Conférence de plénipotentiaires sur le statut des réfugiés et des apatrides: Compte rendu analytique de la vingt-huitième séance, tenue au Palais des Nations, à Genève, le jeudi 19 juillet 1951, à 11 heures

Présents:

 

Président : M. LARSEN

 

Membres:

 

Australie

M. SHAW

Autriche

M. FRITZER

Belgique

M. HERMENT

Brésil

M. de OLIVEIRA

Canada

M. CHANCE

Colombie

M. GIRALDO-JARAMILLO

Danemark

M. HOEG

Egypte

M. MAHER

Etats-Unis d'Amérique

M. WARREN

France

M. ROCHEFORT

Grèce

M. PAPAYANNIS

Irak

M. AL PACHACHI

Israël

M. ROBINSON

Italie

M. del DRAGO

Luxembourg

M. STURM

Monaco

M. BICHERT

Norvège

M. ARFF

Pays-Bas

M. van BOETZELAER

République fédérale allemande

M. von TRUTZSCHLER

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord

M. HOARE

Saint-Siège

Monseigneur BERNARDINI, Archevêque d'Antioche

Suède

M. PETREN

Suisse (et Liechtenstein)

M. SCHURCH

Turquie

M. MIRAS

Yougoslavie

M. BOZOVIC

Venezuela

M. MONTOYA

Haut-Commissaire pour les réfugiés:

M. van HEUVEN GOEDHART

Représentants d'institutions spécialisées et d'autres organisations intergouvernementales:

 

Organisation internationale pour les réfugiés

M. SCHNITZER

Conseil de l'Europe

M. TALIANI de MARCHIO

Représentants d'organisations non gouvernementales:

 

Catégorie A

 

Confédération internationale des syndicats libres

Mlle SENDER

Catégorie B et Registre

 

Caritas internationalis

M. BRAUN

 

M. METTERNICH

Comité consultatif mondial de la société des Amis

M. BELL

Comité de coordination d'organisations juives

M. WARBURG

Commission des Eglises pour les affaires internationales

M. REES

Conférence permanente des agences bénévoles

M. REES

Congrès juif mondial

M. RIEGNER

Conseil consultatif d'organisations juives

M. MEYROWITZ

 

M. BRUNSCHWIG

Pax Romana

M. BUENSOD

Union catholique internationale de service social

MLLE de ROMER

Union internationale des ligues féminines catholiques

Mlle de ROMER

Secrétariat:

 

M. Humphrey

Secrétaire exécutif

Mlle Kitchen

Secrétaire exécutive adjointe

1.       EXAMEN DU RAPPORT CONCERNANT LA VERIFICATION DES POUVOIRS (A/CONF.2/87)

Le PRESIDENT fait connaître qu'il a reçu les pouvoirs autorisant sans réserve les représentants de la Colombie et d'Israël à participer à la Conférence et à signer les instruments qui pourraient être rédigés. Il convient en conséquence de modifier le paragraphe 4 de la section B du rapport, en remplaçant le chiffre "onze" par le chiffre "treize"; les noms de "COLOMBIE" et d'ISRAEL" doivent, d'autre part, être insérés dans la liste des pays. Au paragraphe 5, le nom d'ISRAEL" doit être supprimé, ainsi que le second alinéa.

M. van BOETZELAER (Pays-Bas) annonce avoir reçu le 17 juillet un télégramme du Gouvernement des Pays-Bas l'informant que ses pouvoirs ont été signés et expédiés; mais il ne les a pas encore reçus.

M. PAPAYANNIS (Grèce) suppose que le retard de l'arrivée de ses pouvoirs est probablement du à des difficultés matérielles, étant donné que les services publics grecs, et notamment la poste, ont été récemment en grève.

Le PRESIDENT signale que, on vertu de l'article 3 du Règlement intérieur, la Conférence doit se prononcer sur le rapport concernant la vérification des pouvoirs.

A l'unanimité, le rapport concernant la vérification des pouvoirs (A/CONF.2/87), sous sa forme amendée, est adopté.

