Requête No. 24573/94 H.L.R. contre la France

Rapport de la Commission (adopté le 7 décembre 1995), Strasbourg

I.INTRODUCTION

1. On trouvera ci-après un résumé des faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties a la Commission européenne des Droits de l'Homme, ainsi qu'une description de la procédure.

A.La requête

2. Le requérant, de nationalité colombienne, est né en 1968 et est assigné à résidence Bergerac. Dans la procédure devant la Commission il est représenté par Monsieur Guy Parent, visiteur de prison et Greffier en Chef du tribunal de commerce de Corbeil.

3. La requête est dirigée contre la France. Le Gouvernement défendeur est représenté par M. Marc-Yves Charpentier, Sous-Directeur à la Direction des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'Agent.

4. La requête concerne le grief du requérant selon lequel son expulsion vers la Colombie l'exposerait à un risque réel de traitements prohibés par l'article 3 de la Convention, qu'il invoque.

B.La Procédure

5. La présente requête a été introduite le 4 juillet 1994 et enregistrée le 8 juillet 1994.

6. Le 8 juillet 1994, la Commission a décidé de faire application de l'article 36 de son Règlement intérieur. Cette indication a été renouvelée les 8 septembre, 8 décembre 1994, 19 janvier, 2 mars, 12 avril, 25 mai, 6 juillet et 26 octobre 1995.

7. Le même jour, la Commission a aussi décidé de donner connaissance de la requête au Gouvernement défendeur en application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur. et d'inviter les parties à présenter des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé.

8. Le Gouvernement a présenté ses observations le 3 janvier 1995, après deux prorogations du délai imparti. Le requérant y a répondu le 10 février 1995.

9. Le 2 mars 1995, la Commission a déclaré la requête recevable.

10. Le 8 mars 1995, la Commission a adressé aux parties le texte de sa décision sur la recevabilité de la requête et les a invitées à lui soumettre les éléments ou observations complémentaires sur le bien-fondé de la requête qu'elles souhaiteraient présenter. Les parties n'ont pas présenté d'observations complémentaires.

11. Après avoir déclaré la requête recevable, la Commission, conformément à l'article 28 par. I b) de la Convention, s'est mise à la disposition des parties en vue de parvenir à un Règlement amiable de l'affaire. Vu l'attitude adoptée par les parties, la Commission constate qu'il n'existe aucune base permettant d'obtenir un tel règlement.

C.Le présent rapport

12. Le présent rapport a été établi par la Commission, conformément à l'article 31 de la Convention, après délibérations et votes en présence des membres suivants;

MM. S. TRECHSEL, président
  H. DANELIUS
  C.L. ROZAKIS
  E. BUSUTTIL
  C.A. NORGAARD
  G. JORUNDSSON
  A.S. GOZUBUYUK
  A. WEITZEL
  J.-C. SOYER
  H.G. SCHERMERS
Mme G.H. THUNE
M. F. MARTINEZ
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
  J.-C. GEUS
  M.P. PELLONPAA
  B. MARXER
  M.A. NOWICKI
  I. CABRAL BARRETO
  B. CONFORTI
  N. BRATZA
  I. BEKES
  J. MUCHA
  E. KONSTANTINOV
  D. SVABY
  G. RESS
  A. PERENIO
  C. BIRSAN
  K. HERNDL
 

13. Le texte du présent rapport a été adopté par la Commission le 7 décembre 1995 et sera transmis au Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, en application de l'article 31 par. 2 de la Convention.

14. Ce rapport a pour objet, conformément à l'article 31 de la Convention;

(i)d'établir les faits, et

(ii)de formuler un avis sur le point de savoir si les faits constatés révèlent de la part du Gouvernement défendeur une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention.

15. La décision de la Commission sur la recevabilité de la requête est jointe au présent rapport.

16. Le texte intégral de l'argumentation des parties ainsi que les pièces soumises à la Commission sont conservés dans les archives de la Commission.

II.ETABLISSEMENT DES FAITS

A.Circonstances particulières de l'affaire.

17. Le 14 mai 1989, le requérant en transit, a été interpellé à l'aéroport de Roissy, porteur d'un colis contenant 580 grammes de cocaïne en provenance de Colombie et à destination de l'Italie.

18. Le 25 septembre 1989, il fut condamné par le tribunal correctionnel de Bobigny à une peine d'emprisonnement de cinq ans assortie d'une interdiction définitive du territoire français pour infraction à la législation sur les stupéfiants.

19. Ce jugement a été confirmé par la cour d'appel de Paris le 24 juillet 1992.

20. Une requête en relèvement de l'interdiction définitive du territoire a été rejetée successivement par le tribunal correctionnel de Bobigny puis, le 24 juillet 1992, par la cour d'appel de Paris.

21. Le 30 décembre 1992, date de l'élargissement du requérant, la mesure judiciaire d'interdiction du territoire prise à son encontre devait être mise à exécution par le préfet de la Dordogne.

22. Le requérant forma un recours en grâce auprès du président de la République. Sur demande du procureur de la République de Bobigny, la mesure a été suspendue.

23. Le 17 février 1994, la commission d'expulsion des étrangers émit un avis défavorable à l'expulsion du requérant considérant notamment que sa présence sur le territoire français ne constituait pas une menace grave pour l‘ordre public. Elle a aussi relevé qu'une chaîne de solidarité s'était tissée autour du requérant. Sa scolarisation et son accueil au sein d'une famille française représentaient des garanties d'insertion sociale et professionnelle dans la communauté nationale.

24. Le 26 avril 1994, un arrêté d'expulsion fut pris par le ministre de l'Intérieur motivé par la gravité de l'infraction commise et la menace que représente pour l'ordre public la présence sur le territoire français d'un narco-trafiquant. Cet arrêté fut notifié au requérant le 9 mai 1994.

25. Le 17 juin 1994, une demande d'abrogation de l'arrêté d'expulsion a été rejetée.

26. Le 20 juin 1994, le préfet de la Dordogne accorda un délai supplémentaire d'un mois afin de permettre au requérant de trouver un pays d'accueil.

27. Le 23 juin 1994, le requérant introduisit devant le tribunal administratif de Bordeaux deux recours en annulation, l'un contre l'arrêté d'expulsion, l'autre contre le refus d'abrogation dudit arrêté d'expulsion. Ces recours sont à ce jour toujours pendants.

