Adolfo Garcia c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration

Répertorié: Garcia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson–Ottawa, 10 novembre et 12 décembre 1994.

Citoyenneté et Immigration – Pratique en matière d'immigration – Contrôle judiciaire d'une décision rejetant une demande de dispense de l'obligation d'obtenir un visa, prévue à l'art. 9(1) de la Loi sur l'immigration – Le requérant n'a pas eu l'occasion de répondre au motif du rejet – On ne lui a pas communiqué les notes manuscrites prises au cours de l'entrevue – On s'est fondé sur des preuves extrinsèques qui n'avaient pas été produites par le requérant – Manquement au devoir d'équité.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision d'un agent d'immigration rejetant la demande présentée par le requérant en vue de se voir dispenser de l'obligation d'obtenir un visa, prévue au paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration. Le requérant, citoyen du Nicaragua, risque d'être renvoyé dans ce pays. À l'appui de sa demande d'exemption, le requérant s'appuyait sur la crainte subjective d'être renvoyé au Nicaragua, sur un état psychiatrique attesté, sur un réel attachement pour le Canada, attachement fondé sur les études et la formation suivies ici ainsi que sur l'appui de la communauté. Un agent de l'immigration avait, lors d'une entrevue relative au renvoi, pris des notes qui n'ont pas été communiquées au requérant. Le requérant n'a jamais eu l'occasion de répondre au motif du rejet de sa demande de dispense de visa, bien que la décision ait été fondée sur les notes en question. Il s'agissait principalement de décider si l'agent d'immigration avait manqué à son devoir d'équité.

Jugement: la demande est accueillie.

Le devoir d'équité varie en fonction des circonstances. Se fondant sur une preuve extrinsèque qui n'avait pas été produite par le requérant, l'agent d'immigration était tenue d'accorder à celui-ci l'occasion d'y répondre. Par «preuve extrinsèque non produite par le requérant», on entend des éléments de preuve dont le requérant n'est pas au courant parce qu'ils proviennent d'une source extérieure. Cela s'applique à la note manuscrite en question, même s'il s'agissait de notes prises au cours d'une entrevue avec le requérant. Cette note n'avait pas été rédigée par le requérant et rien ne permet de penser qu'il l'ait jamais eue sous les yeux ou qu'il en ait même connu l'existence. L'agent d'immigration était tenue de donner au requérant l'occasion de répondre à l'intention qu'elle avait de fonder sa décision sur cette note manuscrite. Dans la mesure où l'agent de l'immigration ne l'a pas fait, elle a manqué à son devoir d'équité en fondant sa décision sur une preuve extrinsèque qui n'avait pas été produite par le requérant et a en cela, commis une erreur susceptible d'entraîner la révision de sa décision.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 9(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4), 83(1) (mod., idem, art. 73), 114(2) (mod., idem, art. 102).

Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration, DORS/93-22, Règle 17.

jurisprudence:

décision appliquée:

Dasent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] F.C.J. no 1902 (1re inst.) (QL).

distinction faite avec:

Shah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.); Shah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 55 F.T.R. 87 (C.F. 1re inst.).

décisions mentionnées:

Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC 14,181; 23 N.R. 410; Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 205; (1986), 18 Admin. L.R. 243; 66 N.R. 8 (C.A.).

DEMANDE de contrôle judiciaire visant la décision d'un agent d'immigration rejetant la demande de dispense de l'obligation d'obtenir un visa, prévue au paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration. Demande accueillie.

avocats:

Chantal Tie pour le requérant.

Linda Wall pour l'intimé.

procureurs:

South Ottawa Community Legal Services, Ottawa, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Gibson:

Voici les motifs de l'ordonnance visant la demande de contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration, en date du 22 juin 1993, rejetant la demande présentée le 7 juin 1993 par le requérant, en vertu du paragraphe 114(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102] de la Loi sur l'immigration, en vue de se voir dispenser de l'obligation d'obtenir un visa, prévue au paragraphe 9(1) de cette Loi sur l'immigration[1].

Le requérant est citoyen du Nicaragua. Il est arrivé au Canada le 21 mai 1987. Il risque d'être renvoyé au Nicaragua.

