplifia, trouvant le clergé hutu plus conciliant et les aspirations sociales des "paysans" mieux adaptées au climat du catholicisme social qui régnait au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Cette politique d'exacerbation - sans doute involontaire - des différences, aboutissant à une bipolarisation radicale suivie d'un renversement dans l'ordre hiérarchique jusque là favorisé allait aboutir à une terrible explosion.

c) Les violences de l'indépendance: En Novembre 1959 une révolte paysanne éclata qui allait bientôt se transformer en révolution sous la protection et avec l'approbation des Belges.[12] D'abord simple jacquerie, puis mouvement anti-monarchiste et enfin déferlement de haine raciale orchestrée par le parti PARMEHUTU (Parti de l'Emancipation Hutu) dirigé par l'ancien séminariste Grégoire Kayibanda, la révolution de 1959-1962 eut plusieurs conséquences:

1)         Posée comme acteur fondateur du Rwanda indépendant, elle imprima dès le début un caractère extrêmement particulier à la culture politique moderne du pays. En effet, elle combinait deux facteurs apparemment contradictoires: violence et obéissance. On avait incendié et tué, mais avec l'approbation des autorités belges et pour un but "vertueux", celui de la "restauration des droits de la majorité".

2)         La notion de "démocratie majoritaire" qui devint le leitmotiv du discours politique en acquit un caractère très spécial: "démocratie majoritaire" signifiait dans le code verbal politique rwandais "défense des intérêts du groupe hutu majoritaire", cette défense étant une justification suffisante pour l'établissement d'un pouvoir politique non seulement dictatorial mais totalitaire. En d'autres termes, un peu comme l'émancipation d'un "Prolétariat" mythique justifiait l'établissement de la dictature des partis communistes, l'émancipation d'un "Hutu" mythique justifia la dictature de l'Etat-Parti, d'abord PARMEHUTU puis après 1973 MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement). La "bourgeoisie" dans un cas, les "Tutsis" dans l'autre, servaient de repoussoir diabolique légitimant le pouvoir et le laissant agir en toute liberté tant que ses décisions pouvaient passer pour la "défense de la démocratie majoritaire".

3)         Dans cette perspective, la paranoïa fut élevée au rang d'une vertu nationale. Le Pouvoir ne cessait de brandir la menace des Inyenzi ("cafards"), nom méprisant donné aux "féodaux- revanchards" tutsi, qui continuaient d'ailleurs d'attaquer depuis l'étranger entre 1961 et 1964 pour tenter sans succès de reprendre le pouvoir.

4)         La "révolution" de 1959-1962 eut aussi pour effet de causer la fuite hors du Rwanda d'environ 170.000 réfugiés tutsis vers l'Ouganda, la Tanzanie, le Burundi et le Zaïre.[13] Le refus des régimes rwandais successifs d'accepter leur retour et même de les reconnaître comme "Rwandais" maintint ouverte une plaie suppurante.[14]

5)         Environ 10.000 Tutsis avaient été tués en 1959-1960, un chiffre important vu la population de l'époque (environ 2,6 millions). Par la suite, à chaque incursion des Inyenzi, le gouvernement et le Parti Unique se livrèrent à des mini-pogroms calculés pour terroriser la population tutsie (environ 150 à 200.000 personnes demeurées au Rwanda) et pour renforcer chez les Hutus le sens de leur identité communautaire (menace de l'extérieur, partage collectif de la responsabilité du sang versé) et de la légitimité de leur pouvoir, ou plutôt du pouvoir qui était exercé en leur nom. Il se créa ainsi une culture de massacre où le pogrom était non seulement normal mais légitime et où l'Etat-Hutu, juste expression de la "démocratie majoritaire" pouvait à tout instant encourager des tueries perçues comme "défensives" face aux diables tutsis "féodaux-revanchards". Le vocabulaire employé pour dire cette idéologie politico-raciale était largement emprunté au catholicisme, soit sous sa forme ecclésiale directe (vertu, justice) soit sous la forme moderne du christianisme social démocrate-chrétien (justice sociale, développement paysan auto-centré, etc.). Les métaphores étaient soit religieuses soit agraires et "parlaient" très bien aux masses rurales. Il va de soi que si l'Internationale Démocrate-Chrétienne soutint puissamment le régime rwandais,[15] la réalité de la culture politique n'avait que très peu à voir avec un christianisme réel fait de Foi, d'Amour et de Charité.[16]

1.2 Le régime Habyarimana

Le coup d'Etat du 4 juillet 1973 qui amena au pouvoir le Chef d'Etat-Major des Armées, le Général Juvénal Habyarimana, eut un effet décisif sur la vie politique rwandaise dont il modifia plusieurs des paramètres. Tout d'abord, alors que Grégoire Kayibanda, le Président renversé, venait du coeur du pays (Gitarama) le nouveau Chef de l'Etat venait du Nord, cette région-frontière mal intégrée au Royaume du Rwanda à la fin du siècle dernier, sous-développée et pleine de ressentiment non seulement contre les Tutsis mais aussi contre les Hutus du Sud, perçus les uns et les autres comme des envahisseurs et les agents de la dynastie Nyiginya.[17] Petit-fils d'un immigrant zaïrois, le Général Habyarimana n'avait aucune surface sociale. Mais il avait épousé une descendante d'une micro-dynastie Bahinza du Bushiru et le poids social de son épouse lui donnait un rang certain dans le Nord qu'il allait favoriser outrageusement sur le plan économique.

Par ailleurs, intelligent et dynamique mais aussi totalement dénué de scrupules, le Général Habyarimana instaura de nouvelles relations au sein du champ "ethnique". S'appuyant sur les hommes d'affaires tutsis (qui ne pouvaient en aucun cas le menacer puisque politiquement castrés) il mit à la fois au pas les groupes hutus du Sud, nostalgiques du PARMEHUTU de Kayibanda, et les exilés tutsis de l'étranger, perçus par ceux de l'intérieur comme une menace à leur fragile tranquilité.[18] Mettant en sourdine le caractère racial militant de l'idéologie nationale, il en renforça l'aspect "coopératif" et "développementaliste[19] qui plaisait tant aux étrangers et notamment aux ONG chrétiennes, [20] ce qui lui permit d'obtenir tant un satisfecit politique global de son régime qu'un montant élevé d'aide économique.

Favorisant systématiquement les Hutus du Nord-Ouest (les Rwandais surnommèrent rapidement les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi "la région bénie") il construisit autour de lui un véritable bunker ethno-régional qui lui assura la sécurité intérieure du pouvoir, ses alliés lui devant trop pour jamais le menacer. Sous son égide, ce fut la revanche du "petit Rwanda" annexé au XIXème siècle contre le "grand Rwanda" historique.

Sur le plan extérieur, sa réception à l'Elysée par le Président Valéry Giscard d'Estaing (1974) puis la signature d'un accord de coopération militaire avec Paris (1975) marquèrent le basculement du Rwanda de l'aire d'influence de la Belgique à celle de la France. Fière de sa nouvelle "acquisition", la France fut désormais pleine d'une sollicitude toute spéciale pour ce petit dernier de la famille francophone.

Et enfin, sans que ses amis étrangers paraissent s'en choquer, il construisit un totalitarisme presque sans faille. Capitalisant sur la longue tradition autoritariste du Pouvoir au Rwanda, il s'assura de bonnes relations avec l'Eglise pour verrouiller toute possibilité d'organisation autonome.[21] Il renforça ensuite le contrôle administratif de la population à un point étonnant. Chaque citoyen (membre automatique du Parti Unique depuis le berceau) possédait, outre sa carte d'identité, un permis de résidence (Uruhusa rwo Gucumbika) comportant vingt-deux mentions dont "l'ethnie" (Ubwoko) et les paramètres précis de résidence (préfecture, commune et section). Il était interdit de déménager sans autorisation et le "motif de déplacement" (Ikimugenza) devait figurer sur le permis. Les Bourgmestres exerçaient de manière discrétionnaire un pouvoir administratif qui n'avait de bornes que dans la volonté du gouvernement et le quadrillage socio-politique était absolu. Les ordres des Bourgmestres ne se discutaient jamais.

Ce système fonctionna de manière presque parfaite de 1973 à 1980, lorsque la conspiration dirigée par les colonels Théoneste Lizinde et Alexis Kanyarengwe vint rappeller au Président que l'armée était le dernier contre-pouvoir possible. Le régime, qui n'avait jusqu'à présent que très rarement tué,[22] se durcit. Non seulement des militaires de talent comme le Colonel Stanislas Mayuya furent assassinés, mais bientôt aussi des ecclésiastiques militant pour les droits de l'homme (l'Abbé Silvio Sindambiwe en novembre 1989), des magistrats trop inquisiteurs (le Procureur de la République François Muganza, chargé du dossier de l'affaire Mayuya) ou des politiciens qui prenaient leur tâche trop au sérieux (Mme Felecula Nyaramutarambirwa, députée de Butare).[23] Une odeur de sang monta dans le bunker ethno-régional où opéra bientôt une mafia à la fois corrompue[24] de plus en plus gourmande (le temps manquait, on craignait de tomber), de plus en plus violente et de plus en plus restreinte.[25] Préssé par son allié français après le discours prononcé par le Président Mitterrand au sommet franco-africain de La Baule, le Président Habyarimana prononça le 5 juillet 1990 un discours où il promettait la démocratisation de son régime. Mais s'il entendait sans doute par là procéder à un simple réaménagement de son mode d'exercice du pouvoir, le "Manifeste des 33 Intellectuels en Faveur de la Démocratie" qui suivit aussitôt montra que l'ouverture était prise au sérieux. Il devint évident que des changements importants allaient se produire. Pour les exilés tutsis d'Ouganda qui venaient de créer le Front Patriotique Rwandais (FPR), il devenait urgent de passer à l'action sous peine de se retrouver une fois de plus marginalisés lorsque la pression de l'opposition intérieure au Rwanda amènerait une redistribution des cartes politiques.

2. LA GUERRE CIVILE (1er OCTOBRE 1990 - 6 AVRIL 1994)

2.1 Le FPR et la phase ethno-militaire (1er octobre 1990 - 8 juin 1992)

a) Le Front Patriotique Rwandais (FPR)[26] : Le FPR est issu d'une série d'organisations culturo-politiques de la diaspora rwandaise en Ouganda (Rwandese Refugee Welfare Fund (RRWF), créé en 1979, devenu Rwandese Association for National Unity (RANU) en 1980). A son septième congrès en 1987, la RANU s'est transformée en FPR. La transformation n'était pas de pure forme. En effet, entre-temps, les réfugiés quelque peu pathétiques de 1979[27] étaient devenus des acteurs majeurs de la vie politique ougandaise du fait de l'entrée massive de leurs jeunes hommes dans la National Resistance Army (NRA) de Yoweri Museveni. Cette adhésion à la guerilla avait une cause précise: la tentative du Président Obote en octobre 1982 de déporter la plupart des réfugiés et de les chasser vers le Rwanda. Le gouvernement rwandais avait refusé de les accepter. Coincées sur une mince bande de terrain de quelques kilomètres de long et de deux kilomètres de large aux abords de la frontière, des milliers de personnes étaient mortes. Parmi les survivants, les jeunes n'oublièrent pas et dès le début de 1983 rejoignirent la NRA et lorsque Kampala tomba aux mains de la guerilla le 25 janvier 1986, il y avait bon nombre de Banyarwanda parmi les vainqueurs.

Ils continuèrent ensuite à se battre dans le Nord contre les bandes de la "prophétesse" Alice Lakwena[28] et plus tard contre celles de son épigone Joseph Kony. En même temps, sur le plan politique l'ex-RANU devenu FPR maturait considérablement et dépassait l'idéologie de restauration monarchiste qui avait été celle des Inyenzi des années soixante pour se rallier à une vue de "démocratie sans partis" qui ressemblait étrangement à celle du Président Museveni. Le complot à l'intérieur de la NRA fut bien mené[29] et 2.300 hommes encadrés par environ 200 officiers désertèrent de la NRA en masse le 29 septembre 1990 pour attaquer le poste-frontière de Kagitumba deux jours plus tard.

