Chieu c. Canada

A-1038-96

Cour d'appel, juge en chef Isaac, juges Strayer et Linden, J.C.A.

Winnipeg 2 novembre; Ottawa, 3 décembre 1998.

Citoyenneté et Immigration - Exclusion et renvoi - Renvoi de résidents permanents - Dans l'exercice de son pouvoir d'avoir égard aux circonstances particulières de l'espèce, sous le régime de l'art. 70(1)b) de la Loi sur l'immigration, la SACISR ne peut pas examiner le pays (et sa situation) auquel l'appelant qui n'est pas un réfugié risquerait d'être renvoyé lorsqu'il s'agit de déterminer s'il ne devrait pas être renvoyé du Canada.

En mars 1994, on a découvert que l'appelant avait été autorisé à entrer au pays en raison d'une fausse indication portant sur un fait important, et un arbitre de l'immigration a ordonné son expulsion. Un appel a été interjeté sans succès auprès de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SACISR), tout comme une demande de contrôle judiciaire a été présentée devant la Section de première instance avec le même résultat. Le juge des requêtes a appliqué l'arrêt Hoang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35 (C.A.F.), qui traite du cas d'un réfugié, à la présente affaire qui concerne un non-réfugié. Il ressort de l'arrêt Hoang que, dans les cas de réfugiés interjetant appel de mesures d'expulsion, il est prématuré pour la section d'appel de tenir compte de la situation du pays d'origine de la personne, puisque la décision quant au pays vers lequel la personne expulsée sera envoyée incombe au ministre de l'Immigration. Cette décision ne peut pas être prise par le ministre tant que la question de la mesure d'expulsion n'a pas été tranchée. Le juge des requêtes a donc statué que la Commission n'avait pas le pouvoir d'examiner la situation d'un éventuel pays de destination conformément à ce qu'indique l'alinéa 70(1)b) de la Loi. Il s'agissait d'un appel formé contre cette décision. La question certifiée était de savoir si, dans l'exercice de son pouvoir d'avoir «égard aux circonstances particulières de l'espèce», sous le régime de l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration, la SACISR peut examiner le pays (et sa situation) auquel l'appelant qui n'est pas un réfugié serait, selon la prépondérance des probabilités, renvoyé lorsqu'il s'agit de déterminer s'«il ne devrait pas être renvoyé du Canada», ou non, conformément à l'arrêt rendu par le juge d'appel MacGuigan dans l'affaire Hoang.

Arrêt: l'appel est rejeté; la SACISR ne peut pas, sous le régime de l'alinéa 70(1)b) de la Loi, examiner le pays (et sa situation) vers lequel l'appelant qui n'est pas un réfugié pourrait être renvoyé.

Le principe adopté dans l'arrêt Hoang s'applique aux cas des non-réfugiés qui tentent de faire réviser une mesure d'expulsion tout autant qu'aux cas des réfugiés. L'affaire Ribic c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] I.A.D.D. no 4 (QL), dans laquelle la Commission d'appel de l'immigration a indiqué qu'elle avait le droit, en vertu de l'alinéa 72(l)b) (maintenant 70(l)b)), de tenir compte de plusieurs facteurs, dont l'importance des difficultés qu'éprouverait l'appelant en rentrant dans son pays de nationalité, a été jugée avant l'affaire Hoang et elle ne devrait plus être suivie sur ce point. Selon l'alinéa 70(l)b), la Commission avait seulement le pouvoir de décider si une personne devrait être renvoyée du Canada, et non pas de prendre en considération le bien-fondé ou non de quelque destination éventuelle. Le fait pour la SACISR d'examiner une telle question aurait pour effet d'étendre la compétence de la Commission et de lui permettre de se livrer à des conjectures prématurées au sujet de questions hypothétiques concernant la situation de pays vers lesquels quelqu'un pourrait être expulsé.