2.       EXAMEN DU PROJET DE CONVENTION RELATIVE AU STATUT DES REFUGIES (point 5 a) de l'ordre du jour) (A/CONF.2/1, A/CONF.2/5 et Corr.1) (reprise des délibérations de la vingt-septième séance)

i)       Article 5 - Dispense des mesures exceptionnelles (A/CONF.2/37, A/CONF.2/L.1) (suite)

Le PRESIDENT, en invitant la Conférence à poursuivre l'examen de l'article 5, relatif à la dispense des mesures exceptionnelles, exprime l'espoir de pouvoir terminer en deux séances la première lecture du projet de Convention.

M. PETREN (Suède) relève que le paragraphe 1 de l'article 5 contenu dans le projet de convention initial (A/CONF.2/1, page 8), concerne les mesures exceptionnelles qui pourraient être prises contre la personne, les biens ou les intérêts des ressortissants d'un Etat déterminé, alors que l'article 5 a) (A/CONF.2/L.1, page 1), déjà adopté par la Conférence, ne parle que des mesures contre une personne déterminée. Cette différence de terminologie est-elle intentionnelle?

Il semble quelque peu illogique de restreindre la portée de l'article 5 a) aux mesures qu'il pourrait être nécessaire de prendre dans l'intérêt de la sécurité nationale. On peut concevoir d'autres circonstances exigeant des gouvernements une action analogue.

Le représentant de la Suède estime que le paragraphe 1 de l'article 5 soulève deux problèmes. Le premier, évoqué par le représentant du Royaume-Uni au cours de la séance précédente, concerne l'effet rétroactif de cet article. Le gouvernement suédois partage l'opinion de son collègue du Royaume-Uni et considère qu'il ne serait pas opportun de modifier la Convention elle-même, en cette phase avancée des travaux, mais que l'on pourrait résoudre la question au moyen de réserves appropriées. Le deuxième problème qui préoccupe M. Petren se rapport au paragraphe 1 de l'article 5, qui, dans sa forme actuelle, empêche les gouvernements de prendre contre les réfugiés des mesures, même provisoires, en raison de leur seule nationalité. Une telle clause pourrait être incompatible avec la législation nationale actuelle de certains Etats et le représentant de la Suède estime qu'elle ne devrait pas restreindre leur liberté d'action dans une aussi grande mesure. C'est pour cette raison que la délégation suédoise a présenté son amendement (A/CONF.2/37).

Si cet amendement ne pouvait être accepté tel qu'il est actuellement rédigé, M. Petren serait tout à fait disposé, si le fond en est adopté, à en confier la rédaction au Comité du style.

M. ARFF (Norvège) explique qu'aux termes de la loi norvégienne, tous les biens ex-ennemis devaient être séquestrés; cependant, cette disposition n'a pas été appliquée strictement. Par exemple, ces biens ont été rendus, après la deuxième guerre mondiale, aux ressortissants allemands qui n'avaient pas activement travaillé contre les intérêts norvégiens. Bien qu'il n'existe aucune contradiction entre la disposition du paragraphe 1 de l'article 5 et la pratique norvégienne, il serait souhaitable de le mettre on harmonie avec la lettre de la loi. On pourrait y arriver en adoptant l'amendement suédois, que la délégation de la Norvège appuiera pour sa part. Le Gouvernement norvégien n'aurait plus alors, qu'à formuler une réserve concernant l'effet rétroactif du paragraphe 1.

M. HOEG (Danemark) déclare que la délégation danoise accepte l'amendement suédois.

M. van BOTZELAER (Pays-Bas) répète que le Gouvernement des Pays-Bas formulera une réserve à l'article 9 (propriété intellectuelle et industrielle), afin que les dispositions de cet article ne portent pas atteinte à la législation concernant les biens ennemis. La délégation des Pays-Bas formulera une réserve analogue à l'article 5 pour des raisons semblables à celles que le représentant du Royaume-Uni a exposées dans la déclaration qu'il a faite, au cours de la séance précédente, en présentant un amendement à cet article.