On a beaucoup discuté pour estimer le degré de responsabilité du Président Museveni dans cet événement, en parlant soit de "dette" à l'égard des combattants Banyarwanda, soit au contraire de désir de se débarasser de leur embarassante présence (les Baganda commençaient à s'irriter de leur mainmise sur l'armée et de leurs ambitions commerciales), soit enfin de la création d'un "Empire Tutsi"[30] allant de Kampala à Bujumbura en passant par un Rwanda "reconquis". Ces thèmes ont été abondamment répandus tant par le régime du Président Habyarimana que par les opposants ougandais[31] et ils ne résistent guère à l'analyse (les Banyarwanda du FPR ne représentaient en 1990 que 2% environ des forces de la NRA; ils n'avaient pas d'équipements lourds et leurs premiers combats tournèrent au quasi-désastre; on ne voit pas très bien comment l'existence d'un hypothétique "Empire Tutsi" servirait au Président Museveni pour gouverner l'Ouganda, etc.). De fait ce qui est le plus probable, c'est qu'il y a eu tolérance pour le complot, à la fois par refus de "servir de geolier aux réfugiés rwandais" et par souvenir de la camaraderie d'armes passée. Il y a eu aussi une certaine prudence de la part du Président Museveni. Fin 1990, la situation politique ougandaise était encore fragile. Bien implantés dans l'Ouest du pays, les réfugiés rwandais auraient pu, en cas d'attitude hostile de sa part, lui créer de très sérieux problèmes.[32]

b) Les débuts de la guerre (octobre 1990 - mars 1991): Connaissant mal le Rwanda dont ils étaient coupés depuis des années, les cadres du FPR avaient commis deux erreurs majeures: d'une part surestimer l'état de déliquescence du régime Habyarimana et d'autre part sous-estimer l'efficacité de sa propagande idéologique et par conséquent la peur qu'ils inspiraient à la population civile hutue ordinaire. La première erreur les amena à penser pouvoir faire une guerre-éclair et à s'emparer de Kigali en quelques jours. Or non seulement la petite armée rwandaise[33] réagit vite et avec vigueur, mais en outre dès le 4 octobre la France décidait d'envoyer un petit contingent "non combattant" de 150 homme[34] dont la mission explicite serait de garder les points stratégiques (notamment l'aéroport) et d'entraîner les Forces Armées Rwandaises, et dont le rôle implicite serait de "sanctuariser" sinon tout le pays, du moins la capitale Kigali. Quant à la seconde erreur d'appréciation, elle les amena à voir à leur grande surprise les paysans qu'ils venaient "libérer" s'enfuir devant eux, leur laissant un terrain vide sans le moindre soutien populaire. Cela n'empêcha pas le régime de réagir violemment face à la population civile. Dès le soir du 1er octobre, des rafles d'opposants réels ou supposés commençaient. Il y eut environ 10.000 arrestations et les derniers détenus de ces rafles ne seront finalement libérés qu'en avril 1991, sans qu'aucun jugement ait été prononcé. Les conditions de détention étaient lamentables et il y eut plusieurs dizaines de décès.[35] Dans Le Soir[36] Colette Braeckman pouvait écrire:

Il semble que la répression qui vient d'être déclenchée ne vise pas uniquement d'éventuels rebelles infiltrés mais menace aussi certains opposants potentiels ou déclarés, ainsi que des représentants de la minorité tutsie.

Dès le début, la guerre s'était révélée d'une rare violence. "Nous ne faisons pas de prisonniers..... On les tue. Ca leur sape le moral!" déclarait à Marie-France Cros, un officier des FAR.[37] Les choses ne tardèrent pas à empirer encore. Le Zaïre avait envoyé des troupes qui se livrèrent au pillage et au massacre des civils[38] tandis que les FAR se livraient à de véritables pogroms anti-Tutsi dans la région du Mutara.[39] Devant ces exactions, la Belgique retira rapidement le petit contingent militaire qu'elle avait envoyé (1er novembre). La France augmenta le sien. Sur le terrain, malgré deux conférences hâtivement réunies (à Mwanza le 17 octobre et à Gbadolite le 26,[40] les combats se poursuivaient et ils tournaient à la débandade pour le FPR. Leur chef, le prestigieux "Commandant Fred[41] avait été tué le second jour de l'attaque, les FAR avaient repris Gabiro le 9 octobre et étaient arrivés à Kagitumba sur la frontière ougandaise le 30. Les deux adjoints de Rwigyema, les colonels Peter Banyingana et Chris Bunyenyezi étaient morts eux aussi et les attaquants s'étaient repliés dans le Parc National de l'Akagera. Rentré en catastrophe alors qu'il se trouvait en stage aux Etats-Unis, c'est le Major Paul Kagamé qui allait sauver la situation.[42] Il opéra un repli stratégique sur la région des Virunga, en bordure du Parc National des Volcans, une zone froide et inhospitalière de grande altitude où beaucoup de ses hommes moururent de faim et d'épuisement mais où l'armée régulière ne se hasarda pas à les poursuivre. Le 1er novembre, Radio Rwanda annonçait que "l'ennemi était repoussé hors des frontières".

Pendant que la guerre diminuait ainsi d'intensité, le Président Habyarimana tentait de reprendre l'initiative politique en promettant tout à la fois la liberté de créer des partis politiques, un référendum sur la nature du régime en juin 1991 et la supression de la mention de l'ethnicité sur les cartes d'identité.[43] Le prenant au mot, un groupe d'opposants, parmi lesquels Faustin Twagiramungu et Emmanuel Gapyisi étaient les plus notables, créaient en mars 1991 le Mouvement Démocratique Républicain (MDR) auxquels certains accolèrent bientôt le mot PARMEHUTU pour rappeller le vieux parti de Kayibanda. Le nouveau parti avait d'ailleurs une base régionaliste résolument sudiste. Désormais la lutte politique commençait.

c) L'émergence des partis d'opposition: Même si la situation militaire était sous contrôle, le FPR était loin d'être détruit. Il s'était brièvement emparé de Ruhengeri le 23 janvier 1991 pour délivrer les détenus de la plus grande prison du pays[44] et continuait de harceler les FAR dans le Nord, causant de graves problèmes économiques. En avril, la Belgique avait promis 600 millions de Francs Belges ($17,15mio) pour aider l'armée dont les effectifs étaient passés de 5.000 à 15.000 hommes en six mois[45] et le FMI avait approuvé le déblocage de DTS 30,66 mio (environ $41 mio). La France aidait de manière plus directe. Les soldats français gardaient les points stratégiques, opéraient des contrôles[46] s'occupaient des communications voire dirigeaient les tirs de l'artillerie.[47] Enfin, Paris livrait surtout des armes et des munitions en grandes quantités.[48]

Dans le courant du mois de juin 1992 apparurent successivement le Parti Libéral (PL, à base assez "bourgeoise"), le Parti Social Démocrate (PSD, parti de fonctionnaires et d'intellectuels avec une forte base régionale à Butare où se trouve l'université), le Parti Démocrate Chrétien (PDC, petit parti confessionnel qui avait bien du mal à vivre étant données les relations étroites du MRND gouvernemental avec l'Internationale Démocrate Chrétienne) et plusieurs autres petits partis. Parmi ces derniers, certains cherchaient à représenter des intérêts particuliers comme le Parti Ecologiste (PECO) ou le Parti Démocratique Islamique (PDI) tandis que d'autres (Parti Progressiste de la Jeunesse Révolutionnaire, Rallye du Travail Démocratique, etc.) n'étaient que des groupuscules satellites du MRND qui tentait de brouiller le paysage politique. Malgré la reconnaissance du pluripartisme par la nouvelle Constitution promulguée le 10 juin 1991, le nouveau Premier Ministre nommé par le Président en octobre, Sylvestre Nsanzimana, appartiendra encore au MRND. L'opposition appela à une "Conférence Nationale" tandis que manifestations et contre-manifestations se succédaient dans les rues de la capitale (novembre 1991).

Devant cette montée en puissance de l'opposition, le gouvernement entreprit alors le premier des "massacres planifiés" qui annonçaient en petit le grand génocide d'avril-mai 1994. La chose fut organisée à partir d'un faux tract du Parti Libéral appelant à massacrer les Hutus dans le Bugesera.[49] Les autorités "ripostèrent" en assassinant plusieurs centaines de Tutsis et d'opposants hutus dans la région[50] ainsi qu'une soeur converse italienne, Antonia Locatelli, qui avait appelé Radio France Internationale pour dénoncer sur les ondes le caractère non- spontané des massacres.[51] C'est à cette occasion qu'on vit pour la première fois opérer les tueurs de la Coalition pour la Défense de la République (CDR) , parti extrémiste qui venait d'être formé. Le 11 mars, l'Ambassadeur de France Georges Martre refusera de se joindre à la délégation de l'ensemble du Corps Diplomatique des pays de l'OCDE qui effectuait une démarche commune auprès du Président Habyarimana pour protester contre les massacres.

Pour faire baisser la tension, le Président Habyarimana accepta de signer le 14 mars un accord portant sur la création d'un cabinet de coalition avec l'opposition, sur l'ouverture de négociations avec le FPR et sur le principe d'une Conférence Nationale. Le nouveau gouvernement prit ses fonctions le 3 avril. Il comptait neuf ministres MRND, quatre MDR, trois PL, trois PSD et un PDC sous la direction de Dismas Nsengiyaremye du MDR. Le lendemain, le FPR annonçait la fin de la lutte armée et le début de la lutte politique. Désormais l'affrontement allait devenir triangulaire entre le Pouvoir, le FPR et les partis d'opposition. Au nombre des enjeux, des élections libres, les négociations avec la guerilla et à terme, l'existence même de la dictature. Jouant avec habileté sur le champs politique/procédurier, le Président Habyarimana se réservait cependant une carte spéciale extra-légale grace aux milices CDR, à celles en voie de formation du MRND (les Interahamwe, "ceux qui travaillent ensemble"[52] et aux équipes de tueurs ponctuels spécialisés du fameux "Réseau Zéro".[53] Le 8 juin 1992, le gouvernement et les partis d'opposition venaient ensemble a Paris pour y regler les "modalites techniques d'un processus de paix". Le champ du conflit allait se déplacer vers la diplomatie.

2.2 Le marathon des négociations d'Arusha (juin 1992 - 4 août 1993)

a) La guerilla politique du MRND (juillet 1992 - février 1993): Le 14 juillet 1992, après quelques semaines de discussion un cessez-le-feu était signé à Arusha, provoquant immédiatement un boycott des réunions du cabinet par les ministres MRND qui organisaient en même temps des manifestations anti-Nsengiyaremye dans leur bastion du Nord-Ouest. Un accord ayant ensuite été signé quatre jours plus tard portant sur la création d'un "gouvernement de transition pluraliste", des émeutes inter-ethniques "spontanées" éclataient le 20 juillet à Kibuye.

Le paradoxe de ces négociations d'Arusha tient au fait qu'elles étaient menées entre le FPR et le "gouvernement", mais que ce "gouvernement" ne représentait plus le régime Habyarimana. Dirigé par un membre de l'opposition, comptant une majorité de ministres issus des partis de l'opposition, il représentait en réalité l'opposition hutue libérale que détestait le clan de l'akazu. Quel que soit le jugement que l'on puisse porter sur ce dernier, il faut reconnaître qu'en tant que famille politique rwandaise elle était très mal représentée dans les négociations d'Arusha. Ce blocage des formes légales favorisa alors les extrémistes les plus résolus, ceux-là même que dénonçaient les rapports sur les milices et le "Réseau Zéro", des hommes comme les colonels Théogène Bagosora et Laurent Serubuga, comme les trois frères de la Présidente, Protais Zigiranyirazo, Séraphin Rwabukumba et le colonel Célestin Rwagafilita ou comme le major Léonard Nkundiye, commandant de la Garde Présidentielle.[54]

S'estimant "trahi" par le Premier Ministre et le Cabinet qui négociaient à Arusha, le Président Habyarimana et le "noyau dur" du MRND entamèrent alors une véritable guerilla mêlant querelles de procédure, manifestations de rue et manoeuvres de diversion politiques pour empêcher la mise en place des dispositions convenues à Arusha.

C'est ainsi que le 22 octobre, le Président Habyarimana tentait un contre-feu "oppositionnel" en invitant une conférence des micro-partis (PSR, PECO, PDI, UDPR) qui "exigeaient" d'être tous représentés dans le futur cabinet d'union nationale alors que leur poids électoral combiné n'atteignait sans doute pas 2% de la population. Le lendemain des éléments des FAR provoquaient des accrochages avec le FPR dans la région de Byumba et tout le processus était suspendu. Le 30 octobre, les milices CDR lançaient une manifestation anti-Arusha qui débouchait sur des échauffourées dans les rues de Kigali avec les militants MDR et PSD. Et le processus culminait le 15 novembre avec un discours prononcé à Ruhengeri par le Président lui-même où il qualifiait l'accord de juillet à Arusha de "chiffon de papier" que le gouvernement n'était pas tenu de respecter.[55] Face à ce véritable travail de sabotage, le Premier Ministre Nsengiyaremye protestait en vain, s'indignant du discours du 15 novembre, demandant la dissolution des Interahamw[56] et critiquant, face aux brutalités miliciennes "l'interventionnisme de certaines autorités qui annihile toute initiative du Parquet".[57] En vain.