Les faits entourant cette demande se résument de la manière suivante. Avant son arrivée au Canada, le requérant avait participé activement, au Nicaragua, à l'action des rebelles de la «contra», opposés au gouvernement sandiniste. Il a mené ses activités antisandinistes aussi bien au Nicaragua qu'au Honduras, où il a vécu en exil pendant quatre ans avant de venir au Canada. Il a revendiqué, dès son arrivée au Canada, le statut de réfugié au sens de la Convention. En octobre 1991, le tribunal administratif chargé de vérifier le minimum de fondement de la revendication, par le requérant, du statut de réfugié au sens de la Convention a décidé que sa demande ne possédait pas ce minimum de fondement. Cette décision était motivée par le changement de situation intervenu au Nicaragua. Le requérant a obtenu, de la Cour d'appel fédérale, l'autorisation de solliciter le contrôle judiciaire de cette décision sur le minimum de fondement. Le 17 mars 1993, sa demande de contrôle judiciaire était rejetée par la Cour d'appel fédérale.

À l'appui de sa demande visant à se faire dispenser de l'obligation d'obtenir un visa, prévue au paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, le requérant a versé au dossier quarante-cinq pages de document. On y trouve des preuves documentaires, qui n'avaient pas été produites à l'appui de sa revendication du statut de réfugié, touchant le traitement auquel s'exposaient les membres de la contra renvoyés au Nicaragua, traitement infligé hors de toute procédure judiciaire et pouvant aller jusqu'à l'exécution. Ces documents comprenaient également des attestations médicales concernant son état psychiatrique fragile, pour lequel il était suivi médicalement depuis 1988, selon lesquelles le requérant envisagerait très sérieusement le suicide s'il devait être renvoyé au Nicaragua. Enfin, le dossier contenait également des documents en rapport avec la scolarité du requérant, et les emplois qu'il avait occupés au Canada, tout cela devant démontrer qu'il était parvenu à s'établir effectivement au Canada.

Après sa demande de dispense de l'obligation d'obtenir un visa, le requérant n'a pas obtenu d'entrevue, pas plus qu'il n'a eu l'occasion de répondre aux interrogations que son cas aurait pu inspirer à l'agent d'immigration chargé d'examiner sa demande.

Le dossier certifié déposé en l'espèce par l'intimé, conformément à la Règle 17 des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration[2], permet de constater que l'agent d'immigration chargé d'examiner la demande de dispense de l'obligation d'obtenir un visa avait en sa possession l'intégralité du dossier d'immigration du requérant, c'est-à-dire non seulement les documents concernant la demande de statut de réfugié présentée par le requérant, mais également tous les documents qu'il avait déposés à l'appui de sa demande de dispense de visa. À la page un du dossier certifié, on trouve cette note manuscrite:

[traduction] Après avoir examiné le dossier en entier, je ne relève aucune raison d'ordre humanitaire, ou de considération prévue par les règlements, justifiant que l'on accorde en l'occurrence une mesure spéciale. Notons que lors de son entrevue du mois de mai 1992, M. Garcia a demandé «Pourquoi cherche-t-on à séparer la famille?», puisqu'il affirmait dépendre de ses parents, aussi bien financièrement qu'à d'autres égards. Ses parents sont retournés au Nicaragua en juin 1993 et il n'a donc plus de proches au Canada. Veuillez transmettre à M. Garcia ma décision et procéder à son renvoi.

L'avocate du requérant comparaissant devant moi me renvoie aux pages 87 et 88 du dossier certifié, qui semblent être des notes manuscrites prises au cours d'une entrevue, relative au renvoi, tenue en mai 1992 avec le requérant et ses parents. Il ressort de ces notes qu'elles ont été prises par un agent d'immigration. Rien ne permet de penser que le requérant en ait jamais eu connaissance. Le requérant n'a jamais déclaré, à l'appui de sa demande de dispense de visa, combien ses liens avec ses parents étaient importants pour lui. En effet, il ressort clairement des documents produits par le requérant que la crainte qu'il éprouvait à l'idée d'être renvoyé au Nicaragua l'emportait de loin sur les avantages que pourrait lui procurer un retour dans son pays, y compris la possibilité de rétablir un lien avec ses parents.

Le requérant n'a pas eu l'occasion de répondre au motif du rejet de sa demande de dispense de visa tel qu'il ressort de la note manuscrite citée plus haut. Et ce, bien que le motif ait été lui-même fondé sur les notes prises au cours d'une entrevue qui avait eu lieu quelque deux années auparavant, et jamais communiquées au requérant.

Dans l'affaire Shah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration[3], le juge Hugessen de la Cour d'appel, énonçant à l'audience les motifs de la décision de la Cour, a déclaré [à la page 239]:

Il est bien établi que la teneur de l'obligation d'agir équitablement varie selon les circonstances. En l'espèce, nous sommes tous d'avis que la teneur de cette obligation était minimale.