De plus, cette opinion était davantage conforme à l'économie générale de la Loi de laisser de côté l'examen de la situation du pays éventuel de destination jusqu'à ce que cette destination soit établie définitivement par le ministre en vertu de l'article 52 de la Loi. Parmi les circonstances que la Commission doit examiner afin de déterminer si la mesure d'expulsion a été prononcée correctement et équitablement, mentionnons: la gravité de l'infraction à l'origine de l'expulsion; la possibilité de réhabilitation; les répercus­sions du crime pour la victime; les remords du demandeur; la durée de la période passée au Canada et le degré d'éta­blissement de l'appelant ici; la présence de la famille qu'il a au pays et les bouleversements que l'expulsion de l'appelant occasionnerait pour cette famille; les efforts faits par le demandeur pour s'établir au Canada, notamment en ce qui concerne l'emploi et l'instruction; le soutien dont bénéficie le demandeur, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité. Permettre l'examen par la section d'appel de la situation des éventuels pays de destination prolongerait les audiences dans ces affaires. La Commission devrait traiter de questions pour lesquelles elle n'est pas conçue ni équipée. La personne dont la demande concernant la juridiction d'équité de la SACISR est rejetée dispose de quatre recours possibles, si elle est inquiète au sujet du pays vers lequel elle pourrait être expulsée.

Bien que la Commission et le juge des requêtes aient effectivement mentionné un pays de destination possible, c'était une brève mention et sans conséquence pour arriver à leurs décisions respectives en l'espèce. La preuve relative à la situation dans ces pays n'était pas pertinente ou admis­sible dans la présente affaire; elle n'aurait pas dû être admise ou examinée par la Commission ou la Cour.

 lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 44(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35), 46.01 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9), 52 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 7; L.C. 1992, ch. 49, art. 42), 69.2 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 70(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13), b) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 82.1(1) (édicté, idem, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73), 114 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 29; ch. 29, art. 14; L.C. 1990, ch. 38, art. 1; 1992, ch. 49, art. 102).

Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 72(1)b).

jurisprudence

décision appliquée:

Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35; 120 N.R. 193 (C.A.F.).

distinction faite avec:

Ribic c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] I.A.D.D. no 4 (C.A.I.) (QL); Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 270; (1992), 93 D.L.R. (4th) 589; 10 C.R.R. (2d) 348; 145 N.R. 121 (C.A.).

décisions citées:

Markl c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, V81-6127, jugement en date du 27-5-85, C.A.I., inédit; Al Sagban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 C.F. 501; (1997), 137 F.T.R. 283 (1re inst.); Al Sagban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] F.C.J. no 1775 (C.A.) (QL); Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 315; (1998), 144 F.T.R. 76 (1re inst.).

APPEL d'une décision de la Section de première instance ((1996), 125 F.T.R. 76) rejetant une demande de contrôle judiciaire de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié selon laquelle elle n'avait pas le pouvoir d'examiner la situation d'un pays éventuel de destination conformément au mandat énoncé à l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration. Appel rejeté.

ont comparu:

David Matas pour l'appelant (demandeur).

Sharlene Telles-Langdon pour l'intimé (défendeur).

 avocats inscrits au dossier:

David Matas, Winnipeg, pour l'appelant (demandeur).

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé (défendeur).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A.:

Introduction

Le présent appel porte sur la question de savoir si la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (la SACISR) peut examiner, tout «e[n ayant] égard aux circonstances particulières de l'espèce»[1], la situation du pays où un individu qui n'est pas un réfugié peut être renvoyé.

Le juge des requêtes [(1996), 125 F.T.R. 76], en suivant l'arrêt Hoang rendu par notre Cour[2], a décidé que cela outrepassait la compétence de la Commission et a confirmé la décision de la Commission en refusant d'intervenir. Le juge des requêtes [à la page 80] a néanmoins certifié la question suivante pour qu'elle soit soumise à notre Cour:

Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'avoir «égard aux circonstances particulières de l'espèce», sous le régime de l'art. 70(1)b) de la Loi sur l'immigration, la section d'appel de la CISR peut-elle examiner le pays (et sa situation) auquel l'appelant qui n'est pas un réfugié serait, selon la prépondérance des probabilités, renvoyé lorsqu'il s'agit de déterminer s'«il ne devrait pas être renvoyé du Canada», [ou non] conformément à l'arrêt rendu par le juge MacGuigan dans l'affaire de réfugiés Hoang c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1990), 120 N.R. 193, à la page 195; 13 Imm.L.R. (2d) 35 (C.A.F.), cité dans les présents motifs?

À mon avis, le juge des requêtes a eu raison de statuer que l'arrêt Hoang s'appliquait aux faits de l'espèce et que la Commission n'avait pas le pouvoir d'examiner la situation d'un éventuel pays de destination conformément à ce qu'indique l'alinéa 70(1)b) de la Loi [art. 70(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13)]. Cet article est libellé ainsi:

70. (1)   Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants:

[. . .]