Au début de 1993, la situation était extrêmement tendue. Le 9 janvier, un accord additionnel avait été signé à Arusha prévoyant le partage du pouvoir dans le futur cabinet de transition, avec cinq postes ministériels au MRND, cinq au FPR, quatre au MDR, trois au PSD, trois au Parti Libéral et un aux Démocrates-Chrétiens. La répartition des députés de la future assemblée de transition était prévue comme devant donner onze sièges à chacune des cinq grandes formations, quatre au PDC et un à chacun des onze micro-partis manipulés par le MRND, pour un total de 70 sièges. Le 19 janvier les milices CDR et MRND lançaient de violentes manifestations de rue et le 21, par la voix de son Secrétaire National Mathieu Ngirumpatse, le MRND rejetait l'application de l'accord que ses délégués à Arusha avaient pourtant signé.[58] En même temps, de nouveaux massacres éclataient dans le Bugogwe, déja ciblé deux fois auparavant - en 1991 et 1992 - pour de semblables opérations. Le 8 février, le FPR passait à l'offensive dans le Nord.

b) La crise de février 1993: L'avance du FPR fut extrêmement rapide. 150.000 civils terrifiés se lancèrent vers le sud. La France envoya d'abord 150 puis 300 soldats de plus en renforts.[59] Les services secrets français lancèrent une opération de désinformation parfaitement résumée par un titre du Canard Enchaîné, "L'Ouganda envahit le Rwanda; Mitterrand nous cache une guerre africaine".[60]

On "découvrit" bientôt des massacres du FPR dans les zones où il combattait,[61] tandis que les associations de défense des droits de l'homme protestaient en vain contre les assassinats de l'armée et des milices lors des "contrôles d'identité" aux barrages routiers.[62] Le 22 février un cessez-le-feu temporaire s'établissait et le 28 Marcel Debarge, Ministre français de la Coopération, arrivait à Kigali, à la fois pour réaffirmer le soutien de Paris au régime du Président Habyarimana et pour convaincre celui-ci de cesser de faire obstacle à l'application de l'accord d'Arusha. Le nombre des personnes déplacées s'élevait à environ 900.000. La crise de février 1993 allait avoir d'importantes conséquences. D'une part les partis d'opposition hutus légaux avaient eu peur du FPR, craignant que celui-ci ne cherche à prendre le pouvoir seul et par la force pour instaurer une dictature ethnique. Désormais, ils allaient se scinder entre les personnalités qui continuaient à faire confiance au FPR et ceux qui, le craignant, allaient se rapprocher du Président Habyarimana. Par ailleurs, les promesses du Président Habyarimana à M. Debarge de respecter désormais les accords signés à Arusha inquiétèrent fortement les extrémistes du régime réunis autour de la CDR. Celle-ci déclarait dans un communiqué daté du 9 mars 1993:

Mr.Habyarimana Juvénal, Président de la République, a approuvé le contenu d'accords qui lèsent manifestement les intérêts du peuple rwandais. Ceci montre clairement que Mr Habyarimana Juvénal, Président de la République, ne se préoccupe plus des intérêts de la Nation mais qu'il a plutôt d'autres intérêts à défendre. Ces accords ... constituent un acte de Haute Trahison ... La CDR lance un appel à ses adhérents, aux autres forces démocratiques authentiques et aux FAR de marquer leur refus catégorique de la capitulation acceptée par le Premier Ministre Dismas Nsengiyaremye et le Président Juvénal Habyarimana.

Les éléments de la rupture entre le Président de la République et ses propres extrémistes sont donc déjà là. On peut légitimement s'interroger sur ce rejet violent de tout accommodement qui allait aboutir à la catastrophe. Il a sans doute plusieurs raisons. La première, probablement la plus importante, est d'ordre idéologique. La notion de "révolution sociale" pour décrire les évènements de 1959-1960 avait été totalement intériorisée et le thème de la "démocratie majoritaire" pour décrire la dictature de certains Hutus sur les autres et de l'idéologie raciale hutue sur les Tutsis était également largement accepté. En symétrique inverse, les Inyenzi (auxquels était assimilé le FPR) étaient vus comme dénués de toute légitimité et même comme "diaboliques" (d'où la vision d'un accord de paix avec eux comme un "acte de Haute Trahison"). Les extrémistes étaient souvent "honnêtes" en ce qu'ils croyaient profondément à leur propre propagande, ce qui allait donner à leur ultra-violence un caractère déconcertant de bonne conscience.

L'attitude française au moment de cette même crise de février fut particulièrement préoccupante. Lors de son passage à Kigali, le Ministre de la Coopération Marcel Debarge avait demandé au Président Habyarimana et à l'opposition de "faire un front commun".[63] L'opposition étant hutue tout comme le régime, ce "front commun" ne pouvait se comprendre, dans le contexte rwandais, que comme un appel à la lutte inter-ethnique même si en fait le sens en était différent pour Paris. Pour les Français en effet, et ceci depuis leur première intervention en octobre 1990, il s'agissait d'une lutte contre "la menace anglo- saxonne" une équation simpliste étant faite FPR = Museveni = Londres et Washington,[64] le but de la "conspiration" étant évidemment de battre en brêche "l'influence française en Afrique" et de la remplacer par une prépondérance "anglo-saxonne". La lutte contre ce danger justifiait tout et notamment un soutien aveugle au régime du Président Habyarimana. Comme le remarquait le Professeur Jean-Pierre Chrétien[65]

Or qu'a fait et dit la France face à cette dégradation (de la situation des Droits de la personne) ? Paris a "exprimé sa préoccupation" et souhaité, sans rien dénoncer que "la raison prévale". Il a fallu un an pour que le génocide des éleveurs Bagogwe perpétré en janvier-février 1991 par les militaires des camps de Mukamira et de Mutura ... soit connu. Donc ni les "instructeurs" français[66] ni l'Ambassadeur de France n'avaient entendu parler de rien? Au contraire Paris a dénoncé dans les 24 heures des "massacres de civils" commis par le FPR lors de sa récente attaque de février, y compris des massacres qui, d'après des sources indépendantes, se sont déjà révélés être des inventions calculées de la propagande militaire rwandaise. On aura du mal à empêcher quiconque d'y voir deux poids, deux mesures.

A Kampala, le Président Museveni accusa M. Debarge "d'ingérence".[67] Le terme était techniquement justifié, mais il fut aussitôt pris par Paris comme une preuve de plus du "complot anglo-saxon". Pour mettre fin à la crise, une rencontre eut lieu entre le FPR et le gouvernement rwandais à Dar-es-Salaam les 5, 6 et 7 mars. L'accord aboutit à

-           un cessez-le-feu en date du 9 mars 1993;

-           le retrait des troupes françaises des zones de combat et la création d'un Groupe des Observateurs Militaires Neutres (GOMN) ;

-           des poursuites et des sanctions contre les auteurs des massacres de civils avant le 31 mars 1993;

-           le retour du FPR sur ses lignes du 8 février 1993;

-           la reprise des négociations de paix le 15 mars 1993 à Arusha[68]

c) La marche à reculons vers les accords de paix (mars - août 1993): La période qui suivit la crise de février 1993 fut une période ambigüe faite de manoeuvres dilatoires de la part du Président Habyarimana qui espérait gagner du temps, d'organisation accélérée des groupes extrémistes, d'optimisme naïf des organisations internationales et de discrètes pressions françaises pour en arriver à une signature.

Dans le premier ordre d'idée il faut mentionner l'organisation début avril d'un "Parti des Non- Alignés", composé de cinq micro-partis manipulés par le Président qui demandèrent un tiers des postes ministériels dans un futur gouvernement de coalition.[69] Le Président refusa ensuite certaines nominations (avril) . Puis il refusa les arrangements proposés à Arusha pour la répartition des postes entre FAR et FPR dans la future armée unifiée (juin) . L'obstruction présidentielle était tellement systématique que le Premier Ministre finit par exploser:[70]

J'attire votre attention sur les conséquences fâcheuses pouvant résulter de ... votre refus de signer les accords de paix ... Actuellement des groupuscules terroristes préparent des attentats contre des responsables politiques et des troubles dans le pays en vue de favoriser une reprise des hostilités. En d'autres termes il est nécéssaire pour vous de trouver un subterfuge vous permettant d'éviter la signature de l'accord de paix, d'entraîner la démission du gouvernement actuel, de mettre en place un gouvernement belliciste et de provoquer la reprise des hostilités pour assurer ... la sauvegarde des prérogatives et du pouvoir du Président de la République.

De fait les "groupuscules extrémistes" se renforçaient. Certains responsables de l'armée, regroupés au sein de la société secrète Amasasu ("des balles") s'occupaient à distribuer des armes aux milices CDR (les Impuzamugambi) et MRND (les Interahamwe).[71] Les attentats devenaient presque quotidiens. Le 18 mai Emmanuel Gapyisi, l'un des leaders MDR les plus connus, était assassiné devant chez lui par un commando de tireurs embusqués. La tension était perceptible dans les rues où les barrages militaires se multipliaient.[72]([73]72) En juillet, dans leur opération la plus réussie jusqu'alors, les extrémistes créaient une sorte d'association ou plutôt de marque déposée, le "Hutu Power" (en Anglais) sur la base d'une exacerbation de l'idéologie raciale de la "révolution sociale" de 1959. Divers membres des partis d'opposition MDR, PL et PDC adhérèrent aussitôt aux groupes "Power", provoquant des scissions dans leurs partis respectifs entre racistes et modérés.[74] Seul le PSD conserva sa cohérence et évita la contamination "Power". Cela lui vaudra la plus sauvage des répressions après le 6 avril 1994.

Les organisations internationales continuaient à aider les déplacés, à créer des institutions de contrôle militaire et à nier la montée des périls. Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) de l'ONU réalisait notamment un énorme travail en livrant, à raison de quatre rotations quotidiennes d'Illiouchine 76 depuis Entebbe, la nourriture dont avaient besoin les 860.000 déplacés de l'offensive de février. Le FPR tentait depuis le cessez-le-feu d'amener ces réfugiés à regagner leurs maisons, mais une combinaison de peur et de propagande gouvernementale les en dissuadait. Les quelques audacieux qui s'y essayaient étaient arrêtés par les FAR.[75] Le 22 juin la Résolution nø846 de l'ONU créait la Mission d'Observation des Nations Unies Ouganda-Rwanda (MONUOR) , chargée de vérifier la frontière entre l'Ouganda et le Rwanda pour s'assurer que des armes n'y pénétraient pas au bénéfice du FPR. Cette surveillance était en fait plus symbolique que réelle.[76]

Par ailleurs, l'acide du "Hutu Power" rongeait les partis d'opposition. Depuis le début de juin, Dismas Nsengiyaremye s'était rapproché du Président Habyarimana et le 24 juillet, Donat Murego et son groupe avaient éliminé Faustin Twagiramungu de la présidence du MDR. Lorsqu'Agathe Uwilingiyimana, alliée de Twagiramungu, fut appelée selon les accords alors en cours à Arusha pour assumer le poste de Premier Ministre, elle dut faire face à une véritable fronde de l'ex-opposition largement regagnée par les alliés du Président Habyarimana et fut même séquestrée par Dismas Nsengiyaremye qui tenta de lui arracher une démission sous la menace.[77]

C'est dans cette atmosphère chaotique que furent finalement signés les accords de paix à Arusha le 4 août 1993.

2.3 L'impossible normalisation (4 août 1993 - 6 avril 1994)

Toute l'histoire de cette période n'est qu'une longue suite d'échappatoires de la part du Président Habyarimana pour éviter d'avoir à appliquer les accords qu'il venait de signer. Tous les moyens étaient bons pour gagner du temps. La finasserie procédurière (refus de nomination de certains ministres pour relancer le processus de négociation, demandes de représentation de dernière minute de la part de micro-partis protestant contre leur "exclusion", etc.) , les émeutes (notamment à la fin octobre au moment de l'assassinat du Président Melchior Ndadaye au Burundi,[78] les assassinats[79] les vrais attentats aveugles,[80] les faux attentats ratés (contre Julien Mugenzi le 19 janvier 1994, pour tenter d'impliquer Faustin Twagiramungu) , les manifestations insurrectionnelles (le 26 janvier 1994 attaque par les milices CDR des bâtiments du Conseil National du Développement où était cantonné le bataillon du FP,[81] en bref n'importe quel moyen pour éviter d'avoir à céder le pouvoir.

