Résumé des Préoccupations d'Amnesty International

Résumé

Amnesty International continue de recueillir des informations sur tout un ensemble très inquiétant de violations des droits de l'homme commises au Guatémala. On continue de signaler des exécutions extrajudiciaires, des "disparitions", des cas de torture, des menaces de mort et des manoeuvres de harcèlement et d'intimidation. Nombreuses sont les catégories de personnes victimes de ces violations. On y trouve des syndicats et des organisations populaires, des défenseurs des droits de l'homme, des journalistes, des étudiants, des religieux, des personnes qui tentent d'enquêter sur les violations des droits de l'homme commises dans le passé, des témoins, d'anciens réfugiés ou des personnes déplacées revenant au pays, ou encore des enfants des rues. On juge particulièrement alarmant cette année le nombre élevé de menaces et d'attaques dont ont été victimes les défenseurs des droits de l'homme. Certains ont reçu des menaces de mort, orales ou écrites, en raison de leur action. D'autres ont été victimes d'agressions et tués. Ces violations des droits de l'homme sont pour la plupart à mettre au passif de la police, des forces armées ou des patrouilles civiles créées par l'armée. Le gouvernement a également encouragé la constitution de nouvelles brigades civiles d'"autodéfense", qui doivent être armées et entraînées par les militaires. Ces groupes ainsi que d'autres formations d'autodéfense du même type ont été impliqués dans des violences à l'encontre de personnes qui étaient tenues pour des opposants au gouvernement, camouflant, semble-t-il, ces agressions en crimes de droit commun pour éviter d'avoir à rendre compte de leurs actes.

La lumière n'a pas encore été faite sur les dizaines de milliers de violations des droits de l'homme commises dans le passé, et l'on a guère progressé dans ce sens. Les coupables continuent de bénéficier d'une impunité presque totale. À ce jour, aucun des individus responsables de la mort de milliers de personnes à la fin des années 70 et au début des années 80, alors que la campagne anti-insurrectionnelle de l'armée battait son plein, n'a été traduit en justice. En 1995, des groupes de médecins légistes indépendants ont procédé à de nouvelles exhumations sur des sites où des exécutions extrajudiciaires massives avaient été signalées pendant cette période. On a ainsi retrouvé des centaines de restes humains, mais Amnesty International n'a eu connaissance d'aucun cas où des instances officielles aient entrepris d'enquêter sur la manière dont ces personnes étaient mortes ou sur l'identité des responsables. Au lieu de cela, des membres des familles des victimes, des témoins et des défenseurs des droits de l'homme qui avaient participé aux exhumations ont eux-mêmes été menacés et harcelés.

Ceci est le résumé d'un document de 9 pages intitulé Guatémala. Résumé des préoccupations d'Amnesty International (janvier 1995 - janvier 1996) (index AI : AMR 34/03/96 - ÉFAI 96 RN 033), publié par Amnesty International en février 1996. Si vous désirez obtenir de plus amples informations ou souhaitez entreprendre une action à ce sujet, veuillez consulter le document intégral.

Introduction : Des violations des droits de l'homme systématiques

Amnesty International continue de recueillir des informations sur tout un ensemble très inquiétant de violations des droits de l'homme commises au Guatemala. On continue de signaler des exécutions extrajudiciaires, des "disparitions", des cas de torture, des menaces de mort, des manoeuvres de harcèlement et d'intimidation. Nombreuses sont les catégories de personnes victimes de ces violations. On y trouve des syndicats et des organisations populaires, des défenseurs des droits de l'homme, des journalistes, des étudiants, des religieux, des personnes qui tentent d'enquêter sur les violations des droits de l'homme commises dans le passé, des témoins, d'anciens réfugiés ou personnes déplacées revenant au pays, ou encore des enfants des rues. On juge particulièrement alarmant cette année le nombre élevé de menaces et d'attaques dont ont été victimes les défenseurs des droits de l'homme. Certains ont reçu des menaces de mort, orales ou écrites, en raison de leur action. D'autres ont été victimes d'agressions et tués.