28. Enfin, par un arrêté du ministre de l'Intérieur en date du 12 juillet 1994, le requérant a été assigné à résidence dans la commune de Bergerac "jusqu'au moment où il aura la possibilité de déférer à l'arrêté d'expulsion" Cette situation est aujourd'hui inchangée.

B.Eléments de droit interne

29.L'Ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditionsd'entrée et de séjour des étrangers en France telle que modifiée par la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 de l'expulsion

‘'23.Sous réserve des dispositions de l'article 25, l'expulsion peut être prononcée par arrêté du ministre de l'Intérieur si la présence sur le territoire français d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public.

L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé par le ministre de l'Intérieur. Lorsque la demande d'abrogation est présentée à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'exécution effective de l'arrêté d'expulsion, elle ne peut être rejetée qu'après avis de la commission prévue à l'article 24, devant laquelle l'intéressé peut se faire représenter.

Dans les départements d'outre-mer, l'expulsion peut être prononcée par le représentant de l'Etat.

24.L'expulsion prévue à l'article 23 ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes:

1L'étranger doit en être préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat;

2L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission siégeant sur convocation du préfet et composée:

Du président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département, ou d'un juge délégué par lui, président;

D'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal de grande instance du chef-lieu du département;

D'un conseiller du tribunal administratif.

Le chef du service des étrangers à la préfecture assure les fonctions de rapporteur; le directeur départemental de l'action sanitaire et sociale ou son représentant est entendu par la commission; ils n'assistent pas à la délibération de la commission.

La convocation, qui doit être remise à l'étranger quinze jours au moins avant la réunion de la commission, précise que celui-ci a le droit d'être assisté d'un conseil et d'être entendu avec un interprète.

L'étranger peut demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle dans les conditions prévues par la loi n 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Cette faculté est indiquée dans la convocation. L'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par le président de la commission.

Les débats de la commission sont publics. Le président veille à l'ordre de la séance. Tout ce qu'il ordonne pour l'assurer doit être immédiatement exécuté. Devant la commission, l'étranger peut faire valoir toutes les raisons qui militent contre son expulsion. Un procès-verbal enregistrant les explications de l'étranger est transmis, avec l'avis motivé de la commission, au ministre de l'Intérieur qui statue. L'avis de la commission est également communiqué à l'intéressé.

25.Ne peuvent faire l'objet d'un arrêté d'expulsion, en application de l'article 23:

1L'étranger mineur de dix-huit ans;

2L'étranger qui justifie, par tous moyens, résider en France habituellement depuis qu'il a atteint au plus l'âge de six ans;

3L'étranger qui justifie, par tous moyens, résider en France habituellement depuis plus de quinze ans ainsi que l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention ‘'étudiant'';

4L'étranger, marié depuis au moins un an avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française;

5L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins;

6L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 pour cent;

7L'étranger résidant régulièrement en France sous couvert de l'un des titres de séjour prévus par la présente ordonnance ou les conventions internationales qui n'a pas été condamné définitivement à une peine au moins égale à un an d'emprisonnement sans sursis.

Toutefois, par dérogation au 7 ci-dessus, peut être expulsé tout étranger qui a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement sans sursis d'une durée quelconque pour une infraction prévue ou réprimée par l'article 21 de la présente ordonnance, les articles 4 et 8 de la loi n 73-548 du 27 juin 1973 relative à l'hébergement collectif, les articles L-362-3, L-364-2-1, L-364-3 et 364-5 du Code du travail ou les articles 225-5 à 225-11 du Code pénal.

Les étrangers mentionnés aux 1 à 6 ne peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière en application de l'article 22 de la présente ordonnance.

Par dérogation aux dispositions du présent article, l'étranger entrant dans l'un des cas énumérés aux 3, 4, 5 et 6 peut faire l'objet d'un arrêté d'expulsion en application des articles 23 et 24 s'il a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans.''

III.AVIS DE LA COMMISSION

A.Grief déclaré recevable

30. La Commission a déclaré recevable le grief du requérant selon lequel son expulsion vers la Colombie l'exposerait à un risque réel de traitements inhumains ou dégradants.

B.Point en litige

31. La Commission est appelée à se prononcer sur le point de savoir si l'expulsion du requérant vers la Colombie emporterait violation de l'article 3 de la Convention.

C.Sur la violation de l'article 3 de la Convention

32. L'article 3 de la Convention dispose:

"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants."

33. Le requérant soutient qu'eu égard à ses antécédents judiciaires en France, il n'est pas en mesure de trouver un autre pays d'accueil que son pays d'origine, la Colombie. Or le risque qu'il encourt pour sa vie en cas de retour dans son pays se déduit des déclarations qu'il a faites à la police lors de son arrestation et au cours desquelles il a dénoncé des trafiquants de drogue qui, grâce à ses aveux, ont été arrêtés. En particulier, un de ceux-ci, arrêté et condamné à une peine de prison en Allemagne a été libéré, est retourné en Colombie et se présenterait régulièrement au domicile de la famille du requérant; en outre, son frère fait partie des forces de police à l'aéroport de Bogota. Pour le requérant, il ne fait pas de doute que ceux-ci attendent impatiemment son retour pour lui infliger des représailles. Le requérant considère que, dans ces circonstances, son renvoi en Colombie présente pour lui des risques incontestables et caractérisés et l'assignation à résidence qu'il a obtenue en France démontre que le Gouvernement français a conscience de ces risques. Le requérant soutient enfin que les dispositions de l'article 3 s'appliquent même si les risques sont le fait de comportements privés.

34. Le Gouvernement défendeur estime pour sa part que le grief tiré du risque de se voir assujetti à des traitements inhumains ou dégradants est manifestement dépourvu de fondement. En effet, le requérant n'apporte pas de commencement de preuve à l'appui de ses affirmations, selon lesquelles il encourrait un risque pour sa vie en cas de retour en Colombie. Les trafiquants de stupéfiants avec lesquels il a agi délictueusement pourraient, selon lui, vouloir lui infliger des représailles en raison des renseignements qu'il a fournis à la police lors de son arrestation. De l'avis du Gouvernement, force est de constater que la réalité des menaces que le requérant invoque n'est pas établie. Ces arguments sont particulièrement vagues et imprécis et ne peuvent convaincre de leur véracité.