M. HOARE (Royaume-Uni) rappelle aux représentants qu'il a été décidé de faire du paragraphe 2 de l'article 5, un article distinct, car, autrement, il pourrait y avoir désaccord entre l'article 5 et d'autres articles, tels que les articles 3 et 21. La clause restrictive contenue dans l'ancien paragraphe 2, ne portait que sur l'article 5, et non pas sur ces autres articles; il n'apparaît d'ailleurs pas clairement si les mesures à prendre dans les circonstances exceptionnelles qui prévaudraient sur les dispositions de ces autres articles seraient prévues aux termes du paragraphe 1 de l'article 5 (mesures prises contre "la personne, les biens ou les intérêts" d'un réfugié). On a donc décidé de prévoir une disposition d'ordre général autorisant dans des circonstances exceptionnelles, strictement définies, des dérogations aux dispositions de la convention, dans l'intérêt de la sécurité nationale. L'article 5 n'est donc plus le seul article auquel s'appliquent les dispositions de l'article 5 a). Par conséquent, M. Hoare ne saurait partager l'opinion du représentant de la Suède qui juge trop limitées les dispositions de l'article 5 a). Il estime que cet article a une portée extrêmement étendue puisqu'il autorise des dérogations à toutes les dispositions de la convention pour des raisons de sécurité nationale. Il hésiterait beaucoup à étendre la portée de cet article pour l'appliquer à des cas autres que ceux qui intéressent la sécurité nationale. Une mesure que, selon lui, un Etat pourrait prendre en vertu des dispositions de l'article 5 a), consisterait, par exemple, à procéder à l'internement immédiat et général des réfugiés en temps de guerre, puis à des opérations de filtrage après lesquelles nombre d'entre eux pourraient être relâchés; c'est ce qui s'est passé dans le Royaume-Uni début de la deuxième guerre mondiale.

L'amendement de la Suède affaiblirait dangereusement la portée du paragraphe 1 de l'article 5. LE représentant du Royaume-Uni reconnaît que, à certains égards les dispositions de ce paragraphe ne pourront toujours être intégralement appliquées, notamment dans le cas des biens ennemis, mais du moins pour le Gouvernement du Royaume-Uni, des réserves au paragraphe en question permettraient de surmonter cette difficulté. Il hésiterait à étendre la portée du paragraphe 1, de manière à lui faire englober une catégorie spéciale de cas, qui pourraient fort bien être réglés par des réserves.

M. PETREN (Suède) relève que les observations du représentant du Royaume-Uni montrent clairement qu'il n'y a pas de rapports très étroits entre le paragraphe 1 de l'article 5 et l'article 5 a). Il ne présentera donc pas d'amendement à ce dernier article. Néanmoins, à propos du paragraphe 1 de l'article 5, il doit faire observer qu'il pourra être nécessaire de prendre à l'égard des biens des réfugiés, certaines mesures, absolument étrangères à toute considération de sécurité nationale. Dans sa rédaction actuelle, le paragraphe 1 ne permet pas aux Etats de prendre des mesures contre la personne ou les biens des réfugiés, ne serait-ce qu'à titre provisoire. Il est impossible de prévoir toutes les éventualités qui pourraient se présenter à l'avenir et rendre nécessaire l'adoption de telles mesures, et le représentant de la Suède croit que toute latitude devrait être laissée aux Etats à cet égard. Il doit donc insister pour que son amendement soit adopté.

M. ROCHEFORT (France) dit que l'on se trouve ici devant un texte pour lequel le fait de formuler une réserve quelconque en entraînerait une cascade. Les gouvernements n'accepteront pas en effet de signer la Convention sans formuler des réserves à l'article 5 ainsi modifié, car les amis d'aujourd'hui peuvent être les ennemis de demain. Il faut adopter pour l'article 5 un texte qui n'appelle absolument aucune réserve de la part des Etats.

M. PETREN (Suède) a recours à un exemple imaginaire pour étayer son argumentation. Deux ressortissants allemands possèdent des biens en Suède. Il n'y a aucune difficulté dans le cas du premier, qui a fixé sa résidence en Suède, en qualité de réfugié, avant l'ouverture des hostilités. En revanche, le second n'est entré en Suède qu'après la fin de la guerre et revendique le statut de réfugié.

Ses biens lui seront-ils restitués s'il peut prouver, d'une manière satisfaisante qu'il n'a jamais été membre du parti nazi et qu'il a môme, en fait, lutté contre le nazisme? Il est évident qu'il appartient au Gouvernement suédois de trancher la question. On pourrait, soit exonérer, par des mesures législatives certaines catégories d'étrangers de l'application de la loi sur les biens ennemis, soit prendre des dispositions pour leur permettre de demander la restitution de leurs biens, s'ils peuvent justifier leur droit à cette restitution. Il convient de permettre l'une et l'autre de ces solutions si l'on ne veut pas se heurter à des difficultés d'ordre administratif.