Ces violations des droits de l'homme sont pour la plupart à mettre au passif de la police, des forces armées ou des patrouilles civiles créées par l'armée. De plus, tirant argument de l'augmentation du taux de criminalité dans les villes, le gouvernement aurait encouragé la constitution de nouvelles brigades civiles d'"autodéfense", qui doivent être armées et entraînées par les militaires. Il semble que celles-ci, de même que d'autres groupes d'autodéfense du même type qui, apparemment, opèrent aussi avec la complicité des autorités, se soient livrés à des actions de « purification sociale », tuant, entre autres, des membres de bandes de jeunes impliquées dans des délits mineurs. Ces nouveaux "escadrons de la mort" se sont aussi livrés à des violences à l'encontre de personnes qui étaient tenues pour des opposants au gouvernement, camouflant, semble-t-il, ces agressions en crimes de droit commun pour éviter d'avoir à rendre compte de leurs actes.La lumière n'a pas encore été faite sur les dizaines de milliers de violations des droits de l'homme commises dans le passé, et l'on a guère progressé dans ce sens. Les coupables continuent de bénéficier d'une impunité presque totale. En août, la Sous-commission des Nations unies de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités a fait part de sa profonde inquiétude devant l'impunité dont jouissent les auteurs de violations des droits de l'homme et devant l'incapacité du pouvoir judiciaire à amener les auteurs et les instigateurs de ces actes devant les tribunaux. Se faisant en cela l'écho d'informations et de déclarations de la Mission des Nations unies pour le Guatemala (MINUGUA), ainsi que de Mónica Pinto, expert spécial des Nations unies, la sous-commission a conclu que la majorité des abus signalés constituaient des violations des droits à la vie, à l'intégrité physique et à la sécurité des personnes, et que des fonctionnaires de l'État étaient directement impliqués dans ces faits, ou avaient failli à leur devoir de garantir ces droits aux citoyens.

À ce jour, aucun des individus responsables de la mort de milliers de personnes à la fin des années 70 et au début des années 80, alors que la campagne anti-insurrectionnelle de l'armée battait son plein, n'a été traduit en justice. En 1995, des groupes de médecins légistes indépendants ont procédé à de nouvelles exhumations sur des sites où des exécutions extrajudiciaires massives avaient été signalées pendant cette période. On a ainsi retrouvé des centaines de restes humains, mais Amnesty International n'a eu connaissance d'aucun cas où des instances officielles aient entrepris d'enquêter sur la manière dont ces personnes étaient mortes ou sur l'identité des responsables. Au lieu de cela, des membres des familles des victimes, des témoins et des défenseurs des droits de l'homme qui avaient participé aux exhumations ont eux-mêmes été menacés ou harcelés. Les pourparlers de paix engagés sous l'égide des Nations unies entre le gouvernement guatémaltèque et l'Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca (URNG, Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque) ont continué tout au long de l'année 1995. Les négociations qui, au départ, devaient prendre fin en décembre 1994, n'étaient pas encore arrivées à leur terme à la fin de 1995. Une fois l'accord de paix signé, la Comisión para el esclarecimiento histórico de las violaciones a los derechos humanos y los hechos de violencia que han causado sufrimiento a la población guatemalteca (Commission chargée de faire la lumière sur les atteintes aux droits de l'homme et les actes de violence à l'origine des souffrances du peuple guatémaltèque, dite "Commission de la vérité"), qui a fait l'objet d'un accord en juin 1994, devrait commencer ses travaux. Son mandat est toutefois très limité puisqu'elle n'est pas habilitée à divulguer les noms des personnes responsables de violations des droits de l'homme ni à engager des poursuites judiciaires à leur encontre.

En mars, les deux parties ont signé un accord sur l'identité et les droits des peuples indigènes (Acuerdo sobre identidad y derechos de los pueblos indígenas). La Misión de las Naciones Unidas de Verificación de Derechos Humanos en Guatemala (MINUGUA, Mission des Nations unies pour le Guatémala), qui applique les termes de l'accord global sur les droits de l'homme signé par les deux parties en mars 1994, a eu connaissance d'un grand nombre de violations des droits fondamentaux commises tout au long de l'année. De même, on a signalé des infractions à l'Accord pour la réinstallation des populations déracinées par le conflit armé, signé en juin 1994. Il s'agit en particulier du massacre de onze anciens réfugiés et personnes déplacées à Xamán (ville de Chisec), dans le département d'Alta Verapaz, le 5 octobre 1995.