35. Et le Gouvernement d'ajouter que la jurisprudence de la Commission établit que celui qui prétend être confronté à un risque sérieux de traitements contraires à l'article 3 de la Convention, s'il est renvoyé vers un pays déterminé, doit étayer ses allégations par un commencement de preuve (No. 12102-86, déc. 9. 5. 90, D R. 47 p. 286). Or, en l'espèce, les éléments produits par le requérant ne sont pas de nature à étayer ses allégations (Cour eur. D. H. arrêt Vilvarajah et autres c-Royaume-Uni du 30 octobre 1991, série A no. 215). Les organes l'article 3 ‘'au-delà de tout doute raisonnable'' (arrêt Irlande c/Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A No. 25).

36. Par ailleurs et pour le Gouvernement, s'agissant de structures criminelles internationales, le risque que le requérant encourt de la part des trafiquants est aussi important en France qu'en Colombie. Enfin, au sens de l'article 3 de la Convention tel qu'il est interprété et appliqué, il ne peut s'agir que de torture, peines ou traitements inhumains ou dégradants infligeant une souffrance physique ou morale d'origine officielle, institutionnalisée (arrêt Tyrer c/ Royaume-Uni du 25 avril 1978, série A No. 26) ou procédant d'une pratique administrative constituée d'actes, formant un ensemble ou un système, qui ne peuvent être ignorés par les autorités supérieures de l'Etat (arrêt Irlande c/ Ryaume-Uni précité et Donnelly et six autres c/ Royaume-Uni, déc. 15. 12. 75, D. R. 4 p. 172).

37. Or en l'espèce, les risques que le requérant expose ne sont pas le fait d'autorités publiques, mais de comportements privés. Le Gouvernement soutient que le requérant ne peut arguer que les droits humains fondamentaux, tels que ceux qui sont garantis par la Convention, sont grossièrement violés ou entièrement supprimés dans son pays d'origine. En effet, il aura la possibilité, en cas de retour en Colombie, de bénéficier de la protection des autorités policières ou judiciaires de son pays. Dans ces conditions, son renvoi dans son pays d'origine ne peut être considéré comme une mesure qui le placerait, de façon certaine et inévitable, dans une situation où sa vie ou son intégrité physique serait menacée.

38. La Commission rappelle d'emblée que les Etats contractants ont, en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités y compris l'article 3, le droit de contrôler l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux. Elle note aussi que ni la Convention ni ses Protocoles ne consacrent le droit à l'asile politique, ce que confirment diverses recommandations de l'Assemblée du Conseil de l'Europe.

39. Toutefois, selon la jurisprudence des organes de la Convention, la décision de renvoyer un individu dans un pays déterminé peut, dans certaines conditions, se révéler contraire à la Convention et notamment à son article 3, lorsqu'il y a des raisons sérieuses de croire que cet individu sera soumis, dans l'Etat vers lequel il doit être dirigé, à des traitements prohibés par cet article (cf. Cour eur. D.H arrêt Cruz Varas et autres du 20 mars 1991, série A No. 201, p. 28, par. 69-70; Vijayanathan et Pusparajah c/ France, rapport Comm. 5. 9. 91, par. 89, Cour eur. D.H. Série A No. 241-b, p. 89; Vilvarajah et autres c/ Royaume-Uni du 30 octobre 1991, série A no. 215, p. 34 par. 102-103).

40. A la lumière de ce dernier arrêt de la Cour européenne, (p. 36, par. 107-108),

‘'afin de déterminer s'il y a des motifs sérieux et avérés de croire à un risque réel de traitements incompatibles avec l'article 3, [les organes de la Convention] s'appuie [nt] sur l'ensemble des éléments qu'on lui fournit, ou, au besoin, [qu'ils] se [procurent] d'office.

(…) Un Etat contractant assume une responsabilité au titre de l'article 3 pour avoir exposé un individu au risque de mauvais traitements. En contrôlant l'existence de ce risque, il faut donc se référer par priorité aux circonstances dont l'Etat en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l'expulsion.

(…) Pour tomber sous le coup de l'article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence; elle dépend de l'ensemble des données de la cause.

[Enfin], en vue d'apprécier l'existence d'un risque de traitements contraires à l'article 3, les organes de la Convention se doivent d'appliquer des critères rigoureux, eu égard au caractère absolu de cette disposition et au fait qu'elle consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques formant le Conseil de l'Europe (…)''

41. La Commission souligne par ailleurs que seule doit être prise en considération l'existence d'un danger objectif (No. 1802/63, déc. 26.3.63, Rec. p. 21, 28). Elle a d'ailleurs pris en compte, dans le cas d'expulsion, un danger ne provenant pas d'autorités de l'Etat qui reçoit l'intéressé (cf. No. 10308/83, déc. 3.5.83, D.R. 36 p. 209, 219 et Sharif Hussein Ahmed c/Autriche, rapport Comm. 5.7.95, à publier).

42. La Commission doit maintenant examiner si le requérant, en cas d'expulsion vers la Colombie, est confronté à un risque réel et sérieux de traitements contraires à l'article 3 de la Convention.

43. La Commission note que le requérant a été interpellé à l'aéroport de Roissy, en zone internationale, alors qu'il était porteur de drogue en provenance de Colombie et à destination de l'Italie. A cette occasion, il a dénoncé des trafiquants de drogue qui ont été ensuite arrêtés. Le 25 septembre 1989, il a été condamné pour infraction à la législation sur les stupéfiants à cinq ans de prison et à l'interdiction définitive du territoire français par le tribunal correctionnel de Bobigny, jugement confirmé le 24 juillet 1992 par la cour d'appel de Paris. Le requérant a introduit une requête en relèvement de l'interdiction définitive du territoire, qui a été rejetée successivement par les deux juridictions précitées.

