Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Thaïlande

Contexte politique

Plus d'un an après le coup d'État du 19 septembre 2006, qui a renversé le Gouvernement élu de M. Thaksin Shinawatra, la loi martiale mise en place immédiatement après par le Gouvernement du Général Sonthi Boonyaratglin reste en vigueur dans plusieurs provinces frontalières, notamment au nord et au sud du pays, imposant de sérieuses limitations aux libertés fondamentales. Le 17 septembre 2007, le Conseil pour la sécurité nationale (la junte militaire) a annoncé que la loi martiale resterait en vigueur dans 27 provinces et, fin 2007, 36 provinces continuaient d'être régies par la loi martiale. En outre, si les élections du 23 décembre ont vu la victoire du Parti du pouvoir populaire (People Power Party – PPP), il est à craindre que les militaires ne conservent en pratique la mainmise sur les affaires publiques.

Par ailleurs, la violence dans le cadre du conflit armé dans les provinces du sud de la Thaïlande, à population majoritairement musulmane, s'est aggravée en 2007, les groupes armés séparatistes ayant continué de faire de nombreux morts parmi la population civile, tandis que les autorités se sont livrées à des arrestations arbitraires et n'ont pas enquêté de façon diligente sur les exactions qui leur étaient dénoncées.

Le 21 décembre 2007, l'Assemblée législative nationale a adopté la Loi sur la sécurité intérieure, qui confie au Commandement des opérations de sécurité intérieure (Internal Security Operation Command – ISOC), une entité militaire réputée pour ses exactions commises dans les années 1970, sous le contrôle du Premier ministre, des pouvoirs exceptionnels afin de répondre aux menaces contre la sécurité nationale, et ce sans qu'un état d'urgence n'ait besoin d'être déclaré. L'ISOC est ainsi à même de restreindre les libertés fondamentales, l'article 17 autorisant des restrictions indéfinies des libertés d'expression, de réunion, d'association et de mouvement, sans qu'aucune responsabilité ne soit engagée auprès du Parlement ou des tribunaux (article 22), puisqu'elle est autorisée à contrôler, empêcher, supprimer ou prendre des mesures correctives contre toute action considérée comme une menace à la société. Selon l'article 19, toute personne qui serait reconnue comme représentant une menace à la sécurité du pays est susceptible d'être condamnée à une peine allant jusqu'à six mois de détention dans des camps de rééducation, et il est à craindre que cette disposition ne soit utilisée abusivement afin de réduire au silence toute voix critique. En outre, les agents de l'État qui commettraient des exactions sur la base de cette loi sont exempts de toutes poursuites judiciaires (article 23). Fin 2007, le Roi n'avait toujours pas promulgué cette loi.

Répression de toute voix critique à l'encontre de l'armée et des forces de l'ordre

En 2007, les défenseurs qui ont cherché à obtenir réparation pour les victimes des violations de droits de l'Homme ont fait régulièrement l'objet d'actes de harcèlement, en particulier quand ces violations impliquaient des membres des forces de l'ordre. Ainsi, alors que les commanditaires de la disparition, en 2004, de M. Somchai Neelaphaijit, président de l'Association des avocats musulmans (Muslim Lawyers Association) et vice-président du Comité des droits de l'Homme de l'Association des avocats de Thaïlande (Lawyers Association of Thailand), n'avaient, fin 2007, toujours pas été ni identifiés ni traduits en justice, sa veuve, Mme Angkhana Wongrachen, a été menacée à plusieurs reprises en raison de sa persévérance à réclamer justice pour son mari. De même, le 10 octobre 2007, M. Ma-usoh Malong a été tué près de chez lui, à Tak Bai, Narathiwat. Il était le mari de Mme Yaena Solaemae, connue pour son travail d'aide aux victimes et proches de celles qui avaient été tuées à l'issue de manifestations anti-gouvernementales à Tak Bai, en octobre 2004.1 Cet assassinat a été perçu comme une tentative d'intimider et faire taire les défenseurs qui cherchent à obtenir justice et réparation pour ces victimes.

Dans ce contexte, il est à craindre que l'adoption en 2007 de la Loi sur la sécurité intérieure soit utilisée à l'encontre des défenseurs des droits de l'Homme comme un instrument de répression à leur encontre dans le contexte de la dénonciation des violations des droits de l'Homme commises par l'armée et les forces de l'ordre.