Les pays occidentaux manifestaient une irritation croissante devant cette obstination de plus en plus dangereuse. Le 5 octobre 1993 la Résolution nø872 de l'ONU avait crée la Mission des Nations Unies d'Assistance au Rwanda (MINUAR) et six jours plus tard le Ministre des Affaires Etrangères français Alain Juppé avait annoncé le retrait des troupes françaises[82] que le FPR réclamait avec insistance. Le 3 janvier 1994, Jacques-Roger Booh-Booh, Envoyé Spécial du Secrétaire-Général des Nations Unies au Rwanda se livrait à une violente diatribe sur les ondes de Radio Rwanda en blamant le régime pour son refus de mettre en vigueur les accords de paix dont l'application immédiate était prévue pour le 29 décembre. Peu après, en visite à Kigali, le Ministre belge des Affaires Etrangères Willy Claes déclarait à son tour que l'Occident était en train de perdre patience.[83] Rien n'y faisait.

Pendant ce temps, les extrémistes agissaient de plus en plus à visage découvert. Beaucoup d'entre eux commençaient à craindre qu'à un moment ou à un autre le Président Habyarimana ne se trouve à bout d'artifices et qu'il ne se résigne à abandonner le pouvoir. Des listes circulaient de manière de plus en plus visible avec les noms des personnes à tuer "le jour du grand nettoyage".[84] Les distributions d'armes aux Impuzamugambi et aux Interahamwe s'accéléraient.[85] Pour compléter les armes à feu, relativement chères et qui demandaient un minimum de formation, la CDR et le MRND distribuaient des machettes, robustes outils agricoles en constant usage chez les paysans d'Afrique Orientale et qui allaient bientôt servir à un "débroussaillage" très particulier.[86] Le 21 février, quelques heures avant la mise en place de l'Exécutif Provisoire, Félicien Gatabazi, Président du PSD, était assassiné en rentrant chez lui. Dans la foulée, la CDR lançait une manifestation anti-MDR qui faisait huit morts. Le processus était une fois de plus bloqué. Mais cette fois la mesure semblait comble et les adversaires du régime ripostèrent violemment; le 22 février des émeutes anti-gouvernementale se déchaînèrent à Butare[87] au cours desquelles Martin Bucyana, le Secrétaire-Général de la CDR, fut lynché par la foule. Le lendemain le bataillon du FPR, de nouveau attaqué dans son cantonnement de Kigali, ripostait en faisant quinze morts. Michel Moussali, Envoyé Spécial du HCR, avertissait qu'un "bain de sang était imminent si l'accord d'Arusha n'était pas appliqué".[88]

Ultimes avertissements, l'Ambassadeur d'Allemagne parlant au nom de l'Union Européenne appelait le 3 avril le Président Habyarimana à tenir ses engagements tandis que le lendemain Boutros-Boutros Ghali, Secrétaire-Général des Nations Unies menaçait de "réexaminer le rôle de l'ONU si les accords d'Arusha n'étaient pas appliqués".[89] Le 6 avril le Président Habyarimana se rendait à Dar-es-Salaam pour une conférence régionale qui devait concerner la situation au Burundi mais qui tourna bientôt au tribunal de mise en acccusation de la politique rwandaise. A l'issue de la rencontre, avant que le Président Habyarimana ne redécolle, ses homologues Ali Hassan Mwinyi et Yoweri Museveni le raccompagnèrent sur le terrain en l'adjurant d'appliquer l'accord qu'il avait signé.[90] Moins de deux heures plus tard, son avion était abattu de trois tirs de missiles alors qu'il atterrissait à l'aéroport de Kigal[91] 90 et la catastrophe se déclenchait.

3. LA CRISE GENOCIDAIRE ET SES CONSEQUENCES

3.1 De l'assassinat du Président au début de la bataille de Kigali (6 - 12 avril 1994)

L'avion du Président Habyarimana, un Falcon 50 offert par la France et piloté par un équipage entièrement français, a été abattu vers 20h30, heure locale. Presque immédiatement des tirs d'armes légères furent entendus en divers points de la ville. Peu nourris pendant la nuit, ils augmentèrent le 7 au matin, s'accompagnant désormais de tirs à l'arme lourde. On saura plus tard qu'il s'agissait d'affrontements entre la Garde Présidentielle (GP) et des unités des Forces Armées Rwandaises (FAR).[92] Cette tentative des FAR d'enrayer les massacres lancés par la GP ne dura que jusqu'au vendredi 8 lorsque les deux groupes militaires se réconcilièrent en apprenant l'attaque du FPR dans le Nord. Néanmoins on peut dire que la GP demeura beaucoup plus impliquée que les FAR dans le soutien aux milices et dans les massacres directs, les FAR intervenant même parfois ponctuellement pour sauver telle ou telle personne, souvent parce qu'elle avait des liens familiaux ou personnels avec un militaire.

Dès le début, il fut évident que les massacres obéissaient à un plan pré-établi et avaient été préparés de longue date.[93] Même si la violence avait une nette dimension ethnique (massacre des Tutsis) elle était loin de n'obéir qu'à cette logique et les premières victimes furent les politiciens hutus modérés partisans de l'application des accords d'Arusha: ainsi la Première Ministre elle-même, Mme Agathe Uwilingiyimana, qui fut tuée en même temps que ses dix gardes du corps belges de la MINUAR qui avaient naïvement accepté de se laisser désarmer. Furent aussi assassinés dès les premières heures du 7 avril le Ministre de l'Agriculture, Frédéric Nzamurambaho, visé en tant que nouveau Président du Parti Social Démocrate depuis la mort de Félicien Gatabazi, Landwald Ndasingwa, Ministre du Travail (PL) particulièrement haï du groupe "Power" (du même parti PL) pour ses prises de position courageuses, ainsi que le Président de la Cour Suprême Joseph Kavaruganda, afin d'empêcher par sa mort toute possibilité de succession légale à la Présidence. C'est en effet à lui que celle-ci devait revenir par intérim et c'était un libéral connu.

Les massacres se déroulaient avec une violence impitoyable, les familles elles-mêmes n'étant pas épargnées. Ainsi l'épouse canadienne de Landwald Ndasingwa et leurs deux enfants furent tués en même temps que lui, des visiteurs ou des parents surpris au domicile des personnes ciblées furent assassinées avec elles. Certaines personnes visées parvinrent à se sauver par miracle. Ainsi Faustin Twagiramungu dont l'adresse avait été mal notée par les tueurs qui se rendirent dans une maison voisine, lui donnant le temps d'escalader la clôture du jardin.[94] Ou bien l'activiste des droits de l'homme, Monique Mujawamaliya, qui parvint à se cacher entre le plafond et le toit de sa maison et à y survivre pendant trois jours avant de parvenir à corrompre des militaires qui la conduisirent à la MINUAR.[95] Mais dans l'ensemble les équipes de tueurs opérèrent avec une redoutable efficacité.

La version de propagande gouvernementale selon laquelle ces violences auraient été le résultat d'une "indignation spontanée des masses populaires (hutues) en apprenant la mort de leur Président" est entièrement dénuée de fondement. Le caractère sinon officiel du moins organisé de ces massacres, qui justifie pleinement l'emploi du mot "génocide", ne fait pas le moindre doute.[96] Quant à la version "aggravée" de la propagande gouvernementale selon laquelle ce serait une attaque du FPR qui aurait amené des "combats" entre la population et la guerilla, elle relève d'une affabulation.[97] En réalité, le bataillon FPR, cantonné dans les locaux du Conseil National du Développement, a commencé à être attaqué au mortier dès le matin du 7 avril. Après un moment d'hésitation, il a tenté une sortie vers 16h30 mais il a été repoussé et obligé de rentrer pour s'abriter. Dans la nuit du 7 au 8 les combattants ont commencé à sortir par petits groupes sous le couvert de l'obscurité pour prendre position dans les environs et au matin du 8 les combats ont repris, avec des éléments des FAR attaquant directement les positions FPR. Malgré des pertes importantes les forces du FPR parvinrent à tenir jusqu'au 11 avril à seize heures lorsque les trois bataillons envoyés du Nord en renfort pénétrèrent dans la capitale.[98]

Les responsables des massacres sont connus et la plupart sont les mêmes que ceux que dénonçait déjà le Professeur Reyntjens dans le texte de 1992 que nous mentionions plus haut à la note 53. Le principal responsable semble avoir été le Colonel Théogène Bagosora, Directeur de Cabinet au Ministère de la Défense, qui est venu trouver Jacques-Roger Booh- Booh chez lui dans la nuit du 6 au 7 avril pour lui dire qu'il s'agissait "d'un coup d'Etat" et que "tout était parfaitement sous contrôle". Si l'assertion était un peu exagérée, les conjurés qui avaient déclenché cette opération-catastrophe étaient néanmoins en train de tenter de "normaliser" la situation à leur manière.

Dans la nuit du 7 au 8 avril, sous la Présidence du Colonel Célestin Rwagafilita, frère de Mme Habyarimana et l'un des responsables du "Réseau Zéro", un "Comité de Salut Public" était formé qui s'occupait de mettre sur pied un nouveau "gouvernement",[99] ce "gouvernement belliciste" dont le Premier Ministre avait déjà annoncé la sinistre préparation le 6 juillet 1993 (cf. supra) . Dans la nuit du 8 au 9 avril , le nouveau gouvernement était formé. Il comptait dix MRND ou CDR sur 21 postes et les membres des autres partis, comme Justin Mugenzi pour le PL (Ministre du Commerce) ou Gaspard Ruhumuliza pour le PDC (Environnement) étaient des membres notoires du groupe "Hutu Power". Le "Président" Théodore Sindikubwabo, ancien Président MRND de l'Assemblée, était un vieil homme malade et sans énergie, complètement manipulé par les extrémistes.

Dès l'après-midi du 7 avril, les massacres s'étaient étendus à l'intérieur du pays[100] et au matin du 8 le FPR avait décidé de reprendre les hostilités. Ses troupes mirent quatre jours à atteindre Kigali en combattant tout au long du chemin. La population civile hutue fuyait devant les guerilleros, début d'un exode massif qui allait s'amplifier au cours des semaines. Dès l'arrivée du FPR à Kigali, Paris prit la décision d'évacuer le personnel de l'Ambassade et ceux qui s'y étaient réfugiés. C'étaient selon l'expression d'un opposant:

Tous les membres de l'Akazu, c'est à dire l'entourage d'Habyarimana ... les responsables des massacres étaient bel et bien là, le Ministre de la Santé par exemple, Casimir Bizimungu, l'un des piliers du régime; ou Ferdinand Nahimana, idéologue du MRND et animateur de Radio de Mille Collines "la radio de la mort" qui lançait les appels aux massacres.[101]

Le jour même, le "gouvernement" se repliait sur Gitarama, laissant aux FAR le soin de tenter de défendre la capitale. Pendant trois jours des avions français, belges, américains et italiens évacuèrent un peu plus de 2.000 personnes, surtout des ressortissants étrangers, une centaine de dignitaires du régime Habyarimana ou leurs familles et une poignée de "vrais" réfugiés.

3.2 De la bataille de Kigali à l'Opération Turquoise (12 avril - 23 juin 1994)

Les massacres semblent avoir pris essentiellement deux formes. La première, à la fois dans le temps et par l'importance de ses effets, fut celle d'opérations organisées où des cadres administratifs (qui étaient aussi des cadres MRND) , aidés soit de miliciens CDR et Interahamwe, soit de militaires (en général de la GP) , soit des deux, réunissaient les Tutsis et les Ibyitso[102] dans un lieu public (église, école, stade) et les tuaient par tous les moyens disponibles. Les grandes exterminations s'exercèrent sur des masses souvent très importantes de personnes (plus de huit cents d'un seul coup à Rukara, plus de mille à Nyamata et sans doute plus de quatre mille à Butare) . L'autre forme, plus "privatisée" était celle des personnes parfois responsables (instituteurs, moniteurs agricoles, auxiliaires de santé) parfois de simples individus, qui décidaient de tuer par eux-mêmes. Ces meurtres plus dispersés se faisaient essentiellement à la machette, seule arme disponible dans les campagnes.

Il est un aspect des massacres qui a été peu relevé, c'est l'aspect social. Si les Tutsis ont été tués massivement simplement parce que Tutsis, les Hutus ont été "sélectionnés" non seulement selon le critère de leur éventuelle sympathie pour l'opposition, mais selon divers critères d'excellence sociale (possession d'une automobile, bonne connaissance du français, emploi prestigieux tel que journaliste, médecin, etc., ou simplement habitude de bien s'habiller et "d'envoyer ses enfants à l'école avec des chaussures"[103] Même le massacre des Tutsis n'est pas sans refléter lui aussi un certain aspect social, car si les "petits Tutsis" paysans de collines n'étaient guère différents des Hutus, la population tutsie urbaine était en général mieux éduquée, mieux habillée et bénéficiait d'un niveau économique et social supérieur à celui de la masse hutue.