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada. [C'est moi qui souligne.]

Les faits et la décision déjà rendue

L'appelant est né au Cambodge, mais, à l'âge de huit ans, il a accompagné sa famille au Viêt-nam, où il a vécu de 1975 à 1993. En octobre 1993, il a obtenu le droit d'établissement à Vancouver comme membre de la famille qui accompagnait son père. À cette époque, il a déclaré au bureau de l'immigration qu'il n'avait aucune personne à charge. Cela s'est révélé faux. De fait, il était marié à l'époque et avait une épouse et un enfant qui vivaient au Viêt-nam. Ce fait a été découvert et signalé en mars 1994 par un agent d'immigration, qui a conclu que l'appelant avait été autorisé à entrer au pays en raison d'une fausse indication portant sur un fait important.

L'appelant a reconnu cette fausse indication devant l'arbitre de l'immigration, qui a ordonné son expulsion.

Un appel a été interjeté sans succès auprès de la SACISR, tout comme une demande de contrôle judiciaire devant la Section de première instance de notre Cour. Dans cette décision, le juge des requêtes a statué que, même si l'arrêt Hoang traitait du cas d'un réfugié, il s'appliquait dans la présente affaire qui concerne un non-réfugié. Selon le juge des requêtes, rien ne permettait logiquement de faire une distinction entre les réfugiés et les non-réfugiés dans l'application de l'arrêt Hoang, qu'il estimait être d'«application universelle». Comme le ministre n'avait pas encore décidé de l'endroit où l'appelant serait envoyé, le juge des requêtes a conclu qu'il aurait été prématuré que la Commission examine la situation du pays de destination.

Le juge des requêtes a donné l'explication suivante:

Le cas du requérant dépend de la question de savoir si l'affaire Hoang s'applique à ses circonstances. Bien que l'affaire Hoang porte sur un réfugié au sens de la Convention, il s'agit d'une déclaration générale interprétant ce paragraphe. L'avocat du requérant soutient avec vigueur que l'affaire Hoang ne s'applique pas à la présente situation parce que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention. Rien ne permet logiquement de distinguer l'affaire Hoang sur ce point. Ne permet pas non plus de la distinguer le fait que, dans cette affaire, le tribunal ne savait pas vers quel pays le requérant serait expulsé, alors qu'en l'espèce, le tribunal savait effectivement qu'il serait expulsé au Cambodge à cause de l'application de la présomption légale. Pour ce qui est de cette présomption, il est clair que le requérant n'avait nullement le droit d'entrer de nouveau au Vietnam. Mais aucune décision n'a encore été prise quant au pays vers lequel le requérant serait expulsé [. . .]

C'est là la raison pour laquelle l'arrêt Hoang de la Cour d'appel fédérale s'applique à l'espèce. Il y incertitude quant à l'endroit où le requérant serait renvoyé, et cela correspond aux mêmes circonstances dont la SAI était saisie dans l'affaire Hoang. Cela dit, la Cour estime que les motifs de la Cour d'appel sont d'application universelle, en tout cas pour ce qui est de l'art. 52(2[3].

 Les arguments des parties

Devant la Cour, Me Matas a soutenu qu'il faudrait faire une distinction avec l'arrêt Hoang pour le motif qu'il concernait le statut de réfugié au sens de la Convention ainsi que le pouvoir du ministre de décider où envoyer un demandeur. De plus, il a prétendu que le contexte juridique avait changé depuis l'arrêt Hoang, puisque des modifications législatives avaient été apportées relativement au pouvoir du ministre. Selon l'appelant, la Commission s'est trompée sur la portée de l'arrêt Hoang, car il existe plusieurs décisions contradictoires sur la question, certaines tenant compte du pays de destination et d'autres refusant de le faire. L'appelant s'est reporté expressément à la décision rendue dans l'affaire Al Sagban[4]. Il a également invoqué la décision rendue par la Cour dans l'affaire Canepa[5], dont le sens profond permettrait, selon son argument, de considérer la situation du pays où l'appelant pourrait être renvoyé comme une «circonstance atténuante». Me Matas a aussi présenté quelques raisons pratiques de s'écarter de l'arrêt Hoang: la Commission examine souvent la situation des éventuels pays de destination et mettre fin à cette pratique constituerait un «changement radical». En outre, Me Matas a signalé le paragraphe 114(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102] de la Loi, qui prévoit que

114. [. . .]