En juin 1995, l'ancien président Ramiro de León Carpio a annoncé la démobilisation des comisionados militares (auxiliaires militaires, agents civils dépendant de l'armée), soit plus de 24 000 personnes, à compter du 15 septembre, conformément aux dispositions de l'accord sur les droits de l'homme de mars 1994. Ces auxiliaires font, depuis les années 30, office de représentants locaux de l'armée et ont été responsables de conscriptions forcées, de la transmission de renseignements à l'armée et de l'élimination de personnes soupçonnées d'être des opposants politiques. Ils ont été mêlés à de nombreuses atteintes aux droits de l'homme, notamment au meurtre, en juin 1995, du pasteur presbytérien Manuel Saquic Vásquez. On continue de signaler des cas d'enrôlement forcé dans les rangs de l'armée, bien que le gouvernement soutienne que cette pratique appartient désormais au passé. Les groupes locaux de défense des droits de l'homme craignent que les auxiliaires militaires, qui seraient, aujourd'hui encore, armés, ne continuent d'opérer en tant que civils, la dissolution officielle de leur corps ne servant, en fin de compte, qu'à leur accorder une amnistie de fait.

Dans la période qui a précédé les élections de novembre, le gouvernement et l'opposition armée sont tombés d'accord sur un cessez-le-feu, qui a été conclu au mois d'août. Il s'agissait de la première trêve en trente-cinq années de guerre civile. Avant cela, le gouvernement n'avait cessé d'accuser l'opposition d'être à l'origine de dommages matériels inutiles, de faire courir des risques à la population civile en attaquant des installations militaires et d'imposer aux civils le versement de "taxes de guerre".

Exécutions extrajudiciaires

En 1995, Amnesty International a continué de recevoir des informations faisant état de nouvelles exécutions extrajudiciaires. En septembre, le procureur des droits de l'homme du Guatemala a déclaré qu'il avait déjà recensé 159 cas d'homicides de ce genre pour l'année en cours ; certains groupes de défense des droits de l'homme faisaient toutefois état de chiffres beaucoup plus élevés. Dans la plupart des cas, les principaux services gouvernementaux responsables de mener des enquêtes sur les faits de cette nature, en particulier le ministère public (Ministerio Público), la police nationale (Policía Nacional) et la magistrature, n'ont pas pris les mesures qu'il convenait et n'ont pas traduit les responsables en justice. On trouvera ci-après quelques-uns des cas qui ont été portés à la connaissance d'Amnesty International.

Le 7 juillet 1995, on a retrouvé dans une tombe anonyme le corps d'un pasteur protestant, Manuel Saquic Vásquez. Le religieux avait été égorgé et son corps présentait 33 blessures, résultat de coups de couteau. Manuel Saquic, qui était également coordonnateur d'un Comité des droits de l'homme (Comité de Derechos Humanos) maya kaqchikel à Panabajal, dans le département de Chimaltenango, avait "disparu" à la suite de son enlèvement, le 23 juin précédent. Des habitants de Panabajal ont déclaré que c'était l'auxiliaire militaire local qui, en compagnie de ses deux fils, tous deux agents de la sécurité dans l'armée, avaient tué le pasteur Saquic, à titre de représailles pour son action en faveur des droits de l'homme et parce qu'il avait été l'unique témoin de l'enlèvement - de courte durée - d'un autre membre du Comité des droits de l'homme à Panabajal. Les autorités ont été abondamment critiquées pour avoir dissimulé les informations relatives au corps du défunt et pour avoir refusé de coopérer avec l'église presbytérienne et avec la MINUGUA.

Cette mort survenait près d'un an après celle d'un autre membre du comité, Pascual Serech, tué en août 1994. Pascual Serech militait activement pour qu'un terme soit mis au service forcé dans les formations connues sous le nom de patrouilles civiles, ainsi qu'à l'enrôlement forcé de jeunes villageois dans les rangs de l'armée. Il demandait en outre qu'il soit mis fin aux nombreuses violations des droits de l'homme, "disparitions" et exécutions extrajudiciaires notamment, que les militaires commettaient apparemment dans la région. Selon les gens du village, l'auxiliaire militaire local et ses deux fils étaient impliqués dans ce meurtre. Le juge auquel on a confié l'enquête sur la mort de Pascual Serech a lui-même été abattu, d'une manière qui ressemblait fort à une exécution, en août 1994, peu de temps après qu'il eut ordonné la mise en détention des personnes estimées responsables de la mort de la victime. Les détenus ont alors été remis en liberté.