Il est impossible à l'heure actuelle de chiffrer le nombre total des victimes de ces exactions. Les seuls chiffres connus sont ceux des "éboueurs" de Kigali qui ont ramassé 60.000 corps dans les bennes à ordures de la capitale, massacrés et victimes des combats mêlés, et ceux de l'ONG française Médecins du Monde qui a "traité" chimiquement environ 40.000 corps qui, portés par la rivière Akagera, avaient dérivé jusqu'au Lac Victoria et étaient venus s'échouer sur la rive nord ougandaise. Il sera possible, en comparant les chiffres du recensement d'août 1991 avec certains chiffres connus de morts par commune d'établir des ratios qui pourront ensuite être extrapolés à l'ensemble du pays. Mais la marge d'erreur demeurera énorme, peut- être de l'ordre de 30 ou 40%.

Les attitudes des personnes et des autorités ont énormément varié pendant cette crise. Au niveau des personnes individuelles, les actes les plus charitables sont venus des gens les plus simples, paysans hutus ordinaires qui ont abrité leurs voisins tutsis. Mais cette charité a été beaucoup plus fréquente dans les environs immédiats de Kigali ou dans le Sud que dans le Nord-Ouest où la quasi-totalité de la population s'est livrée aux massacres ou les a approuvés. Par ailleurs, socialement parlant, les attitudes de ce que l'on pourrait appeller selon la formule de Gramsci, les "intellectuels organiques" (instituteurs, infirmiers ruraux, moniteurs agricoles) se sont réparties de manière pratiquement bimodale: ou ils ont été parmi les gens qui donnaient refuge aux persécutés, ou ils ont été au contraire les organisateurs des massacres. On a ainsi vu des instituteurs tuer les enfants confiés à leur charge, des moniteurs agricoles profiter de leur connaissance intime du terroir pour organiser des brigades d'Interahamwe lancés à la poursuite des villageois dont ils s'occupaient, etc. Au niveau des autorités politiques, administratives ou morales, les faits sont accablants: la majorité des représentants des autorités (en dehors de l'Eglise dont l'attitude, après des années de collaboration avec le régime, a été au-dessus de tout soupçon pendant la crise elle-même[104] ont collaboré avec les tueurs. La seule exception notable fut Jean-Baptiste Habyarimana, Préfet de Butare, qui parvint à maintenir la paix civile dans sa préfecture jusqu'au 20 avril, date à laquelle le "gouvernement" le révoqua pour pouvoir massacrer tranquillement.[105]

Ces faits sont à la fois logiques, troublants et accusateurs. Logiques parce que, comme nous l'avons expliqué dans la première partie de cette étude, le pays était quadrillé administrativement de manière totalitaire et que la population était habituée à obéir aux ordres de l'autorité, quels qu'ils soient. Et qu'en outre l'idéologie de la "démocratie majoritaire" légitimait par avance un tel extrémisme. Ces fait sont quand même troublants parce que nombre de tueurs se sont repentis plus tard, dans les camps de réfugiés,[106] et qu'il faut donc voir dans l'emprise de "l'idéologie raciale hutue" un levier extraordinairement puissant qui engage lourdement la responsabilité morale des intellectuels, (surtout des sociologues et des historiens) tels que ceux qui s'étaient réunis pour produire l'ouvrage souvent intéressant mais terriblement biaisé intitulé "Les relations interethniques au Rwanda à la lumière de l'agression d'octobre 1990".[107] Et enfin ces faits sont accusateurs parce qu'il semble bien que beaucoup de simples paysans ne se sont livrés à ces exactions que parce que leurs autorités les y encourageaient et que la responsabilité de ces autorités se trouve donc engagée au-delà de tout doute raisonnable, ce qui donne bien à l'opération son caractère de génocide.

Face à cette horreur, l'attitude de ce qu'il est convenu d'appeller "la communauté internationale" a été d'une remarquable lâcheté. En plein coeur de la crise (21 avril) les Nations Unies ont voté (avec la voix de la France entre autres) une réduction des effectifs de la MINUAR de 2.400 à 270 hommes. De plus, à cause d'arguties administratives pitoyables, les Etats-Unis ne parvinrent pas à fournir à la MINUAR les blindés légers qu'ils avaient promis avant le 23 juin, beaucoup trop tard pour qu'ils servent à quelque chose.[108] La MINUAR, paralysée par son engagement au titre du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, et aussi par son manque total de moyens, dut demeurer l'arme au pied pendant que des horreurs se déroulaient sous ses yeux et que les assassins la narguaient. Il faut d'autant plus saluer l'héroïsme individuel de certains "Casques Bleus", tel le capitaine Mbaye Diagne, ancien du GOMN cédé à la MINUAR lors de son installation, qui sauva beaucoup de vies, sans armes, avec la seule force de son courage, de son verbe et de sa bonne humeur, avant d'être tué à Kigali par un éclat de mortier le 31 mai 1994.[109]

Les évacuations de réfugiés piégés dans les bâtiments publics de Kigali ne purent se faire qu'au compte-goutte par manque de moyens et aucun pays ne tenta quoi que ce soit pour intervenir. La France, un des acteurs principaux du drame, se contenta jusqu'à la mi-mai de pousser ses ONG au premier rang, avant que l'indignation de l'opinion ne contraigne le pouvoir politique à improviser hâtivement une opération "humanitaire". L'action finalement la plus efficace de l'ONU fut de réunir sa Commission des Droits de l'Homme à Genève et de confier au juriste ivoirien René Degni-Ségui la rédaction d'un rapport qui allait se révéler accablant pour l'ancien pouvoir rwandais. Cet ultime effort amenait deux permanents de l'ONG française AICF alors plongée dans la tourmente à titrer une "libre opinion" dans Le Monde, "l'ONU en panne d'imagination".[110] Quant aux Etats-Unis, au prix d'incroyables contorsions verbales[111] ils évitaient avec soin d'utiliser le mot "génocide" qui les aurait constitutionnellement obligés à intervenir.

Pendant ce temps, le FPR se battait. Byumba avait été prise le 20 avril presque sans être défendue, et Gitarama occupée le 13 juin au prix de durs combats. En même temps la bataille se poursuivait dans Kigali même et faisaient des milliers de victimes, la capitale ne devant tomber complètement aux mains du FPR que le 4 juillet, après presque trois mois de combats. La prise de Gitarama avait marqué une nouvelle étape dans l'exode des populations hutues qui, obsédées par la propagande de la Radio des Mille Collines et déjà depuis longtemps marquées par l'idéologie raciale du régime, fuyaient l'approche des "féodaux revanchards" tutsis, persuadées que ceux-ci allaient les massacrer.[112] Dans la préfecture de Kibungo, à l'Est du pays, l'avance du FPR avait amené les autorités locales à "encadrer" l'exode de leurs administrés vers la Tanzanie voisine; c'est ainsi que près de 300.000 personnes avaient franchi le pont de Rusumo les 28, 29 et 30 avril pour s'installer en catastrophe dans la région de Ngara.

3.3 L'opération Turquoise et la catatrophe humanitaire (juin - juillet 1994)

A Paris, l'opinion publique s'était émue et la presse, un moment seulement sensible à l'horreur du génocide, revenait peu à peu sur les responsabilités politiques françaises.[113] Désireux de "faire quelque chose", le Président de la République décidait le 14 juin d'entreprendre une intervention "humanitaire". Dès qu'elle fut annoncée, cette intervention provoqua une levée de boucliers de la part de nombreuses associations humanitaires et d'ONG[114] qui dénonçaient la récupération politique de l'opinion publique au lendemain d'une période de plus de deux mois où les autorités françaises avaient assisté sans broncher au génocide. La réaction du FPR fut également très hostile car le Front était persuadé que Paris masquait derrière son opération "humanitaire" tardive l'intention de venir en aide aux FAR qui semblaient en voie de perdre la guerre.[115] Le 23 juin, les troupes françaises pénétraient au Rwanda. L'envoi d'une mission du Ministère de la Défense auprès du Commandement du FPR au moment de la chute de Kigali permit de faire baisser le ton des échanges politiques et de mettre sur pieds des moyens de concertation destinés à éviter des affrontements sur le terrain entre l'armée française et les forces du FPR qui s'approchaient alors de Butare.[116]

La décision française de créer une "Zone Humanitaire de Sécurité" (ZHS) sanctuarisa les préfectures de Cyangugu et Gikongoro ainsi que le sud de la Préfecture de Kibuye et l'ouest de celle de Butare contre l'avancée FPR, ranimant les craintes du Front quant à un éventuel objectif politico-militaire de Paris (3 juillet) . Ces craintes se révélèrent vaines, Paris ne désirant visiblement pas apporter son appui militaire à un régime couvert d'opprobe et qui, en outre, était sans doute en train de perdre la guerre. En effet, après la prise de Butare, les forces FPR attaquaient dans le Nord-Ouest le vieux bastion du régime Habyarimana, où le "gouvernement" extrémiste s'était réfugié depuis la chute de Gitarama. Ruhengeri tombait le 14 juillet et la guerilla atteignait Gisenyi à la frontière zaïroise le 17. Terrifiés par l'avance des "Tutsis" et encouragés à fuir par les FAR et les autorités civiles de l'ex- gouvernement, un million et demi environ de Hutus se réfugiaient à Goma où rien ne les attendait et où la situation risquait bientôt de tourner à une véritable catastrophe humanitaire.

Le 19 juillet, un Gouvernement Provisoire était mis en place à Kigali sous la direction de Faustin Twagiramungu, le leader MDR qui devait accéder au poste de Premier Ministre selon les termes des accords d'Arusha, tandis que la présidence était assumée par le Pasteur Bizimungu, un Hutu du Nord, ancien haut fonctionnaire et membre du FPR depuis sa création. Paul éKagamé, "l'homme fort" du FPR, devenait Vice-Premier Ministre et Ministre de la Défense. Il restait à panser les blessures de la guerre, tâche qui sera sans aucun doute difficile.

4. CONCLUSIONS

Il est difficile "à chaud" de procéder à des conclusions qui présentent toutes les caractéristiques nécessaires de calme et de réflexion. Néanmoins un certain nombre de points peuvent d'ores et déjà être dégagés sans trop de risques d'erreur.

Sur le plan de la crise elle-même, il faut insister fortement sur quelques idées essentielles:

1)         La crise a été avant tout une crise politique, pas ethnique, l'ethnicité ayant été utilisée comme un moyen par les acteurs politiques. Ce point est très important car il s'oppose à toutes les explications "culturelles" mécaniques du type "les haines ancestrales entre Tutsis et Hutus", etc. Il faut se rappeller qu'il n'y avait jamais eu de massacres entre les communautés avant novembre 1959 et que la situation que nous voyons est un produit de certaines circonstances historiques et pas une donnée "biologique". Nous pensons que le caractère essentiellement politique des luttes entre 1990 et 1994 se dégage clairement du texte qui précède.

2)         L'aspect "ethnique" de la crise - car il existe bien sûr - tient plus à une idéologie soigneusement construite qu'à un quelconque "sentiment viscéral" des acteurs. L'amplification délibérée au lendemain de l'indépendance du discours (et de la pratique) raciste belge par les autorités rwandaises, sa rationalisation, son intellectualisation en même temps que sa vulgarisation sous forme de propagande, ont abouti à la construction d'un discours idéologique cohérent qui a trouvé une application terrible mais logique dans le génocide d'avril-mai 1994.

3)         L'explosion de la violence est venue d'un blocage délibéré par les extrémistes de toute application des accords d'Arusha. Quelle que soit l'appréciation que l'on porte sur le FPR ou sur les partis de l'opposition civile, un accord de paix et de partage du pouvoir avait été signé à Arusha le 4 août 1993 par le Président de la République du Rwanda. Ce dernier, aidé de ses alliés extrémistes, avait ensuite utilisé toutes les excuses possibles pour en refuser la mise en oeuvre, au risque de provoquer une catastrophe.

4)         En dépit de ses dénégations, la France porte une lourde responsabilité dans cette catastrophe. Paris a non seulement soutenu, aidé, armé et financé le gouvernement de la République du Rwanda sans exiger en contrepartie un respect minimum des droits de l'homme et une attitude d'ouverture politique envers la démocratie naissante, mais il a en outre fermé les yeux sur de nombreuses exactions qui, d'octobre 1990 à février 1993, ont constitué de véritables répétitions en petit de l'horreur qui devait ensuite se dérouler en grand. L'intervention "humanitaire" de juin 1994, entreprise alors que le plus gros des massacres était déjà commis, mieux préparée à d'hypothétiques combats qu'à une situation d'urgence civile comme devait le montrer son impuissance devant la catastrophe de Goma à la fin de juillet, n'a constitué qu'une tentative de dédouanement médiatique dans un contexte politique et diplomatique particulièrement lourd.