Cette affaire portait, elle aussi, sur une demande de dispense, pour raisons d'ordre humanitaire, de l'obligation d'obtenir un visa, prévue au paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, les circonstances précises étant exposées dans les motifs d'ordonnance énoncés par le juge en chef adjoint Jerome dans le cadre de l'appel auquel cette affaire avait donné lieu[4]. D'après ces motifs, il s'agissait de décider si le mariage du requérant et d'une résidente permanente du Canada créait des raisons d'ordre humanitaire suffisamment puissantes pour justifier que l'on accorde au requérant, au Canada même, le droit d'établissement. L'agent d'immigration dont la décision était mise en cause, avait conclu que ce mariage avait été contracté uniquement pour contourner les règles d'immigration et qu'il n'avait donc pas donné naissance à des raisons d'ordre humanitaire de nature à justifier l'octroi, au Canada même, du droit d'établissement. Dans cette affaire, le requérant et son épouse avaient été interrogés séparément, après quoi, les deux l'avaient été ensemble.

Les faits de l'affaire Shah sont fort différents des circonstances de l'affaire qui m'est soumise ici. En l'espèce, les raisons d'ordre humanitaire ont trait à la crainte qu'inspire au requérant l'idée d'être renvoyé au Nicaragua, à son état psychiatrique fragile et à l'importance de l'attachement qu'il a formé pour le Canada depuis son arrivée il y a plus de sept ans, cet attachement ne devant rien au mariage avec une résidente permanente du Canada ou une citoyenne de ce pays.

À l'appui de l'idée avancée par le juge Hugessen et citée plus haut, selon laquelle le devoir d'équité varie en fonction des circonstances, on se référera à cet extrait des motifs du juge en chef Laskin, énoncés au nom de la majorité dans l'affaire Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police[5]:

En bref, bien qu'à mon avis l'appelant ne puisse pas réclamer la protection de la procédure prévue pour un agent de police engagé depuis plus de dix-huit mois, on ne peut lui refuser toute protection. On doit le traiter «équitablement» et non arbitrairement. J'accepte donc aux fins des présentes et comme un principe de common law ce que le juge Megarry a déclaré dans Bates v. Lord Hailsham . . . «dans le domaine de ce qu'on appelle le quasi-judiciaire, on applique les règles de justice naturelle et, dans le domaine administratif ou exécutif, l'obligation générale d'agir équitablement». [La note en bas de page est omise.]

Plus loin, dans les motifs du jugement Shah, le juge Hugessen, de la Cour d'appel, déclare [aux pages 239 et 240]:

En l'espèce, le requérant ne doit pas répondre à des allégations dont il faut lui donner avis; c'est plutôt à lui de convaincre la personne investie d'un pouvoir discrétionnaire qu'il doit recevoir un traitement exceptionnel et obtenir une dispense de l'application générale de la loi. La tenue d'une audition et l'énoncé des motifs de la décision ne sont pas obligatoires. L'agente n'a pas l'obligation d'exposer au requérant les conclusions éventuelles qu'elle est susceptible de tirer des éléments dont elle dispose, ni même les éléments en apparence contradictoires qui sèment le doute dans son esprit. Si elle entend se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par le requérant, elle doit bien sûr lui donner l'occasion d'y répondre. Toutefois, lorsqu'elle décèle l'existence d'éléments contradictoires, son omission de les porter expressément à l'attention du requérant peut avoir une incidence sur le poids qu'elle doit leur accorder par la suite, mais ne porte pas atteinte au caractère équitable de sa décision. Toute remarque incidente tirée des décisions H.K. (An Infant), Re; Kaur c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Ramoutar c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, qui pourrait être invoquée à l'appui de la prétention contraire, doit être interprétée dans ce sens. [Les citations sont omises.]

La première interrogation que suscite cette dernière citation est celle-ci: l'espèce est-elle une affaire analogue? C'est-à-dire, l'affaire qui m'est soumise est-elle semblable à l'affaire Shah dont a eu à connaître la Cour d'appel fédérale? Bien qu'il s'agisse, dans les deux cas, de demandes de dispense de visa fondées sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, les circonstances étaient dans les deux cas très différentes. Il ne s'agit pas, en l'espèce, d'une demande fondée sur un «mariage contracté de bonne foi» mais, je le répète, d'une demande qui s'appuie sur ce qui semblerait être, du moins à mes yeux, la crainte subjective d'être renvoyé au Nicaragua, ainsi que sur un état psychiatrique attesté et sur un réel attachement pour le Canada, attachement qui découle non pas d'un mariage, mais des études et de la formation suivies ici et de l'appui de la communauté.