(2)  Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

Me Matas a émis l'avis que, si ces questions devaient être étudiées seulement après que le ministre a prononcé une mesure d'expulsion vers un pays en particulier, on se retrouverait alors avec une multitude de demandes présentées à la hâte en vertu du paragraphe 114(2) et de demandes de sursis par la suite.

Quant à la Couronne, Me Telles-Langdon a soutenu simplement que le raisonnement suivi dans l'arrêt Hoang s'appliquait au cas en litige. Elle a allégué que la décision Canepa était limitée à ses propres faits et ne s'appliquait pas à la situation présente. Elle a également soulevé le spectre d'une [traduction] «variante du processus de détermination du statut de réfugié» qui s'élaborerait dans le contexte de ces demandes. À son avis, les modifications législatives auxquelles Me Matas faisait référence n'influaient pas sur le traitement de la présente question. Elle a demandé que l'appel soit rejeté.

Analyse

1.         Le principe énoncé dans l'arrêt Hoang s'applique aux cas des réfugiés et des non-réfugiés.

À mon avis, le principe adopté dans l'arrêt Hoang s'applique aux cas des non-réfugiés qui tentent de faire réviser des mesures d'expulsion tout autant qu'aux cas des réfugiés. Si la Commission ne peut pas examiner les destinations éventuelles dans le cas des réfugiés, elle ne le peut pas non plus dans le cas des non-réfugiés. Malgré quelques nouvelles modifications apportées à la Loi, ce principe est tout aussi pertinent aujourd'hui. La cohérence est une vertu.

M. le juge MacGuigan a signalé ce principe dans l'arrêt Hoang. En étudiant l'affaire Markl [Markl c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, V81-6127, jugement en date du 27-5-85, C.A.I., inédit], il a déclaré:

En ce qui a trait à l'argument selon lequel la Commission n'aurait pas pris en considération le pays vers lequel le requérant allait être expulsé, nous estimons que la Commission a suivi à juste titre la décision qu'elle a rendue précé­demment dans l'affaire Marki c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), no V81-6127, (C.A.I.) le 27 mai 1985, à la p. 5, portant que la compétence de la Commission se limite à décider s'il y a lieu d'expulser une personne du Canada et non à savoir vers quel pays elle le sera:

La Commission est saisie de l'appel d'une ordonnance d'expulsion. Elle doit statuer sur la validité de cette ordonnance. En cas de rejet de l'appel, le lieu vers lequel l'appelant peut être expulsé est une question à part, dont la Commission ne peut connaître.

En fait, jusqu'à ce que la question de l'expulsion soit réglée, le ministre ne peut prendre aucune décision relativement au pays vers lequel le requérant sera expulsé. Voilà pourquoi la représentante du ministre a affirmé, pendant l'instance, que le souhait du ministre d'expulser l'appelant vers le Viêt-nam ne saurait être interprété comme l'expression officielle de sa décision puisqu'il n'a pas encore le pouvoir de la prendre[6]. [C'est moi qui souligne.]

En l'espèce, la Commission a suivi l'arrêt Hoang et dit:

[traduction] Certes, les épreuves créées par le renvoi du Canada est une des circonstances à examiner lorsque la section d'appel détermine s'il y a lieu d'exercer sa juridiction d'équité; mais la Cour fédérale du Canada a décidé dans l'affaire Hoang qu'il était prématuré pour la section d'appel de tenir compte de la situation du pays d'origine de la personne, puisque la détermination du pays vers lequel la personne expulsée serait envoyée incombait au ministre de l'Immigration[7].

En l'espèce, le juge des requêtes s'est également senti lié par l'arrêt Hoang, comme il est mentionné dans le passage cité ci-dessus.

La confusion qui se serait produite dans la présente affaire et dans d'autres découle en grande partie de la décision Ribic[8], abondamment citée, dans laquelle la Commission a indiqué [à la page 13 (QL)] qu'elle avait le droit, en vertu de l'alinéa 72(l)b) [de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52] (maintenant 70(l)b)), de tenir compte de plusieurs facteurs, dont [traduction] «l'importance des diffi­cultés qu'éprouverait l'appelant en rentrant dans son pays de nationalité». Cette affaire a été jugée avant l'affaire Hoang et, à mon avis, elle ne devrait plus être suivie sur ce point.