5)         La communauté internationale a brillé par sa timidité, son souci d'éviter les dépenses et les responsabilités, son impréparation et son hypocrisie. Tout en émettant des messages de consternation et d'indignation, personne, ni l'OUA, ni les Etats-Unis, ni les états membres de l'ONU n'a réellement montré un sérieux désir d'agir. La position intenable de la MINUAR constitue un véritable scandale et "la responsabilité" dont parlait le Secrétaire-Général des Nations Unies Boutros Boutros Ghali[117] ou "l'apathie" que dénonçait son Secrétaire-Général Adjoint Kofi Anna[118] sont de pénibles réalités qu'il faudrait avoir le courage de regarder en face.

Sur le plan des conséquences humanitaires de la crise, un certain nombre d'autres idées-force s'imposent:

1)         Il n'y a pas de crise purement humanitaire: qu'il s'agisse du génocide d'avril-mai ou de l'exode massif des populations civiles en juin-juillet, il s'agit là de phénomènes politiques. Seul un traitement politique de la crise parallèlement à son traitement humanitaire peut permettre de résorber les causes du désastre. Par exemple, à l'heure actuelle (24 juillet) , il est plus urgent de normaliser les relations de la communauté internationale avec le nouveau gouvernement rwandais et de l'aider à convaincre les réfugiés au Zaïre de rentrer chez eux que de prévoir un traitement humanitaire massif d'une crise qui est sans issue si on insiste pour n'en considérer que les (terribles) manifestations.

2)         Il découle de cela que le travail humanitaire doit s'articuler étroitement avec les paramètres politiques. Le cas du camp de Nabéco en Tanzanie en est certainement un des exemples les plus frappants. Toutes les victimes sont loin d'être automatiquement innocentes du simple fait d'être devenues victimes. Dans ce cas les structures administratives rwandaises responsables du génocide dans la préfecture de Kibungo sont présentes (et actives) à l'intérieur du camp. On parle d'un tribunal destiné à juger les organisateurs du génocide: les ONG humanitaires et le HCR sont-ils prêts à admettre dans ce camp une commission d'enquête ayant le pouvoir d'interroger les témoins et de mettre en détention les suspects? Les mêmes autorités humanitaires sont-elles prêtes à négocier avec l'actuel gouvernement rwandais les paramètres d'un jugement aux accents inévitablement politiques, voire diplomatiques étant donnée l'implication française? Il est bien évident que, quelle que soit l'horreur de la situation dans la région de Goma, les mêmes questions s'y posent.

3)         Sur le plan "technique", il faut également intégrer le facteur politique concrètement sur le terrain. Ainsi, si les bourgmestres et les cadres MRND qui ont suivi (ou souvent poussé) les populations dans leur exil sont autorisés à conserver leur rôle d'encadrement des populations réfugiées, de nombreuses conséquences négatives ne manqueront pas de s'ensuivre: a) ils prélèveront leur dîme sur l'aide apportée aux réfugiés, soit pour eux-mêmes, soit pour financer leurs activités politiques; b) ils utiliseront leur emprise sur une population largement analphabète pour la terrifier et la dissuader de rentrer chez elle afin de conserver une masse de manoeuvre politico-militaire en dehors des frontières; c) ils entreprendront, au moins à partir du Zaïre, des opérations militaires de guerilla contre le nouveau régime pour bloquer toute possibilité de réconciliation nationale qui pourrait s'appliquer à la masse de la population mais pas à eux, et qui les amènerait à perdre définitivement toute chance de jamais retrouver leur pouvoir et leurs privilèges. Ainsi, du coeur non traité ou mal traité d'une crise naîtront les racines de la crise suivante.

 

The views expressed in the papers are those of the authors and are not necessarily those of UNHCR.

 



[1] Tel que décrit par exemple par le premier gouverneur allemand Richard 1 Kandt, Caput Nili: Eine empfindsame Reise zu den Quellen des Nils, (Berlin: Dietrich Reimer Verlag, 1919, 1ère ed. 1905) .

[2] Notamment dans son Abrégé de l'ethno-histoire du Rwanda pré-colonial, (Butare: Editions Universitaires du Rwanda, 1972).

[3] Catherine Newbury, "The cohesion of oppression", Clientship and Ethnicity in Rwanda (1860-1960) , (New York: Columbia University Press, 1988) .

[4] L'Ubuhake était le contrat traditionnel selon lequel un "patron" Tutsi (dans le sens romain du terme) concédait à un Hutu soit des terres, soit du bétail. Les deux lignages unis par l'Ubuhake entraient dans une relation complexe de prestations mutuelles, économiques, politiques et militaires qui pouvait s'étendre au plan matrimonial, les Hutus fidèles étant récompensés par des mariages avec des femmes tutsies (d'où aujourd'hui l'ambiguïté des apparences physiques par rapports aux traits "typiques" des deux groupes) . Un Hutu habile pouvait ainsi finir par "devenir Tutsi", alors qu'au contraire un bas lignage de "petits tutsis" qui finissait par perdre son bétail pouvait tomber au statut de Hutu.

[5] Au moment de l'arrivée des Allemands en 1894, le Royaume du Rwanda était encore en pleine expansion. Sa dernière "Marche" de conquête était la région Nord-Ouest de l'actuel Rwanda (Préfectures de Ruhengeri et de Gisenyi) où la dynastie nationale des Nyiginya était encore mal implantée au début de la colonisation, ce qui aura des effets considérables jusqu'à la période actuelle. Sur ce point, voir Ferdinand Nahimana, Le Rwanda: émergence d'un Etat, (Paris: L'Harmattan,1993) .

[6] Voir Horst Gründer, Geschichte der deutschen Kolonien, (Munich: Ferdinand Schöningh Verlag, 1985) .

[7] Le Blanc est arrivé, le Roi est parti, (Kigali: Printer-Set, 1987) .

[8] Le Rwanda fut conquis en 1916 et attribué à la Belgique par mandat de la Société des Nations en 1923.

[9] Voir Jean Rumiya, Le Rwanda sous le régime du Mandat belge (1916-1931) , (Paris: L'Harmattan, 1992) .

[10] Voir J.P. Chrétien, "Les Bantous, de la philologie allemande à l'authenticité africaine : un mythe racial contemporain", XXème Siècle, octobre 1985, pp.43-66, pour l'aspect culturel et idéologique et J.P. Chrétien, "Vocabulaire et concepts tirés de la féodalité occidentale et administration indirecte en Afrique Orientale", In: D. Nordman et J.P. Raison (eds) , Sciences de l'Homme et conquête coloniale, (Paris: Presses de l'ENS, 1980) pp. 47-63, pour l'aspect plus purement politique.

[11] Sentiment bien reflété dans le livre du dernier gouverneur J.P. Harroy, Rwanda : de la féodalité à la démocratie (1955-1962) , (Bruxelles: Hayez, 1984) .

[12] Le meilleur ouvrage pour la période troublée des années 1960 est celui de René Lemarchand, Rwanda and Burundi, (New York: Praeger, 1970) . Pour la "Révolution contrôlée" que favorisa la Belgique, voir les souvenirs pittoresques du Colonel Logiest, alors chef des troupes coloniales au Rwanda, Mission au Rwanda : un Blanc dans la bagarre Hutu-Tutsi, (Bruxelles: 1988) . Donat Murego, La révolution rwandaise (1959-1962) , (Louvain: Institut des Sciences Politiques et Sociales, 1975) donne la version radicale hutue qui servit ensuite à construire l'idéologie du Rwanda indépendant.

[13] Pour le calcul de ce chiffre, voir Catherine Watson, Exile from Rwanda, (Washington: US Committee for Refugees, 1991) . Pour une étude plus détaillée sur la question de la diaspora rwandaise post-1959, voir André Guichaoua, Le problème des réfugiés Rwandais et des populations Banyarwanda dans la région des Grands Lacs africains, (Genève: HCR, 1992) .

[14] En fait, dans l'idéologie officielle, un Tutsi était devenu un "étranger" et seuls les Hutus étaient de "vrais" rwandais. C'est ainsi que lors des récentes violences, une paysanne hutue pouvait s'exclamer dans un camp d'accueil de personnes déplacées "M'en voir réduite à celà, moi, une vraie citoyenne à part entière" (en présence de l'auteur, juillet 1994) .

[15] C'est à ce soutien qu'est largement dû l'importance des coopérations économiques belges, suisses et allemandes avec le Rwanda. La Suisse par exemple avait fait du Rwanda le récipiendaire nø1 de son aide au Tiers Monde.

[16] A ce propos, voir le document réaliste et désenchanté de Mgr Thaddée Nsengiyumva, Président de la Conférence Episcopale du Rwanda, Convertissons nous pour pouvoir vivre ensemble dans la paix, (Diocèse de Kabgayi, Mimeog., 1991) .

[17] De ce point de vue l'ouvrage de Ferdinand Nahimana, Le Rwanda: émergence d'un Etat, Op. cit., est très intéressant. Historien "révisionniste" lui-même originaire du Nord-Ouest, Nahimana magnifie le rôle de résistance des micro-dynasties Bakiga locales face au pouvoir monarchique conquérant. Avec une terrible logique, il sera pendant la récente crise un des animateurs les plus enragés de la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLMC) qui appellera au meurtre indifférencié non seulement des Tutsis, mais aussi des Ibyitso ("complices") , mot codé du vocabulaire politique rwandais désignant les membres des partis d'opposition hutus, majoritairement originaires du Sud et du vieux coeur historique du Royaume.

[18] Entretien avec le journaliste Sixbert Musamgamfura, Kigali, 20 juin 1993.

[19] C'est ainsi qu'il ajouta le "D" du parti unique MRND et que le "Parlement" devint le Conseil National du Développement, la "politique, source de toutes nos divisions" étant "abolie" et remplacée par un sain "développement" devant unir la Nation. La structure de justification idéologique du discours est très proche de celle du "premier Mussolini" en 1922 ou de l'Etat-Corporatiste du Président portugais Salazar.

[20] La déception de ces cercles vis-à-vis du régime au lendemain du 1er octobre 1990 n'en fut que plus vive. Pour ce qui est de la Belgique voir Jean-Claude Willame, "Rwanda, miroir brisé" et "La panne rwandaise", La Revue Nouvelle, no.12, décembre 1990, pp. 53-66. Pour l'Allemagne, voir Herbert Keiner, "Allmählich schwand die Bewunderung für 'Habis' Regime", Frankfurter Rundschau, 5 novembre 1992, p. 26.

[21] L'Archevêque-Primat Mgr Vincent Nsengiyumva fut un membre actif du Comité Central du MRND de 1975 à 1990 et ne démissionna qu'à la suite d'un ultimatum pontifical.

[22] Le Général Habyarimana, très supersticieux, avait cependant obéi aux avis d'un sorcier qui lui conseilla de faire mourir l'ex-Président Kayibanda, placé en résidence surveillée. Pour ne pas avoir à le tuer, il le fit isoler et priver de nourriture jusqu'à ce qu'il décède. (Entretien avec Seth Sendashonga, cadre hutu du Front Patriotique Rwandais, Mulindi, juillet 1994) .

[23] Voir François Misser, "Rwanda : Death and intrigue", The New African, février 1990.

[24] Nombreux entretiens avec d'anciens Ministres du régime, d'anciens hauts fonctionnaires, d'anciens hommes d'affaires et d'anciens officiers réalisés depuis 1990 à Kigali, Bujumbura, Kampala, Nairobi, Genève, Montréal et Paris.

[25] On l'appellait l'Akazu (la petite maison) ancien nom de la cour royale, tandis que Mme Agathe Habyarimana était surnommée Kanjogera, nom d'une ancienne reine-mère qui avait fait assassiner le roi Mibambwe pour assurer le trône à son fils, le Mwami Yuhi Musinga (1896-1931) . Son image dans l'histoire rwandaise est celle de "Bloody Mary" en Angleterre ou de la Reine Margot en France.

[26] Pour une étude plus détaillée, se reporter à Gérard Prunier, "Eléments pour une histoire du Front Patriotique Rwandais", Politique Africaine, no.51, octobre 199

[27] A cette date les Rwandais étaient extrêmement mal vus en Ouganda du fait de la collaboration de certains d'entre eux avec le State Research Bureau, l'une des plus sanglantes des polices secrètes du Président Idi Amin Dada.

[28] Sur cet épisode et les rôles de la NRA et des Banyarwanda qui s'y trouvaient, voir Gérard Prunier, "Le mouvement d'Alice Lakwena, un prophétisme politique en Ouganda", In: J.P. Chrétien (ed.) , L'invention religieuse en Afrique, (Paris: Karthala, 1993) , pp. 409-429

[29] Pour les détails, voir Gérard Prunier, "Eléments pour une histoire du Front Patriotique Rwandais", Op. cit.