M. HERMENT (Belgique) apprécie les raisons qui ont amené le représentant de la Suède à présenter son amendement. In est à craindre, toutefois, qu'en adoptant cet amendement l'on n'aboutisse à l'arbitraire, car les pays de résidence pourraient ou bien ne pas appliquer aux réfugiés les mesures exceptionnelles qu'ils peuvent être appelés à prendre contre la personne, les biens ou les intérêt d'autres ressortissants de leur pays d'origine, ou bien accorder certaines dispenses dans le cas de ces réfugiés. Les réfugiés n'auraient donc pas un droit absolu d'être dispensés de l'application de ces mesures et ce serait aux gouvernements de décider dans quels cas il convient d'accorder une dispense.

Quant aux moyens de mettre en oeuvre les dispositions de la Convention, il convient d'observer que ces dispositions seront approuvées on temps voulu par les parlements nationaux et qu'elles auront, par conséquent, force de loi. Il n'y a donc pas lieu de prévoir l'introduction, dans les législations nationales, de dispositions particulières.

M. PETREN (Suède) déclare qu'étant donné les dispositions constitutionnelles en vigueur en Suède, le Parlement suédois ne pourrait ratifier la Convention sans le dépôt préalable d'un projet de loi visant à apporter à la législation nationale les modifications nécessaires pour la mettre en harmonie avec les dispositions de la Convention. Cela pourrait donc provoquer certaines difficultés, à moins que le paragraphe 1 de l'article 5 ne soit amendé dans le sens de sa proposition.

M. HOARE (Royaume-Uni) reconnaît que l'exemple imaginé par le représentant de la Suède est tout à fait pertinent, mais remarque que des cas de ce genre pourraient faire l'objet de réserves. Il s'agit de mesures rendues nécessaires par une guerre mais non pas réellement prises en temps de guerre ou dans des circonstances exceptionnelles; par conséquent, en aucune façon inspirées par des considérations de sécurité nationale. Il ne peut, en conséquence, comprendre quelles seraient les difficultés administratives qui semblent gêner le représentant de la Suède. Chaque Etat devra, certes, déterminer par les méthodes administratives normales si une personne est un réfugié et si les dispositions du paragraphe 1 de l'article 5 lui sont applicables.

Pour l'instant, il ne peut apercevoir aucune situation - à part le cas des biens ennemis - qui pourrait se présenter à propos du paragraphe 1, on temps de paix et à laquelle toute considération de sécurité nationale serait étrangère. Il est difficile d'envisager une situation dans laquelle on pourrait avoir à prendre en temps de paix des mesures contre la personne ou les biens de toute une catégorie d'étrangers on raison simplement de leur nationalité.

M. PETREN (Suède) affirme à nouveau qu'il est impossible de légiférer en prévision d'éventualités futures, et qu'il importe donc que le paragraphe 1 de l'article 5 soit conçu de manière à assurer le maximum de souplesse afin de ne pas restreindre indûment la liberté d'action des Etats.

M. ROCHEFORT (France) dit qu'il faut prévoir que dans certains cas, il y aura impossibilité pour un gouvernement à pratiquer une politique libérale à l'égard des réfugiés ressortissants d'un Etat qui n'admettrait pas le principe de la réciprocité. C'est pourquoi des réserves faites par un Etat sur la disposition en question entraîneront fatalement de multiples réserves de la part d'autres Etats.

M. HERMENT (Belgique) fait remarquer que l'amendement suédois vise des événements futurs éventuels. Or, il s'agit ici d'événements survenus avant le 1er janvier 1951. Les préoccupations de la Suède semblent donc excessives.

M. ROCHEFORT (France) est d'accord sur ce point avec le représentant de la Belgique. Il ne faut pas oublier toutefois que la question de l'interprétation du mot "événements" se pose également. L'expression "événements survenus avant le 1er janvier 1951" ne vise-t-elle pas toutes les conséquences de ces événements, conséquences que l'on ne peut prévoir?