Ne laissons persister aucune confusion à ce sujet-la Cour confirme qu'elle est d'accord avec l'arrêt Hoang et son application aux affaires concernant les non-réfugiés comme en l'espèce. La Commission ne peut pas, dans l'exercice de sa juridiction d'équité conformément à l'alinéa 70(1)b), considérer, comme une circonstance, la situation des pays où des personnes pourraient être expulsées. De plus, les éléments de preuve relatifs à ces pays ne sont pas pertinents et, par conséquent, ils ne sont pas admissibles. Selon l'alinéa 70(l)b), la Commission a seulement le pouvoir de décider si une personne devrait être renvoyée du Canada. La Commission n'a pas à prendre en considération le bien-fondé ou non de quelque destination éventuelle. Le fait pour la SACISR d'examiner une telle question aurait pour effet d'étendre la compétence de la Commission et de lui permettre de se livrer à des conjectures prématurées au sujet de questions hypothétiques concernant la situation de pays vers lesquels quelqu'un pourrait être expulsé.

J'estime non seulement que cette opinion est fondée sur le plan juridique, mais qu'il est davantage conforme à l'économie générale de la Loi de laisser de côté l'examen de la situation du pays éventuel de destination jusqu'à ce que cette destination soit établie définitivement par le ministre en vertu de l'article 52 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 7; L.C. 1992, ch. 49, art. 42] de la Loi. Tout autre comportement équivaudrait à usurper le rôle du ministre.

C'est ainsi qu'il faut interpréter le libellé de l'alinéa 70(1)b), dans un contexte global. Cet article permet à la Commission de se demander si une mesure de renvoi ou une mesure de renvoi conditionnel prononcée contre un résident permanent devrait être annulée ou suspendue pour le motif que, eu égard aux circonstances particulières de l'affaire, la personne ne devrait pas être renvoyée du Canada. La Commission a ordre d'examiner la validité et l'équité de la mesure de renvoi. La question est la suivante: Cette personne devrait-elle être renvoyée ou non? Il s'agit de savoir si la personne devrait être renvoyée, non pas elle devrait l'être. La Commission n'est pas autorisée à examiner des questions étrangères à celle de savoir si la mesure de renvoi a été prononcée correctement et équitablement, comme la nature de l'endroit la personne peut être envoyée.

Même si la Cour conclut que la SACISR ne peut pas examiner la situation d'un pays où une personne peut être expulsée, la SACISR peut, et même doit, pour les décisions qu'elle rend en vertu de sa juridiction d'équité, examiner de façon générale les circonstances particulières de l'affaire afin de détermi­ner si la mesure d'expulsion a été prononcée correctement et équitablement. Ces considérations peuvent comprendre les sujets suivants, mais elles ne seraient pas limitées à celles-ci[9]:

·  la gravité de l'infraction à l'origine de l'expulsion;

·  la possibilité de réhabilitation (si un crime a été commis);

·  les répercussions du crime (si un crime a été commis) pour la victime;

·  les remords du demandeur (si un crime a été commis);

·  la durée de la période passée au Canada et le degré d'établissement de l'appelant ici;

·  la présence de la famille qu'il a au pays et les bouleversements que l'expulsion de l'appelant occasionnerait pour cette famille;

·  les efforts faits par le demandeur pour s'établir au Canada, notamment en ce qui concerne l'emploi et l'instruction;

·  le soutien dont bénéficie le demandeur, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité.

2.         Autres considérations

Permettre l'examen par la section d'appel de la situation des éventuels pays de destination prolongerait les audiences dans ces affaires. La Commission devrait traiter de questions pour lesquelles elle n'est pas conçue ni équipée. Cela pourrait également créer, comme l'avocat de la Couronne le soutient, une «variante du processus de détermination du statut de réfugié» dans le contexte de ces affaires. L'avocat de la Couronne a signalé que, si on accueillait une demande présentée conformément à l'alinéa 70(1)b) de la Loi et fondée sur la situation d'un pays où la personne susceptible d'expulsion pourrait être retournée, cette demande ne serait pas assujettie au mécanisme de contrôle créé par l'article 69.2 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] et le paragraphe 44(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35] de la Loi. En dernier lieu, malgré une augmentation possible du nombre de demandes de contrôle judiciaire et de demandes présentées conformément à l'article 114 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 29; ch. 29, art. 14; L.C. 1990, ch. 38, art. 1; 1992, ch. 49, art. 102] de la Loi à la suite des décisions du ministre, il n'y a aucune raison de croire qu'elles ne peuvent pas être traitées correctement par la Cour.