[30] Le Président ougandais est lui-même un Muhima de l'ethnie Bayankole. Les Bahimas sont fréquemment assimilés aux Tutsis rwandais puisqu'ils ont avec leur propre "basse caste" des Bairus le même rapport de domination sociale que ceux-ci avec les Hutus.

[31] On citera simplement le dernier avatar de cette littérature, la brochure de l'Uganda Democratic Coalition, Who are (sic) behind the Rwanda crisis, (Washington: 12 avril 1994) et qui regroupe tous les différents thèmes.

[32] Pour une discussion des rapports entre l'Ouganda et la guerilla rwandaise, voir Gérard Prunier, "L'Ouganda et le Front Patriotique Rwandais", In: André Guichaoua (ed) , Enjeux nationaux et dynamiques régionales dans l'Afrique des Grands Lacs, (Lille: Faculté des Sciences Economiques et Sociales, 1992) , pp. 41-49.

[33] Elle ne comptait au 1er octobre 1990 que 5.200 hommes.

[34] Il sera par la suite porté à 350.

[35] Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) et al., Rapport Rwanda, (Paris: FIDH, février 1993) , p. 14.

[36] Le Soir, 9 octobre 1990.

[37] La Libre Belgique, 11 octobre 1990.

[38] Libération, 13 octobre 1990.

[39] FIDH, Rapport Rwanda, Op. cit., pp. 18-20 et Association pour la Défense des Libertés (ADL) , Rapport sur les Droits de l'Homme au Rwanda, (Kigali: ADL, décembre 1992) , pp. 101-105. Voir aussi Jean Hélène, "Les réfugiés dénoncent les massacres perpétrés par l'Armée", Le Monde, 16 octobre 1990.

[40] Mwanza est en Tanzanie et Gbadolite au Zaïre. C'est le Président Ali Hassan Mwinyi qui avait organisé la première rencontre et le Président Mobutu Sese Seko la seconde. Cette dualité diplomatique entre les deux pays, recoupant une rivalité anglophones/francophones allait se poursuivre pendant toute la guerre

[41] En fait le Général Frédéric Rwigyema, ancien-Commandant en Chef de la National Resistance Army, réfugié rwandais et vétéran de dix ans de guerre en Ouganda.

[42] Né en 1957 à Gitarama dans une grande famille tutsi, Paul Kagamé avait grandi en exil en Ouganda. Il avait rejoint le FRONASA, groupe anti-Idi Amin formé par Yoweri Museveni, peu après sa sortie de l'école secondaire en 1979. L'un des 26 compagnons initiaux du futur Président ougandais lorsque celui-ci avait déclenché sa guerre de guerilla contre le régime du Président Milton Obote en février 1981, il était resté dans la NRA après la victoire du 25 janvier 1986. Plus porté sur l'administration et la spéculation intellectuelle que sur le combat, il n'avait pas pris part à la guerre du Nord. Il était entré dans le Service du Renseignement Militaire dont il était devenu le Directeur par Intérim en 1989, après avoir pendant un moment présidé le Tribunal Militaire chargé de réprimer les excès de la NRA dans son action anti-guerilla.

[43] La Relève, 16 / 22 novembre 1990. Seule la première promesse fut tenue, Radio Rwanda annonçant dès le 25 novembre que la mention de l'appartenance ethnique sur les cartes d'identité serait maintenue.

[44] Le Colonel Charles Uwihoreya, commandant le secteur, sera arrêté et détenu pendant un an pour avoir refusé de tuer les prisonniers avant l'attaque du FPR. Il s'enfuira du Rwanda après sa libération pour raconter son histoire. Cf. New African, novembre 1992 et Africa Confidential, 20 novembre 1992.

[45] Afrique Défense, mai 1991

[46] Leurs interrogations souvent brutales aux barrages "Es-tu Hutu ou Tutsi ?" avaient le don d'exaspérer ces derniers qui supportaient mal de voir des Européens armés appliquer avec arrogance la politique de discrimination ethnique du gouvernement (entretien avec Roger Rutikanga, cadre FPR, Byumba, 6 juillet 1994) .

[47] L'auteur de ces lignes séjournant en juin 1992 dans la zone FPR devant Byumba alors assiégée a été pris sous un feu d'artillerie venant des lignes FAR. Le FPR ayant "accroché" la fréquence radio des gouvernementaux on entendit les ordres de tir donnés par une voix indiscutablement française et non pas africaine. Rentré à Paris et ayant rencontré un responsable du Ministère de la Défense je me heurtais à un mur de dénégations.

[48] Nombreuses conversations de l'auteur avec Jean-Christophe Mitterrand, responsable jusqu'en juin 1992 de la "Cellule Afrique" de l'Elysée, avec des responsables du Ministère de la Défense, etc. En mai 1992 commencera la phase de la livraison (sous cautionnement financier français) de $6mio d'armes égyptiennes (cf. La Lettre du Continent, 21 mai 1992 et Human Rights Watch Arms Project, Arming Rwanda, janvier 1994) .

[49] La Libre Belgique, 9 mars 1992. Le PL avait été choisi comme "agent" supposé de ce faux tract parce que son leadership était mixte, Tutsi/Hutu, alors que le MDR et le PSD étaient des partis purement hutus. Lorsque la supercherie fut éventée (après les massacres bien réels organisés par les autorités) le Premier Ministre se contenta d'infliger un blâme aux fonctionnaires auteurs du faux tract (cf. Jeune Afrique, 19 / 25 mars 1992 et Africa Events, mai 1992) .

[50] Voir FIDH, Rapport Rwanda, Op. cit., pp. 42-47 et ADL, Rapport sur les Droits de l'Homme au Rwanda, Op. cit., pp. 193-234.

[51] "L'excuse" du gouvernement était qu'il s'agissait de la "colère spontanée du peuple contre le FPR et ses alliés". On retrouvera cette "explication" lors du génocide.

[52] Le mot avait une connotation de labeur paysan puisque c'était déjà le terme utilisé pour les équipes d'Umuganda, le travail agricole collectif. Lors des massacres on parlera de "débrousailler" pour tuer les hommes et "d'arracher les racines de la mauvaise herbe" lorsqu'il s'agira de tuer les femmes et les enfants.

[53] L'Eglise avait été la première à parler de ces "escadrons de la mort", notamment dans le fameux document du Diocèse de Kabgayi publié en décembre 1991. Dans une conférence de presse tenue au Parlement de Bruxelles le 2 octobre 1992, le Professeur Reyntjens et le Sénateur Kuypers avaient pour la première fois donné les noms des responsables (voir François Misser, "Inquiry into Death Squads", The New African, janvier 1993) .

[54] Voir "Données sur les escadrons de la mort", texte miméographié du Professeur Filip Reyntjens, Professeur à l'Université d'Anvers, en date du 9 octobre 1992.

[55] Ce discours, prononcé en kinyarwanda, ne fut pas retransmis par Radio Rwanda et il n'en existe que des enregistrements privés (consultés par l'auteur) . Sa construction rhétorique est intéressante. L'argument du Président Habyarimana est de dire que l'accord de juillet 1992 a été signé par "des ennemis et leurs complices", que lui, Habyarimana, représente "la légitimité" et que donc comme il n'a pas signé personnellement l'accord est nul et non avenu. Le système de légitimation est donc de type racial et surtout monarchique.

[56] Radio Rwanda, 22 novembre 1992.

[57] La Cité, 26 novembre 1992.

[58] Radio Rwanda, 19 et 21 janvier 1993

[59] Par le biais de manipulations des rotations, Paris parviendra à maintenir 1.100 hommes sur place en n'en avouant que 600 (entretien avec un Officier Supérieur français en avril 1993 à Paris) .

[60] Le Canard Enchaîné, 17 février 1993. Voir aussi l'article prudent de Jacques Isnard dans Le Monde du même jour, "Selon les Services de Sécurité français, les rebelles bénéficieraient du soutien de l'armée ougandaise"

[61] Voir le récit du "massacre" de Rebero dans Le Monde du 21 / 22 février 1993. Après vérification sur le terrain par des missionnaires, le "massacre" se révéla purement fantasmatique. Les réfugiés du camp de Rebero avaient simplement déménagé vers le sud.

[62] Cf. la lettre commune signée par les associations ADL, Kanyarwanda, ARDHO, AVP et LICHREDHOR le 23 février 1993.

[63] Le Monde, 2 mars 1993.

[64] Entrevue avec Bruno Delhaye, responsable de la Cellule Afrique de l'Elysée, Paris, 15 février 1993. Dans le vocabulaire politique français "anglo-saxon" recouvre une entité imprécise qui s'étend comme une amibe de Londres à Washington en passant par Ottawa, Canberra et n'importe quelle capitale de l'Afrique anglophone. Les différents pseudopodes de cette entité ont pour point commun de diaboliquement parler anglais. Selon les configurations géopolitiques, l'accent est mis sur différentes branches de cette pieuvre maléfique ; ainsi si l'on parle du Canada, le Mal se niche à Ottawa, s'il s'agit du Sud Pacifique il vient d'Auckland qui proteste contre le programme nucléaire français dans la région. En Afrique de l'Est l'incarnation locale de cette terrible conspiration se nommait Yoweri Museveni. Voir Gérard Prunier, "Entre Anglais et Français la lutte pour le contrôle de l'Afrique n'a pas cessé", Le Nouveau Quotidien, 15 juillet 1994. Le titre original de cet article était "le syndrome de Fachoda", bien meilleur car il n'y a pas aujourd'hui de lutte réelle, mais un syndrome fantasmatique nourri d'expériences historiques perçues à travers un prisme déformant.

[65] Lettre à Mr Jean Auroux, Président du Groupe Socialiste à l'Assemblée Nationale, 24 février 1993.

[66] Des instructeurs militaires français fréquentaient régulièrement ces camps.

[67] Le Monde, 3 mars 1993.

[68] Communiqué signé de Mr Dismas Nsengiyaremye (Premier Ministre) et du Colonel Alexis Kanyarengwe (Président du FPR) , Dar-es-Salaam, 7 mars 1993. Tous les points de l'accord furent respectés sauf celui qui concernait les poursuites contre les auteurs d'exactions. Celles-ci se poursuivirent à un rythme inchangé. Voir Laurent Bijard, "Les charniers du Réseau Zéro", Le Nouvel Observateur, 11 / 17 mars 1993 et Stephen Smith, "Dans Kigali, chroniques de la terreur quotidienne", Libération, 22 mars 1993.

[69] Radio Rwanda, 2 avril 1993.

[70] Lettre ouverte du Premier Ministre Dismas Nsengiyaremye au Président Juvénal Habyarimana, 6 juillet 1993.

[71] Entretiens avec le journaliste Sixbert Musamgamfura et avec un officier anonyme des FAR, Kigali, 22 juin 1993.

[72] Expérience de l'auteur dans les rues de Kigali en juin 1993. Beaucoup de personnes menacées évitaient de dormir chez elles.

[73] Expérience de l'auteur dans les rues de Kigali en juin 1993. Beaucoup de personnes menacées évitaient de dormir chez elles.

[74] Les leaders du MDR-Power étaient Donat Murego et Frodwald Karamira, ceux du PL-Power Justin Mugenzi et Mme Ntamabyaliro et celui du PDC-Power Gaspard Ruhumuliza. Face à eux les factions modérées étaient dirigées par Faustin Twagiramungu au MDR, Landwald Ndasingwa au PL et Jean-Népomucène Nayinzira au PDC.

[75] Entretien avec Faustin Twagiramungu, Kigali, 14 juin 1993.

[76] Expérience personnelle de l'auteur autour de Gatuna et de Kagitumba en juin 1993 et en juillet 1994.

[77] Radio Rwanda, 23 juillet 1993 et Le Monde, 27 juillet 1993.

[78] Voir le communiqué du CLADHO du 29 octobre 1993 sur l'exploitation politique des manifestations.

[79] Les assassinats de sympathisants FPR deviennent fréquents (voir communiqué FPR du 22 octobre 1993) . Mais on assiste parrallèlement à une vague d'assassinats, notamment à Butare et à Kigali, d'anciens hommes de main utilisés dans les "massacres programmés" entre 1990 et 1993 et que l'on élimine de peur qu'ils ne parlent bientôt devant une justice qui risque de devenir indépendante (entretien confidentiel à Bruxelles avec un réfugié rwandais, 17 novembre 1993) .

[80] Le 3 décembre 1993, près de Butare, une mine placée au hasard sur une route avait fait onze morts sans que l'attentat soit revendiqué (Le Monde, 5/6 décembre 1993) .

[81] Aux termes des Accords d'Arusha, le FPR avait reçu l'autorisation de faire entrer dans Kigali un bataillon de 600 hommes sans armement lourd. Il jouera un rôle essentiel au début des combats qui suivirent la mort du Président Habyarimana le 6 avril 1994.