M. HERMENT (Belgique) fait observer qu'il y a une divergence entre le texte anglais et le texte français de l'amendement suédois. Le texte français implique en effet la possibilité d'un choix, ce que ne fait pas le texte anglais.

M. PETREN (Suède) précise que c'est le texte français de l'amendement de la Suède qui fait foi et que l'on devra apporter à la version anglaise les modifications nécessaires pour la mettre en harmonie avec lui,

Le PRESIDENT met aux voix le texte français de l'amendement de la Suède (A/CONF.2/37), étant entendu que le texte anglais sera révisé par le Comité du style.

Par 9 voix contre 3, avec 13 abstentions, l'amendement suédois au paragraphe 1 de l'article 5 est adopté.

Par 23 voix contre zéro, avec 2 abstentions, le paragraphe 1 de l'article 5, sous sa forme amendée, est adopté.

ii) Article premier - Définition du terme "réfugié": Section B (A/CONF.2/9, A/CONF.2/81, A/CONF.2/82) (Reprise des délibérations de la vingt-troisième séance)

Le PRESIDENT appelle l'attention de la Conférence sur les amendements présentés par les délégations de la Suède et d'Israël à l'article premier, relatif à la définition du terme « réfugié » et qui font l'objet des documents A/CONF.2/9, A/CONF.2/81, A/CONF.2/82.

M. PETREN (Suède) annonce que, malgré les instructions très précises qu'il a reçues de sen Gouvernement, il pourrait être en mesure d'accepter l'amendement israélien sans préjuger la décision finale de sen Gouvernement. Il propose d'insérer le mot "déterminantes" entre le mot "raisons" et les mots "tenant à des" dans les amendements proposés par la délégation israélienne aux paragraphes 5) et 6) de la section B (A/CONF.2/81, A/CONF.2/82).

M. ROBINSON (Israël) accepte la proposition du délégué de la Suède.

M. ROCHEFORT (France) dit que la délégation française a déjà indiqué le sens qu'elle donnait à l'expression "raisons autres que de convenance personnelle" qui figure au paragraphe 2 de la section A, de l'article premier. Cette mention, introduite sur l'initiative de la délégation d'Israël, a pour but d'éviter que les réfugiés israélites d'origine allemande ou autrichienne et résidant dans d'autres pays puissent être privés de la qualité de réfugiés, du fait que leur pays d'origine est redevenu un pays démocratique. Si cette interprétation n'est pas exacte, le représentant de la France serait reconnaissant au représentant d'Israël de la rectifier.

En tout état de cause, la délégation française a déjà précisé, tant à la troisième Commission de l'Assemblée générale qu'au Conseil économique et social, que telle était l'interprétation restrictive que la France donnait à la mention en question. Le France persistera dans sa manière de voir, mais elle veut éviter que l'interprétation du texte en question puisse donner lieu à une extension, en faveur d'autres groupes de réfugiés, du bénéfice d'une clause très libérale qu'elle considère comme ne s'appliquant qu'à une catégorie de réfugiés victimes de circonstances exceptionnelles.

Les amendements présentés par Israël parlent de "raisons de famille déterminantes". Qu'entend exactement par là le représentant d'Israël? Les attaches familiales que peut avoir un réfugié dans le pays où il réside peuvent-elle être considérées comme des raisons déterminantes? L'absence de famille est-elle dans ce domaine une raison de famille déterminante?

M. ROBINSON (Israël) reconnaît que l'historique du membre de phrase en question que vient de faire le représentant de la France est exact. Toutefois, les craintes de ce dernier ne sont pas fondées. Les amendements israéliens ont précisément pour objet d'éliminer les cas tels que celui des réfugiés polonais en France, auquel le représentant de ce pays a fait allusion. C'est pour cette raison que les amendements d'Israël font mention du paragraphe 1 de la section A de l'article premier. Le cas des réfugiés polonais en France relève du paragraphe 2 Les mots "raisons de famille déterminantes" ont pour objet de prévoir, par exemple, le cas d'une réfugiée âgée résidant en France, qui n'a plus aucun membre de sa famille vivant dans le pays où elle a précédemment subi des persécutions, et où elle n'a donc aucun désir de retourner. En fait, le texte de cet amendement a été rédigé pour résoudre les difficultés dans lesquelles se trouvaient les délégations suédoise et israélienne.