Dans les mois qui ont suivi, trois membres du clergé, dont le secrétaire général de la Conférence des Églises protestantes, le révérend Vitalino Similox, ont reçu des menaces de mort dans lesquelles on leur conseillait de cesser leurs recherches concernant la mort de Manuel Saquic. Ces menaces étaient signées par un groupe se présentant sous le nom de "Jaguar justicier". Des membres de la famille de Manuel Saquic et certains de ses collègues auraient, eux aussi, reçu des menaces de mort. À la connaissance d'Amnesty International, les enquêtes sur le décès de Manuel Saquic en sont au point mort.

Le 5 octobre 1995, onze personnes ont été tuées et environ 17 blessées quand des soldats ont ouvert le feu sur des réfugiés et des personnes déplacées que l'on avait réinstallées à Xamán (ville de Chisec), dans le département d'Alta Verapaz. Les villageois considéraient que la présence de l'armée dans leur communauté constituait une infraction aux accords conclus sous l'égide des Nations unies, qui garantissaient la sécurité des réfugiés et des personnes déplacées revenues au pays. Une bagarre a éclaté après que les villageois eurent déclaré qu'ils allaient signaler l'affaire à la MINUGUA. L'officier commandant le groupe a alors ordonné aux soldats d'ouvrir le feu, après avoir d'abord lancé une annonce par radio. Parmi les personnes tuées se trouvait un garçon de huit ans, qui aurait été abattu alors que les soldats battaient en retraite. Trois soldats auraient également été blessés, atteints par les tirs de leur propre groupe. Au départ, les responsables officiels ont nié toute participation de l'armée, pour finalement déclarer que la patrouille avait été attaquée après être entrée dans Xamán à l'invitation des habitants du village. L'événement a entraîné la démission du général Mario Enríquez, ministre de la Défense, et le président de León a annoncé la création d'une commission d'enquête de haut niveau. L'ensemble des membres de la patrouille auraient été arrêtés, et l'affaire portée devant un tribunal militaire.

Fin janvier 1996, la Cinquième chambre de la Cour d'appel de Jalapa (Sala Quinta de la Corte de Apelaciones) a créé un précédent en décidant de renvoyer l'affaire devant une juridiction civile. Le procureur général (Fiscal General) Ramses Cuestas a qualifié la décision de la Cour d'appel d'« historique pour la jurisprudence guatémaltèque » (« histórico para la jurisprudencia guatemalteca »), déclarant que « les critères selon lesquels les membres des forces armées doivent être jugés par des militaires ne tiennent pas lorsque les militaires en cause commettent des délits à l'encontre de civils. Dans ces cas, les accusés doivent être jugés par les tribunaux ordinaires » (« no se puede sostener el criterio de que los militares deben ser juzgados por militares, cuando estos cometen delitos contra civiles. En esta clase de casos los imputados deben ser juzgados en los tribunales del orden común »). Le 2 décembre 1995, on a retrouvé le corps de Lucina Cárdenas, Mexicaine, fondatrice d'une coopérative féminine de textiles à Quetzaltenango, au Guatémala. Le corps portait des marques de torture, notamment des brûlures de cigarette, et des blessures par balle. Elle avait été enlevée le 27 novembre, après que des agresseurs inconnus eurent tiré sur le camion dans lequel elle se rendait de la frontière mexicaine jusqu'à Quetzaltenango. On ne sait pas exactement qui est responsable de sa mort, mais d'autres cas similaires ont été signalés dans la région. Le plus souvent, les rapports les concernant indiquent que des personnes, après avoir passé la douane aux postes frontières d'El Carmen ou de Tecun Uman, à leur retour des États-Unis ou du Mexique, ont ensuite été attaquées et dévalisées, et parfois même enlevées et tuées. Certains éléments portent à croire que des membres de la police locale et de l'armée, des douaniers et des agents de sécurité privés ont pu participer à ces agressions. Dans tous ces cas, les enquêtes qui auraient dû être menées par les autorités compétentes, c'est-à-dire le ministère public et la police, ou n'ont pas été engagées, ou se sont révélées insuffisantes. Dans certains cas, des parents des victimes qui essayaient de mener eux-mêmes l'enquête ont reçu des menaces de mort.