44. A sa libération, le 30 décembre 1992, le préfet de la Dordogne était chargé de mettre à exécution la mesure judiciaire d'interdiction du territoire. Cependant, la procédure fut suspendue en raison du recours en grâce déposé auprès du Président de la République. Nonobstant ce recours, le ministre de l'Intérieur demandait de soumettre le dossier à la commission d'expulsion des étrangers, en application de l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée. Le 17 février 1994, la commission d'expulsion émit un avis défavorable à l'expulsion, au motif que la présence du requérant sur le territoire français ne constituait pas une menace grave pour l'ordre public, l'intéressé présentant par ailleurs des garanties d'insertion dans la communauté nationale. En dépit de cet avis défavorable, le ministre de l'Intérieur prit un arrêté d'expulsion à l'encontre du requérant le 26 avril 1994, motivé par l'infraction commise et la menace que représente pour l'ordre public la présence sur le territoire national d'un narco-trafiquant. Cette mesure d'éloignement fut notifiée au requérant le 9 mai 1994 et il lui fut précisé qu'à défaut d'accueil par un pays tiers, celle-ci serait mise à exécution vers son pays d'origine. Le requérant forma alors une demande en vue d'obtenir l'abrogation de cet arrêté d'expulsion, qui fut rejetée par décision du 17 juin 1994. Enfin, six jours plus tard, le requérant saisit le tribunal administratif de Bordeaux de deux recours en annulation, l'un contre l'arrêté d'expulsion, l'autre contre le refus d'abrogation dudit arrêté d'expulsion, recours aujourd' hui toujours pendants.

45. La Commission ne sousestime pas le fait que la présence d'un narco-trafiquant sur le territoire d'un Etat, compte tenu de la gravité des infractions commises, pourrait constituer une menace pour l'ordre public. Toutefois, elle ne souscrit pas à la thèse développée par le Gouvernement défendeur, selon laquelle le renvoi du requérant dans son pays d'origine ne peut être considéré comme une mesure qui le placerait de façon certaine et inévitable dans une situation où sa vie ou son intégrité physique serait menacée, dans la mesure où il pourrait bénéficier, en cas de retour, de la protection des autorités policières ou judiciaires de son pays. La Commission ne saurait non plus accepter l'argument du Gouvernement aux termes duquel les risques auxquels le requérant prétend être exposé ne sont pas le fait d'autorités publiques, mais de comportements privés et se situent par conséquent en dehors du champ d'application de l'article 3 de la Convention, et qu'en tout état de cause, ces risques sont aussi importants en France qu'en Colombie.

46. Pour apprécier l'existence d'un risque de traitements prohibés par l'article 3, il faut appliquer des critères rigoureux en égard au caractère absolu de cette disposition. A cet égard, la Commission tient à souligner que seule entre en considération l'existence d'un danger objectif, notamment la nature d'un régime politique dans l'Etat vers lequel l'intéressé est susceptible d'être renvoyé ou une situation spécifique existant dans cet Etat. Toutefois, la constatation d'un tel danger n'implique pas nécessairement une quelconque responsabilité du gouvernement de l'Etat que reçoit. La Commission a d'ailleurs pris en considération, dans le cas d'expulsion, un danger ne provenant pas d'autorités de l'Etat qui reçoit l'intéressé (cf. Par. 41 ci-dessus).

47. En l'espèce, il est vrai que le requérant ne semble pas avoir à craindre quoi que ce soit de la art des autorités de l'Etat colombien. Cependant, compte tenu de la situation spécifique qui règne en Colombie au plan du trafic de stupéfiants, situation reflétée dans le rapport 1995 d'Amnesty International qui fait état notamment de meurtres de centaines de jeunes gens à Medellin et Cali, attribués entre autres à des organisations de trafiquants de drogue, compte tenu par ailleurs des activités délictueuses du requérant en rapport avec le milieu narco-trafiquant et, en particulier, ses déclarations à la police française qui ont permis l'arrestation d'un certain nombre de trafiquants, dont certains sont rentrés chez eux, le requérant encourrait, en cas de renvoi, des risques réels et sérieux de traitements prohibés par l'article 3 de la Convention. En effet, compte tenu de la situation extrêmement délicate dans laquelle se trouve le Gouvernement colombien en lutte contre le danger que représente l'existence sur son sol d'organisations criminelles puissantes et structurées, il apparaît plus que vraisemblable que le requérant ne pourra pas recevoir de la part de ces autorités une protection adéquate.

48. Enfin, pour ce qui est de la situation du requérant sur le territoire français, la Commission attache beaucoup de poids au fait que la commission d'expulsion, saisie en l'espèce, ait rendu un avis défavorable à l'expulsion, considérant, d'une part, que la présence du requérant sur le territoire français ne constituait pas une menace pour l'ordre public et, d'autre part, que le requérant présentait des garanties d'insertion dans la communauté nationale. En effet, au vu de l'ensemble des documents figurant au dossier et des dernières informations reçues du représentant du requérant, celui-ci est toujours assigné à résidence dans la commune de Bergerac et hébergé dans la même famille d'accueil dans laquelle il s'est parfaitement intégré.

49. A la lumière de ce qui précède, la Commission estime qu'il existe en l'espèce un faisceau d'éléments permettant de conclure que le requérant, en cas de renvoi en Colombie, encourrait un risque réel de se voir assujetti à des traitements contraires à l'article 3.

CONCLUSION

50. La Commission conclut par 19 voix contre 10 qu'en l'espèce, l'expulsion du requérant vers la Colombie constituerait une violation de l'article 3 de la Convention.

Le Secrétaire de la Commission Le Président de la Commission
   
(H.C. KRUGER) (S. TRECHSEL)

OPINION SEPAREE DE M. I. CABRAL BARRETO

J'ai voté, avec la majorité de la Commission, en faveur de la violation de l'article 3 de la Convention. Selon l'avis exprimé par cette dernière, « l'expulsion du requérant vers la Colombie constituerait une violation de l'article 3 de la Convention». Or cet avis ne fait aucune référence à la situation du requérant, lequel demeure en France sous le coup d'un arrêté d'expulsion toujours en vigueur. J'estime pour ma part que c'est à juste titre que l'on peut soutenir que l'exécution d'une Résolution du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe ou d'un arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme, constatant une violation de l'article 3 de la Convention en raison d'un arrêté d'expulsion, implique l'annulation de ce dernier. Le requérant a droit à une restitutio in integrum qui consiste en la cessation de la violation incriminée avec, en principe, toutes les conséquences y afférentes. Il y a lieu d'observer à cet égard qu'une personne qui a fait l'objet d'une mesure d'expulsion se trouve, de fait, en situation irrégulière. Elle peut donc se voir retirer le titre de séjour (article 5, alinéa 3 du décret N 46-1574 du 30 juin 1946, tel que modifié par le décret N 90-583 du 9 juillet 1990, réglementant les conditions de séjour des étrangers en France). Dans cette hypothèse, elle risque de se voir entravée dans l'exercice d'une quelconque activité salariée (a contrario article 17 de l'Ordonnance du 2 novembre 1945). De surcroît, en l'absence de titre de séjour, elle n'est pas assujettie au régime de la sécurité sociale, à la différence de l'étranger titulaire d'un tel titre. J'estime pour ma part qu'un étranger, qui réside dans un pays sans pour autant pouvoir accéder au marché du travail et bénéficier du régime de la protection sociale, se trouve dans une situation qui n'est pas conforme aux exigences de l'article 8 de la Convention. Je suis intimement convaincu que l'arrêté d'expulsion constitue une ingérence continue dans l'exercice du droit du requérant au respect de sa vie privée au sens de l'article 8 par. 1 de la Convention. Enfin, compte tenu de l'impact de cet élément, je considère qu'il aurait dû être mentionné expressément dans l'avis de la Commission.