M. ROCHEFORT (France) fait observer que, dans ces conditions, la mention "pour des raisons autres que de convenance personnelle" qui figure au paragraphe 2 de la section A de l'article premier, devrait être supprimée. Le représentant de la France n'est pas convaincu de la valeur des raisons de famille déterminantes.

Il convient d'observer, d'autre part, que si l'on retire à un immigré la qualité de réfugié, cela ne l'oblige nullement à retourner dans son pays d'origine.

M. ROBINSON (Israël) admet que le retrait du statut de réfugié ne comporte pas nécessairement des conséquences graves pour l'intéressé, celui-ci étant toujours protégé par les lois nationales de son pays de refuge. Le représentant d'Israël signale toutefois que l'amendement présenté par sa délégation est destiné à permettre au réfugié de conserver son statut international. Le nombre de cas de ce genre est très restreint, et il serait injuste de priver une catégorie aussi réduite de réfugiés de son statut international.

M. ROCHEFORT (France) fait observer au représentant d'Israël qu'un problème d'assistance aux réfugiés se pose également. Si l'on prend le cas, par exemple, des vieillards du noyau résiduel, il est difficile d'admettre que le gouvernement d'un pays redevenu démocratique ne prenne pas la charge de cette catégorie de réfugiés redevenus ses ressortissants. Il y a là une question de décence nationale.

Il n'y a aucune raison pour que la France, par exemple, continue d'assumer la charge de certains réfugiés, alors que cette charge incombe naturellement au gouvernement du pays dont ils sont ressortissants. C'est une question de respect des lois sur la nationalité qui se pose d'ailleurs.

M. ROBINSON (Israël) fait observer que le représentant de la France persiste à croire que les amendements israéliens visent également le paragraphe (2) de la section A. Les amendements ne visent pas ces cas, mais plutôt des cas tels que celui de la réfugiée âgée qu'il a cité à titre d'exemple.

Les deux républiques allemandes ont adopté des lois destinées à rendre aux anciens ressortissants la nationalité dont ils ont été privés par certaines lois, notamment par celle votée en 1942. Le point de vue général du législateur français est que ces lois de nationalité ne sauraient être imposées, par exemple, aux éléments subsistants de la population juive allemande réfugiée. Le représentant de la France a, en fait, exprimé, lui aussi, la même idée dans une occasion différente, lorsqu'il a reconnu que le choix d'une nationalité était pour l'individu un droit absolu.

Le représentant de la France a demandé pourquoi la France devrait continuer à supporter la charge des réfugiés qui décident de rester apatrides. En réalité, ces réfugiés sont fort peu nombreux et, de l'avis de M. Robinson il n'est guère compréhensible qu'un pays qui abrite 350.000 réfugiés soulève des difficultés au sujet d'une poignée d'exceptions.

M. ROCHEFORT (France) remarque que l'argumentation du représentant d'Israël concerne les réfugiés en provenance d'Autriche et d'Allemagne. La plupart des réfugiés du noyau résiduel rentrent dans le cadre du paragraphe 1 de la section A. La France abrite actuellement dix à douze mille réfugiés ne possédant aucun moyen d'existence, provenant de vagues d'émigration successives. La France est toute disposée à continuer d'assister ces réfugiés tant que cette assistance est nécessaire. Toutefois, si les pays d'origine redeviennent démocratiques, cette obligation d'assistance ne doit plus nécessairement incomber au Gouvernement français.

Les amendements d'Israël, tels qu'ils sont rédigés, n'excluent du bénéfice de la Convention que les réfugiés rentrant dans le cadre du paragraphe 2 de la section A. Or, les préoccupations de la France concernent surtout les réfugiés définis au paragraphe 1.