[82] Le Monde, 13 octobre 1993. Cet apparent revirement français était dû à plusieurs raisons. D'abord les élections législatives françaises de mars 1993 qui avaient amené au pouvoir une nouvelle majorité conservatrice cherchant à se démarquer de la politique poursuivie depuis 1990 par le Parti Socialiste. Ensuite une certaine lassitude, avec l'espoir que la MINUAR saurait accompagner le processus de transition démocratique. Et enfin une profonde conviction que le Président Habyarimana était encore bien en place, que son opération de division "Power" des partis d'opposition allait réussir et que la "majorité sociologique hutue" condamnait à terme le FPR "tutsi anglophone". Les opposants hutus libéraux étaient considérés comme des comparses inoffensifs (entretien à Paris avec un fonctionnaire du Ministère des Affaires Etrangères, 24 novembre 1993) .

[83] RTBF, Bruxelles, 19 février 1994.

[84] Voir Faustin Kagamé, "Nous n'avons pas vu le même film d'horreur", L'Hebdo, 19 mai 1994, ainsi que de très nombreux témoignages directs. Mentionnons entre autres James Gasana, ancien Ministre de la Défense, MRND modéré, réfugié en Suisse depuis l'été 1993 (entretien à Genève le 13 juin 1994) ; Sixbert Musamgamfura, journaliste membre du MDR, réfugié en zone FPR après avoir échappé à la mort le 6 avril (entretien à Byumba le 6 juillet 1994) ; Joseph Ngarambe, membre du PSD réfugié en France après avoir échappé aux massacres (entretien à Paris le 20 juillet 1994) .

[85] Cf. Radio Muhabura ("Radio du Phare", la radio du FPR) , 29 janvier 1994. Aussi communiqué de la MINUAR sur les distributions d'armes aux civils (17 février 1994) et remarque de J.R. Booh-Booh adréssée à Willy Claes selon laquelle la MINUAR était incapable d'empêcher ces distributions (RTBF, Bruxelles, 20 février 1994) .

[86] La Lettre du Continent, 16 juin 1994

[87] Félicien Gatabazi était originaire de cette ville où le PSD avait son principal bastion

[88] Radio France Internationale, 23 février 1994.

[89] Le Monde, 6 avril 1994.

[90] Entretien de l'auteur avec le Président Yoweri Museveni, Kampala, 6 juillet 1994.

[91] Agence France Presse, 7 avril 1994.

[92] Voir le témoignage de l'ancien Directeur de la Banque Centrale du Rwanda, Jean Birara, dans La Libre Belgique du 24 avril 1994. Il estime que c'est la Garde Présidentielle, commandée par le Major Léonard Nkundiye et le Colonel Mpiranya, qui a lancé les premiers Interahamwe dans les rues pour commencer à tuer. Il estime le nombre des Interahamwe à environ 50.000 dans tout le pays, avec une bonne moitié à Kigali même ou dans ses abords.

[93] Voir sur ce sujet les articles de l'Humanité (9 mai 1994) , Libération (9 mai 1994) et International Herald Tribune (9 mai 1994) . Voir aussi les très nombreux témoignages tels que celui de Jean Birara déjà cité dans La Libre Belgique du 24 avril 1994 et ceux que l'auteur a recueilli auprès de James Gasana, Sixbert Musamgamfura et Joseph Ngarambe (cf. note nø83) ainsi que plus tard auprès de Faustin Twagiramungu, Paris, 24 mai 1994.

[94] Témoignage personnel de l'intéressé, Paris, 24 mai 1994.

[95] Laurence Weschler, "Lost in Rwanda", The New Yorker, 25 avril 1994.

[96] Voir notamment sur ce point les rapports d'African Rights, Rwanda : Who is killing? Who is dying? What is to be done?, (Londres: mai 1994) et de Human Rights Watch Africa, Genocide in Rwanda (April-May 1994) , (New York: mai 1994) . Voir aussi l'article de Jean-Philippe Ceppi, "Comment le massacre des Tutsis a été organisé au Rwanda", Le Nouveau Quotidien, 13 avril 1994. De nombreux travaux sont à l'heure actuelle en préparation qui permettront de préciser avec plus de détails les évènements de cette semaine tragique, notamment un nouveau rapport d'African Rights, résultat d'un long travail de terrain par sa Présidente Rakiya Omaar, et mon propre livre, The Rwandese Crisis (1990-1994) : History of a Genocide, devant paraître à Londres chez Hurst and Co en janvier 1995.

[97] C'est la version de Marie-Roger Biloa dans un "dossier" de Africa International, no. 272, mai 1994, intitulé "Le complot" où elle ne craint pas d'écrire "A Kigali, des groupes de Hutus désespérés se jetaient avec des gourdins et des pierres contre des éléments du FPR armés jusqu'aux dents en criant : ils vont nous tuer ! Ils vont nous tuer !" Cette "version" des faits rappelle le fameux aphorisme de Joseph Goebbels selon lequel plus un mensonge est gros, plus il a des chances de passer. Rappellons pour mémoire que Africa International avait été acheté par la famille Habyarimana et que sa Rédactrice en Chef Marie-Roger Biloa, Camerounaise très liée à l'ancien Président, est venue s'occuper en personne de sa veuve lorsque les Français l'ont évacuée sur Paris.

[98] Voir l'article de Faustin Kagamé dans l'Hebdo, cité à la note nø83. Egalement entrevues avec Jacques Bihozagara, Paris, 22 juin 1994 et Seth Sendashonga, Mulindi, 5 juillet 1994, qui s'étaient réfugiés dans l'enceinte du CND pendant les combats et qui parvinrent à quitter la capitale sous la protection du FPR.

[99] Témoignage confidentiel, Paris, 20 mai 1994.

[100] Fax des Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs) , Kigali, 7 avril 1994 à 13h45, Signé Jeff Vleugels, Provincial du Rwanda.

[101] Joseph Ngarambe, "Les responsables du massacre étaient là", Le Nouvel Observateur, 14 / 20 juillet 1994. Il aurait d'ailleurs pu ajouter à cette liste Mme Agathe Habyarimana et son frère Séraphin Rwabukumba, responsables l'un et l'autre du "Réseau Zéro". Hormis Ngarambe lui-même, ami personnel d'un diplomate français et le Procureur-Général Alphonse-Marie Nkubito, il n'y avait pratiquement pas d'opposants dont la vie était en danger. Le personnel rwandais de l'Ambassade, tutsi en majorité, fut abandonné au massacre. Des gens qui imploraient devant les grilles furent repoussés par les gendarmes. Le Professeur André Guichaoua de l'Université de Lille qui était présent dut avoir recours à la ruse pour parvenir à emmener les cinq enfants en bas âge de Mme Agathe Uwilingiyimana à qui, en dépit de l'assassinat de leur mère, la France refusait l'asile politique alors que la famille du dictateur l'obtenait sans problème. Entretien avec le Professeur André Guichaoua, Lille, 8 juin 1994.

[102] Les "complices". C'était l'expression codée du vocabulaire politique extrémiste rwandais pour désigner les Hutus modérés proches des partis d'opposition. Si l'on se réfère à ce que nous écrivions plus haut sur l'importance des conséquences des violences de 1959 dans l'élaboration d'une "idéologie raciale rwandaise", ce terme est particulièrement pregnant. Il connote en effet la "non hutuité" de ces Hutu-là, qui ne sont plus hutus du moment où ils n'adhèrent plus à l'idéologie dominante de la "démocratie majoritaire". S'ils ne sont pas hutus ils sont donc tutsis et s'ils sont tutsis, donc pas rwandais et "ennemis du peuple", ils doivent mourir. D'où la bonne conscience de beaucoup parmi les assassins qui, avec l'intégration quasiment religieuse de l'idéologie raciale dans la masse, avaient l'impression de faire une "bonne oeuvre" en tuant les "ennemis de la Patrie". L'équation FPR = ennemi irréconciliable = Tutsi = Hutu "complice", était ancrée dans toutes les têtes, avec l'appui lancinant et répété de Radio Mille Collines.

[103] Entretien avec M.L., ancien professeur d'Université, réfugié à Paris, 12 juillet 1994.

[104] Voir les quelques dix-huit fax envoyés depuis Kigali depuis le 6 avril jusqu'à la fin de juin par Jeff Vleugels, Provincial du Rwanda des Missionnaires d'Afrique (disponibles au Secrétariat des Pères Blancs) .

[105] RTBF, Bruxelles, 21 avril 1994.

[106] Témoignage direct d'une volontaire italienne de l'aide humanitaire se trouvant au camp de Benaco en Tanzanie fin avril 1994 et désirant garder l'anonymat. Voir aussi Le Monde du 4 mai 1994 et African Rights, Op.cit. pp. 30-36.

[107] "Les relations interethniques au Rwanda à la lumière de l'agression d'octobre 1990," (Ruhengeri: Editions Universitaires du Rwanda, 1991) .

[108] International Herald Tribune, 24 juin 1994. Le problème venait du Département Légal des Nations Unies qui ne parvenait pas à trouver une forme convenable de contrat à négocier avec l'US Department of Defence, les blindés en question n'étant pas donnés par Washington mais simplement loués.

[109] Témoignage du Professeur André Guichaoua, Paris, 6 juin 1994.

[110] Le Monde, 24 mai 1994. Voir aussi la déclaration de Mr Boutros Boutros Ghali dans Le Monde du 27 mai 1994 admettant l'échec de l'ONU.

[111] Voir les déclarations de Christine Shelly, Porte-Parole du Département d'Etat, rapportées dans le International Herald Tribune du 13 juin 1994.

[112] Cette question des violences FPR demeure encore aujourd'hui l'une des plus controversées et des plus influencées par les choix idéologiques des différents protagonistes. En attendant des données plus précises, il faut bien s'en tenir à quelques évidences assez ténues : 1/ de nombreux journalistes ont circulé dans les lignes FPR et ils n'ont jamais ni vu ni entendu de récits d'exécutions (parmi eux l'auteur s'est entretenu à Londres avec Rakiya Omaar d'African Rights et avec Richard Dowden de The Independent) ; 2/ Les seules allégations de massacres FPR proviennent de trois sources : a) le "gouvernement" de Gitarama, évidemment très partial; b) des réfugiés du camp de Bénaco en Tanzanie, encadrés par leurs bourgmestres (eux-mêmes responsables de tueries) , incapables de donner des détails probants et parmi lesquels (cf. Le Monde du 4 mai 1994) on ne trouvait qu'une dizaine de blessés pour 250.000 personnes; c) certains documents du HCR (par exemple le "Situation Report" de Jesper Jensen au camp de Nagara le 18 mai 1994) eux-mêmes basés sur des entretiens avec les réfugiés mentionnés en b) ; et enfin 3/ lors de bavures avérées comme le massacre des ecclésiastiques à Kabgayi le 7 juin, le Front a immédiatement admis sa responsabilité. Au vu de ces éléments et de manière provisoire, on est donc obligé de conclure que s'il y a indiscutablement eu des bavures (500 morts ? 1.000 morts ?) il n'y a pas pour le moment de politique génocidaire délibérée poursuivie par le FPR et que la fuite des civils hutus est due à la peur panique que leur inspirèrent les combattants tutsis du fait de l'idéologie raciale du régime et à l'encouragement actif à l'exil effectué par les cadres administratifs MRND.

[113] Voir par exemple "Nos amis les tueurs : le rôle ambigu de la France au Rwanda", Le Nouvel Observateur, 21 / 27 avril 1994, "La France perd la mémoire au Rwanda", Le Canard Enchaîné, 4 mai 1994, "Rwanda : les amitiés coupables de la France", Libération, 18 mai 1994, "Les responsabilités françaises dans le drame rwandais", L'Humanité, 20 mai 1994.

[114] Voir par exemple le communiqué de "Solidarité France-Rwanda", coordination de vingt importantes ONG humanitaires et de défense des droits de l'homme, 22 juin 1994.

[115] Voir le communiqué FPR signé de Jacques Bihozagara, Bruxelles, 16 juin 1994. Entretiens de l'auteur avec Jacques Bihozagara et Théogène Rudasingwa à Paris, 22 et 23 juin 1994.

[116] L'auteur faisait partie de cette mission, 2 au 7 juillet 1994.

[117] "Nous sommes tous responsables de cet échec, tous, les grandes puissances, les pays africains, les ONG, la communauté internationale. C'est un génocide ... j'ai échoué ... c'est un scandale" Boutros Boutros Ghali, Le Monde, 27 mai 1994.

[118] "Personne ne devrait avoir la conscience tranquille dans cette affaire. Si les images de dizaines de milliers de cadavres humains pourrissants et dévorés par les animaux ... ne nous font pas sortir de notre apathie, je ne sais pas ce qui peut le faire", Le Monde, 25 mai 1994.

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