OPINION DISSIDENTE DE M. H. DANELIUS A LAQUELLE DECLARS SE RALLIER M. J.-C. SOYER

Le requérant a fait l'objet en France d'une condamnation à cinq ans de prison pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Cette peine a été assortie d'une interdiction définitive du territoire français, ce qui, dans les circonstances de l'espèce, apparaît comme une mesure tout à fait normale compte tenu de ce que le requérant a été arrêté alors qu'il se trouvait en transit en France et qu'il ne fait état d'aucun lien particulier avec la France. Par la suite, le ministre de l'Intérieur prit à son encontre un arrêté d'expulsion. La question qui se pose est de savoir si, néanmoins, son expulsion vers son pays d'origine, la Colombie, est susceptible de constituer un traitement inhumain ou dégradant et donc contraire à l'article 3 de la Convention. Il faut souligner que le risque que pourrait encourir le requérant à son retour en Colombie ne provient pas du Gouvernement ou des autorités de ce pays, mais de trafiquants de drogue qui pourraient être amenés à se venger en raison de certaines de ses déclaration faites à la police française. Il n'est certes pas exclu que l'article 3 de la Convention puisse s'appliquer dans certains cas d'expulsion lorsque le risque émane de personnes ou de groupes qui ne font pas partie de la structure étatique. Toutefois et d'une manière générale, on peut présumer que la police ou d'autres autorités dans le pays d'accueil sont à même de fournir la protection nécessaire ou que la personne qui a fait l'objet d'une mesure d'expulsion peut elle-même prendre les mesures nécessaires et suffisantes pour se protéger contre ce type de menaces. Quoi qu'il en soit, pour que l'article 3 puisse faire obstacle à une expulsion en raison de tels risques, il faut que non seulement la réalité de ces risques mais aussi l'absence de toute protection efficace soient démontrées de manière convaincante. Je suis d'avis qu'en l'espèce il existe de sérieux doutes sur ces points. Par conséquent, je ne considère pas comme établi que l'expulsion du requérant vers la Colombie constituerait une violation de l'article 3 de la Convention.

DISSENTING OPINION OF MR. LOUCAIDES

I am unable to agree with the view of the majority that the expulsion of the applicant to his country of origin, namely Colombia, will subject him to a risk of inhuman or degrading treatment for which the respondent Government can be considered responsible. There is no allegation in this case that the risk of inhuman or degrading treatment of the applicant is attributable to the state authorities of Colombia. The relevant allegation refers to a risk of reprisals or vindictive action on the part of individuals or group of individuals engaged in criminal activities in the country in question denounced by the applicant in the course of his interrogation by the French police. So long as there is no allegation or evidence that the security forces of Colombia are themselves involved in activities that may lead to inhuman or degrading treatment of the applicant, the respondent State is entitled to act on the premise that the security forces in question will carry out their responsibility of protecting the applicant from any criminal action of individuals in that country. It is not up to the expelling State to ensure that the security forces of the country to which the expellee is sent are efficient enough to give effective protection to the person. The efficiency of such forces is the responsibility of the State to which such forces belong; the same applies for any resulting risks. Therefore I do not think that their can be any causal link between the expulsion of a person to his country and any risk to his life or physical integrity in cases where such risk is due to the inefficiency of the security forces of that country. In the circumstances I do not find that the respondent State can be held responsible for violating Article 3 of the Convention due to the expulsion of the applicant

OPINION DISSIDENTE DE M. K. HERNDL A LAQUELLE DECLARENT SE RALLIER MM. E. BUSUTTIL, A. WEITZEL, D. SVABY, G. RESS, A. PERENIC, C. BIRSAN

1. Je regrette ne pas pouvoir me rallier à l'avis de la Commission suivant lequel l'expulsion de M. H. L. R vers la Colombie constituerait une violation de l'article 3 de la Convention. A mon avis, la conclusion que la Commission a adoptée à la majorité tend à élargir le champ d'application de la Convention d'une manière difficilement conciliable avec les principes fondamentaux de la Convention.

I.Non-imputabilité du risque à une autorité publique

2. Il n'est pas contesté que le risque invoqué par le requérant-à savoir le risque d'être malmené après son retour en Colombie par des trafiquants de drogue, notamment par celui ou ceux qu'il avait dénoncés lors de son interrogatoire par la police française-ne serait pas le fait d'une autorité publique. Ce que le requérant craint, c'est d'être exposé à des activités criminelles de la part de personnes privées. Or, comme le souligne le Gouvernement défendeur dans ses observations, si le requérant prétend courir le risque de représailles de la part de trafiquants de drogue, ce risque est aussi important en France qu'en Colombie. Il est d'ailleurs admis que le requérant lui-même a fait partie du réseau des narco-trafiquants et qu'il a participé à des activités criminelles.

3. D'ailleurs les précédents que la Commission invoque dans son rapport (cf. Par. 41, notamment l'affaire Altun, No. 10308/ 83) ne sont pas de nature à démontrer que dans le passé la Commission dans des affaires concernant «l'expulsion/l'application de l'article 3» ait réellement pris en considération l'éventuel comportement d'individus criminels ou de groupes criminels dans le pays d'accueil pour justifier l'application de l'article 3. L'affaire Altun (No. 10308/83, D. R. 36 p. 209 ss.) invoqué par la Commission concerne l'éventualité que le requérant soit poursuivi en justice dans son pays d'origine. Ce qui était en jeu était donc le comportement des autorités publiques. Il en va de même pour les affaires Agee c/Royaume-Uni (No. 7729/76, D. R. 7 p. 164), McQuiston et al. c/Royaume-Uni (No. 11208/84, D, R. 46 p. 182) et Y. et al. c/Suisse (No. 12102/86, D. R. 47 p. 286). Dans toutes ces affaires étaient en jeu des agissements d'autorités étatiques et non pas ceux d'individus privés (criminels de droit commun).