"Disparitions"

Des "disparitions" ont encore été signalées en 1995, bien qu'en moins grand nombre que précédemment. Amnesty International a eu notamment connaissance du cas d'Arnoldo Xi. Arnoldo Xi, paysan indigène et membre de la Coordinadora Nacional Indigena y Campesina (CONIC, Coordination nationale indigène et paysanne), a été blessé par balle et enlevé le 23 mars 1995. Il cheminait, en compagnie d'un autre homme, le long d'une route, non loin de la communauté de Matacuy (Purula), dans le département de Baja Verapaz, quand des hommes fortement armés circulant à bord d'une voiture rouge se sont approchés d'eux et ont ouvert le feu. Arnoldo Xi a été touché, les individus l'ont hissé à bord de leur véhicule, et ils sont partis. Son compagnon est sorti indemne de l'attaque, qui était liée à un litige foncier qui opposait des membres de la communauté tixila à un propriétaire terrien qui exigeait d'eux qu'ils quittent des terres qu'ils occupaient et qui, selon lui, lui appartenaient. Les paysans, qui cultivaient ces terrains depuis des années, contestaient ses droits de propriéte sur le domaine. On pense que des agents de sécurité privés armés à la solde du propriétaire sont les auteurs des coups de feu et de l'enlèvement d'Arnoldo Xi. Les agents de sécurité privés opèrent fréquemment en collaboration avec les forces de sécurité officielles et avec leur accord, et sont bien souvent agréés par la police nationale. Arnoldo Xi n'a pas reparu depuis lors.

Torture

On continue d'avoir recours à la torture, principalement à l'encontre des personnes soupçonnées d'infractions de droit commun. L'organe des forces de sécurité le plus souvent cité par les victimes dans les plaintes pour torture est la police nationale, mais on a également signalé des sévices commis par des membres des patrouilles civiles ou par des auxiliaires militaires. Parmi les méthodes employées figurent les passages à tabac, les blessures faites avec des couteaux, les brûlures de cigarettes, les décharges électriques et l'administration de drogues. En novembre 1995, le Comité des Nations unies contre la torture a examiné le premier rapport soumis par le gouvernement du Guatémala en application de l'article 19 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans son communiqué final, le comité a accueilli avec satisfaction certaines mesures positives adoptées par le gouvernement, telle l'incorporation dans la législation pénale de la définition de la torture et des peines qui lui sont associées. Il s'est toutefois déclaré profondément préoccupé par le fait que la torture et d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants semblent avoir, au Guatémala, un caractère endémique, et que les autorités compétentes ne prennent pas rapidement des mesures efficaces pour enquêter et pour poursuivre les coupables.

Un des cas signalés à Amnesty International est celui de Juan Sirín Raxjal. Le 1er mars 1995, celui-ci a été appréhendé par un auxiliaire militaire et un membre de la patrouille civile locale, qui lui ont reproché de ne pas s'être présenté pour servir dans les patrouilles. Comme il faisait valoir que la participation à ces patrouilles était fondée sur le volontariat, les deux hommes l'auraient roué de coups et traîné sur le sol. Ils l'ont également accusé d'appartenir à l'opposition armée et l'ont menacé de mort. Il est sorti de cette pénible épreuve avec, entre autres blessures, une fracture du fémur, et il a dû être hopitalisé d'urgence.

Menaces de mort

Parmi les gens victimes de menaces de mort au cours des douze derniers mois figurent des personnes liées à des organisations de défense droits de l'homme ou mêlées à des enquêtes sur des violations, mais aussi des prêtres, des syndicalistes, des personnes appartenant au secteur des maquilas, des témoins d'atteintes aux droits de l'homme et des étudiants. Certaines ont reçu des menaces orales directes, ou contenues dans des messages qui leur étaient adressés. D'autres ont été victimes d'agressions physiques. La MINUGUA a signalé que le procureur général du Guatémala, Ramses Cuestas, avait reconnu que les procureurs (fiscales) du ministère public (Ministerio Público) recevaient chaque mois trois ou quatre menaces de mort, et qu'il arrivait fréquemment qu'ils soient agressés. Les représentants de la MINUGUA ont ajouté qu'eux aussi avaient été informés de cas similaires et que, dans un de ces cas, la personne qui avait été menacée avait par la suite été tuée. Une autre victime de menaces avait dû quitter le pays.Oswaldo Enríquez, membre du bureau exécutif de la Comisión de Derechos Humanos de Guatemala (CDHG, Commission des droits de l'homme du Guatémala) et vice-président de la Fédération internationale des droits de l'homme, a été menacé de mort en juillet et en décembre 1995. En ces deux occasions, il s'agissait d'appels téléphoniques reçus au bureau de la CDHG. Au mois de décembre, le correspondant aurait dit : « Arrête, Oswaldo, l'année prochaine tu vas mourir » (« Para Oswaldo, este ano que viene si te vas a morir »). Le 23 janvier 1996, alors qu'il rentrait chez lui en voiture avec son fils âgé de quinze ans, son véhicule a été pris en chasse de la zone 7 à la zone 5 de Guatémala par un minibus bleu à bord duquel se trouvaient deux hommes. Le minibus aurait tenté de se rapprocher de leur voiture pendant le trajet et serait ensuite passé deux fois devant leur domicile avant de disparaître.