Sous le régime en cours, une personne dont la demande concernant la juridiction d'équité de la SACISR est rejetée dispose néanmoins d'autres recours. Si cette personne est inquiète au sujet du pays vers lequel elle pourrait être expulsée, il peut y avoir jusqu'à quatre recours possibles: premièrement, on peut recourir au paragraphe 52(2) de la Loi pour effectuer un départ volontaire vers un pays à l'égard duquel la personne n'entretient aucune crainte. Deuxièmement, on peut présenter une demande en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi pour demander au ministre d'examiner la situation du pays vers lequel la personne est sur le point d'être envoyée. Troisièmement, on peut demander le contrôle judiciaire de la décision du ministre en vertu du paragraphe 52(2) conformément au paragraphe 82.1(1) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi. Quatrièmement, une personne, qui craint que l'expulsion vers un pays particulier pourrait mettre en danger la vie ou la sécurité de la personne, pourrait contester une décision du ministre en vertu de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitution­nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] ou même en vertu des obligations internationales du Canada. Il n'appartient pas à la Cour de décider ici si certains de ces recours sont vraiment possibles dans un cas particulier et s'ils peuvent être accueillis ou non.

3.         L'arrêt Canepa ne s'applique pas en l'espèce.

L'avocat de l'appelant s'est fondé grandement sur l'arrêt Canepa de la Cour (j'ai souscrit aux motifs exposés par le juge MacGuigan). Il est notamment mentionné dans cet arrêt:

Je ne peux croire que la phrase [sic] «compte tenu des circonstances de l'espèce» signifie qu'un tribunal devrait, pour tirer une telle conclusion, détacher l'appelant de la société au sein de laquelle il vit. Le libellé législatif ne renvoie pas seulement aux circonstances de la personne, mais plutôt aux circonstances de l'affaire. Cette expression comprend certainement la personne dans son contexte global et elle fait intervenir le bien de la société et celui de la personne en particulier. Je ne peux concevoir que les considérations d'ordre social aient été envisagées de façon définitive par la mesure d'expulsion elle-même. À mon avis, l'alinéa 70(1)b) de la Loi exige qu'elles soient considérées de nouveau, mais cette fois-ci, de pair avec toutes les circonstances atténuantes pouvant être invoquées en faveur de l'expulsé[10]. (C'est moi qui souligne [en partie].)

À mon avis, l'arrêt Canepa n'est pas d'un grand secours pour l'appelant en l'espèce. Dans cette affairelà, il n'y a pas eu d'examen de la situation du pays vers lequel l'appelant devait être expulsé. La principale question dont la Cour était saisie dans cette affaire-là était de savoir si l'article 7 de la Charte s'appliquait pour empêcher l'expulsion de résidents permanents reconnus coupables de crimes. La Cour a jugé que ce n'était pas le cas. Elle a également jugé qu'une telle personne, sur le point d'être expulsée, avait le droit d'interjeter appel auprès de la SACISR conformément à l'alinéa 70(1)b) et le droit également à ce que soient prises en considération «toutes les circonstances atténuantes pouvant être invoquées en [sa] faveur». Dans cette affaire-là, la Commission avait pris en considération «[l]es circonstances de l'espèce» et sa décision de ne pas intervenir a été confirmée. Qui plus est, le juge MacGuigan, dans des motifs exposés seulement deux ans après l'arrêt Hoang, n'est aucunement revenu sur ce qu'il avait dit dans l'arrêt Hoang. En effet, dans le cadre de ses motifs, il a cité l'arrêt Hoang à deux reprises[11], bien que ce soit sur un point différent de celui examiné en l'espèce.

4.         Les affaires Al Sagban et Farhadi.

L'avocat de l'appelant invoque une décision très profonde de la Section de première instance de la Cour dans l'affaire Al Sagban[12], qui fait l'objet d'une décision distincte rendue aujourd'hui. J'éviterai donc d'en traiter directement en l'espèce.