En l'absence d'autres indications de la part de la Cour d'appel fédérale, j'estime qu'il ne s'agit pas, en l'espèce, d'une affaire analogue à l'affaire Shah dont a eu à connaître la Cour d'appel fédérale.

Même si c'est à tort que j'en conclus ainsi, il reste une autre question à régler. L'agent qui a pris la décision ici en cause, s'est-elle fondée sur une preuve extrinsèque qui n'avait pas été produite par le requérant? Si tel a effectivement été le cas, comme l'indique le deuxième passage de l'arrêt Shah, cité plus haut, l'agent d'immigration était tenue de donner au requérant l'occasion de répondre à cette preuve.

Dans l'affaire Dasent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6], le juge Rothstein s'est penché sur la question de savoir ce qu'on entend par une preuve extrinsèque non produite par un requérant. Ainsi, d'après lui:

L'expression «éléments de preuve extrinsèques» désigne habituellement des documents ambigus. Dans ce contexte, les éléments de preuve extrinsèques se composent de déclarations, de faits ou de circonstances dont il n'est pas fait mention dans le document, mais qui ont pour but d'expliquer, de modifier ou de contredire celui-ci. La présentation de ce type de preuve n'est pas souvent autorisée. Dans le cas qui nous occupe, compte tenu de l'utilisation par le juge Hugessen des mots «qui ne lui sont pas fournis par le requérant» à l'égard de l'expression «éléments de preuve extrinsèques» et de son renvoi à l'affaire Muliadi, la Cour interprète l'expression «éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par la partie requérante» comme des éléments de preuve dont la partie requérante n'est pas au courant parce qu'ils proviennent d'une source extérieure. Il s'agit d'éléments de preuve dont la partie requérante ignore l'existence et que l'agent d'immigration a l'intention d'invoquer pour en arriver à une décision touchant cette partie. Si ces éléments de preuve comprennent des renseignements obtenus d'une partie extérieure, comme ceux de l'affaire Muliadi, il est difficile de dire pourquoi ils ne comprendraient pas également les éléments de preuve obtenus d'un conjoint en l'absence de la partie requérante ou d'autres renseignements qui se trouvent dans le dossier de l'immigration et qui ne proviennent pas de la partie requérante ou dont la connaissance ne peut raisonnablement lui être imputée.

De l'avis de la Cour, la question qu'il faut se poser est celle de savoir si la requérante a eu connaissance des renseignements de façon à pouvoir corriger les malentendus ou les fausses déclarations susceptibles de nuire à sa cause. La source des renseignements ne constitue pas un élément distinctif en soi, en autant que les renseignements ne sont pas connus de la partie requérante. Ce qu'il faut savoir, c'est si celle-ci a eu la possibilité de répondre à la preuve. C'est ce que les règles d'équité sur le plan de la procédure exigent, selon une jurisprudence établie depuis longtemps. Pour reprendre les commentaires bien connus que Lord Loreburn L.C. a formulés dans l'affaire Board of Education v. Rice, [1911] A.C. 179 (C.L.), p. 182:

Ils peuvent obtenir des renseignements de la façon qu'ils jugent la meilleure, en accordant toujours à ceux qui sont parties au différend la possibilité raisonnable de corriger ou de contredire toute affirmation pertinente qui est préjudiciable à leur opinion.  [J'ai ajouté les soulignements pour faire ressortir certaines parties du texte[7]]

Compte tenu des circonstances de la présente affaire, et des propos du juge Rothstein, auxquels je souscris en ce qui concerne leur application en l'espèce, je conclus que la note manuscrite en date du mois de mai 1992, qui figure aux pages 87 et 88 du dossier certifié du tribunal administratif ayant rendu la décision en cause–et bien qu'il s'agisse de notes prises au cours d'une entrevue avec le requérant–constitue, aux fins de la présente demande, une «preuve extrinsèque, non produite par le requérant». Ce n'est pas le requérant qui a rédigé la note en question. Rien ne permet de penser qu'il l'ait jamais eue sous les yeux. Cette note ne faisait pas partie des documents qu'il avait lui-même produits à l'appui de sa demande de dispense de visa. Rien ne permet de penser qu'il en ait même connu l'existence. Compte tenu de ce que le devoir d'équité englobe, selon le juge Hugessen, J.C.A., dans des circonstances comme celles dont il a eu à connaître dans l'affaire Shah, l'agent d'immigration chargée de trancher la demande de dispense de visa présentée en l'occurrence par le requérant, avait le devoir de donner à celui-ci l'occasion de répondre à l'intention qu'elle avait de fonder sa décision sur cette note manuscrite. Dans la mesure où l'agent d'immigration ne l'a pas fait–même s'il s'agit d'une affaire analogue à celle dont la Cour d'appel fédérale a été saisie dans l'arrêt Shah–et je ne suis pas convaincu qu'elle le soit, l'agent d'immigration a manqué à son devoir d'équité en fondant sa décision sur une preuve extrinsèque qui n'avait pas été produite par le requérant. En agissant de la sorte, elle a commis une erreur susceptible d'entraîner la révision de sa décision.