4. La jurisprudence de la Cour semble nettement confirmer cette thèse. Dans les affaires Cruz Varas, Viljayanathan, Vilvarajah (cités au par. 39 du rapport) mais aussi dans l'affaire Soering, les autorités publiques des Etats respectifs d'accueil étaient mises en cause. Dans l'affaire Cruz Varas notamment, la Commission elle-même avait relevé que le requérant a été torturé par «les autorités ou par des individus pouvant engager la responsabilité du Gouvernement», et la question qui se posait était celle de savoir si une telle situation pouvait se reproduire après le retour du requérant dans son pays. Dans l'affaire Vilvarajah, les requérants prétendaient qu'en cas de renvoi dans leur pays, ils seraient exposés à des actions de la part des forces de sécurité vu la situation générale de violence existant des le pays. On voit donc mal comment ces affaires peuvent être invoquées dans la présente où il s'agit d'activités criminelles qui sont le fait de personnes privées.

5. Il est vrai qu'à plusieurs reprises dans le passé, la commission s'est référée dans le contexte «l'expulsion/l'application de l'article 3» à un danger ne provenant pas d'autorités de l'Etat qui devait recevoir l'intéressé. Il s'agit notamment des affaires X. C/Royaume-Uni (No. 8581/79, D.R. 29 p. 48) et X. c/ Allemagne (No. 7216/75, D.R. 5 p. 137). Pourtant, dans ces cas, la Commission a clairement indiqué qu'il n'était pas nécessaire de «décider de la question de savoir si la Commission, en examinant une affaire de ce genre sous l'angle de l'article 3, peut tenir compte d'un prétendu danger provenant non pas d'autorités publiques, mais de groupements autonomes» car le requérant n'avait produit aucun élément à l'appui de sa thèse. Par conséquent, le requérant fut débouté par la Commission.

6. La Commission ne s'est donc aucunement prononcée en faveur de la thèse selon laquelle le comportement de «groupes autonomes» devrait être pris en considération dans l'application de l'article 3. D'ailleurs, les «groupes autonomes» visés dans ces deux dernières affaires étaient des groupements agissant sur le plan politique (un «commando palestinien», le «THKO», un parti d'action nationaliste d'extrême gauche). En l'absence de précédent valable, la simple possibilité qu'un requérant soit victime d'un crime de droit commun, par vengeance ou non, dans le pays d'accueil, son pays natal, ne peut pas justifier l'application de l'article 3.

II.L'obligation de protéger le droit à la vie

7. On peut se demander si l'expulsion du requérant vers la Colombie serait de nature à mettre en danger sa vie du fait que, dans ce pays, il ne bénéficierait pas d'une protection adéquate, par les autorités, contre des attentats à sa vie. Cependant, le requérant lui-même n'a pas fait valoir qu'en Colombie il ne pourrait pas jouir de la même protection par les autorités que les autres concitoyens. Certes, il y a de la violence dans ce pays. Le requérant se réfère à cet égard entre autres au fait que le président du pays lui-même a été la cible d'un attentat par des tueurs vraisemblablement à la solde des narco-trafiquants. Mais une situation de violence générale régnant dans le pays d'accueil n'est pas à elle seule de nature à entraîner, en cas d'expulsion, une violation de l'article 2 ou, le cas échéant, de l'article 3 de la Convention. Dans l'affaire Vilvarajah, la Cour a affirmé que:

"les preuves fournies. quant. au contexte général à Sri Lanka n'établissent pas que la situation personnelle des intéressés fut pire que celles de la généralité des membres de la communauté tamoule. La conjoncture restant instable, ils se trouvaient devant un certain risque de détention ou de mauvais traitements qui s'était apparemment déjà réalisé pour certains d'entre eux par le passé. Toutefois, en de telles circonstances, une simple possibilité de mauvais traitements n'entraîne pas en soi une infraction à l'article 3" (Vilvarajah et autres c/Royaume-Uni du 30 octobre 1991, série A, No. 215, p. 37 par. 111).

8. En outre, dans son rapport la Commission n'a pas établi les critères qui ont déterminé son avis portant sur la volonté et la faculté des autorités colombiennes d'accorder une protection réelle au requérant. La Commission souligne elle-même (par. 46) que pour apprécier l'existence d'un risque prohibé par l'article 3, il faut appliquer des critères rigoureux en égard au caractère absolu de cette disposition. A cet égard, la Commission rappelle que seule entre en considération l'existence d'un danger objectif, notamment la nature d'un régime politique dans l'Etat vers lequel l'intéressé est susceptible d'être renvoyé ou une situation spécifique existant dans cet Etat. Cela dit, la Commission se borne à constater que «compte tenu de la situation spécifique qui règne en Colombie au plan du trafic de stupéfiants, situation reflétée dans le rapport 1995 d'Amnesty International. et compte tenu de la situation extrêmement délicate dans laquelle se trouve le Gouvernement colombien en lutte contre le danger que représente sur son sol l'existence d'organisations criminelles puissantes et structurées, il apparaît plus que vraisemblable que le requérant ne pourra pas recevoir de ses autorités une protection adéquate» (par. 47).

9. Bien que le rapport d'Amnesty International fasse état d'une situation générale de violence en Colombie, ce rapport se réfère exclusivement aux actes respectifs des forces de sécurité et de la guérilla. Sur quatre pages, les organisations de trafiquants de drogue sont mentionnées une seule fois et ceci dans le contexte suivant: «Des centaines de jeunes ont également été tués à Cali et Medellin. Nombre de victimes avaient participé à des initiatives locales mises en place par le gouvernement pour désarmer et réinsérer les membres de bandes d'adolescents ou de milices urbaines. Ces meurtres ont été attribués aux escadrons de la mort soutenus par la police, mais également à des bandes rivales et à des organisations de trafiquants de drogue». Peut-on vraiment déduire de ce rapport que l'Etat colombien ne serait pas désireux et capable d'accorder à ses ressortissants, même s'ils sont menacés par des narco-trafiquants, une protection appropriées?