En novembre 1995, César Ovidio Sánchez Aguilar, membre de la Fundación Myrna Mack (Fondation Myrna Mack), organisation non gouvernementale, a dû partir pour une destination secrète après avoir été menacé de mort par des membres de la patrouille de défense civile locale. En liaison avec les communautés indigènes de l'endroit, il avait mis en place un atelier de travail dans le but de diffuser les informations concernant l'accord sur l'identité et les droits des peuples indigènes, conjointement avec la MINUGUA et avec d'autres organisations non gouvernementales. Après avoir fait parvenir au maire de sa ville une copie des documents qu'il se proposait d'utiliser dans cet atelier, notamment un exemplaire du texte de l'accord, il a été convoqué à la mairie, où des membres du personnel du bureau du maire et deux membres de la patrouille civile locale lui ont reproché de travailler pour la Fondation Myrna Mack et l'ont accusé d'appartenir à l'opposition armée. À sa sortie du bâtiment, il a été agressé par un inconnu et menacé de mort pour ses activités. Une rencontre organisée la semaine suivante avec le maire a dû être interrompue après que des membres de la patrouille civile qui se trouvaient là eurent proféré des insultes et des menaces de mort à l'encontre de César Sanchez et de sa famille. Des insultes ont également été lancées à l'adresse des membres de la MINUGUA qui participaient à la réunion.Ernesto Bol, syndicaliste membre du bureau exécutif du Sindicato de Trabajadores de la Municipalidad de Cobán (Syndicat des travailleurs municipaux de Cobán), a été victime, en novembre 1995, d'une violente agression qui lui a valu d'importantes ecchymoses, ainsi que des lésions graves au visage et des dommages importants aux dents. Il menait alors campagne en vue d'être réintégré après avoir été démis de ses fonctions, plus de vingt mois plus tôt, par le maire de Cobán. Les agresseurs auraient été six hommes masqués qui n'ont pas été identifiés.

Les attaques dirigées contre les ouvriers des usines de textiles (maquilas) ont, semble-t-il, pour but d'empêcher la constitution de syndicats dans ces établissements et de maintenir les bas salaires. Débora Guzmán Chupén est victime de manoeuvres de harcèlement et ne cesse de recevoir des menaces de mort depuis que les ouvriers de l'usine Lunafil d'Amatitlán, dans le département de Guatémala, ont commencé, en mai 1994, de protester contre la fermeture de l'établissement, qu'ils estimaient illégale et injustifiée. En février 1995, elle a été enlevée avec brutalité et détenue pendant vingt-quatre heures durant lesquelles ses ravisseurs l'ont droguée et frappée. On lui a ordonné de mettre en garde son mari, Félix González, dirigeant syndical à l'usine Lunafil, et de lui demander de mettre fin à ses activités sous peine de ne jamais la revoir.

Catarina Terraza Chávez, maya ixil de Laguna (Nebaj), dans le département d'El Quiché, a été menacée et harcelée par un membre de la section G-2 des services de renseignement militaires (dont elle a donné le nom) après avoir pris part à une caravane de membres de la communauté ixil qui a parcouru la route de Nebaj à Guatémala, du 6 au 12 mars 1995. Il semble que le militaire soit entré par effraction dans un immeuble d'où était retransmise une émission dont l'objet était d'informer les habitants de la ville des résultats de la manifestation, et qu'il ait accusé Catarina Terraza de s'être rendue auprès des guérilleros dans la montagne.