Loi contre la cybercriminalité et répression des "cyberdissidents"

Le Gouvernement a continué d'être très actif afin de réduire au silence les "cyberdissidents" et plusieurs milliers de sites Internet, principalement politiques, auraient ainsi été fermés sur ordre du ministère de l'Information et de la technologie (Ministry of Information and Communication Technology – MICT) pour avoir dénoncé le coup d'État, à l'exemple du site du Réseau du 19 septembre contre le coup d'État, qui a été fermé à deux reprises.2 En outre, les sites www.prachathai.com et www.pantip.com ont été temporairement fermés après avoir été avertis qu'ils le seraient s'ils n'enlevaient pas de leurs sites toute critique des autorités militaires.

D'autre part, le 18 juillet 2007, la Loi contre la cybercriminalité (Computer Crime Act) est entrée en vigueur, mettant à mal la liberté d'expression sur Internet. Car si cette loi vise principalement à sanctionner le piratage et la pornographie informatiques, elle autorise également la police à saisir le matériel informatique des personnes suspectées de représenter une menace à la sécurité nationale et de les poursuivre en justice, ce qui, en l'absence de définition claire, est à même de conduire à des abus, notamment à l'égard de toute position critique du gouvernement. Ainsi, les blogueurs "Praya Pichai" et "Thonchan" ont été arrêtés le 24 août 2007 avant d'être libérés sous caution le 6 septembre, et poursuivis pour "diffamation" et "atteinte à la sécurité du pays" (section 14 de cette loi). Les autorités thaïlandaises ont finalement décidé d'abandonner les poursuites à leur encontre faute de preuve.

Graves atteintes à la liberté de réunion pacifique

La loi martiale mise en place immédiatement après le coup d'État a été à l'origine de sérieuses restrictions aux rassemblements publics, ceux de plus de cinq personnes ayant été interdits, sous peine d'une peine de prison de six mois. Ainsi, le 13 mai 2007, 2 000 manifestants de la province du Surat Thani qui réclamaient que des lots de terre soient alloués aux paysans pauvres ont été dispersés à l'aide de gaz lacrymogènes, de matraques et de canons à eau.3 De façon similaire, le 22 juillet 2007, la police royale a violemment dispersé un rassemblement pacifique de plus de 5 000 manifestants, organisé par l'Alliance démocratique contre la dictature (Democratic Alliance Against Dictatorship – DAAD), une coalition regroupant plus de 15 organisations anti-coup, devant le domicile du Général Prem Tinsulanonda, suspecté d'être le principal instigateur du coup d'État de 2006, appelant à la démission des principaux acteurs du coup, à la réinstauration de la Constitution de 1997 et à la tenue immédiate d'élections. Le 26 juillet 2007, neuf membres de la DAAD qui avaient participé au rassemblement ont été arrêtés, dont M. Jaran Dita-Apichai, membre de la Commission nationale des droits de l'Homme, et accusés de "conspiration avec plus de dix personnes afin de créer du désordre dans la ville" et de "désobéissance aux ordres d'agents des forces de l'ordre". Le 26 septembre 2007, M. Jaran Dita-Apichai a été destitué de ses fonctions par l'Assemblée législative nationale (National Legislative Assembly – NLA) pour avoir "agi contre l'intérêt de l'unité de l'État de façon partisane". De même, dix défenseurs des droits de l'Homme sont actuellement poursuivis en justice suite à leur participation, le 12 décembre 2007, à une manifestation organisée devant le Parlement à Bangkok protestant contre les tentatives de la NLA de faire passer huit projets de lois mettant à mal les libertés civiles en Thaïlande, dont la Loi sur la sécurité intérieure.

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 Le 25 octobre 2004, différentes unités des forces de sécurité avaient été mobilisées pour disperser des manifestants musulmans qui se trouvaient devant un poste de police dans le district de Tak Bai (province du Narathiwat). Sept manifestants avaient été abattus sur les lieux tandis que 78 autres sont morts asphyxiés ou écrasés lors de leur transport vers des centres de détention. Si le Général Surayud Chulanont a présenté ses excuses publiques en novembre 2006, aucun membre des forces de l'ordre n'a cependant été traduit en justice dans cette affaire.

2 Cf. rapport conjoint de la Campagne pour la réforme populaire des médias (Campaign for Popular Media Reform – CPMR) et de Forum-Asia, Thailand: One Year After the Military Coup and its Effects on the Three Freedoms, 19 septembre 2007.

3 Idem.

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