III.Manque de preuves concrètes

10. Selon la pratique des organes de la Convention, un requérant doit soumettre des preuves pour étayer ses allégations. C'est ainsi que dans l'affaire Y. c/ Suisse (No. 12102/86), la Commission a établi que les allégations du requérant n'étaient pas étayées par un commencement de preuve convaincant.

11. Or comme le souligne le Gouvernement défendeur dans ses observations, les éléments produits par le requérant ne sont pas de nature à étayer ses allégations. Certes le requérant se trouve dans une situation délicate où des actes de vengeance ne peuvent pas être exclus, mais sa situation n'est pas fondamentalement différente de celle de beaucoup d'autres personnes qu'ils aient ou non coopéré avec les autorités judiciaires. Il suffit de se référer une fois de plus à l'affaire Vilvarajah.

12. Au regard de cette situation, il paraît difficile d'imposer au Gouvernement défendeur, même implicitement, l'obligation de ne pas procéder à l'expulsion d'un individu condamné par la justice à cinq ans de prison avec interdiction définitive du territoire national fixée dans le jugement même.

ANNEXE DECISION DE LA COMMISSION SUR LA RECEVABILITE

De la requête No. 24573/94 présentée par H. L.R. contre la France La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 2 mars 1995 en présence de  
MM. C.A. NORGAARD, Président
  H. DANELIUS
  C.L. ROZAKIS
  G. JÖRUNDSSON
  S. TRECHSEL
  A. WEITZEL
  J.-C. SOYER
  H.G. SCHERMERS
Mme G.H. THUNE
M. F. MARTINEZ
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
  J.-C. GEUS
  M.P. PELLONPÄÄ
  B. MARXER
  M.A. NOWICKI
  I. CABRAL BARRETO
  B. CONFORTI
  N. BRATZA
  I. BEKES
  J. MUCHA
  D. ŠVABY
  E. KONSTANTINOV
  G. RESS
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission;
  Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales; Vu la requête introduite le 4 juillet 1994 par H. L.R. contre la France et enregistrée le 8 juillet 1994 sous le No. de dossier 24573/94; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission; Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 3 janvier 1995 et les observations en réponse présentées par le requérant le 10 février 1995;

Après avoir délibéré,

Rend la décision suivante:

EN FAIT Le requérant, de nationalité colombienne, est né en 1968 à Ansermanuevo Valle. Il est représenté devant la Commission par M. Guy Parent, visiteur de prison et Greffier en Chef du tribunal de Commerce de Corbeil. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 14 mai 1989, le requérant, en transit, a été interpellé à l'aéroport de Roissy, porteur d'un colis contenant de la drogue en provenance de Colombie et à destination de l'Italie. Le 25 septembre 1989, il a été condamné par le tribunal correctionnel de Bobigny à une peine d'emprisonnement de 5 ans assortie d'une interdiction définitive du territoire français pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Ce jugement a été confirmé par la cour d'appel de Paris le 24 juillet 1992. Une requête en relèvement de l'interdiction définitive du territoire a été rejetée successivement par le tribunal correctionnel de Bobigny puis, le 24 juillet 1992, par la cour d'appel de Paris. Le 30 décembre 1992, date de l'élargissement du requérant, la mesure judiciaire d'interdiction du territoire prise à son encontre devait être mise à exécution. Le requérant a formé un recours en grâce auprès du Président de la République. Sur demande du procureur de la République de Bobigny, la mesure a été suspendue. Le 17 février 1994, la commission d'expulsion des étrangers a émis un avis défavorable à l'expulsion du requérant. Elle a notamment constaté qu'une chaîne de solidarité s'était tissée autour du requérant. Sa scolarisation et son accueil au sein d'une famille française représentaient des garanties d'insertion sociale et professionnelle dans la communauté nationale. Le 26 avril 1994, un arrêté d'expulsion a été pris par le ministre de l'Intérieur motivé par la gravité de l'infraction commise et la menace que représente pour l'ordre public la présence sur le territoire français d'un narco-trafiquant. Cet arrêté fut notifié le 9 mai 1994. Le 17 juin 1994, une demande d'abrogation de l'arrêté d'expulsion a été rejetée. Le 20 juin 1994, le préfet de la Dordogne a accordé un délai supplémentaire d'un mois afin de permettre au requérant de trouver un pays d'accueil. Le 23 juin 1994, le requérant a introduit devant le tribunal administratif de Bordeaux deux recours en annulation, l'un contre l'arrêté d'expulsion, l'autre contre le refus d'abrogation dudit arrêté d'expulsion. Ces recours sont actuellement pendants. Enfin, par un arrêté du ministre de l'Intérieur en date du 12 juillet 1994, le requérant a été assigné à résidence dans la commune de Bergerac "jusqu'au moment où il aura la possibilité de déférer à l'arrêté d'expulsion".

GRIEFS

Le requérant soutient qu'il risque sa vie en cas de renvoi vers la Colombie, notamment du fait qu'il a dénoncé nommément des trafiquants dont l'extrême violence est parfaitement connue. Il invoque en substance l'article 3 de la Convention.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

La requête a été introduite le 4 juillet 1994 et enregistrée le 8 juillet 1994. Le 8 juillet 1994, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur en l'invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le même jour, la Commission a également décidé de faire application de l'article 36 du Règlement intérieur dans le cas du requérant et d'indiquer au Gouvernement français qu'il serait souhaitable dans l'intérêt des parties et de la procédure de ne pas renvoyer le requérant en Colombie avant que la Commission ait eu la possibilité de procéder à un plus ample examen de la requête. Cette indication a été renouvelée par la Commission les 9 décembre 1994, 20 janvier 1995 et 3 mars 1995. Par lettre datée du 25 août 1994, le Gouvernement défendeur a informé le Secrétariat de la Commission que le requérant avait été assigné à résidence dans la commune de Bergerac à compter du 12 juillet 1994. Le Gouvernement a présenté ses observations le 3 janvier 1995, après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le 10 février 1995.