En janvier 1994, le même agent du G-2 et un des collègues de ce dernier l'avait agressée. Elle était alors enceinte de sept mois. Depuis cette date, elle ne cessait de recevoir d'eux des menaces. Catarina Terraza est une des dirigeantes de la Coordinadora Nacional de Viudas de Guatemala (CONAVIGUA, Coordination nationale des veuves du Guatémala), qui réunit les femmes qui ont perdu leur mari au cours de la campagne anti-insurrectionnelle d'une extrême violence effectuée par l'armée à la fin des années 70 et au début des années 80. La caravane avait été organisé par la CONAVIGUA et par d'autres groupes indigènes pour protester contre les atteintes aux droits de l'homme dont la population de la région continuait d'être victime de la part des militaires, en particulier des membres de la section G-2, des auxiliaires militaires et des patrouilles civiles. Les participants à la caravane avaient également exhorté les autorités à traduire en justice les responsables des violations des droits de l'homme commises dans le passé et à démilitariser leur secteur, le "Triangle ixil".

Peine de mort

Amnesty International s'oppose à la peine de mort de manière inconditionnelle parce qu'elle estime qu'elle constitue la forme la plus grave de traitement cruel, inhumain et dégradant et une violation du droit à la vie, lequel est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans d'autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme.

Les dernières exécutions ont eu lieu en 1982 et 1983, en application d'un décret d'exception promulgué par l'administration de fait du général Efraín Ríos Montt, qui portait création de tribunaux militaires secrets habilités à prononcer la peine de mort pour une gamme étendue d'infractions politiques. Jusqu'en 1992, les tribunaux n'ont ensuite prononcé aucune peine capitale. Après cette date, plusieurs condamnations à mort ont été prononcées, mais aucun prisonnier n'est actuellement sous le coup d'une condamnation à mort. En mars, le Congrès a voté une loi élargissant le champ d'application de la peine capitale aux auteurs comme aux instigateurs de rapts ou d'enlèvements, ainsi qu'à leurs complices et à ceux qui essaient de dissimuler ces crimes. Le président Ramiro de León Carpio n'a toutefois pas ratifié cette loi, ni n'y a opposé son véto dans les délais légaux.

Cependant, si ce texte devait entrer en vigueur, ce serait en violation de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, à laquelle le Guatémala est partie.

On attend que justice soit rendue

Au cours du conflit interne qui, depuis longtemps, agite le pays, des dizaines de milliers de personnes ont été victimes de violations graves des droits de l'homme, notamment d'exécutions extrajudiciaires, de "disparitions", de torture, de menaces et de manoeuvres de harcèlement. D'innombrables autres ont perdu un être cher ou ont vécu dans la crainte qu'elles-mêmes ou leur famille ne deviennent la prochaine cible. En 1986, avec le retour du Guatémala à un régime civil, des espoirs étaient nés de voir enfin d'un État de droit restauré dans le pays. On constate à ce jour qu'il n'en a rien été.

Les auteurs de violations des droits de l'homme continuent de jouir d'une impunité presque totale. Dans les rares cas où, ces dernières années, certains d'entre eux ont été poursuivis, c'est d'ordinaire parce qu'un fait particulier, le plus souvent la nationalité étrangère de la victime ou sa position sociale élevée, avait suffisamment attiré l'attention dans le pays même et à l'étranger. Aucune condamnation n'est venue frapper ceux que l'on estime responsables des très graves atteintes aux droits de l'homme commises au moment où la campagne anti-insurrectionnelle de l'armée battait son plein, à la fin des années 70 et au début des années 80. À cette époque, des milliers de personnes ont été tuées ou ont "disparu". En outre, les auteurs des violations aux droits de l'homme commises sous le gouvernement du général Efraín Ríos Montt, entre mars 1982 et janvier 1986, ont bénéficié d'une amnistie promulguée par l'armée à la veille de l'accession au pouvoir du président Vinicio Cerezo, en janvier 1986.

En 1995, des groupes médecins légistes indépendants ont procédé à de nouvelles exhumations sur les lieux où on avait signalé des exécutions extrajudiciaires massives au moment de la campagne anti-insurrectionnelle. En juillet 1995, des membres d'une organisation indépendante, l'Equipo Argentino de Antropología Forense (EAAF, Equipe argentine d'anthropologie médicolégale), a terminé ses travaux de recherche sur le site de Las Dos Erres, dans le département d'El Petén, où l'on disait que 350 habitants avaient été tués par des militaires en 1982. Ils y ont retrouvé les restes d'au moins 171 personnes. 67 des corps exhumés étaient ceux d'enfants de moins de onze ans. Certaines des victimes étaient ligotées. D'autres portaient des traces de blessure par balle au crâne. Les autorités n'ont rien fait, ni dans ce cas ni dans aucun autre, pour identifier les victimes et traduire les responsables en justice. Dans le cas du site de Las Dos Erres, l'auxiliaire militaire local aurait tenté d'empêcher le déroulement des recherches en menaçant parents, témoins, observateurs guatémaltèques des droits de l'homme et membres de l'équipe médicolégale.