L'avocat de l'appelant a également faite une brève allusion à la décision Farhadi[13] dont appel a été interjeté devant la Cour. Cette affaire traite d'une opinion, rendue en vertu de l'article 46.01 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9] de la Loi, selon laquelle une personne constitue un danger pour le public et dans laquelle l'évaluation du «danger pour le public» a été effectuée sans renvoi à la situation du pays vers lequel le demandeur pourrait être envoyé. Le juge Gibson a certifié deux questions de portée générale quant à savoir si une évaluation du risque qui accompagne un renvoi dans un pays doit être effectuée au préalable «pour que la décision de renvoyer la personne dans ce pays soit valide»[14].

Je suis d'avis que nous ne devrions pas faire de remarques sur cette affaire-là, sur laquelle la Cour devrait se prononcer en temps opportun. Je dois signaler, cependant, que l'affaire Farhadi soulève des questions concernant la torture, la justice fondamentale et une demande relative à la Charte qui n'ont pas été soulevées devant la Cour.

5.         L'examen par la Commission de la situation du Viêt-nam.

L'avocat de l'appelant prétend que, quelle que soit la décision de la Cour sur la question de la compétence, l'appelant doit obtenir gain de cause. C'est parce que, à son avis, la Commission et le juge des requêtes ont effectivement examiné la situation au Viêt-nam, l'une des destinations possibles, pour arriver à leurs décisions, tout en refusant d'examiner la situation au Cambodge, qui était une autre destination possible. S'il est interdit d'examiner la situation de l'un des pays où une personne peut être envoyée, il est également interdit de le faire pour toutes les destina­tions possibles, soutient-il. Bien que cette logique semble fondée jusqu'à un certain point, ce n'est pas convaincant. La preuve relative à la situation dans ces deux pays n'était pas pertinente ou admissible dans la présente affaire; elle n'aurait pas dû, comme il est expliqué dans les présents motifs, être admise ou examinée par la Commission ou la Cour. Bien que la Commission et le juge des requêtes aient effectivement mentionné le Viêt-nam, c'était une brève mention et sans conséquence pour arriver à leurs décisions respectives en l'espèce.

Conclusion et dispositif

Pour tous les motifs exposés ci-dessus, je suis d'avis de répondre ainsi à la question certifiée:

Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'avoir égard aux circonstances particulières de l'espèce, sous le régime de l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration, la section d'appel de la CISR ne peut pas examiner le pays (et sa situation) vers lequel l'appelant qui n'est pas un réfugié serait, selon la prépondérance des probabilités, renvoyé lorsqu'il s'agit de déterminer s'«il ne devrait pas être renvoyé du Canada».

Je suis donc d'avis de rejeter l'appel.

Le juge en chef Isaac: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.



[1] Conformément à l'art. 70(1)b) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] (la Loi).

[2] Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35 (C.A.F.). L'arrêt Hoang traitait du cas d'un réfugié.

[3] Voir (1996), 125 F.T.R. 76 (C.F. 1re inst.), à la p. 79.

[4] 4 Al Sagban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 C.F. 501 (1re inst.). La Cour a entendu les affaires Chieu et Al Sagban [[1998] F.C.J. no 1775 (C.A.) (QL)] séparément en novembre 1998, mais les décisions sont rendues en même temps dans les deux affaires.

[5] Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 270 (C.A.).

[6] Hoang, précité, note 2, à la p. 38.

[7] Passage cité dans (1996), 125 F.T.R. 76 (C.F. 1re inst.), à la p. 79

[8] Ribic c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] I.A.D.D. no 4 (C.A.I.) (QL), la mesure d'expulsion pour défaut de s'être marié dans les 90 jours suivant l'autorisation d'entrer au Canada a été annulée à la suite de l'évaluation des facteurs énumérés à la p. 8 [QL], infra.

[9] Voir Ribic, précitée, note 8, qui énonce ces facteurs, lesquels sont, entre autres, encore pertinents.

[10]Canepa, précité, note 5, à la p. 286.

[11]Ibid., aux p. 277 et 279.

[12]Précitée, note 4

[13]Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] 3 C.F. 315 (1re inst.).

[14]Ibid., à la p. 345

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