M. ROBINSON (Israël) se demande pourquoi le représentant de la France n'a pas formulé, la veille, de réserve à l'article 18 (Assistance publique). L'orateur a soutenu la proposition du représentant de la France visant à permettre des réserves à l'article 30; il a (après de longues hésitations) voté en faveur de cette proposition, parce qu'il estimait qu'il ne fallait rien négliger pour encourager la France à adhérer à la Convention. Puisque l'article 30 (Coopération des autorités nationales avec les Nations Unies), infiniment plus important que l'article 19 (Législation du travail et sécurité sociale), et l'article 18, peuvent faire l'objet de réserves, la meilleure solution pour le représentant de la France consisterait peut-être à recommander à son Gouvernement d'adopter la section B de l'article premier amendée par la proposition israélienne, étant entendu que le Gouvernement français pourrait formuler une réserve au sujet de l'application de l'article 19, si le nombre de réfugiés visés par l'amendement israélien était trop considérable.

Une autre solution consisterait à inviter le Comité du style, dont la France fait partie, à limiter l'application de cet amendement et de l'ensemble des paragraphes (5) et (6) de la section B aux réfugiés visés par les accords et la Convention de 1926, 1928, 1933, 1938 et 1939. Le délégué d'Israël est prêt à faire cette importante concession, afin de surmonter les difficultés éprouvées par le représentant de la France; il espère que ce dernier adoptera la première solution.

M. ROCHEFORT (France) estime que la première des suggestions du représentant d'Israël serait défavorable aux réfugiés. Retirer aux réfugiés le droit à l'assistance sans qu'ils soient assurés de recevoir celle de leur pays d'origine, serait un acte inhumain.

En ce qui concerne la deuxième suggestion du représentant d'Israël, il convient d'observer que les réfugiés définis par la Constitution de l'Organisation internationale pour les réfugiés (OIR) bénéficient souvent d'autres arrangements internationaux.

M. ROBINSON (Israël) fait observer que le représentant de la France a commencé par dire que la France ne voulait pas continuer d'accorder son assistance à cette catégorie de réfugiés, mais la vieille tradition française a repris ses droits et l'a poussé à déclarer que ces réfugiés seraient tout de même assistés. Dans ces conditions, M. Robinson se demande pourquoi la délégation française croit dangereux ou difficile d'accepter les amendements d'Israël.

La Constitution de l'OIR rejoint bien des articles de la Convention et la définition qu'elle donne du terme "réfugié" est meilleure que celles qui figurent dans les instruments énumérés au paragraphe 1 de la section A de l'article premier.

C'est peut-être là qu'est la solution aux difficultés qu'éprouve la délégation française au sujet des amendements d'Israël. Ces difficultés sont malaisées à comprendre, car le représentant de la France a pris une part très active aux travaux du Comité de rédaction de la Troisième Commission à l'Assemblée générale et a participé à la rédaction du texte actuel. Les amendements d'Israël sont fondés sur l'hypothèse que la mention des raisons de "convenance personnelle" sera supprimée dans la section A. Bien qu'il lui en ait coûté, la délégation d'Israël a supprimé cette mention de la section A et ne l'a employée que pour quelques catégories peu nombreuses dans la section B.

M. ROCHEFORT (France) ne pense pas qu'il y ait contradiction entre les deux positions dont a parlé le représentant d'Israël. La France a seulement dit qu'elle ne voulait pas être obligée de continuer son assistance aux réfugiés qui peuvent, sans inconvénient pour eux, se réclamer de la protection de leur pays d'origine. Dans le cas, par exemple, des réfugiés espagnols, ces réfugiés doivent, aux termes de la Constitution de l'OIR, retourner en Espagne lorsqu'un régime démocratique aura été rétabli dans ce pays. Faut-il donc laisser à ces réfugiés le choix de l'assistance qui leur est nécessaire ? Si le représentant d'Israël estime que le texte actuel ne protège pas les réfugiés auxquels il s'intéresse, il lui est loisible de proposer un autre texte, mais qui ne s'applique pas à toutes les catégories de réfugiés.

M. ROBINSON (Israël) demande au représentant de la France s'il accepterait que la Conférence adopte les deux amendements d'Israël quant au fond, étant entendu que le Comité du style rédigerait son texte final de manière à rassurer pleinement M. Rochefort sur l'extension possible de leur champ d'application.

Le PRESIDENT propose de voter sur les amendements d'Israël dans leur forme actuelle. Si le Comité du style pouvait trouver une meilleure solution, il devrait être autorisé à le faire, même si cela déborde un peu le cadre de sa compétence.

D'ailleurs, rien n'empêcherait les délégations de présenter de nouveaux amendements à la seconde lecture du projet de convention.

