Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Indonésie

Contexte politique

Depuis la chute du régime autoritaire de Suharto en 1998, l'Indonésie a fait des progrès significatifs en matière de droits de l'Homme, même si beaucoup reste à faire, notamment dans le domaine du renforcement de l'État de droit et de la lutte contre l'impunité. Ainsi, le cadre juridique et institutionnel de la promotion et de la protection des droits de l'Homme a été consolidé à la suite des changements constitutionnels de 2002, de l'adoption des Lois sur les droits de l'Homme en 1999 (Human Rights Act) et sur la protection des témoins en 2006 (Witness Protection Act) et de la ratification, en 2006, des Pactes relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels. De même, la mise en place de tribunaux des droits de l'Homme ad hoc, de la Commission nationale des droits de l'Homme (Komnas HAM) et de la Commission nationale sur la violence contre les femmes (Komnas Perempuan) ont constitué des développements importants en matière de protection et de promotion des droits de l'Homme, offrant ainsi un cadre aux défenseurs pour mener leurs activités.

Cependant, ces engagements n'ont pas été suivis d'une amélioration concrète de la situation des droits de l'Homme. On constate notamment une prégnance du pouvoir militaire depuis l'arrivée au pouvoir du Président Susilo Bambang Yudhoyono, en 2004.

L'un des problèmes majeurs auquel doit faire face l'Indonésie est celui de l'impunité des responsables des violations des droits de l'Homme, notamment celles commises sous le règne du Président Suharto, mort en janvier 2008 sans avoir été poursuivi en justice, mais aussi celles commises au Timor oriental en 1999, en Aceh et en Papouasie orientale. Il est alors regrettable que la Cour constitutionnelle ait décidé, en décembre 2006, d'abroger la Loi n° 27/2004 portant création d'une Commission indonésienne de vérité et réconciliation. En effet, des militants avaient contesté la validité de certaines dispositions qui permettaient d'amnistier les auteurs de violations graves des droits de l'Homme et limitaient les possibilités pour les victimes d'obtenir réparation. Cependant, la Cour a estimé que la loi devait être abrogée dans son ensemble car certains de ses articles étaient contraires à la Constitution et l'annulation de quelques-uns d'entre eux aurait rendu le reste du texte inapplicable. Du fait de l'abrogation de la loi, les personnes dont les droits fondamentaux ont été bafoués dans le passé ne disposent plus d'aucun mécanisme d'indemnisation.

Une possible criminalisation à venir des activités de défense des droits de l'Homme

Deux projets de loi sur les secrets d'État (State Secrecy Bill) et sur les services de renseignements étaient en cours d'examen fin 2007. En particulier, le projet sur les secrets d'État, qui définit une "information confidentielle" comme toute information qui risque de mettre en danger la souveraineté ou la sécurité de l'État, pourrait être utilisé afin de faire taire toute voix critique à l'égard de la politique du Gouvernement. Quant au projet de loi sur les services de renseignements (BIN), il confèrerait un rôle accru aux membres des BIN dans la mesure où il les autoriserait à arrêter toute personne "suspectée" d'être impliquée directement ou indirectement dans des activités considérées comme étant une menace à la nation, alors même que la notion de "menace à la nation" reste très vague. Ce projet est d'autant plus inquiétant que les défenseurs des droits de l'Homme sont régulièrement sous la pression des BIN et de groupes civils liés aux forces armées.

Par ailleurs, si, en décembre 2006, un arrêt de la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnels les articles 134, 136 et 137 du Code pénal, qui punissaient les "insultes envers la personne du Président ou du Vice-président" d'une peine pouvant aller jusqu'à six ans d'emprisonnement, et si, le 17 juillet 2007, la Cour a également déclaré les articles 154 et 155 du Code pénal inconstitutionnels (diffamation contre le Gouvernement), le Gouvernement a introduit certains articles restrictifs au sein du projet de loi sur le droit à l'information, qui était discuté par le Parlement fin décembre 2007. Entre autres, ce projet de loi impose des sanctions sévères, allant jusqu'à l'emprisonnement, pour ceux qui "abuseraient" de l'information, ce qui pourrait avoir un effet extrêmement dissuasif sur les défenseurs.