EN DROIT

1. Le requérant allègue que son éventuel renvoi en Colombie l'exposerait à un risque réel de traitements prohibés par l'article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé:

"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "

1. Le Gouvernement, dans ses observations, soutient à titre principal que la requête est irrecevable pour défaut d'épuisement des voies de recours internes, le requérant ayant omis d'assortir son recours en annulation d'une demande de sursis à exécution.

Il rappelle à cet égard que tout recours en annulation (ou pour excès de pouvoir) peut être assorti d'un recours distinct tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de la décision attaquée. Un tel recours est empreint d'une réelle efficacité compte tenu de la diligence avec laquelle le juge administratif peut juger des demandes de sursis à exécution et effectue un contrôle dit «entier» sur les risques encourus par un étranger en cas de retour dans le pays d'origine. Sur ce point, le gouvernement fait référence aux requêtes Nos 23785/94 et 23786/94 Youbi et Madaci, déclarées irrecevables par la Commission le 21 octobre 1994. Le requérant souligne pour sa part que la Commission peut être saisie avant l'épuisement des voies de recours qui n'ont pas d'effet suspensif. A cet égard, il relève qu'il en est de même lorsque les délais de procédure se révèlent excessifs. En tout état de cause, il a été sursis en l'espèce à l'exécution de la mesure par arrêté du ministre de l'Intérieur du 12 juillet 1994, qui a assigné le requérant à résidence. Pour le requérant, saisir dans ces conditions le juge administratif d'un sursis à exécution s'avérait inutile. La Commission rappelle que l'obligation d'épuiser les voies de recours internes se limite à celle de faire un usage normal des recours vraisemblablement efficaces, suffisants et accessibles. Lorsqu'un individu se plaint que son expulsion l'exposerait à un grave danger, les recours sans effets suspensifs ne peuvent être considérés comme efficaces (No. 10078/82, déc. 13.12.84, D.R. 41 p. 103; No. 12461/86, déc. 10.12.86, D.R. 51 p. 258; No. 14312/88, déc. 8.3.89, D.R. 60 p. 284, et plus récemment No. 19776/92, déc. 18.10.93, non publiée). En l'espèce, l'acte des autorités de l'Etat mis en cause qui fait grief au requérant est l'arrêté d'expulsion du 26 avril 1994, notifié le 9 mai 1994. Or le Gouvernement n'a pas démontré que la saisine du juge administratif aurait pour effet de suspendre l'exécution de l'arrêté d'expulsion. Au demeurant, la Commission observe que dans les deux affaires citées par le gouvernement à l'appui de son argumentation, les intéressés avaient obtenu le sursis à exécution de l'arrêté d'expulsion les concernant postérieurement à leur expulsion du territoire français. Dès lors, ce recours ne peut être considéré comme efficace selon les principes de droit international généralement reconnus et l'objection de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.

2. Le Gouvernement soutient, à titre subsidiaire, que la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 de la Convention.

D'une part et par mesure humanitaire, un délai supplémentaire a été accordé au requérant afin qu'un pays d'accueil lui soit trouvé. D'autre part, le requérant n'établit pas la réalité des menaces qu'il invoque et, en l'occurrence, s'agissant de structures criminelles internationales, le risque qu'il encourt de la part des trafiquants est aussi important en France qu'en Colombie. De surcroît, pour le gouvernement, les risques encourus par le requérant ne sont pas le fait d'autorités publiques mais proviendraient de comportements privés. De ce fait, ils se situeraient en dehors du champ d'application de la Convention. Dès lors, le requérant ne peut arguer que les droits fondamentaux tels que garantis par la Convention sont violés ou inexistants dans son pays d'origine. Enfin, il pourrait bénéficier de la protection des autorités publiques de son pays. Le requérant estime pour sa part que, compte tenu de son passé en France, il n'a aucune chance de trouver un pays d'accueil. Il souligne que grâce à ses aveux un trafiquant a été arrêté et condamné. Ce dernier, retourné en Colombie, se présenterait régulièrement au domicile de la famille du requérant; en outre son frère fait partie des forces de police à l'aéroport de Bogota. Le requérant considère que son renvoi éventuel en Colombie présente pour lui des risques incontestables et caractérisés et que les dispositions de l'article 3 de la Convention s'appliquent même si le danger provient de comportements privés. La Commission rappelle d'emblée que, selon sa jurisprudence constante, la Convention ne garantit aucun droit de séjour ou d'asile dans un Etat dont on n'est pas ressortissant (voir No. 7256/75, déc. 10.12.76, D.R. 8p. 161). Toutefois, selon la jurisprudence des organes de la Convention, la décision de renvoyer un individu dans un pays déterminé peut, dans certaines conditions, se révéler contraire à la Convention et notamment à son article 3, lorsqu'il y a des raisons sérieuses de croire que cet individu sera soumis, dans l'Etat vers lequel il doit être dirigé, à des traitements prohibés par cet article (cf. Par exemple No. 6315/73, déc. 30.9.74,D. R. 1p. 73; No. 7011/75, déc. 3.10. 75, D. R. 4p. 215; No. 12122/86, déc. 16. 10. 86, D. R. 50 p. 268; Cour eur. D. H. arrêt cruz Varas et autres du 20. 3. 91, série A n 201, p. 28, par. 69-70 et Vijayanathan et Pusparajah c/France, rapport Comme. 5. 9. 91, par. 89, Cour eur. D. H. série A n 241-B, p. 89). La Commission souligne encore que seule doit être prise en considération l'existence d'un danger objectif. Elle a d'ailleurs pris en compte, dans le cas d'expulsion, un danger ne provenant pas d'autorités de l'Etat qui reçoit l'intéressé (cfr. Par exemple No. 10308/ 83, déc. 3. 5. 83, D. R. 36, p. 209, 219). Enfin, la Commission observe que dans son avis défavorable à l'expulsion du requérant en date du 17 février 1994, la commission d'expulsion note que le requérant a été accueilli au sein d'un famille française et présentait des garanties d'insertion dans la communauté nationale. La Commission a procédé à un premier examen des faits et des arguments des parties. Elle estime toutefois que les problèmes qui les problèmes qui se posent en l'espèce sont suffisamment complexes pour que leur solution doive relever d'un examen au fond. Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 de la Convention. La Commission constate en outre que la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Par ces motifs, la Commission, à la majorité,

DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.

Le Secrétaire de la Commission Le Président de la Commission
   
(H. C. KRUGER) (C. A. NØRGAARD)


 
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