De la même façon, les tentatives faites par les familles d'un certain nombre de victimes d'exécutions extrajudiciaires pour obtenir qu'il soit procédé à des exhumations sur le site de la base militaire de Las Cabañas (La Montañita, Malacatán), dans le département de San Marcos, où, selon certaines sources, les restes de leurs proches sont peut-être inhumés, ont continué de se heurter à des manoeuvres d'obstruction de la part de responsables civils aussi bien que militaires. Une des personnes qui s'efforcent de faire procéder à des exhumations dans cette base est une citoyenne américaine, Jennifer Harbury. Son mari, Efraín Bamaca, un des commandants de la guérilla, a "disparu" après avoir été blessé en luttant contre l'armée guatémaltèque en 1992. Cette dernière prétend qu'il est mort au combat, mais, au mois de mars 1995, Robert Torricelli, membre du Congrès des États-Unis, a rendu publiques des informations selon lesquelles Efraín Bamaca avait en réalité été emmené en détention par l'armée, torturé, puis exécuté de manière extrajudiciaire, et les autorités américaines avaient eu connaissance de ces faits bien avant d'en informer Jennifer Harbury. Les informations de M. Torricelli dévoilaient également qu'Efraín Bamaca, mais également Michael Devine, citoyen américain mort en 1990, avaient été tués par des troupes opérant sous le commandement d'un colonel guatémaltèque qui, à l'époque du décès des deux hommes, était à la solde de la Central Intelligence Agency (CIA, Agence centrale de renseignements des États-Unis). Sur ordre du président Bill Clinton, une enquête officielle a été ouverte sur ces deux cas, ainsi que sur d'autres affaires concernant également des citoyens des États-Unis, et s'est soldée par des mesures disciplinaires à l'encontre de plusieurs employés de la CIA, dont deux ont été renvoyés.

Au Guatémala, les personnes nommément mises en cause dans ces affaires n'ont été ni arrêtées, ni inculpées. Jennifer Harbury, un ancien soldat disposant d'informations sur ce cas et Eduardo Arango Escobar, représentant du ministère public chargé de l'enquête, ont été victimes de tentatives d'intimidation et ont reçu des menaces de mort. Arango s'est dessaisi du dossier après que des coups de feu ont été tirés contre son bureau en juin. Le soldat a pour sa part quitté le Guatémala. Le 5 janvier 1996, une bombe a détruit partiellement la voiture de l'avocat de Mme Harbury à Washington et, le lendemain, des coups de feu étaient tirés contre le domicile de cette dernière dans cette même ville.

Amnesty International constate avec inquiétude qu'aucun des gouvernements successifs ne s'est attaché à traduire en justice les personnes responsables de violations des droits de l'homme. Au moment de son entrée en fonction, en janvier 1996, le président Alvaro Arzú Irigoyen a déclaré que l'État lutterait contre l'impunité afin de respecter ses obligations en matière de droits de l'homme. L'Organisation prie instamment le nouveau gouvernement de s'attaquer aux problèmes fondamentaux relatifs à l'administration de la justice et de réaliser les réformes nécessaires au sein du système judiciaire, notamment du ministère public, du corps des juges et de la police nationale. Il est de la plus grande importance, à la fois du point de vue des victimes et de leurs familles et pour empêcher que de telles violations ne se reproduisent, que les accusations faisant état de violations des droits de l'homme fassent l'objet d'enquêtes judiciaires indépendantes, menées à l'abri des manoeuvres d'obstruction. L'Organisation s'inquiète tout particulièrement des agressions dont continuent d'être victimes les défenseurs des droits de l'homme, qui jouent un rôle majeur dans la lutte contre l'impunité au Guatémala. Elle exhorte le nouveau gouvernement à veiller à ce que les auteurs de ces actes soient traduits en justice. Amnesty International est persuadée que de telles mesures sont nécessaires si les autorités veulent faire savoir de la façon la plus claire que les violations des droits de l'homme ne seront tolérées en aucune circonstance.

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La version originale en langue anglaise de ce document a été éditée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre : GUATEMALA : Summary of Amnesty International's Concerns (January 1995- January 1996). Février 1996. Index AI : AMR 34/03/96. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat International par les ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - Service RAN - Mars 1996.

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