Impunité des crimes commis à l'encontre des défenseurs

Les crimes commis à l'encontre des défenseurs restent généralement impunis. Ainsi, M. Philip Alston, Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a exprimé, en mars 2007, son inquiétude suite à l'acquittement en 2006, par la Cour suprême d'Indonésie, du principal suspect dans la mort de M. Munir Said Thalib, co-fondateur de la Commission pour les personnes disparues et les victimes de la violence (KONTRAS), assassiné en 2004.1 De même, en juin 2007, Mme Hina Jilani, Représentante spéciale du Secrétaire général sur la situation des défenseurs des droits de l'Homme, a rappelé que ce cas représentait un test pour la volonté du Gouvernement de protéger les défenseurs dans le pays.2 Dès lors, il est regrettable que, bien que la Cour suprême ait décidé de condamner à nouveau, le 25 janvier 2008, le principal suspect à vingt ans de réclusion, la responsabilité d'anciens cadres supérieurs de la compagnie aérienne publique Garuda et de membres haut placés des BIN dans ce meurtre n'ait toujours pas été identifiée.3

La situation des défenseurs en Papouasie particulièrement critique

Si la situation des défenseurs s'est sensiblement améliorée dans la province d'Aceh depuis l'accord de paix de 2005 passé entre le Gouvernement et les rebelles du Mouvement de libération d'Aceh (GAM), en revanche, en Papouasie occidentale, où il existe un fort mouvement en faveur de l'indépendance, les défenseurs continuent de faire face à des risques particuliers en raison de la forte militarisation de la province. Ils font ainsi régulièrement l'objet de menaces de mort, de poursuites en justice pour diffamation en raison de leurs dénonciations, quand ils ne sont pas accusés de "trahison", de "rébellion", d'entretenir des liens avec le mouvement indépendantiste ou d'être des "séparatistes" et de "vendre les droits de l'Homme au profit de l'OPM" (Organisation pour l'indépendance de la Papouasie – groupe séparatiste) afin de nuire à leur crédibilité. Certains membres d'organisations locales de défense des droits de l'Homme ont même parfois été contraints de quitter la province après avoir fait l'objet d'actes d'intimidation en raison de leur travail.

A la suite de sa visite en Indonésie du 5 au 12 juin 2007,4 Mme Hina Jilani a ainsi regretté que les défenseurs des droits de l'Homme travaillant en Papouasie continuaient de faire l'objet "d'actes de harcèlement et d'intimidation de la part de la police, de l'armée et des forces de sécurité du pays". Mme Jilani s'est également dite inquiète que "les défenseurs oeuvrant en faveur de la préservation de l'environnement et le droit à la terre et les ressources naturelles reçoivent régulièrement des menaces de la part d'acteur privés aux intérêts économiques puissants, mais aucune protection de la part de la police". Elle s'est aussi dite perturbée par le fait que les défenseurs qui dénoncent les exactions de la part des autorités ou des forces de sécurités aient "été caractérisés de séparatistes afin de nuire à leur crédibilité".5

Par ailleurs, en 2007, une véritable campagne d'intimidation systématique des défenseurs en Papouasie s'est déployée, notamment à l'encontre de celles et ceux qui avaient rencontré Mme Jilani lors de sa visite afin de l'informer de leurs conditions de travail, mais aussi suite à la nomination du Colonel Burhanuddin Siagian à la tête de l'armée du district de Jayapura. Ce dernier aurait en effet déclaré le 12 mai 2007 qu'il n'hésiterait pas à "détruire" toute personne qui continuerait de "trahir la nation".6 C'est dans ce contexte que M. Yan Christian Warinussy, directeur général de l'Institut de recherche, d'analyse et de développement de l'aide judiciaire (LP3BH) à Manokwari,7 a été placé sous surveillance à son bureau et à son domicile, dès le lendemain de sa rencontre avec Mme Jilani à Jayapura, le 8 juin 2007.8 Le président de la Commission nationale des droits de l'Homme pour la Papouasie, M. Albert Rumbekwan, a quant à lui reçu de nombreux messages de menaces de mort par téléphone, le visant lui et sa famille, à la suite de sa rencontre avec Mme Jilani, le 10 juin. Plusieurs hommes l'ont également surveillé chez lui et à son bureau.9

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 Cf. communiqué de presse des Nations unies, 28 mars 2007. Traduction non officielle.

2 Cf. communiqué de presse des Nations unies, 12 juin 2007. Traduction non officielle.

3 Cf. KONTRAS.

4 Au cours de sa visite, Mme Jilani s'est rendu à Jakarta, Jayapura (Papouasie) et Banda Aceh.

5 Cf. communiqué de presse des Nations unies, 12 juin 2007. Traduction non officielle.

6 En 1999, le Colonel Burhanuddin Siagian avait menacé publiquement de tuer des partisans de l'indépendance du Timor Leste et donné l'ordre de tuer sept hommes en avril 1999. Bien qu'il ait été inculpé à deux reprises de crimes contre l'humanité au Timor Leste et qu'il ait été désigné comme suspect par la commission d'enquête nommée par l'Indonésie sur les violations des droits de l'Homme perpétrées au Timor à cette époque, le Colonel Siagian n'a jamais été jugé.

7 Le LP3BH apporte régulièrement un soutien juridique aux activistes locaux impliqués dans des conflits liés à la terre et les opposant à des entreprises étrangères.

8 Cf. "Imparsial".

9 Idem.

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