M. PETREN (Suède) déclare que la principale objection du représentant de la France contre le texte initial semblait être l'application trop large qu'on pouvait en faire et les interprétations multiples qu'on pourrait en donner. M. Petren tient à faire remarquer que les amendements d'Israël ne contiennent rien qui ne se trouve déjà dans le texte initial de la Convention.

M. HOARE (Royaume-Uni) ajoute qu'il interprète la proposition israélienne comme le représentant de la Suède, bien qu'il considère celui-ci comme plus restrictif que le texte initial puisqu'il remplace les "raisons autres que de convenance personnelle" par deux catégories précises de raisons. Il n'y a pas d'objection majeure à adopter le libellé plus précis de l'amendement d'Israël, d'autant plus que, comme le représentant de la Suède , l'a indiqué, il est souhaitable d'établir des critères que les législateurs nationaux puissent interpréter sans difficulté. La seconde restriction que comporte la proposition israélienne est constituée par l'allusion au paragraphe (1) de la Section A qui limite les réfugiés en question à un nombre plus restreint de catégories que le texte original M. Hoare regrette cette limitation bien qu'il comprenne les motifs qui ont inspiré l'amendement d'Israël et l'attitude du représentant de la Suède. Il s'abstiendra donc au moment du vote parce qu'il ne veut pas mettre les Etats pour lesquels cette question soulève des difficultés dans une situation qui les obligerait à accepter un texte qui n'apporterait pas de solution à ces difficultés et auquel ils ne pourraient pas faire de réserves.

M. ROCHEFORT (France) n'est pas certain que le texte des amendements d'Israël soit plus limitatif que le texte actuel du projet de convention. Il ne s'applique pas en effet aux nouveaux réfugiés, mais à toute la masse des anciens réfugiés, à l'égard desquels se pose d'une façon particulièrement aiguë le problème d'assistance.

Quant aux raisons de famille déterminantes, on peut en trouver de toutes sortes. Le fait de n'avoir plus de famille ne peut-il aussi être une raison déterminante? Cette expression ouvre la voie à toutes les interprétations possibles.

M. PETREN (Suède) propose que, comme on l'a fait pour d'autres articles, on permette de formuler des réserves relatives aux raisons autres que de convenance personnelle.

M. ROCHEFORT (France) ne pense pas que le fait de remonter du paragraphe 2 de la section A au paragraphe 1 de cette section, modifie sensiblement la situation. En effet, la plupart des réfugiés rentrant dans le cadre du paragraphe 1 peuvent revendiquer le bénéfice des dispositions du paragraphe 2. Si l'on a maintenu le paragraphe 1, c'est uniquement pour éviter aux anciens réfugiés de voir examiner à nouveau leur situation et remettre en cause leur qualité de réfugiés. Les préoccupations du représentant d'Israël à l'égard de cette catégorie de réfugiés ne sont donc pas justifiées.

M. HERMENT (Belgique) propose de clore la discussion et de passer au vote.

Il en est ainsi décidé.

Par 7 voix contre 3, avec 14 abstentions, l'amendement d'Israël (A/CONF.2/81) au paragraphe 5 de la Section B de l'article premier est adopté.

Le PRESIDENT déclare qu'il a l'intention d'ajourner le débat jusqu'à 15 heures.

M. ROBINSON (Israël) pense que les paragraphes (5) et (6) de la section B, qui sont virtuellement identiques, encore que le premier vise des réfugiés ayant une nationalité et le second des réfugiés sans nationalité, pourraient être votés sans débat.

M. ROCHEFORT (France) estime que la question est trop importante pour ne pas être discutée à fond. Il ne convient pas de précipiter le vote sur les diverses parties de l'article premier.

Le PRESIDENT répond qu'il ne demande pas à la Conférence de prendre immédiatement une décision. Il ne s'oppose pas à ce qu'un débat approfondi ait lieu sur l'article premier mais, en sa qualité de Président, il a le devoir de veiller à ce que la Conférence respecte l'horaire. La Conférence doit, ou bien suspendre la séance, ou bien, si la chose peut se faire sans que s'engage un long débat, passe au vote, comme le représentant d'Israël l'a proposé.

Il est décidé d'ajourner le débat.

La séance est levée à 13 h.10.

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