Pour l'ensemble de ces motifs, je conclus que la présente demande doit être accueillie.

À l'issue de l'audience, j'ai consulté les avocates des parties sur le point de savoir si cette affaire soulevait ou non une question grave, ou des questions d'importance générale devant à ce titre être certifiées conformément au paragraphe 83(1) [mod., idem, art. 73] de la Loi sur l'immigration. J'ai accordé aux avocates des parties le temps nécessaire pour me présenter des observations écrites sur ce point. Le délai prévu a depuis expiré et j'ai reçu des avocates des deux parties des observations écrites à cet égard.

L'avocate du requérant propose que l'on certifie la question suivante:

S'agissant de savoir ce qu'englobe le «devoir d'équité» dû à un requérant dans le cadre d'une demande fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, le jugement Syed Shah et Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration s'applique-t-il seulement aux affaires portant sur des faits analogues, ou le devoir d'équité englobe-t-il d'autres éléments lorsque sont en cause les droits garantis au requérant par la Charte? On pourrait ainsi se demander si le devoir d'équité englobe les mêmes éléments lorsque la demande présentée en vertu du paragraphe 114(2) se réfère à des circonstances mettant en cause la vie, la liberté ou la sécurité du requérant, c'est-à-dire des droits consacrés par l'article 7 de la Charte?

L'avocate de l'intimé a soutenu qu'il n'y avait pas lieu de certifier de question en l'espèce, faisant valoir notamment que, dans la mesure où le requérant n'avait développé, devant la Cour, aucun argument fondé sur les dispositions de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], en certifiant une question dans la forme proposée par l'avocate du requérant,

[traduction] . . . on risquerait de voir l'affaire tranchée par la Cour d'appel au vu d'un dossier incomplet au niveau des faits (MacKay et autres c. Le gouvernement du Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357).

J'ai décidé de certifier deux questions sous la forme suivante:

1. S'agissant de savoir ce que comprend le «devoir d'équité» envers un requérant qui dépose une demande fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, le jugement rendu dans l'affaire Syed Shah c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration s'applique-t-il seulement aux affaires portant sur des faits analogues, ou s'applique-t-il à toutes les demandes de dispense de visa fondées sur le paragraphe 114(2) ou, plus précisément, aux cas où la demande de dispense est liée à la crainte subjective d'être renvoyé dans le pays dont le requérant est citoyen, ou à un état psychiatrique fragile et à une présumée intégration effective à la société canadienne, telle que démontrée par de solides preuves fournies par le requérant?

2. Si le «devoir d'équité» dû à un requérant lors d'une demande de dispense de visa fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration s'applique dans tous les cas, de la manière énoncée dans l'affaire Syed Shah c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration ou s'il s'applique en l'espèce, comme il a été appliqué dans l'affaire Syed Shah, les renseignements sur lesquels se fonde l'agent d'immigration, et qui, tout en se trouvant dans le dossier d'immigration du requérant, n'ont pas été fournis par celui-ci, ou, s'agissant de notes prises dans le cadre d'une entrevue à laquelle le requérant a pris part, n'ont pas été communiqués au requérant, constituent-ils une preuve extrinsèque qui n'a pas été produite par le requérant et à laquelle le requérant qui demande une dispense de visa doit avoir l'occasion de répondre?

Sur demande présentée oralement au nom de l'intimé en début d'audience, sans que ne s'y oppose l'avocate du requérant, j'ai accepté de modifier l'intitulé de la cause afin que figure, à titre d'intimé, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.



[1] L.R.C. (1985), ch. I-2 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4].

[2] DORS/93-22.

[3] (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.).

[4] (1992), 55 F.T.R. 87 (C.F. 1re inst.).

[5] [1979] 1 R.C.S. 311, à la p. 324.

[6] [1994] F.C.J. no 1902 (1re inst.) (QL).

[7] L'affaire Muliadi citée est la décision Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.).

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